(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 351 ) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)
M. de Moor fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Janquet, médecin vétérinaire diplômé, demande des modifications à la loi du 11 juin 1850, sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »
« Même demande du sieur Bossart. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des étudiants de l'université de Gand demandent le rétablissement de la session de Pâques pour tous les examens. »
- Même renvoi.
« Des étudiants de l'université de Louvain demandent le rétablissement de la session de Pâques pour tous les doctorats. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'une commune non dénommée présentent des observations contre les dispositions du Code pénal relatives aux coalitions. »
- Renvoi à la commission du Code pénal.
« Le sieur Casier, juge d’instruction de l'arrondissement de Louvain, présente une observation sur la note de la minorité de la commission d'enquête. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de l'enquête.
M. Orts. - Je demande à la Chambre de bien vouloir ordonner que cette réclamation soit imprimée comme les réclamations qui ont été adressées à la Chambre contre le rapport de la majorité de la commission.
- Cette proposition est adoptée.
« Des propriétaires ou gérants des principales industries de zinc déclarent protester contre l'accusation d'insalubrité au point de vue de l'hygiène publique et de la santé des ouvriers, portée contre les fabriques de zinc dans le rapport sur une pétition concernant l'établissement de la Vieille-Montagne. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport.
« Les sieurs Behr et Nise, président et secrétaire de l'assemblée des maîtres de forges, prient la Chambre d'ordonner une enquête sur tous les points qui se rattachent à la question de libre sortie des minerais de fer, oligistes ou autres, avant de se prononcer sur leur pétition ayant pour objet le retrait de la loi qui autorise cette libre sortie. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
M. le président. - La parole est continuée à M. le rapporteur.
M. De Fré, rapporteur. - Messieurs, l'honorable comte de Muelenaere disait hier : Ceci n'est pas une question de parti, et je lui ai répondu que c'était une question de moralité publique. Voilà pourquoi j'ai tendu la main vers l'honorable M. de Decker, et là, passant par-dessus la tête de l'honorable M. Dumortier, je lui ai dit : Unissez-vous à nous pour étouffer dans son germe ce vice honteux de la corruption. J'ai dit à l'honorable M. de Decker : En 1847 vous avez blâmé l’intervention du clergé en matière d'élection ; eh bien, ne faisons pas de théorie seulement, faisons aussi de la pratique. Il s'agit aujourd'hui d'appliquer la théorie que vous avez professée en 1847, conjointement avec l’honorable comte de Theux et l'honorable M. Dechamps,
M. de Theux. - Non '. non ! je nie cela.
M. De Fré. - Il a été établi, et tout juge impartial le reconnaît, que de l’argent a été donné, que cet argent a été donné par la main du clergé.
L'honorable comte de Muelenaere a dit qu'il ne résultait pas de l'enquête qu’il y eût corruption ; que cette preuve n'était pas faite ; qu'on avait payé des indemnités, qu'on avait payé des frais de voyage, mais qu’il n’y avait pas eu corruption. J'ai produit, en réponse à cette objection de l’honorable comte de Muelenaere, le texte de la loi, et j'ai établi que la corruption, c'est le salaire donné pour faire une chose, même juste, mais non sujette à un salaire.
J'ai dit qu'en Angleterre, dans des circonstances de ce genre, les élections étaient annulées, qu'en Angleterre on considérait comme acte de corruption tout ce qui était dépensé pour l'élection en faveur d'un candidat.
Mais aujourd'hui j'ai mieux que les plaidoiries faites devant une commission d'enquête ; j'ai la législation anglaise elle mène.
Il existe en Angleterre une loi du 12 août 1842, relative à la corruption électorale. Cette loi a été suivie d'une autre loi, du 10 août 1854. Ces deux lois forment la législation anglaise, en matière de corruption électorale.
Messieurs, vous allez voir par le texte de ces lois que non seulement celui qui reçoit pour voter ou même pour ne pas voter est puni, mais que le candidat, au profit duquel la corruption a eu lieu et qui est resté étranger à la corruption, subit lui-même l'influence de cette corruption.
L'article 3 de la loi du 10 août 1854 porte :
« Art. 3. Les personnes suivantes seront jugées coupables de corruption et condamnées comme telles :
« 1° Tout votant qui, avant ou pendant une élection, directement ou indirectement, par lui-même ou par personne interposée dans son intérêt, aura reçu, agréé ou engagé par argent, don, promesse ou récompense de quelque valeur comme office, place, emploi pour lui-même ou pour une autre personne dans le but de voter ou d'accepter de voter, d'empêcher ou d'accepter d'empêcher de voter à une élection ;
« 2° Toute personne, qui après une élection, directement ou indirectement, par elle-même ou par personne interposée, dans son intérêt, reçoit de l'argent, ou une récompense de valeur de quelqu’un ayant voté ou ayant été empêché de voter, ou ayant engagé un autre à voter ou l'en ayant empêché à une élection :
« Sera, étant reconnu coupable, jugé comme criminel et en Ecosse, a comme coupable de délit puni de l’amende et de la prison et il sera condamné à payer la somme de dix livres individuellement à tous ceux qui l'auraient poursuivi du même chef indépendamment des frais du procès.
« Art. 4. « Tout candidat à une élection qui aura corrompu par lui-même, par personne interposée ou par tous autres voies et moyens dans son intérêt, à quelque temps que ce soit, avant, pendant ou après une élection, directement ou indirectement, ou qui aura donné ou pourvu, ou été cause qu'on ait donné ou pourvu, ou contribué à ce qu'on ait donné ou pourvu, ou qui aura payé eu tout ou en partie des dépenses, nourriture, boisson, entretien ou provision de quelqu'un en vue d'être élu ou étant élu, ou qui exercera quelque influence corruptrice par lui-même, ou en engageant un autre à donner ou à empêcher de donner son vote à une élection, ou en donnant à une personne ayant voté, ou ayant été empêchée de voter, ou se trouvant sur le point de voter ou d'être empêchée de voter à une élection, sera jugé coupable du délit de régal et condamné à payer la somme de cinq livres à chaque personne qui l'aura poursuivi du même chef, indépendamment des frais du procès et tout votant qui aura été corrompu en acceptant quelque nourriture, boisson, entretien ou provision sera déclaré incapable de voter, et s'il a voté son vote sera déclaré nul et de nul effet. »
Voilà la législation anglaise. C'est aux principes de cette législation qu'il faut s'inspirer, comme la Belgique constitutionnelle s'est toujours inspirée aux traditions constitutionnelles de ce que j'appellerai pour ainsi dire la mère nourricière du gouvernement constitutionnel, l'Angleterre.
On ne persistera pas moins à dire que l'argent donné constitue des frais de voyage, une chose naturelle qu'on a tort de blâmer et on ne répondra pas à cet argument que j'ai fait valoir, à savoir que cette prétendue indemnité n'est en rapport ni avec la distance que chacun des électeurs avait à parcourir, ni avec la fortune personnelle de chacun d'eux.
Si l'on ne s'attache qu'à l'écorce des mots et non à la nature des choses, on trouve moyen d'innocenter des actions coupables, et on peut dire que l'escroquerie n'est qu'un moyen ingénieux de faire passer des pièces de 5 francs, de la poche du voisin dans sa propre poche ; un substantif plus ou moins ingénieux peut couvrir un délit.
Savez-vous, messieurs, comment on justifiait, dans le temps (ceci se passait au XVIIème siècle) comment on justifiait la corruption du juge ? Voici l'explication donnée par Escobar. (Interruption.) La corruption du juge a été un délit de tout temps. Eh bien, si l'on peut corrompre l’électeur sous prétexte que l'argent donné ne constitue que des frais de voyage, on peut corrompre le juge sous prétexte de lui faire des présents. Voici cette doctrine appliquée avec tant de talent, avec tant d’habileté au débat actuel. Et je prie les honorables membres de la droite d’être bien persuadés que je ne mets en cause aucun d'eux ; la théorie d’Escobar appliquée à cette cause n'a pas été inventée par la droite et elle a été invoquée en faveur de la validité de l'élection, en dehors de cette enceinte, avant l'ouverture de ce débat.
« Les juges, dit Escobar, peuvent recevoir des présents des parties, quand ils les leur donnent ou par amitié, ou par reconnaissance de la justice qu'ils ont rendue, ou pour les porter à la rendre à l’avenir, ou pour les obliger à prendre un soin particulier de leur affaire, ou pour les engager à les expédier promptement. »
(page 352) Escobar dit dans un autre endroit :
« S'il y a plusieurs personnes qui n'aient pas plus droit d'être expédiés l’une que l’autre, le juge qui prendra quelque chose de l'un, à condition, ex pacto, de l'expédier le premier, pêchera-t-il ? Non, certainement, selon Layman ; car il ne fait aucune injure aux autres, selon le droit naturel, lorsqu'il accorde à l'un par la considération de t son présent ce qu’il pouvait accorder à celui qui lui eût plu : et même étant également obligé envers tous par l'égalité de leur droit, il le devient davantage envers celui qui lui fait ce don, qui l'engage à le préférer aux autres, et cette préférence semble pouvoir être estimée pour de l'argent. »
Eh bien, messieurs, voici l'application de cette théorie à l'élection de Louvain. On reçoit de l'argent pour voter pour les conservateurs et on ne fait aucune injure aux candidats libéraux, si on vote pour les candidats catholiques en considération du présent qu'on a reçu à cet effet.
Ne comprenez-vous pas que lorsqu’il s'agit d'argent, le vote est mis aux enchères ? Qu'est-ce que c'est que cette indemnité ? d'après quoi l'estimez-vous ? Lorsqu'un témoin se déplace, il y a une taxe uniforme ; lorsqu'un juré vient au chef-lieu de la province.il y a une taxe uniforme. La loi détermine ces taxes. Mais lorsqu'on aura donné 5 francs à l'un, demain un autre offrira 15 francs, vous aurez l'enchère et vous habituez ainsi l'électeur à abdiquer au profit de gens qui, par l'achat des votes, mèneraient le pays à sa ruine.
