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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 267) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des élèves de l'université de Liège proposent de rétablir toutes les distinctions académiques précédemment décernées pour les examens ou de les abolir toutes, à l'exception de la plus grande distinction. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des facteurs ruraux à la perception des postes à Malines demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée du budget des travaux publics. »


« Le sieur Genot, milicien congédié pour infirmité contractée an service, demande une pension. »

M. Desmaisières. - Le pétitionnaire étant réellement dans une situation extrêmement malheureuse et digne d'intérêt, je prie la Chambre de bien vouloir ordonner le renvoi de la requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Bruxelles et de Schaerbeek présentent des observations contre les dispositions du Code pénal relatives aux coalitions. »-

- Renvoi à la commission du Code pénal.


« Des habitants de Gand demandent une loi décrétant le vote par ordre alphabétique dans les élections/ »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi apportant des modifications à la loi électorale.

« Des distillateurs à St- Symphorien demandent des modifications de la loi du 26 août 1822, relativement à la décharge de l'accise. »

- Renvoi à la commission d s pétitions.


« Par dépêche du 5 décembre, M. le ministre de l'intérieur informe la Chambre qu’à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi, un Te Deum sera célébré le vendredi 16 de ce mois, à midi, en l'église des SS. Michel et Gudule.

- La Chambre décide qu'elle se rendra en corps à cette cérémonie.

Communication du gouvernement

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, une question très grave préoccupe depuis vingt ans le pays et a fait, dans ces derniers temps surtout, l'objet des préoccupations du gouvernement. Il s'agit de la question des octrois.

Au nombre des études qui ont été faites sur cette très importante question, se trouve l'examen du système des taxes locales en Angleterre Comme il a été souvent remarqué qu’en Angleterre les dépenses locales étaient acquittées autrement que par des octrois, j'ai cru qu'il était indispensable de faire constater d'une manière approfondie ce qui se pratique dans ce pays.

J'ai l'honneur du déposer sur le bureau de la Chambre un rapport complet sur les taxes locales en Angleterre.

Comme je l'ai-dit, je pense que nous pourrons ultérieurement soumettre des propositions à la Chambre

J'en ai l'espoir. Je crois être sur la voie d'une solution qui sera satisfaisante.

M. Prévinaire. - Je remercie M. le ministre des finances des documents qu'il vient de déposer et qui serviront à l'étude de la grave question qui préoccupe, comme il la très bien dit, le pays depuis si longtemps.

Mais je demanderai au gouvernement qu'il veuille bien compléter les renseignements qu'il a l’obligeance de nous donner, en cherchant à réunir, ce qui est facile, les documents se rapportant s la réforme importante qui s'est opérée depuis trois ou quatre ans en Hollande. Depuis trois ou quatre ans la Hollande a effectué une réforme très importante du système de ses impositions communales, et déjà les effets de cette importante réforme sont compris. Je crois que le gouvernement ferait chose utile en nous mettant à même d'apprécier quels ont été la nature, l'importance et les effets des réformes qui ont été produites dans ce pays, très avancé en économie politique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je pense que l'honorable membre est dans l'erreur sur le caractère et l'importance des réformes qui ont été opérées en Hollande. Au surplus, s'il existe quelque chose qui soit digne d'intérêt, je ferai en sorte de satisfaire à la demande de l'honorable membre.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du document déposé par M. le ministre des finances.

(page 274) M. Vander Donckt. - Messieurs, je n'aurais probablement pas demandé la parole dans cette discussion, si à propos du discours que j'ai prononcé dans la session passée sur la réforme postale, je n'avais été en butte à des attaques très amères de la part de quelques journaux qui prétendent se qualifier de journaux sérieux.

J'aurais encore passé outre et, comme on me l'a conseillé, j'aurais méprisé ces attaques.

Mais, lorsque j'ai entendu un honorable membre, répéter de nouveau dans cette enceinte ces paroles qui n'ont été dites, ni par moi, ni par aucun autre honorable membre, j'ai cru devoir rompre le silence.

Messieurs, voici ce qui a été dit dans une récente discussion, dans la séance du 18 novembre, si je ne me trompe. « Ainsi, quand il s'est agi de la réforme postale, un membre de cette Chambre a dit ; Les pauvres n'écrivent pas ; ceux qui n'ont pas 20 centimes à donner n'ont qu'à ne pas écrire. •

Messieurs, ces paroles n'ont été prononcées ni par moi ni par aucun honorable membre de cette Chambre, et je donne ici le défi le plus formel à celui qui s'est permis cette espèce de reproche odieux, de prouver que ces paroles ont été dites.

Messieurs, ce que j'ai dit à ce sujet, le voici :

J'ai dit que la réforme à 10 centimes, si elle se réalisait, serait faite au profit des classes aisées de la société, au profit de quelques maisons de commerce, de banque, des propriétaires, de journaux, en un mot aux classes aisées de la société ; qu'elle ne profiterait pas à la classe ouvrière ni à la classe des petits industriels.

C'est après avoir fait remarquer que cette réforme ne profiterait pas à la classe des petits industriels, que j’ai ajouté : Ceux qui ne veulent pas payer 20 centimes n'ont qu'à ne pas écrire. Mais je n'ai pas, dans cette circonstance, employé le mot « pauvre » que l'on m'a prêté gratuitement, pour ne rien dire de plus ; et, je le répète, ni moi, ni personne dans cette enceinte, n'a prononcé ces paroles.

Messieurs, hier l'honorable M. Vandenpeereboom a insisté de nouveau pour la réforme postale ; il nous l'a représentée comme une nécessité et il a ajouté que nos finances se trouvaient dans une situation brillante.

L'honorable membre me permettra de ne pas être de son avis. Loin que notre situation financière soit florissante, je dis que jamais nos finances n'ont été dans un état plus précaire. Comment ! toutes nos ressources, tout l'excédant de nos revenus sont engagés pour cinq ou six ans, et vous direz que cette situation est finissante ? Mais si cet excédant est engagé, il n'est plus le vôtre, vous ne pouvez plus en disposer.

Je dis donc, qu'à aucune époque, depuis notre émancipation politique, l'état de nos finances n’a été plus engagé qu'en ce moment.

Depuis le vote des fortifications d'Anvers, toutes nos ressources sont engagées. Eh bien, à peine ce vote était-il émis, que la première question qui a été discutée dans cette Chambre, c'est celle des péages sur les canaux.

Dans cette question, messieurs, on ne s'est pas contenté de ce que proposait le gouvernement, mais on lui a forcé la main ; on lui a dit : 25 p. c. de réduction ne suffisent pas, il faut 60 ou 75, et on a fini par voter une réduction de 40 p. c.

Voilà donc une première atteinte portée à nos finances en dehors des prévisions du gouvernement. Le gouvernement nous dit qu'il pouvait faire son ménage, mais certainement ce n’est pas en restreignant une à une les ressources du trésor public, que l'on mettra le gouvernement à même de continuer à faire son ménage, sans nouvelles charges pour les contribuables, sans devoir recourir à de nouveaux impôts.

Messieurs, la réforme postale ne dût-elle causer qu'une perte momentanée, comme le présument les honorables membres qui défendent cette mesure, encore faudrait-il reconnaître que c'est précisément au moment actuel qu'il faut maintenir intactes toutes nos ressources.

Comme je l'ai dit l’année dernière, messieurs, ce qui est sage, ce qui est à conseiller, c'est de laisser au gouvernement l'initiative de cette réforme ; en ce qui me concerne, aussi longtemps que le gouvernement ne la proposera pas, je voterai constamment contre toute proposition qui serait faite à cet égard par les membres de la Chambre.

J'ai dit encore l'année dernière que ce sont surtout les classes aisées qui payent cette légère taxe, laquelle n’est après tout, je le répète, que la (page 275) rémunération d'un service rendu. Un honorable membre a combattu cette assertion, mais je soutiens qu'elle est parfaitement exacte et l'honorable ministre des finances l'a victorieusement démontré.

Il a prouvé par les statistiques que ce sont bien réellement les classes aisées, le haut commerce, les banquiers et les propriétaires de journaux, astreints par état à des correspondances continuelles et multipliées, que ce sont ceux-là qui supportent la plus forte part de ce léger impôt.

Je convie la Chambre à ne pas voter légèrement cette réduction. Je la convie à laisser au gouvernement l'initiative de la réforme postale.

L'honorable M. Vandenpeereboom a dit l'année dernière :

« Nous sommes à la veille des élections, que dirons-nous à nos mandants lorsque nous rentrerons chez nous ? »

L'honorable ministre des finances lui a répondu :

« Vous direz que vous avez soigné les intérêts du trésor public. »

Eh bien, messieurs, nous devons encore dire la même chose à ceux qui nous demanderaient la réforme postale.

Je crois donc, messieurs, qu'il est sage de nous abstenir de rogner constamment les revenus de l'Etat, alors que le gouvernement lui-même ne propose pas les réductions.

J'ai dit.

(page 267) M. H. Dumortier. - Messieurs, hier à la fin de la séance, j'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Vermeire. Je serai d'être très court

Ainsi que vous avez pu le constater, l'honorable M. Vermeire, dans sa réponse aux observations que j'avais présentées sur la question des péages du chemin de fer, a considérablement déplacé le champ de la discussion. Dans sa réplique, l'honorable membre s'est, pour ainsi dire, uniquement borné à parler de l'uniformité du tarif, prétendant, et tout le monde est d'accord sur ce point, prétendant que les localités situées à une égale distance du point de départ et placées dans des conditions semblables, doivent être placées sur la même ligne quant aux péages, qu'il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures.

Là n'était pas la question. Mon discours a eu simplement pour objet de prouver qu'il est difficile de régler par des principes fixes et stable une chose de sa nature aussi essentiellement variable, que l'est le trafic commercial ; j'ai dit qu’en tous cas, il était possible de prendre des mesures par une loi, je ne croyais pas que le moment fût venu de procéder à une pareille réforme. Là était mon thème. Je ne suis pas sorti de cette proposition. En conséquence, je n'ai pas à répondre à ce que, dans sa réplique à mon discours, l'honorable M. Vermeire a dit relativement à l'uniformité du tarif.

Je pense donc que nous ne sommes pas aussi d'accord que l'honorable M. Vermeire voudrait le prétendre ; je crois que l'honorable membre a passé à côté de mes arguments, au lieu de les rencontrer.

