Séance du 17 novembre 1859
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)
(page 41) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Pierre-Jacques Jorissen, cocher à Liège, né à Kieldenkirchen (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. Roger de Behr, retenu chez lui pour une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« Les sieurs Behr et Devries, président et secrétaire de l'assemblée des maîtres de forges, prient la Chambre de rapporter la loi du 2 août 1856, qui autorise la sortie de certains minerais. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Des habitants de l'arrondissement de Charleroi demandent que le chemin de fer projeté de Braine-le-Comte à Gand soit exploité par l'Etat. »
M. Sabatier, rapporteur. - Messieurs, j'ai l’honneur de proposer à la Chambre d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer dont il s'agit.
- Adopté.
M. Sabatier (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole sur le même objet.
Plusieurs pétitions ont été adressées à la Chambre en vue de faire adopter pour ce chemin de fer un système d'exploitation par l'Etat ; le gouvernement, au contraire, a déposé un projet de loi aux termes duquel l'exploitation de ce chemin de fer doit se faire par les concessionnaires.
On s'occupe en ce moment d'un travail qui pourra permettre d'arriver à un mode d'exploitation se rapprochant sensiblement de celui qui est demandé par les pétitionnaires. Ce travail exige quelques jours encore ; il faut qu'on se mette d'accord avec M. le ministre des travaux publics et je demande que le projet de concession dont il s’agit ne vienne à l’ordre du jour qu’après la discussion du projet de loi concernant la révision des opérations cadastres.
M. de Naeyer. - On pourrait décider que ce projet serait discuté après tous ceux qui sont déjà à l'ordre du jour.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). Le budget des finances est à l'ordre du jour ; si les rapports sur d’autres budgets étaient présentés, il doit être entendu que ces rapports viendront à l'ordre du jour avant le projet de loi relatif au chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand. (Adhésion.)
- La Chambre consultée décide, sous la réserve indiquée par M. le ministre des finances, que le projet de loi concernant le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand viendra à l'ordre du jour après tous ceux qui sont déjà portés dans les bulletins de convocation.
M. le président. - Messieurs, le bureau a été chargé de compléter la commission qui s'est occupée de l’examen du projet du nouveau Code pénal ; il a désigné MM. Carlier et dc Gottal en remplacement de MM. de Luesemans et Lelièvre qui faisaient partie de la commission.
La parole est à M. Dolez.
M. Dolez. - Messieurs, mes honorables collègues de Mons et moi comptions nous abstenir de prendre une part active à ce débat, s'il était resté limité aux propositions du gouvernement et de la section centrale.
Nous pouvions nous taire, en effet, quand l'honorable M. Jouret, poursuivant avec persévérance la tâche qu'il a depuis longtemps entreprise avec tant de dévouement, venait vous demander de faire disparaître la surtaxe qui grève la navigation du canal de Charleroi dans le parcours du Centre à Bruxelles. Nous pouvions nous taire encore quand nos collègues de Charleroi, se réunissant à M. Jouret, venaient demander de faire disparaître, dans certaine mesure, les conditions d'inégalité que l'exploitation des chemins de fer avait apportées entre cette voie de transport et la navigation du canal.
Mais le silence cessait de nous être permis, quand l'honorable M. Dechamps, par sa proposition, et surtout par son discours, venait demander qu'on établît légalité entre les quatre canaux du Hainaut ; notre devoir, en présence de cette proposition, en présence du langage qui l'appuyait, notre devoir, dis-je, est de démontrer à la Chambre que ce qu'on lui demande au nom d'une prétendue équité serait contraire à toute justice, contraire à tous les antécédents et aux engagements qu’ils constatent.
Il est à peine nécessaire de rappeler que pour que l'égalité puisse s'établir d'une manière sérieuse, il faut qu’il s'agisse d'éléments placés dans les mêmes conditions. Si cela est vrai, je prie la Chambre de me permettre de lui signaler en quelques mots la condition des quatre canaux dont M. Dechamps lui a parlé, elle reconnaîtra bientôt par elle-même qu'en présence de cette condition, ce serait consacrer une inégalité réelle que d'admettre l'égalité apparente que proposent les honorables députés de Charleroi.
Voici quelle est la position de Charleroi relativement à ses transports vers la France et vers l'intérieur. Vers la France, la Sambre leur fournit une navigation directe pour les marchés les plus importants, et Charleroi en use largement.
Vers l'intérieur, le canal de Charleroi offre une navigation toujours régulière, toujours sûre, qui amène en ligne directe, sans aucune espèce d'entrave ou de difficulté, les produits de la riche et puissante industrie de Charleroi et du Centre à ce grand marché de Bruxelles et dans toutes les localités qui se rattachent à ce grand centre de consommation et à celles qui sont situées au-delà.
Le Borinage a vers la France le canal de Mons à Condé, dont l'utilité très réelle, très sérieuse, je le reconnais volontiers, s'est pourtant trouvée profondément altérée par la situation que son auteur lui a donnée.
Lors des premières études qui furent faites de ce canal destiné à suppléer à ce que la navigation de la rivière la Haine présente d'insuffisant, on avait eu la pensée de le faire aboutir au milieu des charbonnages auxquels on le destinait, mais ce projet, le seul bon, le seul désiré par notre industrie, ne fut pas exécuté, et plus tard un autre ingénieur le remplaça par un projet qui plaçait la voie navigable à trois quarts de lieue des houillères.
Vous pouvez voir la confirmation de ces faits dans l'ouvrage de l'inspecteur général des ponts et chaussées Vifquain ; voici ce que je lis dans ce savant travail :
« L'ingénieur Piot, oubliant que l'économie véritable du projet consistait à rapprocher le canal le plus possible des houillères ne le considéra plus que comme une première section d'une grande ligne de navigation vers la Sambre et la Meuse ; dans cette pensée il dirigea le tracé par la ligue la plus courte, de Condé à Mons, de clocher à clocher, sans s'inquiéter de la distance où il le plaçait des houillères ; il ouvrit même un nouveau lit à la Haine, entre les houillères et le canal, après l'avoir fait passer en siphon sous le plafond de celui-ci, près de Mons comme s'il se fût plu à augmenter les difficultés d'ouvrage et de chargement.
« Ce tracé fut approuvé, bien qu'il fût plutôt une abstraction de l'art de l'ingénieur que la réalisation d'une pensée économique et utiles. »
Il résulte de cette situation, messieurs, que pour atteindre le canal, qui était créé pour elles, nos houillères ont dû établir de nouvelles voies : d'abord des routes pavées, puis plus tard des chemins de fer, dont le parcours entraîne une importante aggravation des dépenses du transport.
Quant au canal qui conduit les houilles du Borinage vers l'intérieur du pays, c’est-à-dire le canal de Pommerœul à Antoing, il a été construit contre le vœu des industriels de Mons.
Le canal de Pommerœul à Antoing ne fait en réalité que doubler le canal de Mons à Condé. Il aboutit à l'Escaut à Antoing, tandis que le canal de Mons à Condé aboutit à l'Escaut à Condé. Son seul avantage est d'être dans notre pays ; aussi jamais l'industrie montoise n'a pu demander la création de ce canal.
Ce qu'elle demandait, c'était la création d'un canal se dirigeant directement vers la Dendre, afin de lui permettre d'aboutir au centre de ses véritables marchés de l'intérieur, c'est-à dire à Termonde. La condition que ce canal faisait à l'industrie montoise était tellement peu favorable, qu'il fallait un acte d'autorité pour la contraindre à s'en servir.
Il fut en effet décrété que si les charbons venant de Mons pratiquaient encore la voie du canal de Condé pour aller joindre l'Escaut en France et de là rencontrer l'Escaut belge, ils ne devraient pas moins, au moment où ils rentreraient dans l'Escaut belge, subir les droits établis sur le canal de Pommerœul à Antoing, comme s'ils l'avaient parcouru, tandis qu'on était resté complètement en dehors.
(page 42) Cette disposition, attestée encore par le savant ingénieur que je citais tout à l'heure, suffit à démontrer que le canal de Pommerœul à Antoing est pour Mons un auxiliaire d’un intérêt secondaire ne répondant en rien aux véritables intérêts de notre industrie.
Je vous disais tout à l'heure que le véritable centre de notre marché vers l’intérieur était Termonde, avec le canal vers la Dendre nous pouvions l'atteindre par un parcours de 85 kilomètres. Par le canal de Pommeroeul à Antoing au contraire, nous avons un parcours de 200 kilomètres, c’est-à-dire qu’on nous impose un parcours inutile de 115 kilomètres au-delà des 85 que nous aurions eus seulement, si l'on avait fait ce canal que nous avions demandé.
Aussi ce canal était-il si naturellement indiqué dans l'intérêt de l'industrie du couchant de Mons, que, déjà il y a plus d'un siècle, il était demandé par cette industrie, que déjà les anciens états du Hainaut en mettaient le projet au concours et que, sans les grands événements qui marquèrent la fin du dernier siècle, elle serait en possession depuis plus de 60 ans de la ligne de navigation qu'elle a toujours réclamée, et qu'elle réclamera toujours, tant qu'elle ne la possédera pas.
Eh bien, que l'honorable M. Dechamps, qui demande l'égalité des péages entre les différents canaux du Hainaut, nous fasse avoir cette navigation directe, et dès le lendemain de son exécution, je m'engage à souscrire à l'uniformité des péages.
Vous verrez tout à l'heure pourquoi nous n'avons pas ce canal, dans quel intérêt nous ne l’avons pas, et la Chambre sera sans doute étonnée d'apprendre, d'après le langage qu'elle a entendu dans la bouche des honorables députés de Charleroi que si nous ne l'avons pas, c’est au nom de l'équilibre et dans l'intérêt de Charleroi. Je viens de prononcer le mot de « système d'équilibre ». S'il fallait en croire l'honorable M. Dechamps, ce serait un roman que ce système, ; il vous a dit : Ce système est un fantôme, il n'a jamais eu de corps. On a cru sur parole ceux des députés qui venaient en parler dans cette enceinte, sans y regarder de plus près.
Il serait assez étrange que l'industrie toujours si positive, si pratique se fût laissé égarer par un roman, et cela doit déjà vous mettre en garde contre l’assertion de l'honorable député de Charleroi.
Mais vous allez voir que ce système d'équilibre, loin d'être un roman, est une réalité séreuse, une réalité que, quant à nous, nous n'avons jamais réclamée, mais qu'on nous a toujours imposée dans l'intérêt de Charleroi. Je l'établis par des faits irrécusables.
Mais voyons d'abord comment l'honorable M. Dechamps a procédé pour établir que le système d'équilibre n'a jamais été qu'un roman.
Il a pris le péage établi à l'origine sur le canal de Mons à Condé, celui établi à l'origine sur le canal de Pommerœul à Antoing, et enfin le péage établi à l'origine sur le canal de Charleroi, et il en a conclu qu'à l'origine les péages étaient égaux, et que, s'il y avait une faveur, c’était sur le canal de Charleroi, que là étaient les péages les moins élevés.
Eh bien, je vais renverser d'un seul mot tout l'échafaudage de cette argumentation et vous démontrer qu'elle a pour base une erreur manifeste. Je me fais un devoir d'ajouter que l’honorable M. Dechamps a pris loyalement soin de dire qu'il n'avait pu vérifier par lui-même les chiffres qu'il citait quant au canal de Mons à Condé, mais qu'il citai1 d'après une personne dont il pouvait à peu près garantir la science et la parfaite connaissance des faits.
Le canal de Mons à Condé, suivant l'honorable M. Dechamps, aurait été taxé à un péage de 6 cent., par tonne kilométrique, et cela en vertu d'un arrêté royal du 17 septembre 1816, confirmé, disait-il, par arrêté royal du 10 août 1817.
Eh bien, savez-vous quelle est la réalité ? C'est que ce péage n'était pas même d'un demi-centime par tonne kilométrique. M. Vifquain, que je citais tout à l'heure, nous apprend, page 100 de son ouvrage, que le péage n'était à l'origine que de 2 cent, par tonneau et par lieue, à charge seulement. Il y a, messieurs, si je ne me trompe, cinq kilomètres à la lieue. C'est donc 2 cent, à diviser par 5. On payait donc par tonne kilométrique le cinquième de 2 cent. au lieu de payer 6 centimes, comme l'honorable M. Dechamps l'annonçait.
Ce n'est pas tout ; l'honorable M. Dechamps vous a dit ensuite ; Si plus tard on a vu décroître les péages sur le canal de Mons à Condé, mais c'est parce qu'en vertu d’un arrêté du roi Guillaume, le canal a été livré à l’administration de la province et que la province, dans l'intérêt de son industrie, a réduit le péage au taux où nous l'avons vu depuis. Eh bien, j'en suis désolé, mais je dois dire encore à notre honorable collègue que la vérité est justement le contre-pied de ce qu'il a avancé. Savez-vous ce qu'a fait la province ? Au lieu de diminuer le péage, elle l’a, dès 1822, augmenté de moitié. Je prie encore mon honorable collègue de vérifier l'exactitude du fait que j'avance en ce moment, dans le même ouvrage de M. Vifquain, page 100. Au moment même où j’entendais l'honorable M. Dechamps tenir le langage auquel je réponds actuellement, j’étais convaincu qu'il se trompait Je me rappelais que quand le gouvernement a repris le canal à la province du Hainaut, j’avais demandé que, pour être juste, il rétablit le péage au taux où il était au moment où le canal avait été livré à la province. Les recherches que j’ai faites depuis m'ont démontré que, comme je le disais tout à l’heure, la vérité est exactement le contre-pied de ce qu'a dit l’honorable M. Dechamps. Ce seul fait en établissant que la base de l'argumentation de l'honorable député de Charleroi est une erreur, et renverse toute cette argumentation.
