(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)
(page 128) (Présidence de M. Orts.)
M. Crombez fait l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Les membres du conseil communal de Limerlé prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif aux fortifications d'Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Piéton prient la Chambre d'accorder à la compagnie Delval, la concession d'un chemin de fer de Manage à Momignies, avec embranchement de Piéton vers Luttre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jean-Henri-Charles Van Geffen, sergent au régiment du génie, né à Anvers, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Godefroid Meyens, charpentier à Thielen, né à Dinter (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« La nommée de Gieter réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir de son lieu de domicile de secours des moyens de subsistance, ou pour être admise dans un hospice de vieillards ou d'incurables. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Tirlemont demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections de l'arrondissement de Louvain.’
« Même demande d'habitants du canton de Glabbeck et de celui de Saint-Pierre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Diest demandent que la commission d'enquête porte ses investigations sur des faits qu'ils signalent. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des commissionnaires et agents en douane, à Liège, réclament contre la concurrence qui leur est faite par l'agence en douane et l'administration des chemins de fer à établir dans cette ville. »
- Même renvoi.
M. Neyt, retenu par indisposition, demande un congé.
- Accordé.
MM. Ch. de Brouckere et Koeler prêtent serment.
Il est procédé au tirage au sort des sections d'août.
M. Deliége dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les mesures organiques de l'enquête ordonnée par la Chambre.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il figurera à la suite de l'ordre du jour.
(page 137) M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous expliquer hier les motifs et les considérations qui ont engagé la commission à abandonner, le système de défense excentrique qui nous avait été légué par les Pays-Bas et à y substituer un système de défense concentrique. Je vous ai également expliqué les motifs qui ont fait désigner, par la commission, le point d'Anvers comme le point où devait être établi la base de la défense nationale.
Je vais avoir l'honneur de vous faire connaître aujourd'hui la suite des travaux de la commission.
Après avoir déterminé le choix de la position qui doit servir de base à la défense nationale, la commission s'est occupée de rechercher quelles étaient les places fortes qui devaient être conservées et celles qui devaient être démolies.
La Chambre n'attend pas de moi que j'expose devant elle les considérations stratégiques militaires qui ont été invoquées en faveur de la démolition ou de la conservation de chacune de nos places fortes. Il me suffira de constater, sous forme d'observation générale, que la concentration de la défense sur Anvers a été considérée par tous les membres comme devant entraîner la démolition de plusieurs places frontières.
Il a été reconnu, toutefois, que la plupart de ces places ne devront être rasées ou démantelées qu'après l'achèvement des travaux d'Anvers.
Le gouvernement ne prendra donc pas de résolution immédiate en ce qui concerne tous ces points.
Lorsque les démolitions reconnues indispensables seront terminées, notre système permanent de défense se composera :
1° D'une grande position stratégique pouvant servir à l'armée de base d'opération et de point de refuge eu cas de revers.
2° Des places de Diest et de Termonde couvrant la ligne du Rupel, du Dèmer, de la Dyle et de la Nèthe et de quelques autres places qui nous assureront le libre passage et la défense de nos deux grands fleuves.
On ne peut pas admettre qu'un pareil système équivaudrait à l'abandon du pays et réduirait la défense nationale à la garde de la seule place d'Anvers. En effet, grâce aux places conservées, l'armée aura des têtes de pont sur la Meuse et sur l'Escaut, et des forts à l'abri desquels la résistance nationale pourrait s'organiser dans tout le pays.
J’arrive maintenant à la question qui a soulevé le plus de difficultés et sur laquelle je dois à la Chambre tous les éclaircissements qu'il me sera possible de lui donner sans entrer dans une discussion purement technique. C'est la question de savoir suivant quel périmètre et d'après quel système des fortifications d'Anvers devront être constituées.
Eu classant toutes les idées et tous les projets qui ont été présentés jusqu'ici, on parvient à les ranger dans trois catégories, savoir :
1° Le projet d'agrandissement au nord et la construction d'une nouvelle ligne de forts pour agrandir et renforcer le camp retranché.
2° Les projets d'agrandissement moyen enveloppant soit le faubourg de Borgerhout seul, soit une partie de Borgerhout et de Berchem.
3° Le projet d'agrandissement général.
Ces trois espèces d'agrandissement ont été mûrement examinés par la commission.
Elle a reconnu que l'agrandissement au Nord, combiné avec une ligne de forts, constituée d'après les idées que le gouvernement a cherché à faire prévaloir dans la dernière session, offrait des avantages au commerce, à la population, à l’armée : mais que ces avantages étaient compensés par des inconvénients qui, au point de vue des intérêts civils, avaient rendu la ville d’Anvers opposée à ce projet et qui, au point de vue des intérêts de la défense, avaient engagé plusieurs militaires à proposer des projets d’agrandissement moyen ou d’agrandissement général.
Il est certain que pour la population d'Anvers, la faculté de bâtir entre l'enceinte actuelle et la ligne des forts existants, n'équivaut point à la faculté de bâtir en arrière d'une enceinte enveloppant les faubourgs de Berchem et de Borgerhout.
Au point de vue militaire, il y aurait eu aussi un grand inconvénient à l'établissement d'une ville populeuse entre l'enceinte et le camp retranché.
