(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)
(page 202) (Présidence de M. Orts.)
M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures ; il lit le procès-verbal de la séance du 20 août, dont la rédaction est adoptée.
Il présente ensuite l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur de Beuwer demande que le gouvernement veille à l'armement et à l’instruction de la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Letoret prie la Chambre de donner suite à sa demande relative à la réclamation du sieur Fafchamps. »
- Même disposition.
« Les membres du conseil communal de Renlies prient la Chambre d'accorder à la compagnie Delval, la concession d'un chemin de fer de Manage à Momignies par Thuin et Beaumont. »
- Même disposition.
« Le sieur Van Damme, porteur de contraintes à Saint-Laurent, demande que sa position soit améliorée. »
- Même disposition.
« Les membres de l'administration communale de Blankenberghe prient la Chambre de voter l'établissement d'un port de refuge proposé pour cette ville. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique.
« Le sieur Lecompte présente des observations contre les travaux de défense projetés à Anvers, et propose d’établir un grand camp avec fortins sur la Montagne-de-Fer, près de Cortemberg. »
- Même disposition.
« Le conseil communal de Louvain demande que le projet de loi de travaux publics comprenne ; 1° la construction d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot, avec embranchement sur Diest, en accordant, au besoin, la garante d'un minimum d'intérêt ; 2° la construction de deux coupures destinée à relier le Demer à Werchter au canal de Louvain, et à Diest au canal de la Campine. »
- Même disposition.
« Des négociants, armateurs, commissionnaires et industriels à Ostende, prient la Chambre de voter le crédit proposé par le gouvernement pour l'approfondissement du canal de Bruges à Gand. »
- Même disposition.
« Par lettre du 20 août, l'administration communale de Tournai adresse à la Chambre 116 exemplaires d'une requête émanée du conseil communal de cette ville et qui se rattache au projet de loi général de travaux publics. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
« Des habitants de Louvain transmettent des renseignements tendants à démontrer que les faits signalés à propos des élections de l'arrondissement sont erronés et prient la Chambre de valider les élections. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Wasseige. - Messieurs, la pétition dont il vient d'être présente l’analyse et dont un exemplaire a été adressé ce matin à tous les membres de la Chambre, contient des révélations excessivement graves.
Vous avez ordonné une enquête sur la validité des élections de Louvain, parce que certains faits vous avaient été signalés comme des faits de corruption électorale, et que des noms propres étaient cités à l’appui de ces faits. Vous avez désiré vous éclairer sur ces faits, avant de vous prononcer sur la validité des élections, eh bien il résulte de la pétition dont je parle et des pièces qui y sont jointes, que la plupart des faits, que les plus importants du moins dont il était question dans la dénonciation contre élections de Louvain sont démentis d'une manière, je pourrais dire quasi officielle ; les faits restant debout sont tout à fait insignifiants, ils ne me paraissent mériter à aucun titre l'honneur d'une enquête, cela deviendrait presque ridicule.
Dans ce nouvel état de choses, je crois que nous devons à l'arrondissement de Louvain qui désire naturellement voir valider le plus tôt possible l'élection de ses représentants nous lui devons, dis-je, de renvoyer cette pétition à la commission qui avait été chargée d'abord de vérifier les élections, avec prière de se livrer à un nouvel examen de toutes les pièces et demande d’un prompt rapport.
Je pense que si l'on veut y mettre de la bonne volonté, et je ne doute pas qu'on ne le veuille ; je pense que le rapport pourrait être déposé dans un très bref délai ; demain peut-être. Je demande donc qu'on suspende la discussion du projet de loi relatif aux mesures organiques de l'enquête, jusqu'à ce que le rapport ait pu être présenté.
A mon avis, il peut résulter de l'examen de la pièce et des faits nouveaux qu'elle fait connaître un tout autre système que celui qui a prévalu d'abord dans l'esprit de la commission et peut-être reconnaîtra-t-elle de bonne foi que l’enquête devient complètement inutile.
Or, vous n'avez pas ordonné une enquête pour le plaisir d'en faire une ; nous devons tous désirer le contraire, que ces mesures exceptionnelles soient aussi rares que possible, et lorsqu'un nouvel examen, un retard de 24 heures seulement, peut avoir pour résultat de nous rendre immédiatement quatre collègues, et à l'arrondissement de Louvain. quatre défenseurs zélés, personne dans cette Chambre ne se refusera à cette deuxième preuve de bonne volonté, de loyauté et de justice envers les élus de Louvain.
M. Pirmez. - Messieurs, je crois que nous ne pouvons plus discuter la question de savoir si l'enquête aura lieu ou non. La Chambre a ordonné l'enquête, elle doit être faite. Il faut que par l’audition de témoins, entendus sous la foi du serment et avec toutes les formalités nécessaires, on s'assure de la réalité des faits allégués contre les élections de Louvain.
L'honorable M. Wasseige nous apprend qu'il a été déposé une nouvelle pétition dans laquelle les faits sont démentis. Je crois que ce document, ainsi que tous les autres qui sont relatifs à la même affaire, doivent être renvoyés à la commission d'enquête qui sera nommée par la Chambre. Cette commission pourra entendre les personnes qui ont signé la nouvelle réclamation comme elle entendra toutes les autres personnes qui auront des renseignements à fournir ; tous les droits seront ainsi garantis, et l'instruction terminée, la Chambre prononcera en parfaite connaissance de cause.
Je propose en conséquence de renvoyer la pétition à la commission d'enquête qui sera nommée par la Chambre, après l'adoption du projet de loi.
M. de Theux. - Messieurs, j'ai remarqué que les personnes nominativement désignées comme ayant été témoins des faits qui ont déterminé la Chambre à ordonner une enquête, ont dénié publiquement la vérité des faits qui avaient été articules, et ont déclaré n'en avoir pas connaissance.
Évidemment, messieurs, si ce fait s'était produit avant la discussion à la suite de laquelle l'enquête a été ordonnée, l'enquête n'eût pas été ordonnée.
Ce qui reste des faits articulés contre l'élection de Louvain est tellement dénué de toute apparence de vérité que l'enquête ne pourra aboutira aucun résultat utile. Eh bien, je crois que, dans cette circonstance, surtout en présence du projet de loi qui va être discuté et qui intéresse si essentielle ment l'arrondissement de Louvain, car il s'agit de travaux publics à exécuter sur son propre territoire, il est de la dignité de la Chambre de procéder à un nouvel examen de la réclamation.
Si la Chambre persiste dans sa résolution les documents seront envoyés à la commission d’enquête. Mais comme je crois qu'après examen des faits articulés dans la pétition, il sera reconnu que ces faits n'existent pas, il me semble que la Chambre peut parfaitement et sans porter aucune atteinte à sa dignité, revenir sur sa décision première. C'est le fait d’un juge qui, mieux informé, revient sur sa première sentence.
M. Carlier. - Les idées que j'ai à émettre sont absolument les mêmes que celles que l'honorable M. Pirmez vient de faire valoir. Je me contenterai d'ajouter une observation qui me semble détruire complètement le raisonnement de l'honorable M. de Theux ; c'est que, revenir sur l'enquête que nous avons ordonnée, me semble impossible au point de vue légal.
Une chose qui a été ordonnée doit nécessairement se faire et il ne serait pas en notre pouvoir de revenir sur ce que nous avons décidé à cet égard. (Interruption.) Il y a plus : nous avons ordonné l'enquête à la suite d’une pétition qui nous a été adressée et qui portait à notre connaissance des faits d'une extrême gravité.
La résolution que nous avons prise ne décide absolument rien quant à la constatation des faits incriminés ; attendu que si ces faits nous avaient été acquis, il devenait parfaitement inutile d'ordonner une enquête. Or, que nous présente-t-on pour revenir sur cette décision ? Une nouvelle pétition portant également à notre connaissance des faits qui probablement sout en contradiction avec les premiers.
Eh bien, messieurs, de même que nous n'avons pas ajouté une entière confiance à la première pétition, de même nous ne pouvons pas ajouter une confiance entière à la nouvelle.
Il y a donc lieu, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, de remettra ces deux pétitions à la commission d’enquête, et d'appeler devant cette commission toutes les personnes en position de faire découvrir la vérité.
On entendra les témoignages dans l'un et dans l'autre sens et la lumière se fera. Il me semble, messieurs, que, dans l'intérêt même des représentants de l’arrondissement de Louvain, il est indispensable que la vérité soit connue. Si les élus du collège électoral de Louvain doivent venir siéger parmi nous, il importe qu'il soit établi que leur élection n'a été marquée par aucun fait de corruption électorale, qu'ils n'ont employé, pour se faire élire, aucun moyen qui devrait les faire repousser.
(page 203) La possibilité d'un résultat favorable de l'enquête doit donc engager la droite à voter comme nous.
M. B. Dumortier. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir ne croit point qu’il soit possible à la Chambre de revenir sur sa première résolution. Il craint qu'un tel retour sur sa première décision ne soit contraire à sa dignité. Cependant, messieurs, vous avez pu le voir par le rapport, ce fait n'est point sans précédent ; c'est précisément ce qui s'est fait en 1831.
Lorsqu'une proposition d'enquête sur les désastres de juillet fut présentée à la Chambre, l'enquête fut ordonnée, et plus tard cette décision a été de fait rapportée en refusant à la commission les moyens de faire l'enquête. Ce fait est historique, j'en appelé particulièrement à l'honorable M. de Brouckere. Dès lors il n'est pas vrai de dire qu'une telle résolution serait contraire à la dignité de la Chambre.
Il y a, messieurs, un autre motif et un motif extrêmement sérieux, c'est qu'en définitive nous nous trouvons en dehors de la Constitution et des lois.
Que veut la Constitution ? Elle exige que quand un député donne sa démission, une nouvelle élection ait lieu dans le cours du mois. Elle exige que dans le cours du mois le député sortant soit remplacé. Pourquoi ? Parce qu'on n'a pas voulu laisser un district sans représentant. Eh bien, messieurs, voilà près de six semaines que le district de Louvain est sans députés.
Est-ce que cela est très constitutionnel ? Je ne le crois pas. En Angleterre, quand on fait une enquête de ce genre, on siège immédiatement et sans désemparer pour ne pas priver un district de ses députés ; et nous, nous continuerons à priver le district, de Louvain de ses six mandataires, de ses quatre mandataires pour la Chambre et de ses deux mandataires pour le sénat.
