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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 30 août 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 287) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance du 27 août.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Rombeke, ancien conducteur de première classe du corps des ponts et chaussées, demande la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lannuy, porteur de contraintes à Dour, demande que sa position soit améliorée. »

- Même disposition.


« Le sieur d'Ormou, sous-lieutenant au 1er chasseurs à cheval, prie la Chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel se trouve assujettie la naturalisation qui lui a été conférée, ou du moins de lui accorder une prolongation de délai pour lui faciliter le payement de ce droit.

- Même disposition.


« L'administration communale d'Elene prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Enghien, Grammont, Sotteghem, vers Melle. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à cette discussion.

« La chambre de commerce de Roulers adresse à la Chambre 5 exemplaires de son rapport général pour l'année 1858. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. De Moor, retenu chez lui par la maladie d'un de ses enfants, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La discussion continue sur l'article 2 de l'amendement y relatif.

M. Thibaut. - Messieurs, il y a un an, la ville d'Anvers se croyait exposée à un grand danger. D'honorables membres de cette Chambre voyaient dans le projet qui a été discuté à cette époque, dans le projet de fortification et d'agrandissement partiel d'Anvers, une cause de ruine et d'anéantissement pour la grande et riche cité qu'ils représentaient.

Pour éviter d'aussi effroyables malheurs, ils se montraient disposés à accepter les plus dures conditions, à faire les plus grands sacrifices ; peu s'en fallût qu'ils ne suppliassent la Chambre d'autoriser la ville d'Anvers à faire à ses propres frais la grande enceinte.

L'honorable M. Loos, dans un moment de désespoir réel ou simulé, s'adressait à la Chambre pour se mettre en quelque sorte à sa discrétion et demander qu'on voulût bien établir souverainement ce qu'il appelait la rançon d'Anvers.

Messieurs, le gouvernement essayait de calmer d'aussi vives appréhensions ; il disait que ces craintes n'étaient pas fondées, que toutes ces alarmes étaient exagérées. Il ajoutait que quelques années auparavant la ville d'Anvers avait considéré le projet qu'on discutait à cette époque, c'est-à-dire l'agrandissement partiel au nord d'Anvers, comme tout ce qu'on pouvait désirer de plus avantageux ; il annonçait à la Chambre qu'à une époque qui remontait à 4 ou 5 ans, la ville d'Anvers avait même fait naître l'espoir que l'agrandissement partiel pourrait être opéré sans frais pour l'Etat. Et, partant de ce point, l'un des ministres disait qu'il pouvait douter jusqu'à un certain point de la sincérité de la ville d'Anvers, de sa bonne volonté de faire les sacrifices, que ses organes annonçaient.

Les honorables membres du cabinet déclaraient que le concours qui serait toujours réclamé de la ville d'Anvers pour le cas où il y aurait lieu de faire la grande enceinte, serait un concours sérieux et efficace, c'est à dire des écus levés pour faire les travaux demandés dans l'intérêt particulier de la ville .d'Anvers.

Tel était l'état de la discussion entre les représentants particuliers de la ville d'Anvers et le gouvernement, lorsque intervint le vote du 4 août 1858 qui rejeta le projet d'agrandissement partiel.

(page 288) Je n'ai pas à rechercher les motifs de ce vote ; mais ce que je ne puis admettre, c'est que sa conséquence prévue et obligée soit le projet que nous discutons aujourd'hui.

J'ai été étonné de voir cette phrase en tête du rapport de la section centrale, rapport écrit par notre honorable président, et il me semble que, dans son discours de l'an dernier, il a lui-même démontré que le projet actuel n'était ni dans ses prévisions, ni dans celles de la Chambre.

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un passage du discours prononcé par l'honorable membre à la séance du 30 juillet 1858 :

« Dans ma conviction intime, le système définitif organisé par la loi de 1853, d'après lequel est fixé le budget de la guerre, que personne de nous ne veut augmenter d'un centime, ce système ne pourra pas fonctionner régulièrement, et garantir les intérêts nationaux qu'il est destiné à sauvegarder, si l'on crée la vaste enceinte d'Anvers.

« (…) La garnison permanente de la place d'Anvers, le système de la section centrale admis, exigera une augmentation d'hommes sortant des prévisions du personnel actuel de l'armée (…) et cette augmentation entraîne un budget de la guerre plus considérable. Cela entre-t-il dans les intentions de qui que ce soit dans cette Chambre ?

« (…) Je veux le maintien de notre état militaire, je considère cet état comme le maximum des sacrifices que peut s'imposer le pays pour sa défense ; ce maximum, je le voterai toujours, mais je ne veux pas aller au-delà, et c'est parce que je vois derrière la grande enceinte d'Anvers, un budget normal de 40 millions, et une dépense extraordinaire d'armements de plus de 25 millions, que je vote le projet du gouvernement. »

Il me semble, messieurs, que de ces passages on pourrait conclure jusqu'à un certain point que l'honorable M. Orts était alors du nombre de ceux qui, sans être contraires au projet de 1858, ne lui reprochaient pas de faire trop peu pour Anvers, mais presque de faire trop.

Du reste, messieurs, la même conséquence résulte des discours prononcés par MM. les ministres. M. le ministre de l'intérieur, par exemple, disait à la séance du 28 juillet : « Que veulent donc les organes autorisés de l'opinion d'Anvers que veulent-ils ? Le statu quo ; eh bien, ils l'auront si le projet est rejeté. »

Mous sommes bien loin aujourd'hui de tout cela.

Deux jours plus tard, à la séance du 30 juillet, l'honorable M. Rogier, ministre de l'inférieur, disait encore :

« M. Rogier (séance du 30 juillet 1858, Annales parlementaires, p. 1330) : Il existe, messieurs, un système que j'appellerai à outrance, qui se formule dans ces mots si dangereux, si l'on en vient à la pratique : tout ou rien.

« Qu'on y prenne garde, j'admettrais ici comme très légitimes les hésitations de la Chambre ; je comprends qu'une Chambre disposée, dans un intérêt national, à voter une dépense de 20 millions, hésitât quand on lui proposerait tout d'un coup une dépense de 45 millions.

« Vous savez en outre ce que sont les devis des ingénieurs militaires et civils.... »

M. le ministre ajoutait :

« Quelque partisan que je sois de l'agrandissement général d'Anvers, j'avoue qu'il me serait impossible d'appuyer, ministre ou non, d'appuyer près de la législature la demande d'un crédit de 45 millions. »

Messieurs, dans mon opinion le projet actuel est un triomphe éclatant pour la ville d'Anvers ; mais c'est aussi, je regrette de devoir me servir de cette expression, une défaite humiliante pour les défenseurs du trésor public, pour ceux qui doivent sauvegarder nos finances.

Quel est, en effet, le principe qui a toujours été admis quand on parlait de grande enceinte, principe admis en 1856 par la section centrale de cette époque, principe proclamé maintes fois dans la discussion de l’an dernier ? C'est que le concours sérieux et efficace de la ville d'Anvers serait toujours réclamé avant que l'on proposât le vote sur la grande enceinte.

Si vous avez relu les discussions de l'an dernier, vous avez dû trouver la confirmation de mes paroles dans les discours de l'honorable ministre des finances et de l'honorable ministre de l'intérieur. Cela résulte encore de la lettre écrite par M. le ministre de la guerre, le général Berten, à la section centrale de 1858, lettre en date du 25 juillet de cette année.

Or, messieurs, je trouve que les offres de la ville d'Anvers, faites en 1858, ressemblent infiniment aux offres faites cette année, offres que le gouvernement a acceptées et qu'il convie la Chambre de ratifier. C'est la même somme : il s'agissait de 10 millions dans les offres de l'an dernier. Il s'agit de 10 millions dans les offres de cette année.

L'année dernière, on offrait de payer 10 millions en 10 ans, il est vrai, un million chaque année, mais à partir de l'exécution des travaux. Cette année, on offre de payer moitié après l'exécution des travaux et le restant dans les trois ans. C'est donc, dans les deux cas, lorsque les travaux seront terminés que l'on commencera à connaître la couleur des écus d'Anvers.

Eh bien ! je trouve à cela un grave inconvénient. cette convention, sous ce rapport, est déjà en opposition avec ce que disait l'honorable ministre des finances dans la discussion de l'an dernier, il fallait que la ville d'Anvers donnât des écus pour commencer les travaux. La ville d'Anvers ne les donnera que lorsque les travaux seront faits.

Ensuite, les payements sont échelonnés d'une autre manière, c'est vrai, Mais quel en est le résultat financier ? Pour comparer un mode à l'autre, le meilleur moyen, me paraît-il, c'est de supposer que l'Etat emprunte les 10 millions et les rembourse au moyen des payements faits par la ville d'Anvers. Eh bien, en remboursant au moyen des payements que la ville d'Anvers offrait l'an dernier, ou en remboursant au moyen des payements que la ville d'Anvers offre cette année, il y a, selon que l'intérêt est calculé à 4 ou 4 1/2 p. c, de l,600,000 à 1,800,000 francs de différence seulement.

Cette différence est légère ; dans tous les cas, il faut se demander si les offres sont suffisantes.

Il y a pour cela deux éléments qu'il s'agit d'apprécier : c'est d'abord ce que coûtera la grande enceinte, et ensuite ce que valent les terrains pour la cession desquels la ville d'Anvers consent à traiter.

Quant au coût de la grande enceinte, il nous serait fort difficile de nous en faire une idée exacte. Dans une note transmise par le département de la guerre à la section centrale, on évalue la dépense de cette grande enceinte à 25 millions. Dans une note du 22 avril 1857, on l'évaluait à 54,190,000 fr.

Voici, messieurs, un extrait de cette note qui se trouve aux Annales parlementaires de 1857, page 1333 :

« L'estimation des dépenses nécessaires pour réaliser le projet de 1856 s'élève à la somme de 44,948,963 fr. 67 c, soit 45 millions, qui se décompose de la manière suivante :

« A. Enceinte : fr. 34,190,089 80

« B. Camp retranché : fr. 10,809,910 20

« Les valeurs à recouvrer par suite de le vente des terrains militaires qui deviendraient disponibles après l'agrandissement général, sont estimées à la somme de 19,600,000 fr.

« En défalquant cette somme du chiffre A ci-dessus, ce chiffre se réduit à 14,590,089 80

« (Signé) Greindl. »

De cette note, je conclus que la somme de 25 millions qu'on propose aujourd'hui comme devant suffire à la dépense de la grande enceinte, sera très probablement dépassée. Cet élément d'appréciation nous fait donc presque défaut.

Ce que nous devons rechercher en second lieu, c'est la valeur des terrains qu'il s'agit de céder à la ville. Nous avons pour cela plusieurs estimations.

D'honorables membres, dans la séance de samedi, nous ont fait connaître des calculs qu'ils tiennent de personnes parfaitement informées de la valeur des terrains d'Anvers, Mais ces calculs n'étant pas officiels, je ne m'y arrêterai pas. Ce que nous avons d'officiel, c'est une estimation du génie militaire.

Le génie militaire, chargé de préparer les matériaux pour le projet de loi de grande enceinte et devant offrir à M. le ministre de la guerre tous les éléments de la discussion, a fait une estimation des terrains occupés par les fortifications et les constructions militaires, et il est arrivé à une somme de 19 millions et quelques cent mille francs. On ne connaissait pas alors exactement l'étendue des terrains qu'il s'agissait de céder à la ville d'Anvers. Plus tard, lorsque cette étendue fut constatée officiellement, on vit que la valeur des terrains devait être portée à 21,100,000 fr.

Cette estimation, messieurs, ne peut pas vous paraître exagérée. Vous avez un contrôle dans les paroles prononcées par l’honorable M. Loos dans les discussions de l'an dernier. L'honorable M. Loos, on vous l'a déjà rappelé dans la séance de samedi, disait que si Anvers pouvait être démantelée, les terrains vaudraient non pas seulement 20 millions., mais 28 millions, et que la ville d'Anvers offrirait probablement de garantir cette somme.

L'honorable M. Veydt, également député de la ville d'Anvers, proposait l'année dernière, comme vous vous le rappelez, l'ajournement de la discussion. On savait quelles avaient été les offres de la ville d'Anvers jusqu'à cette époque.

L'honorable ministre de la justice prit la parole dans cette circonstance ; il demanda à quoi servirait l'ajournement, et l’honorable M. Manilius lui répondit : A connaître les nouvelles offres que la ville d'Anvers pourrait faire ; et l'honorable M. Veydt confirmait ces paroles en disant qu'il s'agissait d'un concours très large, du concours le pins large de la ville d’Anvers.

Ce qui peut encore nous aider à calculer la valeur des terrains qu'il s'agit de céder à Anvers, c'est ce qui s'est passé en 1856.

En 1856, le gouvernement proposait un agrandissement partiel. Il s'agissait d'une dépense de 8 millions. Eh bien, la ville d'Anvers agit de telle sorte que le gouvernement conçut l’espoir de faire exécuter cet agrandissement partiel sans frais pour l'Etat, sans bourse délier.

C'est ce qui résulte de l'exposé des motifs du projet de loi de 1856.

II est vrai que la société qui s'était formée pour se charger de l'agrandissement d'Anvers disparut comme par enchantement.

(page 289) L'année dernière, messieurs, tous les membres du cabinet furent unanimes pour déclarer que les offres faites par la ville d'Anvers n'étaient pas acceptables. L'honorable ministre des finances le déclara ; M. le ministre de l'intérieur le déclara également ; M. le ministre de la justice le déclara à son tour. Le département de la guerre exprima dans plusieurs notes adressées à la ville d'Anvers, un avis tout à fait semblable.

Le cabinet, je le répète, était unanime pour considérer les offres de la ville d'Anvers comme dérisoires. Dans une des notes adressées par le département de la guerre à la ville d'Anvers, et qui est du 25 juillet 1858 ((Annales parlementaires, page 2), l'honorable ministre de la guerre s'exprimait comme suit :

« Dès le 21 avril 1857, votre collège a été invité à indiquer le concours financier que la ville d'Anvers serait disposée à donner au gouvernement, et sans doute c'est parce que vous repoussiez une participation de ce genre que vous n'avez pas répondu et que vous continuez à ne pas répondre à la demande que renferme la dépêche que je viens de rappeler. S'il en était autrement, le système suivi par la ville de Lille et qui vient d'être sanctionné par le gouvernement français, pourrait être utilement examiné par votre collège. L'agrandissement de Lille, sollicité depuis 1852, exige la démolition des fortifications actuelles et la construction d'une enceinte, ainsi que de nouveaux ouvrages militaires. La dépense est estimée à 29,800,000 fr. La ville prend à sa charge l'expropriation des terrains nécessaires à l’établissement des nouvelles fortifications ; cette dépense est évaluée à 6,400,000 fr. La ville s'oblige en outre à verser dans les caisses de l’Etat une somme de 5.600,000 fr., formant la valeur convenue des 54 hectares de terrains occupés par les anciennes fortifications. Ce prix est payable 600,000 fr., en 1859, un million ensuite par chaque année suivante. La ville constate qu'une grande partie de ces 54 hectares passerait en boulevards, promenades voies publiques.

