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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 419) (Présidence de M. Vervoort, deuxième vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal à 1 heure et demie.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture dit procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l’analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean-Jacques Vandenbergh, commis aux écritures à Bruxelles, né à Maestricht, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Un membre de l'administration communale et des habitants de Cortessem, demandent la construction d'un chemin de fer direct de Hasselt à Liège, par Cortessem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux du canton d'Herenthals demandent une loi qui fixe leur traitement et qu'il leur soit accordé un subside sur les fonds du trésor. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gand présentent des observations sur les articles du Code pénal relatifs aux coalitions. »

- Renvoi à la commission du Code pénal.


« Par message en date du 22 de ce mois, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de loi suivants :

« Qui ouvre, au budget des dotations de l'exercice 1859, un crédit supplémentaire de 66,000 francs ;

« Fixant le contingent de l'armée pour 1860 ;

« Contenant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1860 ;

« Contenant le budget du ministère des finances pour 1860.


« Par message en date du 22 décembre 1859, le Sénat informe la Chambre qu'il ne sera donné aucune suite à la demande de naturalisation des sieurs Charles Wasmuth et Mathieu-Joseph-Hubert Bodart, le premier étant décédé et le second renonçant à sa demande. »

- Pris pour information.


M. le président. - Nous avons reçu une lettre par laquelle M. de Portemont, retenu chez lui par des affaires de famille, demande un congé et annonce qu'il eût voté pour la validation des élections de Louvain.

- Le congé est accordé.

Projet de loi prorogeant la loi sur les concessions de péages

Rapport de la section centrale

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant prorogation de la loi du 19 juillet 1832 sur les concessions de péage.

La loi actuelle expire le 1er janvier prochain ; il y a donc une certaine urgence à voter le projet de loi qui a été présenté hier par M. le ministre des travaux publics.

M. le président. - Messieurs, il s'agit d'un projet de loi qui présente un grand caractère d'urgence ; on demande la prorogation de la loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages. Les effets de cette loi expirent le 1er janvier prochain ; je pense qu'il entre dans les intentions de la Chambre d'entendre immédiatement la lecture du rapport et de passer ensuite à la discussion du projet de loi.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. d'Hoffschmidt. - Voici, messieurs, ce rapport : (Nous publierons ce rapport.)

M. le président. - La commission, messieurs, vous venez de l'entendre, conclut à l'adoption du projet de loi et à l'addition d'un article 2, ainsi conçu :

« présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

L'urgence ayant été prononcée, nous passons à la discussion du projet de loi.

Vote des articles et vote sur l’ensemble

- La discussion générale est ouverte.

Personne ne prenant la parole, l'assemblée passe à la discussion des articles.

« Article 1er. La loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages (Bulletin officiel n° 519, LIII) est prorogée au 1er janvier 1862.

« Néanmoins, aucun canal, aucune ligne de chemin de fer de plus de dix kilomètres de longueur, ne pourront être concédés qu'en vertu d'une loi. »

-Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet est adopté à l'unanimité des 86 membres présents. En conséquence, il sera transmis au Sénat.

Ont adopté : MM. d'Hoffschmidt, Henri Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Koeler, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, C. Lebeau, Loos, Magherman, Moncheur, Moreau, Muller, Neyt, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Carlier, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, H. de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Liedekerke, Deliége, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez et Vervoort.

Commission d’enquête sur les élections de l’arrondissement de Louvain

Motion d’ordre

M. Allard. - Messieurs, la Chambre prend ordinairement des vacances à la Noël ; je crois que son intention est de se séparer également, cette année, à la même époque.

Il faut donc, selon moi, qu'on élague de la discussion des conclusions de la commission d'enquête tout ce qui ne se rattache pas directement aux élections de l'arrondissement de Louvain ; or, la proposition qui a été soumise hier à la Chambre par les honorables MM. Pirmez, Laubry, Guillery, Goblet, Ansiau, Frison, Crombez et Dechentinnes, ne me paraît pas se rattacher directement aux élections de Louvain.

Pour atteindre le but que j'ai en vue, c'est-à-dire pour ne pas allonger la discussion outre mesure, je me permettrai de rappeler à la Chambre que lorsque nous avons discuté le projet de loi concernant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs, M. le ministre de l'intérieur s'est engagé à faire étudier la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu à réviser la loi électorale ; il a déclaré, pour autant que mes souvenirs sont exacts, qu'il espérait pouvoir nous présenter un projet de loi dans la session législative de 1859-1860.

Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur s'il a fait étudier la question et s'il croit pouvoir nous soumettre, dans le courant de la session actuelle, un projet de révision de la loi électorale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans la dernière session, au mois d'avril, la Chambre a pris trois résolutions auxquelles le gouvernement s'est rallié, et qui sont relatives à la réforme de nos lois électorales. Voici comment étaient formulées ces trois résolutions.

1° I1 y a lieu de maintenir le principe que les électeurs se réunissent au chef-lieu d'arrondissement.

2° Il est utile d'introduire dans le système électoral en vigueur le vote par ordre alphabétique.

3° Il y a lieu de faciliter à tous les électeurs l'exercice de leurs droits électoraux

Cette dernière proposition qui émanait de l'honorable M. de Decker, avait été amendée par l'honorable vice-président, M. Vervoort. Elle a été votée, je pense, à l'unanimité.

En présence de ces résolutions de la Chambre, le gouvernement s'est occupé, dès la fin de la session, des moyens de mettre à exécution les deux dernières et déjà dès le 2 août j'avais préparé une circulaire a MM. les gouverneurs des provinces, circulaire dans laquelle je les chargeais de rechercher, de concert avec les députations, les commissaires d'arrondissement et autres fonctionnaires compétents, les moyens de porter remède aux abus dont on s'était plaint, d'introduire dans la loi électorale les diverses améliorations indiquées dans la discussion comme pouvant être utilement mises en pratique.

(page 420) Messieurs, vers la même époque, les Chambres étant réunies extraordinairement, se trouvèrent saisies d'une pétition des électeurs de Louvain signalant des abus très graves, des abus nouveaux qui s'étaient révélés dans cet arrondissement. La Chambre ordonna une enquête parlementais sur ces élections, et dès lors je crus devoir suspendre mon enquête administrative jusqu’à ce que l'enquête parlementaire fût terminée, m'attendant à ce que cette enquête produirait des faits nouveaux dont il faudrait tenir grand compte dans l'enquête administrative à instituer et dans les résolutions qui devaient être postérieurement proposées à la Chambre.

En effet, messieurs, l'enquête parlementaire a constaté des faits nouveaux, et deux principalement, qui doivent attirer l’attention spéciale du gouvernement comme ils ont attiré, pour ne rien dire de plus, l'attention du pays.

Je veux parler d'argent distribué et distribué par les mains du clergé.

En deuxième lieu, je veux parler de ce fait que je ne qualifierai pas, je pense, trop sévèrement en l'appelant scandaleux, l'organisation d'une bande de mauvais sujets mise à la place de l’autorité publique en vue de faire ce que l'on déclarât la police légale, l'autorité publique incapable d'exécuter. Cette grave atteinte portée à l'autorité publique, cette insulte à la police d'une ville importante, je dirai même à la force armée du pays tout entier, une pareille insulte doit non seulement être énergiquement blâmée, mais elle doit nécessiter des mesures pour en éviter le retour. La Chambre comprendra où une pareille pratique pourrait mener le pays ; d'un part elle s'étendrait légitimement à l'autre, vous auriez deux bandes de mauvais sujets qui viendraient intimider l'un et l'autre parti, jusqu'au moment où elles se prendraient aux cheveux l’une l'autre.

Voilà deux faits qui ont fixé l'attention du gouvernement et qui devront trouver une répression quelconque dans la loi de réforme que nous aurons à proposer.

La proposition déposée par un certain nombre de nos collègues a pour but d’obtenir cette réforme. Mais ce qu'ils expriment comme un vœu a été décidé l'année dernière par des résolutions formelles de la Chambre. De plus, ce qui a été décidé est beaucoup plus efficace que ce qu'on propose aujourd'hui.

En effet, que propose-t-on aujourd'hui ?

« La Chambre, avant de passer au vote sur les conclusions de la commission, décide qu'il est urgent de réviser la loi électorale de manière à prévenir le retour d'abus semblables à ceux qui se sont produits dans les de dernières élections de l'arrondissement de Louvain. » Telle est la proposition.

Mais la Chambre a décidé déjà qu'il fallait réviser la loi électorale de manière à réprimer tous les abus.

Maintenant il y a des abus nouveaux, un supplément d'abus qui n'avaient pas été signalés l'année dernière.

La loi nouvelle devra comprendre les moyens de remédier à ces abus qui ne sont pas les moins scandaleux

Nous comprendrons donc dans la révision de la loi les mesures que nous croirons propres à prévenir les abus qui se sont produits dans les élections de Louvain. Dès lors les auteurs de la proposition en reconnaîtront la parfaite inutilité.

La même proposition exprime le vœu qu'un projet de loi lui soit présenté et adopté dans le cours de la présente session.

Qu'un projet de loi soit adopté dans la présente session, c'est l'affaire de la Chambre. Si l'on se bornait à émettre le vœu de la présentation d'un projet de loi sans limite de temps, je le concevrais ; il n'y a rien qui soit contraire à l'initiative qu’on doit laisser au gouvernement. La Chambre peut d'ailleurs chaque jour interpeller le gouvernement pour lui demander s'il se propose de présenter un projet de loi et quand il le présentera ; en l'absence de l'initiative du gouvernement, chaque membre a le droit de présenter lui-même ce projet de loi.

L'année dernière, la nécessité de présenter un projet de loi a été reconnue par le gouvernement, et au moment de commencer l'enquête indispensable pour reconnaître tous les abus et rechercher les remèdes à y appliquer, cette enquête a été suspendue par l'enquête parlementaire qui a fait découvrir des abus nouveaux.

Aussitôt que la Chambre aura vidé la question portée devant elle, le gouvernement reprendra son enquête, il tâchera d'arriver à temps pour présenter un projet de loi dans le cours de cette session.

Cependant je ne puis prendre sur moi de l'annoncer dès aujourd'hui promettre ; je le ferai si je puis, mais il ne m'est pas possible d'en prendre l’engagement formel.

Du reste, je ne perdrai pas de temps. Vous le voyez, ma circulaire était préparée depuis le 2 août. L'enquête administrative a été suspendue par l'enquête parlementaire. Dès que la discussion sera terminée, je donnerai suite à l’enquête administrative. Voilà ce que j'avais à dire à la Chambre. Et vous devez d'autant moins douter des intentions du gouvernement à cet égard, que la discussion actuelle a fait ressortir de nouveau la nécessité d'une réforme.

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur fait remarquer qu'une décision de la Chambre a déjà recommandé ces objets à l'attention du gouvernement. Les auteurs de la proposition persistent-ils ?

M. Guillery. - Je maintiens ma proposition.

M. De Fré, rapporteur de la commission d'enquête. - En ce qui me concerne, je déclare que par suite des explications de M le ministre de l'intérieur, je retire la proposition.

M. Ansiau. - Je suis satisfait des explications de M. le ministre de l'intérieur. Je demande donc que ma signature soit biffée de la proposition.

M. Dechentinnes. - Je retire également ma signature à la proposition.

M. Crombez, M. Laubry et M. Goblet déclarent également retirer leur signature à la proposition.

M. le président. - Il ne reste plus que les signatures de MM. Guillery et Pirmez.

Rapport de natralisation

M. Thienpont, au nom de la commission des naturalisations, dépose un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Commission d’enquête sur les élections de l’arrondissement de Louvain

Motion d’ordre

M. le président. - La parole est à M. B. Dumortier, inscrit contre.

M. Orts. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. B. Dumortier. - La troisième fois je parlerai peut-être.

M. Orts. - Ma motion d'ordre a précisément pour but de nous permettre d'être tout entiers à vous écouter.

Je ferai observer à M. le président qu'aux termes du règlement, toute proposition, pour être mise en discussion, doit être appuyée par cinq membres. La proposition de l'honorable M. Guillery devrait donc, pour être examinée par nous, suivre la filière ordinaire des propositions ; puisque après les explications données par M. le ministre de l'intérieur, la plupart des membres qui l'avaient signée ont retiré leurs signatures, et qu'elle n’est plus signée que par deux membres, MM. Pirmez et Guillery. Pour que la proposition fasse partie de la discussion, il est nécessaire que M. le président demande si elle est appuyée par cinq membres.

M. B. Dumortier. - Je demande que la parole me soit maintenue. Je ferai remarquer à l'assemblée que si la motion d’ordre de l'honorable M. Orts était adopite, la proposition de M. Guillery devrait être développée, prise en considération, renvoyée aux sections, de, etc. Je commence donc.

M. le président. - Il convient que l'incident soit vidé.

M. Guillery. - Comme vient de vous le dire l'honorable M. Orts, il faut qu'une proposition soit appuyée par cinq membres pour faire partie de la discussion. Mais veuillez remarquer que cette proposition est la conclusion naturelle d'un discours très bref du reste que j'ai l'intention de prononcer lorsque je serai admis à prendre la parole. Je l’ai déposée sur l'observation qui m'a été faite qu'il ne fallait prendre personne au dépourvu, qu'il fallait notamment que le cabinet pût en délibérer. L’honorable M. Orts a demandé si ma proposition était appuyée. Je le remercie de la marque de bienveillance personnelle qu'il m'a donnée par cette observation. Mais je lui dirai que ce serait la première fois qu'une proposition ne serait pas appuyée par cinq membres A moins que la proposition ne soit inconstitutionnelle ou ridicule, le membre qui l'a présentée ne se trouvera jamais seul. Il trouve là toujours quatre collègues pour l'appuyer. Il est bien entendu que ceux qui l'appuient ne s’engagent pas pour cela à la voter. On appuie une proposition, sauf à voter contre ; on l'appuie par déférence pour un collègue et par respect pour le droit d’initiative.

Je ne puis vous dire maintenant quels sont les motifs pour lesquels j'ai présenté, cette proposition, et pour lesquels je la maintiens. Je les développerai lorsque mon tour de parole sera venu. Du reste il est évident, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, que ce n'est que quand j'aurai développé ma proposition qu'on pourra demander si elle est appuyée.

M. de Theux. - Je pense également que ce n'est qu'après que M, Guiliery aura développé sa proposition qu'on pourra demander si elle est appuyée.

M. le président. - L'honorable M Guillery aura la parole plus tard pour développer sa proposition.

L'incident est clos.

La parole est à M B. Dumortier.

Discussion des conclusions

M. B. Dumortier. - Je ne viens pas plaider devant vous, majorité, la cause des élus de Louvain ; le discours de l'honorable préopinant a tracé ma route, et l'un de vous nous a dit le sort qui les attend. Je ne viens pas demander à la majorité la faveur d'une justice ; la cause des élus de Louvain, la cause que nous défendons est trop belle pour que nous la trahissions par une faiblesse. Ce que je viens faire, c'est exposer les faits à votre charge, c'est proclamer des faits qui se sont passés relativement à la majorité qui s'opposent à l'élection de Louvain ; c'est appeler l'attention publique sur le vote que vous allez émettre et (page 421) montrer dans quelles conditions vous allez l'émettre. C'est au pays que je veux parler.

La question dont il s'agit n'est pas nouvelle devant vous. Dans la dernière session, mon honorable ami M. Wasseige, ayant proposé d'admettre les élus de Louvain, comme l'avait fait le Sénat, je lui fit remarquer qu’à l'ouverture de chaque session, il fallait que le ministère libéral battit le rappel sur peau de clérical.

L'an dernier nous avions eu les abus d'un autre âge ; nous avions avant cela l'influence occulte et mille choses semblables ; il fallait bien que cette année, pour unir des liens fort peu serrés, on nous parlât du prêtre corrupteur. C'est ce qui est arrivé, et évidemment il le fallait pour faire passer un vote que l'opinion publique n'approuvait pas.

La question d'ailleurs n'est pas nouvelle. Dans le discours dont vous a parlé tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur et qui date du mois d'avril dernier, cette question avait déjà été traitée. On vous disait alors en appuyant un projet de loi présenté par plusieurs membres : « Quelle est, disait-il, l’origine de ce projet ? Le but que les auteurs de la proposition poursuivent, ils ne l'ont pas dissimulé : on trouve que le clergé fait dans les élections abus de son influence ; on veut détruire cette influence illégitime du clergé, ces violences morales exercées par le clergé à l'égard des électeurs de la campagne. Voilà le but que la proposition a en vue. »

Voilà le but que vous proclamiez à propos de ce projet de loi. Mais pour arriver à ce but, il vous fallait trouver le prêtre corrupteur, il vous fallait l’abus du confessionnal, l'abus des sermons, toutes choses que vous n'avez pu trouver, mais que vous espériez trouver ; de là l'enquête. Il a fallu en cela que vous suivez l'exemple du Piémont, qui avait fait une enquête sur l'emploi des moyens spirituels dans les élections ; il a fallu que vous vous mettiez à la remorque d'un gouvernement étranger.