A entendre l'honorable membre, le législateur de 1834 a exigé que le tarif fût fixé par une loi. J'ai fait inutilement des recherches dans la Pasinomie, et nulle part je n'ai trouvé un acte législatif quelconque, déclarant que les péages du chemin de fer seraient réglés par la loi.

J'ai sous les yeux la loi du 1er mai 1834. Cette loi est loin de dire ce que l’honorable M. Vermeire voudrait lui faire dire.

L'article 5 est ainsi conçu :

« Les produits du chemin de fer provenant des péages, qui devront être annuellement régies par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et l'administration de la nouvelle voie. »

Qu'est-ce à dire ? Peut-on trouver dans cette disposition l'obligation pour le gouvernement de présenter une loi spéciale fixant les bases du tarif des marchandises ?

Il ne s'agit pas là d'une loi particulière à faire ; le législateur n'a pas voulu que la question entière des péages fût abandonnée à la discrétion absolue du gouvernement ; il a voulu que les actes du gouvernement en cette matière fussent annuellement contrôlés ; et comment contrôlés ? Par une loi spéciale ? Pas le moins du monde ; mais par la loi du budget, car le budget est une loi ; et l'article 5 de la loi du 1er mai 1834 dit, non pas que les péages seront réglés par une loi, mais que les péages devront être annuellement réglés annuellement par la loi.

Le législateur n'a eu en vue qu'une chose, c'est de donner aux Chambres, lors de la discussion du budget des travaux publics, un contrôle suffisant sur les actes qui concernent cette branche du service public.

Je ne puis donc trouver dans cette disposition de loi ce que l'honorable membre voudrait y voir.

Le deuxième argument de l'honorable M. Vermeire est celui-ci : la surface de l’Europe est couverte de chemins de fer dont l'exploitation est réglée par des principes réglementaires fixes.

Il est démontré au contraire, par les témoignages les plus graves et les plus irrécusables, que, dans la plupart des pays, les péages ne sont pas plus établis par des règlements fixes que par des lois.

Il a été constaté que presque partout où il existe des tarifs bases sur des règles fixes, ces tarifs ne sont généralement pas appliqués dans la pratique, l'administration ayant d'autres tarifs qui lui servent dans l'application. Je n'insisterai pas davantage sur cet argument.

L’honorable membre a dit ensuite que l'administration qui avait renoncé aux traités particuliers pour tes remplacer par des tarifs spéciaux devrait, au lieu de spécialiser ses tarifs de faveur, donner à ceux-ci une application générale.

J'ai toujours soutenu cette opinion, à savoir que l’administration du chemin de fer ne devait accorder des faveurs exceptionnelles à personne. M. le ministre a exprimé la même opinion

Je demande, au contraire, que M. le ministre ne fasse plus de traités particuliers, de ces traités qui sont conclus à l’insu du public et ne peuvent pas être suffisamment contrôlés et qu'il y substitue des traités (page 268 spéciaux, c'est-à-dire que quand des localités se trouveront dans des cas identiques, elles seront traitées de la même manière.

Je ne crois pas nécessaire de m'étendre davantage sur ce point.

Je répondrai maintenant deux mots à l'honorable M. Vandenpeereboom.

L'honorable membre a cru devoir soulever de nouveau la question de la réduction de la taxe des lettres à un taux uniforme de 10 centimes.

J'admire la persévérance de l'honorable membre pour faire pénétrer cette idée dans le domaine de la loi. Cette persévérance, cette opiniâtreté comme il le disait lui-même, ne peut trouver sa source que dans une conviction profonde qu'il défend une idée juste et vraie.

Mais pour faire passer une idée du domaine de la théorie dans le domaine de l'administration, il ne suffit pas qu'une idée soit juste et vraie, il faut que le moment de la faire passer dans la loi soit opportun. L'honorable M. Vander Donckt vous a dit que le moment est fort mal choisi pour demander une réduction des ressources du trésor. Ce n'est pas quand on vient de voter tant de millions et de réduire des péages, qu’il convient de soulever une question qui doit entraîner une réduction considérable de nos recettes.

Je crois que l'honorable membre, dans l'intérêt de la réforme qu'il désire voir se réaliser, a été mal inspiré en renouvelant, cette année, cette discussion ; j'aurais désiré qu'il eût choisi un autre moment.

Peut-être l'a-t-il fait pour maintenir la question au rôle de la Chambre. Je pense, dans ce cas, qu'il s'est trompé ; ce n'est pas, selon moi le moyen de maintenir la question au rôle, c'est le moyen de l'user complétement ! Pour ce qui me concerne, l'année dernière j'ai voté en faveur de la proposition de M. Vandenpeereboom ; je persiste à croire que la réduction est une chose juste, mais je crois que le moment de l'opérer n'est pas arrivé.

Si donc une proposition était présentée cette année, je déclare que, sans rien renier de ma manière de voir sur cette question, pour le moment je serais obligé de m'abstenir.

M. Deliége, rapporteur. - J'ai demandé la parole, lorsque l'honorable M. Vandenpeereboom, s'adressant à ses amis, leur a dit qu'il fut un temps où ils l'excitaient à demander la réforme à 10 centimes, qu'aujourd'hui ils le laissaient dans l'abandon, qu'il avait même vu avec peine que plusieurs d'entre eux avaient déserté la cause de la réforme qu'il poursuit avec tant de persévérance.

Messieurs, la section centrale n'a pas oublié cette importante question. Elle en a fait l'objet d'une discussion ; elle a même demandé de renseignements au gouvernement. Mais, après cette discussion, après l'examen de ces renseignements, nous avons été unanimement d'avis que, dans l’intérêt de la question elle-même, il valait mieux l'ajourner, le moment n'étant pas opportun pour la soulever de nouveau ; nous avons même été unanimement d'avis qu'il n'en serait pas fait mention dans le rapport.

Pourquoi ? Messieurs, on vient de vous le dire.

Je crois que notre position financière est bonne, et j’en félicite le pays. Evidemment le revenu public a atteint un chiffre dont nous pouvons être satisfaits.

Mais qu'avons-nous fait ? Nous avons pensé d'abord à notre sûreté et nous avons disposé, sur ces revenus, d'une somme assez importante pour donner de l'air et de l'espace à la ville d'Anvers, et en même temps pour assurer la défense du pays. Ce que nous avons fait à cet égard, je ne le regrette nullement.

Nous avons en outre, en Belgique, une foule de travaux à compléter.

Nous avons décrété que ce complément serait fait. Nous avons donc, comme on vient de vous le dire, voté 40 millions pour les fortifications d'Anvers et une somme très importante pour compléter nos travaux publics. Nous avons agi comme un bon père de famille ; nous avons donné l'excédant de nos revenus au plus pressé.

Messieurs, remarquez-le bien, on vous l'a encore fait observer, nous avons en outre diminué considérablement nos revenus ; nous avons voté une diminution de revenu qui s'élèvera peut-être à 700,000 fr. la première année par suite de la réduction des péages. Nous avons ensuite fait des traités qui nous priveront d'un revenu de 400,000 fr. environ. Il l'a fallu peut-être ; le transit nous était disputé par plusieurs de nos voisins, et le gouvernement a cru devoir faire quelques sacrifices pour le conserver.

Mais est-ce bien le moment d'apporter encore une forte diminution dans nos revenus en votant l'amendement que semble vouloir proposer mon honorable ami, M. Vandenpeereboom, et que, mieux inspiré, il voudra bien ajourner, j'espère, à une autre session.

Messieurs, on vous l'a dit, et M. le ministre des finances vous l'a prouvé l'année dernière, le système postal, tel qu'il est établi en Belgique, est certainement un des plus libéraux de l'Europe ; c'est peut-être le plus libéral.

L'honorable M. Rodenbach vous a parlé hier du système postal anglais. Messieurs, je ne voudrais certainement pas faire l'échange de notre système contre le système anglais. Car, remarquez-le, nos commerçants, nos industriels peuvent envoyer d'un bout à l'autre de la Belgique, des avis, des annonces, toutes choses qui en Angleterre payent 10 c, nous les transportons pour un centime.

Il faut ensuite tenir compte de la réforme qui a été faite en faveur des journaux. Sous ce rapport, il y a danger à demander que le système, tel qu'il est appliqué en Angleterre, soit introduit en Belgique.

J'ai fait partie, il y a quelques années, d'une section centrale dans laquelle la majorité a paru demander qu'on rétablît le timbre des journaux, nous n'avons plus le timbre et nous transportons les journaux dans toutes les parties du pays pour un centime.

Je crois que nous ne devons pas compromettre cette bonne situation en réclamant une amélioration qui bien certainement pourra arriver dans un temps donné, alors que nous pourrons le faire convenablement. Chaque fois que la question reviendra, l'on nous permettra de comparer les impôts entre eux. Nous comparerons cet impôt à d'autres impôts qui peuvent peut-être frapper davantage la classe ouvrière et ensuite nous discuterons en connaissance de cause.

Je crois qu'après la discussion longue et approfondie que nous avons eue l'année dernière, il n'y a pas lieu de voter l'amendement que semble annoncer l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. Prévinaire. - Messieurs, deux points ont fait essentiellement l'objet des délibérations de la Chambre.

L'une des deux questions a été soulevée par l'honorable M. Vandenpeereboom, l'autre par l’honorable M. Vermeire. J'ai demandé la parole au moment où M. le ministre des travaux publics s'occupait plus spécialement de la question des tarifs du chemin de fer. C'est de cet objet que je compte exclusivement m'occuper.

Le discours de M. le ministre des travaux publics m'a semblé se résumer en un seul mot ; il réclame pour le gouvernement les coudées franches. Il demande que le gouvernement ait la faculté de fixer les tarifs d'une manière complètement arbitraire.

Eh bien, je me suis demandé si cette manière d'agir pourrait bien se concilier et avec les prescriptions de la Constitution et avec ce que la justice commande. Je me suis demandé si une question aussi grave, lorsqu'il s'agit en réalité d'impôts, de taxes à percevoir au profit de l'Etat, pouvait être réglée sans le concours de la législature.

