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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 décembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 259) (Présidence de M. Dolez.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Anvers présentent des observations contre les dispositions du Code pénal relatives aux coalitions. »

« Mêmes observations d'habitants de Bruxelles. »

- Renvoi à la commission du Code pénal.


« Le sieur Clermont demande la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la formation des chambres législatives. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hallot, médecin vétérinaire diplômé, demande des modifications à la loi du 11 juin 1850, sur l'exercice de la médecine vétérinaire. »

« Même demande du sieur Leroy. »

- Même renvoi.

« La dame Squilier dont le mari se trouve, depuis plusieurs mois, dans l’impossibilité de travailler par suite de la maladie dont il est atteint, demande un secours. »

- Même renvoi.


« M. de Breyne, retenu chez lui pour affaires de famille, demande un congé de huit jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1860

Discussion générale

- La discussion générale est ouverte.

M. Vermeire. - Je saisis l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, pour examiner brièvement la situation économique du pays. Si, en général, cette situation est satisfaisante, nous devons reconnaître cependant que l'accroissement des transactions ne s'est point produit dans la même proportion et que, en ce qui concerne nos relations avec l'étranger, l'année 1858 présente sur l’année 1857 une diminution assez sensible, celle-ci étant calculée dans le tableau général du commerce avec les pays étrangers à raison de 10 p. c, quoique comparée à la moyenne quinquennale précédant immédiatement l'année 1858, il y a encore une légère augmentation (3 p. c.). Nous ne connaissons pas encore le résultat de l'exercice courant comparativement à 1858 ; mais le calme qui a régné dans les transactions en général me fait craindre un résultat plus mauvais encore que celui de l'année antérieure.

Si cette diminution doit se prolonger davantage, notre devoir à nous serait de rechercher les causes qui l'ont produite. Je ne pense pas, quant à moi, que ces causes se trouvent ailleurs que dans une situation générale, nécessitant, d'une part, moins de transactions à cause des récoltes généralement bonnes des dernières années ; et, d'autre part, dans certaines appréhensions du commerce lequel, à cause de la situation politique de l'Europe, peu certaine à plusieurs égards, n'ose point se livrer à des entreprises de longue haleine. Cette situation me paraît donc n'être point normale et exercer une influence défavorable sur les transactions en général.

Deux autres documents viennent de nous être présentés : le premier, le compte spécial de la négociation des bons du trésor accusant, au 1er janvier 1859, une circulation de 12,769,500 fr. à une année de date de l'émission. Cette somme était l'équivalent approximatif du découvert du trésor, au 1er septembre 1858. Mais, la situation étant changée complètement, et l’exercice de 1859, y compris les exercices antérieurs, paraissant devoir, finalement, se solder par un déficit qui montera, à peine, à 1,450,000 fr. chiffre rond, il n'est plus nécessaire d'avoir recours a une dette flottante pour faciliter les opérations du trésor. Cette situation explique le motif pour lequel M. le ministre des finances a retiré du budget de la dette publique la somme qui avait été affectée au payement des intérêts des bons du trésor, et qui était présumée devoir s'élever à 500,000 fr.

J'avais déjà, en d'autres circonstances, demandé au gouvernement de nous faire connaître les motifs pour lesquels, dans la publication mensuelle, au Moniteur, de la situation de la Banque Nationale, on confondait le compte du trésor avec les comptes des particuliers, alors que, dans d'autres gouvernements, comme la France et l'Angleterre, on y donnait une rubrique spéciale. M. le ministre m'a répondu que, dans certaines circonstances, cette publication spéciale pourrait être de nature à exercer une influence défavorable sur le crédit de l'Etat.

Je ne partage point cette manière de voir. Le crédit de l'Etat est assez solidement établi pour qu'il n'ait pas à redouter la publication ; au contraire il doit, d'après moi, y puiser de nouveaux éléments de stabilité et d'affermissement. Du reste, le solde créditeur du trésor étant encore, au 1er janvier 1859, de 26,166,438-11, alors que la plus grande partie des payements, pour le compte du trésor, étaient effectués, ce solde, dans mon appréciation, ne peut guère diminuer considérablement, l'encaisse métallique, à la fin de chaque mois, étant resté à peu près le même (voir annexe F du rapport pour 1858).

Cette situation satisfaisante me paraît être de nature à influer favorablement sur les décisions à prendre en ce qui concerne le dégrèvement ultérieur des droits d'entrée sur les produits venant de l'étranger et l'uniformité de la taxe des lettres, que je crois être acquise aux termes de la loi sur la réforme postale.

La situation favorable du trésor que, nous le répétons, nous constatons avec bonheur, est due, principalement, à l'accroissement de l'impôt, douanes et accises qui y entrent respectivement pour fr. 459,000 et 2,175,000, ainsi qu'au produit du chemin de fer et des postes dont l'excédant des recettes probables dépassera, à la fin de l'exercice courant, le montant des évaluations, respectivement portées à fr. 750,000 et à fr. 119,264 93.

Il est à remarquer, messieurs, que tous ces accroissements sont dus, en grande partie, à une réduction successive du taux de la taxe et que, conséquemment, si l'on entrait un peu plus résolument dans cette voie, on aurait des résultats autrement importants et avantageux à constater dans l'intérêt du trésor.

Je passe à un autre ordre d'idées et me propose de dire quelques mots au sujet de l'application des tarifs au chemin de fer de 1 Etat.

A la section centrale, la question avait été soulevée sur l'opportunité qu'il y aurait de régler, conformément à la loi du 1er mai 1834, les péages perçus pour le transport des marchandises sur le chemin de fer de l'Etat. Je ne sais si cette demande a été transmise au gouvernement ou bien si celui-ci y a fait répondre par les motifs insérés au rapport de la section centrale ; en effet, j'y lis :

Quant à la question de savoir si le moment est venu de régler par une loi les péages des marchandises transportées par le chemin de fer, M. le ministre des finances, chargé par intérim du département des travaux publics, y a répondu dans la séance du 18 décembre 1858.

« Messieurs, disait entre autres cet honorable ministre, je doute fort que le moment soit venu de régler par une loi le tarif pour le transport des marchandises. »

« L'expérience nous prouvé que presque chaque jour on est arrêté par des difficultés relatives aux tarifs. La nécessité oblige à des modifications, soit partielles, soit générales, soit même à des changements de système.

« Les mêmes difficultés se présentent à l'étranger. En France, cette question des tarifs et des modifications à y introduire préoccupe tous les esprits et donne lieu aux plus vives controverses.

« J'ajoute que, dans aucun pays, les péages des marchandises ne sont réglés par des dispositions fixes, immuables, telles, en un mot, que le trafic se trouverait en quelque sorte enchaîné par des tarifs kilométriquement égaux.

« Des tarifs établis sur une pareille base seraient désastreux pour l'exploitation qui les appliquerait, et pour le commerce et l'industrie qui devraient les subir.

« Une loi sur le tarif des marchandises ne pourrait donc décréter une des bases maxima, tout en laissant au gouvernement le soin de régler les tarifs d'application dans les limites de ces maxima. Encore les pouvoirs du gouvernement devraient-ils être à peu près illimités en ce qui concerne les tarifs à fixer de commun accord avec les compagnies concessionnaires de Belgique, et avec les chemins de fer étrangers. »

Heureusement, le gouvernement que je crois ne pas avoir été consulté en l'occurrence, a annoncé, par l'organe de M. le ministre des travaux publics, dans la séance du 16 novembre, qu'il faisait examiner les propositions faites par la compagnie de Dendre-et-Waes, consistant à pouvoir généraliser la mesure des remises, actuellement accordées pour le transport des houilles en destination de Zele et de Lokeren.

Je crois que le gouvernement, pour être juste, devait transporter, (page 260) non seulement sur le chemin de fer de Dendre-et-Waes pour les destinations prénommées, mais que la même diminution devrait être acquise, pour les transports de matières pondéreuses sur toute la ligne exploitée par l'Etat, pourvu que ces transports s'effectuent dans des conditions de parfaite égalité à déterminer par le gouvernement.

Alors, on verrait disparaître cette anomalie flagrante et inexplicable que, plus les distances à franchir sont longues, moins on doit payer.

Du reste, n'oublions pas, messieurs, que notre système politique, comme la base des tarifs au chemin de fer exploité par l'Etat, reposent sur l'égalité, sur l'uniformité.

C'est ainsi que, en Belgique comme dans les pays où l'exploitation est laissée à l'industrie privée, l'on défend aux concessionnaires de modifier les tarifs, n'importe dans quel sens. Les droits de péage des compagnies en Belgique sont fixés comme maximum et considérés comme devant être égaux à ceux des tarifs du chemin de fer de l'Etat, le gouvernement entendant conserver son action sur les tarifs, bien que, dans le système de plusieurs concessions, il n'ait point à se préoccuper des intérêts du trésor.

C'est ainsi que, même en France, la perception des taxes doit se faire par les compagnies indistinctement, et sans aucune faveur, et que, pour le cas où la compagnie aurait accordé, à un ou à plusieurs expéditeurs une réduction, celle-ci devient obligatoire vis-à-vis de tous les expéditeurs.

Ces principes d'égalité et d'uniformité trouvent leur raison d'être dans le droit qu'a chaque individu d'user au même titre d'un service public, et dans la nécessité d'abolir des privilèges en faveur de certaines contrés, ou de certains établissements industriels et commerciaux. Aussi, est-ce avec raison que l’honorable M. Moreau, dans son rapport, présenté à la séance de la Chambre, le 22 mai 1853, au nom de la commission des finances, fait observer, en ce qui concerne le chemin de fer de Dendre-et-Waes, que la compagnie ne peut intervenir dans aucune question relative, soit aux tarifs, soit à la marche des convois.

Dès lors, comment peut-elle obtenir du gouvernement l'autorisation de faire des remises pour deux stations seulement, alors que toutes les autres stations qui se trouvent sur cette ligne sont exclues du bénéfice attaché à cette mesure ?