Vous provoquez le citoyen à abdiquer son indépendance, sa dignité personnelle. Une indemnité ! mais un électeur viendra nous dire : L'indemnité pour moi ce n'est pas 5 francs ; je suis un banquier, je suis un médecin ; je puis gagner aujourd'hui 200 francs, donnez-moi l'indemnité de 200 francs.
Un négociant qui a sa fabrique loin du centre où se fait l'élection doit recevoir des clients chez lui et de grandes commandes doivent lui être faites, il demandera à titre d'indemnité, 1,200 fr., deux mille francs. Si l’indemnité doit remplacer la perte, il demandera I indemnité de la perte qu'il fait par le déplacement. Vous voyez que le système de l'indemnité, si on le discute, ne se soutient pas ; aussi n'est-ce pas sérieusement que de graves personnages viennent le discuter ici.
Messieurs, j'ai déterminé hier quel a été le caractère de l'intervention du prêtre dans la lutte électorale dont il s'agit ; il m'a fallu dans mon rapport et pour rester fidèle aux faits, pour ne pas reculer devant la vérité que je défendrai toujours, il a fallu dire que cette intervention n'avait pas eu lieu seulement avec de l'argent, qu'elle avait eu lieu par d'autres moyens. Le rapport de la majorité de la commission a été vivement attaqué de ce chef.
Il semblait qu'on ne pouvait pas dire la vérité, toute la vérité, qu'on ne pouvait pas parler de la sacristie, du confessionnal. Mais si ces faits résultat de l'enquête si l'enquête les établit, pourquoi le rapporteur les aurait-il tus ? Au reste c'est une question de moralité publique, il fallait, pour faire triompher cette question, montrer ce que cette intervention avait de funeste non seulement pour l'indépendance de l'électeur, mais à quelque chose de plus grave encore, que je suis étonné de ne pas voir mieux défendu, ici au sentiment religieux que vous détruisez en faisant du prêtre un instrument de parti.
Voici ce que j'ai dit :
« Pour mieux agir sur l'esprit de l'électeur, la sacristie ne suffit pas, on y joint le confessionnal. On y parle des listes électorales, et on refuse l'absolution an pénitent qui votera pour M. de Luesemans, accusé, par le confesseur, de vouloir anéantir la religion et ruiner le pays. La déposition de M. Sterckmans est aujourd'hui confirmée par l'instruction faite devant M. le juge Casier, le 21 novembre dernier.
« Cette instruction nous apprend aussi que, pour éviter d'être renvoyés du confessionnal sans absolution, de malins campagnards se munissaient d'un numéro du journal catholique, le Belge ; ce que voyant, le prêtre absout lie pécheur sans lui faire, comme à Vollen, des questions indiscrètes, Ja, ja, dit l'un du ces campagnards, mynen Belg heeft verscheiden keeren in den biechtstoel gezeten. (Oui, oui, mon Belge a été souvent à confesse.) »
A cette affirmation la note de la minorité contient la réponse suivante :
« Il ne reste pas moins constaté que le fait de l'intervention du confessionnal est resté démentie. »
Avec cette note on a circulé dans le pays et l'on a dit que le rapport mentait, et le travail de la majorité de la commission a été dénoncé comme une œuvre de mensonge.
C'est écrit dans la note.
Eh bien, voici l'enquête : Le 56ème témoin Pierre Sterckmans, dépose :
« Le jour des élections, j'ai rencontré un individu nommé Vollen, de Kisecom, électeur, qui m'a dit que les affaires iraient mal dans ses environs, que le curé avait tenu un jubilé, qu'ils étaient tous allés à confesse et que le curé leur avait demandé pour qui ils votaient, et cela dans le confessionnal, avant l'absolution ; qu'ayant répondu qu'ils votaient à la fois pour M. de Tuck, leur baron, et pour M. de Luesemans, le curé dit, parlant de ce dernier : « Comment pouvez-vous voter pour un pareil homme ? Il veut anéantir la religion, ruiner le pays ; il a voté les fortifications d'Anvers » ; qu'au cas où ils voteraient pour lui, il ne pourrait pas leur donner l'absolution. »
Messieurs, j'arriverai tout à l'heure à l'influence, à la pression exercée sur les témoins. Vollen vient devant la commission et voici le langage qu'il tient. « Si j'avais tenu un pareil propos, je n'aurais pu le faire qu'en plaisantant ou étant ivre. »
C’est la réponse qu'un grand nombre de témoins ont donnée : ils ne se souviennent plus, ou ils ont plaisanté, ou ils étaient ivres. Mais attentons la fin.
Vollen dit encore :
« Sterckmans est un menteur », et à peine Vollen a-t-il été entendu, qu'il écrit à la commission, pour rétracter la qualification injurieuse qu'il a donnée à Sterckmans. Ce n'est pas Sterckmans qui est menteur, c'est l'échevin Wouters. (Annexes, page 211).
Le président de la commission d'enquête ordonne une commission rogatoire devant M. le juge d'instruction de Louvain. Là arrive le sieur Servais, âgé de 29 ans, employé à la station du chemin de fer de Tirlemont et il d t :
« Le 18 de ce mois, j'ai entendu le sieur Vollen dire au Café belge, à Sterckmans, qui lui reprochait de l'avoir fait passer pour un menteur :Ce n'est pas à vous que j'en voulais, mais à Wouters.
« Je l'ai entendu dire aussi à Sterckmans, qu'il croyait avoir tenu le propos que celui-ci a fait connaître à la commission d'enquête.
Servais vient donc confirmer la déclaration de Sterckmans.
Mais ce n'est pas tout. Le sieur Wouters., échevin à Winghe-Saint-Georges, vient déclarer devant M. le juge Casier, de Louvain. « que Sterckmans, qu'il a rencontré le jour des élections, lui a dit que Vollen venait de lui raconter qu'il avait été à confesse, que le curé lui avait demandé s'il était électeur et pour qui il se proposait de voter ; qu'il avait répondu qu'il se proposait de voter pour M. de Luesemans, et que le curé lui avait dit : S’il en est ainsi, je vous refuse l’absolution.
« Ce témoin ajoute : J'ai vu Vollen le jour des élections, mais je n'ai pas entendu la conversation qu'il a eue avec le sieur Sterckmans. Le onze de ce mois, j'ai dit uniquement au sieur Vollen, que je me rappelais ce que Sterckmans m'avait dit le jour des dernières élections, et qu'il devait, lui aussi, se rappeler s'il avait tenu les propos rapportés par Sterckmms ; il nieavoir tenu ces propos. »
Sterckmans n'a pas inventé le propos, puisque le jour de l'élection, à peine l'avait-il entendu, qu'il le dit à l'échevin Wouters.
On a nié l'intervention du confessionnal. Ecoutez !
Sterckmans déclare devant M. le juge Casier :
« C'est le dix-huit de ce mois que, dans le cabaret de Dierickx, le sieur Vollen a dit, en présence de l'aubergiste et de sa femme, qu'il voulait aller à confesse, mais qu'il voulait avoir un confesseur qui ne parlât point, dans le confessionnal, des élections. Dierickx lui dit : vous t devez alors aller chez le père Smits (car le père Praet ou Van Praet y parle toujours des élections). Je dis alors à madame : Parle-t-on des élections au confessionnal ? Elle a répondu : Ja, ja, mynen Belg heeft verscheide keeren in den biechtstoel gezeten. »
Les paysans venaient chercher, dans le cabaret, le Belge avant d'aller à confesse. (Interruption à droite.)
Vraiment, messieurs, je vous admire Je lis tout ; je vous prie de croire que je ne passe rien. Je comprends que cela ne vous fasse pas plaisir. Mais j'ai le droit de donner ici une lecture complète de ces pièces. J'ai le droit d'établir que mon rapport est assis sur une base véridique et que ceux qui l'ont attaqué, comme l'honorable M. Dumortier, avant même de connaître l'enquête, ont commis une grande légèreté, une grande imprudence ; et c'est par suite d'aussi imprudentes provocations que je dois me défendre ; et quand je me défends devant vous, qui m'accusez, vous m'interrompez. Mais soyez donc justes !
M. le président. - Qu'on demande la parole, mais qu'on n'interrompe pas l'orateur.
M. De Fré. - J'ai dit alors à madame (c'était la cabaretière)...
- Un membre. - Ce sont des propos de cabaret !
M. De Fré. - On venait chercher dans le cabaret le Belge, pour le montrer au confessionnal ; mais attendez, je ne suis pas au bout je continue la lecture de la déposition :
« Et elle a raconté alors que les paysans placent le journal le Belge dans leur habit lorsqu'ils vont à confesse, afin d'obtenir l'absolution. Elle a raconté cela en présence du sieur Servais. C'est alors que Vollen, sans autre explication, a dit à Dierickx : Maer, baes, wie is hel die dit komen zeggen heeft uit de biecht ? Et l'aubergiste a répondu : Gy zelf. Quand Volleu a reconnu qu'il avait tenu le propos rapporte dans ma déposition du 5 de ce mois, il a fait cet aveu, après que je lui eusse rappelé toutes les circonstances de notre entretien, sans que je puisse conclure de sa conversation que quelqu'un l'ait porté à faire une déposition mensongère. »
Vient maintenant la déposition du nommé Dierickx, âgé de 42 ans, cabaretier à Tirlemont :
« Je ne me rappelle nullement le propos que Sterckmans prétend avoir été tenu par ma femme le. 18 de ce mois, et qui se trouve relaté t dans la déposition de Sterckmans de ce jour. Je ne me souviens pas voir dit le même jour : Le père Praet parle toujours des élections dans (page 353) le confessionnal. J'ai dit uniquement qu'un paysan, que je ne connais point, a dit un jour dans mon estaminet que le père Praet lui avait parlé des élections. Je reconnais que Volle, ayant dit qu’il voulait aller à confesse, j’ai répondu : S’il en est ainsi, allez chez le père Smits ou chez tout autre, mais point chez le père Praet. J’ai parlé ainsi à cause du propose tenu par le paysan dont j’ai parlé. Je ne me rappelle pas que Vollen m’ai dit le 18 de ce mois : Maer, baes, wie is het die dit heefts komen zeggen heeft uit de biecht ? et que je lui ai répondu deux fois : Gy zelf. »
Messieurs, voici la déposition de Servais, âgé de 29 ans, employé à la station du chemin de fer :
« C'est postérieurement uie nous nous sommes rendus le même jour chez le sieur Dierickx. Vollen a dit qu'il voulait aller à confesse, et Dierickx a répondu : Vous pouvez aller chez le père Smits ou chez le père Praet, si vous montrez à ce dernier le Belge, vous aurez de suite i l'absolution. »
M. B. Dumortier. - Ce sont des propos de cabaret.
M. De Fré - Ce sont des propos de confessionnal.
M. B. Dumortier. - De cabaret.
M. le président. - Qu'on laisse continuer l'orateur et qu'on ne l'interrompe pas.
M. De Fré. - Je veux tout lire.
« Il a ajouté que le père Smits ne s'occupait pas des élections. Dierickx et sa femme m'ont raconté l'un et l'autre, que plusieurs paysans leur avaient rapporté que, lorsqu'ils allaient à confesse, ils plaçaient ostensiblement, dans leur habit, un numéro du Belge, afin de recevoir l'absolution sans difficulté.