Quel a été le résultat des élections de Louvain ? M. de Luesemans n'a pas été réélu, et quatre députés appartenant à nos bancs sont sortis triomphants de l’urne électorale. Ainsi que vous l'a dit mon honorable ami M. de Muelenaere, les élections de Louvain ont été on ne peut plus régulières. Rien ne s'est opposé à l'élection. Aucun désordre n'a signalé le jour où les comices se sont réunis.

Mais, malgré tout, vous voulez une seconde fois faire entrer dans cette Chambre M. de Luesemans, malgré le scrutin qui a fait sortir de l’urne électorale le nom de ses adversaires.

Hier, je vous rappelais ce que vous avez fait en 1857, quand vous avez invalide les bulletins portant les noms de quatre députés sortants, afin de donner une majorité à M de Luesemans. C'était là un coup de majorité contre la justice et la minorité. Maintenant, vous voulez annuler l'élection dernière afin de faire rentrer M. de Luesemans.

Il faut convenir que la personnalité de M. de Luesemans joue ici un rôle très important, puisque chaque fois qu'il n'a pas réussi, la minorité est obligée de subir ce que je considère comme une grande injustice.

Après l'élection, une pétition est arrivée signée par MM. Peemans et consorts. Cette pétition indiquait plusieurs griefs ; le principal était le fait d'une prétendue affiche faite par M. Coppin, et dont le résultat aurait été d’enlever la majorité à M. de Luesemans.

Pour la commission de vérification des pouvoirs, là était le grand abus, et elle demandait en conséquence une enquête sur l’élection de Louvain. Voici ce que dit à cet égard le rapport fait par M. Deliége, au nom de la commission des pouvoirs :

« Cette manœuvre émanant d'un homme payé par un parti (le parti conservateur) a pu déplacer 12 voix, ce qui a dû amener un autre résultat, car un candidat (M. Van Dormael) a été nommé par 1739 voix. Un autre (M. de Luesemans) a échoué avec 1785. Différence. 14 seulement. Huit voix déplacées donnaient à celui qui a échoué 1793 voix et à celui qui a été proclamé 1791. Le résultat eût été alors à l'avantage de celui qui a échoué (M. de Lusemans). »

Voilà sur quoi reposait principalement la proposition de la commission de vérification des pouvoirs.

Vous le voyez, messieurs, c'était là un grand grief, ce1ui sur lequel on basait l’annulation de l'élection de Louvain. Eh bien, ce grief paraît maintenant abandonné ; et ici je ferai remarquer à l'assemblée combien toute cette affaire a suivi de phases différentes.

D'abord, c'était l'affaire du Moniteur de Louvain qui devait servir de base à l’annulation de l'élection, cette affaire a été tout d'abord abandonnée par vous, malgré le rapport de la section centrale ; nous y reviendrons tout à l’heure. Celle-ci abandonnée, vous avez fait surgir l’affaire des frais électoraux ; mais il fut bientôt démontré que ces frais électoraux résumés en indemnités d'argent étaient un fait commun aux deux partis. Des lors, vous vous êtes du qu'il fallait trouver autre chose, et vous avez imaginé l’influence du clergé.

On espérait trouver dans l'enquête des choses excessivement graves, vous espériez trouver ces prétendus abus dont vous parlez toujours ; vous n'avez rien trouve dans l'enquête, ce prétendu grief est disparu sous vos doigts. C'est alors que, ne pouvant établir aucun grief sérieux contre vos adversaires, vous avez imaginé un quatrième moyen d'annulation ; c'est la bande des assommeurs, qui n'ont assommé personne.

Voilà, majorité, comment vous avez été de cascade en cascade afin de trouver un grief contre les élus de Louvain, afin d'arriver à un résultat que vous désiriez atteindre, celui de leur élimination brutale, et, je crois pouvoir dire, que vous aviez résolu avant même de faire l'enquête.

D'abord qu'était-ce que l'affaire du Moniteur de Louvain, qui dans l'origine, était le motif pour lequel vous demandiez l'élimination des députés de ce district ? Que s'est-il passé à ce sujet ? Cette affaire a été portée devant le jury national et ce jury a acquitté M. Coppin, condamnant ainsi la police de Louvain de n’avoir pas fait son devoir ; car c'était de conséquence directe, comme le disait M. le substitut du procureur général, de l'issue du procès.

Il arrive maintenant que cette affaire dont vous faisiez tant de bruit, qui était pour vous un scandale, qui était pour vous un grief contre les élus de Louvain et un grief considérable, devant amener l'annulation de leur élection, il arrive maintenant que cette affaire est tombée, vous n'en parlez plus ; mais moi j'en parlerai ; répondez ! N'est-il pas vrai, oui ou non, que dans cette affaire il y a eu de la part de vos amis les abus les plus graves ? N'est-il pas vrai qu'il y a eu violation de domicile ? N'est-il pas vrai que, dans cette affaire, il y a eu violation du secret des lettres ? N'est-il pas vrai que, dans cette affaire, il y a eu violation de la liberté de la presse ? Que les droits les plus sacrés de la Constitution ont été foulés aux pieds ? Et tout cela, toutes ces libertés qui, dites-vous, vous sont si chères ; toutes ces libertés que, dites-vous, nous voulons anéantir ; toutes ces libertés n'ont pas trouvé chez vous, majorité, un seul défenseur Et pourquoi ? Parce qu'il s'agissait d'adversaires politiques ; que la liberté à vos yeux n'existe, n'est écrite que pour vous et que vous n'en voulez pas pour ceux qui ne sont pas de votre parti.

Après que l'enquête fut terminée, un rapport a été présenté à cette Chambre. On a nommé cela un rapport ; je l'ai qualifié autrement et je persiste à croire que ma qualification était bien juste. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dans ce rapport on ne voit que des choses inouïes, inconcevables. Ce sont des erreurs calculées, des dépositions tronquées ou altérées ; ce sont de faits faux présentés pour vrais quand on peut en tirer une accusation contre le clergé. C'est la flétrissure imprimée à des hommes honorables qui ne sont pas ici pour se défendre et qui ne sont pas même en cause. C'est la liberté de conscience violée C'est la personnalité privée, l’honneur privé, la chose la plus sacrée, qui est traînée devant la Chambre, dans cette enceinte où, encore une fois, elle ne peut pas se défendre. C'est enfin de la diffamation au moyen d'un résumé partial et dénaturé de l'enquête.

Aussi, messieurs, que s'est-il passé ? C'est que personne, dans cette enceinte, n'a pris la défense du rapport, et j'en félicite l'assemblée. Aucun des orateurs de la gauche n'a cru pouvoir prendre la défense de ce rapport.

Le rapport est donc condamné, et votre silence est la plus grande flétrissure qui pouvait l'atteindre, juste punition d'une aussi déplorable aberration. Vous aviez voulu me rappeler à l'ordre pour avoir dit que ce rapport était un libelle, un pamphlet ; votre silence est ma justification ; il m'a vengé.

Reste la discussion ; reste l'enquête.

Eh bien, parlons d'abord de l'enquête. Qu'en résulte-t-il ? Il résulte de l’enquête :

1° Que des dépenses électorales ont été faites à Louvain par les libéraux et par les catholiques de la même manière, au moyen d'une indemnité de frais de route et de séjour payée aux électeurs ;

2° Que nulle part, malgré toute la sévérité de l'enquête, on n'a pu trouver que ces dépenses aient été faites à titre d'achat de votes ; l’enquête dément ce fait à toutes ses pages, et c'est par conséquent, contrairement à l'enquête elle-même, qu'on vient nous dire ici que c'était un achat de votes ;

3° Que cependant des billets ont été donnés, mais qu'ils l’ont été par le parti libéral pour ses candidats ;

4° Que l'argent des pauvres a été employé pour faire l'élection des candidats libéraux ;

5° Que l’argent du trésor public a été employé pour faire triompher les candidats libéraux ;

6" Que des menaces ont été employées, des fonctionnaires publics déplacés pour faire triompher les candidats libéraux ;

7° Qu'une manœuvre étrange a été employé à Louvain, sinon dans cette élection, du moins dans une autre ; manœuvre consistant à prolonger le travail électoral, afin d’empêcher certains électeurs d'assister au scrutin de ballottage, et que ces manœuvres sont le fait du parti libéral et de M. de Luesemans en particulier.

8° Que des visites domiciliaires, des procès de presse, des violations du secret des lettres, ont été faites afin de faire triompher les candidats libéraux.

Voilà, majorité, le résultat de l'enquête ; et c'est après de pareils résultats, c'est lorsqu'il est établi à la dernière évidence que tous les abus émanent de vos amis, des libéraux, que vous viendrez ici parler d'annuler l’élection des candidats conservateurs de Louvain !

Je dis que, s'il y a quelque chose de vicieux dans l'enquête, c'est la conduite de vos amis : ce sont vos amis qui ont tout violé ; ce sont eux qui ont employé l'argent des pauvres ; ce sont eux qui ont employé (page 422) l’argent de l'Etat ; ce sont eux qui ont menacé, qui ont fait écarter des fonctionnaires électeurs ; ce sont eux qui ont délivré des bulletins marqués ; ce sout eux qui se sont permis tous les abus, tous les scandales ; et, ô indignité ! ce sont eux que vous élevez au pavois en écrasant sous vos pieds les élus de Louvain, ces hommes si purs, que vous êtes forcés de déclarer vous-mêmes que vous n'avez rien à leur reprocher.

Mais les dépenses électorales ! Les dépenses électorales constituent-elles un moyen de corruption ? Je dis que si ces dépenses constituent un moyen de corruption, nous n'avons, tous autant que nous sommes, qu'une seule chose à faire, c'est de nous lever et de sortir de cette Chambre ; car nous sommes tous, sur ce point, aussi coupables les uns que les autres ; il n'en est pas un seul d'entre nous qui soit complétement pur sous ce rapport, tous nous avons subi le désagrément de ces dépenses, et vous avez bien mauvaise grâce d'en faire un grief pour annuler l'élection de Louvain.

Certes, il serait préférable que les dépenses électorales n'existassent pas ; je le reconnais, je l'ai souvent proclamé dans cette enceinte. Mais, vous aurez beau faire toutes les lois possibles, excepté le vote à la commune, vous aurez beau introduire ici les 40 à 50 lois qu'a faites l’Angleterre, vous n'empêcherez pas les dépenses électorales, aussi longtemps que vous maintiendrez le vote au chef-lieu d'arrondissement. Ces dépenses sont inhérentes à tout gouvernement constitutionnel, à toute république ; elles ont toujours existé, elles existeront toujours.

Savez-vous comment en Angleterre on étude toutes les lois en ce qui concerne les dépenses électorales ? c'est la chose la plus simple du monde : en Angleterre, il n'est pas défendu de parler ; eh bien, on parie avec un électeur que tel candidat sera élu, l'enjeu est de 100 ou 200 fr. Le candidat est élu, on paye son pari et l’on vient ainsi se mette à côté des lois qui régissent la matière.

Voilà comment les choses se passent en Angleterre. L'appétit humain pour les hautes fonctions est tellement ingénieux, qu'il trouve toujours le moyen d'éluder de semblables lois.

Les dépenses électorales sont sans doute regrettables, mais qui veut les institutions doit accepter les abus qui en sont la conséquence. L'abus des dépenses électorales est inhérent au système représentatif et ce serait se faire une étrange illusion, que de croire à la possibilité de le faire disparaître.

Maintenant, au point de vue de la validation, je voudrais bien qu’on me dît quelle différence il y a entre payer à un électeur ses frais de déplacement et de séjour, en argent, ou payer à un électeur ses frais de déplacement et de séjour en nature. Là est toute la question. Vous avez tous payé les frais électoraux eu nature, et vous avez dû finir par les payer en argent.

Pour moi, je dis que payer en nature ou payer en argent c'est exactement la même chose ; que vous payiez le cabaretier pour traiter l'électeur, ou que vous payiez l’électeur pour se faire traiter chez le cabaretier, je n'y vois aucune espèce de différence. Les lois en établissent une, et elle est contre vous ; le témoin que vous appelez en justice, vous devez le payer avec argent, mais si vous le payez en nature, si vous buvez ou mangez avec lui, il sera récusé ce qui prouve que dans l'esprit de la loi la corruption la plus grande est le dîner.

Comme juges, vous avez à voir s'il y a eu, oui ou non, achat de votes et vous devez examiner ce fait d’après les circonstances, d'après l'importance de la somme payée ; mais il ne faut pas venir nous dire qu'il est permis de défrayer les électeurs d'une manière et qu'il n'est pas permis de les défrayer d’une autre manière.

Or, que résulte-t-il de l'enquête ? C'est que les amis des élus de Louvain ont payé une somme totale de 2,400 francs ; comme ils étaient 6, cela fait 400 francs pour chacun. Eh bien, vous qui avez payé 10,000 francs, 20,000 francs, 30,000 francs, vous avez bien mauvaise grâce à venir nous reprocher ces 400 francs.

Mettez la main sur la conscience, votez, et dites à vos électeurs : J'ai voté pour les élus de Louvain parce que j'avais fait plus qu'eux.

Voilà, messieurs, ce qu'exige la moralité publique, c'est de ne pas reprocher les frais électoraux à autrui quand on a soi-même à se les reprocher.

Il serait vraiment trop commode de se décerner la palme de la vertu lorsque l'on a commis en grand le délit que l'on reproche en petit à ses adversaires ; il serait par trop commode de se donner comme immaculé lorsque au lieu de virginité on a le corps tout rempli de souillures.

La corruption, messieurs, elle est définie par l'article 113 du code, pénal et veuillez-le remarquer, comme l'a dit fort bien l'honorable M. Wasseige, l'article 113 est affiché à la porte et dans la salle du collège électoral ; il en est donné lecture avant le commencement des opérations. L'article 113 n'est pas une vieillerie, comme l'a dit M. de Boe, cet article vous l'avez sanctionné de nouveau dans la dernière session en le rétablissant, sauf une légère modification, dans le Code pénal révisé.

C'est donc l'article 113 qui détermine les cas de corruption. Eh bien pas un seul d'entre vous n'a osé soutenir que les conservateurs de Louvain se soient rendus passibles des dispositions qu'il renferme, pas un seul d'entre vous n'oserait traduire une seule des personnes qui ont donné pour frais de déplacement et de séjour une pièce de 5 fr. aux électeurs éloignés de plusieurs lieues devant les tribunaux du chef de corruption, parce que vous seriez certains, parfaitement certains de provoquer un acquittement.

Et que vous a dit l'honorable M. Carlier ? Il vous a dit qu'il n'y a pas ici de corruption juridique, mais il a ajouté qu'il y a une corruption qu'on ne peut pas admettre. Une corruption qu'on ne peut admettre ! Voilà, messieurs, un argument de caoutchouc, un argument singulièrement élastique.

C'est un moyen excessivement commode pour vous permettre à vous, majorité, d'écarter de la Chambre tous ceux qui nous déplairaient ; avec ce moyen la gauche écarterait la droite, la droite écarterait la gauche et il ne resterait plus personne sur ces bancs. Quant à moi je ne connais pas une corruption qu'on ne peut admettre, je ne connais que la loi et vous reconnaissez vous-mêmes avec nous qu'elle n'est pas applicable, vous ne pouvez donc l'appliquer en prononçant l'annulation de l'élection. La loi, la loi seule doit ici parler.

Cela est si vrai que lorsque nous eûmes à examiner la question de l’enquête l’honorable membre a insisté sur ce point que dans les faits signalés il y en avait un, le cinquième, où l'on prétendait que L. Courtois et Denis Vaes avaient reçu de l’argent pour voter en faveur des candidats cléricaux. Là, il y avait, suivant lui, indication d’un achat de vote, et l’honorable M. Carlier disait que pour ce fait il demandait l’enquête. Eh bien, ce fait a été démenti par l’enquête, ce fait n’existe plus et l’enquête, d’un bout à l’autre, proteste contre la pensée de la corruption.

Libéraux et catholiques, tous les témoins sont venus dire la même chose, c'est que des frais de déplacement et de séjour ont été payés par les libéraux et par les catholiques, mais qu'il n'y a pas eu achat de votes.

Que disait 1 honorable M. de Brouckere, aussi dans la discussion de l'enquête ? Je veux, dit-il, l'enquête afin de savoir si la somme de 5 fr. donnée à l'électeur a été donnée à titre de frais de voyage et de séjour ou bien s'il y a eu achat de vote.

L'honorable membre, en parlant ainsi, avait évidemment en mémoire l’article 113 du code pénal. Eh bien, qu'a fait l'enquête ? Encore une fois elle est venue établir que les petites sommes payées l'ont été exclusivement pour défrayer les électeurs éloignés des frais de voyage et de séjour, comme vous le faites vous-mêmes en payant en nature. Tous les témoins sont venus déclarer qu’ils n'avaient pas vendu leur vote, ils ont tous protesté contre cette pensée.

Et c'est après une pareille protestation, c'est lorsque l'enquête a fait jaillir la vérité à toute évidence, que l'on vient ici parler de corruption ! Commencez donc, majorité, par supprimer l'enquête, qui se dresse devant vous et qui détruit de la manière la plus complète cette accusation que vous jetez à la face des électeurs de Louvain. Les électeurs de Louvain ne sont pas gens à vendre leur vote et leur indépendance.