On objecte qu'on ne transportait rien entre Termonde et Lokeren. Mais, de ce que l'on transporte peu ou quelque chose entre les stations de la Dendre et celles d'Alost et de Termonde, est-ce une raison pour que ces villes restent frappées d'une surtaxe que rien ne justifie, et qui, quoique l'on en dise, est en opposition formelle avec les droits garantis en faveur du public, par les lois de concession qui règlent cette matière ? Aussi le gouvernement, dans le projet de loi présenté à la Chambre dans sa séance du 26 janvier 1852, réglant le prix de transport sur le chemin de fer de l'Etat, des marchandises, etc., dit « qu'il est devenu rationnel de soumettre à la sanction de la législature des bases d'une tarification applicable à toutes les parties du réseau. »

Et la section centrale qui a examiné ce projet de loi ajoute, par l'organe de l'honorable M. Lesoinne, en parlant des tarifs des compagnies particulières. : En effet, ils (les tarifs) sont purement nominaux en pratique, et n'indiquent, en quelque sorte, que le maximum des prix de transport admis par les compagnies ; elles sont libres de diminuer ces prix selon leur convenance (ce que je n'admets pas, pour les motifs que je viens d'indiquer) et l'on sait qu'elles contractent des marchés à prix réduits selon l'importance et la régularité des transports. » L'Etat, poursuit le rapport, ne peut agir de même ; son tarif doit être uniforme et le même pour tous.

Mais, pourrait-on objecter encore, les citations que vous venez de produire sont extraites de documents qui sont restés à l'état de projet et qui, conséquemment, n'ont point la valeur que vous y attribuez. Cette objection, messieurs, est puérile, car si le texte des lois est interprété dans le sens des motifs qui le déterminent et des commentaires qui l'accompagnent, il doit en être de même de l'article du livret réglementaire, autorisant certaines réductions, et qui a été emprunté à l’article du projet de loi du 26 janvier 1852 ; lequel projet, ainsi que je crois l'avoir démontré à toute évidence, repose uniquement sur une application uniforme des tarifs pour le transport des marchandises, quelle que soit la direction dans laquelle elles sont expédiées.

Il me semble, messieurs, que si, en 1852, il était rationnel d’avoir des tarifs qui règlent d'une manière définitive le transport des marchandises sur le chemin de fer de l'Etat, cette nécessité doit être d'autant plus vivement sentie, sept ans plus tard.

Je convie donc le gouvernement à nous présenter le projet de loi réglant cette matière. Dans tous les cas, je l'engage à généraliser le plus promptement la mesure dont profitent, aujourd'hui, deux stations isolées car, ne l'oublions pas, messieurs, la question des transports est une question de la plus haute importance pour le commerce et pour l'industrie. De la solution qu'elle reçoit dépend, souvent, l'avenir économique de toute une contrée. Je crois donc qu'il est utile, même nécessaire d'opérer les transports des hommes et des choses dans les conditions les plus favorables possibles à ces branches vitales de l'activité humaine.

M. A. Vandenpeereboom. - Depuis 1856, tous les ans, à l'époque de la discussion du budget des voies et moyens, j'ai présenté au gouvernement et à la Chambre quelques observations concernant l'exécution de l'article 10 de la loi du 22 avril 1849.

Cette persistance, qu'on pourra taxer peut-être d'opiniâtreté, est cependant parfaitement justifiée, car j'ai la conviction intime que l'éventualité que cette disposition législative prévoit est aujourd'hui réalisée.

Lorsque, en 1856, j'ai, avec d'honorables amis, soulevé pour la première fois cette question spéciale, je faisais partie de la minorité. Je n'étais pas mû alors par un esprit d'opposition. Mon seul but était d'assurer à une loi que j'avais contribué à voter en 1849 l'exécution complète que, d'après moi, elle devait recevoir. C'est pour ce motif, et parce que je crois notre cause bonne, que je persisterai à la défendre jusqu'à ce que le but que je poursuis soit atteint.

Messieurs, en 1856, je recevais, de la part de mes amis politiques, de nombreux encouragements. On m'engageait avec instance à ne pas abandonner la cause de la réforme, et on témoignait même des craintes que je ne faiblisse dans l'accomplissement de cette mission.

J'ai persévéré. Plusieurs de mes honorables amis ont depuis lors modifié leur opinion à cet égard ; ils ont déserté le drapeau qu'ils avaient défendu avec moi. Je n'en recherche pas les causes. Cependant, je ne puis pas le dissimuler, cette position est un peu isolée, et il est plus agréable d'être aujourd'hui, comme alors, entouré de nombreux amis.

Plusieurs des honorables membres qui me soutenaient en 1856, ont, l'année dernière, lorsque, avec mon honorable ami M. Orts, j'ai présenté un amendement, voté contre cet amendement. Cet insuccès aurait été peut-être de nature à me commander le silence cette année ; mais plusieurs membres nouveaux sont entrés dans cette Chambre, et j’ai la satisfaction de constater que tous les honorables collègues qui avaient bien voulu voter pour l’amendement que j’avais présenté avec l’honorable M. Orts, ont subi avec le plus grand succès l’épreuve électorale ; de sorte qu’aucun des adhérents à la réforme n’a succombé, tandis que, je regrette de le dire, plusieurs de ceux qui l’ont combattue et ont voté contre nous ne sont plus dans cette enceinte.

J'espère donc conserver mes honorables amis de l'année dernière et acquérir de nouveaux adhérents pour l'amendement que je me réserve éventuelle ment de proposer.

Messieurs, l'article 10 de la loi de 1849 est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à appliquer aux lettres transportées à une distance excédant 30 kil. la taxe de 10 centimes par lettre simple dès que le produit net de la poste aura atteint la somme de 2 millions de francs, »

La poste produit-elle au trésor 2,000,000 ?

Voilà toute la question ? L'année dernière j'ai cherché à examiner cette question de la manière la plus complète, et je crois l'avoir envisagée sous toutes ses faces, sous tous ses aspects. Je ne répéterai pas ce discours qui reposait sur de longues colonnes de chiffres ; la Chambre serait peu disposée à écouter cette répétition. Ce n'est pas le cas de dire : Bis repetita placent.

Je me contenterai donc de présenter quelques simples observations en réponse à des arguments produits dans la dernière discussion et depuis.

Messieurs, pour apprécier sainement la question de la réduction à un taux uniforme de la taxe postale, il faut nécessairement se reporter à l'époque où la loi de 1849 a été volée.

L'article 10 dont je viens de donner lecture, était une véritable transaction entre la Chambre des représentants et le Sénat. La Chambre avait adopté la taxe uniforme de dix centimes, mais le Sénat, préoccupé, à très juste titre, de la situation financière du pays, au lendemain de la révolution de 1848, le Sénat pensait que cette réduction entamerait trop brusquement les revenus du trésor.

L'honorable M. Rolin, pour éviter un conflit entre les deux assemblées, proposa l'article transactionnel dont je viens de donner lecture ; cet article fut adopté par le Sénat et ensuite par la Chambre. Il y a dont là une espèce de transaction. Mais il y a aussi, messieurs, une espèce d'engagement. Je ne veux pas dire que la Chambre de 1859 soit irrévocablement liée par ce qui s'est passé en 1849, ce serait une prétention trop absolue, mais, au moins il y a eu un quasi-engagement, un engagement moral.

Cela résulte, en effet, de la manière la plus évidente, et de la discussion, et des déclarations faites par l'honorable M. Rolin, qui disait que le vote de cet article constituait pour le pays une promesse et que c'était une garantie pour le pays qu'à une époque rapprochée la taxe uniforme de 10 centimes serait établie.

D'ailleurs, chaque fois que j'ai parlé sur cette question et que les ministres m'ont répondu, jamais ils n'ont soutenu que le gouvernement n'avait pas eu en 1849 l'intention d'exécuter l'article 10 de la loi du moment où le minimum de 2 millions serait obtenu. Or, messieurs, l'année dernière j'ai prouvé en adoptant les bases posées par l'honorable M. Rolin lui-même, que depuis 1854 le gouvernement perçoit, du chef de la poste, une somme nette qui excède les deux millions.

Il est encore inutile de faire de nouveau cette démonstration ; je ne veux pas fatiguer l’assemblée.

Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que, quand la loi postale a été votée, le gouvernement avait besoin de ressources, et qu'il avait proposé d'autres projets de loi qui frappaient directement le commerce et l'industrie ; un de ces projets de loi concernait les lettres de voiture ; un autre, les timbres des effets de commerce.

(page 261) En proposant ces deux derniers projets, l'honorable M. Veydt, alors ministre des finances, et après lui, l'honorable M. Rolin, déclaraient que, dans un temps donné, l'industrie et le commerce, frappés par ces deux lois, trouveraient une compensation dans la réforme postale.

C'est là un antécédent qu'il est bon de rappeler et qui mérite d'être pris en grande considération.

Dans la discussion du budget de 1859. j'ai soutenu que la recette de 1858 serait plus considérable que celle de 1857 ; je le soutenais, parce que, chaque année, il y avait un accroissement normal qui ne s'était jamais démenti ; je devais donc supposer qu'il en serait encore ainsi. Cependant, je déclare franchement que les résultats n'ont pas répondu à mes prévisions. M. le ministre des finances qui remplissait alors l'intérim du département des travaux publics estimait à fr. 4,329,000 la recette brute pour l'exercice 1858 ; je l'estimais, moi, à fr. 4,520.,000 ; la recette s'est élevée en réalité à fr. 4,292,000 ; il y a donc une légère différence en moins encore sur les prévisions de M. le ministre des finances.

Messieurs, pourquoi me suis-je trompé ? Et pourquoi y a-t-il eu décroissement dans la recette normale ? Je crois que la Chambre sera étonnée de l'apprendre, autant que je l'ai été moi-même.