Je sais qu'à cette observation on m'objectera ceci ; tous les ans, la législature, par une loi spéciale, autorise la perception des péages. Mais que fait la législature ? Elle ne fait que confirmer l'acte qu'elle a posé par la loi du 12 avril 1835, loi qui autorisait le gouvernement, pour un an, à titre d'essai, à régler les tarifs par arrêté royal. D'année en année depuis 25 ans, il est arrivé qu'on a investi le gouvernement du pouvoir de modifier les tarifs.

On a prétendu, on prétend encore aujourd'hui qu'il faut maintenir au gouvernement le pouvoir de modifier les tarifs, et l'on se fonde sur cette circonstance que cette matière serait essentiellement mobile. Mais si l'on considère les faits, cet argument n'a pas de valeur. En effet, quel est le tarif en vigueur ? C'est un tarif qui remonte au 1er juillet 1853.

Il est vrai que le gouvernement, se basant sur la délégation que lui a donnée la législature, s'est octroyé la faculté de faire certains traités spéciaux, certains arrangements ; en vertu d'une disposition de l'arrêté royal pris en suite des pouvoirs que lui a donnés la législature. Mais il ne s'ensuit pas de ce précédent que la législature ait abdiqué ce que, selon moi, elle ne pouvait abdiquer, le pouvoir de déterminer par une loi au moins le maximum des péages.

Que fait la législature, lorsqu'elle intervient dans les concessions de chemins de fer ? Elle détermine le maximum des taxes à percevoir an profit des compagnies. Elle va plus loin. Les péages des chemins de fer reposent sur deux bases : d'abord sur la taxe à établir sur chacune des classes de marchandises et en second lieu sur la classification des marchandises. Eh bien, les lois qui ont approuvé les concessions, ont déterminé explicitement à quelle classe appartiendrait telle et telle catégorie de marchandises. Qu'on veuille relire les cahiers des charges qui font partie intégrante des concessions et des lois qui les ont votées, et on reconnaîtra qu'il n'appartient pas à une compagnie de déclasser une-marchandise, sans sortir des clauses de son cahier des charges.

Dès lors sur une des deux bases qui servent à la tarification, la loi est intervenue.

Je ne dis pas que les études auxquelles on se livre depuis 25 ans soient arrivées à un tel point, que l'on puisse régler définitivement tous les tarifs, de manière qu'ils répondent à tous les besoins. Je ne suis pas éloigné de laisser certaines latitudes au gouvernement, de lui permettre certaines modifications aux tarifs, notamment en ce qui touche aux relations internationales ; mais je crois qu'il y a lieu de déterminer par une loi le maximum des taxes, pour que la perception de ces taxes ait au moins un caractère légal, et que l'intervention de la législature soit, à cet égard, ce que la Constitution veut qu'elle soit.

Je crois aussi qu'il y a lieu de faire décréter par la législature certains principes généraux qui sont essentiels et qui doivent se rapporter à l'exploitation du chemin de fer par l'Etat.

En effet, suivant moi, l'exploitation des chemins de fer par l'Etat doit être tout autre chose que l'exploitation par une compagnie. Je sais que nous avons toujours insisté pour que le chemin de fer fût exploité commercialement. Cependant personne ne peut méconnaître que la position de l'Etat exploitant un chemin de fer est toute différente de celle d'une compagnie. Le mobile d'une compagnie est l'intérêt privé, (page 269) l’intérêt exclusif. Le mobile de l'Etat doit être les intérêts généraux ; ce qui est loisible à une compagnie peut dans certains cas être interdit à l'Etat.

II peut arriver qu'une compagnie, en vue d'augmenter son trafic sur son chemin de fer, adopte des mesures qui produiront ce résultat. Mais ces mesures ne peuvent pas toujours être adoptées par l'Etat, parce qu'il doit tenir compte de certains intérêts qu'il compromettrait, tandis que la compagnie est sous ce rapport complètement indépendante.

M. H. Dumortier. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. Prévinaire. - Ce que cela prouve ? C'est qu'il y a lieu de faire intervenir la législature pour déterminer certains principes, et ces principes, j'y arrive : ce sont ceux qui doivent faire obstacle à ce que l'Etat puisse, par des tarifs différentiels, changer, par exemple, les conditions naturelles dans lesquelles se trouve l'industrie.

Je dis donc qu'une compagnie, est dans une tout autre situation que l’Etat. L'Etat a des obligations morales vis-à-vis des intérêts généraux du pays.

Une compagnie peut, par exemple, très bien adopter un tarif différentiel qui permette et provoque même de transporter du charbon du couchant de Mons à Anvers ; cette combinaison peut favoriser ses intérêts, augmenter ses recettes ; elle peut trouver que par ce moyen elle utilise mieux le chemin qu'elle a construit. Mais croyez-vous que I'Etat pourrait en agir de même ?

Certains esprits diront : pourquoi pas ? Parce que la Chambre, sans se déjuger, ne pourrait pas approuver semblable manière de faire. Qu'a fait tout récemment la Chambre à propos du canal de Charleroi ? Quelles sont les considérations qui ont déterminé son vote ?

La Chambre a été frappée de cette circonstance que sur le canal de Charleroi, pour un service rendu, l'Etat percevait une somme supérieure à celle qu'il perçoit sur les autres voies de communication pour un service équivalent.

On a dit : Le principe qui doit guider l'Etat, c'est la fixation de la rémunération en raison de l'importance du service rendu. Le tarif sur le canal de Charleroi était égal que les produits eussent Charleroi ou le Centre pour lieu de provenance.

La Chambre, d'accord avec le gouvernement sous ce rapport, a reconnu qu'il y avait une injustice à réparer ; elle a décidé qu'il y aurait un tarif différentiel. Elle est donc rentrée dans l'application des tarifs à raison des distances.

Eh bien, je le demande, pourrait-on consentir, sans se mettre en contradiction avec cet ordre d'idées, à ce que les produits transportés par le gouvernement, parcourant une distance double, ne subissent qu'une taxe égale à celle que subiraient les produits parcourant une distance simple ?

Evidemment, ce ne serait pas de la justice distributive et ceux qui, pour, un parcours réduit, payeraient la même taxe que pour un parcours plus long, auraient le droit de se plaindre, comme on avait droit de se plaindre de ce que la taxe était la même sur les produits provenant du Centre et sur les produits provenant de Charleroi.

Je dis donc que, sans vouloir préjuger le moins du monda la question des tarifs, et sans vouloir gêner le gouvernement dans l'exploitation commerciale du chemin de fer, je crois qu’en raison des obligations qu'impose la Constitution, en raison de certains principes dont il faut tenir compte, il y a lieu pour le gouvernement de saisir la Chambre d'une loi qui change l'état de choses actuel. Cet état de choses, qui prête à l'arbitraire, qui donne au gouvernement un blanc-seing pour agir, qui l'expose à de justes récriminations, me paraît en contradiction avec cette déposition de la Constitution qui veut qu'aucune taxe ne soit perçue au profit du trésor sans l'intervention de la législature. Or, jusqu'à présent cette intervention n'est pas réelle. Elle ne consiste qu'en un bout de loi qui continue au gouvernement un pouvoir qu'on lui a accordé à titre d'essai et que la Chambre ne peut pas déléguer d'une manière permanente et indéfinie.

Je dis qu'il importe à la responsabilité dos pouvoirs que la législature intervienne et consacre certains principes qui doivent être inhérents à l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, et qu'il faut respecter si l'on ne veut pas jeter la perturbation dans les intérêts locaux ou particuliers.

Je citerai, par exemple, le canal de Bruxelles. Le canal de Bruxelles transporte du charbon vers le bas Escaut. Mais supposez que le chemin de fer dise : Mon intérêt est de transporter du charbon au bas Escaut ; mes frais généraux seront les mêmes ; je n'aurai à subir qu'une légère augmentation de dépenses résultant des frais de traction et de l'usure du matériel existant ; ces transports nouveaux me garantissent un bénéfice presque net.

Je reconnais que cela est parfaitement réalisable. Mais s'ensuit-il que le gouvernement puisse entrer dans cette voie sans tenir compte des intérêts locaux et qu'il pourrait compromettre l'existence d'une voie de communication existante et tous les intérêts qui s'y rattachent ? Je ne le pense pas, et je doute même que M. le ministre des travaux publics l'ose, car il, nous a souvent manifesté l'intention de ménager les compagnies de chemin de fer concurrentes.

Messieurs, je n'ai pris part à cette discussion que pour faire mes réserves, parce que j'ai trouvé que M. le ministre des travaux publics demandait à la Chambre des pouvoirs trop étendus et les demandât pour un temps trop long, alors qu'on ne les lui a donnés qu'à titre d'essai.

M. Koeler. - Messieurs, j'ai demandé le parole pour combattre l'idée exprimée par l'honorable M. Vermeire, qu'il faudrait régler par une loi les tarifs du chemin de fer. Je sais que l’honorable M. Vermeire porte le plus grand intérêt au chemin de fer ; son opinion est très consciencieuse, mais je lui oppose une opinion également consciencieuse.

Messieurs, pour que le chemin de fer puisse donner des résultats au point de vue du trafic il est indispensable que le gouvernement ait sa liberté d'action, sous le contrôle sérieux des Chambres.

L'honorable préopinant vient de nous parler des compagnies. Les compagnies méritent sans doute notre sollicitude, mais le chemin de fer de l'Etat a droit à une sollicitude non moins grande de notre part.

Vous n'avez pas perdu de vue, messieurs, le souvenir de l'époque où de grandes tentatives ont été faites par les intérêts privés pour s'emparer de ce grand instrument de prospérité nationale, à la création duquel se rattachera toujours un nom justement honoré, celui de l'honorable ministre de l'intérieur.

Pour ma part, je désire que le chemin de fer puisse être rendu le plus productif possible. Je ne veux pas, sans doute, que le gouvernement porte atteinte aux droits des compagnies, qu'il lèse leurs intérêts, car enfin les compagnies concourent également au développement de la prospérité publique ; mais il ne faut pas non plus que les intérêts de l'Etat puissent être sacrifiés aux compagnies.

Il faut que le gouvernement ait les pouvoirs nécessaires pour défendre ces intérêts en toute circonstance. Et ne craignez pas, messieurs, qu'il abuse de ces pouvoirs, car quels que fussent les hommes qui occupaient le banc ministériel, appartinssent-ils à la droite ou à la gauche, toujours nous avons trouvé chez eux la même intégrité.