Je vous disais tout à l’heure, messieurs, que l’équilibre avait toujours été établi dans l'intérêt de Charleroi. Je vais faire passer sous les yeux de la Chambre une série de faits qui mettront cette prose en évidence. Le canal de Charleroi (je le cite d'abord parce que c’est celui qui occupe spécialement la Chambre en ce moment), le canal de Charleroi a été créé pour desservir deux bassins industriels, le bassin de Charleroi et celui du Centre ; il présente un parcours de 15 lieues.
Le bassin du Centre est éloigné de Bruxelles de 8 à 9 lieues seulement. Qu'a-t-on fait dans l'intérêt de Charleroi ? On a décrété que les transports venant du Centre et ne parcourant que 8 lieues de ce canal, qui en comprend 15, que ces transports payeraient comme s’ils venaient de Charleroi.
Cette mesure était certes bien une mesure d'équilibre dans l'intérêt de Charleroi. Au nom de quel principe la portait-on ? Au nom de l'équilibre entre les différents bassins, que l'on voulait maintenir en possession de leurs machés habituels.
Et, messieurs, il ne faut pas trop médire de ce principe. Certainement si on l'envisage au point de vue de la liberté de l'industrie, au point de vue de ses efforts, ce n'est qu'une erreur profonde. Mais quand on l'envisage au point de vue de l'intervention de l’Etat dans la construction et l'exploitation des grandes voies de communication, cet équilibre est dans certaines limites une nécessité à laquelle aucun gouvernement n’échappera. Toutes les fois que l’on créera avec les deniers de tous un grand travail destiné à l’industrie, on devra tenir compte du préjudice que ce grand travail portera à d’autres industries et on devra chercher à compenser ce préjudice.
C'est là une conséquence à laquelle, je le répète, aucun gouvernement ne pourra jamais échapper.
Voilà donc un acte manifeste de ce système d'équilibre que vous prétendez, n'être qu'un roman et, je le répète, ce premier acte a été posé dans l'intérêt de Charleroi.
Il est, messieurs, une inconséquence que je ne m'explique pas de la part d'hommes aussi remarquables que ceux qui ont parlé au nom des intérêts de Charleroi. Vous avez entendu et M. Dechamps, et M. Sabatier, et M. Lebeau et jusqu'à M. Ch. de Brouckere faire une sorte de condition de ce qu'on va voter pour le bassin du Centre, d'une compensation à accorder à Charleroi tandis que ces messieurs traitaient avec le dédain que vous connaissez le système de pondération entre nos divers centres producteurs.
Ces messieurs ne voient donc pas que c'est encore de l'équilibre qu'ils réclament, tout en prétendant que l'équilibre est une vieillerie surannée. Ils ne veulent pas consentir à un dégrèvement pour leurs rivaux si on ne leur accorde pas une compensation,
L'honorable M. Ch. Lebeau s'écriait hier : « Que diriez-vous si on vous demandait d'établir des droits différents aux diverses barrières du pays ? » Je lui demande à mon tour : Que diriez-vous, M. Lebeau, si on vous forçait de payer les droits dus à une barrière que vous ne traversez pas ? Que diriez-vous si, quand vous traversez quatre barrières, on vous forçait d'en payer huit ? Vous diriez que c'est une chose monstrueuse...
M. Ch. Lebeau. - Je ne le dis pas.
M. Dolez. - Vous ne le dites pas dans l'intérêt de Charleroi, je ne vous en blâme pas ; mais je constate seulement que vous êtes les plus grands équilibristes en fait d'industrie.
Deuxième exemple :
Nous disions tout à l'heure que le canal de Pommeroeul avait été l'objet incessant de nos réclamations et de nos protedtations ; il est évident que, quand on nous impose le parcours de cette ligne, en nous disant: Que vous usiez oh que vous n'usiez pas du canal, vous en payerez les droits ; il est évident, dis-je, qu'on nous amenait à réclamer sans cesse, et dès l'origine, nous n'y avons pas manqué. Qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement provisoire nous a accordé une première réduction au mois de février ou de mars 1831 (je ne me rappelle plus la date précise) ; le gouvernement provisoire, sans faire disparaître l'obligation imposée de se servir du canal d'Antoing, nous a dit : « Vous payerez, mais vous payerez moins. »
A cette époque, le canal de Charleroi n'était pas encore ouvert ; il ne l'a été qu'en 1832 ; eh bien, à peine le gouvernement provisoire avait-il fait une réduction sur le canal de Pommerœul à Antoing, qu'immédiatement Charleroi, au nom du principe de l'équilibre, demanda et obtint une réduction pour le canal de Charleroi ; il l'obtint par un arrêté du 7 septembre 1831, avant l'ouverture du canal.
Le fait que j'avance se trouve consigné à la page 99 de l'ouvrage de M. Vifquain.
Troisième exemple :
Vous allez voir le système de l'équilibre eu faveur de Charleroi se produire, même en dehors de notre pays. En 1819 le gouvernement français était redevenu maître des lignes de navigation conduisant les charbons de Mons vers le marché de Paris ; adoptant un système dont je suis bien loin d'être l'adversaire, celui de l'abaissement des péages ; le gouvernement français réduisit les péages et vous permit ainsi (page d43) d’arriver de Mons à Paris dans des conditions plus favorables qu'auparavant.
Il s'agissait d'un marché étranger, d'un fait posé par un gouvernement étranger ; eh bien, Charleroi réclama immédiatement ; et il disait au gouvernement belge : « L'équilibre entre le bassin de Mons et celui de Charleroi est rompu sur le marché de Paris ; nous vous demandons de réduire les péages sur la Sambre ; nous vous demandons de négocier avec la Sambre française et avec l'Oise, pour qu'une réduction soit opérée sur ces voies navigables et nous maintienne dans des conditions équivalentes à celles que nous avions vis-à-vis de nos concurrents du bassin de Mons, » et il obtint ce qu'il demandait.
C'est là encore, si je ne me trompe, un frappant exemple de ce système d'équilibre dont l'honorable M. Dechamps niait l'existence.
Quatrième exemple. Celui-là est plus frappant encore ; seul, il suffirait à vous démontrer que j'avais raison de dire que cette égalité qu'on invoque contre nous, serait une profonde injustice.
Messieurs, je vous disais tout à l'heure que l'industrie montoise avait toujours réclamé l'exécution du canal qui devait nous conduire directement vers Termonde En 1851, lorsque le gouvernement présenta la loi des travaux publics de cette époque, l'industrie montoise qui voyait qu'on proposait des travaux à peu près pour toutes les autres parties du pays et qu'elle restait complètement oubliée malgré son importance ; l'industrie montoise demanda au gouvernaient et à la Chambre de lui accorder ce qu'on accordait particulièrement à Charleroi, c'est-à-dire un minimum d'intérêt pour l’exécution du canal de la Dendre.
On accordait à Charleroi de très grands travaux sur la Sambre, l'élargissement d'une partie des écluses du canal de Charleroi, et un minimum d'intérêt pour l'exécution d'un chemin de fer de Louvain à la Sambre. Mons demandait une mesure équivalente dans l'intérêt de son industrie. Eh bien, messieurs, vous allez voir au nom de quel intérêt on lui répondit qu'on ne pouvait pas la lui accorder.
Je prends dans la discussion de cette importante loi les paroles d'un membre du cabinet d'alors et voici ce qu'on répondait à l'industrie montoise :
« Une autre conséquence résulterait de l'établissement du canal de Jemmapes à Alost, si son exécution avait lieu à l'aide d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. ; c'est que cette voie de communication, venant modifier, dans une proportion assez considérable, la position relative des bassins de Mons et de Charleroi, au point de vue des prix du transport sur Anvers, et cette modification étant le fait de l'Etat lui-même, celui-ci pourrait être considéré comme obligé pour rétablir, comme de raison, un certain équilibre préexistant entre ces bassins, d'abaisser de nouveau les péages du canal de Charleroi, ce qui viendrait, au déficit considérable que le trésor aurait déjà à subir du chef de l'établissement du canal de Jemmapes à Alost, ajouter une perte nouvelle montant à plusieurs centaines de mille francs.
« Au sujet de l'équilibre entre les bassins houillers du Hainaut, par rapport aux principaux centres de consommation de la Belgique, il importe de rappeler ici qu'avant 1828, c'est-à-dire avant le rachat du canal de Pommeroeul à Antoing, les charbonnages du Couchant de Mons, de l'aveu que l'on trouve consigné dans un mémoire publié récemment par les exploitants de ce bassin, étaient spécialement en possession du marché des deux Flandres, tandis que les charbonnages de Charleroi et du Centre étaient, eux, en possession des marchés du Brabant et de la province d'Anvers.
« Par le rachat du canal d'Antoing et l'abaissement des péages qui en fut la suite immédiate, l'avantage, du chef des prix de transport, fut nécessairement acquis, pour le marché d'Auvers, aux charbonnages du Couchant de Mons.
« Lorsque, plus tard, fût ouvert, et surtout fut racheté le canal de Charleroi à Bruxelles, qui avait pour prolongement celui de Bruxelles à Willebroeck, l'état des choses fut naturellement beaucoup amélioré pour Charleroi dans les expéditions sur Anvers ; néanmoins il existait encore, dans les prix de transport de Jemmapes à Anvers et de Charleroi à Anvers, une différence de fr. 0,70 par tonne, en faveur du bassin de Mons.
« Mais survint, à la date du 31 mars 1849, la réduction apportée aux péages du canal de Charleroi, et à partir de ce moment, ce fut dans les sens inverse que se porta l'avantage, puisque aujourd'hui il existe, entre les prix du transport de Jemmapes et de Charleroi à Anvers, une différence de 37 centimes en faveur du bassin de Charleroi.
« Il résulte de ces faits, que, de tout temps, il y a eu inégalité de position entre les charbonnages du Couchant de Mons et ceux de Charleroi, pour le marché d'Anvers que l'avantage a appartenu tantôt à l'un de ces bassins, tantôt à l'autre, et que, à l'heure qu'il est, il y a encore une différence de 37 centimes par tonne, eu faveur de Charleroi.
« Or, c'est à cette inégalité, c'est à cette absence d'équilibre, que le gouvernement d »sire porter remède, et il croit que le moyen le plus favorable et le plus rationnel d'atteindre un pareil but, c'est d'abaisser de 50 p. c. les péages actuels du canal d'Antoing, péages qui, revenant maintenant à fr. 0,74 par tonne, offriront dès lors une réduction de 37 centimes, correspondant précisément au chiffre d'infériorité que présente aujourd'hui le bassin de Mons, par rapport à celui de Charleroi, pour le marché du bas Escaut. »
Ainsi, messieurs, vous l'entendez, si le gouvernement nous conteste la garantie d'un minimum d'intérêt sans lequel il est reconnu qu'il y a impossibilité de faire le canal de la Dendre, c'est dans l’intérêt du maintien de l'équilibre entre le bassin de Mons et celui de Charleroi, c'est parce que, ce canal fait, nous aurions eu un avantage marqué sur le marché d'Anvers que le bassin de Charleroi nous disputait. Qu'arriva-t-il ? En l'absence d'un minimum d'intérêt, le canal ne se fit pas et par une compensation partielle et insuffisante on accorda à Mons une réduction de tarif sur nos canaux anciens.
Il résulte à toute évidence du fait que je viens de rappeler à la Chambre deux vérités, la première, c'est que quand Charleroi demande des péages uniformes sur les canaux du Hainaut en repoussant le système d'équilibre, il devrait commencer par demander la construction du canal de la Dendre, car s'il n'a pas été fait, ce fut dans l'intérêt de Charleroi, dans l'intérêt du maintien de l'équilibre.
La deuxième conséquence c'est que les péages établis aujourd'hui sur les canaux de Pommerœul à Antoing et de Mons à Condé l'ont été contractuellement ; c'est pour nous indemniser de ce qu'on ne faisait pas pour nous les travaux qu'on faisait pour d'autres qu'on a réduit ces péages.
Aujourd'hui que Charleroi est en possession de travaux publics qui ont coûté des sommes considérables, M. Dechamps veut qu'on abaisse les péages sur le canal de Charleroi au niveau de ceux qui ont été établis sur d'autres canaux en compensation de travaux non accordés ! Je le demande, serait-ce juste, serait-ce équitable, serait-ce digne de vous de l'accorder ?