Depuis assez longtemps il existait, entre la Belgique et diverses puissances, des conventions postales.

Vers la fin de l’année 1857, le terme de plusieurs de ces conventions était expiré ; on en fit de nouvelles ; eh bien, ces conventions ont eu un résultat tel sur le chiffre de la recette brute de la poste, que, malgré l'accroissement de recettes, du chef des lettres transportées à l'intérieur, il y a eu sur la recette générale de la poste, en 1858, une dépréciation extrêmement forte.

La somme à payer par les offices étrangers qui était, en 1847, de fr. 108,000, s'est élevée en 1857, à fr. 389,000, et avait flotté, depuis quatre ou cinq ans, entre fr. 380 000 fr. et fr. 405,000. En dix ans, 1847 à 1857, sur les sommes qui nous étaient payées par les puissances étrangères, pour les services que nous leur avions rendus, il y a donc eu une augmentation de 200,000 francs ; mais en 1858, au lieu de toucher 389,000 francs, pour services rendus aux offices étrangers, nous avons touché par suite des conventions nouvelles, seulement 45,000 fr. ; on comprend qu'une différence de 343,000 fr. perdus sur les correspondances avec l'étranger, doit exercer une influence fatale sur l'ensemble des recettes postales. Si nous faisons des progrès dans cette voie, il arrivera non seulement que nous ne recevrons plus rien, mais que nous devrons payer aux offices étrange s, une somme assez ronde, et déjà dans le compte probable des recettes de 1859, je trouve que nous aurons à solder pour cet exercice la somme de 47,000 fr.

Ainsi nous recevions 389 mille fr., nous en payerions 47,000, différence 436 mille. Si nous étions restés sur le terrain des anciennes conventions, la poste eût rapporté en 1858 au-delà de ce que je prévoyais moi-même.

Mais, répondra-t-on, nous avons fait ces conventions nouvelles parce qu'on n'est pas seul maître quand on négocie ; soit. Toutefois de ce qu'on n'est pas seul maître en ce cas, ce n'est pas une raison pour toujours obéir ; surtout quand on éprouve des pertes. Pour tomber d'accord, il faut que toutes les parties soient satisfaites, l'une et l’autre. Il ne suffit pas qu'une grande puissance qui contracte impose et dicte ses conditions, il faut aussi que l'autre nation qui traite avec elle ait son mot à dire et réponde : Je n'accepte pas vos conditions, si elles sont trop onéreuses.

Si le gouvernement belge s'était montré moins facile, nous aurions obtenu des conditions meilleures : ces conventions, je ne puis les approuver. Voici, en effet, la conséquence qu'elles ont eue : une lettre parcourt 30 kilomètres sur le territoire belge et passe la frontière, le port est de 20 centimes et la Belgique reçoit 6 centimes et une fraction.

Si cette lettre ne passait pas la frontière, la Belgique toucherait vingt centimes pour une lettre transportée à une distance de plus de 30 kilomètres en Belgique, et passant la frontière on paye 40 centimes ; la Belgique ne perçoit que 13 centimes, et si la même lettre s'arrêtait à la frontière, la Belgique percevrait 20 centimes.

Ce n'est pas tout. Lorsqu'une lettre simple circule dans toute l'étendue du territoire français, de Lille à Marseille, la poste de ce pays ne perçoit que 20 centimes ; pourquoi la France doit-elle percevoir sur une lettre venant de Belgique 26 centimes et une fraction, tandis que pour une lettre qui la traversée dans sa plus grande étendue, mais sans venir de la Belgique, elle ne perçoit que 20 centimes ? Je sais que le gouvernement belge est partisan de la liberté dis échanges ; j'applaudis à cette grande pensée ; mais il ne faudrait pas faciliter les échanges en faisant payer les lettres belges plus cher que les lettres françaises sur le territoire français. C'est une clause à laquelle le gouvernement n'aurait pas dû consentir, car l'Etat belge consent à se prêter à une réduction sur la taxe postale pour les pays étrangers, et il refuse de doter le pays d'un avantage semblable. Si le trésor veut faire des sacrifices, ce doit être, avant tout, pour faciliter des relations entre les Belges et non entre notre pays et la France, ou d'autres pays voisins.

Messieurs, il me semble donc que, sous ce rapport, il n'y a pas lieu de féliciter le gouvernement pour la convention qu'il a faite, et je déclare que, si cette convention a valu des croix à ceux qui l'ont conclue, je ne les en félicite pas. Je trouve que ces croix ont coûté très cher à la Belgique.

Je ne sais, en vérité, jusqu'à quel point de pareilles conventions sont constitutionnelles et peuvent recevoir leurs effets sans l'assentiment de la Chambre.

Il existe dans la Constitution un article 68 qui dit formellement : Tous les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l'État n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des Chambres.

Or, un traité qui impose à la Belgique une diminution de recettes de 400,000 fr. et qui en 1859 imposera un sacrifice réel de 47,000 francs, plus la charge de transporter sur tout le territoire toutes les lettres qui transitent, et qui vont à l'étranger ou en viennent, est bien un traité qui grève le budget et qui dès lors aurait dû avoir l'assentiment des Chambres. J'engage donc le gouvernement, si pareil cas se présente encore, de soumettre ces conventions à la Chambre. Nous ferons nos observations, et peut-être la Chambre, en faisant certaine résistance, obtiendra-t-elle des conditions meilleures que les négociateurs belges.

Du reste malgré cette perte si considérable, je pense pouvoir dire encore que la somme nette de 2 millions a été atteinte en 1858 et que par conséquent la taxe uniforme peut être mise en vigueur.

En 1858, en déduisant la somme que l'on croit due pour timbres-poste non annulés, nous avons une recette brute de 4,292,000 fr. et les dépenses libellées au budget sont de 2,215,000 fr., de sorte qu'il reste encore un excédant de 2,077,000 fr. Il ne faut que 2 millions net pour que la réforme à 10 cent, puisse être appliquée. Il y a donc un excédant de 77,000 fr. et il me semble que nous sommes dans le cas prévu par l'article 10 de la loi de 1849.

Je sais que le gouvernement n'est pas parfaitement d'accord avec moi sur la manière de compter, quoique cependant, il n'y ait en général, rien de plus simple ; mais je prends les bases qui ont été fixées par l'honorable M. Rolin lui-même au moment où la loi a été votée, c'est-à-dire que je prends en recette le produit brut de la poste, et de plus, le produit des offices étrangers qui, malheureusement, n'existera plus cette année et j'en déduis en dépenses les dépenses libellées au budget.

Le gouvernement portait jadis en compte les frais des paquebots entre Douvres et Ostende et ceux des bureaux ambulants. Mais ces dépenses ne devaient jamais être portées en ligne de compte, d'après les déclarations de M. Rolin. Je crois qu'aujourd'hui elles pourraient l'être bien moins que jamais, puisque ces services nous coûtent, au lieu de nous rapporter, et que les malles entre Douvres et Ostende n’ont rien de commun avec la taxe postale à l’intérieur du pays. Les frais qui en résultent ne peuvent donc être défalqués de ce que rapportent nos lettres circulant de village en village dans le pays.

Il me semble, messieurs, que le moment est venu de songer sérieusement à compléter la réforme. Nous sommes dans le cas prévu par la loi et le gouvernement ferait bien de consentir à la demande que nous lui faisons.

Quelles sont, messieurs, les objections qui ont été faites contre la mise en pratique de la taxe uniforme ? Il y en a trois principales : la première, c'est qu'il faut améliorer le service postal ; la seconde, c'est qu'il faut considérer la situation financière, en d'autres termes, que la situation financière ne permet pas de faire cette réforme ; enfin, et c'est une objection qui a fait un grand effet sur la Chambre, on dit qu'il n'y a que le haut commerce, que les grands négociants qui profiteront de cette réforme.

Il me sera facile de réfuter ces trois objections.

D'abord il faut encore améliorer le service postal.

Je suis le premier à reconnaître qu'il y a encore quelque chose à faire pour améliorer ce service, mais je le demande si, après avoir fait la réforme et lorsque par l'effet naturel de la diminution de la taxe, l'augmentation des lettres aura produit une somme à peu près équivalente à celle d'aujourd'hui, ne pourra-t-on pas encore améliorer le service postal ?

Il est à remarquer toutefois que ce service, qu'on calomnie parfois, n'est pas si mauvais qu'on semble le dire.

Il y a été introduit des améliorations très notables et pour tous ceux qui se rappellent ce qui existait il y a vingt ans il est évident que ce service est très convenablement organisé.

Qu'on se rappelle l'époque où l'on ne recevait les lettres à la campagne qu'une fois ou deux par semaine. C'étaient les gardes champêtres qui les portaient. Aujourd'hui on reçoit dans toutes les localités la correspondance au moins une fois par jour ; tout le monde peut aussi recevoir son journal et répondre à une lettre par retour du courrier.

Ces améliorations ont coûté beaucoup, elles ont coûté 725,000 fr. En 1847, la dépense de la poste était de 1,490,000, elle est aujourd'hui de 2,215,000, il y a donc une augmentation de dépenses de 725,000 Ir.

Cependant je reconnais qu’il y a encore des améliorations à apporter. Mais consacrez chaque année à ces améliorations les excédants de la somme de 2 millions. Cette année vous avez une recette de 2,077,000 fr. Employez 77,000 fr. à améliorer le service postal.

Que demande-t-on avant tout ? Et je suis du nombre de ceux qui demandent cela ; on demande un bureau de distribution dans les différents chefs-lieux de canton du pays. Il existe 82 bureaux. Augmentez le nombre de 40 cette année. En comptant la dépense de chaque bureau (page 262) nouveau à 1 800 fr., vous aurez 72,000 fr. de dépense que vous pourrez prendre sur l'excédant de 77,000 fr., et vous aurez fait un bien immense ; vous aurez réalisé une des améliorations qu'on réclame avec le plus d'énergie.