« Dierickx a dit, en montrant Vollen, que c'était celui-ci qui lui avait dit qu'au confessionnal on lui avait parlé des élections. »
Cela n'empêche pas la note de la minorité d'imprimer : »Il ne reste pas moins constaté que le fait de l'intervention du confessionnal est démenti. »
Je ne veux rien dire de désagréable à d'honorables collègues ; mais je les renvoie à leur conscience.
On a nié la sacristie, écoutez l'enquête :
Vanrattenborgh, secrétaire communal, premier témoin :
« Un électeur de Neerlinter, du nom d'Henri Scots a dit au témoin « que quelques jours avant les élections, le curé l'a fait appeler dans la sacristie et lui a demandé s'il voulait voter pour sa liste, en lui promettant huit à dix francs. Cet électeur a accepté le bulletin et refusé l'argent.
« Sur l'interpellation d'un membre, le témoin ajoute : J'ai entendu dire également qu'une somme de cinq à sept francs avait été donnée à des électeurs votant pour la liste libérale. Le témoin ne peut indiquer leurs noms. »
Jean Matterne, cultivateur, à Halle-Boyenhoven, 93ème témoin :
« Quelques jours avant les élections, pendant la messe, on m'a fait avertir par le sacristain de ne pas quitter avant d'avoir parlé au vicaire qui avait quelque chose à me dire. On avait appelé, en même temps que moi, deux autres électeurs. Introduit après la messe dans la sacristie, le vicaire me remit huit francs et un billet pour le déposer dans l'urne ; les deux autres ont reçu, comme moi, un billet et huit francs. »
Pierre-Jean Ceulemans, sacristain à Keerbergen, 99èmee témoin.
« Le vicaire m'a remis un billet et une pièce de cinq francs dans la sacristie, en me disant : Il y a mardi des élections, voilà pour les frais de voyage. »
Et maintenant lisez la note de la minorité !
M. Allard. - Ce ne sont pas des propos de cabaret, cela !
M. De Fré. - Messieurs, il y aurait à faire à cette note d'autres petites réfutations très insignifiantes. Mais je ne veux pas abuser de vos instants et j'arrive aux réclamations produites par les pétitionnaires de Louvain et des environs, et à cet égard je présenterai à la Chambre une simple observation. Lorsqu'on a demandé hier l'impression de ces pétitions, la majorité de la commission n'a produit aucune objection, afin de ne laisser à ceux qui combattent les conclusions du rapport, aucun prétexte à des accusations injustes.
Mais il y a quelque chose d'anomal dans cette procédure.
Voilà une commission d'enquête instituée par le parlement. Ce n'est pas seulement une commission, mais c'est, en même temps, un tribunal ; devant ce tribunal ont comparu près de 200 témoins. Ces témoins entendus, le tribunal délibère ; il juge, entre les dénégations des uns et les affirmations des autres, il les apprécie, il les pèse.
Et quand ce tribunal a prononcé, et que la Chambre est désormais seule appelée à discuter avec la commission, voilà les témoins entendus qui viennent contester à cette commission, qui est votre émanation, la bonne appréciation de leurs dépositions ! Je dis que c'est étrange.
Mais toutes ces pétitions portent sur des équivoques ou bien ne renversent en rien les conclusions du rapport, et partant sont sans influence sur le débat. Je vais vous en citer un exemple. Ainsi, un vicaire vous écrit : « Je n'ai pas offert d'argent et je l'ai déclaré. » Je n'ai pas offert d'argent ! Mais la commission trouvant, à côté du vicaire qui nie 4 témoins qui l'affirment, le reconnaît comme établi. La commission a fait ce que fait le juge lorsqu'il y a un témoin qui nie et 4 témoins qui affirment, il affirme aussi.
Nous avons admis des faits qui étaient niés par ceux qui 'es avaient commis, mais les avons admis après l'appréciation consciencieuse des dépositions contradictoires.
De ce qu'un fait est dénié, ce n'était pas une raison pour ne pas l'admettre dans de semblables circonstances, surtout quand on saura quelles doctrines ont été enseignées pour engager des hommes à venir mentir devant nous et que des mensonges se sont produits.
La première pétition qui est arrivée à la Chambre, c'est celle du comité catholique de Louvain qui s'en prend à une phrase du rapport : Le rapport porte : « D'après le notaire Van Orshoven de Tervueren, le vicaire de Halle-Boyenhoven a dû recevoir du comité de Louvain 250 fr. pour 25 électeurs. Il tenait ce fait du frère du vicaire, le docteur Tielemans, qui est venu le confirmer (paragraphe II du rapport). »
Cette proposition que le vicaire a dû recevoir résulte de deux dépositions formelles :
M. Van Orshoven dépose en ces termes : « Le docteur Tielemans m'avait dit que le comité électoral de Louvain avait envoyé une somme de 250 fr. à son frère, coadjuteur à Boyenhoven (43ème déposition.)
Le docteur Tielemans dit de son côté : « Quelque temps avant les élections, étant à dîner avec mon frère, vicaire à Halle-Boyenhoven, il me demanda si je n'avais pas de commission pour Louvain, disant qu'il devait y aller chercher de l'argent pour les élections, si cet argent n'était pas déjà envoyé ; il s'agissait de 250 francs pour 25 électeurs. » (187ème déposition.)
Le rapport a donc pu dire que le vicaire a dû recevoir 250 fr. pour 25 électeurs.
Que répond maintenant le comité de Louvain ? Le fait est matériellement faux. Le comité n'a pas envoyé 250 fr., ni aucune somme d'argent au vicaire de Halle-Boyenhoven.
Il n'a pas envoyé. Mais le vicaire n'a-t-il pas reçu ? Le rapport dit qu'il a dû recevoir. Et en effet il allait à Louvain pour recevoir. Cela résulte de la déposition formelle de deux hommes honorables. Le comité ne contredit pas le rapport. Il se live à un jeu de mois. Il aurait dû déclarer que le vicaire de Halle-Boyenhoven n'est pas venu recevoir, pour rencontrer le rapporteur de la commission, il s'en est bien gardé. Il se borne à dire qu'il n'a pas envoyé.
Vous voyez sur quelle équivoque cette protestation repose. Le rapporteur dit : « Le vicaire de Halle-Boyenhoven a dû recevoir de l'argent » et il pouvait le dire. Que répond le comité ? « Nous n'avons rien envoyé. » Mais le vicaire est allé à Louvain recevoir. (Interruption). Je vous montrerai d'autres équivoques. Je n'ai pas envoyé, dît le comité, donc votre rapport est faux. La question n'est pas de savoir si le comité a envoyé ou n'a pas envoyé, la question est de savoir si le vicaire a reçu. Or, deux témoins l'affirment. Le juge dans ce cas, appréciant la moralité des témoins, affirme le fait avec eux.
Et maintenant il y a, à côté de ces dépositions, d'autres dépositions qui établissent que de l'argent a été offert à des électeurs de Halle-Boyenhoven. Vous vous rappelez ce que Materne déclare : de l’argent a été offert dans la sacristie, par le vicaire !
Un autre témoin a dit que, le long de la route, les électeurs de cette commune se disputaient, parce que les uns avaient reçu 10 francs et les autres huit francs (témoins 93 et 87). Ainsi, que l'argent ait été envoyé à Halle-Boyenhoven, ou que le vicaire soit allé le chercher à Louvain, toujours est-il constant que de l'argent a été remis à des électeurs de cette commune...
M. B. Dumortier. - Le fait est faux.
M. le président. - N'interrompez pas ; vous interpréterez l'enquête à votre manière.
M. De Fré, rapporteur. - Faites-vous inscrire, M. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Soyez tranquille ; je n'y manquerai pas !
M. le président. - M. De Fré, je vous prie de ne pas répondre aux interruptions.
M. De Fré, rapporteur. - Les autres réclamations sont dirigées contre des faits qui sont établis par des témoins. Ainsi le vicaire de Léau proteste contre un passage du rapport ; eh bien, ce passage du rapport est établi par 4 témoins.
Nous avons maintenant la dénégation du vicaire de Léau, mais vous verrez tout à l'heure quelle est la valeur de cette dénégation.
Vous avez le sieur Tielemans, le vicaire de Halle-Boyenhoven, qui vient lui-même déclarer qu'il n'a rien reçu du comité de Louvain ; mais à côté de cette déclaration, nous avons la déclaration d'autres témoins qui viennent affirmer le fait.