C'est un hommage à rendre à la Belgique que l'honnêteté et la probité y sont l'apanage de tous les partis.

Je pense, messieurs, que dans la situation où nous sommes placés, en présence des relations internationales qui restent à régler, en présence de l'activité dévorante et très légitime d'ailleurs, des compagnies, je pense, dis-je, que ce qu'on peut faire de mieux, c'est de laisser au gouvernement sa liberté d'action.

Certes, messieurs, cette liberté ne sera pas illimitée, car vous êtes toujours ici, et pour ma part, si je connaissais un acte de favoritisme, je croirais de mon devoir de te dénoncer du haut de la tribune nationale.

Il ne faut pas, messieurs, en liant les mains au gouvernement, le mettre dans l'impossibilité de retirer du chemin de fer les meilleurs produits possibles, car si ces produits venaient à diminuer, cette circonstance viendrait en aide à ceux qui veulent enlever le chemin de fer à l'exploitation de l'Etat, qui présente en effet beaucoup plus de garanties au pays que l'exploitation par les sociétés.

M. H. Dumortier. - Messieurs, les observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Koeler me dispensent de répondre longuement à l'honorable M. Prévinaire.

Ce qui m'a paru préoccuper surtout l'honorable M. Prévinaire, c'est l'intérêt des sociétés, l'intérêt du canal de Charleroi, l'intérêt de certaines entreprises particulières. J'ai déjà dit antérieurement que je porte la plus vive sollicitude à l'industrie privée appliquée aux chemins de fer.

Je pense, comme l'honorable M. Koeler, que le gouvernement ne peut pas arbitrairement prendre des mesures qui auraient pour effet de nuire aux sociétés, c'est ce que le gouvernement ne fera point. Le gouvernement doit concilier l’intérêt général et l'intérêt des compagnies, et les Chambres repousseraient toujours des propositions qui auraient un autre caractère.

L'honorable M. Prévinaire dit : « Le gouvernement n'a obtenu l'exploitation du chemin de fer qu'à titre d'essai, et cet essai a été renouvelé d'année en année depuis 25 ans ; peut-on continuer à lui donner un blanc-seing en cette matière ?

Messieurs, si la législature a voulu depuis 25 ans laisser au gouvernement la gestion de cette branche importante de l'administration publique, cela prouve, selon moi, que cette gestion n'a pas été aussi mauvaise que certaines personnes le prétendent parfois ; sans cela on n'aurait pas prorogé ses pouvoirs pendant un si long laps de temps.

Mais, messieurs, là n'est pas la véritable question en discussion.

Je n'ai pas dit, comme l'honorable M. Prévinaire semble me le reprocher, que la législature doit abdiquer sou contrôle des actes du gouvernement. Je me garderais bien de formuler une pareille proposition. Mais je demande quelle est la partie du service des chemins de fer que le gouvernement ne livre pas à notre appréciation, dans tous ses détails ?

Je demande, en second lieu ; qui empêche l'honorable M. Prévinaire ou tout autre membre de faire à cet égard telle proposition qu'il jugerait convenable ?

Dans toutes les discussions qui ont eu lieu depuis longtemps sur les chemins de fer, je ne sache pas que l'honorable membre ait jamais formulé une proposition quelconque destinée à faire disparaître telle ou telle irrégularité de ce service.

(page 270) Pour moi, je n'aperçois pas le grand danger que présente cette espèce d'énormité qui consiste à avoir laissé pendant 25 ans un blanc-seing au gouvernement en cette matière, moyennant un contrôle complet et sévère de la part de la législature.

Une observation de l'honorable M. Prévinaire dont je puis difficilement me rendre compte, c'est celle qui consiste à dire qu’il faudrait au moins établir un maximum au-delà duquel le gouvernement ne peut aller dans la fixation des péages ; ;1 suffit, il me semble, d'avoir une notion très ordinaire de l'exploitation des chemins de fer, il suffit d'avoir entendu parler les hommes compétents pour être convaincu qu'en aucun cas le gouvernement n'ira au-delà d'un maximum qui existe en fait actuellement ; la tendance de toutes les sociétés particulières de France, d'Angleterre et d'Allemagne est, au contraire, de faire baisser les tarifs en vue d'obtenir une recette plus considérable et de satisfaire d’autant mieux aux intérêts du commerce et de l’industrie. Ce serait donc une précaution complètement inutile que la fixation de ce maximum.

Je crois pouvoir borner à ces courtes observations ma réponse au discours de l'honorable M. Prévinaire.

M. Vermeire. - Messieurs, je ne conçois vraiment pas l'insistance de l'honorable préopinant à combattre les arguments que j'ai fait valoir dans la séance d'hier.

Messieurs, je le répète, au fond nous sommes d'accord : nous voulions pour le transport des marchandises les tarifs les plus bas possibles ; nous voulons que l'exploitation du chemin de fer qui constitue un service public ne puisse point établir des exceptions.

Si j'ai insisté pour que les péages du chemin de fer soient réglés par la loi, c'est qu'à mon avis celle-ci ne serait que la conséquence d'un principe fondamental, constitutionnel, à savoir qu'aucun impôt ne peut être perçu qu'en vertu d'une loi ; or les péages du chemin de fer sont compris annuellement dans le budget des voies et moyens ; et je crois que le gouvernement qui s'est substitué, dans cette occurrence, à des sociétés particulières, ne peut percevoir qu'en vertu d’une loi les péages au chemin de fer. S'il n'en était pas ainsi, pourquoi prorogerions-nous, tous les ans, les pouvoirs qui ont été accordés au gouvernement à titre provisoire ?

Du reste, la loi du 12 avril 1835, concernant les péages, et les règlements de police sur les chemins de fer portent :

« Provisoirement, en attendant que l'expérience ait permis de fixer d'une manière définitive les péages à percevoir, sur la route susdite, conformément à l'article 5 de la loi du 1er mai 1834, les péages seront réglés par un arrêté royal. La perception s'en fera en vertu de cet arrêté jusqu'au 1er juillet 1836. »

Aussi, messieurs, je crois avoir démontré que quand la loi décrète qu'en attendant que les péages soient réglés d'une manière définitive, il est bien entendu que cette matière soit fixée par la loi et que cette loi serait présentée aussitôt que l'expérience aurait permis d’en fixer les bases.

C'est la première fois que nous entendons dire que les péages en question né devraient point être fixés par la loi. C'est, d'après moi, une erreur, puisque les péages comme les impôts ne sont dus qu'en vertu de la loi qui les décrète.

Ainsi le veut l'article 10 de la Constitution.

Je persiste donc dans les arguments que j'ai fait valoir hier, et je crois qu'il est acquis au débat que l'Etat ne peut transporter que dans des conditions uniformes pour tout le monde, qu'aucune exception ne peut être établie en faveur des uns et au détriment des autres.

M. Tack. - Messieurs, les réclamations que vient de produire l'honorable M. Vermeire prouvent à toute évidence l'excellence de la thèse développée hier par les honorables MM. Henri Dumortier et Moncheur, défendue aujourd’hui par l'honorable M. Koeler, et acceptée en quelque sorte par M. le ministre des travaux publics. Cette thèse quelle est-elle ? La voici : Elle consiste à soutenir que le moment n'est pas venu de fixer par une loi les tarifs de nos chemins de fer.

Nous sommes, dit l'honorable M. Vermeire, d'accord en théorie. J’en doute un peu et quoi qu'il en soit, quand il s'agit d'en venir aux applications, cette entente cordiale cesse à l'instant.

Ainsi, l'honorable. M. Vermeire disait hier : « Si vous accordez une réduction pour les transports vers Lokeren et Zele, pourquoi n'en accorderiez-vous pas une pour Termonde ? » A son tour, l'honorable M. Prévinaire, interrompant M. le ministre des travaux publics, qui annonçait son intention d'accorder peut-être des réductions de tarif sur les transports en destination d'Anvers, s'écriait : Que ferez-vous pour Bruxelles ?

Que devient, en présence de ces prétentions, le principe qui a servi de point de départ à tous les honorables membres qui ont pris part à ce débat, à savoir que le parcours à longue distance est la condition sine qua non de toute réduction de tarif ?

Messieurs, s'il s'agissait de discuter à fond la question des tarifs nous nous trouverions en face de difficultés très graves, de complications pour le moment inextricables.

Ainsi, supposez une réduction pour les transports vers Bruxelles, nous ne tarderions pas à voir se renouveler, à cette occasion, les réclamations qui ont surgi dernièrement dans cette enceinte, lors de la discussion du projet de loi relatif à la réduction des péages sur le canal de Charleroi.

A l'instant même, on vous reprocherait d'enlever le trafic au canal de Charleroi. Au nom des extracteurs des houillères, au nom du batelage, voir même au nom des consommateurs, le canal de Charleroi viendrait renouveler ses doléances et le bassin de Mons élèverait aussi la voix.

De même si les producteurs de minerai de la province de Namur venaient de leur côté réclamer une réduction de tarif sur le transport de minerais oligistes vers la France, alléguant un long parcours, un trafic régulier et continu ayant pour objet des matières pondéreuses, de même nature que la houille et en quantité considérable, pourriez-vous accéder à cette demande quand bien même ces transports devraient profiter au trésor, qu'en penseraient les maîtres de forges ? Accepteraient-ils des combinaisons pareilles ?

Il serait facile de multiplier les hypothèses pour établir que l'embarras est aujourd'hui aussi grand qu'il l'était en 1852, alors que l'honorable M. Van Hoorebeke, obsédé, pour ainsi dire, par les réclamations qui avaient surgi dans cette enceinte, crut bon de présenter un projet de loi ; ce projet a été discuté en section centrale, et la section centrale est venue avouer qu'elle avait succombé à la tâche.

« Il y a un quart de siècle, dit l'honorable M. Vermeire, que le chemin de fer est livré à l'exploitation ; comment donc ne serait-il pas encore possible de régler aujourd’hui les péages par une loi ? »

Mais nos chemins de fer ont-ils donc été construits d'un seul jet ? sont-ils achevés à l'heure qu'il est ? Puis faut-il s'étonner qu'une aussi vaste entreprise, une innovation aussi colossale n'ait pas encore produit de résultats tels que nous puissions en prévoir d'une manière certaine toutes les conséquences probables ? On construit en ce moment même de nouvelles lignes dans le pays ; d'autres font été il y a peu de temps ; il en est de même chez nos voisins, sur nos frontières ; M. le ministre des travaux publics nous disait avec beaucoup de raison : Connaissez-vous l’influence que peuvent avoir ces nouvelles voies sur le trafic intérieur ? Connaissez-vous les mesures qu’il faudra prendre pour mettre nos tarifs en rapport avec ceux qu’adopteront les lignes concurrentes qu’on est sur le point de mettre en exploitation à l’étranger ?