Il faut convenir qu'avec de pareils procédés, vous pourriez supprimer toute la droite. Vous qui êtes majorité vous pourriez mettre toute la droite de la Chambre à la porte, et comme vous êtes ici 70, à ce que j’ai vu dans des journaux, vous feriez une Chambre très constitutionnelle ; vous marcheriez parfaitement bien, puisqu'il n'y aurait plus d’opposition.
Je dis que cela ne peut pas se faire. Il y a des limites à toute chose, Vous avez voulu une enquête. Pourquoi ne l'avez-vous pas faite ? Rien ne vous a empêchés de la faire. Voilà six semaines que la vérification des pouvoirs des députés de Louvain est suspendue et la Constitution exige qu'un district ne reste pas plus d'un mois sans député.
D’autre part, mon honorable ami M. de Theux vous a présenté une considération que vous ne pouvez pas méconnaître. Comment ! il s'agit de discuter un projet de loi de travaux publics dans lequel le district de Louvain a le plus grand intérêt, et, veuillez-le remarquer, c'est précisément la seule dépense qui intéresse ce district sans députés, que l'on propose de retrancher du projet ! On retrancherait la dépense qui intéresse ce district en l'absence de ses députés ! Mais que vous dira cette partie du pays ? elle vous dira : Vous êtes doublement injustes envers nous, puisque, d'une part, vous nous privez de nos députés, et d'autre part vous nous privez de défenseurs. Vous nous frappez donc de deux côtés. Et pourquoi ? Parce que les élections de ce district n'ont pas été à votre gré. (Interruption,) Voilà ce que dira le district.
Messieurs, il reste aujourd'hui bien établi que les faits articulés dans la pétition, que les faits qui ont une signification, n'ont aucune espèce de fondement. Que vous disait l'honorable M. Carlier dans la séance où l'on a voté l'enquête ? Il vous disait ceci : Il suffit du cinquième fait relatif à Courtois et à Vaes, pour justifier l'enquête. Effectivement c'était le fait qui paraissait le plus pertinent. L'honorable membre l'avait fort bien saisi. On disait dans ce fait, qu'on avait donné de l'argent à des électeurs, non pour voyager, mais pour voter.
Et maintenait que reste-t-il de ce fait ? On vous dit que Louis Courtois, domicilié à Tirlemont et Denis Vaes, domicilié à Kersbeek-Miscom oui reçu de l’argent pour voter en faveur des candidats cléricaux.
Voilà le fait le plus grave, le plus sérieux, comme l'avait très bien fait remarquer l'honorable M. Carlier.
Or, il est aujourd'hui prouvé : 1° quant à Louis Courtois, qu'il n'existe pas de Louis Courtois à Tirlemont. J'ai moi-même vérifie les listes électorales, et je puis vous assurer qu'il ne s'y trouve pas de Louis Courtois, électeur à Tirlemont.
Voilà donc un fait faux, un fait controuvé qu'on est venu avancer à la Chambre. Chacun peut en acquérir la preuve. Il ne faut pas d'enquête pour cela. Vous n'avez qu’à vous transporter au greffe et à examiner les listes électorales de Tirlemont,
En second lieu Denis Vaes a reçu de l'argent pour voter en faveur des candidats cléricaux. Eh bien, ui a proclamé que le fait est faux ? Mais c'est votre organe, c'est l'Echo du Parlement qui est venu dire que M. Denis Vaes était un homme trop honorable pour se laisser acheter son vote. Voilà donc l'organe du cabinet, l'organe d'une grande partie de la gauche qui vient déclarer que le fait est faux.
Ainsi de ce double fait, l'un est proclamé faux par nos adversaires eux-mêmes, et quant à l'autre, vous n'avez qu'à nommer deux personnes pour examiner les listes électorales de Tirlemont et vous devez bien reconnaître qu'il n'y a pas de Louis Courtois, électeur à Tirlemont. L'accusation était donc encore fausse.
Voilà des faits qui sautent aux yeux de tout le monde. Or remarquez que ces deux griefs reprochés aux élections de Louvain étaient ceux sur lesquels l'honorable M. Carlier basait ses motifs d'annulation de cette élection. Eh bion, est-il possible de démontrer d'une manière plus claire la fausseté des assertions que nous avons rencontrées dans la pétition ?
D'une part c'est votre organe qui dit que quant au second fait il est inexact, que M. Vaes est un homme trop honorable pour recevoir de l'argent, et si cela vous fait plaisir, je vous ferai un extrait de l'Echo du Parlement.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Carlier. - Nous ne jugeons pas d'après l'Echo du Parlement.
M. B. Dumortier. - Il n'en est pas moins vrai que les faits sur lesquels notre honorable collègue se basait pour demander l'enquête sont reconnus tous deux faux.
M. Carlier. - Sont révoqués en doute.
M. B. Dumortier. - Ils ne sont pas révoqués en doute. L'Echo du Parlement déclare un de ces faits faux, et l'Echo du Parlement est l'organe d'une partie de la gauche, vous le savez bien, c'est la gauche qui l'a fondé.
Vous n'aviez qu'une présomption et maintenant vous avez une déclaration qui émane de votre propre organe.
Quant à Courtois, je le répète, vous pouvez vous assurer de la fausseté du fait en examinant les listes électorales.
Maintenant que les faits vous sont démontrés de toute fausseté, n'y a-t-il pas lieu d'appliquer ici ce que vous disait l'honorable M. de Brouckere à propos de l'élection de M. Jadot, qu'il y a de la mauvaise foi dans la pétition ?
Quoi ! on vient vous dire qu'un M. Courtois, domicilié à Tirlemont (et l'on cite les témoins qui viendront déposer du fait), a reçu de l'argent pour venir voter pour les candidats cléricaux, et il n'y a pas de Courtois à Tirlemont. Vous devez bien reconnaître que c'est là un fait de toute fausseté.
Ce n'est pas tout. Dans le n°3 des nouveaux faits, on vous dit que M. Van Cleynenbreugel, édnvin à Tremeloo, a déclaré connaître des personnes auxquelles le curé de la commune a offert de l'argent et des billets. Que fait ce M. Van Cleynenbreugel ? Il fait insérer dans les journaux la lettre suivante ;
« Monsieur l'éditeur.
« Je soussigné, Vau Cleynenbreugel, ai l'honneur de vous faire savoir que j'ai lu dans votre journal que j'aurais dit à une personne notable que le curé de Tremeloo a distribué de l'argent et des billets le jour de l’élection du 14 juin 1859. Je déclare hautement que je n'ai jamais dit cela du curé de Tremeloo.
« (Signé) : Van Cleynenbreugel. »
Et voilà les faits sur lesquels on base une proposition d'enquête, voilà les faits en vertu desquels on laissera un district pendant des mois sans représentants ! Or, tous les faits essentiels sont de cette catégorie. Ils sont tous démentis ; il ne reste plus que des faits dont le vague est tel qu'ils sont insaisissables. Ainsi on vous dit qu'il y a un vicaire qui a donné 250 francs. Eh bien, messieurs, il est aujourd’hui démontré qu'il n'y a ni curé ni vicaire dans cette paroisse. (Interruption.) Prenez l'Almanach royal au greffe de la Chambre et vous verrez qu’il n'y a dans telle paroisse ni cure ni vicaire.
Et c’est sur des faits semblables qu'on prive un district de ses représentants !
Maintenant il y a des faits que vous pourrez apprécier ; par exemple l'affaire Coppyn, qui a fait tant de bruit, d'abord et dont on n'a plus parlé ; pour moi je trouve que c'est là un fait très grave contre l'enquête ; car, ainsi que l'a fort bien dit M. Orts, il aurait compris qu'on s'appuyât sur ce fait si le parti contraire avait triomphé. Comment ! messieurs, un domicile a été violé et aucune des formalités constitutionnelles pour la visite domiciliaire n'a été remplie ? et on fait de cela un grief contre les élus ; d'un fait qui a été pose à leur préjudice !
Quant à moi, messieurs, après avoir examiné tous ces faits et quand je vois que tout ce qu'il y avait de positif dans les accusations se trouve démenti de la manière la plus éclatante, je dis que la Chambre peut très bien faire ce qui a été fait en 1831 et non seulement elle peut le faire, mais elle doit le faire en présence de l'article de la Constitution qui défend de priver un arrondissement de ses députés pendant plus d'un mois.
M. E. Vandenpeereboom. - A entendre les honorables membres de l'autre côté de la Chambre, on dirait que nous discutons encore la question de savoir s'il y aura une enquête, ou s'il n'y en aura pas. Cette question est décidée, et il ne s'agit plus que d’organiser l'enquête.
L'honorable M. Dumortier dit que la Chambre peut faire ce qui a été fait en 1831. Je suppose que l’honorable membre parle de mémoire ; mais moi, je viens de relire, il y a dix minutes, toute la discussion de 1831, et voici ce qui est arrivé.
On a décidé qu’il y aurait une enquête ; une commission a été (page 204) nommée, et elle a fait un règlement. Ce règlement n'a pas été admis et les membres ont donné leur démission pour ce motif. (Interruption.) C'est cette seule circonstance qui a fait manquer l’enquête. Il n'est donc pas exact de dire que la Chambre de 1831 a révoqué sa première décision sur ce point. L'enquête n'a manqué que parce que les membres nommés, voyant leur règlement rejeté, ont résigné leur mandat. (Moniteur de 1831, numéro 171). Il ne serait, d'ailleurs, pas difficile de prouver à la Chambre qu'elle n'a pas besoin de règlement-loi, pour faire une enquête, qu'elle peut faire une enquête à elle seule, suivant les dispositions à prendre par elle seule.
M. Dumortier dit : « Pourquoi tardez-vous à faire l'enquête ? » Mais s'il y a du retard dans cette affaire, c'est un peu la faute de nos honorables adversaires ; nous voulions nommer une commission ; vous avez insisté pour le renvoi aux sections, et de là d'inévitables délais. On dit : « Voilà deux mois que Louvain est privé de ses représentants. » En Angleterre ces opérations durent quelquefois 3 et 4 mois.
Il y a eu, en Angleterre, une session tardive, elle est close, et il y a encore 10 ou 12 membres qui ne sont pas admis.