Et vous savez, messieurs, avec quelle difficulté il a fallu arracher la vérité à certains témoins. On leur demandait s'ils avaient connu le fait ; la crainte chez plusieurs et la pression chez d'autres ont produit de grandes hésitations et souvent des déclarations qui n'étaient ni tout à fait vraies ni tout à fait sincères.
(page 354) Vient la pétition de M. Emile de Becker. M. Emile de Becker reproche au rapport de n'avoir pas donné toute sa déposition ; ce qui n'était pas possible ; il reproche aussi de l'avoir mal appréciée. L'appréciation bonne ou mauvaise est l'œuvre de la commission qui apprécie comme elle l’entend et n'a pas à discuter avec les pétitionnaires.
Ils ont déposé devant nous ; leurs dépositions sont actées ; vous seuls vous aurez à les juger. Si a commission d'enquête a mal apprécié, vous rejetterez la conclusion ; mais vous ne la rejetterez pas, parce qu'elle déplaît à certains témoins.
Je n'entre pas davantage dans l'examen de ces pétitions. J'ai voulu seulement établir que ces pétitions, qui ont toujours été annoncées avec tant de fracas, qui ont été réduites dans tant de journaux, comme constituant des démentis, comme souffletant pour ainsi dire au visage la majorité de la commission, ne reposent sur rien de sérieux, qu'elles ont été inspirées par un mauvais esprit, pour étouffer la vérité ; ces pétitions ont été produites comme une stratégie, afin de détruire une œuvre sérieuse, une œuvre consciencieuse, el que vous voterez avec la majorité de la commission.
Messieurs, je vous ai montré le prêtre avec de l'argent pour faire triompher une liste électorale. Je vous ai montré le prêtre distribuant de l'argent et des bulletins dans la sacristie ; je vous ai montré le prêtre employant le confessionnal pour faire triompher une liste électorale. Je vais vous montrer le prêtre enseignant te mensonge pour faire triompher une liste électorale.
A Léau, le vicaire dit au fils de Janquin : « Votre père a promis de voter pour la liste libérale ; voici dix francs ; que votre père vote pour la liste catholique et qu'il dise ensuite au notaire Dassis qu'il a voté pour la liste libérale. »
Ce fait est confirmé par quatre dépositions, par la déposition de M. Weustenraed, par celle de Mme Weustenraed, par celle de Raveaux et par celle de Hannon. Or, qu'est-ce que cel ? C'est enseigner le mensonge. Vous allez voir comment l'enseignement a fructifié.
Janquin avait déclaré ce fait à quatre témoins ; c'était avant que l'enquête fût ordonnée ; et quand l'enquête est ordonnée, interpellé, Janquin, dit devant trois témoins qui sont venus l'affirmer, qu'il n'aurait pas déclaré devant la commission d'enquête que le vicaire lui a offert dix francs ; sur quoi on lui dit : « Vous prêterez donc un faux serment ; c'est digne d un honnête homme ! »
Janquin ne répond pas ; Janquin vient devant la commission d'enquête, et là, coufronté avec d'autres témoins, il déclare que le prêtre n'a pas offert 10 francs. Voilà l’enseignement donné par le prêtre ; il avait dit à ce villageois : « Vous pouvez mentir... »
M. Thibaut. - Cela n'est pas vrai !
M. B. Dumortier. - C'est indigne. Ce que vous dites est tout à fait contraire à l'enquête.
M. De Fré, rapporteur. - C'est téméraire, M. Dumortier ; vous me forcez à lire la déposition.
M. B. Dumortier. - Lisez-la tout entière ; pas de coupures.
M. De Fré, rapporteur. - Je dis que le mensonge a été enseigné...
- Des membres. - Non ! Non !
M. De Fré, rapporteur. - Vos clameurs n'étoufferont pas la vérité.
M. B. Dumortier. - Et votre parole non plus !
M. De Fré, rapporteur. - Cette enquête a été produite dans le pays tout entier ; si vous protestez, c'est que la vérité vous blesse ; vous ne la supportez pas, c'est qu'elle vous tue. (Interruption.)
Messieurs, l'application de la doctrine enseignée par le prêtre s'est faite par d'autres témoins et voici la doctrine, car tout est vieux dans ce monde. Sanchez enseigne :
« On peut jurer qu'on n'a pas fait une chose, quoiqu'on l'ait faite effectivement en entendant en soi-même qu'on ne l’a pas faite un certain jour, ou avant qu'on fût né, ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille, sans que les paroles dont on se sert aient aucun sens qui le puisse faire reconnaître. Et cela est fort commode en beaucoup de rencontres et est toujours très juste quand cela est nécessaire ou utile pour la santé, l'honneur ou le bien. »
Voilà la doctrine et en voici l'application :
M. le notaire Dassis déclare : « J'ai pour troisième commis Auguste Janquimn ; une personne, dont je ne puis pas retrouver le nom, m'avait signalé Janquin père, comme allant rarement aux élections ; je chargeai le fils de prier son père d'y aller pour me faire plaisir ; après avoir refusé d'abord, le père, à ce que me dit son fils, finit par consentir ; je ne songeais plus à l'affaire, lorsque quelques jours avant les élections, Auguste me dit que son père n'irait pas, que le doyen de Tirlemont étant arrivé à Léau, fait que je savais vrai, parce que j'avais rencontré, en sortant de Léau, le doyen qui y entrait en tilbury ; mon commis ajouta qu’aussitôt après l’arrivée du doyen, le curé s’était mis en route ; qu’il était venu chez son père lui demander d’aller aux élections ; qu’ayant fait remarquer ensuite à Janquin père que le fils étant employé chez le notaire Dassis, il était probable que Janquin père voterait dans le sens de ce notaire ; le curé ajoura : Voici un billet, mettez-le dans l’urne et déchirez le billet venant de M. Dassis, mais dites-lui que vous le mettrez. »
Voilà le mensonge. Pourquoi criez-vous ainsi chaque fois que je suis obligé de lire une pièce ? Elle prouve que vous feriez mieux de ne pas crier, puisque vous me forcez de prolonger mon discours, ce qui est fatigant pour vous et pour moi. Chaque fois que vous me provoquez, vous voyez que vous êtes battus par l'enquête même. Le témoin continue :
« Je croyais avoir compris que le curé aurait engagé mène Janquin à affirmer le mensonge qu'il conseillait sous serment ; mais ayant reparlé de l'affaire avec mon deuxième commis celui-ci me dit qu'il n'avait pas été question de serment, mais seulement d'affirmation ou de promesse, dont le curé disait qu'on pouvait être délié. Réflexion faite, à mon tour, je crois que les choses se sont passées de cette dernière façon. »
Réflexion que je fais à mon tour : Je crois que les choses se sont passées de cette dernière façon.
Voici la déposition de Weustenraed, qui confirme celle de M. Dassis :
« A une époque voisine des élections, je ne sais si c'est avant ou après, Auguste Janquin, clerc du notaire Dassis, a dit devant moi, ma femme, M. Ravaux et M. Hannon dit Kox, parlant avec nous de la pression des prêtres dans les élections, que le vicaire de Léau était venu chez son père, qui était absent ; que le vicaire lui avait offert, pour son père, un billet et dix francs ; qu'il avait ajouté, que quoique clerc du notaire Dassis, l'acceptation du billet et des dix francs ne pouvait le compromettre, puisque son père pouvait très bien voter pour les catholiques, et lui, Auguste, laisser croire à son patron que le père votait pour les libéraux ; que, néanmoins, lui, Auguste Janquin, avait refusé le billet et l'argent. »
Voici la disposition de Ravaux.
« Un soir, vers l'époque des élections, j'étais rentré chez M. Weustenraed, où se trouvaient assis à la porte, avec lui, Auguste Janquin et Hannon, ainsi que madame Weustenraed. La conversation s'engagea sur les élections ; on parla de démarches faites par les prêtres pour déterminer les électeurs à voter ; Janquin dit : Ils sont aussi venus chez nous. Weustenraed lui demanda : Ils ont sans doute offert de l'argent ? Janquin hésitant de répondre, M. Weustenraed insista, en disant : Dites-le franchement. Janquin répondit : Eh a bien, oui ! »
Voici maintenant la déposition de Hannon.
« Un soir, après les élections, Janquin se trouvait avec moi et Ravaux chez M. Weustenraed ; madame était présente ; on cause des élections, et Janquin dit que le vicaire de Léau était venu chez son père, le père étant absent ; que le vicaire lui avait offert pour son père un billet et dix francs, que lui avait répondu que son père avait l'habitude de faire son billet lui-même ; sur cela, le vicaire reprit : Vous travaillez chez le notaire Dassis, mais vous pourrez très bien lui laisser croire que votre père vote dans le sens de M. Dassis, et prendre les dix francs, mais si vous prenez les dix francs, votre père doit déposer mon billet. Je ne sais plus si Janquin a déclaré avoir accepté ou refusé l'argent et le billet.
« Lorsqu'il fut question de l'enquête, je me retrouvai avec Janquin et Mme Weustenraed ; il fut question de devoir peut-être aller déposer, et Mme Weustenraed rappela à Janquin ce qu'il avait dit autrefois du vicaire et des dix francs. Janquin semblait troublé et s'écria : Je dirai que cela n'est pas vrai. Je lui observai qu'il ferait ainsi un faux serment, que cela n'était pas bien pour un homme honnête (deftige) Janquin ne répondit pas et nous nous sommes séparés.»
Voici la déposition de madame Weustenraed :
« Vers l'époque des élections, sans que je puisse préciser si c'était avant ou après, en présence de M. Rivaux, de mon mari, de moi et de Louis Hannon, on a causé d'élections et des influences qu'avait exercées le clergé. Auguste Janquin, qui était également là, a dit à mon mari que le vicaire de Léau était venu chez son père et avait offert un billet et de l’argent ; il me serait impossible de me rappeler exactement la somme ; cette conversation m'avait troublée ; je n'avais pas cru, jusqu’alors, que le clergé pourrait employer de pareils moyens, et la déclaration de Janquin me surprenait fort. Janquin, à qui on demandait si son père était à la maison, a répondu que non, qu'il y était seul Je ne puis pas dire si Janquin a déclaré avoir reçu ou refusé l'argent et le billet.