Je le répète, nous ne demandons pas de moyens artificiels pour maintenir notre position ; pourvu qu'on nous laisse en présence de la lutte légitime des intérêts privés, cette lutte nous ne la redoutons pas, mais quand le gouvernement intervient, quand il empêche Mons d'arriver à Termonde par la Dendre pour ménager les intérêts de Charleroi, nous avons le droit de réclamer qu'il maintienne les conditions qu'il nous a faites dans cet équilibre, et ce n'est que quand son intervention aura cessé de se faire sentir qu'on pourra demander le renversement de ces conditions, en d'autres termes l'égalité de péages sur tous les canaux.
Jusque-là nous avons le droit d'attendre.
Je ne voudrais pas que la Chambre se méprît sur mes doctrines en matière de concurrence industrielle. Je suis partisan de la liberté complète, mais c'est à la condition que le gouvernement n'intervienne pas. Toutes les fois qu'il le fait, il doit le faire en bon père de famille, de manière à ne froisser aucun des intérêts en présence, sans apporter de trouble ni de mécontentement au sein de la famille. Le devoir du gouvernement, comme le devoir d'un bon père de famille, est d'entretenir la bonne harmonie au sein de la famille. Ce que demandent au gouvernement les honorables députés de Charleroi est précisément contraire à ces devoirs du père de famille.
En définitive quand on analyse ce débat, on y trouve encore une question d’équilibre.
Car de quoi se plaint-on ? De la situation qui a été faite à l'industrie de la navigation et à toutes celles qui s'y rattachent par la concurrence des chemins de fer. Placez ces intérêts en présence entre les mains des particuliers, faites disparaître le gouvernement de l'administration des chemins de fer et des canaux, est-ce que l'une de ces industries aura le droit de se plaindre de l'autre ?
Elles tâcheront d'appliquer toutes les améliorations, tous les progrès pour se maintenir au niveau l'une de l'autre et soutenir la concurrence, sans que le gouvernement ait rien à y voir. Aujourd'hui vous venez demander au gouvernement d’établir l'équilibre entre les deux industries concurrentes, je ne vous en blâme pas, car, je le répète, quand le gouvernement intervient dans ces questions, il est condamné à maintenir certain équilibre entre les divers intérêts.
Je ne blâme pas le canal de Charleroi de demander à être mis en position de lutter avec son puissant rival, le chemin de fer, mais ce que je ne veux pas, c'est qu'on exagère la situation ; c'est ce qu'a fait l'honorable M. Dechamps, eu exagérant ce qu'il était équitable de proposer.
S’il m'était permis de donner un conseil aux députés de Charleroi et à leurs collègues du Centre sur les intérêts qu'ils défendent avec tant de dévouement et de talent, je leur dirais qu'ils sont dans une mauvaise voie. Ils poursuivent une réduction de quelques centimes sur les péages du canal, ce qui fera peu de chose pour tous les intérêts engagés dans cette question.
Eh bien, ce qu'il importerait de faire, ce serait de faire pour la navigation ce qui se fait pour le chemin de fer, de la pousser dans la voie du progrès, du progrès incessant, du progrès de tous les jours.
Sans parler de l'élargissement du canal et des écluses, pour ne pas ouvrir une perspective tellement coûteuse qu'elle pourrait paraître reculer le bienfait à d'autres temps, je dirai qu'il y a une grande amélioration à apporter de suite au canal et à la prospérité de tout ce qui s'y rattache, ce serait de lui donner de l'eau, beaucoup d'eau.
En réalisant ce progrès, on aurait fait pour la navigation du canal et pour toutes les industries, beaucoup plus qu'en diminuant le péage de quelques centimes. Si le gouvernement consacrait un million ou (page 44) 1,200,000 francs à assurer toujours de l'eau au canal, ce qui permettrait aux bateliers de faire trois voyages pendant le temps qu'ils consacrent aujourd'hui à en faire un seul, on aurait, vous le concevez, amélioré la position des bateliers bien plus qu'en accordant une réduction de péage.
Ces considérations dicteront mon vote. En faisant mes réserves dans l'intérêt de l'industrie de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, quoique député de Mons, je voterai, dans l'intérêt du Centre et de Charleroi la réduction de 25 p. c. et le maintien du reste du péage afin qu'il assure l'amélioration de la magnifique ligne de navigation qui a tant fait pour la prospérité de l'industrie de Charleroi et de celle du Centre.
Une dernière considération et j'aurai terminé ces observations peut-être trop longues.
On a dit au gouvernement : Les réductions que nous demandons n'aboutiront pas à une perte sèche. En réduisant les péages, vous augmentez les transports et par conséquent, ce que vous perdrez par la réduction des péages, vous le regagnerez par l'extension de la matière sujette à l'impôt. On naviguera davantage.
Dans l’état actuel des choses, c'est une erreur. Dans l'état actuel du canal de Charleroi, il transporte tout ce qu’il peut transporter, en sorte que la réduction qu'on nous demande, ne vous faites pas illusion, est une perte sèche pour le trésor public. Mais améliorez le canal, apportez lui l'eau qu'il lui faut, donner-lui un halage plus complet, le nombre d'éclusiers qu'il propose d'avoir pour travailler non pas 12 heures mais 24 heures par jour, et au lieu d'avoir une perte sèche par la réduction des péages, vous retrouverez par l'accroissement des transports, par l'accroissement de la circulation, ce que vous aurez perdu par l'abaissement des péages.
C'est parce que j'ai cette double conviction que je me bornerai à voter la réduction proposée par le gouvernement en faisant toutes mes réserves pour l'industrie montoise, pour la perspective que l'avenir peut lui faire entrevoir par suite de cette réduction.
.M. Dechamps. - Au point où la discussion est arrivée, je comprends que la légitime impatience de la Chambre ne me permettra pas de donner à la réponse que je voulais faire aux discours de M. le ministre des finances et de M. le ministre des travaux publics, tous les développements nécessaires pour rendre cette réponse complète, d'autant plus que j'aurai à répondre à l'honorable orateur qui vient de se rasseoir et dont le talent exerce toujours sur vos esprits une très grande impression, impression que je tâcherai, autant qu'il m'est possible, d'atténuer.
D'abord, je dois répondre, et j'en demande pardon à la Chambre, au côté du discours de M. le ministre des finances, qui m'était personnel.
L'honorable ministre des finances m'a reproché d'avoir eu recours à des récriminations. Messieurs, je n'en avais nulle intention, et vous savez que ce n'est pas dans mes habitudes. Ce n'est pas récriminer que de constater son désaccord avec le gouvernement sur les meilleures mesures à prendre pour administrer nos voies navigables, et de m'être étonné de ce que l'honorable M. Frère, adversaire des tarifs différentiels peur les transports maritimes et sur les chemins de fer, se fasse le défenseur du système, bien moins justifiable, des tarifs différentiels sur nos voies navigables.
Mais sous prétexte de récriminations auxquelles je n'avais pas eu recours, l'honorable ministre s'est livré à son tour contre moi. Il m'a demandé pourquoi cette réforme des péages que je poursuis depuis dix ans à cette tribune presque toujours contre l'opposition du gouvernement, pourquoi je ne l’ai pas même accomplie, il y a quinze ans, lorsque j'étais au pouvoir en 1846.
La réponse est bien simple et vous l'avez faite d'avance. Les situations peuvent-elles être un instant comparées ? Les causes qui ont provoqué en 1849, et qui nécessitent aujourd'hui la réduction des péages sur le canal de Charleroi, existaient-elles ?
Le tarif du 1er septembre sur le chemin de fer qui a motivé la réduction de 35 p. c. en 1849 ; la concurrence des chemins de fer concédés qui force le gouvernement et les Chambres à apporter aujourd'hui une nouvelle réduction dans le tarif des péages ; la réduction de 50 et de 60 p. c. qui a été adoptée en 1851 et 1852 sur le canal de Pommerœul à Antoing et sur l'Escaut supérieur, tous ces faits qui ont apporté depuis 15 ans une véritable révolution dans notre système de transports et qui exigent une refonte totale des tarifs des chemins de fer et des canaux, tous ces faits existaient-ils en 1846 ? Evidemment la question des péages n'était pas née, ou du moins l'heure de sa solution n'était pas arrivée.
Messieurs, je n'aime pas plus les apologies que les récriminations de tribune. Mais enfin puisqu'on me place sur ce terrain, permettez-moi de rappeler une chose : c'est que ces chemins de fer, à la concurrence desquels on a dû et l'on doit les réductions de péages accordées et proposées sur le canal de Charleroi et sur nos voies navigables, c'est que ces chemins de fer rivaux et de la Sambre et du canal de Charleroi, celui de Mons à Manage, celui de Charleroi à Erquelinnes et celui de Charleroi à Louvain, on les doit, je pense, à l'initiative que j'ai prise comme ministre en 1845 et comme député en 1851.
Messieurs, il ne faut pas oublier non plus, qu'en 1846, nous traversions avec l'Europe la crise alimentaire, suivie de très près par la crise industrielle et financière. Or, je vous le demande. dans des circonstances aussi graves et aussi exceptionnelles, un gouvernement aurait-il été bien venu en proposant à la Chambre des réductions de péages, une diminution quelconque dans les recettes du trésor public ? J'en appelle à vote bonne foi ; évidemment il y aurait eu impossibilité, il y aurait eu folie de le proposer.
Messieurs, je rentre dans le fond de la discussion.
L'honorable ministre des finances a choisi, parmi les arguments que nous avions fait valoir, ceux qui nous paraissaient susceptibles d'une plus facile réfutation. Il a laissé de côté ceux sur lesquels nous avions surtout insisté. Ainsi la question que vient de traiter l'honorable M. Dolez, la question de l'égalité de péages à établir sur les voies semblables, M. le ministre des finances y a échappé en développant une théorie sur l'impôt et sur les revenus d'un domaine public, théorie que M. de Brouckere a facilement renversée et qui, du reste, n'avait rien à faire dans ce débat.
Nous n'avons pas dit qu'aucun péage ne devait être établi sur les canaux, même amortis ; nous avons soutenu que sur les canaux remboursés et qui rendent les mêmes services, les droits de péages devaient être égaux. M. le ministre a-t-il dit quoi que ce soit pour combattre ce principe fondamental sur lequel notre amendement même repose ?
J'avais insisté aussi sur la connexité qu'il devait y avoir, dont vous deviez tenir compte, entre la réforme douanière qui a été adoptée, relativement à la houille et au fer, et la réforme des péages. Messieurs, cette connexité est invoquée encore aujourd’hui en France, où le tarif douanier en est encore aux prohibitions. Les industriels disent au gouvernement : Nous renonçons volontiers aux prohibitions et aux droits élevés, à la condition que vous adoptiez le système de la gratuité des péages.
Nous avons accepté une réforme douanière radicale sur la houille et sur le fer. Nous vous demandions en échange que les produits étrangers n'arrivassent pas sur le marché du littoral belge, dans des conditions de transport meilleures que celles imposées aux produits indigènes. Cette corrélation entre le système des péages et le régime de douanes est évidente.
L'honorable ministre des finances a gardé un silence complet sur cette question.
Examinons maintenant la valeur des arguments qu'il a employés e qu'il n'a pu soutenir qu'à l'aide d'erreurs nombreuses de chiffres et de faits, dans lesquelles des renseignements inexacts l'ont fait tomber.
L'erreur relative au batelage, il l'a lui-même réparée, et ce batelage, qui était devenu un mythe, est ressuscité le lendemain avec toute son importance et dans sa triste réalité.
Seconde erreur relative à la concurrence des chemins de fer et des canaux. L'honorable M. Sabatier, dans l'excellent discours qu'il a prononcé, a déjà mis hors du débat la plupart des objections qui ont été soulevées par M. le ministre des finances et a rectifié les principales erreurs qu'il a commises.
Permettez-moi d'insister brièvement encore, parce que c'est le fond même de la discussion qui nous occupe. S'il est vrai, en effet, qu'entre le fret sur le canal de Charleroi et le fret sur les chemins de fer concurrents à ce canal, il y'a un écart d'un fr , de 1 fr. 50, et presque de 2 fr., selon les diverses destinations, il est évident que la réduction de 25 p. c., proposée par le gouvernement, est illusoire, et que même celle de 40 p. c. pourra ne pas paraître suffisante.
Messieurs, comment a procédé M. le ministre des finances ?
Il a établi une moyenne pour le fret quant au canal, sur les chiffres de l'année 1859 ; puis il a comparé cette moyenne et pour Charleroi et pour le Centre avec le prix de transport par les chemins de fer concurrents.
Il a trouvé que la différence était toute en faveur des chemins de fer. Savez-vous, messieurs, comment M. le ministre des finances est arrivé à cette conclusion inattendue ? En commettant trois erreurs : la première, en supposant pour les frets une moyenne fausse et d'un chiffre très bas ; la seconde, en oubliant de compter dans les transports du canal les frais accessoires de la fosse au canal, et la troisième, en indiquant un prix de transport tout à fait inexact sur le chemin de fer de l'Etat.
Pour trouver la moyenne du fret, qu'a fait M. le ministre des finances ?
Il a compté onze mois de l'année actuelle, et l'honorable M. Sabatier vous a fait remarquer qu'en juillet et en août, il n'y avait pas eu de navigation et par conséquent pas de fret : première erreur relative au fret.