Messieurs, je crois que nous devons passer à l'objet qui est à l'ordre du jour et ne pas mettre en question une affaire qui a été décidée par la Chambre. Cela n'est pas possible ; cela ne s'est jamais fait. Nous ne pouvons pas admettre qu'une majorité, autre peut-être que celle qui a pris la première décision, puisse venir décider le contraire.
Il n'y aura plus rien de certain dans cette Chambre, si nous venons à décider blanc et noir à quelques jours de distance.
Je demande donc qu'on passe à l'ordre du jour.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, ce n'est pas pour combattre la proposition de l'honorable M. Wasseige que j'ai pris la parole ; la Chambre prendra sur cette motion telle décision qu'elle jugera convenable. Mais je ne puis pas laisser sans réponse l'étrange langage que vient de tenir l'honorable M. B. Dumortier.
L'honorable membre vient d'accuser la gauche d'avoir abusé de son pouvoir en prescrivant une enquête sur les élections de Louvain. Il a été plus loin : il a dit qu'en suivant un pareil système, on pourrait arriver à expulser de la Chambre tous les membres de la droite, en ordonnant des enquêtes sur leur élection.
Nous ne pouvons pas sur nos bancs laisser passer un tel langage. Je crois qu'il y a inconvenance à accuser un côté de la Chambre d'être capable de commettre un semblable abus de pouvoir. Cela ne s'est jamais vu dans aucun parlement, et ce n'est pas, à coup sûr, le parlement belge qui en donnera le premier l'exemple.
Messieurs, avons-nous abusé de notre pouvoir en prescrivant une enquête sur les élections de Louvain ? Je dis que nous en avons si peu abusé qu'il était impossible de ne pas prescrire une enquête.
Je sais bien que la droite a voté contre ; mais je n'hésite pas à penser, et je ne lui en fais pas un crime, que la droite a écouté dans cette affaire ses sentiments bien plus que sa raison. (Interruption.)
Permettez ; il n'y a, à coup sûr, rien qui puisse déplaire dans cette opinion ; je dis que la droite s'est trompée, qu'elle a écouté plus ses sentiments que sa raison, et qu'il était impossible de ne pas prescrire l'enquête. On eût porte l’affaire devant un tribunal ou devant un jury quelconque qu'il eût prescrit une enquête et qu'il n'eût pas pu faire autrement.
Premièrement, les faits signalés étaient tous d'une telle gravité qu'à moins qu'on ne démontrât que ces faits étaient faux, il était impossible de valider l’élection. Je l'ai démontré et je suis prêt à le démontrer encore, si on le contestait.
Mais il y a bien autre chose. La Chambre sait très bien que nous avions été précédés par le Sénat dans l'examen de cette affaire ; le Sénat avait ordonné une enquête. Eh bien, messieurs, veuillez bien réfléchir à la position dans laquelle nous eussions pu nous mettre en ne prescrivant pas l'enquête. Nous eussions donc, si nous avions écouté la droite, admis d'emblée les députés de Louvain ; très bien ; le Sénat ayant prescrit une enquête, cette enquête devait s'opérer. Je suppose, ce qui pouvait arriver, qu'à la suite de l'enquête du Sénat, le Sénat eût été amené à annuler l'élection des deux sénateurs de Louvain, dans quelle position se fût trouvée la Chambre ? Est-ce qu'on croit que la considération de la Chambre se serait trouvée bien relevée, après avoir admis quatre députés, compris dans une élection que le Sénat aurait annulée ?
Et quelle eût été la position des électeurs de Louvain eux-mêmes ? L'élection dont ils étaient le résultat était déclarée nulle, et eux-mêmes auraient siégé ici en vertu de la même élection ! Cela était impossible. Il était donc impossible que la Chambre ne prescrivît pas une enquête.
On nous fait une autre objection. « Vous avez, nous dit-on, prescrit une enquête ; vous en aviez le droit ; mais vous auriez dû donner immédiatement suite à la décision et procéder sans délai à l'enquête. »
Je réponds qu'il était impossible que nous allassions d'une heure plus vite que nous n'avons marché. J'avoue que j'en suis très peiné ; j'ai dit, à plus d'un de mes honorables collègues, que j'étais extrêmement peiné que le vote par lequel nous avons prescrit l'enquête ait eu pour résultat de priver aussi longtemps l'arrondissement de Louvain de ses représentants. Mais était-il possible qu'il en fût autrement ?
En effet, supposons que le lendemain du jour où l'enquête a été votée, nous eussions nommé la commission. Cette commission ne pouvait pas agir sans la commission du Sénat. (Oh ! oh !)
Vous avez beau dire : oh ! oh ! ces oh ! oh ! peuvent être très éloquents dans certaines circonstances ; mais ici ils sont sans aucune valeur. Je répète que nous eussions le lendemain nommé la commission qu'elle n'aurait pas pu commencer ses opérations.
Vous ne voulez pas sans doute que nous fassions une enquête séparée et le Sénat une enquête séparée sur des faits qui sont communs aux deux Chambres. Je trouve que nous eussions singulièrement manqué au Sénat en procédant de la sorte, et que si le Sénat avait procédé ainsi, j'aurais dit que le Sénat aurait singulièrement manqué à la Chambre. Je dis que l'enquête portant sur des faits communs, doit se faire par une commission d'enquête, nommée en commun par les deux Chambres. Or, le Sénat n'a pas siégé depuis que la Chambre a ordonné l'enquête ; nous ferons en sorte de la réglementer pour le moment où le Sénat siégera.
Messieurs, savez-vous ce qui est regrettable ? il est regrettable que le Sénat, après avoir prescrit une enquête, n'ait pas donné immédiatement suite à la décision. Nous aurions été saisis d'un projet de loi ou d'une réglementation quelconque, et nous aurions pu alors faire ce qu'aurait fait le Sénat. Mus le Sénat s'étant tenu à prescrire une enquête et n'ayant rien ordonné en sus, il nous était impossible d'aller en avant avec notre enquête, avant que le Sénat nous eût prêté la main pour l'exécution.
Je dis donc que nous sommes complètement irréprochables. Quand nous avons prescrit une enquête, nous l'avons prescrite, parce qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement. Quant à moi, je l'ai fait avec regret ; ce regret, je l'ai exprimé le premier jour, je l'exprime encore aujourd'hui. Je regrette aussi que l'enquête n'ait pu avoir lieu plus tôt ; mais nous avons été dans l'impossibilité d'agir plus promptement que nous ne l'a vous fait.
M. Wasseige. - Messieurs, l'honorable M. H. de Brouckere a déclaré en commençant son discours qu'il ne combattait pas ma proposition ; il reconnaît donc implicitement que la Chambre aurait le droit de décider qu'il n'y aura pas d'enquête après avoir décidé qu'il y en aurait une. Il est, d'ailleurs, un fait incontestable : c'est que la Chambre a toujours le droit de défaire ce qu'elle a fait.
Il y aurait peut-être inconvenance ou légèreté à agir de cette manière, s'il n'y avait pas de faits nouveaux ; aussi, nous serions-nous bien gardé de faire notre proposition, si des faits nouveaux n'avaient pas été présentés. Mais puisque la pétition, arrivée aujourd'hui à la Chambre, révèle des faits nouveaux, des faits très graves, je pense qu'il y a lieu de renvoyer la pétition à la commission qui a été chargée de vérifier les élections de Louvain. La commission, après un examen attentif, pourra peut-être revenir sur sa première décision et proposer à la Chambre la validation immédiate des députés de Louvain.
Il est à remarquer que les démentis qui sont donnés aux faits allégués dans la première réclamation, portent précisément sur les faits les plus graves, et qu'il y a de ces démentis tellement catégoriques, qu'il est impossible qu'une enquête quelconque vienne les infirmer ; c'est, par exemple, un curé, un vicaire qui n'existent pas ; c'est un électeur qui ne se trouve pas sur les listes électorales.
Messieurs, on vous a dit que la pétition ne faisait elle-même que d'alléguer des faits, et que, par conséquent, des faits contraires étant allègues de part et d'autre, il n'était que plus indispensable de procéder à une enquête. Mais il n’en est rien, messieurs, la chose est bien différente. Dans la première pétition, il n'y a en effet que des faits allégués, avec indication des personnes auteurs de ces faits ou des individus aptes à en témoigner.
Mais ce ne sont pas des allégations qui sont contenues dans la pétition qui nous occupe, c'est la dénégation la plus complète, la plus catégorique des faits allègues par les personnes mêmes désignées comme auteurs de ces faits. Il y a, vous le voyez, une grande différence entre ces deux situations ; elles ne peuvent aucunement se comparer.
Que disent nos contradicteurs ? C'est que si les faits qui sont simplement allégués contre les élections de Louvain avaient été prouvés, ce n'est pas une enquête que la Chambre eût ordonnée, mais l'annulation des élections qu'elle eût prononcée. Or, si les faits dont l'allégation a déterminé la Chambre à ordonner l'enquête paraissent suffisamment contredits par les démentis et les pièces jointes à la nouvelle pétition qui nous occupe, et j'ai la conviction, quant à moi, qu'il ne serait ainsi, le même sentiment de justice qui vous faisait dire tout à l'heure que vous eussiez annulé d'emblée les élections de Louvain, devrait vous les faire valider immédiatement sans recourir à l'enquête.
L'honorable M. de Brouckere disait tout à l'heure que les faits allégués contre les élections de Louvain étaient tellement graves que les tribunaux eux-mêmes n'auraient pu se dispenser de faire une enquête sur ces faits.
C'est probablement pour cela qu'aucun parquet ne s'en est occupé ; et cependant tous les faits articulés sont prévus par le Code pénal. lI y avait des magistrats responsables et amovibles à qui incombait le devoir de poursuivre les auteurs de ces faits ; et cependant aucun d'eux ne s'est bougé. La notoriété publique s'est cependant occupée des faits articulés, les journaux en ont retenti longtemps ; des journaux libéraux (page 205) ont fait appel à l'article 112 du Code pénal, et malgré cela, pas un membre du parquet n'a commencé des poursuites ; malgré des présomptions aussi fortes, on a soutenu ici qu'il y avait des faits d'une telle gravité qu'on ne pouvait pas se dispenser d'ouvrir une enquête.
Cela me paraît, permettez-moi de vous le dire, d'une inconséquence immense.