Vous voyez donc, messieurs, que je ne veux pas m'opposer à l'amélioration du service postal. Je reconnais que les employés de la poste sont des hommes extrêmement utiles, Ce sont des employés modestes, qui ont une position peu agréable, qui sont toujours enfermés dans leurs bureaux, qui n'ont pas même, comme les employés du chemin de fer, l'avantage de jouir du grand air, de voir du mouvement, mais qui sont en quelque sorte encellulés dans leurs bureaux. Je veux améliorer leur sort, mais je ne veux pas que ces améliorations servent de prétexte pour refuser un bienfait au pays tout entier.

Seconde objection : la situation financière ! Est-il nécessaire de répondre à cette objection ? Pour quiconque suit le mouvement des recettes depuis quelques années, il est évident que ces recettes augmentent dans une proportion extrêmement satisfaisante. Pour celui qui vérifie la balance entre les recettes et les dépenses, il est clair que la situation financière est bonne, et j'en félicite M. le ministre des finances à qui nous devons cette situation par les efforts qu'il a faits à une autre époque pour rétablir nos finances délabrées. Mais j'en tire aussi la conclusion que cette situation ne doit pas retarder l'amélioration que nous réclamons.

Du reste, ce que la Chambre a fait récemment prouve qu'on ne craint pas les déficits ; on a voté des dépenses considérables, des réductions de péages importants, et l'on n'a pas invoqué alors la situation financière, on n'en a pas appelé à cet épouvantail qui n'effraye plus personne, le vote de nouveaux impôts !

Ainsi l’objection tirée de la situation du trésor n'est pas sérieuse ; cette situation est bonne. La Chambre peut voter une réforme utile, sans compromettre en rien l'équilibre des recettes et des dépenses.

Reste la troisième objection. M. le ministre des finances nous a dit dans son discours de l'an dernier, et je le répète, cette objection a produit le plus grand effet : Le haut commerce seul profitera de la réduction du port des lettres ; les petits n'en profiteront rien ; c'est une mesure non pas démocratique, mais aristocratique ; et à l'appui de l'énonciation de ce principe, il a cité un exemple extrêmement frappant.

Il a dit : A Anvers, ville de 100,000 habitants, il y a 10,000 patentés. Le nombre des lettres que fournit Anvers est de 951,000 fr., le produit est 471,000 fr. Sur ces 10,000 patentés et 100,000 habitants, il y a 175 grands négociants qui ont une boîte à la poste. Ces 175 grands commerçants reçoivent 480,000 lettres et payent à la poste 200,000 fr. ! D'où il résulte que les 175 grands négociants reçoivent à peu près la moitié des lettres qui arrivent à Anvers et payent à peu près la moitié du produit total que donne cette ville. Je crois avoir cité parfaitement les chiffres de M. le ministre des finances.

Quand cet exemple a été produit, j'en ai été frappé, mais je me suis dit immédiatement qu'il devait y avoir un motif pour qu'il en fût ainsi et que cet argument ne pouvait pas être très concluant contre la cause que nous défendons. En effet j'ai interrompu M. le ministre des finances et lui ai dit : Dans ces lettres sont comprises celles pour l'étranger.

M. le ministre des finances m'a répondu : C'est vrai ; mais je compare 175 à 10,000, l'argument a donc toute sa valeur.

Messieurs, depuis lors, j'ai examiné de plus près la question et j'ai la conviction aujourd’hui que cet exemple ne prouve absolument rien pour démontrer que les grands négociants profiteraient seuls de la réforme postale.

D'abord on a pris Anvers. Pourquoi ? Parce qu'Anvers a, beaucoup plus que toute autre place, des relations avec l'étranger, et que les lettres pour l'étranger sont généralement celles qui coûtent cher. Si donc ces grands négociants payent à peu près la moitié de ce que produit à la poste la ville d'Anvers, c'est parce qu’ils ont plus de relations avec l'étranger.

On paye 200,000 fr. pour 480,000 lettres. C'est en moyenne 41 centimes par lettre.

Or, comme ces négociants ont des lettres à 10 et à 20 centimes, il faut en conclure qu'un grand nombre de leurs lettres sont des lettres pour l'étranger, des lettres qui, comme celles pour la Chine, pour l'Amérique, sont des lettres de poids qui coûtent cher et que les négociants sont obligés d'affranchir en partie pour les expédier.

Je suis allé plus loin. Ce n'étaient là que des suppositions. Je me suis permis de faire une petite enquête, qui ne fera pas beaucoup de bruit, je l’ai faite seul, sans commission, mais elle n'en a pas moins produit de bons résultats. J'ai écrit à plusieurs négociants d'Anvers, à ceux qui font le plus d’affaires, et je leur ai demandé s'il ne serait pas possible de tenir note pendant un temps assez long, pendant même une année entière, de ce qu'ils payaient pour les lettres circulant dans le pays, et les sommes qu'ils soldaient, au contraire, pour les lettres de et pour l'étranger. Or, messieurs, voici quelques résultats :

Un honorable négociant d'Anvers m'écrit : « J'ai le plaisir de vous donner les renseignements demandés par votre amicale du ... Le relevé approximatif que j'ai fait faire du montant de mes ports de lettres payés en 1858, tant en espèces qu'en timbres-poste, donne pour ma correspondance à l'intérieur environ 1,000 fr. et pour celle de et pour l'étranger 3,000 fr. »

Ainsi, messieurs, ce négociant paye 75 p. c du chef de sa correspondance avec l'étranger et 25 p. c du chef de sa correspondance à l’intérieur.

Que prouve donc l'exemple cité ? S'agit-il d'abaisser la taxe sur les lettres destinées à l'étranger ou venant de l'étranger, ou s'agit-il des lettres circulant à l'intérieur du pays ?

Remarquez, messieurs, que, plus une maison est considérable, plus est forte la proportion de sa correspondance avec l'étranger, et que dès lors, loin d'être exclusivement favorable aux grands négociants, la réduction de la taxe postale à l'intérieur profiterait surtout à ceux qui font le moins d'affaires. Elle leur profiterait exactement en raison inverse de l'importance de leurs opérations.

J'ai appris qu'une autre maison de commerce d'Anvers payait en 1858 2,950 fr. dont 2,100 fr. pour la correspondance étrangère et 850 fr. pour la correspondance intérieure.

Enfin, une troisième maison avait payé pour sa correspondance étrangère 1,268 fr. et pour sa correspondance intérieure 558 fr., ensemble 1,826 fr. La correspondance intérieure ne figure donc que pour un tiers dans le chiffre total.

De sorte, messieurs, que je puis dire que sur les sommes payées par les 175 grands négociants dont on a parlé, 70 à 75 p. c. concernent la correspondance étrangère qui n'a rien de commun, je le répète, avec la réforme postale. Ces négociants payent, en moyenne, 300 fr. dont deux tiers, soit 200 fr. pour leur correspondance avec l'étranger et 100 fr. environ pour leur correspondance à l'intérieur ; la réduction de la taxe de 20 à 10 centimes leur procurerait ainsi à chacun un bénéfice de 50 francs par an, au plus ; je dis de 50 fr. au plus parce qu'une partie des lettres ne payent que 10 centimes.

Remarquez, messieurs, que ceux qui correspondent avec ces grands négociants, c'est-à-dire les petits commerçants et les industriels, doivent affranchir leurs lettres à l'étranger, ils gagneront à la réforme autant que les grands négociants.

Ainsi, messieurs, ce n'est pas la crainte de trop favoriser le haut commerce qui doit nous empêcher de compléter cette réforme.

On a dit aussi, messieurs, que la Banque Nationale gagnerait immensément... 5,000 fr. par an ! Eh bien, je le demande, qu'est-ce que 5,000 fr. pour un établissement qui fait rouler 110 à 125 millions de billets de banque ? Les actions de la Banque Nationale ne monteraient pas beaucoup, je pense, si l'on admettait la taxe uniforme à 10 centimes.

Messieurs, il y a peu de jours, vous avez voté une réduction des péages du canal de Charleroi. Le gouvernement a soutenu alors que les grands industriels et les propriétaires de nombreux bateaux, c'est-à-dire les riches, profiteraient presque exclusivement de cette réduction .

Cependant, cette considération n'a pas arrêté le gouvernement qui proposait une réduction de 25 p. c. ni la Chambre qui s'est montrée un peu plus généreuse.

On n'a pas soutenu, alors, que les grands industriels gagneraient plus que les petits, que celui qui est propriétaire de 25 bateaux par exemple, gagnerait 25 fois plus que celui qui n'en a qu'un.

Dernièrement, et j'en félicite le gouvernement, il a modifié le tarif des taxes télégraphiques et a établi une taxe uniforme, quelle que fût la distance. Cependant le télégraphe n'est pas dans la même position que la poste ; la poste n'a pas de capital à renouveler ni à amortir, tandis qu'il y a un capital engagé dans le télégraphe.

Et, encore une fois, messieurs, à qui profite cette réduction du tarif des dépêches télégraphiques ? Est-ce aux particuliers, aux petits industriels, aux petits marchands, aux petits fermiers ? Evidemment non. II n'y a que les fortes maisons de commerce et les grands industriels qui puissent utiliser le télégraphe.

Ainsi, messieurs, on n'argumente pas toujours dans le même ordre d'idées, et ce qui est une objection dans un cas n'en est pas une dans l’autre.

Je dis, moi, qu'en règle générale toute réduction de droits ou de péages développe les affaires et est utile aux intérêts généraux. C'est à une proposition incontestable et incontestée. Qu'on ne vienne donc pas dire que la réforme postale ne produirait pas de résultat ; elle produirait le résultat que produisent toutes les réductions de péages ; elle augmenterait la consommation et serait utile, dans une certaine mesure, à toutes les parties du pays. Ce ne serait pas comme pour la réduction des péages sur le canal de Charleroi ; une partie, un tiers peut-être du pays, profiterait de cette réduction, du sacrifice fait par le trésor ; tout le monde, au contraire, tirerait bénéfice de la réforme postale, les bienfaits de cette mesure se répartiraient entre tous les Belges et chacun y aurait une part exactement proportionnée à sa consommation.