Nés de la liberté, les électeurs de Louvain comme tous les électeurs du pays, savent maintenir leur liberté et ils protestent de toutes leurs forces contre les accusations dont ils ont été l'objet et que vous leur lancez d'une façon si odieuse contre l'évidence de l'enquête.

L'honorable M. Devaux et après lui l'honorable M. Orts, sont venus faire un singulier calcul ; j'ai vraiment beaucoup ri quand j'ai vu ces deux grands orateurs, dont j'estime infiniment le talent, se battre les flancs d'une manière si misérable pour prouver que l'électeur éloigné qui avait reçu une pièce de 5 fr. pour frais de route et de séjour pouvait retourner chez lui avec 3 fr. dans la poche.

Je ne pense pas que l'honorable M. Devaux, qui nous a parlé du paysan allant au marché une tranche de pain en poche, pourrait attirer beaucoup d'électeurs de 1'arrondissement de Bruges avec cette perspective. Il en viendrait fort peu s'il leur disait : « Vous mettrez une tartine en poche et vous boirez un verre d'eau, c'est tout ce que je vous donne. »

L'honorable membre a oublié qu'il nous avait dit dans une séance précédente : « Les élections sont des kermesses politiques. » Et vous vous imaginez que les électeurs des campagnes viendront à la kermesse politique avec une tranche de pain dans leur poche ! Vous vous imaginez que les paysans flamands, les paysans wallons, les paysans belges vendraient leur voix pour une pièce de 5 francs ! Mais c'est un outrage gratuit que vous jetez à la face des électeurs !

Ce qui prouve, jusqu'à la dernière évidence, qu'il ne s'agit ici que de frais électoraux, c'est cette particularité établie par l'enquête et dont vous avez tous eu soin de ne pas parler, parce qu'elle vous écrase de toute sa vérité : c'est qu'à Louvain même et dans les communes des deux cantons de la ville, rien n'a été donné.

Eh bien, l'honorable comte de Muelenaere l'a dit, et mes autres honorables amis l'ont répété après lui, s'il avait été question de faire de la corruption électorale, d'acheter les votes, on aurait commencé ces manœuvres à Louvain et dans les cantons voisins de la ville, où il y a tant d'électeurs peu aisés.

Or, rien n'a été donné là, ni par les électeurs libéraux, ni par les électeurs conservateurs. J'absous sur ce fait les deux partis. Je le répète, si on avait voulu pratiquer la corruption, on aurait commencé par la ville de Louvain, par une ville de 30,000 âmes, où il y a une foule de petits électeurs.

N'est-ce pas la preuve la plus évidente qu'il ne s'agissait pas d'acheter des votes ; qu’il ne s'agissait que d'une indemnité pour frais de déplacement et de séjour pour les électeurs éloignés, indemnité que nos adversaires payent au moyen d'excellents dîners et d'excellentes voitures ?

(page 423) Si on avait voulu pratiquer la corruption, savez-vous ce qui aurait eu lieu ? On s'y serait pris tout d'abord à Louvain où domine l'influence libérale ; c'est là qu'on aurait opéré.

Eh bien, il résulte de l'enquête que rien n'a été dépensé dans cette ville. Ainsi, tout votre échafaudage s'écroule devant l'enquête ; l'enquête que vous avez votée, proteste contre vous ; elle s'élève de toutes sa hauteur contre vous ; elle éclaire le pays contre les accusations de corruption que vous lancez contre les dignes électeurs du district de Louvain.

On vient nous dire : Certains frais électoraux ont été payés par des prêtres. C'est un scandale.

Eh bien, qu'avez-vous à dire à cela ? Est-ce qu'en Belgique, par hasard, le prêtre n'est pas citoyen ? Voulez-vous le réduire à l'état d'ilotisme ? Voulez-vous lui enlever les droits qu'il tient de la Constitution ?

Le prêtre cesse-t-il d'être citoyen ? Ici, dans le centre des lois, parlant au nom du Roi, je dis que le prêtre a le même droit que les autres citoyens. Dites-le, est-ce ce droit que vous contestez ?

Tous les citoyens ont le même droit devant la loi ; vous ne pouvez pas créer une classe d'ilotes, ni contester à une classe de citoyens le libre usage des droits consacrés par la Constitution. Ah ! vous avez beau exprimer des regrets sur certaines dispositions de la Constitution, que vous avez tous juré de maintenir, la Constitution vous lie malgré vous. Les membres du clergé, ces démocrates en soutane, comme les appelait mon honorable ami M. de Liedekerke, sont des citoyens tout comme vous, et vous ne pouvez pas leur contester le droit qu'ils ont comme tous les autres citoyens ; vous ne pouvez pas plus faire de leur robe de prêtre une cause de nullité, que vous ne pouvez, chez d'autres citoyens en faire une de la qualité de franc-maçon.

Vous vous plaignez des visites que les membres du clergé vont faire aux électeurs et qu'ils font, dites-vous, le soir ; et vous, dans vos assemblées, vous êtes tellement amis de la lumière, que vous ne recevez personne dans vos loges ; vous bouclez toutes les fenêtres à l'extérieur, de crainte de la lumière ; vous y placez des surveillants, de crainte d'être entendus. C'est dans le plus profond secret que vous tenez vos conseils de guerre. Le clergé, lui, travaille au grand jour, et c'est là l'action de la liberté. Alors le peuple prononce et tout est dit.

Vouloir réduire à l'état d'ilote un prêtre, à cause de la robe qu'il porte, c'est aussi odieux, aussi injuste que de faire des ilotes d'une autre classe de citoyens, à cause du tablier qu'ils portent devant eux.

Ah ! je le sais bien, l'influence du clergé vous gêne, comme l'influence de la minorité vous gêne. Tout vous gêne. Vous voulez l'ostracisme de ce qui n'est pas vous. Mais il faut le subir.

Quant à nous, avons-nous blâmé l'action des loges maçonniques en votre faveur ? Avons-nous cherché à nous élever contre l'influence que vous aviez à votre disposition et qui vous soutenait ? Jamais aucune de nos voix ne s'est élevée contre vous ; nous avons respecté chez vous votre droit, la liberté ; mais votre voix à vous, majorité, n'a cessé de s'élever contre nos amis, jusqu'à leur dénier leurs droits les plus sacrés, nous avons toujours, nous, respecté en vos amis le droit de citoyens, et c'est là ce qui fait notre force et votre faiblesse.

Dans toute cette discussion, c'est vous qui cherchez à renverser et à détruire les droits constitutionnels de nos amis, droits qui sont les mêmes que les vôtres, et c'est-là ce qui fait que le flot monte contre vous parce que le pays comprend que votre libéralisme c'est la domination des uns et l'asservissement des autres.

Messieurs, j'ai été profondément ému de certaines choses que j'ai lues dans le rapport ; j'ai été ému de voir écrire dans un document parlementaire que le clergé avait usé du confessionnal pour refuser l'absolution aux pénitents qui voteraient pour M. de Luesemans. Je voudrais bien savoir comment il est possible et comment il est de convenance d’insérer de semblables assertions, des assertions aussi contraires à la vérité, dans un document parlementaire !

Ouvrez l’enquête, elle vient dire tout le contraire ; il n'y a absolument rien dans l'enquête qui établisse ces faits. Comment la honte ne vous a-t-elle pas monté au front en écrivant de pareilles contre-vérités ?

J'ai été fortement ému encore d'entendre soutenir ici que le clergé avait enseigné le mensonge ; mes honorables amis ont protesté contre cette odieuse imputation et ont donné le plus éclatant démenti à cette parole.

Mais on ne s'est pas borné là, on a été jusqu'à dire que le clergé avait été parjure. Je dis que l'honorable membre qui s'est permis d'adresser au clergé une semblable imputation, n'aurait pas osé tenir ce langage dans un lieu public, parce qu’il a dans le code Pénal un article 367 qui serait venu l’en empêcher et qui punit le calomniateur.

Messieurs, nous avons le droit de traduire à notre barre les ministres qui sont responsables devant nous ; nous avons le droit de traduire à notre barre tout agent d gouvernement, lorsque le ministre n'est pas responsable d’un fait commis par un agent ; nous avons même le droit d’examiner ceux qui viennent se livrer à nous ; mais jamais, dans aucun gouvernement constitutionnel, sous le manteau de l'inviolabilité parlementaire, on ne s'est donné le droit de qualifier de parjures, de menteurs, des hommes qui ne sont pas ici pour se défendre, pour repousser vos accusations infamantes, que j’appellerai des calomnies. Mais surtout on n’a pas ce droit, lorsqu'ils ne sont ni poursuivis ni condamnés. Et l'on dit que c'est la loi du gouvernement représentatif. Moi, je dis que c'est la honte du gouvernement représentatif ; je dis que de pareils faits tendent à jeter un incurable discrédit sur ces institutions que nous avons fondées et auxquelles nous sommes si fortement attachés ; je dis qu'il est de notre devoir de protester de toute l'énergie de notre âme, contre le système qui consiste à venir accuser devant la Chambre et devant le pays, des hommes qui ne sont pas coupables, des hommes qui ne sont pas ici pour se défendre.

Une telle conduite est la honte du gouvernement représentatif et elle accuserait chez nous la dégradation des mœurs publiques, s'il n'était pas protesté contre un abus aussi scandaleux.

Mais je le sais ; il vous fallait, majorité, arriver avec du scandale, faire du scandale par intérêt de parti, vous étiez partis d'une donnée ; il fallait avoir des conséquences.

II fallait arriver avec la grande conspiration du clergé contre les institutions publiques.

Voilà tout le but de ces débats, voilà tout le but du rapport et de ces tristes débats. Puisqu'il en est ainsi, examinons où a été la grande conspiration dans l'élection de Louvain. Nous allons le voir, mais avant d'arriver là, permettez-moi un mot, sur une institution dont on a parlé encore tout à l'heure, sur la garde de sûreté de Louvain.

Qu'est-ce que la garde de sûreté de Louvain ? Elle n'est rien autre chose que ce qui s'est pratiqué dans toutes les élections du pays, que vous les payiez ou que vous ne les payiez pas. (Interruption.)

Vous riez maintenant ; tout à l'heure vous ne rirez plus. J'entends qu'on dit que c'étaient des assommeurs. Ce sont des assommeurs ! Voilà le grand argument.

Eh bien, je vous demanderai, majorité, ces assommeurs qui ont-ils assommé ? Y a-t-il eu des victimes ? Non. Y a-t-il eu des plaintes ? Non. Le candidat de votre cœur M. de Luesemans avait, lui, toute sa police à sa disposition ; vous l’avez vu, les commissaires de police faisaient partie de l'association libérale ; un bon nombre des agents de la police font partie de cette association ; on les avait à l'œil ces fameux assommeurs, qu'est-ce qu'ils ont assommé ?

Ils ont empêché qu'on n'assommât, voilà leur crime, et c'est peut-être pour cela que vous avez tant à cœur de les dénigrer ; vous aimez le tapage, les attaques à la soutane n'inspirent chez vous aucune espèce de repentir ; leur crime est d'avoir empêché ces odieuses saturnales qui jamais n'ont trouvé personne pour les flétrir.

Pourquoi donc cette garde de sûreté a-t-elle été établie à Louvain ? Les faits vous les avez sous les yeux ; l'enquête vous les révèle ; des lettres comminatoires avaient été adressées, menaçant les électeurs ruraux du sort de Gaillard, c'est-à-dire d'être pendus s'ils venaient à Louvain.

En 1850, des faits d'une gravité excessive se sont passés à Louvain. (Interruption.)

Le jour des élections la bande de sûreté libérale s'était portée aux excès les plus odieux ; un avocat a été traîné par les cheveux dans une rue, M. Coppin a été poursuivi un poignard à la main ; sur la place du Peuple, une corde a été hissée à un arbre pour le pendre. (Interruption.) Vous riez de ces faits ; c'est sans doute parce qu'ils vont à votre caractère, ils ont votre approbation. Vos rires inconvenants sont la justification de la création de la garde de sûreté.

Je dis que des faits pareils sont d'une gravité excessive et qu'ils justifient en tous points la création d'une garde de sûreté pour protéger les habitants. Que voyez- vous dans les pièces ?

Le 27 juin 1850, une autre lettre contenant des menaces de mort fut adressée au curé de Meerbeek, cette lettre a été publiée ; elle est déposée entre les mains du procureur général, je tiens en main la lettre anonyme et le procès-verbal de vérification d'écriture qui est singulièrement compromettant pour un de vos amis. Ce n'est pas tout. En 1854...

- Plusieurs voix. - Lisez la lettre ! lisez la lettre !

M. B. Dumortier. - La voici :

« Louvain, le 27 juin 1850.

« Monsieur le curé,

« Le bruit court en ville que vous avez prêché cette semaine que samedi prochain vous direz la messe à 6 heures, afin que ceux qui sont électeurs puissent venir voter contre Fizenne, et que vous refuseriez l'absolution à tous ceux qui ne voteraient pas ; je vous prie, dans votre intérêt, de modérer votre zèle pour un parti qui compte dans son sein chez nous des hommes dont le nom seul fait horreur, car d’après le bruit qui circule, vous pourriez bien être, avec vos simples villageois, victimes de notre ardent désir de triompher.

« Mercredi soir, une sérénade a été donnée à Landeloos ; il y avait plus de 2,000 personnes ; la musique a dû s'enfuir ; on n'a crié que : « A bas Landeloos !...Grâce aux efforts du bourgmestre, ou Coppin fût une victime comme en 1830 le commandant de la place.

« Je vous conseille de vous tenir à l'écart, autant que possible, car toute la ville sera en train.

« Un de vos anciens paroissiens. »

- Plusieurs voix. - Lisez donc le procès-verbal !

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas l'habitude de traîner à la barre (page 424) de cette Chambre des hommes qui ne sont pas là pour se défendre. Je ne vous imiterai pas.

- Un membre. - Alors n'insinuez rien.

M. B. Dumortier. - Je dis ce qui est vrai.

M. de Theux. - Plusieurs d'entre nous ont eu entre les mains le procès-verbal dont vient de parler l'honorable M. Dumortier, et nous trouvons qu'il a raison de ne pas le lire.

M. Orts. - Alors il ne doit pas en parler.

M. B. Dumortier. - En 1854, à l'époque des élections le curé de Kessel-Loo fut blessé d’un coup de pierre à la jambe, par la bande de sûreté libérale ; il resta plusieurs mois sur son lit ou ne pouvant sortir à cause de cette blessure ; le curé de Léau a été saisi trois fois à la gorge, lisez la réclamation de M. Moeller, vous y verrez la lettre de M. le curé de Léau à M. Smolders : « Je viendrai, dit-il, à Louvain pour les élections, mais je ne suis pas sûr de pouvoir vous voir, car à la dernière élection on m'a saisi trois fois par la gorge. » Voilà les saturnales de vos amis et voilà pourquoi il fallait une garde de sûreté.

L'honorable M. Orts vous a dit : La garde de sûreté n'avait pas de raison d'être, elle est démentie par les faits, c'est une manœuvre électorale. Quels sont donc les faits ? Des lettres comminatoires sont adressées aux électeurs, des curés sont menacés d'être assassinés, un jeune avocat est traîné par les cheveux, M. Coppin est sur le point d'être assassiné ; le curé de Léau est saisi trois fois à la gorge ; des lettres sont déposées au parquet qui contiennent des menaces de mort ; et le parti conservateur n'avait pas le droit de se mettre en mesure pour empêcher de pareils méfaits !

Nos amis de Louvain ont admirablement bien fait d'organiser cette garde ; par là ils ont fait respecter le droit de l'électeur ; ils ont empêché les désordres, les crimes. Et c'est là ce que vous critiquez. Vos clameurs ne prouvent qu'une chose, c’est le profit que vous entendiez tirer de ces scandales, de ces infamies.

Qu'est-ce donc que cette organisation après tout ? C'est l'exécution des articles 19 et 20 de la Constitution. L'article 19 permet les rassemblements non tumultueux, l'article 20 permet les associations.

Vous ne pouvez pas empêcher l'association d'user de son droit.

Ils ont assommé tant de monde !

Voyons ce que dit M. Poullot, échevin de la ville de Louvain. Il dit dans l'enquête : « J'ai entendu parler de l'existence d'une bande à laquelle on donnait le nom de stockslaegers ; je n'ai pas vu qu'ils aient causé des désordres et je n'en ai pas entendu parler. »

Voilà les assommeurs !

Un échevin vient déclarer qu'ils n'ont pas commis de désordre, qu'il n'en a pas même entendu parler. Vous avez remué ciel et terre pour trouver quelque chose à leur charge.

Vous avez introduit dans la discussion toute une liste des condamnations subies par ces gens, mais je n'en ai pas trouvé une seule qui ait été portée pour troubles et désordres dans les élections de Louvain.

J'ai voulu savoir ce qui en était de ces trente-trois condamnations dont vous parliez toujours et voici ce que j'ai trouvé : Ackens, que vous appelez un brigand, est ou était veilleur de nuit de la ville de Louvain. Wolfers, que vous appelez aussi un brigand, est aussi un veilleur de nuit de la ville de Louvain.