Secondement. Il a dû omettre, puisqu'il parlait de l'année actuelle, le mois de décembre. Mais veuillez remarquer que le mois de décembre est un mois de grand transport et par conséquent le mois du plus haut fret. Il est clair qu'en omettant le mois de décembre et le fret relatif à ce mois, on arrivait à une moyenne plus faible que la moyenne réelle.
Mais, messieurs, il y a une troisième, erreur que la Chambre va comprendre à l'instant même.
Sur le canal de Charleroi comme sur toutes nos voies navigables, plus de la moitié des transports s'effectuent pendant les quatre derniers mois de l'année, de septembre à décembre.
(page 45) Chacun sait cela ; or, pour trouver une moyenne varie, il fallait mettre en rapport le prix du fret avec les quantités transportées et frapper ainsi la moitié des transports au moins des frets maxima et l'autre moitié des frets minima.
J'ai rectifié, d'après ces données, les calculs de M. le ministre des finances, et voici la moyenne réelle des frets pour l’année 1859. Au lieu des chiffres de 3 fr. 75 pour Charleroi, et de 4 35 pour le Centre, comme M. le ministre des finances l'a indiqué, la moyenne exacte est de 4 fr. 06 pour Charleroi et de 4 fr. 60 pour le Centre.
Pour le chemin de fer, M. le ministre des finances a déterminé le prix de transport sur le chemin de fer du Centre vers Bruxelles à 4 fr. 76 c. J'ignore où il a puisé ce chiffre, qui est complètement erroné. Chacun sait que le prix de transport du Centre à Bruxelles, de la fosse à la station du Midi est de 4 fr. 40 c Mais demain, lorsque le chemin de fer des Ecaussinnes sera ouvert, il ne sera plus que de 3 fr. 80 c. Ce fait, sur lequel j'ai insisté et qui dérangeait tous les calculs de M. Frère, l'honorable ministre s'obstine à n'en pas parler. C'est plus facile.
Mais au fret sur le canal, il faut évidemment ajouter les frais accessoires de transport de la fosse au rivage et qui s'élèvent à 50 c. au moins, et les frais de déchargement et d'embarquement qui sont de 25 à 30 c. Voilà 75 c. à ajouter au prix du fret.
Ainsi, résumons : pour le Centre, c'est-à-dire, pour les deux tiers des transports, au prix moyen du fret de 4.60, ajoutez les 75 c. de frais accessoires et vous atteignez le prix de 5.35 pour le canal. Mettez ce chiffre en regard du prix de transport par chemin de fer du Centre à Bruxelles et qui sera de 3.80, après l'ouverture prochaine de la ligne des Ecaussiues, et vous serez convaincus que l'écart, au détriment du canal et en faveur du chemin de fer, est de 1.55.
En admettant même la moyenne du fret indiquée par M. le ministre et dont je conteste l'exactitude, encore arriverez-vous à une différence au profit des chemins de fer de 1.30.
Voilà la vérité pour les transports vers Bruxelles. M. le ministre, fidèle à son habitude de passer à côté des faits qui le gênent, a négligé de parler des prix de concurrence sur le canal et sur le chemin de fer de Louvain et de Dendre-et-Waes, pour les marchés d'Anvers, de Gand et du bas Escaut, comme s'il ignorait l'importance de ces marchés.
Il n'a pas contesté les chiffres par lesquels M. Sabatier a établi que les charbons transportés par la voie de Louvain arrivaient sur ces marchés à des prix de transport plus bas de 1.83 et de 1.90, que par le canal de Charleroi.
Ainsi, messieurs, il est constaté que l'écart, au détriment du canal, est de 1.55 pour Bruxelles, et de 1.85 et de 1.90 pour Anvers, Gand et le bas Escaut.
Or, il ne faut pas se faire illusion, lorsque entre les chemins de fer et les canaux, il y a une différence en faveur des voies ferrées d'un franc, d'un fr. 50 c. et jusqu'à deux francs, il est évident qu'en peu temps les chemins de fer écraseront de leur concurrence les canaux. Je prétends et je soutiens qu'à prix égal, à la longue les chemins de fer dé placeront la clientèle des canaux.
Déjà, je l'ai rappelé, ce résultat atteint le canal de Condé et la Sambre qui sont vaincus par les chemins de fer rivaux. Pourquoi le canal de Charleroi échapperait-il à cette loi des transports ?
Messieurs, je dois relever une autre erreur dans laquelle M. le ministre des travaux publics est tombé à son tour.
L'honorable ministre des travaux publics en appréciant hier cette concurrence, vous a dit que, pour 1858, les transports de Charleroi et du Centre à la station du Midi par le chemin de fer, n'avaient été que de 49,000 tonnes. L'honorable ministre des travaux publics s'est sans doute trompé : c'est 49,000 waggons qu'il aura probablement voulu dire, puisque j'ai cité le chiffre, que je sais exact, de 146,000 tonnes de charbon qui ont été transportées en 1858 du Centre seul vers Bruxelles.
Si le Centre seul a expédié 146,000 tonnes de houille, il est probable que le tonnage total s'est élevé à 245,000 qui représentent les 49,000 waggons dont M. le ministre a vraisemblablement voulu parler. (Interruption.)
M. le ministre, vous vérifierez, mais je vous crois dans l'erreur, et je ne puis concilier le chiffre, que vous avez cité avec ceux que je sais être exacts.
Messieurs, lorsque l'honorable ministre des travaux publics a prononcé hier son discours, je l'avais d'abord considéré comme une espèce de parenthèse, non pas de « parenthèse vide », mais de parenthèse dans la discussion ; mais j'ai compris à la fin quel était le but de ce discours, et je dois en remercier M. le ministre.
Il a plaidé en faveur de notre thèse et de nos principes, et tous ses arguments ont appuyé au fond la réduction de 40 p. c, proposée par la section centrale. Il a défendu le système des tarifs commerciaux, des rabais pour les grands transports à longue distance. M. le ministre des finances, adversaire des tarifs différentiels sur les chemins de fer, avait annoncé qu’il avait dénoncé les traités particuliers au 1er octobre et que le gouvernement était en mesure d'en faire cesser promptement l'effet., M. te ministre des travaux publics, partisan des tarifs commerciaux, nous a appris que ces traités dénoncés avaient été prorogés. Il a préconisé ce système que je suis loin de condamner, mais qui aboutit à de fortes réductions de tarifs. Il faut, a dit M. le ministre, administrer les chemins de fer commercialement, et pour les administrer commercialement il faut recourir aux tarifs spéciaux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les traités spéciaux et les tarifs spéciaux sont des choses tout à fait différentes.
.M. Dechamps. - Je le sais, et cette distinction ne change en rien mon argumentation. Le discours de M. le ministre des travaux publics a été un chaud plaidoyer en faveur des bas tarifs sur les chemins de fer. Les tarifs spéciaux ne sont que des réductions de tarifs plus ou moins considérables. Je fais trop d’honneur à son intelligence pour croire qu’il soit en même temps partisan de péages élevés sr les canaux.
Evidemment, les bas tarifs sur les chemins de fer entraînent de toute nécessité des réductions de péage sur les canaux. M. le ministre, en maintenant provisoirement les traités qui existent, et en annonçant leur régularisation par des mesures générales, décrète dès aujourd'hui un abaissement nouveau dans le tarif du chemin de fer, abaissement qui n'est pas entré du tout dans les calculs présentés par M. Frère ; c'est un argument péremptoire à l'appui des réductions de péage proposées par notre amendement ou tout au moins par le projet de la section centrale.
M. le ministre des travaux publics vous a soumis des chiffres et des calculs pour vous prouver que les transports sur le canal de Charleroi augmentaient, et que par conséquent la concurrence des chemins de fer n'était guère à craindre.
Messieurs, il me serait facile d'opposer des chiffres à ces chiffres et d'arriver à des conclusions contraires. Cette manière de grouper les années est arbitraire, et l'on peut ainsi trouver des moyennes bien différentes.
Mais trois faits restent au-dessus de toute contestation : le premier, c'est que la progression dans les transports, assez continue depuis la réduction des péages de 1849, s'arrête en 1856, date où la concurrence du chemin de fer de Charleroi à Louvain s'est fait sentir, et reste stationnais depuis.
Le chiffre de 1856 s'abaisse en 1857 pour remonter à peu près à celui de 1856. Il y a évidemment arrêt.
Le second fait, c'est que pendant que les transports sur le canal s'arrêtent et même tendent à fléchir, la production des deux bassins houillers augmente d'un tiers, d'un million de tonnes, dont les chemins de fer se sont exclusivement emparés.
Le troisième fait, en rapport exact avec le second, c'est que les voies ferrées, rivales du canal, à leur naissance même et presque au lendemain de leur exploitation, ont déjà transporté plus de 800,000 tonnes, c'est-à-dire le tonnage entier du canal de Charleroi.
Tous les chiffres et toutes les moyennes viennent se briser contre ces faits, et ce n'est pas une réduction de 25 p. c. qui pourra les modifier de manière à rétablir les conditions normales de concurrence entre le canal et les chemins de fer. J'arrive au discours de l'honorable M. Dolez. L'honorable M. Dolez a regretté que nous ayons proposé l'amendement qui est déposé sur le bureau. Il était disposé, sans cela, à garder le silence et, si je l'ai bien compris, peut-être aurait-il donné son adhésion à la proposition de la section centrale. (Interruption)
Evidemment notre proposition ne doit rien changer à la détermination qu'avait cru devoir prendre l'honorable M. Dolez. Je l'engage encore, comme a fait l'honorable M. Muller, j'engage l'honorable M. Dolez, dont la rare intelligence ne peut être mise au service d'une cause vieillie, injustifiable et condamnée, je l'engage à adopter la transaction proposée par la section centrale.
L'honorable député de Mons dit que nous, organes de Charleroi, nous voulions faire prévaloir un principe d'égalité apparente et non pas d'égalité réelle. Je me suis étonné de cette affirmation.
Car enfin est-ce l'égalité réelle que vous défendez, lorsque vous prétendez maintenir un système qui n'impose que des péages nuls, des péages de 1 centime sur des canaux de grande navigation, et qui grève de gros péages, de péages deux ou trois fois plus élevés un canal remboursé deux fois, à petite section, entravé par un grand nombre d'écluses, manquant d'eau et d'une navigation très coûteuse ?
Comment a procédé l'honorable membre pour justifier son assertion ? Il prétend que le canal de Condé, à l'origine, aurait dû être en rapport direct avec les charbonnages, ce qui peut être, et que ceux-ci ont dû établir des chemins de fer industriels pour se relier au canal.
Mais, messieurs, Charleroi et le Centre se trouvent exactement dans la même situation : pour transporter les charbons de Charleroi et du Centre, il a fallu établir des chemins de fer industriels sur lesquels on paye, en moyenne, 50, 60 centimes et un franc. Ainsi, messieurs, l'égalité, que nous demandons n'est pas apparente, elle est bien réelle.
L’honorable ministre a dit que le canal d'Antoing est presque une superfluité, qu'il ne fait que doubler le canal de Condé ; que cela est tellement vrai, que sous le gouvernement des Pays-Bas, il a fallu prendre des mesures spéciales pour forcer la navigation à prendre la voie du canal d'Antoing.
Cela a pu être vrai à l'origine, mais aujourd'hui c'est par cette voie que se dirigent les transports vers l'Escaut supérieur, vers Gand et les Flandres, et ces transports s'élèvent à plus de 600,000 tonnes. Vous (page 46) voyez que le commerce de Mons ne trouve pas que le canal soit superflu et inutile, car il en fait un excellent usage.
M. Dolez a rappelé que le bassin de Mons a toujours demandé l'exécution d'un grand travail d'utilité publique qu'on lui a refusé au nom des intérêts de Charleroi et de l'équilibre qu'on craignait de rompre, c’est le canal de Jemmapes à Alost. Donnez-nous ce canal, a dit l'honorable membre, et je vous concède l'uniformité des péages. Ce reproche, à coup sûr, ne me concerne pas ; l'honorable M. Dolez se le rappellera : lorsque j'avais l'honneur d'être ministre en 1845, ce canal important faisait partie du projet de travaux publics que j'ai proposé aux Chambres et les circonstances seules en ont empêché l'exécution. La députation de Charleroi n'a élevé aucune hostilité contre ce projet.
M. Dolez. - Vous étiez alors député de la Dendre.
.M. Dechamps. - L'honorable membre qui m'interrompt me fait l'honneur de croire qu'une pareille considération ne m'a influé en rien ; j'ai voulu rappeler que le grief signalé par lui ne m'atteint pas et que Charleroi y est resté étranger. Du reste, que le gouvernement propose l'exécution de ce projet, et je promets à mon honorable collègue de m'y rallier.
Mais, messieurs, si je ne me trompe, ce que demande l'honorable député de Mons est déjà accepté et réalisé. Dans le projet des travaux publics de 1859, on a adopté le projet d'un canal de Blaton ou de Jemmapes à Ath, se reliant, à la navigation de la Dendre qu'il s'agit d'améliorer ; par conséquent, ce canal n'est plus une hypothèse : le canal de Blaton se rattachant à la canalisation de la Dendre, c'est le même projet, dans des proportions moins grandes, je le reconnais, mais auquel les députés de Mons ont donné leur adhésion. Le grief a donc disparu.