Le gouvernement a conservé le monopole du transport des dépêches ; (page 263) c'est une raison pour être très modéré dans la fixation de la taxe, puisque la concurrence ne peut pas intervenir pour abaisser les prix quelque élevés qu'ils fussent.

Je dis qu'il ne faut pas abuser de cette position et que lorsqu'on a un monopole il faut abaisser ses prix au taux où la concurrence les ferait descendre si le monopole n’existait pas.

Enfin, messieurs, il est constaté par la statistique que le mouvement des lettres a diminué en 1858. J'ai peine à le croire, toutefois, puisque la recette du chef des lettres a augmenté. Or, si le nombre des lettres transportées avait diminué, je ne vois pas comment la recette aurait pu augmenter.

Ce fait toutefois, s'il était exact, mériterait d'assurer l'attention de la Chambre ; il prouverait que la réforme de 1849 a produit tous ses effets et que dès lors il ne peut plus opérer pour augmenter le mouvement des lettres, et qu'il y a lieu d'aller plus loin.

Messieurs, je déclare en terminant, que le commerce et l'industrie ont droit à réclamer la taxe uniforme de 10 centimes. Je l'ai dit déjà, on lui a imposé en 1847 et 1848 un sacrifice réel, au moyen des timbres de commerce et des lettres de voiture. Il est temps qu'une compensation lui soit accordée. L'honorable M. Rolin l'a proclamé au Sénat ; il a fait une promesse qui ne doit pas être perdue de vue.

Je demande au gouvernement de vouloir bien examiner avec sollicitude et bienveillance si le moment n'est pas venu d'établir la taxe uniforme de 10 centimes Je désire que cette utile mesure parte de l'initiative du gouvernement, et si le gouvernement voulait nous promettre que le pays sera doté de cette réforme dans un délai déterminé et pas trop éloigné, je l'en remercierais sincèrement. Mais, dans le cas où il croirait devoir s'abstenir encore, comme nous désirons connaître le nombre des membres de la Chambre qui jugent avec nous que le moment de considérer la réforme est arrivé, nous croirions devoir reproduire l'amendement que nous avons proposé en 1858 avec l'honorable M. Orts.

M. Rodenbach. - Messieurs, depuis un grand nombre d'années j'ai proposé et soutenu dans cette enceinte la taxe uniforme de 10 centimes. Je persiste toujours dans mon opinion, j'y persiste d'autant plus que les chiffres éloquents cités en 1858 par l’honorable préopinant et qu'il vient de reproduire, m'ont convaincu de plus en plus de la nécessité d'introduire chez nous le système qui a été adopté en Angleterre, le penny anglais.

Je n'examinerai pas la question au point de vue où s'est placé l'honorable préopinant. Je me bornerai à indiquer quelques chiffres pour comparer, sous ce rapport, la France à l'Angleterre.

En 1858, ou a expédié en Angleterre 522 millions de lettres, c'est-à-dire, un demi-milliard 22 millions de lettres ; la population des trois royaumes est de 27 millions (interruption) ; je sais que le commerce en Angleterre est immense, mais n'importe ; eh bien, la France, qui a une population de 35 millions d'âmes, et où l'on perçoit la taxe de 20 centimes, n'a vu circuler, pendant la même année, que 250 millions, c'est-à-dire, moins de la moitié des lettres qui ont été transportées en Angleterre sous l'influence du penny.

On a vendu, en France, pour un franc de timbres-poste par tête et en Angleterre pour deux francs par tête.

Messieurs, je suis convaincu que si l'on établit en Belgique la taxe uniforme de 10 centimes, le nombre des lettres transportées augmentera considérablement. Je crois qu'aujourd'hui le nombre des lettres transportées en Belgique est de 18 millions ; soit, pour une population de 4,500,000 habitants, une moyenne de 4 à 5 lettres, tandis qu'en Angleterre la moyenne est de 20 lettres par individu.

A mon avis, tous les motifs militent en faveur de l'établissement de la taxe uniforme de dix centimes. C'est une mesure qui sera favorable à l'industrie et au commerce. L'honorable préopinant vient de prouver clairement qu’elle profitera, non pas seulement au haut commerce, mais à la généralité.

Je me bornerai à ces quelques mots. Je crois que les chiffres que j'ai cités sont assez éloquents et doivent faire impression sur l'esprit des membres de la Chambre.

M. H. Dumortier. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Vermeire exprimer le désir de voir fixer par une loi les bases du tarif des marchandises sur le chemin de fer. Déjà antérieurement diverses propositions conçues dans ce sens ont été présentées à ce sujet dans cette Chambre. Cette question ayant été soulevée de nouveau cette année dans la section centrale, le gouvernement a répondu qu'il ne croit pas le moment venu de régler le tarif des marchandises par une loi.

Je me range complètement à l'avis du gouvernement. On veut régler par une loi, par des principes stables, fixes... quoi ? La chose la plus mobile, la plus variable : le trafic commercial. Une foule de faits qui se produisent dans le commerce et l’industrie, non seulement à l'intérieur du pays, mais à l'étranger, viennent exercer une influence plus ou moins grande sur notre trafic commercial ; ces faits doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit de régler les péages sur le chemin de fer, et l’on voudrait déterminer par des principes stables et invariables la quotité à payer pour les marchandises circulant sur le railway national. A mes yeux, cela est impossible en ce moment.

D'ailleurs, l'expérience est là, et le gouvernement l'a fait remarquer avec raison dans les notes fournies à la section centrale : dans aucun pays, l'on n'a encore essayé de fixer par une loi les bases du tarif des marchandises, et dans notre pays vous avez vu quels essais réitérés on a tentés pour adapter les péages du chemin de fer aux besoins du commerce et de l'industrie.

N'avons-nous pas eu déjà plusieurs tarifs ; cela seul ne prouve-t-il pas, indépendamment de ce qui se passe dans d'autres pays, que c'est une branche du service public composée d'éléments nombreux et variables qu'il est presque impossible de saisir et de fixer par une loi ?

Si vous parcourez ce qu'on écrit sur les chemins de fer en France et en Angleterre, vous verrez que le tarif est la grave question, la tâche de tous les jours qui préoccupe les administrations des chemins de fer, parce que les administrations ont intérêt à répondre journellement à des besoins nouveaux qui se produisent dans la sphère des relations commerciales et industrielles ?

Mais en supposant que le tarif du transport des marchandises par chemin de fer puisse être réglé par une loi, le moment est-il arrivé de le faire, l'expérience est-elle assez complète ?

L'honorable M. Vermeire dit que oui. L'honorable M. Van Hoorebeke, dit-il, a présenté un projet de loi en 1852, dont le moment paraissait être arrivé alors pour opérer cette réforme ; à plus forte raison doit-il en être ainsi aujourd'hui.

Je m'expliquerai tantôt sur ce projet ; je reconnais que l'expérience faite en Belgique est longue, je pense cependant qu'elle est loin d'être complète pour régler cette question par une loi.

M. le ministre des travaux publics, dans un discours qui n'a peut-être pas été assez remarqué, a annoncé récemment qu'il était sur le point de faire une nouvelle expérience de tarifs spéciaux, abolissant en cette matière les contrats particuliers qui ont été faits pour le transport de marchandises jusqu'ici. Je crois que cette idée est excellente. Les tarifs spéciaux sont adoptés par les administrations les plus intelligentes en Angleterre et en France ; en effet, des transports périodiques et réguliers de quantités considérables de marchandises peuvent être faits à des prix plus modérés, en conciliant à la fois les intérêts du trésor avec ceux du commerce et de l'industrie.

Vous voyez, messieurs, que cette question grave est loin d'être résolue, et que cette expérience, loin d'avoir donné des résultats complets, n'est pas même encore mise en pratique.

Il est d'autres questions, non moins graves, qui ne sont pas arrivées à une solution complète.

Nos tarifs sont d'un prix modéré pour les distances peu considérables, mais ils sont très élevés, presque prohibitifs quand il s'agit de longs trajets pour les matières pondéreuses, comme le charbon, par exemple.

Si l'on admettait pour le chemin de fer de l'Etat ce qui existe pour plusieurs chemins étrangers, si l'on admettait un tarif basé sur une progression descendante en proportion de la longueur des distances à parcourir, il est évident qu'on augmenterait, dans une proportion considérable, les revenus du chemin de fer.

M. le ministre l'a dit, cette expérience il l'a faite en petit pour les charbons en destination de Zele et de Lokeren. Autrefois on ne transportait pas un tonneau de marchandise pour ces localités ; depuis que l'Etal a admis à titre d'essai, de commun accord avec la compagnie de Dendre-et-Waes, un système de tarif descendant selon les distances, une quantité considérable de charbon a été transportée vers ces localités.

L'honorable M. Vermeire se plaint de ce que ce système n'a pas encore été étendu à toute la ligne de Dendre-et-Waes. C'est à M. le ministre de répondre. Mais si mes renseignements sont exacts, le gouvernement est disposé à adopter le même système pour toute cette ligne, si des offres de la société de Dendre-et-Waes se présentent dans des conditions acceptables.

Quand je disais que les administrations les plus intelligentes de chemin de fer adoptaient un tarif présentant une progression descendante au fur et à mesure que la distance augmente, je n'avançais pas des allégations dénuées de preuve ; je tiens en main cette preuve ; c’est ce qui se pratique sur le chemin de fer du Nord. Sur ce chemin, les prix, suivant les distances à parcourir, se divisent en plusieurs catégories, de 10, 50, 100, 150, 200 et 300 kilomètres.

Voici le système adopté par cette administration dont on ne contestera pas l'intelligence, je le recommande à l'attention de M. le ministre des travaux publics.