« A l'époque où l'enquête venait d'être ordonnée, j'ai rencontré Janquin avec M. Hannon chez un tailleur, et je lui ai dit : La gazette annonce qu'il y aura une enquête et vous serez obligé d'aller à Louvain, parce que je croyais que l'enquête se serait tenue dans cette ville ; comme Janquin et Hannon paraissaient ne pas connaître la décision de la Chambre, je suis allé chercher le journal pour le leur montrer ; pendant mon absence, la conversation a continue entre eux et au moment où je suis revenue, il était question de la déclaration faite par Janquin devant moi, dont je viens de parler plus haut et de l'offre d'argent faite par le vicaire. Janquin dit : Je dirai tout de même que ce n'est pas vrai ; ik zal toch zeggen dat het niet waer en is.
« Hannon lui a dit, ou moi, mais je pense que c'est plutôt M. Hannon : Dan zyt gy een deftig man ! Dans ce cas, vous êtes un honnête homme ? ce qui était dans sa bouche une ironie. Mais j'ai alors ajouté, qu'il allait faire un faux serment et que, pour ma part, je n'en ferais pas un pareil pour cent mille francs ! Janquin n'a pas répondu, et la conversation est tombée ; je suis partie, je n'ai pas entendu dire par Janquin, lorsqu'il a parlé pour la première fois devant moi, que le vicaire lui (page 355) aurait dit qu'une promesse à Dassis ne devait pas le gêner, que son père pouvait voter pour la liste du vicaire et qu'il pouvait lui dire ou laisser croire le contraire à M. Dassis ; je n'ai pas pris une attention continuelle à une conversation de ce genre. Mon mari n'est pas électeur. »
Voici la seconde partie de la déposition de M. Weustenraed, après que la Chambre eut ordonné une enquête.
« Après que la Chambre eut ordonné une enquête, ma femme a rappelé à Janquin : Vous êtes exposé à aller déposer à Louvain ; on croyait que l'enquête s'y tiendrait.
« Janquin n'a pas nié la conversation, mais a dit : Je dirai que cela n'est pas vrai ; M. Hannon était présent à cette seconde scène ; ma femme a ajouté : Vous allez donc faire un faux serment. Il n'a rien répondu. Il paraissait au témoin au regret de l'avoir dit. »
Messieurs, il résulte de ces dépositions que Janquin a dit que le vicaire avait offert 10 francs et un billet. Il en résulte en second lieu que le vicaire a dit à Janquin : Vous pouvez dire au notaire Dassis, que votre père vote pour les libéraux ; et votez pour les catholiques. C'est à-dire que le vicaire enseignait le mensonge.
Il résulte de ces dépositions que ce Janquin, ayant subi l'influence de cette leçon cléricale, est venu dire : Je mentirai.
Et maintenant Janquin paraît devant nous, il paraît devant la commission d'enquête et Janquin nie le fait ; mis en présence de M. Weusteuraed, mis en présence de M. Hannon, mis en présence de M. Ravaux, il persiste à nier.
Voilà l’enseignement qui ressort de cette enquête.
M. B. Dumortier. - Voilà la vérité !
M. De Fré. - Et quand je vous disais, M. Dumortier, que mon rapport était modéré....
M. le président. -Parlez au président ou à la Chambre ; ne vous adressez pas à M. Dumortier.
M. De Fré. - Quand je disais à M. Dumortier, M. le président. (Interruption.)
Le jour où j'ai donné lecture de mon rapport, quelques cris étranges se sont produits. Il semblait que ce rapport était une œuvre de partialité.
Eh bien, ce rapport mettait en lumière l'abstention complète des candidats élus, ce qui était un acte d'impartialité.
Ce rapport mettait en lumière la conduite honorable de deux prêtres, ce qui était un acte d'impartialité. Ce rapport n'a pas dit que le mensonge avait été enseigné, ce qui était un acte de modération ; et j'avais raison de dire à l’honorable M. Dumortier : Je vous prouverai que mon rapport est modéré. Lorsque j'ai donné lecture de mon rapport à mes deux honorables collègues de la commission ; je leur ai dit aussi : Messieurs, mon rapport est modéré ; car eux, connaissaient les faits ; ils savaient que si j'avais voulu faire une œuvre non pas partiale, mes deux honorables collègues n'auraient pas souscrit à une œuvre pareille, leur caractère et leurs antécédents protestent contre une pareille hypothèse ; mais, si j'avais voulu faire une œuvre violente, j'aurais mis en lumière des faits de ce genre.
Je ne l'ai pas fait et c'est parce que j'ai été provoqué d'une manière aussi imprudente que j'ai voulu vous établir aujourd'hui ce mauvais enseignement qui avait été donné par le prêtre et qui a fructifié, je l'ai démontré.
Messieurs, ce qui est arrivé à Léau est arrivé à Diest. Le témoin Serré est venu déclarer devant la commission qu'il avait été appelé chez le vicaire Soeten qui lui avait offert de l'argent et un dîner, s'il votait pour les catholiques, et quand on dit que l'on n'est allé offrir de l'argent qu'à des catholiques, le boutiquier Serré répond qu'il était membre de l'association libérale de Diest et que son nom avait été publié comme tel dans la presse de l'endroit.
L'abbé Soeten vient devant la commission, s'il y a quelque bruit sur les bancs de la droite ou quelque doute, je lirai des dépositions. Mais ce qui vient de se passer à l'égard du vicaire de Léau doit lui donner la conviction que je n'avance rien à la légère, que tout ce que je dis est basé sur des pièces.
L'abbé Soeten soutient que Serré est venu lui parler d'élections. Serré déclare au contraire que l'abbé Soeten, pour lui mettre un bulletin et de l’argent en main, lui commande deux sacs de sarrasin et lui fait dire par sa servante de faire porter les sacs par un homme et de venir lui-même chercher l'argent. C'était un prétexte pour parler à Serré des élections. Lorsque Serré arrive chez l'abbé Soeten, celui-ci le paye et lui parle d'élection, l’abbé Soeten nie le fait.
M. B. Dumortier. - Quel fait ?
M. De Fré. - Le fait d'avoir fait venir Serré dans sa maison pour lui parler d'élections.
La déposition de Serré est confirmée par la déposition de M. Duysters, secrétaire communal de Diest.
Serré et Duysters sont confrontés ; l'abbé Soeten persiste. Le président fait acte des déclarations respectives des témoins et charge le juge de paix de Diest d'une commission rogatoire.
Le juge de paix de Diest fait venir la femme de Serré et la femme Serré vient dire que l'abbé Soeten a fait venir son mari, que ce que déclare l'abbé Soeten n'est pas exact, que c'est lui qui a fait venir Serré. On fait venir le porteur de sacs, et le porteur de sacs déclare en effet qu'il a porté deux sacs de sarrasin chez l'abbé Soeten et que son maître y est resté.
Si les membres de la droite le désirent, je lirai les dépositions.
Là, le vicaire vient déclarer que s'il a donné de l'argent, c'était du sien, et il se trouve que le vicaire est démenti par son propre clerc. Le clerc vient déclarer que l'argent avait été envoyé chez M. Vermylen, et Michiels de son côté vient déclarer que d'après la conversation qu'il a eue avec le vicaire, cet argent provenait de Louvain. Cependant le vicaire persiste dans sa dénégation.
Je dis, messieurs, qu’il résulte de cette enquête des choses déplorables, que les influences de toutes sortes ont été employées ; à côté du prêtre avec de l'argent, le prêtre dans le confessionnal, le prêtre dans la sacristie, le prêtre enseignant le mensonge, il ne manquait plus, que la bande de ces 150 coquins (je vous demande pardon du terme) pour faire triompher les amis de l'ordre, les amis de la propriété, les amis de la religion.
Aucun des membres présents ici n'aurait conseillé une pareille campagne. Je n'attaque personne ici, j'attaque ceux qui en dehors de cette enceinte se qualifiaient de conservateurs.
Conservateurs de quoi ?
Mais ne sentez-vous pas que vous ne conservez rien, que ceux qui s'intitulent conservateurs et qui, pour maintenir leur puissance politique, emploient le prêtre, tuent ce que la société a de plus précieux, ce dont l'homme a le plus besoin, le sentiment religieux.
Je ne suis pas de ceux qui veulent remplacer les croyances catholiques par le scepticisme ; l’homme a besoin d'idées religieuses, comme il a besoin de l'affection de la famille, comme il a besoin du sentiment de la paternité. (Interruption.)
Je ne comprends pas ces rires. Lorsque je parle de la vie morale de l'homme, pourquoi donc riez-vous ainsi ?
Je dis qu'au-dessus de tous ces sentiments qui attachent l'homme à sa famille, qui ensuite élargissant le cercle l'attachent à ses amis, il y a un sentiment plus grand : c'est le sentiment qui attache les générations passées aux générations futures.
Le sentiment religieux repose sur la croyance en Dieu et sur le dogme de l'immortalité de l’âme. La tombe, ce n'est pas le gouffre de l'éternité ; c'est la frontière d'un autre monde.
Eh bien, le campagnard personnifie le sentiment religieux dans le prêtre Il ne sait pas lire ; il ne peut pas se réfugier dans les livres des sages pour s'y retremper, quand il souffre, quand il se trouve brisé ; car pour lui le prêtre matérialise ce sentiment si fort et si précieux ; mais lorsqu'il voit le prêtre devenir un courtier électoral, allant de porte en porte, et refusant le pardon à ceux qui ne votent pas pour la liste qu'il lui présente, quel prestige a ce prêtre désormais ?
Je ne m'adresse pas ici à des adversaires politiques, je m'adresse à des hommes, à mes semblables. Voici une famille frappée par la mort d'un enfant ; la désolation remplit le cœur de tous ; plus rien de la terre ne peut consoler ce père qui vient de perdre son fils ; il ne faut pas ici des consolations terrestres, il faut les consolations surhumaines de la religion.