On dit que, dans le vote sur les élections de Louvain, la droite de cette Chambre s’est laissé guider bien plus par le sentiment que par la raison. Il y a eu une circonstance, messieurs, où ce reproche aurait pu être adressé avec bien plus de raison à une partie de cette Chambre : c'est lorsque, dans la même séance, elle a déclaré nulle l'élection de Dinant et déclaré valable l'élection d'Ath. C'est alors surtout qu'on aurait pu dire qu'une fraction de cette Chambre s'était laissé guider par le sentiment plutôt que par le raisonnement.
On dit encore qu'en tout état de chose la Chambre aurait dû ordonner une enquête parce que déjà le Sénat avait pris une résolution dans ce sens, parce qu'il eût été singulier que les élections eussent été validées par la Chambre et soumises à une enquête et peut être annulées ensuite par le Sénat. Mais, messieurs, supposez que la même pétition qui nous occupe soit présentée au Sénat et que le Sénat prenne, sur cette pétition, une autre résolution que la Chambre, est-ce que la même anomalie ne se présentera pas ? Quoi que l'on fasse donc, on s'expose à la même anomalie ; car enfin, quand l'enquête aura été faite, il est très possible que vous déclariez les élections valables et que le Sénat les annule et vice-versa.
II est évident, messieurs, et M. le ministre de l’intérieur l'a reconnu lui-même, qu'il est extrêmement regrettable que l'arrondissement de Louvain ne soit point représenté dans cette enceinte. M. le ministre de l'intérieur a lui-même exprimé le regret que, à l'occasion d'une question comme celle des fortifications d'Anvers, cet arrondissement n'eût pas ici ses représentants légaux ; et il ajoute que c'était à cause de l'urgence de la loi qu'il n'était point possible d'attendre le résultat de l'enquête.
Eh bien, messieurs, il est maintenant possible de rendre, au moins en partie, justice à cet arrondissement ; il nous reste encore à voter une partie importante de la loi sur les travaux publics, et, remarquez-le, messieurs, le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, la seule part du gâteau qui était réservée à l'arrondissement de Louvain, on propose de la lui enlever. Eh bien, je le demande, l'arrondissement de Louvain ne pourra-t-il pas vous dire que c'est parce qu'il n'avait pas ici ses représentants qu'il n'a pas eu la part qui lui revenait ?
Et remarquez bien, messieurs, que je ne vous demande pas de décider dès maintenant que l'enquête n'aura pas lieu et que les élections seront dès maintenant validées. Non. je demande simplement qu'on examine plus mûrement que nous ne pouvons le faire ici, la pétition qui nous est adressée ; je demande qu'on la renvoie à ceux qui ont examiné la première pétition, et je suis persuadé que pour demain nous aurions un rapport sur lequel nous pourrions délibérer.
On ne peut pas refuser à ce malheureux arrondissement de Louvain d'attendre jusqu'à demain pour délibérer sur son sort ; cela serait bien peu généreux, cela aurait toute l'apparence d'un parti pris contre la minorité. Les décisions de la Chambre ne doivent jamais avoir ce caractère, pour être ratifiées par le pays.
M. Pirmez. Le motif que vient de donner en dernier lieu l'honorable M. Wasseige en faveur de sa proposition me semble précisément devoir la faire rejeter par la Chambre.
II se plaint de ce qu'on tarde trop à en finir avec les élections ; c'est pour ne pas augmenter encore ce retard que je suis d'avis que la Chambre doit s'occuper immédiatement de la loi qui lui est soumise. Pourquoi introduire un nouvel incident, faire naître de nouvelles discussions qui certainement n'accéléreront pas la solution de la question ? Que s'est- il passé, messieurs, à propos de cette affaire ? Depuis que la Chambre a ordonné une enquête sur les élections de Louvain, certaines personnes se sont imaginé de procéder elles-mêmes à une enquête quelconque. Elles en apportent le résultat et viennent demander à la Chambre de s'en contenter, de prononcer d'après les renseignements qu'elles donnent.
La pétition sur laquelle M. Wasseige s'appuie établit bien clairement cette intention :
Le 16 juillet dernier, la Chambre a cru devoir ordonner une enquête pour éclaircir certains faits qui lui étaient signalés à propos des élections de Louvain. Depuis lors, messieurs, tous les faits articulés comme ayant la portée d'entacher de nullité les élections de notre arrondissement ayant été reconnus erronés et même faux, nous prenons la liberté de vous le démontrer plu» loin avec les pièces à l'appui.
Ainsi, les 20 ou 30 personnes qui ont signé cette pièce seront livrées à des investigations quelconques, elles ont été dans l'arrondissement de Louvain chercher des témoignages et elles nous les transmettent en disant : La Chambre a ordonné une enquête ; nous nous sommes chargées de sa besogne ; qu'elle se contente de nos recherches ; elle n'a plus besoin de faire une enquête, en voici une tout achevée.
Or, c'est là, messieurs, vous en conviendrez, une prétention souverainement déraisonnable. Comment, en effet, pourrions-nous nous contenter d'une pareille enquête faite en dehors de toute garantie, en l'absence de toute formalité protectrice de la vérité ?
Quand il s'agit pour nous de nous prononcer sur la réalité ou sur la fausseté de faits articulés, nous devons surveiller nous-mêmes les opérations de preuve, les entourer de toutes les garanties de sincérité désirables, et si nous nous contenions des déclarations des premiers venus, nous nous exposerions évidemment à porter des jugements pou équitables.
M. Rodenbach. - Vous avez cependant agi de la sorte avec la première pétition.
M. Pirmez. - Mais la première pétition a avancé des faits.
M. Rodenbach. - Des faits faux.
M. Pirmez. - Des faits dont nous n'avons pas pu contrôler l'exactitude de la fausseté.
M. Rodenbach. - C'est regrettable.
M. Pirmez. - C'est possible ; mais je le répète, la première pétition a allégués des faits dont nous ne pouvions pas vérifier le degré d'exactitude et c'est pour cela précisément que nous avons ordonné et que nous voulons une enquête, mais une enquête qui sera entourée de toutes les garanties que réclame la recherche de la vérité.
J'ai lu cette pétition ; elle parle de déclarations, elle donne copie de prétendues déclarations qui ne sont pas même annexées.
M. B. Dumortier. - Pardon, ils sont sur le bureau.
M. le président. - Je n'ai pas reçu autre chose que la pétition qui se trouve entre les mains de M. Pirmez.
M. Pirmez. - Il y a des certificats copiés dans la pétition, mais voilà tout.
M. de Naeyer. - La commission appréciera.
M. Pirmez. - Mais avant de demander à la Chambre de remettre en débat une décision qui a été précédée d'une discussion, au moins faudrait-il apporter des pièces originales à l'appui des faits allégués. (Interruption.)
Messieurs, je suis vraiment surpris de ces interruptions, car elles indiquent un renversement complet de toutes les idées reçues en matière d'enquête.
Je ne comprends pas que, quand il s'agit de rechercher si des faits sont exacts ou faux, on ne veuille pas qu'une enquête sévère, impartiale, entourée de toutes les garanties que l'on pourra trouver, soit ouverte sur ces faits.
Ainsi, messieurs, tout se résume à compliquer d'un incident de plus une question dont tous nous devons désirer une prompte solution : pour atteindre ce but que produit-on ? Une pétition signée de personnes que nous ne connaissons pas et reproduisant la copie de pièces auxquelles nous devrions croire sans même les voir.
Évidemment, la Chambre ne peut se contenter d'une pareille instruction, et elle maintiendra sa décision.
M. B. Dumortier. - L'honorable M. de Brouckere a dit, en se levant, que j'avais employé un langage étrange, parce que j'avais dit que la droite pouvait se plaindre de ce que la gauche laissait tout un arrondissement sans député dans cette enceinte, et en même temps, il est venu accuser toute la droite d'avoir écouté dans cette affaire beaucoup plus ses sentiments que sa raison.
Je crois que s'il y a un langage étrange, c'était bien plus les paroles de l'honorable membre que les miennes. Car accuser la droite d'avoir écouté les sentiments plus que la raison, c'est l'accuser d'avoir été fort injuste.
Maintenant dans cette affaire vous avez, comme je le disais tout à l'heure, un précédent. L'honorable M. E. Vandenpeereboom qui a lu, paraît-il, ce matin les faits relatifs à l'enquête de 1831, prétend que la Chambre n'a pas annulé l'enquête. Eh bien, j'en appelle aux honorables membres qui se trouvaient à cette époque sur ces bancs : N'est-il pas vrai que tout le monde savait que le rejet des mesures organiques de l'enquête était la radiation de l'enquête ?
Le jour où la Chambre a rejeté les mesures sans lesquelles la commission ne pouvait faire d'enquête, elle annulait l'enquête, moins la franchise, comme je le disais à cette époque. Puisque l'honorable membre a lu cette discussion, il a pu y voir mes paroles, et j'ai aussi relu cette discussion. De fait, on a annulé la décision précédente relative à l'enquête. Vous pourriez donc en faire de même aujourd'hui.
Mais, dit l’honorable M. de Brouckere, les faits signalés étaient d'une gravité telle, qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement. L'honneur de la Chambre ne pouvait permettre que certains de ses membres restassent sous le coup de pareilles accusations.
Messieurs, ce n'est pas la première fois que l'honneur de la Chambre laisse certains de ses membres sous le coup de graves accusations. Que s'est-il passé il n'y a pas si longtemps, en 1854 ? Dans un meeting tenu à Londres, le 23 décembre 1854, par les actionnaires de la société du chemin de fer du Grand-Luxembourg, il avait été déclaré que dix mille actions avaient été employées pour rémunérer des services secrets, dans un but de corruption, afin d'obtenir la garantie d'un minimum d'intérêt.
Voilà, je crois, une accusation de corruption formellement formulée ; et dans les registres de cette société, cette somme de 10,000 actions de la Société du chemin de fer du Grand-Luxembourg était qualifiée de parlementary rétribution, c'est-à-dire de rétribution parlementaire.
(page 206) D'une autre part, on déclarait que les fonctionnaires publics de Belgique n'avaient touché rien que ce fût dans cette affaire.