Pour ne pas fatiguer la Chambre en citant un trop grand nombre de chiffres, je me bornerai à faire insérer ces données dans les Annales parlementaires.

(page 264) (Suivent des données, non reprises dans la présente version numérisée)

Ces renseignements ne sont pas sans importance ; ils prouvent d'une manière irréfutable que ce système est appliqué avec succès sur les meilleures lignes.

Il y a bien d'autres questions encore pour lesquelles l'expérience que nous avons faite n'est pas complète.

On a déjà parlé plusieurs fois dans cette Chambre, d'un tarif basé sur les distances légales ; d'un tarif qu'on a désigné aussi sous le nom de tarit à vol d'oiseau.

L'honorable M. Vermeire lui-même a plus d'une fois soulevé cette question : c'est une question extrêmement grave, et elle a de la gravité non seulement pour le trésor public, mais aussi pour les chemins de fer concédés.

Il est évident que notre réseau de chemin de fer prenant tous les jours une extension plus considérable présentant un grand nombre de détours, il arrivera un moment où l'on sera probablement obligé d'avoir recours à un autre système de tarif. Sera-ce un tarif calculé en ligne droite ou à vol d'oiseau ou bien un tarif combinant ces deux éléments, la ligne droite et la distance réellement parcourue ?

C'est une question sur laquelle je n'ai pas de données complètes, mais il suffit de l'indiquer pour en saisir toute l'importance et pour vous donner la conviction, pour cette question comme pour d'autres, que nous n'avons pas fait une expérience assez complète pour arrêter un tarif de transport de marchandises d'une manière fixe et immobile par une loi.

On me dira probablement (c'est une objection qui a été souvent produite) : Mais nous ne demandons pas que toutes les dispositions d'un tarif de marchandises soient déterminées invariablement et d'une manière fixe, immobile par une loi ; nous voudrions seulement que la législature en tuât les bases, en établissant des maxima et des minima, de façon qu'il y eût des limites en dehors desquelles le gouvernement ne pût se placer pour fixer le prix de transport des marchandises.

Eh bien, messieurs, fixer un maximum et un minimum, déterminer une limite dans laquelle devrait se renfermer le gouvernement, ce serait faire trop et trop peu. Ce serait trop, parce qu'une pareille limite entraverait la liberté du gouvernement qui doit faire des expériences, ou ce serait trop peu car, si l'on ne veut pas enlever à l'Etat la liberté qui lui est indispensable, cette limite devrait être tellement large, qu'en fait il n'y aurait rien de plus limité que ce qui existe actuellement. Donc l'objection tirée de ce qu'on devrait seulement établir un maximum et un minimum, lorsqu'on l'examine à fond, est plutôt une question de théorie qu'une question de fait.

Je crois qu'en cette matière plus qu'en aucune autre, il est nécessaire de faire constamment appel à l'expérience d'hommes pratiques. Certainement notre administration des chemins de fer ne s'est pas montrée récalcitrante, lorsqu'on lui a démontré que telle mesure pouvait être utile, pouvait être favorable au trésor et au commerce. Eh bien, en continuant à contrôler ses actes, à les contrôler sévèrement, et on l'a fait quelquefois trop sévèrement, il faut lui laisser en thèse générale l'initiative des mesures à prendre.

J'ai lu les discussions qui ont eu lieu depuis quelques années sur nos chemins de fer, et je déclare que je me croirais incompétent si l'on me soumettait une loi en ce moment. Ce sont là des questions compliquées pour lesquelles il faut des hommes pratiques et qu'il faut laisser étudier par l'administration.

Maintenant que fait l'administration ? Est-ce qu'elle nous dérobe ses actes en est-ce qu'elle décline la responsabilité qui en découle ? En aucune façon. Le dernier compte rendu que nous avons sur les opérations du chemin de fer est une œuvre extrêmement complète, très remarquable. C'est l’honorable M. Partoes qui le premier a donné un travail aussi étendu sur cette matière. Vous pouvez y voir les actes en détail de toute l'administration.

Eh bien, si quelqu'un d'entre nous a une proposition utile à faire, une réforme à demander sur tel ou tel point du tarif, le gouvernement, j'en suis sûr, écoutera les observations utiles qui lui seront faits ; mais je ne vois pas la nécessité de fixer par une loi et d'une manière invariable ce qui de sa nature est très mobile et presque insaisissable, et dans une question surtout où l'expérience, quoique longue, n'est cependant pas assez complète.

Messieurs, on a rappelé ce qui a été fait, il y a quelques années, pour le tarif des voyageurs. J'ai entendu dire très souvent par les personnes qui préconisent le système de l'honorable M. Vermeire, qu'on a admis pour le tarif des voyageurs le système que nous repoussons pour le tarif des marchandises.

Messieurs, je me demande si l'analogie ou plutôt la similitude existe bien entre les deux cas. Il tombe, me paraît-il, sous le sens qu'il est impossible de comparer le trafic commercial avec le transport des voyageurs.

Pour les voyageurs, l'article 10 de la loi du 12 avril 1852 a déterminé quelques cas spéciaux où le gouvernement aurait une certaine latitude, pourrait réduire jusqu'à 50 p. c. le prix des places ; mais ces cas sont déterminés et étaient faciles à déterminer ; il s'agit des cas d'élections, de fêtes à Bruxelles et autres semblables ; il n'y a pas de similitude entre le transport des voyageurs et le trafic des marchandises où mille circonstances peuvent tous les jours bouleverser les plus sages combinaisons.

L'honorable M. Vermeire vous a dit qu'en 1852 l'honorable M. Van Hoorebeke, étant ministre des travaux publics, avait présenté un projet de loi réglant le tarif des marchandises ; que ce projet établissait des bases d'une manière fixe, et il en a tiré la conclusion que puisque cela était utile et regardé comme nécessaire en 1852, à plus forte raison on devait reconnaître cette mesure utile en 1859.

L'honorable membre a oublié de vous faire l'historique de ce projet de loi. Je vais lui rappeler ce qui s'est passé à cette époque.

L'honorable M. Van Hoorebeke a eu effet présenté un projet de loi. Il y avait sur ce projet à peu près autant d'avis différents que de personnes consultées. Ce projet fut complètement démoli par la section centrale, qui le rejeta dans toutes ses parties à peu près à l'unanimité.

La section centrale se chargea de la tâche fort difficile, comme vous allez le voir, d'édifier quelque chose en place de ce qu'elle venait de renverser. L'honorable M. Lesoinne fit un rapport à la Chambre, je vous demande la permission de vous lire quelques lignes de l'introduction de ce travail pour vous faire voir la situation difficile dans laquelle se trouvait alors placée la section centrale :

« Votre section centrale, disait M. Lesoinne, a consacré, à l'examen du projet de loi qui vous est soumis, de longues et laborieuses séances. Elle n ne s'est pas dissimulé les difficultés qu'il y avait pour elle à vous présenter un travail satisfaisant sur une question d'une aussi haute importance et pour l'exacte appréciation de laquelle les éléments lui font généralement défaut. »

Eh bien, ces éléments nous font défaut aujourd'hui tout aussi bien qu'à l'honorable M. Lesoinne et à ses collègues de la section centrale de 1853.

« Elle a donc dû chercher, ajoutait le rapporteur, à s'éclairer de l'expérience qui a été faite des différents tarifs qui ont été successivement (page 265) appliqués au chemin de fer de l'Etat ; elle a aussi eu recours aux tarifs en usage sur beaucoup de chemins de fer étrangers ; mais elle doit faire remarquer que ces derniers tarifs n'ont pu lui fournir que des renseignements assez incomplets. En effet, ils sont, en pratique, purement nominaux et n'indiquent, en quelque sorte, que le maximum des prix de transport admis par les compagnies ; elles s'ont entièrement libres de diminuer ces prix, selon leur convenance, et l’on sait qu'elles contractent des marchés à prix réduits, selon l'importance et la régularité des transports. »

Voilà donc la position où nous sommes placés. Lorsque nous avons les documents qui se publient dans toute l'Europe, nous n'avons que bien peu de renseignements sérieux, parce que ces tarifs ne sont pas de véritables tarifs. Il existe à côté de ces tarifs d'autres tarifs qui sont la base du trafic.

Vous voyez, messieurs, que les bases pour faire un tarif nous manquent, à nous qui ne sommes pas des hommes du métier, qui n'avons pas de pratique dans ces affaires. Vous voyez aussi combien la tâche serait difficile, et la preuve qu'elle est difficile, c'e t que le rapport de l'honorable M. Lesoinne repose en paix depuis 1852 dans les cartons du département des travaux publics et que jamais on n'a tenté de l'en faire sortir. Je ne pense pas que d'ici à longtemps un autre ministre tentera l'expérience qu’a voulu faire l'honorable M. Van Hoorebeke en 1852.

Messieurs, il y a certainement plusieurs choses à faire pour perfectionner l'administration du chemin de fer, et je suis bien loin de dire que tout est au mieux dans cette branche du service public. Mais à mesure que les renseignements utiles sont donnés, l’administration en profite pour améliorer ce qui existe.

Je crois qu'il est désirable que l'on cherche à simplifier autant que possible les tarifs, mais que la Chambre vienne dire : Il faut adopter tel e ou telle mesure de détail, il faut rejeter telle autre, c'est ce qui me paraît fort difficile. Nous ne pouvons donner ici que des idées générales, le reste est une affaire d'exécution, dont le gouvernement doit se charger sous le contrôle de la Chambre.

Je crois donc qu'il faut simplifier autant que possible les tarifs. Je crois aussi qu'il faut chercher à établir une certaine uniformité entre les tarifs du réseau de l'Etat et les tarifs des compagnies concessionnaires, ces tarifs présentent aujourd'hui la plus grande diversité. Je pense également qu'il faut faire une expérience dans le sens du système qui a été admis par la compagnie du Nord, c'est-à-dire que, pour le transport des matières pondéreuses surtout, il faudra admettre des tarifs présentant une progression descendante à mesure que les distances à parcourir augmentent.