« Mais ainsi que le porte un document publié par la ville de Lille, là ne se borneraient pas les charges qui lui incomberaient dans cette vaste opération. Elle devrait pourvoir simultanément aux dépenses urgentes qui nécessiteraient le tracé et le pavage des rues nouvelles, la construction d'aqueducs, ponts, quais, églises, écoles et établissements publics de toute nature.

« Ces dépenses ne peuvent être évaluées au-dessous de 3 millions pour les quatre ou cinq premières années. Il faut donc que la ville, dépourvue de réserve en ce moment, ait recours au crédit pour effectuer en cinq années un emprunt total de 15 misions qu'elle amortirait au moyen de 57 annuités de 900,000 fr. (23,300,000 fr.)

« L'examen de ces faits, la comparaison de ces divers éléments, vous feront reconnaître je n'en doute pas, que vos propositions du 15 juillet ne paraissent pas plus que celles du 8 juin précédent pour pouvoir être considérées comme une réponse satisfaisante à la communication du gouvernement en date du 21 avril 1857. « (Signé) Berten. »

Telles étaient les bases sur lesquelles le gouvernement proposait de traiter.

Eh bien, la ville d'Anvers n'a jamais voulu traiter sur ces bases ; elle s'est toujours plainte de ce que le gouvernement ne lui faisait par des propositions sur lesquelles elles pût délibérer.

Messieurs, ce qui m'a surtout frappé dans la discussion de l'année dernière que j'ai relue attentivement, ce sont quelques paroles de M. le ministre de la justice. L'honorable ministre déclarait, en combattant la demande d'ajournement, que ce qu'on voulait, c'était de parvenir à faire adopter par la Chambre les exigences de la ville d'Anvers.

Dans la séance du 4 août 1858, M. le ministre de la justice qui n'avait pas une confiance très robuste dans la bonne volonté d'Anvers, commençait son discours en disant : Ce qu'on veut, c'est de nous faire passer sous les fourches caudines d'Anvers.

Eh bien, l'honorable M. Tesch doit l'avouer, l'honorable M. Frère et l'honorable M. Rogier doivent également l'avouer, tout le cabinet a passé sous les fourches caudines d'Anvers.

M. Vander Donckt. - Messieurs, la question financière du projet de loi en discussion est sans contredit la plus importante ; c'est aussi le côté le plus impopulaire et le plus vulnérable.

Oui, messieurs, c'est l'article 2, relatif à la convention à conclure avec la ville d'Anvers qui a contribué pour une grande part à rendre plus impopulaire encore le projet de loi qui nous a été présenté.

Pour le rendre moins impopulaire, il faut évidemment modifier l'article 2 qui est en discussion ; je crois que le meilleur moyen, c'est d'adopter l'amendement de l'honorable M. Laubry, amendement qu'il a déposé sur le bureau dans la séance de samedi.

J'ai dit que le projet est impopulaire, et ici je dois quelques mots de réponse à l'honorable ministre des finances qui a contesté cette impopularité, dans sa réponse au discours de M. De Naeyer, prononcé dans la séance du 20 de ce mois. Comme je n'ai pas l'habitude d'avancer dans cette enceinte des assertions vagues, inexactes, je tiens à indiquer à l'honorable ministre ainsi qu'à la Chambre, la source où j'ai puisé ma conviction.

Tous les membres de la Chambre s'entendent, se consultent dans leurs localités respectives avec les électeurs les plus influents, avec leurs amis, voire même avec les sociétés établies dans ces localités. A un jour donné, nous nous réunissons à Bruxelles, où après les premiers compliments d'usage, nous nous informons mutuellement : Que dit-on chez vous du projet de loi en question ? et surtout quand il s'agit d'un projet aussi important ?

Eh bien, la grande majorité des membres de la Chambre a été unanimement d'avis que le projet était impopulaire. Ce ne sont pas seulement les 42 qui ont voté contre le projet, mais aussi un grand nombre de ceux qui ont voté pour le projet, qui ont convenu, et dans des conversations particulières et dans leurs discours, que le projet était impopulaire.

Or, à Gand, si mes renseignements sont exacts, des pétitions circulent et seront analysées d'ici à peu de jours dans une autre enceinte. A Mons, il est incontestable que le projet est aussi fort impopulaire. Enfin, ainsi que je l'ai dit, les représentants, arrivés des divers points du pays, ont convenu que le projet était impopulaire dans tout le pays.

En voulez-vous une autre preuve ? Vous la trouverez dans les discours des honorables membres qui ont parlé pour, discours encore présents à votre mémoire.

En voulez-vous une autre preuve encore ? Je la puise dans les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la petite enceinte. J'ai dit alors que ce projet était impopulaire, et M. le ministre de l'intérieur qui a bien voulu me répondre a dit : « Oui, ce préjugé existe, il faut en convenir ; mais nous devons faire tous nos efforts pour le détruire nous devons faire tout ce qui est possible pour ramener l'opinion égarée. »

Eh bien, j'ai l'honneur de faire observer à M. le ministre de l'intérieur que depuis l'année dernière, cette impopularité n'a cessé de grandir, qu'elle a augmenté dans la proportion de l'importance de la grande enceinte comparée à la petite.

Ainsi l'honorable ministre de l'intérieur en convient et son collègue des finances le conteste ; je pose donc en fait que tant sous le rapport politique que sous le rapport financier, le projet en question est impopulaire et dans le public et dans les classes éclairées de la société, dans les classes qui raisonnent. Libre à l'honorable ministre de contester cette impopularité, de récuser l'autorité des sources où j'ai puisé ; peut-être un jour sera-t-il convaincu de l'exactitude de mes assertions, Il est vrai qu'il n'y a pas eu de manifestations bruyantes, mais l'opposition n'en est que plus respectable et plus digne.

Il faut ramener l'opinion égarée ! Savez-vous ce qu'on répond : Depuis quand les représentants et le gouvernement sont-ils les censeurs de l'opinion publique ? Est-ce leur opinion ou celle du public qui est égarée ? Pour moi, j'ai toujours cru que quand l'opinion publique se produit sur une vaste échelle, l'on ne se heurte pas impunément contre cette opinion.

Or je le répète, le moyen le plus propre à rendre le projet moins impopulaire, c'est d'adopter la proposition de l'honorable M. Laubry. Par cette proposition, l'Etat resterait possesseur des terrains de fortifications. C'est précisément à cause de l'article 2 que l'on critique si amèrement le projet de loi. On trouve que le gouvernement se montre d'une générosité excessive envers la ville d'Anvers. Eh bien, il est pour ainsi dire impossible d'apprécier à leur juste valeur les terrains des fortifications d'Anvers.

On a fait faire des estimations par des officiers du génie et par d'autres ingénieurs. On a évalué la valeur des terrains à 30 millions, à 25 millions, à 20 millions, à 19 millions, à 16 millions. Que doit-on conclure de tout cela ? C'est que si vous voulez agir prudemment, si vous voulez agir comme le conseille le sage qui vous dit : « dans le doute abstiens-toi, » vous n'abandonnerez pas ces propriétés dont vous ne connaissez pas la valeur.

Cette valeur est, d'ailleurs, très difficile à apprécier pour le moment. Eh bien, quel mal y aurait-il pour l'Etat à rester en possession de ces terrains, en attendant que des appréciations plus exactes de la valeur de ces terrains aient pu être établies ? Car, comme je l'ai dit, il est incontestable que la convention conclue avec la ville d'Anvers sera toujours considérée comme un acte de générosité excessive de la part du gouvernement envers cette ville.

J'engage donc instamment la Chambre à voter l'amendement de l'honorable M. Laubry. On passera plus tard, si on le veut, une autre convention avec la ville d'Anvers ou avec toute autre compagnie ; mais il importe que nous décidions en principe que l'Etat reste possesseur des terrains des fortifications d'Anvers.

- M. Dolez remplace M. Orts au fauteuil de la présidence.

M. Orts. - J'aurais pu, messieurs, demander la parole pour un fait personnel ; car c’est, en définitive, pour répondre à une sorte de provocation que m'a adressée l'honorable M. Thibaut, provocation toute bienveillante, du reste, que je dois demander à présenter quelques observations.

L'an dernier, cela est vrai, je me déclarai, mû par un sentiment d'économie, partisan de la petite enceinte, et je m'opposai à la grande enceinte parce que j'y voyais une cause de dépenses militaires beaucoup plus considérables. Si, l'an dernier, on m'avait accordé la petite enceinte, je me serais déclaré parfaitement satisfait cette année.

Mais comme la majorité de l'an dernier a refusé la petite enceinte, quoique cette petite enceinte dut coûter beaucoup moins que la grande enceinte, ce que cette majorité savait très bien, je me suis vu obligé, cette année-ci, quelles que soient mes craintes, mes appréhensions, d'adopter cette grande enceinte parce que, pour moi, la (page 290) présentation et le vote du projet actuel sont, comme je l'ai dit dans mon rapport, et comme je le maintiens, la conséquence prévue, inévitable, du vote de l'année dernière ; conséquence prévue pour ceux qui, comme moi, ne reculent devant aucun sacrifice pour assurer la défense de Indépendance nationale.

Des sacrifices comme ceux qu'on vous réclame aujourd'hui m'eussent certainement effrayé l'an dernier ; ils m'effrayent beaucoup moins aujourd’hui, et je me trouve beaucoup plus disposé maintenant à y consentir.

Car, depuis l'année dernière, il s'est produit des événements qui, s'ils auraient été prévus alors, eussent certainement exercé une sérieuse influence sur l'esprit des membres de la législature. Si, en effet, on était venu, au mois d'août 1858, dire que six mois plus tard on se serait trouvé en présence d'une des guerres les plus formidables de ce siècle, vous auriez pris celui qui serait venu faire une pareille prédiction pour un partisan fanatique du projet d'agrandissement d'Anvers.

Eh bien, instruit par l'expérience, je déclare que ce qui m'effrayait l'an dernier m'effraye beaucoup moins aujourd'hui, et quels que soient les sacrifices qu'on nous demande pour garantir l'indépendance nationale, je suis disposé à les voter aujourd'hui.

Maintenant, je dis que nous sommes fatalement amenés à voter la grande enceinte par suite du vote de l'an dernier ; et voici pourquoi :

Il y a trois partis à prendre sur la question d'Anvers :

Le maintien du statu quo ;

L'adoption de la petite enceinte ;

L'adoption de la grande enceinte.

Hors de la, il n'y a pratiquement rien de possible.

Y a-t-il quelqu'un, en effet, qui propose autre chose ? Non : pratiquement personne n'a proposé quoi que ce soit en vue d'assurer autrement la défense du pays.

Je le répète, il y a trois systèmes ; le statu quo, la petite enceinte, la grande enceinte. La petite enceinte a été rejetée, et personne ne l'a proposée de nouveau, pas plus l'honorable M. Thibaut qu'aucun autre. Nous restons donc en présence de la grande enceinte et du statu quo. Or, qu'est-ce que le statu quo ? C'est exposer fatalement, inévitablement, en cas de guerre, les maisons de Berchem et de Borgerhout qui occupent 30,000 habitants à une destruction complète. Pour ma part, je ne veux pas d’une telle éventualité.

Il ne reste donc plus que la grande enceinte, et, je la vote sans me préoccuper de cette impopularité qu'on prétend s'y attacher et contre laquelle on croit se prémunir en votant l'amendement de l'honorable M. Laubry ou quelque autre combinaison. D'ailleurs, messieurs, il est assez digne de remarque que le conseil donné pour nous soustraire au lourd fardeau de l'impopularité, nous vienne précisément et exclusivement d'adversaires du projet de loi ; je leur sais gré, pour ma part, de leurs bonnes intentions ; mais je ne puis vouloir du moyen qu'ils nous offrent d'échapper à cette impopularité.

M. Thibaut. - Je respecte beaucoup le caractère de l'honorable M. Orts, et je serais au regret s'il pouvait supposer que mes observations n'ont eu d'autre but que de le mettre en contradiction avec lui-même, bien que ce ne soit point là chose bien rare de la part d'un avocat.

Mais je ne puis pas m'empêcher de faire remarquer, de nouveau, que l'an dernier l'honorable M. Orts disait qu'il ne voulait pas augmenter d'un centime le budget de la guerre, en même temps qu'il déclarait que, dans son opinion, l'adoption de la grande enceinte devait aboutir à un budget de 40 millions, soit 7 millions de plus que le chiffre actuel.

Je me permettrai de faire remarquer encore que l'année dernière il n'y avait nullement parti pris en faveur de la grande enceinte de préférence à la petite. Je n'en veux d'autre preuve que cette opinion de l'honorable M. Devaux, que si l'on mettait la grande enceinte aux voix il se rencontrerait, à l'exception des députés d'Anvers, très peu de membres disposes à la voter.

Je ne sais pas si les dispositions de la Chambre ont changé depuis, mais je persiste à croire que le projet de grande enceinte n'est point la conséquence nécessaire du vote de l'an dernier.

J'ajouterai même que si la Chambre rejetait l'article 2, le vote sur l'article premier impliquerait seulement la petite enceinte telle qu'elle a été proposée l'année dernière, et avec les 20 millions portés au paragraphe premier, vous pourriez facilement l'établir.

M. Laubry. - Messieurs, je me permettrai de vous soumettre une simple observation. Je lis dans le rapport de l'honorable M. Orts que le projet de loi décrétant la grande enceinte est la conséquence du rejet de la petite, qui a fait l'objet de nos délibérations l'anuée dernière.

Je comprendrais que si la grande enceinte avait été mise en discussion et rejetée, on pût croire que nous voulussions de la grande, mais dire que ceux qui n'ont pas voulu de la petite doivent voter la grande aujourd'hui, c'est ce que je ne puis m’expliquer. —Je ne saisis pas ce raisonnement de l'honorable membre qui voudra bien s'en expliquer,

M. Orts. - Avez-vous un autre système ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois, messieurs, que l'on s'est fait une très fausse idée des conditions que nous proposons de stipuler pour régler l'intervention de la ville d'Anvers dans l'exécution des travaux que vous avez décrétés. Il me sera facile, je pense, de démontrer que les stipulations faites avec la ville d'Anvers constituent, de la part de celle-ci, un concours efficace, comme nous l'avons toujours demandé, dans l'exécution de ces travaux.

Mais auparavant, messieurs, permettez-moi de caractériser l'amendement qui vous a été soumis par l'honorable M. Laubry.

L'honorable M. Laubry a la prétention de contraindre la Chambre, par voie indirecte, à annuler le vote qu'elle a émis sur la première disposition du projet de loi. Ce n'est pas précisément un amendement à l'article 2 ; c'est la modification d'une proposition qui ne peut être remise en discussion, qui a été votée par la Chambre.