Une discussion à cet égard eut lieu dans cette enceinte. Je demandai à la Chambre de faire une enquête. Certes si quelquefois une Chambre peut se tenir pour offensée. C’est bien dans un cas semblable, alors que dans un meeting nombreux on articule un fait aussi grave que celui du don de dix mille actions dans le but d'obtenir à l'entreprise la garantie d'un minimum d'intérêt.
Eh bien, qu'a fait la Chambre ? Elle n'a pas voulu d'enquête, et |e ne vois pas que nous soyons très déshonorés pour ne pas avoir fait d'enquête.
Il est vrai que la Chambre a décidé alors que les tribunaux examineraient l'affaire, que plus tard, si elle le jugeait à propos, elle ferait cette enquête, et la Chambre pourrait la faire encore aujourd'hui, je le reconnais. Mais pourquoi donc, comme vous le disait mon honorable ami, M. Wasseige, les tribunaux n'ont-ils pas agi cette fois comme en 1854 ?
Comment ! le pays tout entier a retenti d'accusations de corruption et vous savez que la loi punit la corruption d'une manière très sévère, et les tribunaux se sont croisé les bras. Le procureur du roi n'a pas poursuivi. Le juge d'instruction, toujours si zélé pour prendre des mesures en faveur de M. de Luesemans, et qui, on doit le dire, avait communiqué ici des pièces de la procédure, puisque ces pièces se sont trouvées à la Chambre avant d'avoir paru devant les tribunaux, ce juge d'instruction n'a pas fait d'instruction, il n'y eu en pas eu.
Que s'est-il passé ? Une pétition nous est venue ici à l'improviste. Et c'est un grand vice de notre législation ; c'est qu'une pareille pétition arrive devant la Chambre avant d'avoir été communiquée aux parties intéressées.
Personne ne connaissait cette pétition. J'ai vu des députés de Louvain qui désiraient vivement connaître cette pétition et les griefs qu'on leur opposait ; ils n'en connaissaient rien. La pétition était à Bruxelles et des députés de l'arrondissement de Louvain ne la connaissaient pas. Pouvaient-ils recueillir des faits pour détruire les allégations de la pétition ? Ils ne le pouvaient pas. Le lendemain la Chambre discutait et prononçait l'ajournement ; mais depuis lors ces honorables membres ont eu le temps. Ils n'ont pas fait une enquête, comme le dit l'honorable M. Pirmez ; mais que dit la pétition qui nous est arrivée aujourd'hui ? C'est que la publicité donnée cette pièce a engagé la plupart des personnes qui y étaient indiquées mensongèrement à venir spontanément déclarer que les faits contenus dans la pétition étaient faux ; et vous avez tous pu voir dans les journaux des déclarations semblables. C'était l'un, et puis l'autre, chaque jour on venait donner un démenti aux faits allégués dans la pétition. Ce n'était pas là une enquête ; c'était l'acte spontané des personnes que les pétitionnaires avaient mises en cause.
Et quel est celui d'entre vous qui, si l'on venait signaler à la Chambre un fait faux à sa charge, ne s'empresserait de réclamer dans la presse contre cette accusation, de dire qu'elle est controuvée ? Vous le feriez tous ; et vous n'auriez pas pour cela une enquête ; vous auriez agi sous l'impression de votre conscience, vous auriez posé un acte d'honnête homme en réponse à ce qui n'était qu'une calomnie.
Eh bien, il se trouve actuellement démontré que tous les faits avancés dans la pétition, ou du moins tous les faits qualifiés de la pétition sont faux, et qu'ils sont déclarés faux par les personnes qu'on signale dans la pétition.
Mais, nous dit l'honorable M. Pirmez, nous ne savons pas si ces faits sont vrais. Mais si vous ne le savez pas, pourquoi avez-vous ordonné l'enquête ?
M. Pirmez. - Pour le savoir.
M. B. Dumortier. - Vous avez donc deux poids et deux mesures. Vous avez ordonné une enquête sur une accusation fausse. Et aujourd'hui la vérité des faits est évidente, aujourd'hui que la fausseté des accusations est démontrée, vous ne voulez pas revenir de votre décision. Vous frappez un arrondissement et vous le mettez hors des rangs des arrondissements belges pour longtemps.
Car ne vous faites pas d'illusion ; il n'y a pas d'urgence dans le projet à l'ordre du jour ; et quand l'honorable M. Pirmez dit que mon honorable ami M. Wasseige doit retirer sa motion pour qu'on procède plus rapidement, il doit se rappeler que ce que nous sommes appelés à faire, c'est une loi qui ne peut exister sans le concours du Sénat et de la couronne et que par conséquent la proposition de mon honorable ami M. Wasseige ne peut retarder en rien l'exécution de l'enquête. Quand l'enquête sera-t-elle commencée ? Quand sera-t-elle terminée ? Quand le Sénat s'assemblera-t-il ? Vous n'en savez rien. Et quand il s'assemblera, va-t-il accepter votre loi comme elle est ? Je le déclare franchement, je ne partage pas, quant à moi, l'opinion de l'honorable M. de Brouckere que c'est par égard pour le Sénat que la Chambre a agi comme elle l'a fait. Quoi qu'on en dise, je crois qu'il y a ici un manque d'égards pour le Sénat. Car enfin, en Angleterre, quand il y a une mesure à prendre en commun, que fait-on ?On demande que chaque Chambre nomme une commission pour s'aboucher. Et le fait s'est passé en Belgique. J'ai moi-même, en 1831, fait partie d'une commission mixte de la Chambre et du Sénat, lors de la proposition de M. Degorge-Legrand, pour la création d'un conseil d'Etat. La Chambre a alors demandé qu'il fût formé une commission composée de cinq membres nommés par le Sénat et de cinq membres nommés par la Chambre. J'ai eu l'honneur de siéger dans cette commission avec l'honorable M. Devaux. Nous avons eu des séances en commun, comme cela sa pratique en Angleterre.
Voilà comment les choses devaient sa passer. Au lieu de cela vous faites une loi, c'est-à-dire que vous voulez forcer la main au Sénat. Mais pensez-vous qu'il y consentira ? Ses sentiments sont peut-être différents des vôtres. Car il n'a rien dit.
A moins donc qu'il ne me soit démontré que je suis dans l'erreur, qu'il a été fait des communications que je ne connais pas, nous touchons singulièrement à la prérogative du Sénat, et je serais sénateur, que je ne serais pas disposé à souffrir qu'on portât atteinte à des prérogatives de l'assemblée dont je serais membre. Moi qui ai été le défenseur constant des prérogatives de la Chambre, je serais au Sénat ce que j'ai été ici, je ne souffrirais pas que la Chambre vînt toucher à nos prérogatives.
Je dis donc qu'on aurait dû s'aboucher avec le Sénat, qu'on aurait dû demander, comme cela se fut en Angleterre, et comme nous l'avons fait en 1831, la nomination d'une commission mixte pour délibérer sur les intérêts communs.
On ne l'a pas fait ; le Sénat n'est pas assemblé ; vous pouvez donc admettre la simple proposition d'ajournement de mon honorable ami, M. Wasseige, qui ne préjuge rien, mais qui est une satisfaction légitime pour quatre élus du peuple.
Car le peuple les a élus (interruption) ; il est vrai qu’ils ne siègent pas sur vos bancs, mais ils n'en sont pas moins les élus du peuple comme vous. Ils sont les élus du peuple par la proclamation du vote. Vous avez le choix de vérifier les pouvoirs, mais non de les créer. Vous pouvez donc avoir quelques égards pour les élus du peuple, lorsque ces mêmes élus viennent se présenter avec des pièces qui prouvent que la pétition dont vous avez été saisis, est une manœuvre déplorable, est une manœuvre déloyale, puisqu'on indique dans cette pétition de prétendus électeurs qui ne font pas partie du corps électoral, et des personnes qui n'existent pas. Messieurs, c'est là une manœuvre frauduleuse que vous ne pouvez trop sévèrement blâmer, et je dis que dans cette circonstance, comme lorsqu'il s'est agi de l'élection de M. Jadot, l'honneur de la Chambre est intéressé à ce qu'on ne vienne pas ainsi la tromper, à ce que par des mensonges on ne vienne pas la pousser à prendre des mesures injustes.
- La discussion est close.
M. le président. - Voici la proposition de M. Wasseige : « Je propose le renvoi de la pétition des habitants de Louvain à la commission chargée de la vérification des pouvoirs des représentants de Louvain avec demande d'un rapport pour demain, et la suspension de la discussion de la loi sur les mesures organiques de l'enquête jusqu'après le dépôt de ce rapport. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a aussi la proposition de M. Pirmez demandant le renvoi de la pétition à la commission qui sera chargée de faire l'enquête.
- La proposition de M. Wasseige est mise aux voix par appel nominal.
28 membres votent pour la proposition.
38 votent contre.
En conséquence, la proposition de M. Wasseige n'est pas adoptée.
Ont voté pour la proposition : MM. H. de Brouckere, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Hymans, Magherman, Mercier, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Snoy, Tack, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Wasseige et Coomans.
Ont voté contre : MM. De Fré, Deliége, de Renesse, de Rongé, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Jamar, J. Jo-ret, M. Jouret, Koeler, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Muller, Nélis, Neyt, Pierre, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van lIeghem, Van Volxem, Vervoort, Allard, Carlier, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Boe et Orts.
- La proposition de M. Pirmez, tendante au renvoi de la pétition a la commission qui fera l'enquête, est adoptée.
M. B. Dumortier. - On nous a analysé une pétition de Diest relative au même objet ; il me semble qu'elle doit avoir le même sort.
M. le président. - Il me semble que cela est de droit. Mais la Chambre a renvoyé la pétition à la commission des pétitions.
M. B. Dumortier. - Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission qui fera l'enquête, de même que toutes les autres pétitions du même genre.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
(page 207) M. de Renesse. - Messieurs, lorsque dans la séance du 16 juillet dernier la Chambre a décidé qu'une enquête serait faite sur les faits dénoncés à la représentation nationale, par rapport aux fraudes électorales qui auraient eu lieu à Louvain le 14 juin de cette année, nous qui avons voté en sa faveur, nous devions croire que cette enquête parlementaire se serait exécutée à bref délai.
Si les Chambres usent de cette prérogative constitutionnelle tout exceptionnelle, il me semble qu'elles doivent aussi avoir hâte de faire suivre immédiatement l'instruction contre les faits électoraux incriminés qui pourraient, s'ils étaient reconnus vrais, peut-être donner lieu à l'annulation de cette élection.