Une antre considération ne doit pas être perdue de vue : c'est que le gouvernement a décrété le chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand qui est exécuté et qui tient plus ou moins compte du canal de Jemmapes à Alost, de manière que Mons aura trois grandes et belles communications vers Gand : le canal d'Antoing et l'Escaut, le canal vers Ath et le chemin de fer de Hainaut-Flandre. Ce n'est pas être trop malheureux.
L'honorable M. Dolez a prétendu que je m'étais complètement trompé sur les faits en prétendant que le système d'équilibre et de pondération commerciale entre les bassins rivaux était un roman, et que les tarifs de péage à l'origine n'avaient nullement été établis en vertu de ce système. D'après lui, le péage fixé en 1806 sur le canal de Condé n'était pas de six centimes, mais d'un demi-centime par tonne-kilomètre.
J'avais eu soin de dire, et M. Dolez l'a reconnu, que pour le canal de Condé je n'avais pas été à même de vérifier l'exactitude du chiffre qu'un homme compétent m'avait donné, parce que l'arrêté de 1806 ne figure pas au journal officiel.
L'honorable M. Dolez a trouvé le chiffre qu'il cite dans le rapport de M. Vifquain.
Messieurs, je dois douter encore de l'exactitude de ce chiffre, parce qu'il n'est pas vraisemblable que les états du Hainaut, en 1827, eussent augmenté dans une telle proportion le péage établi à l'origine.
Je fais, messieurs, toutes mes réserves quant à la rectification faite par l'honorable M. Dolez.
Mais veuillez remarquer que cette rectification ne rectifie rien et n'en laisse pas moins entière et inattaquée la thèse que j'ai soutenue.
Quand on parle d'équilibre entre les bassins de Mons et de Charleroi, on parle évidemment des voies navigables qui mettent ces deux bassins en concurrence sur nos marchés intérieurs.
Or, le canal de Condé est ici hors de cause et j'aurais dû n'en pas parler. C'est un canal d'exportation vers la France et qui est complètement étranger à la concurrence des deux bassins. La voie navigable rivale du canal de Charleroi, c'est le canal d'Antoing et l'Escaut supérieur. Or, pour le canal d'Antoing, le chiffre du péage que j'ai cité et qui a été fixé par le cahier des charges de 1825, ce chiffre n'a pas été contesté par l'honorable M. Dolez.
M. Dolez. - Je n'ai pas pu les vérifier.
.M. Dechamps. - Ils sont parfaitement exacts. L'ouvrage de M. Vifquain, auquel vous avez eu recours, l'établit clairement.
Messieurs, l'honorable membre a prétendu que c'était au nom des intérêts de Charleroi que le principe d'équilibre avait été constamment invoqué et défendu, en 1831, quand on réduisit le péage sur le canal d'Antoing, en 1840 quand on réduisit le péage sur la Sambre. C'est le contraire qui est la vérité ; en 1831 comme en 1840, c'était pour atténuer le système différentiel de péages ou d'équilibre établi au profit de Mons, que ces abaissements de péages avaient lieu.
En 1831, le gouvernement crut devoir admettre pour le canal d'Antoing une réduction de péage de moitié. Et parce qu'en 1833 au lieu de cette réduction de 50 p. c, on en a accordé une de 16 p. c. sur les droits exorbitants qui pesaient sur le canal de Charleroi, on s'écrie que c'est au nom de l'équilibre que cette satisfaction a été accordée. Est-ce encore au nom de Charleroi qu'on a adopté en 1851 et en 1852 un dégrèvement de 50 à 60 p. c. sur les péages du canal d'Antoing et de l'Escaut supérieur ?
L'honorable membre a rappelé ce qui s'était passé en 1840. Lorsque M. Nothomb a opéré une réduction de péages sur la Sambre, était-ce au nom de l'équilibre rompu ? Non ; au contraire, les péages sont restés bien plus élevés sur la Sambre que sur le canal de Condé. Mais c'est précisément en 1840 que ces idées d'équilibre se sont fait jour pour la première fois, et ce sont les députés de Mons qui les ont fait prévaloir ; c'est à l'occasion de l'abaissement de péages proposé en 1840 pour la Sambre, que le bassin de Mons a mis au jour ce système de pondération à l'aide de tarifs différentiels et contre lequel s'élèvent les idées de saine économie politique.
Messieurs, l'honorable M. Dolez a élevé de vives plaintes au nom du bassin de Mons qui n'a pas été bien partagé, selon lui, dans l'exécution des travaux publics. Comparativement à Liège, il a raison, mais si Mons a été sacrifié, que dire du bassin de Charleroi ?
Messieurs, je suis partisan des travaux publics à répartir entre toutes les provinces qui ne doivent pas se jalouser mais s'aider dans ces conquêtes civilisatrices. Liège a bien voulu se montrer reconnaissante de l'insistance que j'avais mise, comme ministre, à doter ce riche bassin du canal de la Meuse.
Mais si une partie du pays peut se plaindre d'oubli, n'est-ce pas Charleroi ?
Mons possède 254 kilomètres de grande navigation, sur laquelle des péages faibles ou nuls sont établis et qui mettent ce bassin en communication économique et faible avec la France et avec les marchés intérieurs, les canaux de Condé et d'Antoing, l'Escaut et demain le canal de jonction avec la Dendre à Ath.
Le bassin de Mons vient de voir ouvrir le chemin de fer de Mons à Haumont, qui permettra à ce bassin de venir faire une concurrence redoutable à Charleroi sur les marchés de Maubeuge, Reims et Rouen ; je ne m'en plains pas ; je crois que les concurrences sont bonnes et utiles ; ce n'est pas un grief que j'élève ; je constate seulement que le bassin de Mons, doté de ce chemin de fer et de celui de Saint-Ghislain à Gand, verra, dans un avenir prochain, ses transports se développer. (Interruption.)
Liège a obtenu, depuis vingt ans, 500 kilomètres de navigation par des bateaux de 350 à 400 tonneaux. Charleroi ne compte que 168 kilomètres de petite navigation, difficile et coûteuse, et qui a fourni au trésor près des deux tiers du produit de toutes nos voies navigables. Voilà notre bilan.
Depuis 1845, le gouvernement a présenté trois grands projets de travaux publics, celui de 1845, que j'ai fait adopter, celui de 1851 et celui de 1859.
Voyons la part faite à ces trois bassins ; dans le projet de 1845, Liège avait le canal latéral et le chemin de fer de Liège à Namur. En 1851, on y a ajouté la dérivation et la canalisation jusqu'à Chokier et les sections des canaux de la Campine destinées à établir la jonction entre la Meuse et l'Escaut ; depuis lors, les chemins de fer de Liège à Maestricht et de Namur à Givet, le canal de la Meuse à Hasselt et la canalisation de l'Ourthe ont été décrétés.
Pour ne parler que des voies navigables, savez-vous ce que ces travaux, exécutés tous aux frais du trésor public, ont coûté ? Près de 34 millions.
Mons n'a pas été à ce point, je le reconnais, l'enfant gâté du budget. Mais je viens de rappeler la richesse de communications qu'elle possède.
Voyons ce qu'on a fait pour Charleroi, auquel on marchande aujourd'hui une réduction modérée de péages.
Dans le projet des travaux publics que j'ai présenté en 1845, Charleroi était doté de trois chemins de fer : Sambre-et-Meuse, Louvain à la Sambre et Charleroi à Erquelinnes. Ces chemins.de fer concédés ne coûtent rien au trésor ; il n'a rien obtenu depuis.
Dans le projet des travaux publics de 1851 qui comprenait le projet de dérivation et de canalisation de la Meuse jusqu'à Chokier, projet qui coûtera 8 millions, Charleroi n'avait rien. Il a fallu l'initiative de ses députés pour réparer cet inconcevable oubli. Nous avons proposé deux amendements, l'un pour accorder la garantie d'intérêt qui a permis d'exécuter le chemin de fer de Charleroi à Louvain et l'autre pour l'achèvement du chemin de fer de Charleroi à Erquelinnes.
Le ministère s'était opposé d'abord à ces propositions réparatrices qu'il a été obligé d'accepter ou de subir à la fin du débat.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement l'a proposé.
.M. Dechamps. - C'est une erreur. Nous avons déposé des amendements combattus d'abord par l'honorable M. Van Hoorebeke, ministre des travaux publics, et acceptés plus tard de nos mains. Ainsi : en 1851, on n'accordait rien à Charleroi ; nous avons obtenu l'achèvement des chemins de fer qui faisaient partie de la loi de 1845. Depuis 1845, nous n'avons rien obtenu, pendant que Liège et Mons voyaient autour de leurs bassins s'exécuter des voies nombreuses et nouvelles destinées à accroître une prospérité dont il faut se réjouir.
J'ai dit que depuis quinze ans on avait exécuté, aux frais du trésor, des voies navigables dans le bassin de Liège pour près de 34 millions, sans y comprendre les travaux d'améliorations à la Meuse. Savez-vous ce qu'on a dépensé pour Charleroi ? Deux millions ! Un million pour l'élargissement de neuf écluses et un million pour l'amélioration de la Sambre. Ai-je eu raison de dire, messieurs, que nous n'étions pas les enfants gâtés du budget ?
(page 47) L'honorable M. Dolez a émis une idée spécieuse ; il accepte la réduction, proposée par le gouvernement, de 25 p. c. et il repousse une réduction plus considérable, voulant que l'excédant fût employé à améliorer le canal dont l'alimentation est insuffisante et la situation mauvaise. Il vaut mieux, dit-il, perfectionner le canal que d'abaisser les péages ; employez une partie des revenus de ce canal à ces améliorations.
Ce système, qui consiste à appliquer des produits d'une voie navigable à l'améliorer, n'est pas nouveau ; il appartient à l'honorable M. Nothomb, ou à l'honorable M. Desmaisières. Si M. Hymans le savait, il s'indignerait de voir l'honorable membre aller puiser ses idées dans l'arsenal réactionnaire.
Mais ce système a été reconnu irréalisable ; la loi sur la comptabilité s'y oppose, et si nous devons compter sur cette réserve de 200,000 fr. annuellement pour obtenir l'élargissement des écluses qui doit coûter 10 millions, nous devrons attendre à peu près 50 ans.
Vous voulez former, avec les produits du canal, une réserve pour l'avenir, mais cette réserve vous l'avez dans le passé.
Les produits du canal, depuis 1852, s'élèvent à 31 millions ; déduisez-en 3 millions pour l'entretien et l'exploitation et il reste une somme de 28 millions dont la moitié a servi à rembourser le prix d'acquisition.
Le gouvernement a donc une réserve de 14 millions obtenue à l'aide de péages exorbitants, usuraires, injustes qu'il a perçus depuis 26 ans. Pourquoi ne pas puiser dans cette économie toute trouvée la dépense nécessaire pour perfectionner cet outil puissant de production qu'on appelle le canal de Charleroi ?
Pourquoi appliquer à Charleroi une règle exceptionnelle ? Quand on a dépensé les 34 millions pour Liège en voies navigables, quand on a élargi et approfondi les canaux de la Campine à peine achevés et qui n'ont pas produit un seul centime pour leur amortissement, quand nous avons voté plusieurs millions pour les passes artificielles de la Meuse et 300,000 fr. annuellement pour améliorer le halage de cette rivière, quand nous avons dépensé 3 millions pour améliorer la navigation de l'Escaut, a-t-on demandé aux produits de ces voies navigables les sommes nécessaires pour les améliorer et s'est-on dispensé d'y maintenir des péages faibles ou nuls ou de proposer des réductions de péages trop élevés sur certains de ces canaux ? Encore une fois, est-ce parce que Charleroi a été si mal partagé dans la répartition des budgets, est-ce parce qu’il possède un réseau plus faible de voies navigables, est-ce parce que la navigation de son canal est défectueuse et mauvaise, et que ses péages sont élevés, qu'il faut lui appliquer un principe exceptionnel et lui marchander une réduction de péages !
Messieurs, si le canal de Charleroi était administré par une compagnie, que ferait immédiatement cette compagnie en possession d'un aussi riche instrument de transports ?
Elle n'hésiterait pas : elle abaisserait d'abord résolument son péage au niveau même de la concurrence des chemins de fer ; ensuite., elle dépenserait le million nécessaire pour assurer l'alimentation normale du canal ; puis, elle adopterait la dépense nécessaire, dût-elle être considérable, pour donner à ce canal toute sa puissance productrice, soit en établissant des écluses jumelles, selon le projet indiqué déjà par M. Vifquain et qui permettrait de doubler les transports, soit, ce qui serait mieux, en transformant ce canal à moyenne section ce canal de grande navigation, par l'élargissement des écluses , amenant ainsi au pied même des houillères les bateaux de tous nos canaux et de toutes nos rivières et apportant à Gand et dans les Flandres du charbon à 4 fr.
Voilà ce que ferait une compagnie intelligente, voilà la dépense qu'elle n'hésiterait pas à faire et qui lui rapporterait de gros intérêts.