M. Coomans. - Ce vote n'est que provisoire.

M. Laubry. - L'article 2 n'est pas voté.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous me permettre ?

La Chambre a décidé l'agrandissement d'Anvers et de nouvelles fortifications ; il y a eu vote, j'imagine, sur cet article.

M. Laubry. - Un vote provisoire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non, un vote définitif.

M. Coomans. - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a un vote définitif sur l'article premier.

M. Coomans. - Pas le moins du monde ; je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y aura un vote sur l'ensemble des dispositions du projet de loi ; mais l'article premier n'est plus et ne peut plus être remis en question.

M. Coomans. - L'article premier n'a pas été mis aux voix.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment ! l'article premier n'a pas été mis aux voix ?

M. Coomans. - Non, on n'a mis aux voix que les paragraphes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce un jeu de mots ? Chaque paragraphe a été considéré comme un article, à tel point qu'il ne peut y avoir de transfert de l'un à l'autre, et certes le premier paragraphe a été voté et bien voté.

M. Coomans. - J'ai dit l'article.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A-t-on voté, oui ou non. les paragraphes considérés comme des articles ?

M. Coomans. - Il faut les revoter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, il ne faut pas les revoter ; non, ils ne seront pas remis aux voix.

M. Coomans. - C'est ce que nous verrons.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est incontestable. On mettra aux voix l'ensemble de la loi lorsque les diverses dispositions du projet auront été soumises à un vote et rien de plus..

Du reste, les interruptions dont je suis l'objet montrent qu'on a parfaitement pressenti la nature de l'objection qui est faite contre l'amendement de l'honorable M. Laubry. On veut, en réalité, ouvrir une nouvelle discussion sur le principe des travaux d'Anvers. Le discours de l'honorable M. Laubry avait été préparé pour une autre séance que celle dans laquelle il déposait son amendement. M. Laubry voulait battre en brèche le système polygonal et se porter défenseur du système bastionné. C'eût été fort bien, à la condition d'arriver en temps opportun sur le terrain de la lutte. Il avait, il est vrai, un discours qu'il désirait produire, je le comprends mais en venant trop tard, le discours ne s'appliquait pas le moins du monde à l'objet en discussion. Avec un pareil défaut, le meilleur discours peut paraître au moins inutile.

Il s'agit d'apprécier si l'intervention financière de la ville d'Anvers a été équitablement réglée. Quelle influence peuvent exercer sur cette question les considérations militaires de l'honorable M. Laubry ? Des observations sur le côté financier de l'affaire eussent été seules parfaitement à leur place.

C'est à l'article 2 que ces observations se présentait tout naturellement ; mais ce n'est pas cela que l'honorable M. Laubry avait réellement en vue ; il visait beaucoup plus haut, et il a fait une proposition dont il n'a pas, d'ailleurs, dissimulé la portée.

Je sais bien, a dit l'honorable M. Laubry, que grâce à mon amendement, on n'exécutera pas l'enceinte, Tout au moins j'en subordonne l'exécution à la volonté de la ville d'Anvers. Mais que m'importe si les travaux ne se font pas, dit l'honorable M. Laubry ?

Je comprends qu'à l'honorable M. Laubry, qui repousse le projet de loi, cela importe, peu. Mais à nous qui avons voté le projet de loi et qui en voulons l'exécution, c'est bien différent, et l'honorable membre ne s'étonnera pas si nous ne sommes pas du tout d'accord avec lui. Que nous ayons bien caractérisé le but que veut atteindre l'honorable M. Laubry, c'est évident ; il est impossible de douter. Voici, en effet, comment s'est exprimé l'honorable M. Laubry ; s'il n'y a pas mis de naïveté, il a fait preuve d'une sincérité dont je lui sais gré :

« On me dira peut-être que la ville d'Anvers se refusera à ce sacrifice, mais cette objection me touche peu. Le point sur lequel tout le monde paraît d'accord, ce qui fait la force de la position, c'est la ceinture des forts détachés.

(page 291) « Quand elle sera constituée, l'armée aura la base et le refuge qu'elle réclame.

« Pour cela, le ministre a tout ce qu'il faut pour mettre la main à l'œuvre.

« La défense ne périclitera pas, et le pays ne sera pas compromis, si en cas de besoin on devait démolir les maisons qui se sont élevées dans le rayon des servitudes, en violation de la loi.

« Du reste, messieurs, je crois qu'il y aurait quelque avantage pour le pays à ce qu'on retardât un peu la construction de la grande enceinte, et qu'on étudiât de nouveau la manière dont elle sera construite, ce qui est tout à fait indépendant du principe que vous avez voté. »

Ainsi, voilà l'amendement bien défini. Il a pour objet de remettre en question ce qui a été résolu par la Chambre ; il aurait pour résultat de diviser ce que la Chambre a uni. Il peut se traduire ainsi : Déclarons que l'on exécutera, quant à présent, les forts détachés, et ajournons indéfiniment l'enceinte. Voilà ce que vous voulez.

M. Laubry. - Je veux une grande enceinte avec un concours efficace de la ville d'Anvers et pas de leurre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, dans un instant nous prendrons la liberté de faire quelques calculs pour votre usage, et vous verrez que personne n'est ici victime d'un leurre, si ce n'est vous.

M. le président. - Je prie M. le ministre des finances de s'adresser à la Chambre ou au président.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On m'interrompt, je réponds aux interrupteurs.

Ainsi l'amendement de l'honorable M. Laubry est parfaitement clair ; tout le monde le comprendra. Nous aurions le droit d'y opposer la question préalable.

Nous aimons cependant mieux essayer d'éclairer l'honorable M. Laubry sur la partie financière de la disposition qui est actuellement en discussion.

L'honorable M. Laubry, répétant des observations que j'avais déjà soumises l’an passé à la Chambre, a exposé de nouveau quel avait été le mode adopté pour régler le concours de la ville de Lille dans les travaux d'agrandissement de cette ville, et il a cru, j'en suis convaincu, de très bonne foi, qu'il venait vous proposer ce qui avait été admis à Lille.

M. Laubry. - Comme base.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit que vous proposez ce qui avait été admis à Lille. Lille, dites-vous, fournit les terrains nécessaires aux fortifications nouvelles. Lille achète en outre et paye à l'Etat les terrains des fortifications anciennes. Je demande quelque chose de semblable pour la ville d'Anvers, si la ville d'Anvers veut adopter une proposition de ce genre, je me tiens pour satisfait ; et en conséquence l'honorable membre formule son amendement où nous trouvons en premier lieu, que l'Etat vendra les terrains soit à la ville d'Anvers, soit à une société ; en second lieu que la ville d'Anvers fournira les fonds nécessaires à l’acquisition des terrains destinés aux fortifications nouvelles.

Eh bien, je ne crains pas de dire que l'honorable membre n'a pas compris le premier mot de la convention qui a été faite par la ville de Lille. Je ne crains pas de dire que si l'on avait soumis à la ville de Lille une proposition formulée comme l'est celle de l'honorable M. Laubry, il n'y aurait pas eu une seule voix à Lille pour l'admettre.

Voici, messieurs, ce qui a été fait.

La ville de Lille a consenti à livrer le terrain pour les fortifications nouvelles, à la condition d'obtenir, au moyen de 5,600,000 francs, les 58 hectares de fortifications anciennes. Cette convention a deux parties connexes ; l'une est intimement liée à l'autre. La ville de Lille n'aurait pas fourni les terrains des fortifications nouvelles, si elle n'avait pas eu, à un prix qu'elle indiquait, les terrains des fortifications anciennes. Reste à savoir à quel taux elle a acheté les terrains des fortifications anciennes. Les a-t-elle payées à leur valeur ? Assurément non. On avait fait une estimation qui semblait peu élevée et qui portait le prix de ces terrains à 8,700,000 fr. Elles les a payés 5,600,000 fr. seulement. A combien pourra-t-elle les revendre ?

Comprenez-vous que, ayant acheté pour 5,600,000 fr., si elle revend pour 8, 10 ou 12 millions, la ville de Lille n'aura pas fait un trop grand sacrifice, d'autant plus qu'elle a six ans pour payer son prix d'achat et qu'il pourrait ne rester à ses charges que les pertes d'intérêt sur les avances qu'elle aura faites pour l'achat des terrains destinés aux nouvelles fortifications. Je ne prétends pas que tel doive être nécessairement le résultat de l'opération ; tout repose sur le produit des ventes qui seront faites par la ville ; mais toujours est-il évident que les terrains lui ont été concédés beaucoup en dessous de leur valeur.

Nous pourrions faire avec la ville d'Anvers une convention de ce genre. Nous' pourrions encore dire aujourd'hui à la ville d'Anvers : fournissez les terrains nécessaires aux nouvelles fortifications, soit 7,800,000 fr., d'après les estimations, et nous vous céderons les anciens terrains à très bas prix. Dans cette hypothèse, la vide d'Anvers pourrait traiter. Ferait-elle mieux ou plus mal que ce que nous avons proposé ? C'est ce que l'avenir démontrerait ; cela dépendra de la valeur obtenue par la réalisation des terrains et du temps dans lequel ou pourra opérer cette réalisation.

Au lieu de cela, et sous prétexte d'imiter ce qui s'est fait à Lille, que veut l'honorable M. Laubry ? Il veut imposer à la ville d'Anvers l'obligation de livrer les fonds nécessaires pour acquérir les nouveaux terrains, en lui retirant l'avantage de la cession des terrains délaissés.

Vous voyez bien que l'honorable M. Laubry s'est complètement trompé, s'est étrangement fourvoyé. Il n'y a pas d'analogie entre la proposition qu'il soumet et celle qui a été adoptée par la ville de Lille.

Maintenant, messieurs, quelle est la valeur des terrains pour lesquels nous traitons avec la ville d'Anvers ? S'il faut en croire l'honorable M. Snoy. l'honorable M. Laubry, ces terrains ont une valeur beaucoup plus considérable que celle qui leur est attribuée et la ville d'Anvers fait une magnifique opération ; elle va s'enrichir.

Je suis persuadé que bien souvent les spéculateurs auront eu recours aux lumières de l'honorable M. Snoy et de l'honorable M. Laubry qui auront été consultés sur des opérations à entreprendre. Mais je m'étonne que cette fois ils n'aient pu réussir à communiquer à personne leurs convictions. Ceci n'est pas une affaire mystérieuse ; il y a longtemps qu’elle est sur le tapis. Comment se fait-il que personne ne se présente pour nous offrir un prix plus élevé que celui que veut donner la ville d'Anvers ? Il n'y a donc plus personne en Belgique qui tienne à gagner des millions ? Nous sommes donc devenus le peuple le plus désintéressé de la terre, à ce point qu'il n'y a plus un homme que les millions puissent tenter et que personne, absolument personne, ne consent à donner quelque chose de mieux que n'offre la ville d'Anvers, pas même l'honorable M. Snoy, pas même l'honorable M. Laubry, qui ont cependant, sur ce chapitre, les convictions les plus solidement établies.

M. Laubry. - Nous ne sommes pas des spéculateurs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'êtes pas des spéculateurs ! je commence à le soupçonner. Mais, sans doute, il en reste encore sur la terre et vous ne réussirez pas à nous faire croire que tout le monde a renoncé à gagner des millions. Il me semble que de ce fait naît une très grave présomption contre vous. Je suis persuadé que si quelqu'un se trouvait, ayant des convictions beaucoup moins robustes que les vôtres, et attendant de l'opération des résultats dix fois moins élevés que ceux que vous faites espérer, il s'empresserait de nous faire des propositions. Personne ne nous en a fait.

On pourrait nous objecter qu'on n'avait pas été éclairé par la discussion. Eh bien, on a maintenant entendu les honorables MM. Snoy et Laubry ; on pourra profiter des lumières qu'ils ont fait luire sur ce sujet, et après réflexion, on a encore le temps de nous faire des offres.

M. Snoy. - A-t-on fait un appel à l'industrie privée ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais l'industrie privée est toujours restée libre de nous faire des offres. Elle peut encore se présenter, si elle le désire. La loi imposera des conditions à la «ille d'Anvers ; ce n'est pas une faveur que l'on entend lui faire, c'est une obligation que l'on fait peser sur elle. Nous n'avons pas signé d'arrangement avec elle ; nous avons seulement reçu ses offres et nous vous demandons l'autorisation de traiter sur des bases qui seront arrêtées par la loi.

Si quelque particulier, si quelque compagnie se présente, qui veuille faire à l'Etat de meilleures conditions que la ville d'Anvers, nous accepterons. La ville d'Anvers ne demandera pas mieux que d'être débarrassée de cette affaire.

Mais, messieurs, vous vous êtes trompés et singulièrement trompés sur la valeur de cette propriété.

Quel est le système de l'honorable M.Snoy qui va, remarquez-le bien, jusqu'à estimer les 154 hectares de terrain à 120 millions de francs ? Il n'y aurait que 110 millions à gagner dans cette affaire.

M. Snoy. - Je n'ai pas estimé tous les terrains à cette valeur. J'ai pris une base et j'ai dit que d'après cette base, les terrains vaudraient 120 millions.

Mais j'ai descendu immédiatement mon chiffre à 60 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ou votre chiffre ne signifiait rien, ce n'était qu'une fantasmagorie, une plaisanterie ou vous en faisiez réellement usage. Or, vous prenez tellement au sérieux votre estimation des terrains à 120 millions, que c'est de ce chiffre et par modération, que vous tirez la moyenne dont vous vous prévalez.

Mais comment opère-t-on pour trouver la valeur de ces terrains ? On dit, voici un morceau de terrain dans la meilleure position, le long d'une rue fréquentée, au milieu d'une population agglomérée, une petite portion de terrain propre à une construction modeste ; on l'a payée 80 fr. le mètre. Eh bien, les 154 hectares valent 80 fr. le mètre... et une simple multiplication fait le reste. Or, avec un élément aussi manifestement faux, que vaut votre moyenne ?

C'est absolument comme si quelqu'un, voyant vendre à raison de 900 ou 1,000 fr. le mètre des terrains situés, je suppose, à Bruxelles, au coin de la rue des Fripiers, établissait là-dessus son calcul pour déterminer la valeur des terrains de la moitié de la ville de Bruxelles. Il trouverait ainsi une valeur fabuleuse pour l'ensemble du territoire de la ville. Mais que faudrait-il en conclure ?

Il y a, messieurs, d'autres modes d'évaluation. Ce sont ceux qui ont été suivis et par le département de la guerre et par l'administration du domaine dans cette affaire.

(page 292) Le département de la guerre a estimé les terrains, abstraction faite du temps nécessaire à leur réalisation, à une valeur de 21 millions de francs, ramenés à 19 millions 600 mille francs, par suite des déductions opérées pour travaux de déblai, de démolition des remparts, etc. Remarquez-le bien, cette évaluation a été faite, abstraction faite du temps nécessaire à la réalisation.