Vous le voyez, les difficultés naissent à l'envi.

Nous parlons fort à l'aise, dans notre petit pays, de longs parcours.

Messieurs, on peut se demander si nous avons chez nous de longs parcours, comme il en existe en France, dont nous aimons à comparer les chemins de fer avec nos lignes.

Je me permettrai de citer à ce sujet quelques chiffres qui me paraissent assez caractéristiques.

En 1855, je ne possède pas de données postérieures, le parcours moyen pour les voyageurs a été, en ce qui concerne la Belgique, de 52 kilomètres ; le chemin de for du Nord, de 59 kilomètres. ; la ligne d'Orléans, de 86 kilomètres ; la ligne de Lyon, de 101 kilomètres ; et le parcours moyen, en ce qui touche les marchandises, quant à la Belgique, a été de 42 kilomètres ; le Nord, de 171 kilomètres ; Orléans, de 222 kilomètres, Lyon, de 249 kilomètres

En résumé, le parcours moyen est quadruple sur le chemin de fer du Nord, quintuple sur celui d'Orléans, sextuple sur celui de Lyon. Eh bien, devant de semblables comparaisons, qu'y a-t-il à faire ? Il convient, ce me semble, avant de songer à faire une loi définitive, de charger le gouvernement, sous notre contrôle, d'essayer d'attirer, de provoquer, de créer, dans les limites du possible, des parcours analogues. Il faut bien le reconnaître, jusqu'à présent ils n'existent pas, et il faut bien l'avouer aussi, la chose n'est pas facile.

Le gouvernement, comme l'a dit l'honorable M. Prévinaire, n'est pas dans une position identique à celle où se trouvent les compagnies. Celles-ci ont l'habitude de n'envisager que leur intérêt particulier ; pourvu qu'elles puissent obtenir des transports, c'est tout ce qu'elles demandent : que leur importe comment et d'où ils leur viennent ! Le gouvernement a d'autres devoirs à remplir : il est en présence des producteurs et des consommateurs, dont il doit respecter les intérêts divers et souvent certains droits acquis. Il se trouve en opposition avec ses propres intérêts, il arrive en effet que les chemins de fer font concurrence à ses voies navigables. Tout cela rend sa position délicate et doit nécessairement embarrasser ses allures.

Un point sur lequel on semble d'accord, c'est qu'il faut introduire, au moins par forme d'essai, le système des tarifs mobiles variables ; or, dès là que vous condamnez les tarifs dits inflexibles, vous arriverez à cette conséquence : ou il faut abandonner l'exploitation du réseau national par l'Etat, ou il faut permettre au gouvernement d'exploiter commercialement, il n'y a pas de milieu.

J'ai entendu préconiser, dans cette enceinte, la première alternative, mais jamais personne ne s'est avisé de proposer formellement l’abandon de l’exploitation du chemin de fer de l’Etat au profit des compagnies.

Pour moi, je suis porté, avec l'honorable M. Koeler, à considérer cet abandon comme un danger, surtout si l'exploitation de nos voies ferrées devait tomber en des mains étrangères.

Je craindrais, en y souscrivant, devoir établir, au sein du pays, une véritable puissance à côté du pouvoir légal, un petit Etat à côté de (page 271) l'Etat. Ce n'est pas à dire qu'il serait impossible que le gouvernement se déchargeât d'une certaine partie du service sur l'industrie privée.

Ainsi il pourrait s'associer une compagnie pour le trafic des petites marchandises. Je suis convaincu que ce trafic s'opère d'une manière onéreuse pour l'Etat, et que si le gouvernement pouvait contracter pour son exploitation avec des compagnies il réaliserait au contraire un bénéfice. Quant aux transports des grosses marchandises et à celui des voyageurs, je comprends qu'ils doivent rester aux mains de l’Etat.

Reste la deuxième alternative, qui consiste à permettre au gouvernement d'exploiter commercialement le réseau national. Sommes-nous dans le cas de pouvoir régler cette exploitation par une loi ? Encore une fois non ! Nous sommes à une époque de tâtonnements, d'essais ; le chemin de fer n’a pas dit son dernier mot ; il est par conséquent impossible de songer à adopter aujourd’hui une loi en quelque sorte irrévocable ; comme vous l'a dit mon honorable ami M. Henri Dumortier : si vous faites une loi trop peu large, vous serez obligés de revenir sur ce que vous aurez fait, de défaire ce que vous aurez arrêté ; c'est une chose regrettable que l'instabilité des lois. Si vous faites votre loi nouvelle trop large, si l'écart entre les minima et les maxima est trop grand, alors votre lot est inutile, c’est une superfluité.

Je dirai plus, elle aura les graves inconvénients de diminuer la responsabilité du gouvernement, de l'administration. J'aime mieux que le gouvernement prenne lui-même prudemment quelques mesures à titre provisoire sous sa responsabilité, et sauf, bien entendu, le contrôle et la vérification par les Chambres.

Messieurs, on a souvent mis le gouvernement en demeure d'exploiter le chemin de fer commercialement. Or est-il en état de le faire ? A-t-il un matériel suffisant ? Nos doubles voies, nos stations, nos magasins, nos entrepôts sont-ils achevés ?

A cet égard, le gouvernement se trouve-t-il dans la même position que la compagnie du Nord et d’autres compagnies françaises, qu'on se plaît à citer ici ? Y a-t-il en Belgique beaucoup de choses à faire à ce point de vue ? Evidemment oui.

Les compagnies qui exploitent commercialement s'y sont prises d'une autre manière que nous ne l'avons fait. En veut-on un exemple ? Le chemin de la compagnie du Nord a un développement de 875 kilomètres ; celui de notre réseau national, de 725 kilomètres. Différence, 150 kilomètres.

Eh bien, dans une seule période de trois ans, à partir du commencement de 1853 jusqu'à la fin de 1855, le chemin de fer du Nord a dépensé 35 millions pour son matériel ; antérieurement, il avait dépensé 39 millions, ensemble 74 millions. D'autre part, pendant la période de dix années qui s'est écoulée entre 1846 et 1856, l'Etat belge n'a fait, tant pour le matériel que pour les doubles voies et les bâtiments des stations qu'une dépense de 18 millions, ce n'est pas même la moitié.

Quels ont été les résultats de cette conduite différente t ? C'est que le Nord a vu quadrupler son trafic, pendant que les lignes belges n'ont pas même vu doubler le leur. Donc une première chose à faire, ce serait que le gouvernement se mît en mesure d'outiller convenablement nos chemins de fer, si nous voulons qu'il puisse les exploiter. Autre raison par conséquent pour ne pas se hâter dé régler par une loi les tarifs de notre chemin de fer.

Un mot encore, messieurs, sur la question de la réforme postale. Je tiens à motiver mon opinion sur l'amendement éventuel dd M. Vandenpeereboom.

Je voterai contre cet amendement s'il est présenté. Il y a, messieurs, je l'avoue, des raisons très puissantes en faveur de la thèse que l'honorable membre défend si chaudement ; il y en a aussi de bien solides en faveur de l'opinion contraire que l'honorable ministre des finances a soutenue si vigoureusement l'année dernière ; aussi n'oserais-je me déclarer hostile à la réforme ; loin de là et je déclare que je n'y suis pas opposé en principe ; mais je me suis dit que la situation de cette année n'est pas de nature à me faire revenir du vote que j'ai émis dans l’avant-dernière session. Au contraire, car il me semble que les recettes de la poste ont été moindres en 1858 que ne l'avaient présumé, il y a dix mois, l'honorable M. Vandenpeereboom et l’honorable ministre des finances lui-même.

Toutefois je me demande, ainsi que je le faisais dans la précédente discussion, s'il n'y a pas moyen d'arriver à la réforme postale graduellement, lentement, par une espèce d'acheminement, sans faire fléchir notablement les recettes du trésor ? En un mot, si par une espèce de transaction on ne pourrait pas s'approcher du but que tout le monde désire atteindre ! Faut-il absolument de prime abord admettre une mesure radicale ? Certes, messieurs, le gouvernement n'est engagé à rien, la législature n'est pas obligée davantage ; il existe tout au plus pour l'un comme pour l'autre un engagement moral ; tâchons de satisfaire à cet engagement moral le mieux possible. Quel est donc le moyen terme dont je vous parle ?

C'est l'extension progressive du rayon postal pour les lettres taxées à 10 centimes. Pourquoi ne pas décider que la zone pour la taxe à 10 centimes, au lieu d'être de 30 kilomètres sera, désormais de 50 ? Cette modification assurément ne jetterait pas une grande perturbation dans les finances de l'Etat. C'est une question à examiner, à approfondir par les hommes pratiques. Je crois que ce système a différents avantages ; ainsi il ne faudrait pas modifier le personnel de la poste. Ce personnel resterait le même.

On conserverait les recettes afférentes aux lettres qui transitent et à celles de et pour l'étranger.

La réforme profiterait à la petite industrie et au petit commerce dont la correspondance ne dépasse pas un rayon assez restreint. Il n'y a guère que le haut commerce qui correspond d'un bout à l'autre du pays et avec l’étranger.

Il y aurait là une expérience toute faite ; vous auriez des données certaines pour l'avenir, sur les résultats de la réduction à 10 centimes, et vous pourriez ainsi, de source certaine, adopter plus tard, s'il y a lieu, la taxe uniforme à dix centimes.

Ce serait une justice rendue aux villes frontières dont les lettres payent presque toutes la taxe de 20 centimes. Ces villes correspondent, en effet, beaucoup avec l'intérieur du pays. Telles sont, entre autres, la ville à laquelle appartient l'honorable M. A. Vandenpeereboom, ainsi que celle que je représente plus spécialement, et qui ont de nombreuses relations avec Gand et Bruges.

En attendant que vous arriviez à la réforme radicale, vous auriez le temps de parfaire les améliorations introduites dans le service postal, vous pourriez successivement, augmenter le nombre des bureaux de distribution, le nombre des facteurs, les distributions dans les villes.