Cols, dont vous rappelez les condamnations, n'a jamais fait partie de la garde de sûreté ; Degraaf non plus. Delys et Devivers sont des veilleurs de nuit de la ville de Louvain. Devriendt le grand crapaud dont M De Fré nous a parlé si amoureusement, dans son rapport, est un garde particulier d’une personne des environs de Louvain. Devriendt le petit crapaud est également un garde particulier.

Guillams, Jonart, Neels, Robyns, Ruppert, Smeesters, Sichet, Tossyn, Toremans, Vandeput ; Vandeput-Wets, tous veilleurs de nuit de la ville de Louvain.

Cols, De Graaf, Poleur, Smeesters, n'ont jamais fait partie de la garde de sûreté. Vous ne riez plus maintenant !

Voilà donc cette bande d'assommeurs, presque tous employés de la ville de Louvain, de la police de Louvain pour la nuit. Voilà cette bande de brigands et d'assommeurs, voilà ces sacripants dont a parlé l’honorable M. Orts !

S'ils ont subi des condamnations, M. de Luesemans les en a relevés, car c'est lui qui est allé les chercher pour en faire les veilleurs de nuit de Louvain. Voilà ces fameux sacripants. Ce sont les hommes de vos hommes, les os de vos os, la chair de votre chair. Ce sont eux qui font la nuit la police de Louvain et qui empêchent de voler et d'assommer la nuit. Voilà ces assommeurs qui n'ont assommé personne et ont maintenu l'ordre dans Louvain le jour des élections.

Maintenant je viens de justifier mes amis de la manière la plus évidente. Tous les griefs qu'on a élevés contre eux tombent devant les faits. La question des frais électoraux, je l'ai expliquée, je vous ai montré ce que c'était que cette bande de prétendus assommeurs composée d'agents de la police nocturne de Louvain, vous n'avez donc aucun motif de vous opposer à l'élection de nos amis.

A présent, à votre tour.

Je vais entreprendre maintenant l'examen de la conscience de vos amis. Nous allons voir ce qu'ils ont fait. Vous nous présentez comme des corrupteurs et des corrompus. Voyons où sont les corrupteurs et les corrompus !

D'abord que dit le rapport en parlant des faits résultant de l'enquête ? Le rapport dit que ce sont là des faits isolés qui n'établissent d'aucune façon ce plan de campagne si ingénieusement combine chez le parti opposé pour obtenir par l'argent un résultat qui sans lui n'aurait pas été obtenu.

M. De Fré qui parle, à ce qu'il prétend, au nom d'un tribunal, mais au nom de ce que j'appelle, moi, une commission inquisitoriale, après avoir eu devant les yeux tous les faits graves des libéraux, déclare que ce ne sont que des faits isolés et ne trouve de gravité qu'aux faits du parti opposé. Il a voulu passer l'éponge sur les faits de ses amis afin de faire voir sous une couleur plus vive la culpabilité du parti conservateur.

D'abord, les sommes payées par les libéraux ne sont pas des faits isolés, l'enquête le démontre avec évidence. Il est un fait que l'enquête n'a pas cherché à établir, et qu'on aurait dû signaler, c’est qu'à Louvain il n'y a pas eu de dîners payés par les libéraux, mais que chez eux, les dépenses électorales se montrent sous la même forme que chez les conservateurs, c'est-à-dire sous la forme d'une indemnité payée en argent aux électeurs les plus éloignés de Louvain, pour leurs frais de voyage. Je pourrais vous répéter ce que vous a déjà dit mon honorable ami M. Dechamps. Mais n y revenons pas.

En consultant les comptes de l'enquête, vous verrez que tous les témoins qui sont venus de Louvain pour déposer, ont reçu, pour frais de route, une indemnité de 4 fr. 50 c, ce qui est bien près de la pièce de 5 francs, et ce n'était pas un jour de ducasse et de kermesse comme un jour d'élection. Les faits établis par les libéraux contre nous s'appliquent aussi bien à eux-mêmes.

De plan de campagne, il n'y en avait pas ! Eh bien, voyons le plan de campagne.

D'abord, Mertens, employé de la poste, a été déplacé pour qu’il ne votât point pour les candidats catholiques, afin d'empêcher M. de Luesemans d'avoir une voix de plus contre lui.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Est-ce qu'il n'a pas été voter ?

M. B. Dumortier. - Je le sais ; mais pourriez-vous me dire si vous l'avez laissé à Louvain et si vous ne l'avez pas déplacé la veille des élections ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Depuis quand donc n'ai-je plus le droit de déplacer des employés sous mes ordres ?

M. B. Dumortier. - Certainement vous avez ce droit ; mais quand vous en usez dans de pareilles circonstances, je suis autorisé à dire que c'est dans le but que je viens d'indiquer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est inexact de dire qu'on a déplacé cet employé pour qu'il ne votât point ; il a été déplacé après l’élection.

M. B. Dumortier. - Je dis que vous l'avez déplacé quelques jour avant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit qu'on l'avait empêché de voter.

M. B. Dumortier. - C'est inexact. Au surplus, je demande si on l'a replacé, oui ou non ? On ne me répondra point, parce qu'on ne le peut pas. On a puni ce fonctionnaire de ce qu’on savait que ses sentiments étaient conservateurs et qu'il n'aurait pas voté en faveur de vos candidats.

Maintenant n'est-il pas constant et démontré qu'un inspecteur des hospices de Bruxelles a été chez tous les électeurs pour les influencer et leur remettre des bulletins en faveur des libéraux ?

Cette action est illégale, mais lorsqu’elle est à charge de vos amis, c'est une peccadille, ce n'est rien.

A Diest, n'est-il pas constant, par la lettre de M. Hermans-Noten, membre du bureau de bienfaisance de cette ville, et l'un des partisans de M. de Luesemans. adressée à M. Smolders, qu'on a employé tous les moyens possibles, même les plus illégaux, eu faveur des libéraux ? Voyons cette lettre, encore une fois ; elle est dans l'enquête, mais vous n'en parlez pas parce qu'elle vous accable. Eh bien, moi je vais vous la relire.

La voici :

« Messieurs,

« Comme je ne désire pas en ce moment aller vous voir en personne, je prends la liberté de vous écrire et de vous envoyer un bulletin électoral, que j’espère entendre lire à Louvain. »

Voilà, messieurs, le billet marqué ; car s’il n'avait pas été marqué il n'y aurait eu aucun moyen de m’entendre lire au dépouillement du scrutin.

« S'il n'en était pas ainsi, cela ne me ferait pas plaisir et vous causerait grand dommage. »

Voilà la menace ; la menace à côté de l'invitation.

« Vous savez ce que j'ai fait pour vous, combien de mandats vous avez eus, pour environ cinq cents francs ; vous pouvez encore en attendre davantage de nous et de l’autre bureau, car on pense toujours en premier lieu à ses amis, et personne ne saura cela que Vanhoven, le bourgmestre et moi, qui avons tenu contre-note des bulletins.

« Signé Hermans-Noten. »

(page 425) Est-il possible, messieurs, d'imaginer un fait de corruption électorale plus scandaleux que celui-ci ? Lisez l'article 113 du Code pénal et dites-moi si le fait ne rentre point dans les termes de cette disposition Oh ! si vous aviez, majorité, un fait pareil à nous reprocher, quel parti vous sauriez en tirer contre nous ! Alors ce serait à bon droit que vous parleriez de corruption et que vous viendriez nous flétrir. Mais ce fait appartient à un des vôtres ; c'est un des vôtres qui a violé l'article 113 du Code pénal par promesses, menaces et tous les moyens qui constituent la criminalité du fait.

Eh bien, que dites-vous dans votre rapport à cet égard ? Vous dites que ce sont des faits isolés, qu'ils ne signifient rien, que cela n'a aucune espèce de gravité. Violer la loi, oh ! ce a ne signifie absolument rien ; cela n'a aucune espèce de gravité, quand il s'agit de libéraux. Mais quand il s'agit de catholiques, oh ! alors l'acte le plus innocent revêt un caractère de criminalité que chacun peut comprendre et comprendre à sa manière. Voilà votre justice, elle me fait horreur, mon âme se révolte contre une pareille indignité.

Que dit encore l'enquête au sujet de ce qui s'est passé à Diest ? Elle indique que tes commandes extraordinaires avaient été faites au détriment des pauvres par le bureau de bienfaisance, pour obtenir de faire voter ceux à qui on les accordait en faveur des députés libéraux.

Ouvrons l’enquête à la page 139.

« Cette année, dit le témoin Ludgard Bruyninckx, cette année Charles Daems, membre du bureau de bienfaisance, est venu me promettre, quelques jours avant les élections, que si je voulais voter pour les libéraux il m'achèterait pour 150 francs de marchandises. Je n’ai fait aucune promesse et il n'a rien acheté. »

Et que porte le Code pénal, messieurs ? C'est là, d'après le Code, une tentative d’achat de vote ; un fait que le Code prévoit et punit. Voilà des faits de nature à faire annuler une élection ; or, ces faits ce ne sont pas nos amis mais les vôtres, majorité, qui les ont commis et c'est parce que ce sont les vôtres que vous passez l'éponge sur ces faits odieux.

Que dit le témoin Van Sichems, page 139 ?

« Les hospices achètent exclusivement et depuis trois ou quatre ans chez des fournisseurs appartenant à l'opinion libérale ; je suis l'un des principaux négociants de Diest et jamais depuis cette époque on ne m'a fait de commande. On ne vient pas chez moi parce qu'on sait qu'on ne peut pas gagner ma voix. Avant, les hospices et la bienfaisance mettaient les fournitures en adjudication ; ils ne pouvaient ainsi se faire qu'un seul ami. Aujourd'hui les fournitures sont réparties entre plusieurs personnes sans adjudication. Or, mon avis, ce changement a eu pour but d’acquérir une plus grande influence électorale. »

Voilà donc l’argent des pauvres dilapidé et cela pour servir de moyen d'influence électorale aux membres libéraux du bureau de bienfaisance de Diest. Eh bien, je dis que ce fait est de la plus haute gravité. Quoi ! disposer ainsi de l'argent du pauvre, de tout ce qu'il y a de plus sacré ! Cet argent, vous le jetez au vent par les mains de votre charité légale ; cet argent du pauvre, vous le dilapidez !

Du moins, si les catholiques ont dépense de l'argent, ils l'ont pris de leur poche ; mais vous, c’est dans la poche du pauvre que vous êtes allés le prendre, dans la poche du malheureux qui manque de pain pour se nourrir ! Et vous viendrez parler de corruption, accuser des amis à qui vous n'avez rien à reprocher quand vous avez de pareils faits sur la conscience ! Je dis que c'est honteux et qu'il n'est pas de turpitude plus grande que celle que je flétris devant vous.

Ecoutez encore la déposition du pharmacien Frédérickx, page 141.

« A Diest, tous les pharmaciens ont pour leur mois, à tour de rôle, la fourniture des médicaments aux pauvres, que paye le bureau de bienfaisance. J'avais le mois des élections et rentré chez moi le soir, le lendemain, je fus étonné de ne plus recevoir de recettes. Vers onze heures M. Vleminckx, membre du bureau de bienfaisance, vint s'informer si j'avais reçu des recettes et sur ma réponse négative, il me dit que je n'en recevrais probablement plus, sans me dire pourquoi.

« Comme j'annonçais l'intention de réclamer auprès du président de la commission, qui est le bourgmestre, M. Vleminckx me répondit qu'il ne me le conseillait pas ; toutefois, l'après-midi, je pris la résolution d'aller chez le bourgmestre que je rencontrai en chemin et qui me dit, sur ma réclamation, qu'il ne savait rien de l'affaire. Le lendemain, je suis allé chez M. Vleminckx pour lui demander si j'étais définitivement rayé de la liste des fournisseurs ; il me répondit que oui et que des recettes avaient déjà été portées chez un autre apothicaire ; je retournai me plaindre au bourgmestre, le jour même, et il me dit cette fois, que je pouvais être tranquille et que tout serait remis sur l'ancien pied ; et des recettes me sont revenues, soit le même jour dans l'après-midi, soit le lendemain. »

Que dit M. Lemmens ? J'ai entendu dire par Germanus, boutiquier, que M. Daems, membre du bureau de bienfaisance, lui avait promis de lui acheter pour 200 francs s'il acceptait un billet marqué de la liste libérale. Germanus a refusé. La violation de l'article 113 du code pénal est encore ici évidente, aussi s'est-on bien gardé d'appeler M. Germanus à l’enquête.

Voyons maintenant, messieurs, la déclaration de ce même M. Vleminckx.

« On est venu me faire signer le jour de la Pentecôte (c'est-à-dire l'avant-veille des élections) un mandat de cent francs pour marchandises achetées chez Goetelen pour le bureau de bienfaisance. J'ai fait des observations sur le choix singulier du jour et ayant ouvert le mandat pour le signer, je vis qu'il contenait un billet libéral que le porteur, qui était le concierge du bureau de bienfaisance, replaça dans le mandat en ma présence. Plus loin il ajoute : « Daems, membre du bureau, m'a dit qu'on avait donné trente-six billets marqués, qu'il n'en était sorti que douze et que ceux qui n'étaient pas sortis, boutiquiers, boulangers, seraient punis. »

Et cet honnête homme ajoute :

« Cette manière d'agir dans les élections, avec l'argent des pauvres, m'a fait donner ma démission. »

Voilà, messieurs, un homme honorable, un homme qui ne souffre pas qu'on dilapide scandaleusement l'argent des pauvres, qui ne souffre pas qu'on fasse les élections avec l'argent des pauvres ; et cet honnête homme qui comprend toute l'importance du mandat dont il est investi, en est réduit à devoir donner sa démission. Honneur, trois fois honneur à ce digne citoyen !

Et c'est après des faits de cette gravité qu'on vient nous parler d'annuler l'élection de nos amis, lorsque vous êtes forcés d'avouer vous-mêmes qu'ils sont purs de tout reproche et lorsque vous avez dans le parti opposé des choses que j'appellerai un honteux scandale, un odieux trafic de l'argent des pauvres, une véritable abomination !

Mais ce n'est pas tout ; l'argent des pauvres ne suffit pas ; pour assurer l'élection de M. de Luesemans il faut en venir à quoi ? A donner en sa faveur l'argent du trésor public. Le 12 juin, c'est-à-dire deux jours avant les élections, le journal de M. de Luesemans, le Progrès, contenait ce qui suit :

« Nous apprenons de source officielle que M. le ministre de l'intérieur, par arrêté du 7 de ce mois, accorde à la commune de Betecom un subside de 8,000 fr. pour aider cette commune à des travaux de voiries. »

Et ce journal ajoute : « Les cléricaux mettront-ils encore ce subside à l'actif de MM. Landeloos et de Man ? Nous leur dirons qu'il est dû uniquement à l'intervention de MM. Goupy et Luesemans. Nous avons sous les yeux la lettre du ministre à ce dernier. »

Vous le voyez, messieurs, c'est le journal libéral, le journal de M. de Luesemans lui-même, qui vient se prévaloir, vis-à vis des électeurs, de cette immense corruption électorale ; c'est lui qui vient réclamer, auprès des électeurs, le prix de cette corruption ! C'est le libéralisme qui organise la corruption sur une grande échelle ; et tout cela ce ne sont que des peccadilles !

Maintenant voici la lettre qu'écrivait.à ce sujet, M. Goupy. Cette lettre, remarquez-le, est datée de Malines, 12 juin 1859, encore une fois deux jours avant les élections. Je tiens en mains cette lettre, voici ce qu'elle contient.

« Monsieur le bourgmestre,

« J'ai l'honneur de vous faire connaître que par un arrêté le gouvernement a accordé à la commune de Betecom, un subside des huit mille fr. ; de son côté, la province a également accordé un subside de deux mille cinq cent soixante-quinze francs, ensemble 10,575 francs, pour subvenir aux frais de construction des ponts et chaussées que la commune se propose de construire.

« J'espère encore recevoir un subside de dix mille francs cette année-ci ; il faudra faire une pétition et je me charge du reste, nous en parlerons mardi à Louvain.

« Agréez mes salutations,

« (Signé) Goupy de Quabeck.

« Malines, 12 juin 1859. »

Est-il possible, messieurs, d'afficher la corruption électorale en termes plus clairs ? C'est le trésor public qui arrive pour corrompre les électeurs avec une somme de 8.000 fr., c'est le trésor provincial qui arrive avec une somme de 2,573 fr., c'est la promesse d'un nouveau subside de 8,000 fr. sur les fonds de l'Etat. Et vous osez sans rougir parler de moralité publique et accuser nos amis ! Ah ! je suis curieux de savoir si M. le ministre de l'intérieur, quand vous aurez annulé les élections, viendra encore accorder de pareils subsides. Alors il y aurait lieu à des nullités des élections c'est le cas dont parlait M. Orts.