Cette évaluation a été transmise au département des finances, et mon honorable prédécesseur a institué une commission d'agents du domaine chargés de fixer la valeur vénale des terrains, la valeur réalisable dans un temps rapproché, dans un temps assez court.

Et d'après cette évaluation faite, non pas en vue de la discussion présente, non pour expliquer ou justifier un arrangement avec la ville d'Anvers, mais ordonnée il y a plusieurs années par mon honorable prédécesseur pour éclairer le gouvernement, ces terrains ont été estimés par les agents du domaine à 11,320,000 fr.

Nous sommes donc maintenant un peu plus près de la réalité. Les rêves commencent à se dissiper. Il ne s'agit plus de 120 millions, ni de 60 millions, ni de 30 ni de 20 millions ; nous avons l'appréciation des agents du domaine, appréciation fort désintéressée, nullement influencée par les circonstances présentes et qui a justement le mérite de valoir un peu mieux qu'un argument d'opposition.

En présence de cette évaluation de 11,500,000 francs, il nous a paru que l'offre de la ville de payer 10 millions, de telle sorte que l'Etat ne fût pas tenu à emprunter pareille somme pour l'exécution des travaux, faisait au trésor une situation suffisamment avantageuse. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons en outre dit à la ville, lorsque vous serez arrivés à être remboursés de cette somme de 10 millions, nous partagerons l'excédant de produits.

- Une voix. - S'il y en a un.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et je tiens, messieurs, que nous avons fait une bonne opération. Nous avons ainsi réalisé ce que nous indiquions l'année dernière : la ville lève des écus pour contribuer à l'exécution des travaux. Et l'honorable M. Thibaut a fait de vains efforts pour essayer de nous mettre en contradiction avec nous-même sur ce point.

Je n'ai pas la prétention d'être toujours en parfaite conséquence sur tous les détails de ma vie publique et ministérielle, mais, franchement, ici je crois pouvoir constater que toujours j'ai agi dans la même pensée vis-à-vis de la ville d'Anvers.

L'année dernière la ville d'Anvers fit une première proposition. Elle offrait de payer 10 millions les terrains, mais en dix ans. Nous déclarâmes l'offre insuffisante.

- Un membre. - Dérisoire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez : Il faut appliquer les mots aux choses ; nous avons dit de cette offre qu'elle était insuffisante.

La ville d'Anvers, pendant le cours de la discussion, fit une deuxième proposition ; elle offrit de garantir que nous réaliserions 12 millions par la vente des terrains. Cette fois nous avons dit que cette offre était dérisoire, que nous n'avions pas besoin de la ville d'Anvers pour garantir à l'Etat que, dans un temps donné, il réaliserait dix millions, douze millions ; ce qu'il nous fallait, c'était d'être dispensés d'emprunter les sommes nécessaires à l'exécution des travaux ; voilà ce qui, seul, pouvait être considéré comme une intervention efficace, puisque cela seul exonère véritablement l'Etat. Je m'exprimais ainsi :

« Ce n'est pas que 154 hectares de terrains dans une ville comme Anvers soient sans valeur ; mais quel temps faut-il pour les réaliser ? En attendant que devons-nous faire pour exécuter les travaux ? Nous ne devons plus emprunter 37 millions, mais 60 ou 65 millions. Quand pourra-t-on récupérer quelque chose du produit de la vente des terrains ? Mais dans un temps si éloigné que le capital qu'il aura fallu avancer pour la construction de la nouvelle enceinte sera plus que doublé par l'accumulation des intérêts.

« De quoi s'agit-il ? Il s'agit de 154 hectares, c'est-à-dire d'une quantité de terrain qui excède de beaucoup la moitié de la superficie actuelle de la ville d'Anvers.

« Supposons donc ces terrains déblayés, prêts à recevoir des constructions ; où seront les habitants qui pourront les payer ? Quand le trésor recevra-t-il le prix des terrains dont on fixe la valeur par comparaison à la valeur actuelle des terrains situés dans la ville d'Anvers et dans ses faubourgs ?

« Il faudra un temps que nul ne peut indiquer ; pour y attirer des habitants, il faudra y dépenser des capitaux énormes ; 200 millions ne seraient pas suffisants pour couvrir de constructions ces terrains. Ainsi l'Etat se trouvera grevé des charges de la somme empruntée ; il faudra porter annuellement au budget de la dette publique, pour payer les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, une somme supérieure à 3 millions de francs.

« (…) Les propositions de la ville f d'Anvers concentrées sur des garanties ) a donner quant à la valeur des terrains, sont donc fort peu dignes d'être prises en considération. »

Et poursuivant la même idée cette année, messieurs, nous sommes arrivés à ce résultat que la ville consent à payer, on peut dire comptant (5 millions au moment de la mise en possession et 5 millions trois ans après) les terrains que nous entendons lui céder.

Quel sera, messieurs, le sacrifice que va s'imposer la ville d'Anvers ? Il résultera du temps qu'il lui faudra pour réaliser les terrains.

Combien de temps faudra-t-il pour liquider cette opération ? Je ne saurais rien affirmer à cet égard. Mais si je considère que nous avons vu à Bruxelles le quartier Léopold, la partie annexée à la ville, commencé il y a plus de vingt ans et être destiné à rester probablement longtemps encore avant que tous les terrains soient vendus, je suis porté à croire qu'il faudra un temps très long pour que la ville d'Anvers puisse vendre tous les terrains que nous lui aurons cédés. Le quartier Léopold ne comprend, je crois, que 66 hectares. Le développement de la population à Bruxelles a été plus considérable qu'il ne l'a été jusqu'à présent à Anvers, qu'il ne le sera probablement à l'avenir.

L'accroissement de la population à Bruxelles et dans les faubourgs a été de 5,600 âmes en moyenne, si je ne me trompe, pendant les vingt dernières années ; malgré cela, il a fallu un temps très long avant qu'une partie des terrains fût couverte de constructions. Faisons donc une hypothèse pour apprécier, selon les vraisemblances, les résultats de l'opération.

Si vous supposez qu'il faille 40 ans à la ville d'Anvers pour réaliser ces terrains, dans cet espace de temps, déduction faite des rentrées successives, le compte final de la ville se liquiderait par un déficit de 37,180,000 fr., à moins que les terrains ne vinssent à augmenter considérablement de valeur, et c'est là-dessus évidemment que repose l'opération. Mais de combien augmentera la valeur des terrains dans l'espace de 40 ans ? Il faudrait une augmentation de 37,180,000 fr. pour que la ville d'Anvers ne fût pas en perte. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que des terrains à réaliser dais l'espace de 40 ans et dont la valeur actuelle s'accroîtrait successivement dans ce laps de temps de 37 millions de francs, ne valent pas plus de 10 millions aujourd’hui. Mais qui garantit cet accroissement de valeur ?

Voulez-vous supposer que l'opération, au lieu de se liquider en 40 ans, se liquidera eu 30 ans ? Evidemment la charge devient moins lourde pour la ville ; dans ce cas, les terrains devraient augmenter d'une valeur de 19,075,000 francs pour couvrir les intérêts des capitaux engagés. Si la liquidation durait 25 ans, il faudrait 13,084,000 fr. Si elle durait 20 ans seulement, il faudrait 8,604,000 fr. Trouve-t-on encore que ces conditions soient trop belles pour la ville d'Anvers ? L'honorable M. Thibaut ne va-t-il pas un peu rabattre de ses anathèmes ? Et cependant, nous n'avons pas tout compté.

Je n'ai pas fait état d'une condition importante ; c'est que la ville d'Anvers sera obligée de partager avec l'Etat, - ce qui exige un accroissement encore plus considérable, pour qu'elle soit indemnisée, - sera obligée, dis-je, de partager avec l'Etat le produit de la vente dès qu'elle aura été remboursée des 10 millions qu'elle doit pour la cession des terrains.

Trouvez-vous que ce contrat aléatoire n'expose pas la ville d'Anvers à des chances de sacrifices assez considérables ? Ce contrat ne constitue-t-il pas un concours réel et efficace ? Voulez-vous que l'Etat garde les terrains, emprunte 10 millions de plus pour les travaux, et attende vingt, trente ou quarante ans pour rentrer dans ses avances ?

Jo pense, quant à moi, qu'il est plus avantageux d'opérer comme nous proposons de le faire ; la stipulation qui procure à l'Etat aujourd'hui 10 millions, et plus tard, la moitié de l'excédant du produit de ventes, après que la ville d'Anvers sera remboursée des 10 millions, fait au trésor de bonnes conditions.

Et puis, j'ai encore omis, dans les calculs, de faire remarquer que la ville d'Anvers ne paye pas seulement 10 millions, mais qu'elle doit débourser en réalité 12 millions. Le génie militaire a estimé que la dépense à faire pour la démolition des ouvrages existants, déduction faite du produit des matériaux, exigera une homme de 2 millions de fr.

J'espère, messieurs, que les considérations que je viens de faire valoir, et les renseignements que j'ai mis sous les yeux de la Chambre, suffiront pour faire repousser l'amendement de l'honorable M. Laubry.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai interrompu l'honorable ministre des finances quand il a dit que l'article premier était voté définitivement. J'ai fait observer qu'il n'en était rien ; les Annales parlementaires en font foi et me donnent raison. En effet, après le vote du paragraphe 21 de l’article premier, les Annales portent ceci : « M. le président. - Nous pissons à l'article 2. » Et la Chambre a passé à l'article 2 ; et il n'y a pas eu de vote sur l'article premier. Or, depuis que je siège dans cette enceinte, j'ai toujours vu qu'après la discussion et le vote des divers paragraphes d'un article, on a procédé à un vote d'ensemble sur l'article ; et un pareil vote, je le répète, n'a pas eu lieu sur l’article premier. S’il n’a pas eu lieu, il doit avoir lieu. Si dans la séance de samedi dernier, je n'ai pas réclamé le vote immédiat sur l'article premier, c’est parce que l'article renferme des amendements et qu'il faut un certain intervalle entre les deux votes.

En outre, le paragraphe premier sur lequel il y a eu un vote, n'a pas été voté aussi définitivement que le pense M. le ministre des finances. Noos n'avons voté que 20 millions par le paragraphe premier (Interruption).

(page 293) Je me trompe encore une fois, semble me dire M. le ministre des finances ; mais alors je me trompe avec le Moniteur qui dit que nous avons voté 20 millions et rien de plus. Si cela n'était pas, à quoi bon discuter l'article 2 et les articles suivants ?

Je tiens à ce que le règlement soit observé ; nous devons y tenir tous, et je demande un vote d'ensemble sur l'article premier du projet de loi.

M. le président. - L'observation de M. Coomans serait venue plus à propos, au moment où la Chambre aurait procédé au vote définitif de la loi. Toutefois, je reconnais que cette observation a été provoquée par une assertion de M. le ministre des finances. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu quant à présent de s'arrêter à cette objection.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai toujours admiré l'habileté de M. le ministre des finances ; mais je le déclare, je ne l'ai jamais trouvé aussi habile que dans la discussion à laquelle il vient de se livrer. Lorsque l'honorable ministre vient dire que l'article 2 va mettre la ville d'Anvers en déficit d'une somme de 37 millions, j'avoue que je suis tombé d'admiration devant une pareille déclaration.

Pour moi, je demeure convaincu que l'article 2 donne à la ville d'Anvers un bénéfice considérable sur la valeur réelle des terrains, qu'il établit une situation diamétralement opposée à celle de la ville de Lille, dont on a souvent parlé dans ce débat.

Examinons donc cette question sans la rattacher au paragraphe premier de l’article premier, qui est voté. Il s'agit maintenant de régler les conditions de reprises par la ville d'Anvers. C'est une question d'argent ; qu'on ait voté pour ou contre le paragraphe premier de l’article premier, on est toujours en droit d'émettre son opinion.

Je ne puis pas admettre avec M. le ministre des finances que l'argument présenté sous ce rapport par les membres de la Chambre, contraires au projet, ait moins de valeur, à cause qu'ils ont voté contre.

Que porte l'article 2 du projet ? Il porte ce qui suit :

« La ville d'Anvers interviendra dans les dépenses d'exécution des travaux prévus au paragraphe premier de l'article premier jusqu'à concurrence d'une somme de dix-millions de francs, en compensation de laquelle l'Etat lui abandonnera les terrains, les constructions et les fortifications de l'enceinte actuelle.

« La démolition des fortifications se fera par la ville et à ses frais.

« Cette démolition commencera aussitôt que la nouvelle enceinte sera construite, et, au plus tard, cinq années après la promulgation. de la présente loi.

« La somme de dix millions sera versée au trésor, savoir : cinq millions le jour de la mise en possession des terrains, constructions et fortifications, et cinq millions dans le terme de trois années à partir de ce jour.

« Si la vente de terrains à opérer par la ville produisait une somme supérieure à dix millions de francs, le surplus du prix de vente serait dévolu moitié à l'Etat, moitié à la ville.

« Le gouvernement est autorisé à conclure avec la ville d'Anvers une convention sur les bases qui précèdent. »

Voyons maintenant si ces conditions sont, oui ou non, convenables.

D'abord, la première question qui se présente, c'est celle de la valeur des terrains. Et cette valeur a été bien établie l'année dernière ; elle l'a été d'une manière incontestable par les agents du génie militaire ; M. le ministre des finances vient de le reconnaître lui-même, ces agents ont estimé la valeur des terrains à 23 millions ; si vous en déduisez les frais de démolitions évalués à 2 millions, il reste 21 millions.

Voilà donc une valeur de 21 millions de francs qu'on abandonne à la ville d'Anvers pour la somme de dix millions de francs.

Maintenant, est-ce là, oui ou non, servir les intérêts du trésor ? Je ne puis le croire. Fussé-je le plus chaud partisan de l'article premier, il me serait impossible de faire un cadeau de 11 millions de francs à une ville qui s'enrichira considérablement par le travail qu'on va exécuter, qui va voir sa population s'augmenter plus rapidement que celle d'une capitale. Je dois dire que cela ne me paraît pas possible.

En effet, messieurs, si l'on compare ce qu'on fait aujourd'hui à l'égard d'Anvers avec ce qui fait en France à l’égard de Lille, il est aisé de saisir l'énorme différence des deux systèmes.

Que donne la ville de Lille pour obtenir son agrandissement ? Elle donne 11,800,000 fr. Et qu'obtient-elle du gouvernement ? Elle obtient 54 hectares de terre provenant des fortifications. Ce chiffre de 11,800,000 fr. se décompose comme suit : 6,000,000 de subvention au trésor public et 5,800,000 pour les 54 hectares, soit un peu plus de 100,000 fr. par hectare.