Eh bien, que voulez-vous que fasse le prêtre ? Quelle influence aura-t-il sur ce père accablé ? Pourra-t-il le consoler ? Pourra-t-il le retremper ? Et ne voyez-vous pas qu'en agissant comme font les conservateurs, ils ne conservent rien, puisqu'ils tuent le sentiment religieux sans lequel il n'y a ni consolation pour l'homme, ni progrès pour la société ?
M. Thibaut. - Messieurs, si le rapport contenait une exposition exacte, sincère et impartiale de l'enquête, nous n'aurions qu'une question à examiner, celle de savoir si les conclusions de la majorité de la commission sont logiquement déduites de l'exposition des faits.
Mais après une étude consciencieuse des témoignages recueillis dans l'enquête, j'ai acquis la conviction que M. le rapporteur s'est inspiré des doctrines de Sanchez, casuiste suis autorité, qu'il nous citait tout à l'heure, que son œuvre est, en quelque sorte, un défi lancé au bon sens, à l'impartialité et à la justice de la Chambre. A ce titre, messieurs, le rapport fait donc nécessairement partie de la discussion, et cela est tellement vrai, que l'honorable M. De Fré, dans son discours d'hier et dans celui d'aujourd'hui, s'est borné à le défendre.
Le rapport pose en fait et M. De Fré soutient que dans l'arrondissement de Louvain, la veille des élections du 14 juin 1849, des distributions considérables d'argent ont été faites aux électeurs pour les déterminer à voter en faveur de la liste qui a triomphé. (Rapport, page 14.)
L'enquête prouve seulement ce qui n'a jamais été contesté, que le parti conservateur a eu recours, comme il en avait le droit, à l'influence d'une indemnité pécuniaire pour déterminer des électeurs éloignés du chef-lieu et appartenant pour la plupart notoirement à l'opinion conservatrice, pour les déterminer, dis-je, à se rendre à Louvain, les laissant libres de voter selon leurs convictions.
Le rapport pose en fait et M. De Fré soutient que ceux qui recevaient cet argent de la main du clergé, se sont crus en conscience obligés de (page 356) de déposer dans l'urne le bulletin catholique qui leur avait été remis à cet effet.
L'enquête prouve au contraire que les quelques rares membres du clergé qui se sont occupés des élections, n'ont employé à l'égard des électeurs aucun moyen d'influence qui pût diminuer ou gêner leur liberté ; elle prouve même que plusieurs électeurs qui ont reçu des mains de leur curé ou de leur vicaire une indemnité pour frais de voyage et de séjour, n'ont pas laissé d'être comptés au nombre des électeurs libéraux et de voter pour la liste libérale.
Le rapport pose en fait et M. De Fré soutient que cet argent donné aux électeurs, sous prétexte de frais de voyage, constituait en réalité un achat de vote, parce que l’argent remis aux différents électeurs n'était en rapport ni avec la distance que chacun d'eux avait à parcourir, ni avec la situation de leur fortune personnelle.
L'enquête prouve au contraire que les petites sommes remises aux électeurs ne dépassaient jamais l'équivalent des frais de voyage, de séjour et de perte de temps, et étaient souvent au-dessous.
L'enquête démontre encore que le parti libéral a eu recours lui-même à l’influence de l'indemnité sous des formes diverses, pour amener à Louvain les électeurs sur les voix desquels il comptait.
L'enquête enfin démontre que le parti libéral seul a usé de moyens illégitimes, tels que menaces et promesses, billets marqués, pour imposer ses candidats à un certain nombre d'électeurs.
Messieurs, je ne relèverai pas les contradictions dans lesquelles M. le rapporteur est tombé, quand il affirme par exemple (paragraphe IV ? page 6) qu'à Tirlemont, à Tildonck, à Rotselaer, à Capellen, les électeurs ont passé subitement du camp libéral dans le camp conservateur, en les accusant ainsi d'une infâme trahison, tandis qu'ailleurs (paragraphe IV, page 5) il convient que ce sont des électeurs dont le parti conservateur connaissait les opinions, qu'il engageait à venir voter pour lui.
Je pourrais indiquer d'autres contradictions et montrer ainsi que, si la vérité a été maltraitée dans le rapport de M De Fré, elle n'a pas cependant perdu tous ses droits ; mais je préfère attaquer de front l'idée principale du rapporteur.
Il prétend que l'électeur qui recevait de l'argent perdait son indépendance, sa spontanéité, et n'était plus libre de voter comme il l'entendait ; il fonde cette assertion sur les observations suivantes :
1° Un bulletin conservateur était joint à la pièce d'argent.
2° L'argent remis à chaque électeur n'était pas en rapport avec la distance qu'ils avaient à parcourir ;
3° Les électeurs n'ont pas dépensé tout l'argent qu'ils ont reçu ;
4° L'argent était offert aux riches comme à ceux qui ne le sont pas ;
5° L'argent était distribué par des prêtres.
Il ne faut pas être grand logicien, messieurs, pour remarquer de suite que la conséquence tirée, par le rapporteur, de ces cinq propositions, est forcée. Ces propositions fussent-elles vraies, ni aucune d'elles, ni toutes ces propositions réunies, n'entraîneraient comme conséquence nécessaire ou seulement probable, la perte de la liberté de l'électeur dans un scrutin secret.
Nous allons, du reste, les examiner successivement et suivre le rapporteur pour ainsi dire mot à mot, l'enquête à la main.
Je prouverai facilement que le rapport est très incomplet et très inexact dans l'exposition des faits, très partial dans leur appréciation ; je prouverai que le système du rapporteur, c'est, partout où il y a un propos de cabaret contredit, nié ou désavoué par une déclaration sous serment, d'ajouter foi, sans hésiter, au propos de cabaret, et de rejeter la déclaration sous serment.
Premier point : Un bulletin conservateur était joint à la pièce d'argent.
Ce fait ne pourrait avoir de valeur que pour autant qu'on aurait fait accepter de l'argent et un bulletin conservateur, avec promesse de le déposer, à des électeurs qui manifestaient l'intention de voter pour la liste libérale.
Or, l'enquête prouve précisément le contraire.
Tous ceux qui ont distribué, au nom du parti conservateur, soit des billets, soit des indemnités pécuniaires, déclarent qu'ils n'ont exigé de personne la promesse de voter pour la liste conservatrice.
Aucun électeur ne reconnaît que semblable promesse ait été exigée de lui.
Mais, suivant le rapporteur : « Le notaire A Speculo dépose qu'à sa circulaire du 1er juin, qui renvoie au curé pour les frais de voyage, était joint un bulletin conservateur, de sorte que si des curés ont remis de l’argent sans bulletin, c'est que le notaire y avait déjà pourvu. »
Soit, mais prouvez-moi que l'électeur n'était plus libre d'en recevoir ou d’en écrire un autre, en un mot, de choisir outre les candidats.
« A Tirlemont, le vicaire va trouver Hillen, et lui offre de 5 à 10 fr. puis il lui dit : Je vous enverrai un bulletin. Suppose-t-on que le vicaire va envoyer un bulletin libéral ? »
Question naïve ? Certes, le vicaire se proposait d'envoyer un bulletin conservateur. Mais cela ne prouve pas que Hillen aurait perdu sa liberté. Je crois même que l'enquête prouve tout le contraire dans ce cas spécial. Que déclare Hillen ? Je lis sa déposition. (62ème témoin).
« A Boëns, le cure de Capellen offre 5 fr. et pas de billet, pourquoi ? Parce qu'un ami du curé lui en avait remis un. «
Boëns, 48e témoin, ne dit pas cela. Je lis sa déposition :
Si Boëns avait reçu un bulletin conservateur, il avait reçu deux billets libéraux, un de M. Peemans qui lui avait écrit, et un autre du notaire Dassis, dont il est locataire. Dassis avait même fait venir Boëns chez lui avant l'élection, et lui avait remis lui-même le bulletin en lui demandant de le déposer. Boëns, arrivant à Louvain le matin du 14 juin, se rend directement chez M. Peemans. Je le demande à tout homme de bonne foi, qui donc du curé ou du notaire ou de l'avocat, a enlevé la plus forte part de la liberté de Boëns ?
« A Keerbergen, le vicaire va trouver la femme de P. Buelens ; il laisse ur la table une pièce de 5 fr. et un billet, puis il dit à la femme que son mari devait le déposer dans l'urne. » (100ème déposition).
Je lis la 100ème déposition ; je n'y trouve par le propos prêté au vicaire.
«Michiels, entendu devant le juge d'instruction à Louvain, a déposé : Tous les électeurs auxquels j'ai parlé m'ont dit qu'ils avaient reçu une pièce de 5 fr. et un bulletin ; je dois ajouter que la remise de la pièce de 5 fr. était accompagnée d'un bulletin.
Mais Michiels, témoin bien important sans doute, puisque dans le rapport on fait cinq fois appel à son témoignage, et vous avez vu le parti que MM. Carlier et De Fré ont encore tiré de sa déposition dans leurs discours, Michiels, l'ami et le parent de membres du comité libéral de Louvain, Michiels reconnaît qu'il a reçu lui-même 5 fr. des mains du vicaire, mais qu’il n'en a pas reçu de bulletin. Il lui dit même : Vous n'êtes pas certain que je choisirai tous les candidats de votre liste.
Michiels, d'ailleurs, a écrit et signé cette déclaration qu'il n'est pas à sa connaissance que, dans sa commune, les membres du clergé aient donné de l'argent pour corrompre les électeurs.
Michiels, je le sais bien, a ensuite distingué, comme M. Carlier, comme M. De Fré à la séance d'hier. Il a voulu parler de la corruption juridique et non de cette autre corruption que M. De Fré a été chercher dans un texte de loi qui concerne les fonctionnaires de l'ordre administratif, c'est-à-dire des hommes qui reçoivent un traitement pour rendre au public les services qui dépendent de leurs fonctions et qui, par conséquent, ne peuvent accepter une autre rémunération.