L'honorable membre, en soutenant que la théorie qui n'accepte la corruption que dans les limites du Code pénal, est trop absolue, présentait deux exemples :

« Je suppose qu'un candidat conçoive le projet d'arriver par la corruption à occuper un siège à la Chambre, qu'il fasse des promesses touchant les intérêts matériels généraux de l'arrondissement, qu'il dise par exemple : « Il y a là une concession d'un chemin de fer accordée par une loi, mais dont personne n'a voulu parce que celui qui la prendrait s'y ruinerait ; nommez-moi député, je prends la concession et je fais le chemin de fer. » Est-ce que dans ces circonstances-là l’honorable M. Dechamps n'annulerait pas l'élection ? Incontestablement oui : Il ferait comme la chambre des députés de France, qui a annulé 3 fois, pour ce motif, l'élection de M. Charles Laffitte. Dais cet exemple, le candidat, par ses promesses, a corrompu l'arrondissement en masse, et pourtant, la corruption électorale dont il s'agit n'est pas celle que punit l'article 113 du code pénal. Cet article défend à tout citoyen d'acheter ou de vendre un suffrage dans les élections ; or, c'est ici un arrondissement tout entier qui se vend, pour obtenir un chemin de fer ; cet arrondissement échappe à la loi, quoique incontestablement corrompu.

(page 426) Eh bien, majorité, je vous le demande, n'est-ce pas là ce que le parti libéral de Louvain a pratiqué ?

« Nommez-moi député et je vais avoir 20,000 francs pour votre route. »

Voilà, d'après M. Orts, le cas prévu par l'article 113 du Code pénal. Et ce cas à qui appartient-il, est-ce aux catholiques ? Non, c’est aux libéraux.

Mais, dit l'honorable M. Orts, je fais une deuxième supposition.

« Je suppose que le gouvernement - j'en demande pardon au cabinet qui est aux affaires, et même à ceux qui l'ont précédé, quelle que fût leur couleur politique ; je fais de la théorie politique pure, sans application à la Belgique, ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l'avenir - je suppose qu'un cabinet veuille faire passer dans un arrondissement un candidat à lui pour renforcer sa majorité. Pour arriver à ce résultat, il a bien soin de ne pas aller offrir de l'argent individuellement aux électeurs, de crainte de tomber sous l'application du Code pénal ; mais il opère de la manière suivante : il répand des bienfaits administratifs en espérance sur toute la surface de l'arrondissement : il promet des tableaux à toutes les églises, des subsides à toutes les communes, des travaux publics à tous les concessionnaires qui se présenteront ; mais tout cela reste subordonné à la condition de la réussite du candidat ministériel. C'est ce qui s'est passé en France, lors des élections de 1845, et c'est ce qui a amené l'annulation d'une de ces élections. Est-ce là un achat de vote aux termes de l'article 113 du Code pénal ? On ne trouve pas le vendeur. Un ministre promet un tableau à une église ; qui poursuivez-vous aux termes du Code pénal ? Le curé qui certes ne peut pas refuser, le conseil de fabrique ouïes paroissiens ?

L'article 113 est en dehors de ces faits de corruption ; et néanmoins l'élection serait bien et dûment annulée. »

Eh bien, messieurs, ce cas se présente encore à Louvain. Les deux cas prévus par l'honorable M. Orts se présentent à Louvain, mais de quel côté ? Du côté de ceux qui ont été vaincus, du côté des libéraux.

Le même journal de M. de Luesemans, le Progrès, disait le même jour, avant-veille des élections :

« La société flamande Nut en Onderwys a envoyé, dimanche dernier, une députation auprès de notre honorable bourgmestre M. de Luesemans, à l'effet de lui demander son intervention auprès du gouvernement, pour obtenir un subside destiné à couvrir les frais que cette société se propose de faire pour la propagation de la langue flamande. M. de Luesemans a promis son intervention et dès mardi, il a pu communiquer à la société la résolution de M. le ministre de l'intérieur, accordant le subside demandé. »

Et vous viendrez nous parler de corruption de la part des catholiques ! Mais voilà les deux cas présentés par l'honorable M. Orts et qui tous deux se sont réalisés contre nos amis. Voilà les libéraux de Louvain qui se sont rendus coupables, d'accord avec le gouvernement, de ces deux cas de corruption électorale !

Qu'en résulte-t-il ? C'est que si la partie adverse avait triomphé, il y avait lieu, aux termes de la déclaration de M. Orts lui-même, d'annuler l'élection.

Mais aussi, par une conséquence que tirera tout homme impartial, plus on a eu recours à des violations de lois contre nos amis, plus on a employé de corruption contre eux, plus l'élection doit être validée par vous.

On ne s'est pas borné là. Les places et les emplois ont été mis à profit pour assurer la candidature de l'élu qu'on désirait à tout prix voir rentrer dans le parlement, et pour lequel il semble qu'on veuille annuler l'élection aujourd'hui. A l'heure qu'il est, deux places de notaires sont encore vacantes dans le district de Louvain ; et l'on a vu dans l'enquête que M. Dassis, notaire à Léau, sollicitait vivement une place de notaire à Tirlemont ; je pense qu'il aura mérité d'être nommé.

Mais je demande au gouvernement si, dans l'hypothèse où la Chambre annule l'élection, il ne sera pas pourvu immédiatement à ces deux places qui sont vacantes depuis assez longtemps ; je demande si l'on maintiendra ces deux places ouvertes pour agir sur l'avidité de tous les solliciteurs, afin d'exercer une pression électorale en faveur des gens qu'on veut faire rentrer dans cette Chambre, et qui n'y rentreront pas.

Mais, messieurs, pourquoi donc montrer envers les élus de Louvain tune telle sévérité, je dirai même une telle injustice ?

Je vous disais en commençant. Ne sommes-nous pas tous coupables du même crime ? n'avons-nous pas tous payé des frais électoraux ? Interrogeons les faits. Par exemple, en juin dernier, M. le ministre de l'intérieur a été sur les rangs à Charleroi ; je ne dis pas qu'il ait formellement fait les dépenses, d'autres peuvent les avoir faites pour lui, je n'examinerai pas cette question. Mais que s'est-il passé ? Je tiens en mains le Courrier de Charleroi du mercredi 7 juin, 8 jours avant les élections ; j'y vois le compte rendu d'une séance dans laquelle on a proclamé candidat l'honorable M. Rogier, et j'y lis ce passage :

« L'assemblée autorise le comité à faire toutes les dépenses nécessaires pour lutter avec avantage contre les candidatures du parti catholique. »

Et veuillez-le remarquer, ce passage a été supprimé dans presque tous les numéros de ce journal pour mieux cacher le jeu des libéraux.

Eh bien, de quoi vous plaignez-vous, quand vos associations libérales elles-mêmes proclament dans les journaux qu'elles font toutes les dépenses pour leurs candidats ; vous voudriez nous priver du droit de faire comme vous !

A Thuin, le Journal de Charleroi de deux jours avant l'élection nous fait connaître que depuis huit jours, sur les bords de la Sambre on régalait tous les électeurs au chocolat et à la tarte.

Je pense bien que l'honorable membre qui a fait ces dépenses à Thuin votera pour la validation des élections de Louvain.

Ces dépenses électorales ont eu lieu partout, A Neufchâteau, à Bruxelles, à Nivelles, à Bruges, à Anvers, à Charleroi, à Namur, à Soignies, à Marche, partout. Vous savez tous les chiffres des frais électoraux. N'avons-nous pas lu dans les journaux une lettre d'un ancien membre de la députation du Luxembourg, d'un ancien membre du Congrès, qui déclarait n'avoir pas la poche assez bien garnie pour solliciter de nouveau le mandat de député ?

Vous parlez de la lettre du notaire A Speculo, d'où vous tirez la preuve qu'il y a eu manœuvres de corruption de la part des catholiques. Je tiens en mains une autre lettre émanée d'un agent libéral dont je vais donner lecture :

« Hoves, le 5 décembre 1857.

« Monsieur,

» D’après l'entretien que vous avez eu dernièrement avec mon ami N., je crois pouvoir vous prier d'épauler les deux candidats à la Chambre, portés aux bulletins ci-joints avec prière de les faire tenir à M. votre beau-frère et à M. votre frère, à Enghien. Une recommandation de votre part sera très probablement efficace. Dans ce cas, je vous remercie de ce que vous voudrez bien faire dans la circonstance. »

Il y avait aussi, comme à la lettre de M. A Speculo, un post-scriptum. Ce post-scriptum, le voici :

« Dites-leur, au besoin, qu'ils peuvent feindre de marcher avec les adversaires et profiter de tout ce que ces derniers leur offriront. Dans tous les cas, à titre d'indemnité ou peut compter sur 5 francs par individu dont le bulletin passera. »

Dites-leur qu'ils peuvent feindre de marcher avec leurs adversaires et de profiter de ce que ces derniers leur offriront. »

Voilà ce qui s'appelle enseigner le mensonge d'une manière bien claire. Ce n'est pas tout.

« Dans tous les cas, à titre d'indemnité ou peut compter sur 5 francs pour tout individu dont le bulletin passera. »

M. Allard. - Qui a signé cette lettre ?

M. B. Dumortier. - La contestez-vous ?

M. Allard. - Oui.

M. B. Dumortier. - Je ne suis pas ici pour être interrogé par vous.

M. Sabatier. - C'est une invention !

M. B. Dumortier. - La loyauté et l'honneur me font repousser avec indignation un tel soupçon.

Vous venez nous reprocher la lettre de M. A Speculo ; voilà une autre lettre qui en fait le pendant, avec cette différence que la lettre de M. A Speculo se borne à dire que les électeurs peuvent s'adresser au curé pour le remboursement de leurs frais de voyage, tandis que dans l'autre lettre, celle libérale, on dit en terme exprès qu'on accordera 5 francs à l'électeur dont le bulletin sera déposé. Voilà bien et dûment l'achat du vote.

- Un membre. - Cette lettre est anonyme.

M. B. Dumortier. - Elle n'est pas anonyme. Eh ! me croyez-vous donc capable de faire des inventions à une tribune ?

- Un membre. - Je laisse ce rôle à vos amis.

M. B. Dumortier. - Quand je donne lecture d'une pièce qui vous accable, je ne reconnais à personne le droit de dire que c'est une invention... Je la tiens en mains. Voilà la lettre.

M. Dolez. - La signature ?

M. B. Dumortier. - Puisqu'on m'y force, je dirai qu'elle est signé Walravens.

Voilà les faits qui se sont passés ; comment les jugez-vous, vous qui accusez le parti conservateur de manœuvres corruptrices ?

Vous m'avez forcé de lire la signature ; écoulez maintenant la lettre, la honte en retombera sur vos amis.

« Hoves, le 5 décembre 1857.

« Messieurs,

« D'après l'entretien que vous avez eu dernièrement avec mon honorable ami M. Leroy, je crois pouvoir vous prier d'épauler les deux candidats à la chambre portés aux bulletins ci-joints, avec prière de les faire tenir à M. votre beau-père et à M. votre frère à Enghien. Une recommandation de votre part sera très probablement efficace. Dans tous les cas, je vous remercie d'avance de ce que vous voudrez bien faire dans la circonstance.

« (Signé) V. Walravens.

« P.S. Dites-leur au besoin qu'ils peuvent feindre de marcher avec les adversaires et profiter de tout ce que ces derniers leur offriront. Dans tous les cas, à titre d'indemnité, on peut compter sur 5 francs par individu dont le bulletin passera ». A cette lettre sont joints deux bulletins portant les noms de MM. Henri Ansiau Cordier de Roucourt, propriétaire à Castiau et Joseph Jouret, avocat à Lessines.

Direz-vous encore que c'est une invention ?

(page 427) M. Orts. - Y a-t-il un timbre de la poste sur la lettre ?

M. B. Dumortier. - Cela n'est pas nécessaire.

M. Allard. - A qui est-elle adressée ?

M. B. Dumortier. - J'ai lu la lettre, je n'en dis pas davantage ; je ne suis pas ici pour être interrogé par vous ; si vous aviez, comme je l'ai proposé, fait une enquête générale, ce que vous avez repoussé, nous serions arrivés à une série de faits déposant contre vous ; nous aurions prouvé que ce dont vous, majorité, nous accusez émane de vous et s'est produit dans presque tous les districts électoraux, par vous qui venez traîner dans la boue avec les électeurs les élus de l'élection de Louvain.

Comment ! un honorable membre M. Sabatier vient de m'interrompre et de révoquer en doute la véracité de ce que j'ai dit ! Je voudrais que cet honorable membre répondît à ce que je vais lire.

Voici ce que je lis au sujet des frais électoraux dans le district de Charleroi. Il s'agit d'une action dont le tribunal de Charlerol est saisi.

« Le 8 juin 1858, la dame Moulin, aubergiste à Charleroi, fit assigner les sieurs Jean-Pierre Dailly et Jean-Baptisie Henrion, de Gilly, à comparaître par-devant le tribunal de Charleroi, pour se voir condamner à payer à ladite dame Moulin, la somme de 268 francs pour fournitures faites aux électeurs, le 10 décembre 1857, et ainsi réparties :

« Viandes, pain, et apprêts, 80 fr.

« Bière et liqueurs, 70 fr.

« Cinquante-quatre bouteilles de bon Médoc-Bourgeois, à deux francs cinquante, 155 fr.

« Cinquante bouteilles Bourgogne Nuits, à trois francs cinquante, 175 fr.

« Huit bouteilles Aï mousseux, à six francs, 48 fr.

« Total, 508 fr.

« Reçu en déduction de cet état, par l'intermédiaire de Jacques Cornil, 106 fr.

« Reçu le 19 mars 1858, de M. Gustave Sabatier et à valoir, 134 fr.

« Total, 240 fr.

« Restent dus deux cent soixante-huit francs. »

La dame Moulin produisait au procès la pièce suivante :

« Nous soussignés, Jean-Pierre Dailly et Jean-Baptiste Henrion, de Gilly, déclarent par le présent et par ordre, avoir prié M. Gustave Moulin, de Charleroi, de délivrer à boire et à manger aux électeurs qui se trouvaient chez lui le 10 décembre 1857.

« Gilly, le 8 mars 1858. (Signé) Dailly.

« Je déclare avoir fait délivrer à boire le 10 décembre avant les élections.

« 8 mars 1858. (Signé) Henrion.

« Plus bas encore, sur la gauche, on lit :

« Vu pour légalisation des signatures ci-dessus.

« (Signé) D. Clercx.

« Et enfin dans un petit coin à droite, au bas de la pièce, on trouve ; « J'engage M. Speileux à terminer amiablement cette affaire.

« (Signé) Sabatier.

« 10 mars 1858. »

M. Sabatier dira-t-il encore que c'est une invention ? Henrion, Clerckx et Dailly sont trois employés du charbonnage des Ardinoises à Gilly, qui appartient à M. Lebeau.

- Un membre. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. B. Dumortier. - Cela prouve que vous avez gorgé les électeurs de dîners, de bourgogne et de Champagne à 6 fr. la bouteille ; cela prouve que vous donniez à boire aux électeurs avant l'élection ; on est venu dire qu'on pouvait donner à boire et à manger après les élections, mais pas avant ; qu'on pouvait se consoler de la défaite ou célébrer son triomphe après les élections, et par-là on est venu proposer l'annulation de l'élection de Louvain. Or, ici c'est avant les élections qu'on boit et qu'on mange, qu'on fait des ripailles électorales.

Quoi, vous voudriez annuler les élections de Louvain, quand vous avez fait de pareilles choses, quand des procès sont intentés où de pareilles pièces sont produites. Il est un juge au-dessus de vous, le pays, et il vous jugera !

Que fait la majorité dans ces débats ? C'est le corps électoral tout entier qu'elle attaque, quand vous le représentez à Louvain comme venant vendre son vote pour 2 fr. ?

Je le répète, c'est le corps électoral tout entier que vous attaquez, que vous flétrissez, en présence du pays et de l'Europe qui assiste à ces débats ! N'est-il pas déplorable pour nous qui sommes si attachés à nos institutions, de voir dans une assemblée législative flétrir ce corps dont nous ne sommes que l'émanation, qui est notre supérieur ? Et puis après avoir calomnié le parti conservateur, vous vanterez votre amour de la liberté. Ah ! quand il s'agit de violation de la liberté de la presse, de la violation du domicile, de violation du secret des lettres, comme nous l'avons vu dans cette élection, quand il s'agit de billets marqués, du détournement de l'argent des pauvres, pour favoriser l'élection des libéraux, de menaces de tout genre, de l'argent du trésor donné en faveur des candidats libéraux, pas un mot d'improbation ne sort de vos bouches, vous êtes muets, cloués sur vos bancs.

Mais parce que les élus ont payé en argent des frais de séjour que vous avez payés en nature, en ripailles électorales ou même en argent, vous voulez annuler l'élection ! C'est là un acte dicté non parle sentiment de la justice, mais par l'esprit de parti ; de tels actes auront pour résultat de déconsidérer votre opinion, car la moralité publique flétrit l'abus de la force brutale d'une majorité contre la minorité.

Messieurs, cette discussion a été à mes yeux bien regrettable ; mais ce n'est pas nous qui avons cherché à la faire naître, qui l'avons appelée et ce n'est que forcés par vous que nous avons dû y prendre part pour réfuter les odieuses inculpations lancées contre le parti conservateur. Elle tend à dévoiler aux yeux du pays, aux yeux de l'étranger les plaies électorales que l'honneur et la dignité du parlement auraient dû engager à laisser couvertes.