Quelle est, au contraire, la position d'Anvers ? Anvers obtient, non pas 54 hectares, niais 154 hectares ; et au lieu de toucher de ce chef une somme équivalente à la différence, c'est-à-dire environ 3 fois autant, l'Etat belge ne recevra que 10 millions, c'est-à-dire 1,800,000 francs de moins. Eh bien, je le demande, y a-t-il la moindre similitude entre ces deux positions, et le trésor est-il, oui ou non, lésé par un pareil contrat ? Non, messieurs, la différence au détriment du trésor belge est hors de toute proportion : la valeur des terrains qu'on abandonne à Anvers est 3 fois plus considérable que celle que le gouvernement français abandonne à la ville de Lille, et cependant Anvers donne 2 millions de moins !

Mais, dit M. le ministre des finances, les agents du domaine ont évalué à 11,530,000 la valeur des terrains cédés à la ville d'Anvers. Je ne connais pas le travail de MM. les agents du domaine, mais ce que je sais parfaitement bien, c'est que la Chambre est saisie d'une pétition par laquelle M. Keller a déclaré consentir à reprendre ces terrains pour 20 millions (Interruption), M. Keller a offert de reprendre ces terrains en déduction du prix de construction, ce qui était infiniment plus avantageux que le contrat passé avec la ville d'Anvers.

Je dis donc, messieurs, que l'amendement de l'honorable M. Laubry se justifie en tous points par la comparaison de Lille avec Anvers. Je dis en second lieu que le chiffre produit par le génie militaire nous offre une grande garantie d'exactitude, puisqu'il ne diffère guère des propositions de M. Keller.

Maintenant, en présence de pareils chiffres, en présence de faits aussi officiels, n'avons-nous pas le droit de dire que le gouvernement fait un véritable cadeau de dix millions à la ville d'Anvers ? Ce que je viens de dire, les faits que je viens d'indiquer me semblent ne laisser aucun doute à cet égard.

Mais, vous dit-on, le gouvernement ne demande que l'autorisation de traiter avec la ville d'Anvers. Je prie M. le ministre des finances de me permettre de ne point partager son opinion à cet égard. Le projet de loi dit tout le contraire, puisqu'il tend à abandonnera la ville d'Anvers pour une somme de 10 millions toutes les terres à provenir des fortifications actuelles ; il s'agit donc d'autoriser le gouvernement à ratifier la convention conclue avec la ville d'Anvers ; de telle sorte que si la loi était votée avec cette disposition, le gouvernement se trouverait dans l'impossibilité d'accepter des offres plus avantageuses qui lui seraient faites.

Mais, dit encore M. le ministre des finances, ce que nous désirons, c'est que l'Etat ne soit pas tenu d'emprunter la somme de 10 millions que la ville d'Anvers offre au gouvernement. Eh bien, M. le ministre des finances est ici dans une complète erreur ; car enfin, il est bien évident que la ville d'Anvers ne payera que la moitié de sa subvention pendant l'exécution des travaux ; l'autre moitié ne sera due qu'après l'achèvement des travaux. Par conséquent, ces travaux devant se payer à mesure de leur exécution, il restera 5 millions qui ne pourront pas être affectés au payement des travaux. M. le ministre des finances est donc sous ce rapport dans une erreur évidente.

Mais, messieurs, vous avez un moyen bien plus simple ; c'est de rejeter l'article 2 ; de cette manière le gouvernement reste propriétaire des terrains et vous en disposerez, quand les fortifications seront faites, comme vous l'entendrez.

Alors vous serez libre de traiter avec le ville d'Anvers sur les bases de l'article en discussion ; il serait beaucoup plus sage d'agir de la sorte que d'abandonner de suite pour dix millions un capital de terrains pour lesquels on vous offre 20 millions.

Je ne pense pas que cette question doive être traitée à la légère, car elle est excessivement grave. Il est vrai que dans la loi on dit que les excédants du prix de vente a- delà des dix millions seront partagés entre l'Etat et la ville d'Anvers. Mais quelle garantie avez-vous ? Si la ville d’Anvers conserve une grande partie des terrains pour en faire des boulevards ou des places publiques, ces terrains ne seront donc pas vendus.

Quand la ville de Bruxelles veut se faire un boulevard ou une rue, elle en paye le terrain, quand Liège veut s'embellir, elle paye ses embellissements ; je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour la ville d'Anvers que pour toutes les autres.

S'il plaisait à Anvers de conserver les fossés des fortifications actuelles pour en faire un grand bassin circulaire dans l'intérêt de son commerce et pour faciliter le déchargement de ses vaisseaux comme à Amsterdam et à Venise, faudrait-il donc qu'elle eût ses bassins gratis ?

D'ailleurs la ville d'Anvers pourrait très bien s'arranger de façon qu'il n'y eût pas d'excédant et vous n'aurez rien de tout. Il est très imprudent de se lier les mains dès à présent.

La ville d'Anvers obtient des avantages immenses, elle augmente sa superficie à ce point qu'elle devient aussi grande que l'est le Paris actuel. La ville de Lille, pour obtenir son agrandissement, a dû fournir à l'Etat une subvention en échange de laquelle il ne lui a rien été donné. Vous ne demandons aucune subvention à Anvers ; vous agrandissez son territoire au point d'en faire la première ville de la Belgique ; est-ce un motif pour ne rien lui demander ? Ne rien demander, c'est déjà fort généreux, mais donner, c'est trop généreux. Nous ne pouvons pas donner à qui est plus riche que nous.

Quant à la réalisation dont vous a parlé M. le ministre des finances, quand aura-t-elle, quand aurons-nous cet excédant, qu'on fait miroiter devant nos yeux avant l'opération ? Vous l'aurez peut-être dans quarante ans, si vous l'avez ; car vous ne pourrez pas contraindre la ville d’Anvers à vous la donner.

J'abonde donc entièrement dans le sens de l'opinion de M. Laubry. Je voterai son amendement et s'il n'est pas accepté, je voterai le rejet de l'article. Il est inutile de céder dès à présent ces terrains, puisque ce n’est que dans cinq ans que les fortifications actuelles doivent être (page 294) démolies ; on avisera alors à la vente des terrains, et si l'Etat reçoit des offres dans le genre de celles de M. Keller, il ne sera pas obligé de les céder pour 10 millions.

M. Snoy. - Je ne relèverai pas le mot de fantasmagorie que l'honorable ministre des finances a laissé échapper ; je ne puis pas croire qu'il me tienne pour un joueur de gobelets, ce n'est pas mon métier. Je ne m'arrêterai pas à cette observation.

Je veux seulement rectifier l'appréciation que M. le ministre des finances a faite de mon discours ; je crois qu'il ne l'a pas bien lu ou qu'il ne l'a pas bien compris.

J'ai pris trois bases d’appréciation, l'une qui portait le chiffre à 14,500,000, l'autre à 45 millions, et la troisième à 120 millions. Je suis ainsi arrivé à une moyenne de 60 millions ; trouvant alors que ces chiffres pourraient encore paraître exagérés, j'ai admis 30 millions.

Nous voilà bien loin des 120 millions ; messieurs, je maintiens mes chiffres, ils sont très sérieux ; ce n'est pas une plaisanterie, je n'ai pas l'habitude d'en apporter dans cette Chambre, et je désire qu'on ne m'en prête pas.

M. de Theux. - Il est un point sur lequel nous devons être éclaircis. M. le ministre des finances nous a déclaré que nonobstant l'engagement qu'il a pris avec la ville d'Anvers dans les termes de l'article 2, l’Etat serait libre de traiter à de meilleures conditions avec des tiers. Cela n'est pas dit dans la loi. Si telle est l'intention du gouvernement, il importe que cette intention soit formulée dans la loi par une disposition additionnelle.

L'honorable M. Dumortier disait tout à l'heure qu'il voulait rejeter l'article 2 ; je crois qu'il vaudrait mieux le maintenir, mais en y inscrivant la déclaration de M. le ministre des finances, c'est-à dire la faculté pour l'Etat de contracter avec des tiers Si M. Keller venait faire les mêmes propositions que l'année dernière, c'est-à-dire venait offrir 20 millions au lieu de 10 millions, il serait désagréable que cette offre ne fût pas acceptée.

Je voterai l'amendement de M. Laubry, parce qu'il renferme le principe d'une subvention qui a été formellement promise l'année dernière.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La proposition que nous discutons impose à la ville d'Anvers l'obligation de payer 10 millions, sauf à recevoir en compensation les terrains des fortifications actuelles. On lui impose donc une intervention dans ces conditions. Il paraît que l'honorable membre voudrait inscrire dans la loi que l'Etat pourra traiter avec d'autres, s'il trouvait des conditions plus favorables. Il faut cependant que nous tenions la ville d'Anvers engagée ; car courir après l'ombre et laisser échapper la réalité ne ferait pas non plus l'affaire du trésor.

M. de Theux. - Alors votre déclaration vient à tomber.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, elle ne vient pas à tomber, si vous maintenez l'intervention de la ville d'Anvers.

Le gouvernement est autorisé, d'après la loi, à conclure une convention sur des bases indiquées. Jusqu'à ce qu'il ait conclu cette convention, il se tient pour libre de traiter avec d'autres à de meilleures conditions.

Je vais plus loin ; je ne m'oppose pas à ce qu'on inscrive ma déclaration dans la loi, bien entendu en fixant un terme. Si dans le délai d'une année, par exemple, des offres supérieures ne lui étaient pas faites, le gouvernement maintiendrait l'obligation imposée à la ville d'Anvers, et traiterait avec elle aux conditions indiquées.

Vous voyez que nous ne reculons pas devant les conditions qui peuvent paraître les plus favorables au trésor. Nous tenons que nous ayons fait une excellente chose dans l'intérêt du trésor.

Nous tenons et nous répétons bien haut que dispenser l'Etat d'emprunter 10 millions, sauf à partager éventuellement les bénéfices que peuvent donner les terrains, cela constitue pour le trésor une opération très avantageuse.

On m'a dit tout à l'heure : mais M. Keller, l'entrepreneur, a fait autrefois des propositions pour une somme supérieure. Je crois qu'on cite de mémoire.

M. de Theux. - Je n'ai pas vérifié, mais je le crois.

M. B. Dumortier. - J'ai vérifié.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas vérifié non plus ; mais jusqu'à ce que nous l'ayons fait, tenons la chose pour douteuse.

Messieurs, l'entrepreneur dont on parle a également fait une proposition connexe. Il a dit : j'exécuterai les travaux et je reprendrai les terrains pour autant. Vous ne sauriez pas dire à quel prix il estimait les terrains dans cette affaire. Si vous me permettez une comparaison triviale, c'est l'opération du maquignon qui vend un cheval et en reprend un vieux qu'il paye très cher ; mais c'est bien entendu à condition de faire payer plus cher encore celui qu'il vend. Il faudrait donc connaître l'ensemble de l'opération pour apprécier l'offre.

M. Carlier. - Je voterai contre l'amendement de mon honorable collègue M, Laubry, et le motif qui m'engage à agir de la sorte me paraît tellement convaincant, que quel que soit mon désir d'abréger ces débats, je ne puis m'empêcher de vous le dire.

Comme vous l'a très bien dit, il y a deux jours, notre honorable collègue M. Vervoort, il est de toute impossibilité qu'à raison de notre initiative, de quelque façon qu'elle s'applique, nous imposions à la ville d'Anvers les conditions qui sont indiquées par l'amendement de l'honorable M. Laubry. Dès lors, nous sommes placés en face de deux partis à prendre : ou, selon le projet du gouvernement, il faut céder à la ville d'Anvers les terrains qui doivent provenir de la démolition des fortifications actuelles, moyennant la somme de 10 millions de francs qui seront versés au trésor, selon les dispositions du projet, dans un terme de trois ans ; ou il faut que l'Etat conserve ces terrains et que par des ventes successives il tâche d'en tirer profit.

Eh bien, j'estime que l'Etat, s'il faisait cette opération, nous lancerait dans une spéculation extrêmement hasardeuse, et qui, dans tous les cas, nous placerait dans une situation telle que nous enlèverions au trésor 10 millions qui devraient être couverts au moyen d'un emprunt que nous ne pourrions pas rembourser de sitôt.

J'ai créé, pour me rendre compte de cette situation, une hypothèse que je crois présenter tous les avantages possibles dans le système de la réalisation des terrains à provenir des fortifications d'Anvers. Cette hypothèse est celle-ci : Payant 10 millions les terrains des fortifications, à quel résultat arrivera-t-on si on vend pendant une période de cinq ans des terrains à concurrence d'un million par année ; si l'on vend de ces mêmes terrains à concurrence de 500,000 fr. par an pendant une seconde période de cinq années ; et enfin si l'on vend de ces terrains pendant une troisième période de dix années, à concurrence de 250,000 fr. par an ; en un mot, en faisant des opérations successives qui, durant la première période de cinq ans, feront rentrer 5 millions de fr. au trésor, qui pendant la seconde période de cinq ans, feront rentrer 2,500,000 fr. ; et qui pendant une troisième période de dix ans feront encore rentrer 2,500,00 fr. Je me suis livré à ces calculs, je les ai faits peut-être un peu vite ; cependant je puis répondre que s'ils renferment des inexactitudes, elles sont rares, minimes.

Eh bien, voici où l'on en arrive.

Rentrant dans une somme d'un million par année durant la première période de cinq ans, on arrive, par le fait de la capitalisation des intérêts, à avoir une opération qui reste en débet de 7,237,178 fr. Ainsi tout en recevant 5 millions de francs, il n'y a eu réalité de reçu qu'une somme de 2,650,000 fr. environ.

Durant la seconde période, recevant 2,500,000 fr., à quel résultat aboutit-on ? On aboutit à ce résultat qu'ayant reçu, dans les deux périodes réunies, une somme de 7,500,000 fr., on reste encore en débet, toujours par l'effet de la capitalisation des intérêts, de 6,473,850 fr. ; on n'a donc reçu en réalité que 3,525,000 fr.

Enfin, durant la troisième période, celle de dix ans, pendant laquelle on ne rentre chaque année que dans un capital de 250,000 fr., on arrive à des effets qui sont tellement imprévus, ce me semble, et qui sont en même temps si pernicieux pour celui qui fait l'opération, que c'est ici que je m'effraye à juste titre, pensai-je, pour les intérêts du trésor. En effet je viens de vous dire qu'à la fin de la dixième année, il reste à recouvrer en capital et intérêts, 6,473,850 fr. Il ne faut pas être grand mathématicien pour savoir que ce capital donne par an un intérêt supérieur à 250,000 francs, un intérêt qui s'élève à 325,000 fr. ; on arrive donc à ce résultat que chaque année, bien qu'on ne reçoive que 250.000 fr., on doit en payer en intérêts 325,000 fr. et qu'ainsi ou perd sur l'intérêt une somme de 75,000 fr. par an, qui va grossissant ave toute la progression que présentent les intérêts lorsque vous les appliquez à un temps assez long, et vous arrivez ainsi à une augmentation de votre dette, telle qu'au bout de cette troisième période, c'est-à-dire au bout de vingt ans, elle s'élève à plus de 7,400,000 francs.