Le gouvernement doit-il se montrer moins intelligent qu'une compagnie et peut-il, dans une pareille situation, marchander quelques pour cent de réduction de péages, rabaissant une grande question d'intérêt industriel et d'intérêt public aux minces proportions d'un intérêt fiscal qui, selon nous, n'existe même pas.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne nous faisons pas illusion sur le résultat de la discussion. Nous nous trouvons en présence de nombreux intérêts dont les représentants, fort habiles, ne négligent aucun moyen pour arriver au but qu'ils poursuivent.
Il s'agit de diminuer le revenu public. Dans cette condition, c'est le sort ordinaire du gouvernement d'être à peu près seul pour essayer de le maintenir.
Il est vrai qu'il y a une compensation : quand le trésor est vide et qu'il s'agit de le remplir, il est encore à peu près seul de son avis. Dans cette situation nous ne pouvons pas cependant abandonner notre devoir, qui est de dire à la Chambre ce que nous croyons être la vérité. Je puis d'autant moins le déserter en ce moment que (l'on m'oblige presque à le dire par le caractère que l'on a donné à cette discussion) je combats ici contre mes propres intérêts.
L'honorable préopinant vient de se plaindre de ce qu'il a appelé une sorte d'attaque personnelle que j'aurais dirigée contre lui.
Je crois que personne n'avait remarqué un semblable écart de ma part.
Dans une séance précédente, l'honorable membre s'était exprimé à notre égard d'une manière très polie assurément, mais sur un ton quelque peu hautain. Il avait reproché au gouvernement de ne pas montrer suffisamment d'intelligence dans l'administration des intérêts du pays. Il reprochait au gouvernement d'avoir méconnu ce que commandaient la justice et l'équité dans l'intérêt du canal de Charleroi. Je me suis permis de répondre à l'honorable membre que, puisqu'il avait été longtemps au pouvoir en présence des mêmes réclamations qui nous ont été adressées, j'étais étonné qu’il n'y eût pas fait droit. Il n'y a pas un acte favorable au canal de Charleroi qui ne soit dû à notre initiative. La réduction des péages du canal de Charleroi en 1849, amenée, je l’admets, par la diminution du tarif des chemins de fer ; l’élargissement des premières écluses du canal, toutes propositions que l’honorable membre pouvait faire aussi bien que nous, c’est à nous que Charleroi les doit. L’approfondissement de la Sambre, réclamé depuis si longtemps, et qui est si favorable aux intérêts de cet arrondissement, nous l’avons proposé. J’avais donc quelque droit de me plaindre des reproches un peu vifs que m’a adressés l’honorable membre, car nous sommes les seuls qui ayant fait quelque chose, tandis que lui est resté inactif quoique pouvant agir.
L'honorable membre se récrie : Les conditions étaient-elles les mêmes ? la concurrence des chemins de fer était-elle la même ? Je concède à l'honorable membre que les conditions n'étaient pas les mêmes ; mais je lui demande si les réclamations n'étaient pas les mêmes ? J'ai pris soin de citer la date de ces réclamations qui contiennent les plaintes les plus vives de l'arrondissement de Charleroi et qui avaient pour objet une réduction des péages de 75 p. c. Sous l'administration de l'honorable membre, cet arrondissement n'a pas obtenu un centime d'abaissement des péages. Voilà le fait que j'ai voulu constater.
L'honorable membre est impitoyable dans ses critiques. A l'en croire, je me suis attaché à ce qu'il y avait de plus facile à réfuter dans le discours qu'il a prononcé ; j'ai laissé à l'écart tout ce qu'il y avait mis de plus grave et de plus sérieux. Il n'y avait, ce me semble, qu'une seule question à traiter pour rester dans le sujet, il ne s'agissait pas de faire des hors-d'œuvre comme ceux que vous venez d'entendre, de se livrer, par exemple, à des récriminations sur la répartition des travaux publics en Belgique. Il ne fallait s'occuper que d'une question : Faut-il réduire les péages sur le canal de Charleroi ? Quels sont les motifs qu'on allègue pour que cette réduction ait lieu ? C'est là ce que je me suis borné à examiner. Je n'ai pas parlé, j'en conviens, de l'équilibre des bassins, question que l'honorable membre reproduit une ou deux fois par au-devant la Chambre. A quoi bon ? Je voulais d'ailleurs la réserver à mon honorable ami, M. Dolez, qui a répondu à l'honorable membre mieux que je ne l'eusse fait assurément, et, je présume , de manière à satisfaire médiocrement l'honorable M. Dechamps.
Ce n'est pas là que s'arrêtent les objections de l'honorable membre. Je n'ai pas seulement eu le tort de ne pas m'occuper de ces questions. J'ai négligé ce qui se fait en France, où l'on s'occupe tant aujourd'hui, dit-il, des intérêts matériels. L'honorable membre a découvert que les industriels français consentent, si on leur accorde l'abolition des péages, à renoncer au système de la protection.
Je suis très coupable d'avoir passé sous silence cette découverte ; j'avoue que j'attendais qu'elle passât dans le domaine de la réalité. Mais soit ; il est entendu que, moyennant l'abolition des péages, les industriels français abandonneront la protection douanière. Je constate à mon tour qu'ils n’en sont pas encore venus à abandonner la prohibition la plus absolue.
Mais encore une fois, à quoi aurait servi la discussion de cette découverte à propos de la réduction des péages sur le canal de Charleroi ? Je ne prétends pas qu'elle n'ait pas une grande importance aux yeux de l'honorable membre ; seulement, en conscience, je ne puis y trouver un argument en faveur de la réduction des péages.
Il est encore un point que je dois relever. L'honorable membre a signalé avec le plus grand soin (et il est passé maître dans ce système) les contradictions que pouvait présenter le langage de deux ministres, il a voulu prouver qu'il n'y avait pas un parfait accord au banc des ministres.
.M. Dechamps. - Je l'ai constaté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous l'avez constaté, sans doute comme contraste, car dans les cabinets dont a fait partie l'honorable membre, il y a toujours eu une grande communauté d'idées, chacun le sait.
Mon honorable ami, M. le ministre des travaux publics a prononcé un excellent discours dans lequel l'honorable M. Dechamps a cru découvrir des idées tout à fait en contradiction avec les miennes.
.M. Dechamps. - Je n'ai pas dit qu'il y eût contradiction, j'ai dit que le discours de M. le ministre des travaux publics avait pour conclusion légitime l'abaissement des tarifs des chemins de fer et par conséquent l'abaissement des péages sur les canaux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'avais entendu encore autre chose. Il me semblait que l’honorable membre avait fait remarquer que mon collègue s'était prononcé pour les traités particuliers, tandis que moi je les avais attaqués.
Je crois qu'il faut faire cette petite addition à l'interruption de l'honorable membre. L'honorable membre s’est trompé. Je n'ai pas prétendu qu'il ne fallût pas faire certains abaissements de tarifs, j'ai dit qu'ils ne devaient pas se faire par des traités, mais bien par la voie (page 48) générale réglementaire, par des dispositions rendues publiques. Qu'a dit mon honorable ami, M. le ministre des travaux publics ? Il a forcément appuyé les considérations que j'avais développées sur la nécessité de la publicité, et ensuite il a ajouté qu'il se proposait d'agir de cette façon. Ce sont des règles de bonne administration qu'il s'agit de faire prévaloir. A la vérité l'honorable M. Dechamps a induit des paroles de mon honorable collègue qu'un abaissement des tarifs des chemins de fer pouvait avoir lieu, et il en a conclu que cela rendrait inévitable l'abaissement des péages sur le canal de Charleroi. Je répondrai à M. Dechamps : Attendons. J'admets parfaitement que si par l'abaissement des tarifs du chemin de fer, on portait atteinte à la condition du canal, on résisterait en vain à un abaissement des péages. Mais cette situation n'existe pas comme vous l'a très bien démontré M. le ministre des travaux publics. Si une modification des tarifs des chemins de fer, opérée dans l'intérêt public, en faveur de certaines marchandises, pour certaines catégories de transports, venait à exercer une influence sur le mouvement du canal de Charleroi, il serait alors nécessaire d'aviser.
Du reste, tout ceci, dans le discours de l’honorable membre, n'était qu'une sorte d'introduction. Il avait à relever, avec l'honorable M. Sabatier, ces erreurs énormes que j’ai commises. Il a cru même en avoir découvert de nouvelles ; mais je n'ai pu guère reconnaître qu'une chose, c'est qu'il avait répété ce que déjà l'honorable M. Sabatier avait dit.
Voyons si l'honorable M. Sabatier, qui, je le reconnais, a déclaré très nettement, que les renseignements que j'avais donnés, fourmillent d’erreurs, erreurs de chiffres, erreurs de faits, erreurs d'appréciations, s'est maintenu sur le terrain de la vérité. Je crains de fatiguer un peu la Chambre par quelques répétitions, mais vraiment j'y suis contraint par le genre de discussion auquel on s'est livré.
Je vais essayer de reprendre successivement les points indiqués par l'honorable M. Sabatier ; je le suivrai pas à pas et je tâcherai de répondre à chacune de ses allégations.
Ma première erreur a consisté en ceci : j'ai méconnu une transaction sur la question qui nous occupe. L'honorable membre répond : Voyez les procès-verbaux, examinez-les et vous vous convaincrez qu'il y a eu réellement une transaction. Une transaction ? entendons-nous ! Sur une interruption de l'honorable M. Jouret, la veille, voici ce que j'avais dit :
« Je n'entends pas contester qu’il en a été ainsi dans votre pensée, ce que je nie, c'est que tel ait été l’avis de la commission et mieux encore celui du gouvernement. Ce que je n'admets pas, c'est que ces deux choses soient intimement unies. Jamais le gouvernement n'a admis cela, puisqu'il a toujours combattu la réduction de 40 p. c. et, partant, il n'y a pas de transaction à lui opposer. »
Voilà quelle était mon allégation. C'est à cela que répond l'honorable M, Sabatier, et il m’oppose quoi pour démontrer mon erreur ?
Il m'oppose que Charleroi a transigé avec le Centre, qu'ils se sont parfaitement entendus et que tous les deux ils ont eu le dessein d’égorgiller doucement le trésor avec leur petit coutelet. Voilà ce que m'oppose l'honorable M. Sabatier. Mais dans une transaction de ce genre, évidemment le gouvernement, le pays est partie ; et évidemment le reproche de méconnaître la transaction n'avait pas de sens, s’il ne signifiait que le gouvernement manquait à ses engagements.
M. Sabatier. - Je n'admets pas que j'aie commis une erreur. Je ne désire qu'une chose, c'est de pouvoir répandre à votre discours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'y oppose pas du tout. Je constate seulement que le gouvernement, qui a combattu la réduction de 40 p. c., n'a pas fait la transaction que l'on indique.
Deuxième erreur : j'ai invoqué le fret de 1859, le fret des mois de juillet et d'août, un fret imaginaire ! Et l'honorable M. Dechamps vient de répéter sur ce point les observations de l'honorable M. Sabatier. Le fret de 1859 ! Ne voilà-t-il pas une plaisante chose ? M. le ministres des finances vient parler d’un fret de 1859, au août et en juillet, alors qu’on n’a pas navigué ! Sir ce thème on s’égaie aux dépens de M. le ministre des finances. (Interruption.) Attendez ! il doit m’être permis de rechercher qui de vous ou de moi s'est trompé et je crois pouvoir promettre que je prouverai votre erreur.
Il n'y a pas eu de fret en juillet et en août !
Mais où a-t-on pris le fret qui a été indiqué ? On l'a pris dans les journaux qui publient un bulletin commercia1, qui publient régulièrement le prix du fret ; je le trouve, par exemple, dans l’Indépendance, que voici :
« Lundi, 4 juillet 1859, fret de Charleroi à Bruxelles, fr. 3 60 à 3 65. »
« Lundi 22 août 1859, fret de Charleroi à Bruxelles, fr. 3 50.
« Lundi 29 août 1S59, fret de Charleroi à Bruxelles, fr. 3 60. »
Et l'on n'a pas navigué !
Voilà le fret que le gouvernement trouve dans les bulletins commerciaux et qu'il a reproduit devant la Chambre.
Il n'est pas plus responsable de ces chiffres que de tout autre de ce genre. (Interruption).
Mais il y a eu un chômage au canal de Charleroi ? Sans doute, il y a eu un chômage. J’ai l’arrêté qui l’ordonne. Voici la pièce authentique, l’arrêté est au Moniteur. Il constate que le chômage devait avoir lieu au canal de Charleroi, du 7 juillet au 15 août. Donc on a navigué du 1er au 7 juillet, comme on a pu également naviguer du 15 au 31 août ; donc on a navigué en juillet et en août 1859.
M. Sabatier. - Je n'admets pas cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne l'admettez pas ?
M. Sabatier. - Non.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Sabatier ne l'admet pas.
Je trouve une preuve dans les bulletins commerciaux ; je trouve une nouvelle preuve dans un arrêté authentique, et l'honorable M. Sabatier reste incrédule. Il est vrai qu'il est possible quoique cela soit peu vraisemblable, que les journaux aient publié un fret pour une navigation qui n'existait pas et que le terme du chômage ait été dépassé.