Ce n'est pas dans cette Chambre qu'on aurait dû venir les découvrir, et les montrer aux yeux de l'Europe au moment où la Belgique est le seul pays du continent qui ait conservé la vie parlementaire. S'il y avait des mesures à prendre pour y porter remède, il fallait présenter un projet de loi, mais vous ne pouvez pas, avant la loi, annuler une élection de ce chef, car la loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif. Mais ce que j'ai trouvé des plus déplorable, c'est la conduite des orateurs au sujet de ce qu'il a de plus sacré sur la terre, la religion catholique, ses ministres, la foi du pays.

M. Hymans a parlé de hideux spectacle ; je ne connais pas de plus hideux spectacle que de voir traduire devant cette Chambre les sentiments religieux et les membres du clergé qui les professent et les inculquent au peuple ; y a-t-il rien de plus hideux que d'entendre des députés qui ne professent pas la même opinion que nous accuser le prêtre de mensonge, de parjure !

Ce n'est que l'exécution de cette sentence de Marnix : « Il s'agit non seulement de réfuter le papisme, mais de l'extirper, non seulement de l'extirper, mais de le déshonorer ; non seulement de le déshonorer, mais de l'étouffer dans la boue. »

Un de vous dans cette discussion, après avoir comparé les prêtres catholiques aux marchands du Temple et dit qu'il fallait les chasser, a été jusqu'à attaquer le dogme des Belges ; il est venu ici appeler la religion de nos pères une foi aveugle ! Cette religion qui fait notre gloire et notre force, cette religion qui a créé la civilisation en Europe, cette religion sans laquelle vous ne seriez rien, car elle a contribué puissamment à fonder l'indépendance nationale ; on l'a appelée une foi aveugle, qui est en opposition avec la liberté ; avec la Constitution, on a dit que nous voulions le rétablissement d'anciens abus ; j'ai le droit de flétrir de pareilles choses au nom du peuple belge, si attaché à sa foi et à la liberté.

Flétrissons-les donc par un élan unanime.

Il est à désirer qu'elles ne se reproduisent plus ; en les entendant, la gauche aurait dû se lever tout entière pour empêcher l'orateur de continuer, et son silence en entendant ainsi attaquer la foi de nos pères, le silence de mort qui a régné sur ses bancs, prouve assez ce que l'Eglise doit attendre du libéralisme, si elle n'use pas du premier des biens après la foi, la liberté !

Après cela faut-il s'étonner que sur plusieurs bancs on vienne exprimer des regrets à propos de la Constitution ?

Quand, il y a trente ans notre immortel Congrès qui a siégé dans cette enceinte a donné la liberté en tout et pour tous, pour le prêtre et pour le citoyen, qui aurait pu soupçonner que dans cette enceinte même un citoyen belge qui doit au Congrès même l'honneur de siéger dans cette enceinte qualifierait ainsi son œuvre et regretterait la liberté qu'il a donnée en tout et pour tous.

Quand le Congrès a inscrit cette magnifique maxime de la liberté de l'Eglise et de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, lorsque la majorité catholique du Congrès a voté nos libertés, elle l'a fait malgré vous, libéraux, et ce sont ces libertés qui vous permettent de les injurier aujourd'hui.

Ce n'est pas tout. L'honorable membre qui a pris la parole avant, moi a osé prétendre que nous voulions supprimer la liberté de la presse et de la tribune.

M. E. Vandenpeereboom. - Je n'ai pas dit cela.

M. B. Dumortier. - Il nous l'a dit et bien plus il nous l'a jeté à la face, à nous les vétérans de la nationalité, à nous qui depuis 1830 défendons la liberté en tout et pour tous. Il est venu nous jeter à la face que nous voulions ramener le despotisme, que nous voulions rétablir un gouvernement de l'infâme duc d'Albe, un conseil de sang, revenir à Philippe II. Et c'est aux fondateurs de notre indépendance, c'est à ce grand parti conservateur qui a tant contribué à créer la nation ce qu'elle est, que l'on jette de pareilles injures ! Messieurs, des expressions aussi déplorables, aussi odieuses, ne sont pas faites pour cimenter la nationalité. De telles paroles ne peuvent que la déchirer et altérer l'amour de la patrie, l'attachement à l'indépendance nationale. Je dis que ce sont des accusations odieuses et je les repousse avec la dernière indignation, je les flétris tant en mon nom qu'au nom de tous mes amis. Eh quoi ! sommes-nous donc revenus à l'époque où Barère et les hommes de la Convention d'odieuse mémoire avant d'exécuter la victime, commençaient par la calomnier. Vous voterez bientôt la mort des victimes, ne. commencez pas par les calomnier.

Ce n'est pas tout. L'honorable membre vous a parlé de l'honnêteté, de la moralité publique et de la dignité de notre gouvernement représentatif. Il en a fait un argument en faveur de l'ostracisme des élus de Louvain. Cette moralité, cette dignité, pour vous, majorité, en quoi consistent-elles ?

(page 428) C'est que vous êtes 70 et nous 42. Voilà votre moralité ! la moralité, c'est d'abord de ne pas écraser ses adversaires, c'est de ne pas vouloir prononcer contre eux l'ostracisme, c'est d'avoir pour soit la justice et non la force. Oui, c'est pour vous un déshonneur aux yeux du pays et de l'Europe d'écraser par la force la minorité. Car quand le président résumera ces débats, il ne pèsera pas les arguments, il comptera les votes.

Mais, dit l'honorable M. Devaux, ce qui flétrit les institutions, c'est quand les grands pouvoirs de l'Etat se montrent indulgents sur l'immoralité.

Ce qui flétrit les institutions, c'est de traîner dans la boue ce que la société a de plus sacré, et qu'y a-t-il de plus sacré que la foi du peuple, que le culte que professe le peuple belge ? Et cependant c'est ce culte que vous traînez dans la boue ! Est-ce pour cela, dites-le, que les électeurs vous ont envoyés dans cette enceinte ? Est-ce pour y flétrir leur foi et leur religion ? Répondez.

Et vous parlez de votre amour pour le Congrès et la Constitution ! Votre amour pour la Constitution, il est froid comme la pierre. Ah ! je le sais, vous avez élevé une colonne au Congrès et à la Constitution ! mais vous avez placé au sommet quatre chimères et vous les avez dorées comme pour nous faire voir de quelle manière vous entendez pour nous la Constitution.

La moralité ! Où est-elle, grand Dieu, si elle consiste dans la majorité écrasant la minorité ? La moralité ! elle consiste en accusations de corruption que la majorité lance à la minorité. La moralité ! elle consiste à regretter la Constitution que vous avez fait serment de maintenir, à être dans le cœur parjure à son serment ! Voilà votre moralité.

Tout ce qui s'est passé dans cette discussion est déplorable et ne tend pas à ranimer en Europe ce flambeau du gouvernement constitutionnel que nous désirons voir brûler dans le monde entier.

Si vous voulez qu'il y ait en Europe un tribunal libre, agissez avec plus de sagesse, et ne faites pas de la tribune un instrument à flétrir tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre. Pour que les peuples conservent leurs institutions parlementaires, il faut que la liberté reste soumise aux lois de la morale.

Si vous voulez conserver nos libertés, n'imitez pas l'exemple fatal d'une assemblée fameuse, rappelez-vous les Girondins, traduits à la barre de la Convention par les Jacobins ; les Jacobins poursuivis et persécutés par les Thermidoriens ; les Thermidoriens étouffés à leur tour et enfin le sabre régnant sur la France, après tous les abus et tous les excès de la liberté, à la satisfaction du pays. Ce sont ces excès que je flétris au nom de l'avenir de ma patrie.

Je vous le dis, qu'ils ne recommencent pas dans cette enceinte, ces cris de haine contre la foi de nos pères, car ils compromettraient l'existence de la nationalité et des institutions dont nous sommes les fondateurs, que nous avons juré de maintenir, que nous saurons maintenir malgré vous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La Chambre a pu remarquer l'attitude que le cabinet a prise dans cette discussion. J'aurais voulu pouvoir garder cette attitude et ne pas venir ajouter à la longueur de ces débats.

L'honorable orateur qui vient de se rasseoir nous met dans la nécessité de sortir de cette attitude silencieuse. Je tâcherai d'être le plus bref possible.

Les honorables orateurs qui ont combattu les conclusions du rapport de la commission d'enquête ont eu un tort : c'est de vouloir excuser complètement et sans réserves tous les actes qui ont été constatés à la charge du clergé et des conservateurs dans les élections de Louvain, et tout en excusant ces actes, c'est d'avoir lancé des accusations violentes et injustes contre le parti libéral.

Je crois qu'il aurait pris une meilleure position, qu'il aurait exercé une plus grande influence s'il était venu reconnaître franchement que le clergé avait eu tort, dans les élections de Louvain, d'intervenir près des paroissiens avec des pièces de 5 francs. Voilà un fait hautement regrettable, qu'aucun d'entre vous, au fond de sa conscience, ne peut approuver.

En second lieu, loin d'apporter ici une misérable argumentation à l'appui de ce scandale dont la ville de Louvain a été le théâtre, au lieu de vouloir innocenter cet acte inouï dans un pays civilisé, de l'organisation d'une bande de coquins pour maintenir l'ordre prétendument compromis par la police locale, au lieu de chercher, par de pitoyables arguties, à défendre de pareils actes, la droite n'aurait-elle pas dû être d'accord avec nous pour réprouver de tels excès, qui sont une insulte jetée à l'autorité publique, aux lois, au gouvernement, au pays tout entier.

Comment ! Vous constatez, et vous en tirez un argument contre les candidats libéraux, que vos candidats l'ont emporté de 500 voix sur leurs compétiteurs ! Et cette majorité n'est pas assez forte pour se faire respecter ; elle doit avoir recours à une bande de coquins.

En deux mots, quel spectacle nous ont offert ces élections ? d'un côté, des membres du clergé allant de porte en porte distribuer des pièces de 5 fr/.. (Interruption.) Voilà ce que l'enquête a constaté.

M. Van Overloop. - L'enquête n'a pas du tout constaté cela !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quoi ! vous niez que des pièces de 5 francs ont été distribuées !

M. Van Overloop. - Je nie que l'on ait été de porte en porte distribuer de l'argent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Soit ! on n'a pas frappé à toutes les portes ; j'admets la rectification parce que je tiens à me montrer très modéré, et je prie les honorables membres de la droite de ne pas m'exciter par leurs interruptions.

D'un autre côté, des voleurs et des tapageurs préposés à la police des élections.

Voilà donc, messieurs, ce qui doit être sans excuse aux yeux de tous les partis ; voilà ce que tous les partis devraient condamner ; voilà ce qui fera ressortir de plus en plus aux yeux du pays la nécessité d'une réforme de la loi électorale.

Mais, dit-on, si nous avons employé des moyens peu légaux, peu moraux, les libéraux ont été aussi loin que nous. Cette assertion reste à prouver. Mais admettons, messieurs, que les libéraux aient eu recours aux mêmes moyens ; est-ce que cela purifie l'élection de Louvain ? Parce qu'on aura corrompu de part et d'autre, s'en suit-il qu'il faille respecter une élection entachée de corruption ? Ne serait-ce pas, au contraire, un motif de plus pour l'annuler ? On ne peut évidemment pas couvrir les fautes d'un parti par les fautes du parti contraire ; il faut frapper des deux côtés.

Aussi, n'ai-je pas entendu sur nos bancs une seule voix pour défendre les libéraux qui auraient employé des moyens peu délicats pour arriver à leur but. Nous blâmons ces actes, s'ils ont été posés, quels qu'en soient les auteurs.

J'arrive à ce qu'on a dit de l'intervention du gouvernement.

Messieurs, permettez-moi d'abord une observation générale à ce sujet : je crois qu'il est inconvenant que l'administration publique intervienne dans les élections et, en règle générale, en principe, le gouvernement, en Belgique, n'intervient pas dans les élections. Mais savez-vous pourquoi le gouvernement peut être amené à y intervenir ? C'est parce qu'une autre administration, usant et abusant de sa position officielle, de son autorité spirituelle, agit sur l'esprit des électeurs contre les candidats qui soutiennent le gouvernement. Voilà pourquoi l'administration publique pourrait être obligée d'intervenir dans les élections.

On dit que le prêtre a le droit d'intervenir dans les élections. Sans doute ; personne n'a jamais nié que l'ecclésiastique a le droit d'aller déposer son vote dans l'urne électorale. Peut-être ferait-il mieux, cependant, de ne pas se montrer dans les luttes électorales ; mais enfin personne ne conteste au clergé l'exercice du droit électoral garanti par la Constitution. Personne ne lui conteste non plus le droit d'exercer son influence morale sur l'électeur pour l'amener à voter dans un sens ou dans l'autre.

Mais ce que nous contestons et cela depuis longues années, c'est la convenance de pareils procédés : nous trouvons que le clergé, agirait plus sagement dans son intérêt et dans l'intérêt de la religion, en s'abstenant de mettre au service de la politique l'influence religieuse. En faisant entrer, messieurs, la religion dans la politique, il arrive que, par un contre-coup inévitable, vous faites entrer la politique dans la religion. Et nous voyons, en effet, aujourd'hui la polémique s'étendre de plus en plus aux questions religieuses ; c'est la conséquence naturelle, inévitable de la conduite du clergé, de son immixtion dans la politique.

C'est là un mal, il faut bien le reconnaître, et dont je signale l'origine.

Le clergé ne constitue pas un corps de fonctionnaires publics ; mais il n'est pas non plus une simple réunion d'individus isolés : les membres du clergé reçoivent un salaire de l'Etat ; ils jouissent de certains privilèges, notamment de la franchise de port pour leurs correspondances ; ils forment une vaste administration.

Eh bien, quand cette administration se met en mouvement, quand, aux moyens d'influence morale dont elle dispose en vertu de sa mission spirituelle, elle ajoute des moyens d'influence matériels, évidemment l'attention de l'administration officielle est sollicitée et celle-ci est en droit d'agir de son côté.

Et que diriez-vous, messieurs, si, à côté du curé allant au domicile des électeurs distribuer des pièces de 5 francs, le gouvernement envoyait les bourgmestres aussi à domicile faire des distributions d'argent aux électeurs ? Trouveriez-vous ce mode d'intervention légitime ?

Ne seriez-vous pas en droit d'accuser le gouvernement de faire intervenir l'administration d'une manière illégale, immorale dans l'élection ? Voilà cependant, messieurs, où vous marchez.

Plus l'intervention du clergé par de pareils procédés s'étendra dans les élections, plus vous provoquerez et justifierez l'intervention du gouvernement.

Il y aurait, messieurs, une sorte d'abdication de la part de l'autorité publique à rester les bras croisés en présence des efforts de tout le clergé peur ruiner les candidats qui soutiennent le gouvernement. Vous n’obtiendrez jamais une pareille abnégation d'aucune administration.

Je viens de dire, messieurs, ce que pourrait faire le gouvernement ; plutôt que ce qu'il fait, Cependant on vient de nous apprendre qu'il (page 429) aurait distribué l'argent du trésor au profit des candidats libéraux. Messieurs, je ne veux pas suivre l'exemple de nos adversaires ; je ne veux pas récriminer. Je pourrais en dire long sur ces questions d'influence administrative, sur les distributions de subsides, les promesses, les nominations, les décorations ; mais je ne veux pas irriter ces débats.

Je prends les choses telles qu'elles sont aujourd'hui, je ferme les yeux surtout ce qui s'est passé à d'autres époques en fait de corruption électorale et administrative.

Je désire qu'on ne me provoque pas à aller plus loin.

Je me borne à parler de ce qui s'est passé à Louvain.

Un subside a été accordé pour une chaussée vicinale, la route de Betecom, et un subside a été accordé à une société flamande de Louvain. Voilà les deux accusations. Pour répondre à la première, il me suffira de lire une note du chef de service de la voirie vicinale que plusieurs membres de la droite connaissent personnellement :

« Bruxelles, le 13 décembre 1859.

« Monsieur le ministre,

« Le fait signalé à la page 23 des annexes au rapport relatif à l'enquête sur les élections de Louvain, se rattache à une affaire où je suis personnellement intervenu et au sujet de laquelle je crois utile de donner quelques explications.

« Il s'agit du subside de 8,000 francs qu'un arrêté royal du 10 août 1859 a accordé à la commune de Betecom pour la construction d'une chaussée destinée à relier la route de Louvain à Aerschot à celle d'Aerschot à Lierre, construction dont les frais s'élèveront à 114.500 fr.

« Depuis plus d'un an, M. Goupy de Quabecq, échevin de Betecom, faisait le plus actives démarches tant à l'administration provinciale que dans les bureaux du ministère de l'intérieur pour déterminer la fixation des subsides de la province et de l'Etat en faveur de cet important projet, lorsque au mois des mai 1859, si je ne me trompe, me fut remise une lettre de M. de Luesemans dans laquelle celui-ci, appuyant les instances de M. Goupy, signalait la haute utilité et l'urgence des travaux projetés à Betecom, ainsi que les titres particuliers qui recommandaient cette commune à la bienveillance du gouvernement.