Le grand avantage de la mesure que je conseille serait toujours que dans peu de temps on saurait à quoi s'en tenir sur les conséquences de la réduction à 10 centimes, et qu'on pourrait prendre une résolution en pleine connaissance de cause.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre comprendra que je ne suis pas disposé à recommencer la discussion approfondie à laquelle je me suis livré l'année dernière, de la question de la taxe des lettres. J'avoue franchement que je croyais en être préservé pour un temps un peu plus long.

En 1857, la question a été soulevée ; elle a été traitée presque incidemment. Sans entrer dans des détails, le gouvernement déclara qu'il lui semblait préférable d'appliquer les ressources dont on pouvait disposer à l'amélioration du sort des instituteurs primaires plutôt que de renoncer à une partie du revenu public, quelque utilité qu'on pût voir à la réduction de la taxe des lettres. Cette idée parut sourire à la Chambre. On y applaudit, et l'honorable M. Vandenpeereboom lui-même la trouva excellente. Mais il crut qu'en l'énonçant, j'avais recours à un expédient de tribune, à une pure tactique parlementaire, pour écarter la motion qu'il annonçait. Nous n'aurons, disait-il, nous n'aurons, je le crains bien, ni la diminution de la taxe, ni l'amélioration du sort des instituteurs primaires. L'honorable membre se trompait.

Peu de temps après, le gouvernement proposa une allocation de 400,000 francs pour les instituteurs primaires et quelques fonctionnaires de l'enseignement moyen. On vit ainsi toute la sincérité de nos paroles, et la Chambre sanctionna notre proposition de grand cœur et la vota à l'unanimité.

On aurait pu croire que la question de la taxe de lettre était indéfiniment ajournée. Il n'en fut rien, malgré les sacrifices imposés au trésor pour accomplir une bonne œuvre. En 1858 les débats furent rouverts comme si tous nos engagements n'avaient pas été largement remplis. La question fut alors examinée d'une manière très approfondie et je cri s que beaucoup d'illusions dont on s'était bercé s'évanouirent, beaucoup d’erreurs qui s'étaient accréditées furent dissipées. Nous dîmes alors qu'il y avait beaucoup à faire, beaucoup à améliorer, à réformer ; mais qu'en vérité, abstraction faite du mérite de la mesure elle-même, il valait mieux exécuter des chemins vicinaux, construire des écoles, entreprendre de grands travaux publics, qu'abandonner un revenu certain et considérable sans espoir de le recouvrer jamais. Cette fois encore, la Chambre partagea l'opinion du gouvernement et à une grande majorité, 63 voix contre 17 si je ne me trompe, elle se prononça contre la réduction de la taxe.

Que fîmes-nous après ce vote ? Le gouvernement resta-t-il inactif, ne donna-t-il aucune suite à ses propositions ? Loin de là ; se fiant à la résolution prise, il proposa des travaux d'une haute importance et nécessitant des dépenses énormes. Il déposa un projet de loi de travaux publics analogue à celui de 1851, et la Chambre sanctionna le mode d'exécution indiqué par le gouvernement qui consistait à disposer des excédants du budget, pendant cinq ou six ans, pour couvrir des dépenses extraordinaires.

Je croyais qu'il avait été admis, de l'assentiment de tous, que cette affectation des ressources impliquait la conservation du revenu public. Je ne veux pas prétendre par-là que la Chambre est liée et qu'elle ne peut plus toucher aux revenus publics, avant que ses travaux ne soient exécutés ; je dis seulement que les revenus ont été affectés à cette destination et que, si on les enlève, les dépenses resteront, tandis que les recettes seront diminuées.

Mais si, comme je le disais tout à l’heure, je ne crois pas devoir traiter de nouveau, d'une manière étendue, la question de la taxe des lettres, il ne m'est pas possible de laisser sans réponse certaines assertions qui ont été produit dans cette discussion. L'honorable (page 272) M. Vandenpeereboom a défendu son opinion, comme d'ordinaire, avec une conviction profonde ; mais le nombre de ses arguments me paraît être considérablement réduit. Il s'en est tenu à des affirmations sur les points principaux.

Il est quelques critiques que je veux surtout rencontrer, mais je dirai cependant tout d'abord que la situation, loin de s'être améliorée au point de vue postal, s'est au contraire aggravée ; que nous avons moins de recettes et plus de dépenses ; par conséquent que nous avons moins de bénéfices nets ; que dès lors les circonstances ne devraient pas paraître opportunes à l’honorable M. Vandenpeereboom, pour persévérer dans l'opinion qu'il a précédemment exprimée ; et j'ajoute, messieurs, que cette situation n'est pas destinée à changer bientôt.

Ainsi, le budget des travaux publics de 1860 est soumis à vos délibérations. Il contient encore pour la poste 225,000 francs d'augmentation de dépenses, de dépenses indispensables, et cet 225,000 pour les services de la poste ne sont pas les seuls crédits qu'il faudrait réclamer. Il faudrait créer des services nouveaux et améliorer ceux qui existent ; et, s'il y a hésitation, c'est que les sommes à demander sont fort élevées. Ainsi, dépenses actuelles ; dépenses dans l'avenir : telle est la situation. Ce n'est pas ce qui accroîtra bientôt le produit net de la poste.

Ce produit net est loin d'atteindre aujourd’hui 2 millions, chiffre indiqué dans la loi de 1849. Je ne discute pas s'il résulte de cette loi un engagement ou non. St l'on était arrivé à obtenir deux millions de produit net, si un nouvel abaissement di taxe devait ramener bientôt à ce produit, il n'y aurait pas grande difficulté. Mais on n'a pas atteint ce revenu net de 2 millions.

L'honorable M. Vandenpeereboom se borne à cet égard à une simple affirmation.

J'établis, dit-il, mes comptes d'après les bases signalées en 1849, et selon moi, il y a 2,077,000 fr. de revenu net.

Eh bien, je m'en réfère à ce que j'ai prouvé à la Chambre l'an passé. J'ai démontré, au contraire, que j'opérais, moi, d'après les bases indiquées par mon honorable collègue d'alors, M. Rolin ; je l'ai fait d'une manière irréfutable et que l'on n'a pas même tenté d'ébranler, et il en est résulté que, loin d'avoir atteint 2 millions, le produit net ne s’élève qu’à 1,600,000 fr. Ces preuves et ces calculs ont été produits l'an passé ; la statistique des postes, qui vous a été distribuée cette année, contient encore les mêmes éléments quant aux chiffres. Ce sont des documents à lire, des calculs à contrôler. Chacun de vous peut vérifier ; je n'ai plus à m'appesantir là-dessus.

Mais, dit l'honorable M. Vandenpeereboom, si le revenu des postes a diminué, c'est grâce à des conventions onéreuses qui ont été faites et dont je ne félicite pas le gouvernement.

Messieurs, l'honorable membre a été peut-être un peu sévère dans l'appréciation de ces conventions, quoiqu'il soit vrai qu’elles ont amené une réduction de la recette.

Ces conventions ont été faites par nos honorables prédécesseurs. L'une est du mois d’août 1857, l'autre a été signée le 3 décembre 1857 par le ministre des affaires étrangères actuel, mais elle était le résultat d'une négociation qui était complète et terminée au moment de notre arrivée aux affaires.

De ces deux conventions, la dernière est relative aux rapports de la France et de la Belgique.

Les changements qui ont été introduits se réduisent à ceci : Autrefois le partage du produit des lettres expédiées d'un pays vers l'autre se faisait ainsi : Pour les lettres à destination des rayons limitrophes, dix centimes pour la Belgique, dix centimes pour la France, D'après la convention nouvelle, déterminée par des considérations qui sont exposées dans la note que vous avez reçue, les lettres de cette catégorie donnent 6 2/3 centimes pour la Belgique et 13 1/3 c. pour la France.

Les lettres à destination de la France, de l'Algérie et réciproquement, donnaient pour la part de la Belgique 17 c, pour la France 23 c. D'après la convention nouvelle, elles donnent 13 1/3 c. pour la Belgique, 26 2/3 c, pour la France.

La diminution résulte donc de la réduction qui a été faite sur la part attribuée à la Belgique dans le produit de la lettre. Cela a naturellement exercé une influence sur nos recettes. Cette influence se traduit par 162,000 fr. à notre préjudice.

Mais c'est là le moindre article du déficit. Le plus important provient de la convention qui a été faite avec l’Angleterre.

La convention qui a été faite avec l'Angleterre comprend deux éléments dont il faut tenir soigneusement compte ; l'un est le règlement du transit, l'autre est la taxe pour les lettres d'un pays vers l'autre. Pour le transit, nous avons à tenir compte de la concurrence qu'on nous fait. Lorsqu'on traite avec un tiers, on n'est pas absolument maître. Et puis nous ne sommes pas libres de fixer ce que nous voulons pour le transit. Nous avons des concurrents, il faut pour se réserver ce transit voir quelles sont les conditions les plus favorables.

On a jugé, en traitant avec l'Angleterre, qu'il y avait lieu d'opérer une certaine réduction sur le prix qu'on payait pour le transit. Veuillez remarquer que ce transit est, en quelque sorte, un bénéfice net pour l’office belge. Il s'agit d'un paquet clos que l'on prend à une frontière et que l'on porte à l'autre. Il n'y a aucune espèce de dépense pour la manipulation de la lettre, pour la remise de la lettre. Cela doit être traité absolument comme un colis.

Mais une seconde partie de la convention faite avec l'Angleterre a pour objet la réduction des taxes ; c'est-à-dire que l'on a fait dans cette convention ce que l’honorable M. Vandenpeereboom voudrait que l'on fît dans notre loi et pour notre propre territoire ; et il se trouve que le résultat de cet abaissement fait par convention avec l'Angleterre, a été très défavorable au trésor, ce qui est d'un fâcheux augure pour une réduction que nous ferions sur notre taxe intérieure.

Ainsi en 1857, antérieurement à la convention faite avec l'Angleterre, la taxe était de 60 centimes pour la lettre de moins de 7 1/2 grammes ; d'après la convention nouvelle le prix de cette même lettre a été ramené à 40 centimes.