Décidément M. Michiels est un homme habile ; nous apercevons ici l'influence des conseils d'un huissier recors dont je vous parlerai tout à l'heure.
Opdebeeck (97ème témoin), cabaretier à Keerbergen, déclare qu'il reçut 5 francs du vicaire pour son voyage, qu'il lui annonça sou intention de voter pour MM. de Luesemans et d'Udekem, que le vicaire répondit : « Ce sont aussi de braves gens », qu'enfin le vicaire lui remit un bulletin, mais que lui, Opdebeeck, en fit écrire un autre.
Un troisième témoin de Keerbergen, Gens, donne sa pièce de 5 fr. aux pauvres.
Voilà, messieurs, comment la pièce de 5 francs enchaînait la liberté de l'électeur, et lui enlevait sa spontanéité.
« A Haecht, le clerc distribue des bulletins avec une ou deux pièces de cinq francs. Le curé fait remettre dix francs à Rely, par l'intermédiaire de sa sœur. »
Ce grief est reproduit plus loin dans le rapport, quand M. De Fré soutient que la somme d'argent, donnée à chaque électeur n'était pas en rapport avec la distance qu'ils avaient à parcourir ; c'est à la page 8, paragraphe VIII.
« Des électeurs de Haecht, dit le rapporteur, ont reçu, les uns cinq francs, les autres dix francs. Chacun cependant avait la même route a à parcourir. »
M. De Fré, dans son discours, a ajouté : La caisse de Louvain a envoyé beaucoup d'argent à Haecht.
Cela est-il vrai ? Joseph Caluwaert, candidat notaire, dit l'avoir appris, au cabaret, de Van Dessel, clerc et instituteur à Haecht.
Schellemans, receveur des contributions, ainsi que Deswert, arpenteur juré, l'ont appris de la même manière.
Van Dessel (101ème témoin) déclare qu'il a reçu de l'argent pour ses frais de voyage et qu'il en a donné dans le même but à deux personnes.
Lorsqu'on lui fait connaître les dépositions de Caluwaert et autres, il déclare qu'il est possible qu'il ait dit cela au cabaret, mais que cela n'était pas vrai. Il ajoute qu'il était resté au cabaret jusqu'à 3 heures du matin avec les témoins entendus, d'où il faut conclure que de copieuses libations avaient bien pu troubler leur raison ; et ce qui autorise à le supposer, c'est qu'Edouard Caluwaert, assis avec eux à la même table, présent à la conversation, n'a rien entendu ou rien retenu, tellement il était ivre.
Rely (104ème témoin) reconnaît avoir dit au garde champêtre qu'il avait reçu du curé 10 fr. pour lui seul ; mais cela n’était pas vrai, Il avait reçu ces 10 francs de sa sœur, avec charge d'en remettre 5 à Vermylen. Le rapporteur laisse ignorer cette circonstance.
« A Diest, continue le rapporteur, on offre à Heusen 10 fr. sans dîner et à Serré 3 fr. avec dîner, s'ils veulent aller voter pour les catholiques. Sont-ce là des frais de voyage ? »
Comparons le rapport avec les dépositions :
Heusen, 45ème témoin, déclare : Le docteur Beckers, qui appartient à l'opinion catholique, est venu me demander si j'allais aux élections : ayant répondu que je n'en avais pas le goût, étant ouvrier, il m'offrit 10 fr. si je voulais aller à pied. Je répliquai que si le goût d'aller à (page 357) Louvain me venait, je pourrais y aller en voiture, ayant déjà un billet de transport gratuit pour b*s voilures libérales. Le docteur est parti ; il ne m'a pas olîert de bulletin.
Serré, 75ème témoin, dépose : L'abbé Soeten m'a demandé si j'allais aux élections, je lui répondis que je n'étais pas décidé : M. Soeten ajouta que je devais le faire pour le bien du pays, et comme je faisais observer que les frais étaient très grands pour le séjour et le voyage, il me dit : Si vous votez pour nous, vous n'aurez rien à débourser, vous aurez trois francs et un dîner à Louvain. J'ai dit que je n'étais pas décidé, que je verrais et je n'ai plus en de rapports avec M. Soeten.
Continuons : « A Léau le vicaire offre à Janquin dix francs. »
Messieurs, vous vous rappelez ce qui s'est passé il n'y a qu'un instant relativement au vicaire de Léau et à Janquin.
Lorsque M. De Fré a osé dire que le vicaire de Léau avait enseigné la théorie du mensonge, à un jeune homme de cette commune, je l'ai interrompu, en m'écriant dans un mouvement d'indignation : « Cela n'est pas vrai. » Je maintiens cette interruption. Il n'est pas vrai que le vicaire de Léau ait conseillé à Janquin de mentir.
Ce qui seul est vrai, c'est que des témoins ont déclaré que Janquin avait tenu devant eux, sur le compte du vicaire, certains propos démentis par Janquin en présence de la commission.
Je n'examine pas si les dépositions de ces témoins sont exactes ; mais le fussent-elles, Janquin eût-il, en présence de Weustenraed, de sa femme, de Ravaux. de Hannon, accusé le vicaire ; eût-il dit que le vicaire l'avait engagé à laisser son père voter pour les catholiques et à faire croire à son patron, le notaire Dassis, qu'il votait pourle-s libéraux ; eût-il dit que le curé avait prononcé les paroles rapportées dans la déposition de Dassis, M. De Fié n'avait pas le droit d'affirmer que le vicaire de Léau a enseigné la théorie du mensonge. Il l'avait d'autant moins, que Janquin a déclaré sous serment devant la commission qu'il n'avait pas tenu sur le vicaire les propos qu'on lui impute. Et si sa déposition de le disculpe pas, elle disculpe certainement le vicaire.
Je tiens d'honorables membres qui ont assisté à la déposition de Janquin, que M. le président de la commission a fait comprendre à ce jeune homme toute la gravité de sa situation, puisqu'il se mettait en contradiction avec de nombreux témoignages, et notamment avec la déposition de sou patron le notaire Dassis.
Néanmoins il n'est sorti de la bouche de Janquin, devant la commission, aucune parole qui puisse justifier l'odieuse accusation lancée par M. De Fré contre le vicaire de Léau.
M. De Fré n'a pas craint de taxer de légèreté l'un des vétérans de nos assemblées, l'honorable M. Dumortier. M. De Fré n'a pas craint d'adresser un semblable reproche à l'honorable M. de Muelenaere, l'une des gloires du parlement ; M. De Fré doit maintenant se retourner contre lui-même et s'adresser des reproches bien autrement graves, et plus justement mérités.
Messieurs, vous avez entendu la lecture faite par M. le rapporteur de toutes les dépositions qui accusent Janquin, mais on a omis de vous faire connaître celle de Janquin lui-même et celle du vicaire. Les voici : (L'orateur en donne lecture.)
J'appelle, messieurs, votre attention sur ce passage : « Je lui ai dit que ce n'était pas à moi à craindre, que c'était plutôt à lui, puisqu'il avait dit à de nombreux témoins, d'après ce qui m'était revenu, que je lui avait offert de l'argent et que maintenant il allait être obligé de déclarer devant la commission que ce fait n'était pas vrai. »
Si donc le vicaire a fait une leçon de morale à Janquin, elle consiste à l'engager à reconnaître ses torts et à ne pas persister dans un mensonge.
A Budingen le vicaire offre à Koninck 15 fr.... en demandant si c'est assez et Koninck répond : C'est trop beaucoup trop.
C'est là ce qu'affirme J. Van Entbrouck (85ème témoin) comme l'ayant entendu dire à Koninck dans un estaminet.
Vanden Bossche, 86ème témoin, confirme ce propos et il ajoute :
Koninck paraissait parler sérieusement quoiqu'il plaisante souvent.
Forton, 84ème témoin, garde champêtre répète à peu près la même chose. Il ajoute : Koninck a dit au fils du bourgmestre qui lui reprochait d'être un soldat du pape, que si son père, le bourgmestre l'eût fait appeler, il serait allé voter pour les libéraux.
Koninck (82ème témoin), dépose : Tout ce que j'ai dit jusqu'ici concernant ce qui m'est arrivé au moment des élections, a été dit pour plaisanter ; mais aujourd'hui que je dépose sous serment, je déclare que le vicaire est venu me demander d'aller aux élections : qu'ayant répondu que je n'en avais pas l'intention, il a insisté et m'a remis même un billet ; puis, comme je parlais des frais du voyage, il a mis la main à son porte-monnaie, en disant qu'il y avait là 6 francs que je pouvais prendre pour mes frais de voyage ; j'ai refusé en disant que si j'allais voter, je le ferais à mes frais. Je n'ai pas été aux élections.
M. le rapporteur croit à ce que Koninck a dit au cabaret ; il ne croit pas à sa déposition devant la commission.
« Les électeurs de Halle-Boyenhoven, dit le rapport, se disputaient le long de la route, parce que les uns avaient reçu 10 francs et les autres huit... » A l'appui de cette affirmation, le rapporteur cite la 87ème déposition.
Weustenraed, chef de service aux accises de Léau, 87ème témoin, dépose qu'un cabaretier d'Orsmae1, Jean Stiers, lui a dit avoir suivi le jour des élections ce qu'il appelle un troupeau d'électeurs de Halle-Boyenhoven, qui se disputaient parce que les uns avaient reçu 10 francs et que les autres n'en avaient reçu que 8. Le fait est-il vrau ? Weustenreas n’oserait l’affirmer, et Jean Stiers n’a pas été entendu par la commission.
« A Campenhout, le soir de l'élection, le voyage payé, des électeurs commandaient de la bière en s'écriant : L'argent donné doit être dépensé tout entier. »
C'est Deridder, 35ème témoin, qui rapporte que Daniel Deleutre lui a dit que cela s'était passé dans le cabaret Simons, à Campenhout. Deleutre n'est pas même de Campenhout, il est négociant au canal de Louvain. Il n'a pas été entendu par la commission.