Mais il ne faut pas que, par le fait de la Chambre, un district électoral puisse être privé pendant plusieurs mois de ses mandataires aux Chambres législatives, à moins que des circonstances tout extraordinaires n'empêchent que l'enquête et son instruction ne puissent être terminées dans un délai rapproché de l'élection contestée.
Si des manœuvres illégales ont eu lieu, pour exercer une pression sur certains électeurs, si d'autres faits cités peuvent vider une élection, il faut, à plus forte raison, que l'instruction sur ces faits se fasse avec le plus d'activité possible, pour que l'on puisse les suivre et les vérifier.
Si j'avais pu prévoir que l'enquête ordonnée par les Chambres devait être ajournée à l'us de deux mois du jour de l'élection, j'eusse probablement hésité à y donner mon assentiment, ne voulant pas même donner à supposer que je me serais laissé guider par un mesquin intérêt de parti ; j'ai toujours eu pour principe que, dans la vérification des pouvoirs, il fallait avant tout considérer la sincérité des élections, la pleine et l'entière liberté de l'électeur, et qu'aucune pression illégale ne devait être exercée sur lui, et que les considérations de personnes ne devaient pas prévaloir, lorsqu'il s'agit de valider ou de ne pas valider des opérations électorales.
Désirant la plus grande franchise dans les élections à tous les degrés, je crois, de nouveau, devoir recommander tout particulièrement à l'honorable ministre de l’intérieur, de vouloir rechercher les moyens de prévenir les fraudes électorales et les manœuvres blâmables qui paraissent se généraliser dans certains de nos arrondissements ; en outre, le gouvernement doit pareillement rechercher de quelle manière ou pourrait obvier aux dépenses considérables qu'entraînent actuellement les élections aux Chambres, dans un assez grand nombre de nos districts électoraux, et qui, depuis quelques années, semblent s'accroître ; si l'on ne s'empresse de porter un remède radical à ce véritable abus, il n'y aura probablement dans le futur que des personnes appartenant à l'aristocratie financière ou les représentants plus directs, l'état-major des riches sociétés financières, industrielles et commerciales qui pourraient encore concourir pour la représentation nationale ; le pays ne serait alors plus représenté que pour quelques intérêts matériels, trop souvent très égoïstes ; ce ne serait plus une véritable représentation qui doit se recruter, au contraire, dans toutes les forces vives de la nation.
J'ose donc espérer que l'honorable ministre de l'intérieur tiendra l'engagement pris à la session dernière, de présenter un projet de loi à la session prochaine pour réprimer les fraudes électorales et pour supprimer les frais extraordinaires que les candidats au parlement ont à subir actuellement dans un assez grand nombre de nos districts électoraux.
M. Carlier. - Messieurs, en votant l'enquête sur les élections de Louvain, j'ai eu un double but : d'abord celui de faire la lumière sur les faits de corruption électorale qui étaient signalés à la Chambre, ensuite celui de rencontrer dans la loi qui serait portée à l'effet d'arriver à l'examen de ces faits, des mesures qui fussent de nature à empêcher dorénavant les abus que nous pourrions avoir rencontrés dans les élections de Louvain, mais qui ont pu aussi se commettre dans d'autres arrondissements sans avoir été révélés à la Chambre.
Les mesures organiques qui nous sont proposées satisfont amplement au premier but que je m'étais proposé, en ce sens qu'elles feront le jour sur les élections de Louvain, et sur la validité ou l'invalidité de ces élections ; mais je crois que mon second but, celui d'arriver par une loi à empêcher les abus qui nous ont été signalés, celui de rencontrer dans la loi une sanction de l'article 40 de notre Constitution, sanction aussi désirable que possible, les faits de 1831, dont on vient de vous parler, démontrent d'une manière péremptoire, les retards qu'a subis l'enquête relative aux élections de Louvain le démontrent encore d'une façon tout aussi positive, je dis donc que le deuxième but ne me semble pas atteint par la loi qui est proposée. Il me paraît qu'une loi générale destinée à mettre à la disposition du parlement les mesures organiques dont il a besoin pour vérifier la validité ou l'invalidité des élections, il me paraît qu'une telle loi est extrêmement désirable.
Elle est désirable à d'autres points de vue encore et la loi proposée ne peut pas donner, à cet égard, ce qu'il y a lieu d'attendre d'une pareille mesure.
La loi proposée porte sur un fait unique, c'est un décret bien plutôt qu'une loi ; or, il appartient à la Chambre de porter des lois, mais il ne lui appartient pas de porter des décrets.
Je voudrais donc une loi générale qui vînt créer une sanction que la Constitution n'a pas ajoutée à son article 40.
CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.— ! 859.
Remarquez, messieurs, qu’une loi portant sur un fait unique, spécial, peut exposer la législature à des fluctuations qui sont toujours regrettables ; une loi générale, au contraire, viendrait satisfaire pou toujours au besoin qui se fait sentir à raison de la lacune qui a été laissée dans notre Constitution.
Une autre considération, messieurs, qui n'a pas pu vous échapper, c'est que cette loi portée sur un fait unique peut, à certain point de vue, susciter l'esprit de parti plutôt que le désir de rechercher si les faits signalés portent réellement le caractère de la corruption électorale ou s'ils n'ont pas ce caractère.
Il me paraît, messieurs, que pour démontrer au pays et à l'opinion qui n'est pas la nôtre, que ce n'est pas l'intérêt de parti qui nous a inspirés, mais que nous avons été mus par le désir de sauvegarde réellement la dignité de la Chambre, le meilleur moyen serait de porter une loi générale, à laquelle nous commencerions par soumettre les élections de Louvain, mais à laquelle nous soumettrions ultérieurement toutes les élections à l'égard desquelles une enquête serait nécessaire, une mesure générale à laquelle la gauche viendrait se soumettre tout aussi bien que la droite. Une pareille mesure ne pourrait jamais paraître entachée d'aucun esprit de parti ; elle aurait un caractère d'universalité, elle serait faite pour toutes les élections du pays.
Messieurs, l'article 6 du Code civil défend aux juges de disposer par voie réglementaire. Le législateur a voulu démontrer par-là que jamais le juge ne pourrait empiéter sur le domaine du pouvoir législatif ; eh bien, messieurs, de même que le juge doit respecter notre domaine, nous devons respecter le sien et dès lors nous ne devons jamais faire une loi pour un cas spécial.
Un autre motif encore me semble militer en faveur de l'adoption d'une loi générale : nous sommes tous égaux devant la loi, c'est la Constitution qui le décrète.
Eh bien, si aujourd'hui nous admettons pour les élections de Louvain une loi spéciale, si demain pour d'autres élections on fait une nouvelle loi spéciale qui ne soit pas entièrement adéquate à la première, qui n'en reproduise pas fidèlement toutes les dispositions, nous aurons fait des positions différentes à différentes catégories de citoyens et nous aurons ainsi violé l'un des principes fondamentaux de notre Constitution.
Il me semble, messieurs, que ce serait là une chose tellement grave qu'il suffit d'en prévoir la possibilité pour se décider en faveur d'une loi générale.
On me dira peut-être, messieurs, que cette loi générale entraînerait de nouvelles lenteurs dans l'examen de la validité du mandat des députés de Louvain.
Ceci serait excessivement regrettable et je me plais à reconnaître qu'à raison des circonstances toutes particulières dans lesquelles les différentes modifications apportées par la section centrale au projet de travaux publics, ont placé les députés de Louvain, qu'à raison de ces circonstances particulières il serait fortement à désirer que ces députés pussent venir faire valoir les raisons qui militent en faveur du chemin de fer de Bruxelles à Louvain en même temps que la section centrale fera valoir ses motifs contre ce projet. Mais je crois que l'intérêt de l'arrondissement de Louvain doit céder ici aux avantages qui résulteraient de l'adoption d'une loi générale. D'ailleurs les intérêts de la ville de Louvain ne seront pas sans organes dans cette enceinte ; tous les motifs qui militent en faveur du chemin de fer de Bruxelles à Louvain seront présentés par les députés de la capitale dont les intérêts se confondent ici avec ceux de Louvain.
Je crois donc, messieurs, qu'il faut saisir cette occasion pour porter une loi générale qui complète l'article 40 de la Constitution, qui évite pour l'avenir les retards dont l'arrondissement de Louvain se plaint aujourd'hui et qui nous mette tous dans une situation de parfaite égalité au point de vue de la vérification des pouvoirs.
Quant aux difficultés que l'on pourrait craindre pour la rédaction d'une loi générale, je ferai remarquer, messieurs, que nous trouvons les éléments dans le travail de la section centrale, car le vœu que j'exprime a déjà été exprimé en sections par la plupart de mes honorables collègues et je ne suis réellement ici que l'interprète d'une volonté déjà exprimée par la Chambre.
M. Deliége. - Messieurs, la grave question qui vient d'être soulevée par l'honorable M. Carlier a été soulevée également dans la section centrale, mais la section centrale a reconnu qu'il lui était impossible de faire une loi générale sur les enquêtes parlementaires, que le temps lui manquait à cet effet. Vous savez déjà, messieurs, que la section centrale a été convoquée fort tard ; notre honorable président nous a dit pourquoi. Le rapporteur a eu deux jours seulement pour faire son rapport. Une loi générale, pour être complète, devrait être mûrement étudiée. Elle exigerait une étude plus longue. Il existe, je le suppose, des lois semblables ou tout au moins des règlements dans tous les pays constitutionnels. Il doit en exister en France ; il doit en exister en Angleterre ; il en existe un aux Etats-Unis.
En effet, aux Etats-Unis, d'après une correspondance que vous avez pu lire tous dans la Revue trimestrielle, il y a eu 7 élections contestées dans le congrès américain, lors de la dernière session, et le congrès a même renvoyé quatre de ses membres devant une cour criminelle.
(page 208) Du reste, il est évident que le projet d'une loi sur les enquêtes parlementaires touchant à notre système pénal, devrait être élaboré, ou au moins préparé par le gouvernement et renvoyé à la commission spéciale qui est nommée pour la confection de nos Codes.
Il est évident aussi qu'on ne peut pas faire une loi générale du projet en discussion.