Non seulement on a réduit le prix de 60 à 40 centimes, mais on a élevé le poids de la lettre simple de 7 1/2 à 15 grammes. Il en résulte que la lettre qui payait, d'après le tarif ancien, 80 centimes, ne paye plus, d'après la convention, que 40 centimes, Enfin pour ne pas énumérer toutes les réductions progressives, je cite la dernière : pour les lettres de 82 à 90 grammes, la taxe était de 4 fr. 80 c. ; par la convention nouvelle cette taxe est réduite à 2 fr. 40 c.

Or, messieurs, savez-vous à combien s'élève la perte que nous essuyons par ces conventions, dont l'une renferme des réductions de taxe qui profitent à nos nationaux ?

La diminution de nos recettes est de 385,000 fr.

M. A. Vandenpeereboom. - Y compris la convention avec la France.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Y compris la convention avec la France ; mais par l'effet de notre arrangement avec l'Angleterre seule, la diminution est de 223,000 fr.

Ainsi, messieurs, et ceci est important à noter, une partie de la réduction que nous constatons provient d'un abaissement de la taxe, c'est-à-dire que l’honorable M. Vandenpeereboom critique, dans la convention avec l'Angleterre, ce qu'il provoque à faire dans notre propre législation, au risque des pertes évidentes, indubitables, que nous aurions à subir, si on réduisait aujourd'hui la taxe à 10 centimes... (Interruption.) Il n'y a pas d'analogie, dites-vous ; il me semble au contraire, qu'elle est complète.

Vous blâmez un abaissement de taxe parce qu'il nous a constitués en perte, et vous provoquez une réduction qui aurait le même résultat, avec de bien autres proportions.

Messieurs, l'honorable membre vous a rappelé que l'an dernier, j'ai présenté un argument qui a produit une grande impression et dans cette Chambre et au-dehors, lorsque j'ai établi, contrairement à ce qui était généralement répandu, que l'abaissement ;de la taxe devait profiter dans une mesure, je ne dirai pas seulement énorme, mais énormissime, à la grande industrie, au grand commerce. J'ai cité ce fait qui a paru décisif alors, que 175 négociants d'Anvers payaient à eux seuls la moitié du produit des lettres à la poste d'Anvers.

Mais, messieurs, dit l'honorable M. Vandenpeereboom, depuis que ce fait, qui m'avait aussi frappé, a été produit, j'ai fati ma petite enquête, et qu'en est-il résulté ?

C'est que les lettres de l'intérieur représentent, pour un négociant qu'il a cité, mille francs, tandis que les lettres de l'étranger représentent 3,000 fr.

Je ne sais ce que l'honorable membre a voulu prouver par là ; mais il m'a paru, à moi, qu'il était venu confirmer ce que j'avais annoncé. Un négociant paye 4,000 francs de ports de lettres ; il y a, d'après l'honorable membre, 3,000 francs dans ce chiffre pour des lettres étrangères, et il en conclut, chose étrange, incroyable ! que c'est le chiffre de mille francs pour les lettres de l'intérieur qui doit seul être pris en considération.

Mais, messieurs, est-ce que par hasard, les lettres étrangères ne font point partie des produits de la poste ? Il y a seulement à déduire ce qu'on paye aux offices étrangers ; le reste fait partie des recettes de la poste dont nous nous occupons.

L'honorable membre n'a pas remarqué que notre taxe intérieure est comprise dans le produit des lettres étrangères.

Ainsi l'honorable membre en signalant quelques négociants qui payent 3,000 ou 4,000 fr. de ports de lettre est venu confirmer ce que j'avais en l'honneur de déclarer à la Chambre, que 175 négociants seulement procurent à Anvers à peu près la moitié du produit des ports dans cette ville.

Au surplus, messieurs, ce fait si grave, si décisif a été donné pour personnifier en quelque sorte mon argument. Je vous avais démontré par d'autres preuves la vérité de mon assertion sur ce point. J'ai établi que quatre bureaux de poste du pays, quatre grandes villes, sièges des grandes affaires, Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, donnent à elles seules la moitié du produit total de la poste.

J'ai dit que si à ces quatre grandes villes, vous ajoutez les autres villes importantes au point de vue des affaires, vous trouverez que dix-sept villes payent ensemble les deux tiers du produit total de la poste ! Un abaissement de taxe profiterait donc à quelques-uns, sans avantage sensible pour la masse de la population.

(page 275) « Qu'importe, dit l'honorable M. Vandenpeereboom, cette taxe ainsi réduite fera toujours quelque bien, » Eh ! mon Dieu, ce n'est pas la question. Sans doute il n'y aurait pas de mal à ce qu'on fît le service pour rien.

Mais, messieurs, si je venais vous dire : Je vous propose de supprimer les grosses patentes, et de maintenir les petites, y aurait-il assez de sifflets dans le pays pour accueillir une pareille proposition ?

Eh bien, je demande quelle différence il y a entre la proposition que je combats et celle que l'on ferait directement comme je viens de l'indiquer ? Elle ne serait que dans les termes ; au fond, la diminution profitera aux grandes affaires. Ou remboursera par le fait la patente aux plus grands commerçants, aux plus grands industriels. Que dis-je ? messieurs, non seulement on la leur remboursera, mais on leur donnera encore l'équivalent de cette patente par-dessus le marché, tandis que le bourgeois, le petit négociant, l'artisan, la masse de la population en un mot, qui écrit peu ou point, n'obtiendra aucun dégrèvement et ne profitera pas même indirectement de l'avantage très grand qui aura été fait à quelques-uns.

Veuillez, messieurs, pour en juger, mettre en regard de la taxe des lettres acquittée par les grands négociants, les grands industriels, le chiffre de la patente ?

Messieurs, savez-vous quelle est la patente la plus élevée pour l'exercice d'une industrie dans le pays ? 423 francs en principal, pour l'exercice d'une seule industrie.

Si on exerce plusieurs industries ou négoces, on paye naturellement plusieurs patentes. Et savez-vous quelle est la moyenne de la patente ? La moyenne des patentes qui dépassent 10 fr. est à Anvers de 46 fr. ; à Bruxelles de 82 fr. ; à Gand de 33 fr. ; à Liège, de 42 fr., chiffres ronds.

Si donc vous mettez en regard de ces chiffres la taxe postale qui grève en définitive les négociants et les industriels faisant de grandes affaires, vous comprenez quelle est pour eux la valeur de la réduction de taxe dont nous nous occupons ; et messieurs, nous répétons ce que nous disions l'an dernier, ils ne la demandent pas.

Messieurs, je crois avoir répondu aux observations qui ont été présentées par I honorable M. A. Vandenpeereboom. Encore une fois, je ne prétends pas que la réduction ou l'abolition des péages ne constitue en soi une bonne chose, quand cela est praticable ; je ne prétends pas qu'il faille déclarer que jamais, quelle que soit la situation, il ne faudra diminuer la taxe des lettres : je dis seulement qu'aujourd’hui ce n'est assurément pas le moment de s'en occuper.

L'honorable membre reconnaîtra sans doute lui-même qu'en présence des améliorations qu'il est si désirable d'introduire dans notre système financier, il importe de réserver au gouvernement une liberté complète en cette matière. Le temps viendra de discuter de nouveau cette question postale. Mais l'intérêt public nous commande de garder, aujourd'hui surtout, la position que nous avons toujours eue dans cette affaire. Dans un avenir qui ne sera pas trop éloigné, l'honorable membre, je l'espère, sera à même d'en juger.

Je le convie donc à ne pas persister dans l'intention, assez vaguement annoncée, du reste, de formuler une proposition tendante à réduire la taxe des lettrés.

M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, je prends encore la parole pour répondre quelques mots aux honorables membres qui ont rencontré les arguments que j'ai fait valoir hier.

D'abord, l'honorable M. Vander Donckt, qui s'est fait entendre le premier dans la séance de ce jour, a rappelé des paroles qui auraient été dites à son adresse et qu'il a cru devoir relever. A qui s'adresse cette réplique ? est-ce à moi ? Je j'ignore, du reste ; si j'avais pu dire quelque chose de désagréable au vénérable M. Vander Donckt, il aurait dû relever immédiatement les paroles désobligeantes que j’aurais pu lui avoir adressées...

M. Vander Donckt. - Ce n'est pas à vous que j’ai fait allusion.

M. A. Vandenpeereboom. - J'en suis charmé. Je continue.

L'honorable M. Vander Donckt nous convie à laisser l'initiative de la réforme postale au gouvernement. C'est tout à fait mon opinion.

J'ai toujours exprimé le vif désir de voir le gouvernement, et surtout un cabinet composé d'amis politiques, prendre l’initiative de cette mesure. J'ai toujours dit que la réforme postale s'introduirait plus facilement par l'initiative du gouvernement que par celle d'un simple représentant. Le représentant en effet n'a pas, comme le gouvernement, pour auxiliaires un corps de fonctionnaires qui lui fournissent des renseignements de toute espèce et l'aident à accomplir sa mission.

Nous ne pouvons qu'engager le gouvernement à prendre cette initiative, et les amendements que nous avons proposés jusqu'ici n'ont eu pour but que de talonner pour ainsi dire le cabinet, s'il m'est permis de me servir de cette expression banale.

Si, comme le disait l’honorable M. Vander Donckt, nous laissons volontiers l'initiative de la mesure au gouvernement, il faut aussi que nous ayons quelque espérance de voir le gouvernement user de cette initiative ; il serait étrange, déraisonnable de compter sur l'initiative de quelqu'un qui dirait a priori : « Je n'en userai jamais. »

D'ailleurs, si le conseil de l'honorable M. Vander Donckt est bon à notre point de vue, il ne l'est pas au point de vue où s’est placé l'honorable membre ; car si le gouvernement venait, en vertu de son initiative, proposer la réforme postale, l'honorable M. Vander Donckt serait probablement de ceux qui voteraient contre la proposition du gouvernement ; car il a soutenu très souvent, et encore aujourd'hui, si je ne me trompe, que la taxe postale ne pouvait plus être réduite...

M. Vander Donckt. - Je demande la parole.

M. A. Vandenpeereboom. - L’honorable M. Vander Donckt a dit que j'avais invoqué, en 1858, des prétextes à l'appui de mon système et que j'en faisais une question électorale.

Je prie l’honorable représentant de Cryshautem de croire que je donne des raisons et n'ai jamais recours à des subterfuges ni à des prétextes.