Ainsi, on est rentré pendant ces vingt ans dans le capital engagé, et malgré cela la capitalisation de l'intérêt a eu pour résultat de constituer une dette de 7,400,000 francs.

Eh bien, que faut-il pour que ce déficit puisse se couvrir ? Il faut qu'on rencontre dans les terrains que l'on conservera ou, si vous le voulez dans la majoration de valeur qu'acquerront les terrains pendant une période de vingt années, ces 7,400,000 fr. Et bien plus, pour que l'opération devienne bonne, il faut qu'on se couvre, en vendant les terrains, non seulement de ces 7,400,000 fr., mais encore des intérêts de cette somme durant le temps qu'il faudra pour réaliser et pour aboutir non pas à faire un bénéfice, mais à mettre ce qu'on appelle vulgairement les deux bouts ensemble, c'est-à-dire à se couvrir de ses avances en capital et intérêts.

Eh bien, messieurs, je dois le dire, je suis logiquement amené, par ces calculs, à trouver que le seul parti à prendre, c'est de faire faire ces opérations par la ville d'Anvers et de ne pas laisser le trésor dans une position difficile qui durerait un temps considérable et qui comporterait la possibilité d'arriver à une perte au lieu d'atteindre à un bénéfice.

On dit que la ville d'Anvers peut bien payer les avantages considérables qu'elle va obtenir, si pas par la vente des terrains, par l'accroissement de la ville, par la possibilité de créer des promenades, des bassins, une foule d'établissements d'agrément on d'utilité.

Eh bien, messieurs, la ville d'Anvers payera chèrement ces avantages si jamais elle a à supporter un siège ; on ne doit pas agir envers elle d'une manière si méticuleuse, lorsqu'on pense qu'un jour viendra peut-être où sa ruine viendra payer de la façon la plus terrible les avantages que nous lui assurons aujourd'hui par notre vote.

(page 295) Mû par ces considérations, messieurs, je n'hésite pas à repousser l'amendement de notre honorable collègue M. Laubry.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici, messieurs, comment je formule l'amendement que j'ai annoncé tout à l'heure :

« Toutefois, si des tiers faisaient des offres plus avantageuses dans le délai d'un an, à partir de la publication de la présente loi, l'Etat est autorisé à traiter avec eux et à dégager la ville d'Anvers de l'obligation qui lui est imposée.»

M. Loos. - La ville d'Anvers serait-elle engagée, si personne ne faisait des offres plus avantageuses ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute.

M. Loos. - La ville d'Anvers n'a pas été consultée sur ce point ; quant à moi je ne prends aucun engagement.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mettrai d'abord aux voix l'amendement de M. Laubry.

M. Laubry. - Je le retire.

- L'amendement de M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté.

L'article 2, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à contracter, aux conditions qu'il déterminera, un emprunt d'un capital effectif de quarante-cinq millions de francs.

« Un crédit de quatre-vingt-dix mille francs est ouvert au ministère des finances pour couvrir les frais de confection et d’émission des titres de cet emprunt. Il fera l'objet de l'article 17bis du budget de la dette publique pour l'exercice 1859. »

M. Vermeire. - Messieurs, les voies et moyens indiqués par le gouvernement pour faire face aux dépenses qui résulteront des travaux d'utilité publique et d'agrandissement de la ville d'Anvers sont de deux espèces : une partie des fonds sera prise sur l'emprunt, l'autre partie devra être couverte au moyen des excédants des exercices futurs, en ce sens que nous indiquons des moyens qui n'existent pas encore et que des éventualités pourraient empêcher de se produire.

Ici, messieurs, je dois faire remarquer que je ne suis point d'accord avec M. le ministre des finances, lorsqu'il assure que les excédants futurs sont, pour ainsi dire, assurés.

M. le ministre des finances part de cette base ,qu'il faut comparer entre elles les dépenses ordinaires et les recettes ordinaires, et que tout ce qui est dépense extraordinaire doit être pris également sur les ressources extraordinaires, c'est-à-dire sur les ressources qu'on obtient en dehors de l'impôt.

Lorsque nous examinons la situation financière de l'Etat, nous prenons dans leur ensemble les dépenses et les recettes de toute nature que nous faisons annuellement, et c'est d'après ces résultats que nous faisons la balance.

En procédant de la sorte, nous arrivons à cette conclusion, qu'au lieu d'obtenir des excédants de recette, nous constatons des excédants de dépense.

Cela est si vrai que depuis 1830 le capital de notre dette est augmenté de plus de 200 millions de fr., déduction faite des amortissements que nous avons payés depuis cette époque. La rente que nous avons à payer annuellement qui, en 1840, était de 12 millions, s'élevait, au 1er janvier 1858, à plus de 29 1/2 millions, de sorte que, même en prenant en considération l'augmentation de la population, les impôts payés en Belgique sont augmentés depuis 1840 de plus de 17 p. c, ce qui, réduit en capital, donne une somme de plus de 13 millions de fr.

On voit donc que ces excédants pourraient ne pas être aussi réels qu'on veut bien le supposer.

Mais, en procédant de la manière que le propose le gouvernement, restons-nous dans la légalité ? C'est une question qui je me suis posée et que je crois être de mon devoir d'indiquer à la Chambre.

L'article 115 de la Constitution porte que les Chambres votent annuellement les dépenses et les recettes, en arrêtant les comptes.

Maintenant que porte l'article 15, paragraphe 2 de la loi sur la comptabilité de l'Etat ? Qu'aucune dépense ne peut être votée sans qu'en même temps les ressources qui doivent y faire face soient indiquées.

Mais lorsque la loi sur la comptabilité dispose que les ressources doivent être indiquées, ces ressources ne doivent-elles pas exister au moment où les dépenses sont décrétées ? Et s'il en est ainsi, les ressources prises sur des excédants futurs qui ne sont rien moins que probables satisfont-elles complètement à la loi ? Je ne le pense pas.

L'on a légèrement glissé sur cette question, cette année ; on n'y a pas fait grande attention, mais en 1858 elle a été soulevée dans les sections et surtout à la section centrale. Voici dans quel sens cette section centrale s'est expliquée ;

« L'article 115 de la Constitution est ainsi conçu :

« Chaque année, les Chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget.

« Toutes les recettes et les dépenses de l'Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »

« L'article 15 de la loi du 15 mai 1846 porte :

« La loi annuelle de finances ouvre les crédits nécessaires aux dépenses présumées de chaque exercice.

« Toute demande de crédit, faite en dehors de la loi annuelle de dépenses, doit indiquer les voies et moyens qui seront affectés aux crédits demandés.

« Il ressort clairement de la combinaison de ces deux articles que le constituant et le législateur ont attaché une grande importance à ce que chaque année les dépenses de l’exercice soient rattachées au budget.

« En effet, en votant la loi annuelle des dépenses, les Chambres entrevoient, avec l'assurance des faits acquis et la présomption des faits prochains, les ressources actuelles des finances de l'Etat et les besoins actuels des divers services publics. En est-il de même quand, par anticipation, et pendant cinq ans, on dispose de ressources probables pour des dépenses certaines ?

« En obligeant d'indiquer les voies et moyens affectés aux crédits demandés en dehors de la loi annuelle, la loi met un frein à l'exagération de ces demandes ; car, soit que ces voies et moyens consistent en emprunt ou en bons du trésor, il faut satisfaire actuellement ou prochainement au payement de cette dette ou constituée, ou temporaire. Ce même frein n'existe plus si vous affectez à des dépenses certaines les excédants espérés des exercices futurs. »

« Et plus loin :

« Il serait injuste de méconnaître la haute probabilité des résultats financiers prévus par le gouvernement ; mais il serait téméraire d'assurer que des résultats moins heureux ne soient pas possibles. Viennent des épidémies et des disettes générales ; viennent la guerre ou une invasion, et il est permis de parler de ces dernières, puisque le projet lui-même prétend vous armer contre elles - et alors les excédants séduisants se changent en dangereux déficits. »

Je crois devoir déclarer qu'à mon avis, pour toutes les dépenses relatives à des travaux d'utilité publique, il serait préférable d'avoir recours à l'emprunt et de tâcher de faire comme en Angleterre, un emprunt consolidé, c'est-à-dire un emprunt sans amortissement.

En agissant de cette manière, nous ne devrions rembourser les capitaux qu’avec les excédants réels de recettes que l'on obtiendrait après la reddition des comptes ; tandis qu’aujourd'hui, obligés d'une part à payer l'amortissement, d'autre part à augmenter les déficits des budgets, on est amené à renouveler constamment les emprunts, et, conséquemment aussi, à payer toujours les frais des emprunts nouveaux.

En prenant les excédants de recettes, si effectivement ils se produisaient, pour payer les travaux qui doivent durer longtemps, on arrive encore à cette conséquence, que l'on fait payer par la génération actuelle des travaux qui, pour une partie notable, ne doivent profiter qu'aux générations futures,

Il me semble donc qu'il serait préférable de laisser à chacun sa part de bénéfice, mais aussi sa part de charges.

Je ne veux pas, messieurs, entrer dans de plus longues considérations ; je crois en avoir dit assez pour justifier le vote que je me propose d'émettre et qui sera négatif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je désire, messieurs, présenter quelques courtes observations en réponse au discours que nous venons d'entendre.

L'honorable membre est dans l'erreur sur plus d'un point. Il dit d'abord qu'il ne peut approuver le mode proposé parce qu'il ne répond pas aux prescriptions de la loi. Les excédants des exercices futurs ne constituent pas, dit-il, en réalité, les voies et moyens de la dépense qu'on propose. Eh bien, dans ce système, l'emprunt non plus ne constituerait pas les voies et moyens des dépenses proposées. L'emprunt, en effet, est à réaliser ; il n'est pas fait ; donc, d'après l'honorable membre, cette partie des voies et moyens n'existe pas actuellement.

Quant à l'imputation sur les exercices futurs, la question est extrêmement simple. Nous disons ; de deux choses l'une : des excédants que nous prévoyons, qui sont très vraisemblables, tout le monde l'admet, se réaliseront ou ne se réaliseront pas. S'ils se réalisent, point de difficulté ; nous avons de quoi payer la dépense ; s'ils ne se réalisent pas, il sera toujours temps de créer des recettes extraordinaires pour y faire face. D'après l'honorable membre, il vaudrait mieux recourir à l'emprunt. Ce n'est pas mon avis. Il faut, je pense, emprunter le moins possible ; et lorsque, sous prétexte de laisser aux générations futures le soin de payer une partie des dépenses publiques, on emprunte nécessairement, que fait-on ? On obère l'avenir au profit du présent, sans tenir compte de l'obligation où seront les générations futures de dépenser tout comme nous le faisons.

L'Angleterre, qui a abusé du système des emprunts, en est aujourd'hui revenue, et elle commence depuis quelques années à appliquer une partie de ses ressources ordinaires à payer des dépenses extraordinaires. C'est, je crois, le meilleur système à suivre par les Etats. Assez de circonstances se présentent dans la vie des peuples qui obligent à recourir aux emprunts les plus onéreux, pour ne point appliquer, quand on le peut, une partie des ressources ordinaires à des dépenses de la (page 296) nature de celle que nous décrétons maintenant. Soyons, d'ailleurs, bien convaincus que nous aurons encore beaucoup d'autres dépenses à faire, et que, à part les calamités, les crises, les disettes, les guerres, les occasions ne manqueront pas qui mettront dans la nécessité d'emprunter.

Un mot encore. On considérait l'an passé, comme inconstitutionnelles les combinaisons que nous proposons ; tout au moins elles faisaient naître alors des scrupules de constitutionnalité dont un faible écho se reproduit aujourd'hui.

Je crois que là encore il y a erreur. Que demande la Constitution ? Que les dépenses annuelles figurent au budget de l'Etat. Que signifie cette prescription ? Qu'on ne peut pas proposer de dépenses en dehors du budget ? Evidemment non : cette prescription condamne une pratique qui s'était introduite dans le gouvernement précédent dont on voulait prévenir le rétablissement en Belgique et qui consistait à faire des budgets décennaux. Voilà ce que signifie la prescription constitutionnelle à laquelle on a fait allusion.

Le budget est donc annuel nécessairement, constitutionnellement, mais il n'en résulte pas du tout qu'on ne puisse pas proposer de dépenses en dehors du budget. Du reste, la pratique depuis 1830 et la nécessité ont jugé la question.

On propose donc des dépenses en dehors des budgets, c'est pourquoi la loi sur la comptabilité dispose que les dépenses proposées par des lois spéciales, en dehors des budgets, devront être couvertes par des ressources que ces lois nous indiqueront.

Les critiques qui nous ont été adressées n'ont donc rien de sérieux. Mais, du moins, ne peut-on pas critiquer aveu plus de raison la répartition des dépenses sur plusieurs exercices ? Ici je dois avouer à ma grande confusion (car on a si souvent répété à ce propos que j'avais trouvé une combinaison financière magnifique) que la répartition sur plusieurs exercices n'est nullement une idée nouvelle, qu'elle n'a rien de magnifique, que ce n'est à tout prendre qu'une simple mesure d'ordre que la Chambre a déjà sanctionnée un bon nombre de fois. Ainsi pour ne pas remonter bien haut, la loi des travaux publics du 20 décembre 1851 a réparti sur trois exercices certaines dépenses qu'elle a décrétées ; la loi du 10 mai 1854, qui a ouvert un crédit de 9 millions pour travaux de parachèvement du chemin de fer, a réparti ce crédit comme suit : 1 million sur l'exercice 1854, 3,500,000 sur l’exercice 1855, 3,500,000 sur l’exercice 1856 et 1,000,000 sur l’exercice 1857. L'honorable M. Mercier était tout autant que moi l'inventeur de ce système, aussi je ne réclame point de brevet.

Je ne parlerai pas de toutes les autres propositions de ce genre que la Chambre a sanctionnées ou qui lui ont été soumises par mes prédécesseurs. C'en est assez pour prouver qu'il n'y a pas même d'innovation.

En résumé, à quoi cela se réduit il ? A appliquer l'excédant prévu des ressources aux dépenses qui ont été créées. Si cet excédant ne se réalise pas, il reste à y pourvoir par d'autres moyens ; la Chambre est constamment tenue au courant de ces opérations par l'exposé de la situation du trésor qui lui est soumis chaque année et par le budget des voies et moyens qui autorise, s'il y a lieu, une émission de bons du trésor.

Ces observations me paraissent justifier complètement les dispositions du projet qui est maintenant en discussion.

- Plusieurs membres. - Aux voix 1 aux voix !