D'abord ce projet ne prévoit pas les enquêtes administratives et les enquêtes commerciales ni les enquêtes industrielles. Il y a certains cas où la commission devra nécessairement compulser des documents qui se trouveront dans les archives du gouvernement. Il faudrait donc comprendre dans le projet des articles sur les compulsoires.
Je crois donc que nous avons bien fait en imitant l'exemple du congrès national ; car il est à remarquer que le congrès a fait aussi, à la date du 2 avril 1831, un décret spécial pour régler une enquête, qui venait d'être décrétée Ce décret a été inséré dans la Pasinomie, sous ce titre.
Vous voyez donc que le congrès a agi comme vous et que, dans une circonstance, non pas semblable, mais plus solennelle, il a cru qu'on pouvait faire une loi spéciale.
M. Guillery. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Carlier, proposition que j'ai, du reste, défendue au sein de la section centrale. La plupart des sections, si j'ai bonne mémoire, ont manifesté le désir qu'on fît une loi générale, afin de donner une sanction à l'article 40 de la Constitution qui accorde aux Chambres le droit d'enquête.
Messieurs, si nous ne saisissons pas l'occasion où les trois branches du pouvoir législatif sont d'accord pour faire une enquête, cette occasion peut ne plus se présenter, et le jour où nous voudrons faire une loi, nous nous trouverons peut-être dans la position où s'est trouvée la Chambre en 1831, alors que le pouvoir exécutif s'est opposé aux mesures arrêtées par la Chambre et a rendu par-là l'enquête impossible.
Je ne veux pas dire que le gouvernement eût tort en 1351 ; je crois que les pouvoirs qu'on voulait donnera à la Chambre ne peuvent pas lui être accordés. Mais je cite cet exemple pour prouver qu'il faut saisir l'occasion où les deux Chambres et le pouvoir exécutif sont d'accord pour faire une loi, qui est indispensable pour donner une sanction à l'article 40 de la Constitution.
On nous dit : « II serait très long de faire une loi générale, car c'est très difficile. »
C'est là, je pense, une grave erreur. En demandant qu'on fît une loi générale, je ne crois pas que l'honorable M. Carlier ait voulu provoquer une loi générale qui prévît tous les cas, je crois qu'il a voulu donner seulement à la disposition que nous discutons un caractère général : ce qui est tout différent.
Quelle est la plus grande difficulté ? C'est que la Chambre ne pourrait pas, par voies réglementaires, comminer des peines contre les citoyens L'article 9 de la Constitution porte. « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu d'une loi. »
Il faut donc une loi pour comminer une peine. Voilà la grande difficulté ! Et c'est, en définitive, pour cela, et pas pour autre chose que nous faisons une loi.
La commission d'enquête, nommée par la Chambre à l'occasion du grave accident arrivé au tunnel de Cumptich, s'est trouvée paralysée dans ses travaux, parce qu'elle n'avait pas le droit de faire punir d'une peine les témoins qui refusaient de déposer. Voilà, je le répète, la grande difficulté.
Par la loi nouvelle, d'après le système de la section centrale, on assimile les pouvoirs de la commission d'enquête parlementaire aux pouvoirs des magistrats instructeurs, et les témoins, cités devant la commission, aux témoins cités devant les cours d'assises. Dès lors, le faux témoigunge est puni ; le refus de comparaître ou de déposer est également puni.
Or, au lieu de dire que cette loi se fait en vue de l’enquête de Louvain, rien n'empêche de déclarer que dans toutes enquêtes parlementaires, les pouvoirs de la commission parlementaire seront assimilés aux pouvoirs des présidents des cours d'assises et des magistrats instructeurs. Voilà en définitive la solution de la grande difficulté qui nous divise.
Il y aura ensuite, comme l'a dit l'honorable rapporteur, des enquêtes industrielles et des enquêtes administratives. Il y aurait donc à prendre d'autres mesures. Mais le pouvoir exécutif peut très bien préparer une loi, prévoyant tous les cas qui pourront se présenter dans l'avenir.
En fait, depuis 28 ans, nous n'avons pas une loi sur les enquêtes parlementaires. Pourquoi ? Parce que personne n'y a pensé.
On ne pense à la réglementation du droit d'enquête, que le jour où la Chambre ordonne une enquête parlementaire ; il est probable que la loi en discussion une fois faite, on n'y pensera plus, derechef, jusqu'au jour où une nouvelle enquête sera ordonnée, et l'article 40 de la Constitution restera sans sanction ; or, le jour où nous aurons à ordonner une enquête contre le pouvoir exécutif, comme en 1831, il est permis de croire que nous ne trouverons pas dans le pouvoir exécutif la bonne volonté qu’il rencontre aujourd'hui.
Il faut aussi prévoir le cas où la majorité de l'une des deux Chambres ne sera plus composé des mêmes éléments que la majorité de l'autre Chambre, et où un projet réglementaire du droit d'enquête, voté par une Chambre, serait amendé ou même rejeté par l'autre assemblée.
Il est plus sage, à mon avis, de saisir l'occasion qui nous est offerte de donner une sanction à l'article 40 de la Constitution, sanction qui ne sera pas aussi complète qu'on pourrait le désirer ; mais au moins elle tranchera le seul point qui fasse difficulté : je veux parler de l'obligation pour les témoins de déposer, ainsi que de la condamnation du faux témoignage, comme devant les tribunaux ordinaires.
M. Muller. - Messieurs, j'ai été de ceux qui, au sein de la section centrale, ont cru, eu égard aux circonstances, qu'il était préférable de s'occuper exclusivement aujourd'hui de réglementer l'enquête de Louvain, sans se livrer à la confection d’une loi générale. De part et d'autres, je le reconnais, on peut faire valoir des considérations sérieuses pour l'un ou pour l’autre système ; on peut avec une parfaite bonne foi, et dans des vues d'avenir, soutenir qu'il convient de saisir cette occasion d'entreprendre le travail d'une loi générale ; mais avec la même sincérité on peut objecter qu'il y aurait de graves inconvénients à s'occuper actuellement de l'élaboration de cette loi générale qui doit comprendre des cas beaucoup plus nombreux que ceux pour la solution desquels des mesures promptes doivent être prises.
Il est, en effet, des enquêtes tout autres, d'un caractère tout différent que celle que nous avons décrétée, et qu'il y aura lieu de réglementer plus tard avec maturité et longue réflexion, abstraction faite des actes électoraux sur lesquels nous sommes appelés à statuer.
La majorité de la section centrale, messieurs, a surtout été déterminée par le désir d'écarter tout reproche légitime de lenteur et d'abréger, autant que possible, le temps pendant lequel l'arrondissement de Louvain restera privé de ses représentants. Quoi qu'en ait dit M. Guillery, je pense donc que le moyen proposé est le meilleur, celui qui peut le plus promptement nous conduire à ce résultat.
Il est à remarquer, en effet, que, d'après ce que vient de reconnaître lui-même l’honorable préopinant, il faudrait toujours que le pouvoir exécutif nous soumît une loi générale, prévoyant tomes les espères d'enquêtes parlementaires ; il ne s’agirait, pour le moment, dans l’opinion de l'honorable M. Carlier, qu'il partage, sans doute, que d’une loi réglant les enquêtes électorales, les enquêtes de vérification de pouvoirs. Eh bien, messieurs, ce serait là une œuvre encore incomplète et à refaire, et si l'on veut bien ne pas perdre de vue que l’origine de la proposition qui nous est soumise est due aux faits qui se sont passés dans l'arrondissement de Louvain, on sera, j'ose l'espérer, amené à conclure que ce qui importe le plus, c'est de ne pas retarder, plus que la recherche de la vérité ne l'exige, la vérification des pouvoirs des représentants de Louvain ; il vaut mieux que nous nous maintenions dans le cercle trace par le projet de loi qui est actuellement soumis à nos délibérations et dont le but est de contrôler efficacement la sincérité dos votes d'une partie des électeurs.
D'autre part, il ne faut pas méconnaître que dans une loi générale, embrassant tous les cas d'enquêtes, de graves questions de principe pourront être soulevées ; que nous pourrions sur ces questions de principe nous trouver en opposition avec le Sénat, agissant, comme nous, de très bonne foi, mais ne partageant pas notre manière de voir sur toutes les mesures que nous proposerions pour régler, à l'avenir, l'exécution de l'article 40 de la Constitution.
Mais, dit-on, ce n'est pas une loi que vous allez faire ; c'est un décret.
J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas bien, sous notre régime représentatif, la différence ; car il arrive souvent au pouvoir législatif de porter des lois sur des faits spéciaux et, en définitive, le projet de loi actuel se borne à déterminer l'organisation de l'enquête.
Sans, donc, qu'il y ait opposition absolue et systématique, soit de ma part, soit aussi, je pense, de la part de la majorité de la section centrale, j'engage la Chambre à s'en tenir aujourd'hui au projet de loi qui est présenté. C'est le moyen le plus sûr d'arriver à une prompte solution, ce que tous nous désirons.
M. Carlier. - La nécessité de compléter l'article 40 de notre Constitution est reconnue par tous les orateurs que nous venons d'entendre.
Je reconnais cependant avec les honorables MM. Deliége et Muller que, dans la circonstance toute spéciale où nous nous trouvons placés il pourrait y avoir quelque danger à voter trop précipitamment une loi de l’importance de celle dont je vous ai entretenus ; et que, d’un autre côté, il y a des inconvénients graves à retarder plus longtemps l'examen des pouvoirs des députés de Louvain.
Mais il me semble qu'il y aurait ici moyen de mettre toutes choses d'accord, si le gouvernement voulait promettre de nous proposer une (page 209) loi qui vînt compléter l'article 40 de la Constitution. La lacune est constatée.
Ce qui est arrivé lors de l'enquête de 1831 démontre que les enquêtes ordonnées par les Chambres peuvent n'avoir pas lieu, non pas, comme l'a pensé erronément l'honorable M. Dumortier parce que la Chambre serait revenue sur un vote et l'aurait annulé par un vote postérieur, mais parce que la loi ou la réglementation proposée alors par la commission spéciale n'a pas rencontré l'assentiment de la Chambre.
D'autres inconvénients sont constatés, à cette heure même, par toute la Chambre.