Nous avons un moyen de contrôle. Et les péages, s'il en a été perçu en juillet et en août 1859, ne serviront-ils pas à détromper complètement l'honorable M. Sabatier ?
Eh bien ! j'ai l'honneur de lui apprendre que le produit du canal de Charleroi et juillet, a été de fr. 36,775 14 c., ce qui indique bien quelque navigation ; et en août, il a été de fr. 22,409 04 c.
Ainsi, il est clair qu'il y a eu un fret au canal de Charleroi pendant juillet et août, et qu'on a navigue pendant une partie de ces deux mois.
Troisième erreur. M. le ministre des finances a choisi, c'est ainsi que parle l'honorable M. Sabatier, pour les besoins de sa cause, le transport du charbon à Louvain ; et de là l'honorable membre part pour faire une assez longue dissertation et démontrer que mon raisonnement est complètement inadmissible, que par une sorte de fantasmagorie, je viens poser des chiffres et des arguments qui n'ont rien à faire dans la discussion.
Nous savons, dit-il, que nous ne pouvons pas lutter, le péage entier fut-il supprimé, nous savons tous que nous ne pouvons pas envoyer du charbon de Charleroi à Louvain par le canal ; et il se donne le facile plaisir de triompher en démontrant que j'ai soutenu une absurdité.
Messieurs, chose étrange, c'est que j'ai précisément soutenu la même thèse que l'honorable M. Sabatier ; il a en quelque sorte reproduit mes expressions. C'est moi, en effet, qui ai dit à l'honorable M. Dechamps : Vous invoquez à tort le chemin de fer de Charleroi à Louvain ; le péage fût-il aboli, ce qui se transporte par ce chemin de fer ne transporterait point par le canal. Est-il donc juste de m'attribuer une opinion diamétralement contraire à celle que j'ai exprimée, pour la seule satisfaction de paraître me réfuter ?
Quatrième, erreur. J'ai donné des chiffres inexacts, j'ai dit que le prix de transport du Centre à Bruxelles était de fr. 4-76 tandis qu'il n'est que de fr. 4-30. Convenons d'abord qu'il est trop commode de prendre deux ou trois chiffres sur lesquels on n'est pas d'accord ou qui peuvent être erronés, pour en conclure résolument que tous les chiffres fourmillent d'erreurs. La Chambre peut juger par la contradiction qui existe le plus souvent sous ce rapport entre les divers orateurs, qu'il est très facile d'être induit en erreur. Et puis, quant à ces chiffres, selon que les uns y font entrer certains éléments que d'autres ne comptent pas, on arrive à des résultats quelque peu différents.
Ainsi les uns ajoutent au prix de transport par chemin de fer une taxe fixe, qui existe, de 20 centimes par expédition ; d’autres ne comptent pas cette taxe ; de cette manière ceux-ci écrivent 4 fr. 7 c., où ceux-là mettent 4 fr. 10 c. Mais je fais bon marché de ces détails ; j'accorde la rectification que l'on réclame et je demande dans quel but les chiffres sont produits dans cette discussion ? Il importe peu, pour la conclusion que l'on veut en tirer, qu'il y ait une variante de quelques centimes ; ce qu'on veut établir, c'est que les chemins de fer font une concurrence ruineuse au canal.
Eh bien, cette preuve vous ne l'avez pas faite. Il est hors de doute que les quantités transportées par le canal n'ont pas diminué. Ce fait décisif, qui est au-dessus des petites controverses sur des chiffres est, dit-on, le résultat ne l'abaissement du fret au taux le plus déplorable.
Il entre, en effet, dans le fret, dit l'honorable M. Sabatier, des éléments incontestables, des dépenses pour péage, halage, etc., qui sont déjà l'équivalent de ce que vous indiquez comme étant la moyenne du fret. Nous examinerons tantôt s'il est en notre puissance de faire quelque chose qui puisse modifier les relations entre ceux qui demandent et ceux qui offrent des transports. En ce moment, nous constatons seulement la situation, et je dis : Qu'importe la cause qui réduit le fret au taux le plus bas possible ? (Interruption.) Il y a un fait plus puissant que tous les autres et qui est incontestable : tes transports n'ont pas diminué sur le canal de Charleroi, mais l’offre des bateaux est telle, que le prix moyen du fret est néanmoins resté très bas.
Il n'y a donc pas eu de concurrence qui ait détourné les produits destinés au canal. Il ne s'agit pas même de savoir si l'on transporte beaucoup de charbon par le chemin de fer. Le transport sur le chemin de fer est relativement minime, mais fût-il considérable, si le transport ne diminue pas sur le canal de Charleroi, si même il augmente, on ne peut se fonder sur la prétendue concurrence des chemins de fer pour justifier un abaissement des péages du canal.
Or, c'est le cas. N'entrez pas dans de minutieux calculs pour chercher des erreurs de centimes que vous puissiez me reprocher ; il suffit qu'il y ait accroissement dans les quantités transportées par le canal.
(page 49) Cela est manifeste, et je dis que cela seul donne la solution de la question.
Mais je n'ai pas épuisé la série des erreurs qui me sont reprochées par l'honorable M. Sabatier.
Cinquième erreur. Cette fois c'est une erreur d'appréciation. L'honorable M. Sabatier a dit, comme me citant et malgré mes réclamations, que j'aurais prononcé les paroles suivantes, qui se trouvent guillemetées dans son discours :
« L'abaissement des péages ne profitera pas aux consommateurs ; en tous cas, il représente bien peu de chose, relativement au prix de la houille. L'abaissement du prix de transport ne doit pas faire qu'il y ait nécessairement profit pour le consommateur, attendu que le prix de la houille pourrait augmenter. »
Il est facile de me trouver en faute et de me réfuter en modifiant mon langage. Lorsque, j'ai dit : « le consommateur aura peut-être quelque chose, cela n'est pas certain ; cela dépend des circonstances, » on me fait affirmer « que l'abaissement des péages ne profitera pas aux consommateurs. »
Voici mes paroles ; je répondais à l'honorable M. de Brouckere et je m'exprimais ainsi :
« Le consommateur profitera de la réduction, dit l'honorable M. de Brouckere et il ajoute : C'est de lui que je m'occupe. Ainsi ou fait table rase de tous les autres arguments ; c'est le consommateur seul qu'on a en vue. Il aura peut-être quelque chose. »
Un membre m'interrompt et s'écrie : « Incontestablement. » Et je reprends : « Cela n'est pas certain ; cela dépend des circonstances, le prix de la marchandise variera suivant l'offre et la demande.
« Et comme la réduction du péage ne représente qu'une fraction très minime dans le prix de la marchandise, il est bien probable qu'elle n'ira pas au consommateur,
« Elle n'ira pas surtout au petit consommateur.
« Si la demande est abondante, le prix augmentera ; nonobstant la réduction du péage, le consommateur n'en aura rien. »
Voilà mes propres paroles. Ma pensée était assez claire, ce me semble, pour ne point prêter à l'équivoque.
L'honorable membre me concède que le prix de la marchandise variera selon l'offre et la demande, mais il objecte que si le prix de transport diminue le consommateur profitera de la diminution.
J'ai répondu ceci, qu'il me concédera, je pense, également : la réduction est tellement minime qu'elle vient se perdre dans les fluctuations de prix.
Or, le consommateur que l'on semblait surtout avoir en vue, le petit consommateur allant chez le marchand, ne la percevra probablement pas de l'avantage qu'on lui fait espérer.
Qu'importera à ce consommateur de savoir que le prix de transport des 1,000 kilog. a été diminué de quelques centimes,, si le prix de h marchandise a augmenté dans des proportions égales ou même plus fortes ? (Interruption.) Il n'est pas question de 80 centimes : la réduction de 25 p. c. est admise, et il ne s'agit que de la différence entre 25 et 40 p. cent.
Eh bien, le supplément de réduction que vous demandez est tellement exigu qu'elle ne me fait entrevoir pour le consommateur qu'un avantage tout à fait problématique.
Mais j'ai commis une sixième erreur comme conséquence de celle-là, c'est que j'ai examiné la question à un point de vue beaucoup trop restreint.
J'ai parlé du consommateur qui prend de la grosse houille ou du charbon tout venant et l'honorable membre a en vue le consommateur qui prend du menu pour les machines. Or, dit-il, vous m'opposez un prix beaucoup supérieur à celui du charbon de cette dernière catégorie et la diminution qui est très mimine lorsque vous l'appliquez aux charbons les plus chers, a beaucoup plus d'importance pour les consommateurs lorsqu'elle porte sur les charbons du plus bas prix.
« Alors, dit l’honorable M. Sabatier, la proportionnalité change complètement. » Et il ajoute : « Il s'agit encore des charbons que nous exportons vers la Hollande, par exemple, et qui sont, en général, des charbons à très bas prix. Il est évident qu'un abaissement des prix de transport nous permettrait de faire concurrence en Hollande aux charbons anglais et aux charbons venant du bassin de la Ruhr. On a donc tort de se borner à parler du charbon qui n'est même pris que par une exception particulière. »
En vérité, messieurs, je vous le demande : qui de vous a soupçonné, lorsque l'on faisait jouer un rôle au consommateur dans cette discussion, qu'il s'agissait du consommateur hollandais ? Nos débats n'auraient-ils pas changé de face si l'on était venu solliciter la réduction des péages comme moyen de soutenir la concurrence extérieure ou de favoriser l'exportation de nos charbons ?
Je comprends très bien cet intérêt-là ; oui, il existe, je ne dis pas qu'il soit à dédaigner, qu'il ne doive pas être pris en sérieuse considération ; mais il faut qu'on sache bien quel est le but qu'on poursuit.
Telles étaient, messieurs, les erreurs de chiffres et d'appréciations dont fourmillait le discours que j'ai prononcé devant vous. J'espère m'être suffisamment justifié, et je pense que l'honorable M. Sabatier devra reprendre une bonne part des inexactitudes qu'il m'avait attribuées.
Toutefois je confesse de nouveau une erreur que j'ai été le premier à signaler. J'ai été trompé en ce qui concerne les bateliers. Mais à part la différence sur le nombre, quelle était la pensée que nous exprimions par-là ?
C'est qu'on se prévalait ici d'un intérêt respectable, en quelque sorte sacré, puisqu'il s'agit de malheureux, et qu'on se faisait un titre d'une situation déplorable, qui, si elle était réelle, ne pouvait être changée par nous. C'était là le fond de ma pensée.
Eh bien, messieurs, est-ce que je me trompais sous ce rapport ? J'ai prononcé, à ce sujet, quelques paroles dans mon premier discours. Un journal les a relevées ; il y a trouvé une imputation désobligeante contre la presse, imputation qui n'était certes pas dans mes paroles et moins encore dans mon esprit ; il y a trouvé surtout que mon langage pourrait se traduire par cet horrible mot adressé à de pauvres bateliers : « Si vous mouriez de faim, vous ne crieriez pas si fort. »
Voilà, messieurs, l'odieux commentaire de mes paroles que je livre à l'appréciation de tous les gens d'honneur.
Ah ! je le sais, messieurs, il est des hommes qui recherchent la popularité en flattant les passions, les erreurs, les préjugés du peuple.
Je crois mieux le servir en lui disant la vérité, même lorsqu'elle lui déplaît. J'ai dit plus d'une fois aux bateliers : « On invoque votre nom ; on se prévaut de vos misères ; on fait remonter au gouvernement la responsabilité de la situation. La responsabilité n'est pas là ; le gouvernement est impuissant. »
Et, en effet, le gouvernement ne saurait rien faite, et il ne fera rien. L'abaissement des péages, fût-il consenti dans les limites les plus étendues, y eût-il même abolition complète de la taxe, les bateliers ne s'en ressentiraient pas.
A moins qu'on ne vienne établir ici que le gouvernement est le maître de l'offre et de la demande ; à moins qu'on ne vienne établir que le gouvernement règle le marché, règle les prix, ce que j'affirme est exact. En vain l'honorable M. Ch. de Brouckere a-t-il indiqué que le batelier, sachant qu'il y a une réduction de péages, saurait bien en prendre sa part. L'honorable M. de Brouckere voudra bien faire connaître aux bateliers le moyen d'arriver à ce partage aussi longtemps que les bateaux des sociétés, des négociants, des bateliers se feront la plus redoutable concurrence. J'adjure l'honorable membre de dire s'il n'est pas vrai que le prix du fret sera toujours réglé par l'offre et la demande ?
Si vous voulez savoir, au surplus, quels doivent être, pour les bateliers, les résultats de la réduction des péages ; si vous voulez vous convaincre que l'intérêt dont on se prévaut ne peut être satisfait ; si vous voulez avoir l’aveu formel que le batelier n'a rien à espérer, lisez le discours de l'honorable M. Sabatier.
L'honorable membre n'a pu méconnaître une vérité qui est écrite dans les faits.
Ecoutez-le.
« Messieurs, dit-il, ce qui s'est passé en 1849, vient encore donner un appui à la thèse que je défends.
« En 1849 on a abaissé de 35 p. c. les péages sur le canal de Charleroi ; tous les marchands de Bruxelles peuvent ouvrir leurs livres, et le feraient avec plaisir, pour vous prouver qu'immédiatement le consommateur a vu réduire le prix du charbon d'une somme égale à l'abaissement des péages. » Que restait-il aux bateliers ?