Deridder a rapporté un de ces cancans qui courent les rues après les élections, et le rapporteur y ajoute foi sans exqmen.
Poursuivons : « M. Mertens de Montaigu est transporté gratis ; il a un dîner, une bonne bouteille et une bonne pièce. Il fait éclater sa joie à Veyenborg... le bonheur le trouble au point qu'il dépose dans l'urne, au lieu d'un bulletin catholique, une commande de sabots !! »
Il y a ici, dans le rapport, deux points d'exclamation ; c'est sans doute pour appeler l'attention du lecteur sur ce curieux rapprochement, je n'ose pas dire, sur cette assimilation entre un bulletin catholique et une commande de sabots, quoique M. De Fré soit riche en comparaisons singulières, puisque, hier, il comparait son rapport à un fromage.
Eh bien, M. le rapporteur, qui a dû entendre tous les témoins, a oublié ce qu'a dit Mertens (146ème témoin). Mertens déclare qu'il a reçu 2 fr. et qu'il a été transporté gratis. Avec les 2 francs il a payé son dîner, sa bonne bouteille, et il lui reste, d'après M. le rapporteur, une bonne pièce.
Mertens ajoute que quand il a dit à Veyenborg qu'il avait mis dans l'urne sa commande de sabots, il s'est trompé, car il l'a retrouvé plus tard et s'il a montré à Veyenborg un bulletin, c'est parce qu'au moment de voter, il en avait deux. M. le rapporteur se croira sans doute obligé à retirer ses deux points d'exclamation ; c'est le moins qu'il puisse faire.
Troisième point : Des électeurs n'ont pas dépensé tout l'argent qu'ils ont reçu, ils ont fait un lucre.
Oui, on en compte jusqu'à deux ; l'un a économisé, di-on, le prix d'un pantalon.
C'est Weustenraed, 87ème témoin, qui raconte sérieusement cette plaisanterie et M. De Fré l'a consignée non moins sérieusement dans son rapport. Weustenraed la tenait de Ramakers qui lui a dit qu'il avait fait route avec un électeur de Neerlinter ou d'Oplinter (il ne le désigne pas autrement) lequel avait mangé une croûte de pain et pris quelques verres de bière à Louvain, pour économiser les 10 fr. qu'il avait reçus avec lesquels il s'était acheté un pantalon.
Le fait est-il vrai ? Weustenraed n'oserait pas plus l'affirmer que celui qui concerne les électeurs de Halle-Boyerhoven. Le président de la commission y attachait du reste tellement peu d'importance, qu'il n'a pas fait citer Ramakers.
Quatrième point : « L'argent donné ne constitue pas une indemnité puisqu'on l'offre aux riches, comme au docteur Henrard de Léau, aux docteurs Haecx et Poplemont de Montaigu, au bourgmestre Michiels, etc. »
M. le rapporteur se fourvoie évidemment. Ce fait justifie la conclusion contraire. L'argent était si bien offert à titre d'indemnité, qu'on en a offert même à des personnes riches, sauf à celles-ci à le refuser.
Le docteur Haecx affirme que c'est l'usage à Léau, et il ne se montre nullement irrité de l'offre qui lui a été faite. Voir sa déposition (page 73).
Vous le voyez, messieurs, tout le paragraphe VIII du rapport est un tissu d'inexactitudes, d'affirmations téméraires, dénuées de preuves et démenties par les dépositions, et de faux raisonnements.
M. le rapporteur insiste beaucoup sur une cinquième considération, pour démontrer que l'électeur qui avait accepté de l'argent ou un bulletin conservateur, n'était plus libre. L'argent et le bulletin étaient remis par des membres du clergé. Voilà le grand grief.
Le rapporteur est entré hier et aujourd'hui dans de longs développements à cet égard. Il a mis dans son discours toute l'exagération que nous trouvons dans le rapport, page 3, paragraphe III. Voici les termes du rapport.
(L'orateur en donne lecture.)
Messieurs, le pouvoir des prêtres n'est pas tel que le dépeint M. le rapporteur, et le prêtre n'y prétend pas. Le clergé, comme corps, n'a pas d'ailleurs joué, dans le district de Louvain, le rôle qui lui est attribué par M. le rapporteur.
L'honorable M. Notelteirs, dans un discours substantiel qui n'a pas été réfuté, a établi que sur un nombre de plus de 150 prêtres répandus dans le district de Louvain, sans y comprendre le clergé de Louvain même et du canton, 10 seulement sont nominativement désignés comme s'étant occupés des élections.
(page 358) M. le rapporteur cite en premier lieu le curé de Léau. Qu'a-t-il fait personnellement ? Il s'est rendu chez trois électeurs et à l'un d'eux il a offert de rembourser ses frais de voyage. Pourquoi alla-t-il chez ces trois électeurs ? C'est, quoiqu'il lui répugnât de faire des courses électorales et de courir à la ronde comme un garde champêtre (ce qu'il n'a pas fait), cependant, en présence des démarches de M. Dassis, notaire à Léau, il ne pouvait s'abstenir complètement. Cette explication n'a pas trouvé place dans le rapport de l'impartial M. De Fré.
Le curé de Cappellen (50ème témoin) a donné à chaque électeur de sa paroisse 5 francs, mais il ajoute : Il n’y avait ni voiture, ni dîner commandé pour les électeurs de Cappellen.
Cette observation est négligée par M. De Fré.
M. Messens, vicaire à Tirlemont (65ème témoin) a dépensé quelque argent en faveur d'électeurs qui se plaignaient des frais.
Le vicaire de Keerbergen a aussi distribué quelques pièces de 5 fr. aux électeurs de cette commune. M. le rapporteur lui fait cependant une place à part du reste du clergé. Il le dépeint comme contraint et forcé de céder en gémissant aux ordres qui lui sont donnés. Cette insinuation a été puisée dans la déposition de l'huissier de Ridder, dont nous parlerons tantôt.
M. le rapporteur, à la différence de l'honorable M. Carlier, qui s'est plû à accabler le pauvre vicaire de Keerbergen, M. le rapporteur lui prête de nobles paroles qu'il relève comme la condamnation la plus sanglante des moyens employés dans la lutte électorale dont il s'agit.
Ces paroles si nobles sont extraites de la déposition de M. Michiels, bourgmestre de Keerbergen.
La déposition de M. Michiels (pages 65 et suivantes) serait digne d'une étude spéciale. Il faut la lire avec celle de l'huissier de Ridder (35ème témoin), son cousin germain, membre de l'association libérale de Louvain et l'un des signataires de la pétition qui a motivé l'enquête.
M. Michiels est libéral sans être, paraît-il, l'ennemi du clergé ; c'est un homme riche et intelligent, mais qui est complètement sous l'influence du terrible huissier de Ridder. C'est de Ridder qui l'a fait nommer bourgmestre par l'intervention de M. Peemans ; Michiels lui avait dit : Il y a dans ce canton un homme (le secrétaire Holemans, conseiller provincial) qui se met toujours dans vos jambes ; si je suis nommé, je saurai nettoyer tout cela.
De Ridder sait tout ce que Michiels a dit et entendu relativement aux élections, il le sait mieux que Michiels lui-même, et il en donne pour raison que depuis qu'il est question d'attaquer les élections de Louvain il a beaucoup causé de toute cette affaire avec son cousin Michiels, cherchant à lui rappeler les termes précis dont il s'était servi lui-même.
De Ridder a donc fait la leçon à son cousin ; ce qui n'empêche pas que leurs dépositions isolées ne soient contradictoires. Mais lorsqu'ils sont en présence, Michiels fléchit.
Ainsi De Ridder affirme que Michiels lui a raconté une conversation entre le vicaire et Holemans, qui lui avait été rapportée le lendemain par le vicaire lui-même.
Michiels, affirme, au contraire, qu'il n'a appris le fait sur lequel roulait cette conversation, que par de Ridder.
Michiels, qui avait promis à M. Derote (37ème témoin) d'amener à Louvain des électeurs libéraux, reçoit lui-même de son vicaire une pièce de 5 francs pour ses frais de voyage. Il déclare toutefois qu'on ne lui a pas offert de bulletin. De Ridder prétend que Michiels a reçu un bulletin et n'a accepté l'argent qu'en disant qu'il le donnerait aux pauvres. Michiels convient que c'est le vicaire qui lui a dit : Donnez-le aux pauvres si vous voulez, il ajoute qu'il n'en a pas encore fait cet usage.
Lorsqu'ils furent confrontés Michiels n'osa contredire de Ridder. Je ne nie pas, dit-il, lui avoir dit ce qui se trouve relaté dans sa déposition, mais je ne puis pas affirmer que cela soit exact. Et ailleurs : Si j’ai dit à l'huissier de Ridder que le vicaire m'avait offert un bulletin, j'ai dit une chose inexacte.
Ces observations suffisent pour vous prouver, messieurs, que vous ne pouvez pas avoir, comme M. De Fré, une confiance aveugle dans les déclarations de Michiels.
Quant au vicaire (36ème témoin), il déclare que le bourgmestre Michiels comme tous les électeurs, sans distinction d'opinion, a reçu sa pièce. « J'ai remis, dit-il, aux électeurs qui ne savaient pas écrire et à ceux qui me l'ont demandé, un bulletin. Je n'en ai pas remis aux autres. J'ai donné à chacun une pièce de 5 fr., pour ne faire aucune distinction. »
Tout cela est simple, naturel, et vous voyez que ce vicaire n'a mérité ni les éloges de M. De Fré, ni les injustes attaques de M. Carlier.
Nous arrivons, messieurs, aux distributions de bulletins dans la sacristie.
- Des membres. - A demain ! il est cinq heures.
M. Thibaut. - Je suis prêt à me conformer à ce que la Chambre désire.
- La Chambre, consultée, remet la suite de la discussion à demain à 2 heures.
La séance est levée à 5 heures.