M. E. Vandenpeereboom, rapporteur. - Je n'ai que deux mots à dire. Je ne veux pas du tout défendre ici le système que j'ai préconisé dans les deux rapports que j'ai présentés au nom de la section centrale ; cela nous mènerait beaucoup trop loin. Mais je ferai remarquer qu'aux exemples que l'honorable ministre des finances nous a cités, je puis en opposer d'autres en grand nombre ; et les exemples qu'on a invoqués prouvent tout simplement ceci : c'est qu'antérieurement à 1851 on n'agissait pas comme on l'a fait quelquefois depuis et comme on propose de le faire maintenant encore et qu'à aucune époque on n'a proposé de répartir des dépenses sur sept exercices futurs. Quand on n'échelonne les crédits que sur deux ou trois exercices, cette marche ne peut pas offrir d'inconvénient, parce qu'on peut pressentir, plus ou moins, quelle sera la situation du trésor pendant une telle période ; mais il peut y avoir véritable danger à dépasser cette limite, parce qu'il n'est donné à personne de prévoir quelle sera dans 5, 6 ou 7 ans la situation financière, le cours des événements et les besoins du pays.

Du reste, je livre ma théorie et celle de M. le ministre des finances à l'appréciation de l'opinion publique ; je ne dis pas à celle de la Chambre, plus disposée, en ce moment, à voter des millions, qu'à discuter s'ils sont bien imputés. Il est possible que ce que je propose soit un peu l'âge d'or des finances publiques, et nous n'y sommes pas encore, je le reconnais sans difficulté aucune, puisque nous tirons sur l'avenir sans savoir s'il y aura provision à l'échéance.

Ce qui est certain, c'est que nous engageons l'avenir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. E. Vandenpeereboom, rapporteur. - Erreur ! est facile à dire ; mais est-il vrai, oui ou non, que quand vous disposez des excédants des budgets futurs, il ne vous restera plus de ressources sur ces budgets au moment de leur ouverture. Vous connaissez le proverbe : Donner et retenir ne vaut, mais prendre et laisser ne vaut pas davantage.

Quoi qu'il en soit, messieurs, ce n'est pas sur ce point que je voulais particulièrement soumettre quelques réflexions à la Chambre.

Bien que nous ayons ajourné quelques projets de travaux, l'emprunt ne doit pas moins rester complet, parce qu'il est probable que ces projets et, comme on nous l'a promis, d'autres travaux nous seront représentés à la session prochaine. Si même ces projets n'étaient pas adoptés, comme il est probable que l'emprunt sera contracté en une fois à concurrence du chiffre indiqué dans le projet de loi, le gouvernement pourrait se dispenser de contracter pour la partie dont il n'aura pas besoin. Qui peut le plus peut le moins.

Mais, d'après ce que nous a dit M. le ministre de l'intérieur dans une précédente séance, il y aurait peut-être quelques économies à réaliser sur les travaux du palais ducal, travaux qui doivent être entièrement payés au moyen de l'emprunt.

J'engage donc M. le ministre de l'intérieur à réserver tout ce qu'il peut de ressources pour l'exécution du grand projet dont il nous a fait espérer la réalisation. En section centrale, nous avions, dans ce but, ajouté ces mots : « avec le concours de la ville de Bruxelles. »

Notre président, membre aussi du conseil communal, nous avait fait espérer l’intervention financière de la capitale si l'on abordait l'érection d'un grand palais pour fêtes publiques, expositions, musée moderne, etc. Je vois avec plaisir notre honorable collègue, le bourgmestre de Bruxelles, faire un signe affirmatif ; cela me prouve qu'avec ce concours le projet préconisé par la section centrale pourrait être abordé par le gouvernement, qui, je le reconnais, en 1858, a émis la première idée et présenté un beau projet pour cette grande et nationale entreprise.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Vermeire. - Comme j'ai exposé tout à l'heure une théorie que M. le ministre des finances a combattue, je demande à lui répliquer. J'espère que la Chambre ne refusera pas de m'en tendre.

- La clôture est mise aux voix ; l'épreuve est douteuse. En conséquence, la discussion continue.

M. Vermeire. - Aux observations que je viens de présenter, l'honorable ministre des finances a répondu que si les excédants des budgets ne présentent pas à l'avenir des voies et moyens suffisants, on avisera. Mais quand les travaux seront commencés, achevés peut-être, et que les voies et moyens seront reconnus être insuffisants, sera-t-il, dans tous les cas, encore temps d'aviser ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Vermeire serait satisfait si l'on indiquait comme voies et moyens des bons du trésor.

M. Vermeire. - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous pourriez contester le système, mais vous ne pourriez contester que ce fût parfaitement régulier, car on n'a pas fait autrement depuis 1830. La disposition proposée n'a rien de contraire à la loi sur la comptabilité. En effet, lorsque des crédits extraordinaires ne se rattachent pas à des postes déterminés du budget, que deviennent-ils ? La loi de comptabilité y a pourvu, ils sont reportés successivement sur les excédants du budget.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. le président. - La clôture étant demandée, je dois la mettre aux voix.

M. B. Dumortier. - M. le président, vous savez que quand un membre à la parole, la clôture ne peut être demandée. J'entends que le règlement soit exécuté, fût-ce au grand déplaisir de mes honorables adversaires.

J'ai au sujet de l'article en discussion un scrupule constitutionnel. J'espère que la Chambre me permettra de lui en faire part. L'article 115 de la Constitution porte : « Chaque année les Chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. Toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. » Or, ce qu'on nous propose, c'est de voter une partie du budget pour 7 ans.

Je sais bien que cela s'est fait plus d'une fois depuis 1851, mais comme l'a très bien fait remarquer l'honorable M. E. Vandenpeereboom, cela ne s'était jamais fait auparavant. On propose d'imputer une dépense extraordinaire sur plusieurs exercices.

S'il ne s'agissait que de l'exercice antérieur, de l'exercice présent et de l'exercice prochain, je le comprendrais ; mais, comme vous le disait encore avec beaucoup de raison M. E. Vandenpeereboom, pouvez-vous prévoir quelle sera la situation des budgets dans 6 ou 7 ans ! Pendant les vingt ans qui ont suivi la Constitution, on n'a jamais permis pareille chose. On a toujours voulu que les budgets fussent discutés à une époque fixe et à une date certaine.

Mais ce n'est pas tout. On comprendrait encore jusqu'à un certain point cette application anticipée des budgets, si la loi donnait satisfaction à tous les districts. Mais nous sommes loin de là. Ainsi le district de Roulers, qui réclame depuis si longtemps la canalisation de la Mandel, ne l'a pas obtenue. L'honorable M. Rodenbach et moi avons pourtant prouvé que ce travail réclamé par un grand nombre de localités (page 297) était de la plus grande utilité pour deux provinces, la Flandre occidentale et le Hainaut. D'autres districts encore ont réclamé des travaux utiles qui ne leur sont pas accordés par le projet de loi. Vous voyez bien qu'il n'y a aucune raison pour excuser cette imputation anticipée sur les budgets de 7 années.

- La discussion est close.

L'article 3 est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Les dépenses nécessaires au complet achèvement des travaux repris aux paragraphes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11,14, 15,16, 17 et 18 de l'article premier seront couvertes par les ressources ordinaires de l'Etat.

« § 2. Les crédits affectés à ces dépenses seront rattachés à l'exercice 1859 jusqu'à concurrence de fr. 4,525,000. et à chacun des exercices 1860 à 1865 jusqu'à concurrence de fr. 5,000,000.

« § 3 (de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie). La répartition de ces crédits entre les paragraphes mentionnés ci-dessus sera faite par arrêté royal, dans les limites des crédits indiqués au tableau annexé à la présente loi. »

M. le président. - La Chambre ayant prononcé l'ajournement de divers travaux, il y aura quelques modifications à apporter à la rédaction de cet article. Elles seront faites par le bureau de commun accord avec le ministère. (Adhésion.)

L'article 4 est adopté sauf rédaction.

Article 5

« Art. 5. Le gouvernement est autorisé à faire exécuter par voie de concession de péages et aux conditions qu'il déterminera les travaux nécessaires pour améliorer le régime de la Dendre, ainsi que la construction d'un canal de Blaton à Ath.

« Les crédits ouverts au paragraphe 10 de l'article premier de l'article 4 de la présente loi, pour l'amélioration du régime des eaux de la Dendre, pourront être alloués par le gouvernement, à titre de subside, jusqu'à concurrence de deux millions cinq cent mille francs, à la compagnie qui se constituerait pour l'exécution de ces travaux.’

M. A. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre une modification dont il a été question en section centrale, et qui a pour but de ne pas lier le gouvernement au projet seul de Blaton ; mais de lui laisser le choix entre plusieurs autres entreprises, destinées à opérer la même jonction.

Mon amendement consiste à dire, au premier paragraphe de cet article, « du couchant de Mons à Ath, » au lieu de « de Blaton à Ath » Il a pour effet de laisser au gouvernement le choix entre la Compagnie de Blaton et celles qui présenteraient une autre direction.

Le gouvernement pourra ainsi accorder Blaton, s'il le veut, si ce point est le plus convenable ; de même qu'il pourrait prendre un autre point, s'il le jugeait plus favorable aux intérêts de l'Etat et des localités. Son action sera plus libre et, par conséquent, plus puissante pour obtenir de bons résultats.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je déclare me rallier à cet amendement.

M. J. Jouret. - Messieurs, dans la note qui a été mise sous les yeux du gouvernement, et dont je suis l'auteur, j'ai fait observer que le crédit de 2,500,000 fr. affecté à la canalisation delà Dendre, se trouvait déjà au projet de loi de 1858, et devait nécessairement être considérée comme acquis à la Dendre d'une manière spéciale et exclusive.

Cependant le gouvernement est venu joindre aux travaux à exécuter au moyen de ce crédit, un autre projet, le canal d'Ath à Blaton ou à un autre point du couchant de Mons, et cela sans ajouter un centime au crédit primitif.

Messieurs, quand je disais que cela me paraissait peu juste et jusqu'à certain point dangereux pour les droits acquis de la Dendre, je ne pensais pas que l'on serait venu aussitôt me donner raison.

Dans une de nos dernières séances, en effet, l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom disait ces paroles que j'ai notées avec soin : « Je demande que le gouvernement soit autorisé à a accordé un subside pour la construction d'un canal de la Lys a l'Yperlée, comme on a accordé 2,500,000 fr. pour l'établissement du canal de Blaton à Ath. » M. Vandenpeereboom ne dit pas un mot de la Dendre.

M. A. Vandenpeereboom. - C'est un oubli involontaire.

M. J. Jouret. - Mais il y a plus. Dans la séance de samedi dernier, en répondant à l'honorable M. Moncheur qui, avec quelques-uns de ses collègues demandait que l'on admît le principe de l'approfondissement de la Sambre non seulement de la frontière de France à Mornimont, mais de Mornimont à Namur, M. le ministre des travaux publics dit ces paroles que je lis aux Annales parlementaires :

« Nous sommes d'accord sur l'utilité de ce travail qui devra se faire tôt ou tard ; mais je ferai remarquer à l'honorable membre que son amendement ne peut pas aboutir, en ce sens que, si vous décrétez aujourd'hui l'approfondissement de la Sambre depuis la frontière française' jusqu'à Namur, en maintenant le crédit au chiffre proposé, vous e ferez pas chose sérieuse puisqu'il vous manquera 500,000 fr. pour faire ce travail, et en attendant que ce crédit supplémentaire vous soit accordé, la partie essentielle du projet restera en souffrance. »

Vous conviendrez que ce langage légitime les inquiétudes que j'exprime.

J'étais disposé à admettre que la note ministérielle insérée au rapport nous avait donné satisfaction, mais après les paroles prononcées par M. Vandenpeereboom et M. le ministre des travaux publics, je ne sais réellement plus ce qu'il faut en penser.

Voici comment s'exprime la note : « Le gouvernement est le premier à reconnaître qu'il importe à de nombreux et respectables intérêts que les travaux de canalisation de la Dendre puissent être entamés dans un prochain avenir. »

« Dans un prochain avenir » : c'est extrêmement vague, selon moi. Et en continuant, la note contient un commentaire qui me paraît plus inquiétant encore : « Il ne peut donc être entré dans la pensée du gouvernement, dit-elle, de faire de la faculté qu'il demande de traiter de la concession d'un canal à établir entre les charbonnages du couchant de Mons et la Dendre, à Ath, et des travaux à exécuter sur cette rivière, une cause de retard indéfini pour l'exécution de ces derniets travaux c'est-à-dire de ceux à entreprendre sur la Dendre elle-même. »

Messieurs, cela me paraît peu rassurant, car, s'il y a pas là une cause de retard indéfini, il peut s'y rencontrer une cause de retard très prolongé, et vraiment se serait fâcheux, car il y a urgence.

Sans m'opposer donc à ce qu'au moyen du crédit de 2,500,000 fr., accordé pour la Dendre, on cherche à trouver des concessionnaires pour l'ensemble des travaux, je désire que M. le ministre des travaux publics veuille bien déclarer qu'il continue à considérer le crédit de 2,500,000 fr. comme spécialement et exclusivement acquis à la canalisation de la Dendre, et que les délais raisonnables pour s'assurer qu'il y a des concessionnaires sérieux pour l'ensemble des travaux, une fois écoulés, il est bien décidé à faire procéder, sans autre retard, aux travaux de canalisation de la rivière.

Ces travaux sont urgents ; cela est reconnu par tout le monde. C’est l'attente de ces travaux mêmes toujours ajournés qui a contribué à mettre la Dendre dans le pitoyable état où elle se trouve. L'industrie des localités riveraines en souffre de la manière la plus fâcheuse.

Si donc ces travaux, ce qui ne sera pas, j'espère, venaient à être différés encore ce serait pour les habitants de la vallée une amère déception.

J'espère que le gouvernement voudra bien nous rassurer complètement à cet égard.

M. B. Dumortier. - Messieurs, la question soulevée par l'honorable membre a plus de portée que l'on ne pense, et je prie la chambre et M. le ministre des travaux publics d'y prêter attention. Il s'agit de savoir en grande partie si on substitue à la navigation de cette rivière qui est dans un pitoyable état, vous dit-on, à la magnifique navigation de l’Escaut. Il s'agit de savoir si vous rendrez la navigation de l'Escaut impossible en voulant établir une navigation sur une rivière qui la moitié de l'année est sans eau et qui est parallèle à un chemin de fer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

L'honorable M. Dumortier discute l'allocation relative à la Dendre qui a été votée.

M. B. Dumortier. - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande pardon. Cet article a été voté après une discussion à laquelle ont pris part l'honorable M. de Naeyer et l'honorable M. Jouret. L'objet en discussion maintenant est de savoir si le gouvernement sera autorisé à effectuer le crédit voté de 2,500,000 fr., tant à l'exécution des travaux de a Dendre qu'à l'exécution d'un canal du couchant de Mons vers Ath. Si les observations portent sur un autre point, elles seraient étrangères à l'objet qui est en discussion.