Et cependant, c'est à raison de ces intérêts sacrés qu'on demandait la réduction des péages ; c'est l'intérêt des bateliers dont on se couvrait, pour demander l'abaissement le plus considérable, si pas l'abolition complète des péages sur le canal de Charleroi.
M. J. Jouret. - Nous n'avons jamais dit cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je parle en thèse générale ; je ne désigne personne ; mais je suis certain que cela a été dit.
Ah ! messieurs, si l'abaissement de 40 p. c, de 60 p. c, de 75 p. c, si l'abolition entière des péages devait profiter aux bateliers, nous serions les premiers à en faire la proposition.
Mais, si les conditions actuelles restent les mêmes, si la même concurrence subsiste, ce n'est pas au profit des bateliers que le trésor subira le sacrifice qu'on veut lui imposer.
Et cependant ce sacrifice est considérable ; il est de 500,000 francs d'après notre proposition, de 700,000 fr. d'après l'amendement de la section centrale ; eh bien, croyez-vous que je lutte pour garder stérilement la différence ? Non, messieurs, j'agis ainsi parce que je crois mieux comprendre les intérêts du bassin de Charleroi ; je suis profondément convaincu que ce qu'on demande sera tout à fait inefficace ; tandis que les mêmes sommes seraient employées avec profit pour tous, en améliorations à faire au canal de Charleroi ; comme l'a dit l'honorable M. Dolez, on doit rechercher les moyens de procurer de l'eau au canal de Charleroi ; il y aura de ce chef de fortes sommes à dépenser ; l'eau trouvée, il faudra quelques millions pour modifier les écluses du canal, afin d'y permettre une plus active circulation. Ainsi l'on ferait un emploi beaucoup plus utile du revenu dont on va se priver ; on servirait mieux l'intérêt public.
Le consommateur, puisque c'est lui que l'on veut favoriser, serait grevé, mais dans une proportion minime, si minime, que la charge ne peut (page 150) assurément exercer d'influence sur le développement de la consommation, vous réserveriez les moyens de réaliser d'importantes améliorations.
- Un membre. - On les fera tout de même.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'entends bien, c'est ce système que je ne trouve pas prudent. On veut commencer par supprimer les recettes, sauf à chercher ultérieurement d'autres ressources pour faire face aux dépenses
.M. Dechamps. - Avez-vous demandé où il fallait prendre les millions dépensés pour la Meuse ? Répondez.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dédaigne d'ordinaire de répondre à de pareilles argumentations. J'ai encore passé sous silence ce que vous avez fait entendre d'analogue il y a quelques instants.
Je sais parfaitement qu'il est très habile, à vos yeux, d'introduire la Meuse dans tous les débats. La Meuse, c'est la question politique ! sans la Meuse, le trésor répandrait des bienfaits sur tout le reste du pays ! Sans la Meuse, le bassin de Charleroi serait dans une situation merveilleuse ! La Meuse, c'est une étrangère en ce pays, il faut la traiter en paria ; on ne doit rien faire pour elle ; et c'est ainsi en effet qu'elle a été traitée pendant longtemps.
.M. Dechamps. - Point par moi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jusqu'à vous, si vous le voulez, car je ne veux pas être injuste envers vous, même quand vous l'êtes envers moi !
Mais, de grâce, que peut-on faire encore dans l'intérêt du bassin de Charleroi ? Veuillez-vous dire quel est le grand travail d'utilité publique qui reste à entreprendre de ce côté ? Quel chemin de fer, quel canal reste-t-il à créer ? Et dans cette situation, est-il digne de vous le faire appel à des passions mesquines, comme si l'on avait négligé les intérêts qui vous sont plus particulièrement confiés ? Encore une fois, et en puisant aux sources communes, c'est nous qui avions proposé et fait décréter les derniers et importants travaux qui sont si utiles au bassin de Charleroi.
Il y a des améliorations à faire ; nous tes signalons ; mais leur exécution est subordonnée à une question préalable. A-t-on trouvé le moyen d'assurer l'alimentation du canal ? Si on le trouve, je dis qu'il faut les exécuter.
Messieurs, on a fait valoir une considération qui semble avoir exercé certaine influence sur l'esprit de quelques-uns d'entre vous ; on a dit : Le péage est un impôt ; c’est le seul point de doctrine sur lequel je sois en désaccord avec l'honorable M Ch. de Brouckere ; c’est un impôt, dit-il, et le principe d’égalité en cette matière est tellement enraciné dans nos esprits et dans nos mœurs, qu’il y a quelque chose qui paraît inique dans la tarification appliquée au canal de Charleroi, quand on la compare aux péages perçus sur d’autres voies navigables.
C'est une erreur, selon moi, de qualifier d'impôt un péage perçu sur un travail d'utilité publique.
M. Ch. de Brouckere. - Qu'est-ce que c'est que l'impôt ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais y venir. Il y a entre le péage et l'impôt des différences essentielles, bien que, sous certains rapports, il y ait des analogies entre ces deux sources de revenus.
La Constitution nous fournit des éléments propres à faire saisir nettement les différends. Elle porte qu'aucune rétribution ne peut être exigée des citoyens, si ce n'est à titre d'impôt au profit de l'Etat, de la province ou de la commune. Un impôt ne peut exister qu'en vertu d'une loi. La Constitution ajoute que les impôts au profit de l'Etat sont annuels, que les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an si elles ne sont renouvelées.
M. de Naeyer. - Chaque année les Chambres votent les péages.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Attendez, je vais précisément démontrer qu’il n'en est pas ainsi et c'est pour cela que j'établis d'abord les caractères constitutionnels de l'impôt. Le péage, à la différence de l'impôt est dans le commerce. Les voies navigables, les routes, les chemins de fer, le domaine public, en un mot ne sont pas dans le commerce, ils sont imprescriptibles et inaliénables comme dit M. Ch. de Brouckere ; mais le péage est si bien dans le commerce que le gouvernement le concède à des particuliers qui l'exploitent, qu'il le concède non pas pour une année, ce qui montre l'erreur de l'honorable M. de Naeyer qui m'interrompait tout à l'heure, mais même à perpétuité.
Est-ce que l'on vote chaque année les péages des chemins de fer concédés, des routes, des ponts, des canaux qui sont aux mains des concessionnaires ? Est-ce que la loi qui autorise ces péages n'a de force que pour un an ? Est-ce que, pour des concessions d'une certaine étendue, le gouvernement n'a pas le pouvoir d'autoriser des péages sans l'intervention des Chambres ? Le péage est donc tout autre chose que l'impôt. Il n'en a pas le caractère essentiel ; l'impôt est imposé ; le mot exprime le caractère de la chose ; on est contraint de le payer, on peut l'exiger de tous les citoyens ; le péage est payé volontairement par celui qui réclame le service dont il est le prix. (Interruption.)
Si les péages constituaient dis impôts, comme le supposent les honorables membres, je demande comment on pourrait déléguer à une compagnie non seulement la perception d'un impôt, mais le droit de le régler, de le modifier dans les limites d'un tarif, comme en contiennent la plupart des actes de concession ? Bien plus : je demande comment un pareil droit pourrait être concédé à perpétuité ?
Or, ces concessions, nombreuses en Angleterre, se rencontrent même dans notre pays. Et pour le faire remarquer en passant, elles consacrent des péages plus élevés que ceux du canal de Charleroi.
Ainsi, tandis que, d'après nos propositions, le péage du canal de Charleroi sera de dix centimes par tonne et par lieue, le péage du canal de l'Ourthe, concédé à perpétuité, sera de 25 centimes par tonne et par lieue, retour à vide compris. Est-ce vers cette égalité que vous voulez monter, sous prétexte que le péage est un impôt ?
Et grâce à cette confusion d’idées, un honorable membre a fait le compte, dans votre dernière séance, de l'impôt que, sous le nom de péage, acquittent tels ou tels industriels de la localité qui l'a envoyé dans cette enceinte. L'honorable membre a eu tort de s'arrêter au premier article dans ses calculs ; il pouvait ajouter une série d'autres impôts du même genre pour tous des objets qui doivent être transportés par les canaux ou par les chemins de fer et qui servent, comme la houille, aux besoins de l'industrie.
Il n'a indiqué qu'une taxe, il pouvait en trouver une cinquantaine, à son gré. Tous les transports grèvent ainsi les matières qui servent à l'industrie ; mais les péages ne sont pas, pour cela, des impôts. Faut-il abolir les redevances sur les chemins de fer et remplacer cette ressource que nous avons aujourd'hui par des impôts prélevés sur la généralité des habitants ? Est-ce là le principe que l'on veut faire prévaloir ?
Qu'il serait préférable de ne pas avoir de péages, ou tout au moins de les abaisser, je le concède très volontiers. Là n'est pas la question. La question est de savoir si vous avez quelque chose de meilleur à mettre à la place ; si vous avez un autre revenu qui serait plus équitable que celui-là ; si vous avez d'autres revenus plus justes, qui pèseraient moins sur le travail, sur l'industrie, qui seraient plus équitablement répartis entre tous les contribuables ?
Mais on s'est écrié que l'inégalité des péages est extrêmement choquante. Voit-on des droits de barrière différents sur nos routes ?
Messieurs, il faut, au point de vue de cette égalité, faire une distinction que le bon sens indique. Lorsque des services publics sont également accessibles à tous où au plus grand nombre, il est tout simple que la taxe soit égale pour tous, et il ne se concevrait pas que pour le service public de la poste, par exemple, on eût une taxe particulière pour le transport de Bruxelles à Anvers, une taxe différente pour toutes les autres parties du pays.
Mais lorsqu'il s'agit d'un péage dû à raison d'un travail comme celui du canal de Charleroi, qui dessert certains intérêts locaux...
M. Ch. de Brouckere. - Il en est de même des routes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non, les canaux ne sont pas accessibles à tous aux mêmes conditions ; je dis qu'il y a une distinction toute naturelle qu'il faut faire ; qu'il faut considérer quel est le service rendu.
Le service est rendu plus particulièrement, plus spécialement à certains intérêts, à certaines localités. On fixe un péage en raison de ces intérêts et on le fixe à raison des conditions que l'on va transformer à l'aide de la voie de communication. Dans un cas, un canal ne rendrait aucun service, si le péage y était élevé ; on ne s'en servirait pas : dans un autre cas, un péage, même élevé, n'empêche pas que le canal n'améliore immensément la position de ceux qui en sont gratifiés.
Ainsi pour juger de l'importance du service qui a été rendu par la création du canal de Charleroi, il faut se représenter l'état de choses antérieur, c'est la seule manière d'apprécier sainement le service rendu.
Avant le canal, on transportait le charbon de Charleroi et du Centre par les routes ordinaires. Il en coûtait 15 fr., je pense, par 1,000 kil. de charbon amené ainsi sur le marché de Bruxelles. L'exécution du canal a produit ce résultat merveilleux que la même quantité de charbon a été amenée sur le marché de Bruxelles pour 5 fr. Voilà quel a été le service rendu. Est-ce que pour cela je prétends que si l'on peut mieux faire encore, il ne faut pas le faire ? Pas le moins du monde.
Je constate seulement que tel a été le service rendu par le canal, et que si ce travail profite exclusivement à certaines localités, il n'y a rien de contraire à la justice, à l'équité, a ce que l'on y perçoive un péage différent de celui qui est fixé sont un autre canal qui ne procure pas le même bénéfice à ceux qui sont appelés à s'en servir.
L'inégalité existe même sur les voies ordinaires, quoi qu'en dise l'honorable M. de Brouckere. Ainsi on trouve une foule de routes sur lesquelles il y a non seulement des barrières, mais aussi des ponts concédés avec péages, tandis que dans une foule d'autres localités, les ponts ne donnent lieu à aucune redevance spéciale.
Allez-vous crier à l'inégalité et demander la suppression de ces ponts à péages sous prétexte que dans d'autres localités les péages n'existent point ? Nous vous demanderons seulement si le service rendu par la création du pont ne justifie pas le péage qu'on y acquitte.
Je me résume donc, et je vous demande pardon d'avoir si longtemps abusé de votre attention ; je me résume en ceci.
Nous avons proposé ce que nous croyons équitable en ce moment. Nous avons indiqué quels sont les motifs qui nous paraissent commander, (page 51 dans l'intérêt même du canal de Charleroi, de réserver pour un meilleur emploi les fonds du trésor public.
Si la Chambre croit devoir procéder autrement, si elle croit devoir élargir la réduction que le gouvernement a spontanément proposée, il en résultera que nous aurons une difficulté de plus pour satisfaire aux améliorations que l'on ne manquera pas de réclamer ultérieurement pour le canal de Charleroi.
C'est là, je le pressens.la situation qui sera faite par le vote que la Chambre va émettre.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Sabatier. - Je demande la parole contre la clôture.
- D'autres membres. - A demain !
- La suite de la discussion est remise à demain.
M. le président. - Une proposition de loi a été déposée sur le bureau. Elle est renvoyée aux sections pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.
- La séance est levée à cinq heures et un quart.