Il y a d'autres points encore qui seraient dignes de l'attention de la Chambre, mais qu'il serait trop long d'énumérer en ce moment. Je cite ceux-là pour prouver que je suis loin d’être optimiste, dans cette matière, de trouver que tout est au mieux dans l'administration du chemin de fer, qu'il ne faut pas stimuler le gouvernement pour l'engager à faire mieux ; mais je dois avouer avec conviction qu'il ne me paraît pas possible que cette matière puisse être réglée par une loi en ce moment.

M. Moncheur. - Je serai très bref, car la plupart des observations que je voulais présenter viennent de l'être d'une manière très claire par l’honorable préopinant.

Je ne partage pas non plus l'opinion de mon honorable ami, M. Vermeire, qui pense que l'on peut régler le tarif des marchandises par une loi. Evidemment un tarif établi par une loi serait de sa nature un tarif inflexible ; il déterminerait un maximum et un minimum peut-être, mais il arriverait toujours, dans ces limites, à l'inflexibilité ; or, l'inflexibilité des tarifs est une chose que je considère comme fatale, non seulement aux recettes du chemin de fer, mais encore à l'industrie et au commerce, et par conséquent à la prospérité du pays.

Le chemin de fer, quoique exploité par l'Etat, doit l'être au point de vue commercial. Il ne peut pas être administré comme toutes les branches de l'administration proprement dite, où le gouvernement agit dans le cercle de ses attributions, d'après des règles fixes ; l’Etat a un autre rôle que le rôle d'administrateur quand il gère un chemin de fer : il est réellement commissionnaire, il est transporteur, il est industriel ou commerçant lu- même. Il doit donc se plier, pour autant que cela est nécessaire, aux circonstances diverses qui peuvent se présenter et qui se présentent en effet souvent au point de vue du commerce.

Je crois, messieurs, que si, en 1852, l'on a encore pu dire qu'il était rationnel d'avoir des tarifs uniformes, on doit, en 1859, être convaincu du contraire, parce que depuis lors on a dû reconnaître que, dans beaucoup de cas spéciaux, les tarifs uniformes auraient été un obstacle invincible à l'accroissement des recettes du chemin de fer et au développement de l'industrie

On a parlé des traités spéciaux qui existent entre l'administration du chemin de fer et des industriels.

Eh bien, je crois qu'on ne pourra jamais abroger d'une manière complète ces sortes de traités. Mais ici expliquons-nous : on ne doit pas faire des traités spéciaux avec tel industriel plutôt qu'avec tel autre, lorsqu'ils sont dans les mêmes conditions, car cela constituerait un privilège. Mais je dis que lorsque deux industriels se trouvent dans les mêmes conditions, lorsqu’ils sont tous deux dans la position de pouvoir fournir une certaine quantité de transports de marchandises par jour, à longue distance, il faut leur accorder des réductions de péage ; parce que par ce moyen on crée, pour le chemin de fer, des transports lucratifs que, sans cela, il n'aurait pas.

Ainsi, je suppose qu'un industriel présente un certain nombre de waggons de houille à transporter à un des points extrêmes du pays, à Ostende, par exemple ; si, au moyen d'une réduction de tarif, il peut arriver à Ostende et y lutter avec les charbons anglais, et si le chemin de fer, malgré cette réduction, a encore un bénéfice qui soit amplement rémunérateur, il est évident qu'il y aura, dans cette opération, bénéfice pour tout le monde. Il y aura, d'abord, bénéfice pour le chemin de fer qui opérera des transports nouveaux, que, sans cela il ne ferait pas ; il y aura bénéfice pour le consommateur, qui aura le charbon à meilleur marché que le charbon anglais, et il y aura bénéfice pour l'extracteur de charbon, qui trouvera un débouché de plus pour ses produits. C'est ainsi que vous pouvez vaincre, par une mesure profitable pour tout le monde, par des réductions de péage sagement combinées, une concurrence étrangère à notre industrie nationale.

Ayez, au contraire, un tarif inflexible, soyez enchaîné par un maximum et un minimum, et il pourra se faire que cette lutte avec l’industrie étrangère devienne impossible ; et alors le consommateur payera le charbon plus cher, le chemin de fer perdra des transports fructueux et l'extracteur ne pourra plus écouler sa marchandise, comme il aurait pu le faire.

Vous voyez, enfin, que les tarifs inflexibles sont rationnellement impossibles, et que dès lors une loi, à moins d'être excessivement large, est également impossible.

Mais une loi excessivement large n'est plus, selon moi, une loi et je préfère la responsabilité tout entière de M. le ministre des travaux publics.

M. Vermeire. - J'ai écouté avec beaucoup d'attention les observations qui viennent d'être présentées par les honorables préopinants, et, je dois le dire, nous sommes très près de nous entendre.

Les honorables préopinants, en combattant les raisons que j'ai fait valoir dans mon discours, croient qu'en demandant l'uniformité des tarifs j'ai demandé des tarifs inflexibles, devant, en toutes circonstances, rester les mêmes.

Il n'en est pas ainsi.

Lorsque j'ai réclamé l'uniformité des tarifs, j'ai entendu par-là que, tous ceux qui font des transports sur le chemin de fer dans des conditions identiques, pussent jouir des mêmes avantages de réduction.

L'honorable M. Moncheur dit qu'il serait utile d'accorder pour les longs parcours certaines réductions, surtout en ce qui concerne la houille qui serait, par exemple, transportée vers Ostende. Mais je demande si Ostende verrait avec plaisir que la houille destinée à l'exportation serait transportée à des prix moindres que la houille destinée à la consommation des habitants ; or c'est ce qui avait lieu avec les anciens tarifs.

Si, pour les transports vers Ostende, vous réduisez les prix de 50 p.c. pour une quantité déterminée d'objets, les transports sur Bruges, effectués dans les mêmes conditions et pour les mêmes quantités ne doivent-ils pas jouir de la même réduction ? C'est là tout ce que je demande. Quand je réclame l'uniformité des tarifs, je n'entends guère réclamer autre chose que l'uniformité des péages pour les transports qui se font dans des conditions égales. S'il n'en était pas ainsi, on tomberait dans l'arbitraire le plus injuste.

Pourquoi le législateur de 1834 a-t-il exigé que les tarifs seraient réglés par une loi ? N'était-ce pas pour prévenir cette situation anomale qui existe aujourd'hui ? Et, messieurs, que vient nous demander l'honorable M. H. Dumortier ? Que cette partie de la loi constitutive des chemins de fer, ne reçoive pas son exécution. L'honorable membre a soutenu que le temps ne viendra jamais...

M. H. Dumortier. - Je n'ai pas dit : Jamais.

M. Vermeire. - C'est ce qui ressort de votre argumentation. Mais voilà un quart de siècle qu'on exploite les chemins de fer, et il n'y pas encore de loi réglant les tarifs. Toute la surface du globe, en quelque sorte, est couverte de chemins de fer dont l'exploitation est soumise à des règlements fixes, pourquoi n'en pourrait-il être de même des chemins exploités par le gouvernement belge ? Ne peut-on pas déterminer certaines conditions dans lesquelles des réductions seraient accordées ?

Déjà le gouvernement est autorisé à accorder des réductions de 50 p. c. M. le ministre des travaux publics, qui a renoncé aux traités spéciaux, ne pourrait-il en faire autant des tarifs spéciaux, et au lieu de les spécialiser, rendre ceux-ci d'application générale ?

Maintenant, messieurs, j'ai cité l’opinion qui a toujours été professée par le gouvernement, à savoir que l'administration du chemin de fer de l'Etat ne peut point accorder de faveurs particulières, attendu qu'il s'agit ici d'un service public dont tout le monde doit jouir aux mêmes conditions. Je partage entièrement cette opinion ; et c'est pour ce motif que je me prononce en faveur de tarifs uniformes, pouvant s'appliquer, d'une manière générale, à tous indistinctement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, si je prends la parole en ce moment, c'est plutôt par un sentiment de convenance que par obligation, et uniquement pour exprimer mon opinion, sans rechercher jusqu'à quel point je suis en accord ou en désaccord avec les honorables préopinants.

Je me hâte de dire que je partage l'avis des honorables MM. Dumortier et Moncheur, sur l'impossibilité morale et presque matérielle de régler aujourd’hui par une loi les tarifs de nos chemins de fer en ce qui concerne les marchandises. Il y a de cela un motif que je considère comme péremptoire, c'est que la situation est trop mobile et que les (page 266) tarifs doivent pouvoir se prêter aux variations mêmes de cette situation.

Parmi les difficultés pratiques que nous rencontrons actuellement, se range la tarification des transports originaires ou en destination de l'étranger, ou, en d'autres termes, tout ce qui se rapporte aux tarifs dits internationaux.

Vous vous rappelez, messieurs, que des discussions ont surgi à cet égard, il y a quelques mois ; vous savez combien étaient vives les plaintes émanées notamment du commerce d'Anvers.

Le gouvernement a reconnu que ces plaintes étaient fondées ; il s'est mis à l'œuvre immédiatement, et c'est seulement aujourd'hui, au bout de longues investigations, auxquelles on a apporté de part et d'autre la plus grande activité et le plus grand désir d'aboutir, que l'on est arrivé, à pouvoir conclure avec la compagnie du Nord. lI reste à négocier avec la compagnie d'Anvers à Rotterdam et avec le chemin de fer rhénan.

Voilà pour un seul point. Vous voyez combien l'on rencontre de sérieux embarras pour les choses qui paraissent les plus simples, et combien cette matière des tarifs est épineuse et délicate.