« A cette époque, l'instruction du projet était terminée. Un arrêté royal en date du 14 avril 1859 avait approuvé le plan de la chaussée à construire. Il ne restait, pour permettre à la commune de commencer les travaux, qu'à fixer le subside que le gouvernement consentirait à accorder.

« Je savais que la province accorderait pour 1859 un premier subside de 2,575 francs.

« Eu égard aux sacrifices que la commune consentait à s'imposer et à l'utilité constatée des travaux, je crus pouvoir proposer de fixer à 8,000 francs le premier subside à allouer sur les fonds de l'Etat, et ma proposition ayant été admise par vous, Monsieur le Ministre, j'en informai M. de Luesemans. Il est possible, mais je n'oserais l'affirmer, que j'aie dit dans ma lettre que de nouveaux subsides pourraient être accordés sur les budgets futurs. Je pense que c'est à cette communication officieuse que l'on a fait allusion dans la relation du 16ème fait.

« Je ne comprendrais pas que l'on pût voir dans ce fait très simple une tentative de corruption électorale. Chaque fois que l'occasion m'en est offerte, j'agis envers messieurs les membres des Chambres législatives, à quelque parti qu'ils appartiennent, comme j'ai agi dans cette circonstance, à l'égard de M. de Luesemans. Car je considère comme un devoir d'appuyer auprès du Ministre toutes les réclamations qui me sont faites par des représentants, et je m'estime toujours heureux de pouvoir les informer de mes démarches.

« Ainsi, messieurs, cet argent de l'Etat distribué à Louvain consiste en un subside de 8,000 fr. accordé pour un route qui doit coûter 104,000 francs. »

- Un membre. - Quelle est la signature ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai lu cette note, messieurs, pour vous faire connaître l'affaire sans réserve ni réticences, mais je n'entends en aucune manière abriter ma responsabilité derrière celle d'un subordonné.

Je suis responsable du subside et j'accepte pleinement cette responsabilité.

Je vais, messieurs, être très naïf ; je dirai que les amis de M. de Luesemans ont eu tort d'annoncer comme un grand succès l'obtention de ce subside. Je trouve cela fort inopportun. Je ne puis pas approuver en public ce que je condamne au fond de l'âme.

Voici maintenant, messieurs, l'autre fait, beaucoup plus grave encore, comme vous allez le voir.

Il y a à Louvain une société flamande. Je ne sais pas de combien de membres elle se compose.

On a demandé pour cette société un subside qui a été fixé à la somme énorme de 150 fr. eu vue d'aider cette société à faire l'achat de livres utiles et d'ouvrages nationaux. Eh bien, messieurs, la nouvelle de ce subside a été communiquée à M. de Luesemans et les amis de M. de Luesemans ont trouvé bon d'annoncer que ce subside avait été accordé.

Je trouve que les amis de M. de Luesemans ont eu tort et j'ajouterai qu'en général j'évite (et les honorables membres qui ont été ministres sauront pourquoi), j'évite en général de prendre des mesures d'administration publique aux approches des élections. On peut en trouver plusieurs preuves dans les archives.

Et si l'on a voulu tirer parti de ce misérable subside de 150 fr., donné à une société dépourvue de ressources, on a eu tort ; et si j'ai la direction des affaires aux prochaines élections, je redoublerai de précaution pour que l'action administrative ne soit pas entraînée dans de semblables pratiques.

Je dirai à mes honorables adversaires : N'excusez pas tout ce qui se fait dans votre parti ; frappons d'une réprobation commune ce qui est mal, et annulons les élections de Louvain.

Je ne sais si mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, compte prendre la parole pour expliquer le fait du déplacement d'un employé.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Certainement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je veux seulement dire que l'employé dont il s'agit n'a pas été empêché d'aller déposer son vote à Louvain ; qu'au contraire on lui a réservé expressément la faculté d'aller voter à Louvain.

Cet exemple n'a pas toujours été suivi. Je ne veux pas récriminer. Je me borne à rappeler qu'à une certaine époque, un gouverneur de province fut empêché de quitter son poste pour aller voter dans un arrondissement en faveur d'un de ses anciens collègues.

Messieurs, on repousse avec une grande indignation l'acte que la majorité de la Chambre poserait en annulant les élections de Louvain. Nous frappons les députés d'ostracisme. Nous sommes une majorité violente qui rappelle les souvenirs de cette droite modérée de la restauration qui faisait empoigner et expulser Manuel, et le déclarait indigne de reparaître dans la représentation nationale.

Mais en annulant l'élection de Louvain, que fait la majorité ? Elle fait un appel aux électeurs ; elle ne frappe pas d'ostracisme les représentants, elle les met en position de faire confirmer leur premier mandat par les électeurs.

S'ils ont eu la majorité dans le vote précédent, pourquoi cette majorité les abandonnerait-elle au second appel ?

Craint-on que les faits révélés par l'enquête et l'effet produit par nos discussions n'aient affaibli la cause du parti conservateur dans l’arrondissement de Louvain ? Non sans doute, car vous-même vous croyez que le pays donne tort à la majorité libérale. Eh bien donc, si la majorité qui a nommé les représentants de Louvain vient à les nommer de nouveau, ils rentreront triomphants, purifiés de tout soupçon de souillure électorale. Voilà tout. Ce n'est pas un si grand malheur que de paraître devant les électeurs dans de telles conditions et quand on se croit sûr de la majorité.

Messieurs, nous assistons à un fâcheux spectacle : ce sont les exagérations incroyables dans lesquelles tombent ici, non pas seulement les esprits emportés, mais les esprits qui passent pour être les plus calmes.

A entendre ces messieurs, il n'y a plus de libertés respectées ; la liberté de la presse, la liberté de la charité, la liberté religieuse, la liberté de la tribune, tout est contesté, renversé. Les quatre libertés constitutionnelles qui se trouvent au pied de la colonne du Congrès et que l'honorable M. Dedecker n'a pas placées là, je pense comme quatre chimères ; ces quatre libertés ont été traitées ailleurs de déesses profanes.

A entendre l'honorable M. Dumortier, elles sont des chimères pour les libéraux.

J'espère bien qu'à l'occasion du budget de l'intérieur nous aurons à faire définitivement justice de toutes ces ridicules accusations.

Tout à l'heure l'honorable M. Dumortier nous parlait des atteintes portées aux libertés par la majorité libérale devant le pays et devant l'Europe ; que penserait-on de la Belgique et du gouvernement belge si de pareils discours, prononcés avec chaleur par un des champions de notre nationalité, pouvaient être pris au sérieux un seul moment. Je demande quels sont, non pas les preuves, mais les symptômes de toutes ces atteintes portées à nos libertés.

Depuis que le pouvoir vous a échappé, vous avez constaté chaque jour des violations de libertés. Veuillez nous dire un seul acte, un seul discours qui justifie ces assertions. Ah ! vous êtes fort heureux ! Dernièrement, un représentant, entré dans cette enceinte depuis le mois de juin, s'est permis de dire en passant que s'il avait été du Congrès, il n'aurait pas voté la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat, qu'il aurait admis certaines réserves.

Et là-dessus voilà toute la gauche accusée de renier la Constitution, de la conspuer, à tel point que la Constitution serait à l'agonie si elle n'avait pas pour défenseurs un des fondateurs de la nationalité et quelques-uns de ses amis. Je vois bien, non pas dans cette enceinte, mais hors de cette enceinte ; je vois nos institutions, nos libertés conspuées, dédaignées, flétries.

Mais, reconnaissons-le, ce ne sont pas les organes libéraux qui traitent la Constitution de cette façon ; si nous avions dans nos rangs un seul représentant qui veuille, se portant solidaire de l'opinion de tous ses amis, exprimer le moindre regret des libertés consacrées par la Constitution, nous le désavouerions, nous lui dirions : Vous n'êtes pas des nôtres ; conservez votre manière de voir, nous ne la partageons pas ! Nous protesterions.

Maintenant, je voudrais bien aussi que les amis de M. Dumortier, à qui je dis quelquefois des choses désagréables, mais que je sais animé (page 430) d'un grand fond de patriotisme, et ne voulant porter la moindre atteinte à aucune de nos libertés, je voudrais, dis-je, que tous les amis de M. Dumortier fussent dans les mêmes sentiments, dans cette enceinte et hors de cette enceinte ; j'en serais charmé pour le pays.

Eh bien, messieurs, je doute que les amis de M. Dumortier... (Interruption). Dans cette enceinte, je l'accepte, mais hors de cette enceinte, je doute que tous ses amis voulussent s'associer à tous ses sentiments ; j'en serais heureux pour le pays, je verrais qu'il y a sincérité et unanimité pour conserver intacte l'œuvre du Congrès.

Mais on aperçoit dans son opinion des symptômes de défiance vis-à-vis la Constitution, chaque jour nous voyons avec douleur dans le pays des traces de dédain pour nos institutions ; et pour excuser cet abandon de nos institutions on cherche à effrayer les populations en forgeant des mensonges, en articulant les griefs les plus imaginaires ; on va jusqu'à rappeler l'époque où un ministre dont il ne faut plus parler aujourd'hui écrasait la nationalité belge ; nous en sommes revenus aux jours néfastes d'avant la révolution de 1830.

Voilà ce qui se dit. Est-ce la une opposition loyale ? est-ce là de la justice dans l'opposition ? Croyez-vous que ce soit par de pareils moyens que vous parviendrez à redevenir majorité ? Croyez-vous que le pays vous sache gré de ces colères réelles ou factices que vous montrez contre le principe de notre gouvernement ; croyez-vous que ce soit en encourageant les pratiques imprudentes du clergé, que vous parviendrez à ressaisir votre influence !

Je professe une opinion toute contraire ; plus le clergé interviendra dans les élections, plus vous y perdrez, vous et lui, de votre influence.

Encore quelques années, si le spectacle dont nous sommes témoins s'étend et se continue, vous verrez dans chaque commune une division non pas seulement politique, mais une division religieuse. Les symptômes ne sont pas trompeurs. Il est impossible surtout dans les classes peu éclairées que ces luttes entre les électeurs et le curé ne deviennent pas des luttes religieuses ; à force de combattre le curé dans les réactions on finira par lui demander : Qui êtes-vous pour nous tourmenter de la sorte ? Moralement et politiquement, on examinera ou contrôlera tous ses actes et il aura bientôt perdu ce qu'il peut avoir gardé d'influence. Je suis sûr que M. de Haerne, qui m interrompt, ne me désavouera pas.

M. de Haerne. - C'est la thèse dus journaux libéraux depuis longtemps.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il était convenu qu'on ne parlerait plus ici de journaux. Si c'est la thèse des journaux libéraux, c'est une thèse que je soutiens depuis longtemps, dans cette Chambre ; c'est an reste une excellente. thèse qu'ils soutiennent, et les thèses des journaux, quand elles sont aussi bonnes me conviennent très bien.

M. de Haerne. - C'est un journal libéral qui le premier a dit : Vous serez renversés légalement ou abattus révolutionnairement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si un journal libéral a dit cela il a eu tort ; ce n'est pas cette doctrine-là que j'emprunte aux journaux libéraux. Voici ma thèse : je dis que le prêtre en persistant dans son intervention, dans sa participation aux luttes électorales, crée des divisions politiques dans sa paroisse et que ces divisions politiques ne tarderont pas à dégénérer en divisions religieuses, si déjà elles n'en sont pas là.

Les libéraux, sans se poser comme de saints personnages, proclament la haute utilité du sentiment religieux dans les populations et de la religion dans l'Etat ; si ceux-là signalent ces dangers, ne devriez-vous pas, vous qui vous proclamez plus orthodoxes, plus catholiques que nous, les redouter bien plus et les conjurer.

Est-ce que l'intérêt politique ne vous fermerait pas les yeux, ne vous ferait pas passer légèrement sur de danger que court l'intérêt religieux ? Je le dirai, j'ai toujours regretté l'intervention du clergé dans les élections ; ce n'est pas d'aujourd'hui ; voilà plus de 20 ans que je fais des discours contre l'intervention du clergé dans les élections ; mais l'intervention du clergé signalée par ses distributions d'argent, voilà ce qui me confond et ce que vous auriez dû blâmer énergiquement ; je m'attendais à ce que l'un de vous, je m'attendais à ce que l'honorable M. de Decker, de sa voix puissante et convaincue, serait venu protester contre de semblables pratiques. Une pareille protestation aurait bien plus relevé votre parti dans l'opinion, que les discours violents, les accusations injustes auxquels on a donné libre cours dans cette discussion.

Je regrette d'avoir été entraîné à prendre part à ce débat. Nous aurions voulu qu'il se terminât entre les membres de la Chambre ; nous nous réservions de donner notre vote en qualité de représentants.

Comme représentants, nous voterons pour les conclusions du rapport de la commission ; et en finissant je dirai que si l'honorable rapporteur de la commission a peut-être, dans la rédaction, employé quelques expressions qui ont pu paraître vives, on a été bien autrement violent vis-à-vis de lui. On a traité ce travail de la commission avec une violence et un dédain qui, je l'espère ne feront pas précédent dans nos annales.

La Chambre a décidé qu'il serait fait une enquête. Son honorable président a présidé à l’enquête ; il s'est associé deux membres de la droite et deux membres de la gauche. Le travail long et consciencieux du rapporteur a été soumis à la commission ; il a été adopté par le président et par ses collègues ; du moins il n'a donné lieu à aucune protestation quant à la forme. A peine avait-il vu le jour, qu'il provoque à des attaques violentes et à des outrages. Toutes les convenances parlementaires sont méconnues. Le travail d'une commission présidée par le président de la Chambre aurait dû être traité avec plus d'égards. Je fais cette observation pour le présent et pour l'avenir. Je crois que les membres de la Chambre des représentants doivent donner l'exemple des égards qui sont dus aux travaux de leurs collègues.

M. de Paul. - Messieurs, je comptais prendre une part active dans le grave débat qui, depuis dix jours, absorbe toute votre attention ; une indisposition ne me l'a pas permis et ne me le permet pas encore. Je suis cependant obligé de répondre à une imputation, à une interpellation qui vient de m'être faite. Je serai très bref.

Vous le savez, messieurs, et l'honorable ministre de l'intérieur vient de le redire, la plupart des honorables orateurs qui ont combattu les conclusions de la commission d'enquête, désespérant sans doute du succès, peut-être même irrités de l'impuissance de leurs efforts, ont cherché à déplacer, à égarer la discussion en passionnant le débat, en le rendant personnel, agressif.

A en croire ces honorables orateurs, les quatre cinquièmes au moins des membres de cette assemblée devraient avoir les doutes les plus sérieux sur la légitimité de leurs mandats, tous ou presque tous nous ne serions que des intrus, amenés ici par des élections viciées, entachées de corruption à un degré plus élevé que ne le sont les dernières élections de Louvain.

C'est ainsi que, dès le début de la discussion, l'honorable M. Notelteirs, parlant des élus de Louvain, s'écriait : Qui de vous, messieurs, pourra sans remords leur jeter la première pierre ? Et par une allusion très délicate, l'honorable orateur me prévenait que je devais prendre ma grande part de son exclamation. Dans la séance du lendemain, messieurs, l'honorable comte de Muelenaere nous disait à son tour : « Que celui d'entre nous dont l'élection n'a pas coûté plus de 2,700 francs vote l'annulalion de Louvain, j'y consens ! »

Aujourd'hui l'honorable M. B. Dumortier reprend à peu près le même thème, sauf la forme ; car l'honorable orateur a un langage qui heureusement lui est particulier, un langage tellement violent, tellement passionné, exalte qu'on est tenté de lui pardonner les expressions extra-parlementaires qui trop souvent lui échappent.

L'honorable membre a trouvé bon de me mettre personnellement en cause et d'une manière assez peu gracieuse en incriminant, en accusant de vénalité le corps électoral de qui je tiens mon mandat. L'honorable orateur a cru utile à la cause qu'il défend, de comparer les élections de Louvain que nous allons juger, aux diverses autres élections du pays et spécialement à celles qui ont eu lieu en 1856 dans mon arrondissement. Ce parallèle le conduit à faire à peu près le raisonnement que voici : Les élections de Thuin ont entraîné des dépenses plus considérables que celles occasionnées par les élections de Louvain ; donc, les élections de Thuin sont plus viciées que celles de Louvain ; or, celles de Thuin n'ont pas même été contestées, donc il est impossible que celles de Louvain soient invalidées ! - Voilà bien, le fond de l'argumentation de l'honorable M. Dumortier. Eh bien, la proposition première est évidemment erronée ; tous les orateurs de la gauche l'ont dix fois prouvé ; mais fût-elle aussi vraie qu'elle ne l'est pas, que la conclusion n'en resterait pas moins parfaitement illogique ; cela saute aux yeux ; mais j'entre ici dans le fond de la discussion ; je ne peux pas l'aborder ; je n'ai la parole que pour un fait personnel, j'y reviens.