M. B. Dumortier. - Ce qui est en discussion, c'est ce dont je m'occupe ; c'est le canal dont vous parlez, et si vous m'aviez écoulé, vous le reconnaîtriez. Je vais répéter ce que j'ai dit ; faites-moi l'honneur de m'accorder votre attention.

Je dis que cet article est extrêmement nuisible au point de vue de la navigation de l'Escaut. Je dis que la question est de savoir si l'on substitue à la navigation d'une rivière qui, vous le dites vous-même, est dans l'état le plus pitoyable, à la magnifique navigation de l'Escaut, la plus belle navigation de l'Europe entière, comme le disait M l'ingénieur Vifquain.

Quelle est la situation ?

On veut créer un canal pour aller de Blaton à la Dendre. Et d'abord quelle est la situation de la Dendre ? La Dendre est dans cette situation que je regrette, d'avoir excessivement peu d'eau. C'est la cause qui rend cette navigation pitoyable. Si vous voulez lui donner de l'eau, où irez-vous la chercher ? Vous irez la chercher dans les affluents de l'Escaut. C'est là évidemment le but ; et en privant l'Escaut de ses affluents, vous en rendrez la navigation impossible.

Voici, messieurs, ce qui se passe, et je prie de nouveau la Chambre et M. le ministre des travaux publics de porter à ces faits la plus grande attention, car c'est très grave.

Le gouvernement français porte avec raison un immense intérêt à la ville de Lille. Qu’a-t-on fait en France depuis peu de temps ? On a (page 298) détourné, on détourne encore chaque jour les eaux de la Scarpe qui viennent par leur courant naturel se jeter dans l'Escaut, pour les déverser par le canal de la Deule à Lille. L'Escaut se trouve donc privé à chaque navigation d'un tiers des eaux qui lui arrivaient, et au lieu de pouvoir faire des bateaux de houille arrivant de Mons et se rendant à Gand, une rame par semaine, on ne peut plus faire une rame que tous les douze ou quinze jours. Cela, messieurs, est, je crois, très sérieux.

Or, si maintenant pour le plaisir de créer un canal qui va se joindre à la Dendre, vous distrayez les affluents de l'Escaut dans cette direction, vous rendez la navigation de ce fleuve impossible, et aurez-vous, messieurs, amélioré par-là la navigation delà Dendre ? Vous aurez créé deux voies navigables qui toutes deux manqueront de la quantité d'eau nécessaire.

Ne vous y trompez pas, messieurs, la navigation de l'Escaut est la plus belle navigation de l'Europe.

M. Vifquain disait : « J'ai parcouru toutes les voies navigables et aucune n'est comparable à l'Escaut. » Allez-vous maintenant ravir à l'Escaut ses moyens de navigabilité ? Je dis, messieurs, que ce serait une faute capitale. (Interruption.)

L'état pitoyable de la Dendre date de l'ouverture du chemin de fer qui la longe et sur lequel on transporte presque toutes les houilles qui se transportaient précédemment par eau. Il ne fallait pas construire un chemin de fer sur la berge, si vous ne vouliez pas voir diminuer la navigation.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, il pourrait y avoir erreur sur le sens de l'amendement que j'ai proposé ; il y a des personnes qui pourraient prétendre que Blaton n'est pas dans le couchant de Mons. Je proposerai de dire : « Depuis Mons, ou le couchant de Mons, jusqu'à Blaton. »

Le point de départ du canal serait entre Mon» et Blaton.

M. Carlier. - Je crois que 1'intention de l'honorable M. Vandenpeereboom est de laisser au ministre la faculté de choisir entre Blaton et le couchant de Mons.

Il ne faut pas que l'on puisse partir d'un point intermédiaire. Je proposerai donc de dire : « du couchant de Mons ou de Blaton vers Mons. »

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je crois, messieurs, que nous sommes parfaitement d'accord sur le but que l'honorable M. Vandenpeereboom veut atteindre par son amendement. Il s'agit de laisser au gouvernement le soin de fixer le point de départ du canal. Le gouvernement accepte cet amendement.

Je n'entrerai pas dans la question d'art soulevée par l'honorable M. Dumortier ; cependant je dois dire qu'il ne s'agit pas d'alimenter le nouveau canal avec les eaux de l'Escaut, au détriment de l'Escaut.

Quant à l'interpellation faite par l'honorable M. Jouret, voici ce que j'ai à répondre : Le crédit de 2,500,000 francs doit rester affecté par privilège à la canalisation et à l'amélioration de la Dendre. Les plans n'étant pas achevés, il est impossible de dire quel sera le chiffre exact de la dépense. Lorsque les plans seront achevés, si je n'ai pas de demandeur en concession pour le canal, le gouvernement mettra lui-même la main à l'œuvre pour la Dendre.

L'article 5 avec l'amendement proposé par M. Vandenpeereboom et sous-amendé par M. Carlier est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


M. de Renesse. - Messieurs, lors de la discussion générale de la seconde partie du projet de loi allouant un assez grand nombre de crédits extraordinaires pour la continuation de plusieurs grands travaux publics déjà antérieurement décrétés, et pour la construction de quelques travaux nouveaux, j'avais cru devoir déclarer que je ne pourrais donner mon assentiment à cette partie du projet de loi, parce qu'à différentes reprises j'ai dû critiquer l'inégale répartition de ces grands travaux publics extraordinaires.

En effet, certaines parties de nos différentes provinces ont obtenu successivement chemins de fer, routes et canaux, tandis que d'autres localités sacrifiées, en 1839, à l'intérêt général par la perte d'une grande partie de leur territoire, n'ont jamais depuis 1830 reçu la moindre part dans ces grands travaux extraordinaires exécutés aux frais du trésor de l'Etat, ou au moyen de concessions, sont restées jusqu'ici en dehors des voies de communication faciles et économiques, ne sont pas encore rattachées à notre système général de chemins de fer.

J'étais décidé à voter contre le projet de loi pour protester contre le déni de justice dont, sous ce rapport, a à se plaindre l'arrondissement de Tongres, froissé dans tous les intérêts par son complet isolement,

Mais d'après la réponse que l'honorable ministre des travaux publics a bien voulu me faire à la séance du 25 de ce mois, et d'après les entretiens particuliers que j'ai eus depuis avec M. le ministre, j'ai lieu de croire que les promesses faites par le gouvernement ne seront plus des promesses sans résultat pour la partie si importante du Limbourg, dont je défends ici les intérêts, et que l'administration supérieure des travaux publics s'occupera activement de rechercher les moyens de doter, dans un avenir très rapproché, la ville et l'arrondissement de Tongres de la voie ferrée, réclamée depuis si longtemps et qui partirait du nord de la ville de Liège, se dirigerait par Glons, Tongres et Bilsen vers la frontière hollandaise.

Cette assurance m'ayant été donnée par d'autres honorables ministres, je puis avoir actuellement confiance dans l'engagement du gouvernement, qui est d'ailleurs conforme à la demande et aux vœux formulés par plusieurs sections centrales de la Chambre, afin que cette contrée si riche, si populeuse et si importante d'une de nos provinces soit rattachée dans le plus bref délai au réseau de nos chemins de fer.

D'après ces considérations, je pourrai donner un vote favorable au projet de loi.

Second vote et vote sur l’ensemble

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est bien entendu qu'à la suite des votes de la Chambre il y a lieu de changer des articles ainsi que. des chiffres du projet de loi, ainsi que du tableau qui y est annexé. Il y a à faire une répartition nouvelle entre les sommes à prélever sur l'emprunt et celles qui devront être couvertes par les excédants des exercices futurs. Nous réservons les sommes nécessaires aux travaux qui ont été ajournés. Tout cela se fera de commun accord entre le bureau et le gouvernement.

M. le président. - Il y a un amendement de M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Un amendement proposé par le gouvernement ne doit pas être soumis à un second vote.

M. de Theux. - Ne préjugeons point la question.

- L'amendement est mis aux voix et définitivement adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

83 membres sont présents :

49 adoptent.

29 rejettent.

5 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Vervoort, Carlier, Dautrebande, David, de Bast, de Boe, de Breyne, Ch. de Brouckere, Dechamps, de Decker,, de Florisone, De Fré, de Gottal, Deliége, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Vrière, Dolez, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Grandgagnage, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Koeler, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mercier, Moreau, Muller, Neyt, Orban, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Saeyman et Orts.

Ont voté le rejet : MM. Thibaut, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vermeire, Verwilghen, Ansiau, Coomans, Dechentinnes, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, Guillery, Janssens, Julliot, Laubry, Magherman, Moncheur, Nélis, Notelteirs, Nothomb et Rodenbach.

Se sont abstenus : MM. Van Leempoel, Allard, de Naeyer, Devaux et Sabatier,

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Allard. - Messieurs, j'ai expliqué les motifs de mon abstention, lors du vote par appel nominal sur le paragraphe premier de l'article premier du projet de loi.

M. de Naeyer. - J'ai voté pour le projet de fortification d'Anvers, et loin de regretter ce vote, je dois dire que les réflexions que j'ai faites depuis lors ont servi à confirmer ma première conviction ; mais il m'a été impossible de donner mon adhésion à un système qui consiste à accumuler dans une même proposition de loi tant de questions sans connexité entre elles qu'il est impossible d'en faire l'objet d'une discussion sérieuse et réellement utile. Ces considérations m'ont déterminé à m'abstenir sur l'ensemble du projet de loi.

M. Sabatier. - Si d'un côté j'ai voté contre le premier paragraphe de l'article premier, d'autre part, je suis partisan des autres travaux publics qui sont discutés par le projet de loi. J'ai cru dès lors devoir m'abstenir.

M. Devaux. - Messieurs, l'année dernière, dans une circonstance analogue, je me suis abstenu. J'avais, à cette époque, émis le vœu que le gouvernement voulût faire examiner sérieusement et à fond par une commission d'hommes compétents la question de la préférence à donner soit à Bruxelles, soit à Anvers, comme bases de notre système de défense et que les raisons données de part et d'autre fussent publiées.

Il n'a pas été fait droit à ma demande, et, e dois le dire, les arguments produits en faveur d’Anvers par M. le ministre de la guerre ont été insuffisants pour me convaincre que par l'adoption de ce système on ne commet pas une grande faute.

Je n'ai pas cependant voulu me prononcer pour le rejet, ni engager la Chambre à ne pas adopter le projet de loi, car je vois que le rejet aurait été non pas l'adoption d'un autre système, mais la prolongation du statu quo, et je reconnais que l'adoption du projet de loi vaut mieux que la prolongation du statu quo.

Du reste, je ne pouvais espérer de voir adopter un autre système. En effet, M. le ministre de la guerre a défendu son projet avec une conviction très profonde ; il est même un des officiers qui se disputent la paternité du système. Je n'avais donc pas l'espoir de l'amener à une autre opinion.

(page 299) Le ministère, d'ailleurs, en est déjà à avoir présenté deux combinaisons ; je ne puis raisonnablement attendre de lui qu'il en mette en avant une troisième. Et quant à un autre cabinet qui suivrait celui-ci, fût-il pris soit dans la droite, soit dans une nuance intermédiaire quelconque, il ne serait pas assez fin pour soutenir une loi de ce genre.

Il arriverait ce qui est arrivé avant et après le ministère du 12 août, c'est-à-dire que la question de la défense nationale sommeillerait.

Messieurs, après voir exposé les motifs pour lesquels je me suis abstenu, permettez-moi de vous dire que deux objections qui ont été faites à la loi n'ont eu aucune influence sur moi.

La première est celle qui consiste à dire que la Belgique n'est pas en état de faire les frais de sa propre défense. Dire qu'un pays qui a dépensé 200 millions pour son chemin de fer, et qui va exécuter encore aujourd'hui pour 40 millions de travaux publics, utiles sans doute, mais d'une utilité secondaire, ne peut pas payer 40 ou 80 millions et même plus pour garantir son existence, cela n'est pas sérieux. Cette objection, je ne la comprends pas.

La seconde objection qui est également restée complètement étrangère à la détermination que j'ai prise de m'abstenir est celle qui est puisée dans nos rapports extérieurs. Je ne veux faire à aucun gouvernement voisin la sanglante injure de croire qu'il soit blessé de ce que la Belgique adopte une mesure purement défensive pour garantir son existence, comme je croirais faire outrage à un voisin si je soupçonnais que je pusse le contrarier en mettant une serrure ou un verrou à la porte de ma maison.

Communication du gouvernement

M. le président. - J'ai reçu de M. le ministre de l'intérieur une lettre dont je vais donner lecture à la Chambre :

« Bruxelles, le 30 août 1859.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur île vous faire connaître et je vous prie de vouloir bien informer MM. les membres de la Chambre que l'inauguration du monument élevé au Congrès national aura lieu le 26 septembre prochain.

« Une cantate sera exécutée, à l'occasion de cette solennité, devant le palais de la Nation. Les Chambres se rendraient ensuite en cortège, si elles veulent bien le décider ainsi, à la place du Congrès, où une enceinte particulière leur sera réservée, pour assister à l'inauguration du monument.

« Un programme indiquant l'heure et les détails de la cérémonie sera adressé aux membres de la Chambre individuellement.

« Agréez, M. le président, l'assurance de ma haute considération.

« Le ministre de l'intérieur, Signé : Ch. Rogier. »

- La Chambre décide qu'elle assistera en corps à cette cérémonie.

Nomination de la commission d’enquête sur les élections de Louvain

M. le président. - Le bureau a été chargé par la Chambre de nommer la commission d'enquête relative aux élections de Louvain, pour le cas où le projet de loi qui a été transmis au Sénat serait adopté par cette assemblée.

Le bureau a procédé à cette nomination. S'il n'a pas attendu que le Sénat ait statué sur le projet de loi, c'est que la Chambre des représentants devant se séparer aujourd'hui ou demain, les membres du bureau ne se seraient plus trouvés pour nommer la commission.

Voici la composition de la commission :

Titulaires. Suppléants.

MM. E. Vandenpeereboom, A. Coppieters.

MM. De Fré. de Gottal.

MM. Coomans. Notelteirs.

Ajournement indéfini de la chambre

M. le président. - Nous passons à un antre proje tde l'ordre du jour.

- Des membres. - L'ajournement indéfini.

- Un membre. - Et le projet de loi sur les péages du canal de Charleroi ?

- Des membres. - Renvoyé à la session ordinaire.

.M. Dechamps. - Je ne sais si le gouvernement est d'accord avec la section centrale sur la question des péages.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non.

.M. Dechamps. - Si la Chambre se séparait aujourd'hui, je demande qu'elle décide que la loi sur la réduction des péages soit mise en première ligne à l'ordre du jour pour l'époque de la reprise de ses travaux.

M. Lesoinne. - Je demande qu'il en soit de même du projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.

- Ces propositions sont adoptées.

La Chambre s'ajourne jusqu'à convocation ultérieure, s'il y a lieu.

La séance est levée à 4 1/2 heures.