Pour les transports à l'intérieur, les complications ne sont pas moindres. Parlerai-je de la grave question des tarifs spéciaux, question fondamentale et toute hérissée de difficultés ? Je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre un seul membre qui ait une opinion nettement arrêtée sur ce point et qui fût à même, à l'heure qu'il est, de nous faire connaître tout un système de tarifs réduits. Et certes je n’entends par-là rien dire de désobligeant pour qui que ce soit ; car je déclare, et je le déclare sans réticence, que moi tout le premier, qui ai pourtant une initiative à prendre et la responsabilité des actes à poser, j’hésite sur bien des points, et je suis d’autant plus à l’aise en faisant cet aveu, que dans l’administration même des doutes graves existent encore dans les esprits les lus sérieux et les plus pratiques.

Il y a là une expérience à faire, une expérience à compléter, et peut-être une expérience à commencer, car ce n’est que depuis trois à quatre ans qu’on est entré dans une voie nouvelle, et dans cette courte période d’essai l’on n’a pas pu naturellement réunir tous les éléments d’appréciation. C’est une œuvre qui se poursuit.

Pour les tarifs ordinaires, nous avons ce qu'on appelle les distances légales, autre source d'embarras. La distance légale n'est pas aujourd'hui, comme on semble croire, la moyenne entre la distance à vol d'oiseau et la distance réellement parcourue, c'est la moyenne entre cette dernière distance et la voie la plus courte par route pavée.

Sur quelques lignes on a établi cette moyenne ; sur d'autres point. Il n'y a pas d'uniformité à cet égard, pas de règle suivie d'une manière générale pour une localité quelconque desservie par le chemin de fer de l'Etat vis-à-vis d'une autre. Or, est-il juste que certaines localités jouissent du bénéfice des distances légales, alors que d'autres en sont privées ? L'équité ne veut-elle pas au contraire qu'on généralise le système ?

Mais cette application générale ne saurait se faire sans conduire à des résultats importants dans le mouvement des marchandises. Est-il bien certain que ces résultats ne produiraient pas quelques perturbations, en ce qui concerne, par exemple, les compagnies concessionnaires de lignes plus courtes ?

Un honorable préopinant a eu raison d'en faire la remarque, l'application uniforme des moyennes, si elle semble évidemment réclamée par |a justice, peut exercer une très forte influence sur certaines lignes concédées et l'on ne saurait agir avec trop de circonspection

Mais une autre question se présente aussitôt : s'il faut généraliser le système des distances légales, faut-il continuer à calculer la distance légale sur la moyenne entre la distance par la route pavée la plus courte et la distance par rail, ou faut-il la calculer sur une autre moyenne, qui serait celle entre la distance par rail et la distance à vol d'oiseau ?

Je n'ai pas besoin de faire remarquer à la Chambre combien l'un et l'autre mode peuvent conduire à des résultats différents et combien cette question renferme encore d'importantes conséquences, dans le monde des faits, combien en un mot elle est grave. Encore une fois, c'est l'expérience qui doit décider.

Autre face du problème. Nous avons, à l'intérieur, un réseau bien déterminé, bien connu. Nous pouvons à peu près nous rendre compte de ce que nous avons à faire pour les transports intérieurs, en prenant soin toutefois de ne pas nous presser outre mesure, de ne pas nous lier si les faits venaient démentir certaines prévisions. Mais quant à la situation extérieure, de nature à réagir si vivement sur notre réseau, elle se modifie tous les jours. Nous avons sur notre frontière des lignes nouvelles en voie d'exécution, d'autres qui sont sur le point d'être mises en exploitation.

Quel sera le résultat, pour nous, de ce nouvel ordre de choses ? Savons-nous par exemple quelle portée aura sur le commerce belge l'exploitation complète des lignes françaises de l'Est et des Ardennes ?

Pouvons-nous bien déterminer l'influence qu'exercera la ligne du Luxembourg pour nos relations avec la Suisse et le haut Rhin, et savons-nous quelle convention da service mixte il faudra arrêter avec le grand Luxembourg, pour tirer de cette importante communication tout le profit possible pour notre commerce et pour notre industrie ; le savons-nous avant que l’expérience ait parlé ? Et ne l'oublions pas, messieurs, il y va ici de l'avenir du port d'Anvers, en concurrence avec Rotterdam et le Havre, pour l'alimentation de la Suisse et du Rhin supérieur. Car par le Grand Luxembourg, le port d'Anvers est le plus rapproché de ces pays.

Vous voyez que la situation ne présente rien de fixe et que le gouvernement doit être armé du droit de modifier sa conduite suivant les variations extérieures qui vont se produire tous les jours. Car, dans l'intérêt de notre industrie et de notre commerce, il faut que les tarifs belges suivent ces variations aussi promptement qu'elles se manifestent, car si, à chaque incident nouveau, nous devions attendre pour agir qu'une loi fût présentée, votée et discutée, nous risquerions souvent d'arriver trop tard. On agit plus vite quand on agit sous sa responsabilité personnelle, qu'on n'a à consulter que soi-même. Le remède suit aussitôt la constatation du mal. Au contraire, des modifications de tarifs tardives constituent un grave inconvénient, non seulement au point de vue du trésor, mais au point de vue du commerce et de l'industrie, dont l'intérêt est toujours prédominant en pareille matière.

Je parlais d'Anvers. L'exemple de ses relations avec la Suisse par le Luxembourg est très important. Je suppose que les lignes hollandaises, aujourd'hui à peu près décrétées, ou les lignes françaises achevées ou sur le point de l'être, voulant récupérer par un abaissement de tarif ce qu'elles perdent sur le parcours, qui est plus long, décrètent cet abaissement d'une manière soudaine, comme on doit le prévoir, n'est-il pas évident que le gouvernement doit pouvoir agir avec la même célérité, qu'il faut lui laisser la plus grande latitude ?

J'avais donc raison de dire, et je crois qu'à cet égard nous sommet d'accord, qu'il est impossible de régir aujourd'hui par une loi nos tarifs de marchandises, à moins de réserver au gouvernement, par cette loi même, une liberté tellement grande, un pouvoir tellement discrétionnaire, que cette loi se bornerait à poser quelques jalons, qu'elle cesserait en un mot d'être une loi sérieuse.

J'arrive à ce qu'a dit l'honorable M. Vermeire des tarifs réduits.

L'honorable membre ne critique pas les réductions de tarifs, mais il entend que ces réductions soient accordées uniformément à tout le monde. Pour moi, je n'entends pas me prononcer sur ce point, quant à présent, d'une manière absolue.

En apparence la règle indiquée par l'honorable membre est d'une équité incontestable ; je ne suis pas aussi sûr qu'il en soit ainsi au fond, et que cette règle doive être suivie avec rigueur dans la pratique. Ce point ne me paraît pas encore complètement élucidé. Pour le prouver, je procède encore par forme d'exemple. Ainsi, il est certain qu'aujourd’hui, avec les tarifs en vigueur, les charbons ne peuvent arriver ni à Ostende ni à Anvers. La preuve qu'ils ne peuvent pas y arriver, c'est qu’ils n'y arrivent pas. C'est un fait qui ne se discute pas. Il faut l'accepter, puisqu'il est. Au contraire, par l'application normale des tarifs, les charbons arrivent parfaitement à Bruxelles.

Maintenant je dis, et ceci je l’énonce comme un principe, du moins, comme le résultat d'une conviction personnelle ; je dis que le chemin de fer est fait pour amener du charbon à Anvers et à Ostende, comme il en amène à Bruxelles. Il est certain que si le charbon, au lieu de s'arrêter à un point donné, Bruxelles, par exemple, continuait jusqu’à Anvers, ou jusqu'à Ostende, le premier bénéficiaire serait le trésor public.

Eh bien, la question est celle-ci : faut-il accorder des réductions de tarif seulement pour les charbons destinés, à Ostende et à Anvers ou en général aux localités où ils n'arrivent pas aujourd'hui, ou faut-il accorder également ces réductions pour les charbons destinés à Bruxelles où ils arrivent sous l'empire du tarif ordinaire ? Je me borne à signaler la difficulté ; je ne la résous pas.

J'annonce cependant que je ferai quelque chose dans le sens des réductions dans le courant de la session ; je tiens à honneur de combler une lacune qui me paraît réelle. Je crois quelque que soit le système qu'on introduise, dans cet ordre d'idées, il vaudra mieux que le système actuel, qui est trop inflexible et qu'il a fallu assouplir par les traités particuliers. Mais je pense aussi que du premier coup on n'arrivera pas à contenter tout le monde ni à consacrer un système qui ne soit défectueux à aucun égard. Cela ne m'empêchera pas d’agir.

Messieurs, lorsque des tarifs spéciaux auront été introduits pour certaines marchandises, qu'il est facile de dénommer, ce sont les houilles, les fers, les minerais et la chaux, circulant dans de certaines conditions sur le chemin de fer, je ne sais s'il faudra abolir d'une manière complète et définitive les traies particuliers ; je ne sais si le gouvernement ne devra pas se réserver encore la faculté d'accorder des traitements de faveur à des transports qui se présentent dans des conditions tout à fait exceptionnelles ; mais je me hâte de le dire, si, dans ces limites, les traités particuliers continuent de subsister, il faudra tout au moins leur don er immédiatement et obligatoirement la plus grande publicité afin d'avertir ainsi les intéressés et d'appeler le contrôle de la Chambre.

Mais je le dis encore aussi, si on maintenait les traités particuliers dans ce système, ils deviendraient une très rare exception. Je crois même qu'au point de vue de la critique on pourrait les passer sous silence.

Je n'entrerai pas plus avant dans l'examen de ces questions. Je crois que l'occasion de la traiter d’une manière complète et approfondie se présentera ultérieurement.

Je veux me résumer en ces mots : la fixation du tarif des marchandises par une loi, est impossible en ce moment ; des réformes doivent être apportés aux tarifs et j'ai la conviction que le trésor public et l'industrie en ressentiront l'un et l’autre les heureux effets.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.