L'honorable M. Dumortier m'a adressé des paroles peu obligeantes ; vraiment, elles me blessent peu : je ne les relèverai même pas, persuadé que je suis que personne, dans cette enceinte ni au dehors, ne met en doute ma loyauté, ma délicatesse en matière d'élection comme en toute autre. Mais je ne puis me dispenser de répondre à l’interpellation directe qu'il m'adresse. On me demande si, vu mon origine, j'oserai voter l'annulation des élections de Louvain ? Je réponds très carrément, oui, bien certainement oui, parce que la présente discussion m'a laissé, m'a continué dans la conviction que ces élections ne sont pas l'expression vraie de la volonté libre, indépendante, spontanée du corps électoral. Je voterai leur annulation, comme la Chambre a prononcé la nullité des élections de Marche, sans m'inquiéter si d'autres élections plus ou moins attaquables, plus ou moins entachées de corruption ont été ou n'ont pas été invalidées ; je voterai contre l’élection de Louvain, comme en 1857 j'ai voté contre l’élection d'un de mes amis politiques, sans me laisser aller à aucun esprit de parti, mais uniquement pour satisfaire ma conscience et sauvegarder autant qu'il est en moi notre dignité. Voilà ce que je ferai.

Quant aux attaques, aux incriminations plus ou moins indirectes adressées aux électeurs de mon arrondissement, qui, soit dit en passant, n'ont pas besoin d’être défendus, je me bornerai à dire à l'honorable M. Dumortier et à ses honorables amis, qu'ils savent parfaitement bien et pour cause, que nulle part l'électeur n'est plus libre, ne se montre plus indépendant que dans mon arrondissement.

Je lui rappellerai que si, à ces élections de 1856, auxquelles il a fait allusion, des moyens d'intimidation et de corruption ont été tentés, ils sont restés complètement infructueux ; qu'ils n'ont pas pu déplacer une (page 431) seule voix, qu'ils n'ont modifié en quoi que ce soit le résultat de l'élection, résultat prévu, connu, certain, annoncé dès le premier jour de la lutte ; je lui rappellerai que promesses, menaces, séductions de tout genre qui ont été employées, ont tourné à la confusion de leurs auteurs.

Vraiment, messieurs, je suis on ne peut plus étonné et il est tout à fait incompréhensible qu'on vienne ici, au nom du parti conservateur, évoquer le souvenir de ces élections de 1856 ! Se figure-t-on, par hasard, que ce fut le parti libéral qui, dès l'origine de la lutte, vint annoncer, proclamer partout l'arrondissement qu'il avait 100,000 et au besoin 200,000 francs à consacrer pour assurer, à son profit, le résultat de l'élection ? Se figure-t-on que c'est le parti libéral qui vint semer partout les promesses les plus brillantes, tellement brillantes qu'elles en devenaient ridicules ? Se figure-t-on que ce fut le parti libéral qui, à l'occasion de ces élections de 1856, mit les fonctionnaires publics en campagne, qui harcela, menaça ceux dont le zèle paraissait douteux ?

Messieurs, je ne veux pas entrer dans les détails des faits ; je ne veux faire intervenir ici aucune personnalité ; je ne veux me livrer à aucune récrimination ni contre les individus ni même contre aucun parti, je neveux point faire de personnalité.

- Une voix à droite. - En voilà bien assez.

M. le président. - M. de Paul use d'un droit qui doit être respecté.

M. de Paul. - Je ne saurais en faire assez, si j'y étais disposé, pour répondre à toutes les personnalités qui nous ont été adressées. Mais je laisse ce triste rôle à ceux qui, le sachant ou ne le sachant pas, travaillent en réalité à la ruine de nos institutions parlementaires. Je prie donc mes adversaires politiques de ne point me forcer à me faire l'historien des élections de mon arrondissement ; ils peuvent être certains qu'ils n’y trouveraient pas leur compte.

M. le président. - La parole est à M. le ministre des travaux publics.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix ! la clôture !

M. le président. - M. le ministre des travaux publics insiste-t-il ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, la Chambre est impatiente d'arriver au terme de sa séance. Je ne fais aucune difficulté de renoncer à la parole, si elle le désire, mais à la condition expresse que l'honorable M. Dumortier rétracte l'accusation qu'il a articulée contre moi, au sujet du déplacement d'un employé de la poste de Louvain.

M. B. Dumortier. - Pas du tout !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Dans ce cas, je ne puis me dispenser de donner quelques explications sur le fait qui me concerne dans le discours de l'honorable M. Dumortier. Vous verrez, messieurs, qu'il m'est permis d'être extrêmement court.

J'ai eu l'honneur, messieurs, d'écrire à la commission d'enquête que je donnerais à la Chambre tous les renseignements qu'elle pourrait désirer quant au déplacement de l'employé Mertens.

J'aurais fourni ces renseignements depuis le commencement de ce débat, si j'avais su au juste ce qu'on me reprochait ; je ne le sais que d'aujourd'hui.

On me reproche, c'est l'honorable M. Dumortier qui l'a dit le premier et qui l'a dit seul, d'avoir appelé à Bruxelles un employé de la poste de Louvain, à la seule fin de l'empêcher de voter et d'accroître ainsi d'une voix les chances de M. de Luesemans. (Interruption.) Voilà textuellement ce que vous avez dit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est vrai.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je m'étonne, messieurs, que l'honorable M. Dumortier ait commis cette exagération parmi toutes les autres dont il s'est rendu coupable. En effet, il n'avait qu'à lire l'enquête pour s'éclairer sur le fait dont il s'agit, ou plutôt il la connaissait et il devait par conséquent savoir qu'elle donnait un démenti formel, catégorique à son accusation. (Interruption.) J'ai, avez-vous dit, appelé l'employé Mertens de Louvain pour l'empêcher de voter ; or, il a voté !

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Qu'avez-vous donc dit ?

M. B. Dumortier. - J'ai dit qu'il avait été déplacé.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Oui, pour l'empêcher de voter. Eh bien, voici les faits ; je suis au regret d'avoir à entrer dans ces détails ; mais enfin j'y suis provoqué et il est juste que j'use du droit de me défendre.

Je dois dire tout d'abord que le personnel du bureau de la poste de Louvain m'était signalé, par des hommes honorables et sérieux, comme n'ayant pas rempli, lors des élections de 1857, tous les devoirs que l'impartialité commande. Or, dans de telles circonstances, n'importe quel parti me fera connaître un pareil défaut d'impartialité, je n'hésiterai jamais à prendre des mesures immédiates et énergiques. Je ne ferai jamais acception de partis pour des faits de ce genre.

J'entends que la poste, qui est un service public, remplisse sa mission avec la plus grande loyauté pour tout le monde indistinctement. Comme ministre, j'ai le droit de l'exiger, j'en ai le devoir ; ce devoir je le remplirai toujours.

Je rappelle donc que des faits m'étaient dénoncés par des hommes honorables et sérieux à charge du personnel du bureau de la poste de Louvain. Je n'affirme pas que les faits fussent exacts, mais qu'ils m'étaient dénoncés. Ce n'étaient point de vagues accusations de partialité qui étaient venues jusqu'à moi, c'étaient des faits positifs, précis, qui m'étaient soumis, et ces faits remontaient, je viens de le dire, à l'époque des élections de 1857. Que pouvais-je faire, messieurs ? Je pouvais ouvrir une enquête administrative ; je n'ai point jugé celle-ci utile, d'abord parce que les faits s'étaient passés depuis trop longtemps et, en second lieu, parce qu'il me semblait que, eu égard à la sévérité des peines qui eussent dû être infligées si ces faits étaient venus à être constatés, il était préférable de leur accorder la faveur de la prescription.

Toutefois, je ne pouvais pas m'abstenir d'une manière absolue d'intervenir. Je résolus donc de prendre une mesure que je pouvais considérer comme efficace pour le service et comme inoffensive pour les personnes ; je résolus d'opérer une mutation dans le personnel de Louvain, et j'ai donné l'ordre à M. le directeur général d'envoyer un employé de Bruxelles à Louvain, en échange d'un employé de ce dernier bureau. Je n'ai indiqué personne nominativement pour cette mutation, et la raison en est simple ; c'est que je ne connaissais personne de la poste de Louvain, et ce n'est que depuis cette affaire, que j'ai connu le sieur Mertens.

Je demande si, en présence de cette circonstance que le personnel de Louvain m'était complètement inconnu, on peut m'accuser d'avoir déplacé un employé déterminé pour l'empêcher de voter !

Cette mutation devait donc se faire en vertu d'un ordre directement émané de moi. Personne ici n'est en cause que moi, et je revendique pour moi toute la responsabilité. Nul n'a usé d'initiative que moi. L'ordre de déplacement donné, le sieur Mertens m'a adressé la lettre qui figure au dossier de l'enquête. J'ai mandé alors M. le directeur de la poste de Bruxelles, pour m'informer d'abord si le sieur Mertens avait exécuté les instructions qu'il avait reçues, attendu que, en administration, l'obéissance est le premier des devoirs. Sur la réponse affirmative de M. Hochstein, j'ai fait venir le sieur Mertens dans mon cabinet, uniquement pour lui dire que je l'autorisais à aller voter à Louvain et que, non seulement je l'y autorisais, mais que je l'y invitais.

Remarquez bien que je dis que je l'ai fait venir. Ce n'est pas lui qui a demandé à être reçu ; c'est moi qui lui ai fait demander de passer à mon cabinet. C'est moi, en d'autres termes, qui ai pris les devants pour mettre le sieur Mertens en mesure d'exercer son droit d'électeur.

Dans la conversation, le sieur Mertens s'est plaint de la mesure dont il était l'objet, surtout par le motif qu'il était marié à une personne de Louvain et habitait chez les parents de sa femme. C'était un nouveau fait que j'apprenais et que j’ignorais jusque-là complètement. Sur ce renseignement, et comme il m'était fort indifférent que la mutation portât sur le sieur Mertens ou sur tout autre employé de Louvain, je lui ai dit que j'aviserais à le replacer dans quelque temps à Louvain. Mais je me réservais de maintenir la mutation que j’avais résolue en principe, en appelant à Bruxelles un autre agent de ce bureau, mon habitude constante étant de concilier les convenances personnelles des fonctionnaires de mon département avec les intérêts de l'administration, toutes les fois que la conciliation est possible. Vous savez maintenant pourquoi et sous quelle réserve tacite, après avoir fait venir le sieur Mertens à Bruxelles, je lui ai cependant laissé entrevoir son retour à Louvain.

Voilà, messieurs, la conduite que j'ai tenue dans cette circonstance. Je livre ces faits à l'appréciation de la Chambre.

- La clôture est demandée.

M. le président. - Nous avons à entendre les développements de la proposition de MM. Guillery et Pirmez.

M. Guillery. - Veuillez-le remarquer, messieurs, c'est la première fois qu'il m'est permis de m'expliquer sur cette proposition. Je ne demande que cinq minutes.

Elle est la conclusion naturelle des discours de l'honorable M. E. Vandenpeereboom, comme elle est la conclusion des quelques paroles que je comptais prononcer dans la discussion. D'honorables collègues ont demandé à la signer ; j'y ai consenti volontiers, je l'ai déposée sur le bureau afin qu'elle fût connue de tout le monde dès hier et qu'on pût la méditer. Malheureusement une motion d'ordre est venue soulever très intempestivement une discussion.

Je ne pouvais pas retirer ma proposition avant d'en avoir expliqué les motifs, alors surtout que le sens en avait été dénaturé dans les conversations parlementaires quoique particulières. Cette proposition n'avait rien d'hostile pour le cabinet, elle n'avait rien d'hostile pour personne ; elle était inspirée par des sentiments très libéraux, sympathiques au cabinet lui-même.

La Chambre veut terminer aujourd'hui la discussion et je dois par conséquent retirer ma proposition, mais je ne puis pas la retirer dans les termes indiqués par M. le président.

J'avoue que je n'ai pu saisir parfaitement le sens des explications de M. le ministre de l'intérieur, dont la voix n'arrive pas toujours jusqu'ici.

Si ces explications ne sont pas telles que je le désire, il me sera très facile de reproduite ma proposition dans la discussion du budget de l'intérieur. Je la retire donc sans renoncer en aucune manière aux principes qui l'ont dictée, uniquement parce que le terme de la discussion est arrivé et par déférence pour la Chambre.

(page 432) M. le président. - M. le ministre de l'intérieur a déclaré, en réponse à l'interpellation de l'honorable M. Allard, que la proposition déposée sur le bureau a fait déjà l'objet d'une décision de la Chambre, que le gouvernement, déférant aux vœux du parlement, s'est occupé de l'examen des améliorations à apporter à nos lois électorales et que cette étude, interrompue par l'enquête parlementaire, serait reprise activement après la décision de la Chambre sur les conclusions de la commission.

M. Pirmez. - Lorsque j'ai eu connaissance de la proposition qui vous a été soumise, j'ai été d'autant plus heureux d'y apposer ma signature, qu'elle m'offrait un moyen très clair de prouver que si je ne vote pas les conclusions de la commission, ce n'est nullement parce que j'approuve les faits qui se sont passés à Louvain ; ces faits, je les regrette autant que qui que ce soit.

Je voterai contre les conclusions uniquement parce que les faits établis ne me paraissent pas constituer des infractions à la loi existante. Dans le silence de la loi et en présence de ce qui a été toléré ailleurs, je crois qu'il faut chercher à proscrire les abus constatés, non par l'annulation d'une élection particulière, mais par une disposition générale.

Tels sont les motifs du vote que j'émettrai et de la proposition que j'ai signée.

Je n'ai pas assisté au commencement de la séance, je n'ai donc pas entendu les explications de M. le minière de l'intérieur.

Elles ont satisfait nos collègues qui ont signé la proposition, je ne doute nullement qu'elle ne remplissent mon but. Je retire comme eux cette proposition.

M. Goblet. - La discussion est close.

Vote des conclusions de la commission

Il est procédé au vote par appel nominal sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête.

103 membres sont présents.

58 adoptent.

42 rejettent.

3 s'abstiennent.

En conséquence, les conclusions de la commission sont adoptées.

Ont voté l'adoption : MM. d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Koeler, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Manilius, Moreau, Muller, Neyt, Orban, Orts, Pierre, V. Pirson, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Van Volxem, Allard, Ansiau, Carlier, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, C. de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Gottal, Deliége, de Moor, de Paul, de Rongé, Devaux, de Vrière et Vervoort.

Ont voté le rejet : MM. B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Dechamps, Dechentinnes, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq et de Theux.

Se sont abstenus : MM. Grandgagnage, de Renesse et H. de Brouckere.

M. Grandgagnage. - Je me suis abstenu, parce que se fait de corruption électorale ne m'était pas suffisamment démontré

M. H. de Brouckere. - Messieurs, l'enquête a constaté dans les élections de Louvain des manœuvres que je trouve très répréhensibles ; mais elle n'a pas établi, selon moi, que ces manœuvres aient entraîné le déplacement d'une seule voix. Je n'ai donc pas pu invalider des élections que, dans mon âme et conscience, je ne crois pas nulles. Mais je n'ai pas voté contre les conclusions du rapport parce que j'ai craint que tôt ou tard on n'inférât de mon vote que je ne désapprouve pas les manœuvres auxquelles j'ai fait allusion et surtout les distributions d'argent, tandis que je les condamne hautement.

M. de Renesse. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. de Brouckere vient d'énoncer.

Ordre des travaux de la chambre

M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - M. Rodenbach. - La Chambre est dans l'habitude de prendre une vacance à l'occasion des fêtes de Noël et du 1er janvier ; d'après le désir de plusieurs de mes honorables collègues, je proposerai de fixer la rentrée au mardi 17 janvier à 2 heures.

- Cette proposition est adoptée.

M. Pirmez. - Je demande que la Chambre autorise l'impression et l'envoi, sans dépôt préalable, des rapports qui pourraient être prêts pendant les vacances.

M. Orts. - Je ferai remarquer qu'à notre rentrée nous aurons à discuter le budget des travaux publics, qui prend toujours un certain temps.

Du reste, je ne m'oppose pas à la proposition de l'honorable M. Pirmez.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - M. Nelis, retenu chez lui par une indisposition, m'a adressé une lettre dont voici un extrait :

« ... Lors du vote sur l'enquête, je me serais abstenu. Je ne puis approuver les conclusions de la commission, parce que des faits à peu près analogues à ce qui s'est passé dans l'arrondissement de Louvain, ont eu lieu dans d'autres arrondissements ; et, d'un autre côté, je ne puis pas voter contre ces conclusions, parce que je ne veux pas que mon vote puisse être regardé comme une approbation de ce qui a eu lieu. Je blâme, au contraire, tout ce qui tend à porter atteinte à l'indépendance de l'électeur et à la sincérité du vote. »

Désignation de la députation au roi

Il est procédé au tirage au sort de la députation chargée de féliciter S. M. à l'occasion du nouvel an.

La députation est composée de MM. de Rongé, Allard, d'Hoffschmidt, Vervoort, de Haerne, de Decker, H. de Brouckere, de Moor, Laubry, de Theux, Snoy et M. le président de la Chambre.

- La Chambre s'ajourne à mardi 17 janvier 1860.

La séance est levée à 5 heures et demie.