Je pense que mes honorables collègues me rendront la justice de reconnaître que je n'ai jamais eu recours à de pareils moyens ; j'ai cherché à faire valoir des arguments devant la Chambre ; je lui ai soumis des calculs ; j'ai fait, la veille des élections, ce que je fais aujourd'hui, c'est-à-dire le lendemain des élections ; il n'y a pas de question électorale en pareille matière. Si je persiste dans mes idées sur la réforme postale, j'obéis uniquement à la conviction que j'ai, que cette réforme serait une chose salutaire.

Si je traite fréquemment cette question, je ne crains pas de l'user, quoi qu'en puisse dire l'honorable M. Henri Dumortier. On n'use pas une chose qui n'existe pas encore. Je crois au contraire que, pour arriver de la théorie à la pratique, il faut répéter souvent les mêmes arguments, de manière à populariser l'idée et à la faire pénétrer dans les masses.

Du reste, ce que l'honorable M. Henri Dumortier a dit au sujet de la situation financière ne manque pas complètement de fondement. Je le remercie, au surplus, du sage conseil qu'il m'a donné ; j'y aurai d'autant plus d'égard que l’honorable membre paraît se livrer avec beaucoup de soin et de zèle à l'étude de toutes les questions qui concernent le département des travaux publics, et que ces études pourront être un jour un guide pour nous et utiles au pays.

Je dois aussi un mot à l'honorable M. Deliége. L'honorable membre a dit qu'il ne nous abandonne pas, que la situation financière seule l'empêche d’être actuellement partisan de la réforme postale. Je le remercie de cette déclaration, et j'espère que, quand la situation financière deviendra meilleure, nous pourrons compter sur lui.

Cependant, je dois faire remarquer à l'honorable membre que l'année dernière on n'avait voté ni les dépenses pour les fortifications d'Anvers, ni les autres travaux publics, ni la réduction des péages sur le canal de Charleroi, et néanmoins en 1858 l'honorable membre n'a pas voté pour notre amendement ; il dira peut-être que ces dépenses étaient déjà alors en projet ; mais en 1857, dès notre première campagne, il n'a pas marché avec nous. Du reste, je prends acte de la déclaration qu'il vient de faire.

J'espère que l'honorable M. Deliége, qui m'interrompt, ne voudra pas détruire mes espérances, fussent-elles des illusions.

L'honorable membre a encore tort quand il prétend que nous avons l'intention de préconiser le système anglais d'une manière absolue, que nos honorables amis et moi serions dans l'intention de demander le rétablissement du timbre sur les journaux.

M. Deliége. - Ce n'est pas à vous que je faisais allusion.

M. A. Vandenpeereboom. - Cela ne peut s'adresser à aucun des membres qui demandent la réduction de la faxe des lettres et qui ont voté l'année dernière pour l'amendement que M. Orts et moi avions proposé. Si quelqu'un désire que les lumières se répandent au moyen des journaux et que les facilités qu'on donne à leur transport soient augmentées, ce sont ceux qui siègent de ce côté de la Chambre et qui demandent qu'on facilite toutes les communications.

Un mot maintenant à M. Frère, que je reconnais comme le plus terrible, le plus brillant et le plus solide de mes adversaires.

J'ai été heureux d'entendre l'honorable ministre déclarer qu'il ne conteste pas la bonté de la réforme postale. Nous n'avons pas toujours été sur le même pied. Parfois, dans cette enceinte ou a soutenu que la taxe de 20 centimes était la limite extrême à laquelle on pouvait descendre.

M. le ministre nous a fait aujourd'hui une déclaration dont je tiens note. L'organe du cabinet nous fait une autre concession encore.

Il vient de reconnaître que les circonstances qui ont précédé le vote de l'article 10 de la loi du 22 avril 1849, sont au moins un antécédent dont il faut tenir compte, et que s'il était prouvé que le trésor touche deux millions de produit net, la question serait autrement simple. Cette déclaration est importante, elle pourra être utile pour l'avenir.

L'honorable ministre a contesté mes calculs, en alléguant que je m'étais contenté de dire : M. Rolin comptait le produit de la poste de telle façon et je compte comme lui.

Voici ce que disait au Sénat M. Rolin, quand on a discuté l'amendement. « On objectait alors qu'il serait difficile de déterminer les bases sur lesquelles on calculerait les recettes et les dépenses de la poste, pour déterminer le revenu net. M. Rolin a clairement indiqué ces bases. Voici ses propres paroles :

« En posant comme condition d'une réforme complète un revenu net de 2 millions, nous admettons que la base du calcul sera la même (page 274) qu'aujourd'hui, c'est-à-dire d'après le tableau que j'ai sous les yeux en composant le revenu brut des recettes opérées par les bureaux de poste du royaume, déduction faite des non-valeurs et des remboursements effectués par les offices étrangers et en composant les dépenses des remboursements effectués aux offices étrangers et des sommes alloués à l'administration des postes. »

Ainsi la recette brute de la poste, d'après l'honorable M. Rolin, doit être établie de cette manière : il faut additionner les sommes payées par les offices étrangers et les produits de tous les bureaux de poste du royaume : puis déduire les dépenses libellées du budget des travaux publics, l'opération est bien simple.

Cependant, messieurs, pour qu'il ne pût y avoir aucune difficulté, pour que tous les doutes fussent levés, l'honorable M. Rolin ajoutait : « Un seul doute pourrait s'élever, c'est de savoir s'il ne faudrait pas ajouter au chiffre de la dépense une partie des frais afférents à l'administration centrale. Mais c'est peu de chose, le revenu net n'en pourrait être sensiblement affecté, et de même que cet élément n'a pas été porté en ligne de compte dans le passé, il ne le sera pas dans l'avenir. »

Eh bien, j'ai suivi les indications données par M. Rolin, et j'ai déduit du revenu brut de la poste les dépenses libellées au budget pour ce service ; l'excédant formait le revenu net qu'il fallait établir pour voir si les conditions de la loi étaient remplies ; j'ai trouvé pour 1858 un revenu net de 2,077,000 fr. au lieu de 2 millions 400 à 500 mille francs que je constatais en 1857, et j'ai prouvé que le revenu était moindre que l'année précédente à cause des conventions passées par le gouvernement avec les offices étrangers, comme du reste a bien voulu le reconnaître M. le ministre des finances.

Encore un mot sur ces conventions postales. Quoi qu'on en dise, les conventions conclues entre la France et d'autres pays soit pour l'échange soit pour le transit des lettres, ont constitué la Belgique en perte pour une somme de 400 mille francs au moins ; je ne recherche pas par qui ces conventions ont été conclues ; mais j'aurais désiré qu'on fît des traités meilleurs ; nous aurions en ce cas un excédant de recettes net beaucoup plus grand.

Nous avons vu que la France perçoit 20 centimes pour les plus longues distances sur son territoire, quand elle nous en demande 27 ; c'est là une prétention qu'on aurait pu combattre.

Mais l'honorable membre, me dit M. le ministre, se plaint de ce qu'on ait réduit le transport des lettres de et pour l'Angleterre et il voudrait qu'on la réduisît en Belgique.

Je réponds que si le trésor a un sacrifice à faire, ce doit être d'abord en faveur de l'industrie nationale dans l'intérieur du pays, ce n'est qu'ensuite qu'il doit en faire profiter nos relations extérieures ; nous qui portons tant de sollicitude aux petits industriels, aux petits commerçants, nous demandons qui écrit le plus de lettres allant à l'étranger ? Sont-ce les petits ou les grands négociants ? Ce sont les grands négociants ; par conséquent, si vous avez subi une perte sur les lettres qui vont à l'étranger ou qui en viennent, vous l'avez subie au profit des grands négociants. Sie a taxé.sur les lettres étrangères est notablement réduite, il est évident que c'est encore le haut commerce qui devra en profiter. C'est là un fait qu'il sera bien difficile de contester.

Quant aux villes qui payent la plus grande part du revenu postal, ces quatre villes sont celles qui font le plus d'affaires et ont le plus de correspondances avec l'étranger. Si pour chacune de ces villes on faisait un dépouillement comme celui qu'on a fait pour la ville d'Anvers, ou arriverait à un résultat à peu près pareil. Les grandes villes ont d'ailleurs les débits les plus considérables de timbres-poste et les bureaux des communes s'approvisionnent dans les bureaux de perception des grandes villes.

L'honorable ministre des finances pense avec beaucoup de raison que si on proposait de diminuer toutes les grosses patentes, cette proposition serait accueillie par les sifflets de l'assemblée.

C'est qu'en effet ce serait une injustice de diminuer les grosses patentes et de conserver les petites. Mais si la situation financière permettait de diminuer l'impôt des patentes et de le réduire de 50 p. c, y aurait-il injustice à le faire ? Les grosses patentes seraient dégrevées de 80 p. c. et les petites patentes aussi. Un dégrèvement de 50 p. c. sur l'impôt des patentes, dégrèvement apporté dans la proportion de ce que chacun paye, aurait plus d'importance pour les petits patentés que pour les gros patentés.

Il en serait de même pour la réduction de la taxe postale.

J'ai répondu aux diverses observations de M. le ministre des finances. Je n'irai pas plus loin. Je crois que cette discussion aboutirait difficilement en ce moment.

En terminant son discours, M. le ministre des finances a prononcé des paroles de paix et de conciliation, qui nous permettent de nourrir l'espoir que le gouvernement ne s'opposera plus longtemps à la réalisation de nos vœux. Lorsqu'une partie des travaux pour lesquels des dépenses ont été votées sera exécutée, il sera possible de songer sérieusement à la question postale. J'espère qu'on ne me fera pas un crime de mon opiniâtreté si je déclare dès à présent que, à moins que la situation de nos finances ne soit mauvaise, j'aurai l'honneur, à la fin de l'année 1860, de faire une proposition formelle pour la réduction de la taxe des lettres.

Si cette proposition n'aboutit pas, d'honorables collègues et moi nous ferons ce que l'honorable M. Vander Donckt voudrait ne pas nous voir faire ; usant de notre droit d'initiative, nous présenterons un projet de loi pour régler cette matière, à moins, et je le désire, que le cabinet ne le fasse. Pour le moment, donc, je ne dépose pas d'amendement, j'attendrai l'année prochaine et j'attends avec confiance.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.