Ainsi, il est évident que si nous avions eu une loi organique des enquêtes que la Chambre peut ordonner, nous aurions pu déjà nous prononcer sur la validité des élections de Louvain et de nouvelles élections, en cas d'annulation, eussent pu avoir déjà lieu, attendu que deux mois ne se seraient certainement pas écoulés pour les opérations de la commission d'enquête et celles du corps électoral de Louvain.
Il résulte de toutes ces observations, messieurs, qu'il y a nécessité de pourvoir au complément de l'article 40 de la Constitution et d'autre part qu'en annonçant son intention de nous présenter un projet de loi sur cet objet, le gouvernement pourrait arrêter la discussion que cette question a soulevée.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quoique la présentation d'un projet de loi réglant tout ce qui a rapport aux enquêtes rentre plutôt dans les attributions de la Chambre que dans celles du pouvoir exécutif (car c'est une de vos prérogatives qu'il s'agit d'organiser), je ne fais pas de difficultés de m'occuper sérieusement d'un projet de loi sur les enquêtes qui auront pour objet la vérification des pouvoirs des membres de l'une ou l'autre Chambre.
Quant à un projet de loi réglant la marche à suivre dans toutes les enquêtes que les Chambres peuvent ordonner, je veux bien examiner s'il ferait possible de formuler des règles applicables à tous les cas, mais sans prendre dès maintenant l'engagement de présenter semblable projet de loi. C'est pour la première fois que cette question se présente et je ne voudrais pas prendre un engagement que peut-être, après une étude approfondie, je reconnaîtrais ns pouvoir pas tenir.
Ainsi, à première vue, il me semble bien difficile de soumettre aux mêmes dispositions des enquêtes commerciales ou industrielles, des enquêtes qui portent sur des faits qui ont un caractère délictueux, il y a là, me semble-t-il, une différence qui doit empêcher des dispositions communes.
Je ne fais donc aucune difficulté, si la Chambre le désire, de lui soumettre, à la prochaine session, un projet de loi sur les enquêtes en matière de vérification de pouvoirs. Quant à une loi générale, je veux bien faire de cette question l'objet d'une étude sérieuse, mais je ne puis pas prendre l'engagement de présenter un projet de loi.
M. B. Dumortier. - Dès l'instant que le ministère prend l'engagement de présenter un projet de loi sur les enquêtes pour vérifications de pouvoirs, je ne vois pas quelle différence il y a entre un projet de loi relatif à un cas spécial et un projet de loi générale. Car, enfin, de quoi s'agit-il dans ce projet ? De régler les attributions de la commission d'enquête ; de rien de plus. Peu importe sur quoi la commission opère ; c'est la Chambre qui le décide, mais faire un projet de loi destiné à avoir une application spéciale, c'est en quelque sorte dénier à la Chambre de faire d'autres enquêtes.
Quand, en 1831, nous présentâmes le projet de loi relaté dans le rapport actuel de la section centrale, c'était un projet de loi générale d'organisation de l'article 40 de la Constitution.
Nous n'avons pas présenté un projet de loi sur l'enquête spéciale, mais un projet pour organiser l'article 40 de la Constitution.
Je conçois qu'on présente une loi générale pour toutes les enquêtes ; mais pour une loi n'ayant qu'un but spécial, une loi faite dans la prévision des luttes de parti, une loi qui, à chaque élection, fera renaître les mêmes embarras, je dis qu'une telle loi serait une calamité pour le pays.
Puisque nous sommes dans la discussion générale, je me permettrai de soumettre à la Chambre, quelques observations.
Le projet de loi, qui est actuellement en discussion est excessivement sommaire ; il ne prévoit pas plusieurs cas très sérieux qui peuvent se présenter. Par exemple : la commission d'enquête peut-elle opérer après la clôture du parlement ? Cela est très-grave. Quand le Roi, usant de sa prérogative, a clos la session, la commission peut-elle continuer à siéger ? Je conçois très bien que pour une simple investigation que l'on décore du nom d'enquête, la commission continue à siéger, parce que personne n'est force de comparaître devant elle, elle se borne à inviter.
Mais quand il s'agit de mesures coercitives, qui ne peuvent avoir lieu qu'alors que la Chambre est dans la plénitude de ses pouvoirs, continuer après la clôture de la session, ne serait-ce pas porter une atteinte à la prérogative royale ? Je signale cette question à l'attention de mes collègues. Je ne la résous pas, mais il me paraît utile de l'examiner sérieusement.
La commission d'enquête telle qu'elle est organisée par le projet de loi, me paraît entachée d'un vice énorme, surtout en pareilles matières. Ce n'est pas une commission d'enquête, c'est un véritable comité de salut public et voici pourquoi : En Angleterre, comment la chambre des communes procède-t-elle ? Il n'y a pas dans ce pavs de commission de vérification de pouvoirs. Un membre arrive avec une pétition signalant divers fait», non pas de corruption électorale, mais d'achat de votes ; car en Angleterre, pour annuler une élection, il faut qu'il y ait achat de votes. Remarquez bien ce mot. La Chambre ordonne l'enquête. Elle nomme une commission de cinq membres. Celui qui a demandé l'enquête remplit auprès de cette commission le rôle du ministère public ; il fait arriver les témoins à charge, enfin il joue tout à fait le rôle de procureur du roi.
Au contraire, les membres intéressés par l'enquête dans leurs droit acquis, ceux qui sont en cause, désignent un de leurs amis pour remplir les fonctions de défendeur et pour assister en cette qualité à toutes les opérations de l'enquête Et la commission siège comme tribunal sans confusion des pouvoirs judiciaire et d'accusation.
La chambre des communes prononce ensuite des conclusions comme font toutes les cours de justice, tous les tribunaux après avoir entendu l'accusateur et la défense. Il me semble que cette marche est absolument indispensable en pareille matière, et il est impossible que vous frappiez vos collègues sans les avoir entendus. La commission doit, pour bien faire, entendre les réclamations des deux parties, de ceux qui accusent et de ceux qui sont accusés.
S'il n'en était pas ainsi, il pourrait se trouver une commission qui posât aux témoins des questions tellement captieuses qu'elle leur ferait dire exactement le contraire de ce qu'ils voudraient dire. Il faut encore que ceux qui sont en cause puissent contredire, s'il y a lieu, les dépositions des témoins. Il faut qu'ils assistent à la position de la question, par un délégué et qu'ils puissent détruire les faits qui leur sont imputés si ces faits sont mensongers ; sans cela vous n'arrivez pas à une enquête ; car savez-vous ce que c'est qu'une enquête en Angleterre ? C'est ce qu'on y appelle une évidence parce qu'il y a conflit, parce que, de même que devant les tribunaux celui qui attaque et celui qui se défend sont vis-à-vis l'un de l'autre.
Il est indispensable que nous procédions ici comme en Angleterre. La commission d'enquête telle qu'elle nous est proposée, c'est un comité de salut public, parce que les accusateurs y sont en même temps juges ; parce que personne ne serait là pour défendre les intérêts de ceux qui sont en cause.
Les députés de l'arrondissement de Louvain dont il s'agit de valider l'élection doivent donc être présents ou représentes dans l'enquête, puisque c'est leur l'intérêt, leur mandat, qui est en cause.
M. Pirmez. - C'est le corps électoral qui est en cause.
M. B. Dumortier. - Ce n'est pas le corps électoral. L'honorable M. Pirmez a trop de droiture pour vouloir que dans une question si grave, on juge les citoyens sans les entendre. Cela passerait les bornes et ce serait surtout indigne d'une chambre belge.
Je demande donc que lorsque nous en serons aux articles, on introduise dans le projet une disposition qui soit la conséquence loyale de ce qui se trouve dans tous les Codes. Cela existe pour le moindre procès, pour un procès de quatre sous, et vous le refuseriez lorsqu'il s'agit du mandat de quatre députés, de quatre de vos collègues !
Vous devez faire ce qui se pratique dans le pays d'où vous avez tiré le droit d'enquête, car lorsque vous avez inscrit dans votre Constitution l'article 40, c'est à l'Angleterre que vous l'avez emprunté. Si vous agissez autrement ce n'est plus une enquête que vous faites, c'est une mise en accusation.
M. Deliége, rapporteur. - L'honorable M Dumortier a soulevé deux questions. La première qui est fort grave avait déjà été soulevée dans la section centrale. C'est celle de savoir si la commission d'enquête pourra opérer après la clôture du parlement. La section centrale a prévu ce cas, elle a reconnu qu'il était impossible que la commission n'eût pas fini son travail avant la fin du mois prochain. Il est certain que la session ne sera pas close avant cette époque. Le Sénat n'est pas encore assemblé, il n'est pas même convoque ; il aura à se prononcer sur des questions très importantes, par conséquent nos pouvoirs seront prolongés jusque dans le mois de septembre.
Ainsi tombe la première question posée par M. Dumortier. Je reconnais que cette question est très difficile. Cependant elle avait été décidée affirmativement par la commission dont a fait partie, dans le temps, M. Dumortier avec plusieurs membres de la Chambre, qui tiennent maintenant une place fort honorable à la cour de cassation.
Du reste, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, la question ne se présentera pas.
(page 210) On a dit en second lieu que les pouvoirs de la commission n'étaient pas définis, que la commission serait une commission de salut public. Messieurs, les pouvoirs de la commission sont tracés par la raison. La commission, vps plus que nous, ne sera intéressée à trouver dans les élections de Louvain cette corruption dont on nous a en quelque sorte accusés. Dans notre dernière réunion des paroles extrêmement graves ont été prononcées, on a parlé de honte pour la Chambre, de honte pour le pays. Nous voulons savoir s'il y aura de la honte pour la Chambre, s'il y aura de la honte pour le pays. Mais il est évident que la commission ne sera pas intéressée à trouver des coupables dans cette affaire.
Qu'aura à faire la commission ? Evidemment elle aura à faire tout au plus l'office d'un juge d'instruction, tout au plus l'office de chambre du conseil ; et pas même l'office de chambre du conseil, car la chambre du conseil prononce : au contraire ici il n'y aura certainement pas de conclusion. Il y aura des faits à constater, des dépositions à recevoir, mais il n'y aura pas de conclusion.
Je crois que la commission qui doit conclure, c'est la commission de vérification des pouvoirs. C’est donc de l'exagération que de dire que la commission que vous nommerez sera une commission de saint public.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 4 heures et demie.