Cette ville, en effet, eût rendu la défense de l’enceinte presque impossible en offrant à l'ennemi d'immenses couverts rapprochés de la place ; elle eût en outre intercepté les feux de cette enceinte sur la zone du camp retranché, inconvénient d'autant plus grave que la longue portée des armes nouvelles rend ces feux très-efficaces et qu'il est de principe, en fortification, d’établir les camps retranchés sous la protection immédiate de l’enceinte.
Lorsque ce principe n'est pas observé, soit par suite des couverts naturels, soit par suite d'obstacles artificiels, c'est toujours aux dépens de la défense qui sera d’autant meilleure que le camp et l'enceinte seront plus à portée de se soutenir mutuellement.
Il a été constaté que la population extra muros d'Anvers était en 1857 de 30,000 âmes, que cette population augmente de 2,000 à 3,000 âmes par an, et qu’il s'élève environ 300 maisons chaque année dans les faubourgs.
Au point de vue militaire, il y aurait eu un inconvénient grave à laisser cette population s'étendre dans le camp retranché où elle eût été en contact avec l'armée défensive. Dans l'intérêt de la discipline, et pour d'autres raisons encore, l'armée doit se trouver sous l'action immédiate et exclusive de ses chefs.
D'un autre côté, la population extra-muros, par sa présence sur le théâtre des premières luttes (qui nécessairement s'établiront dans le camp retranché), se trouverait dans une situation si fâcheuse que vraisemblablement elle n'hésiterait pas à se réfugier dans l'enceinte où elle produirait un encombrement déplorable.
Il suffit de jeter les yeux sur un plan d'Anvers pour être convaincu de cette vérité. Sur presque tous les points les rangées de maisons touchent aux remparts, l'espace libre en arrière de ceux-ci est insuffisant pour les besoins d'une défense ordinaire, à plus forte raison pour ceux d'une défense à laquelle l'armée active ou les débris de cette armée devront concourir.
On peut même affirmer qu'il serait complétement impossible d'y loger militairement cette armée, surtout, si à la population déjà si compacte de la ville, venait se joindre la population expulsée des faubourgs.
Ainsi, de quelque manière qu'on envisage la question, on reconnaîtra qu'il est nuisible de laisser devant l'enceinte des faubourgs renfermant plus de 30,000 habitants et qui formeront dans peu d'années une grande ville extérieure parallèle au corps de place.
Ces inconvénients et la tendance irrésistible de la population d'Anvers à s'étendre vers l'est plutôt que vers le nord, où le sol est humide et malsain, ont paru assez graves à la commission pour lui faire rejeter la combinaison de l'agrandissement au nord. Elle a pensé, au surplus, qu'un établissement destiné à servir d'une manière permanente de réduit à la défense nationale devait satisfaire non seulement aux besoins du moment, mais encore à ceux de l'avenir.
Or, de l'aveu même des auteurs du projet d'agrandissement au nord, et d'après les déclarations du gouvernement, ce projet eût rendu dans quelques années un nouvel agrandissement de 1 enceinte inévitable.
C'est ce que le gouvernement déclarait l'an dernier d'une manière positive. En présence de ce fait et du vote émis par la Chambre dans la séance du 4 août dernier, la commission a été d'avis qu'il serait avantageux, au point de vue militaire comme au point de vue financier, de renoncer à la solution provisoire pour adopter la solution définitive comprenant le déplacement de l'enceinte au nord et à l'est.
Le débat, dès lors, a porté sur la question de savoir si, pour la nouvelle enceinte, on choisirait un des projets moyens ou un projet d'agrandissement général enveloppant les deux faubourgs.
Les auteurs des projets moyens, laissant tout Berchem ou une partie de Berchem ou une partie de Borgerhout hors de la nouvelle enceinte, sont partis de la supposition que le projet d'agrandissement général constituerait un ensemble trop vaste, pour être défendu avec les ressources de l'armée belge. Mais la comparaison qui a été faite sous ce rapport entre les divers tracés moyens et le tracé général a prouvé que l'excédant de garnison exigé par ce dernier tracé n'est pas assez important pour exercer la moindre influence sur l'organisation de l'armée ou sur la répartition des troupes dans les autres places.
Il a même été constaté que le développement des lignes de feu des tracés moyens était au moins égal et quelquefois supérieur à celui de la grande enceinte. L'on en a conclu qu'il exigerait des moyens de défense tout aussi considérables et une dépense plus forte tant à cause du plus (page 138) grand développement des parapets que parce que tous les tracés moyens traversent une zone de terrain d'une grande valeur.
La commission a été frappée d'un autre défaut des enceintes moyennes. Laissant au pied du glacis un des deux faubourgs ou les portions extrêmes de chacun d'eux, ces enceintes se trouveraient, par rapport aux bâtisses extérieures, à peu près dans les conditions où se trouve l'enceinte actuelle ; et si pour éviter les inconvénients de ces bâtisses, on enveloppait les têtes des faubourgs d'ouvrages à couronne, on tomberait dans un autre inconvénient, c'est d'augmenter la dépense et de créer des points saillants favorables à l'attaque.
Sons le rapport des intérêts civils, les enceintes moyennes ont le défaut de placer les faubourgs dans de moins bonnes conditions que ne le ferait l'agrandissement général, qui les renfermerait tout entiers dans l'enceinte. La question des servitudes, loin d'être résolue par ces solutions moyennes serait donc plutôt aggravée et compliquée. C'est encore un point sur lequel la commission s'est appesantie avec d'autant plus de raison que les difficultés et les embarras contre lesquels le gouvernement a dû lutter à Anvers, proviennent en grande partie de l'impossibilité de faire observer dans certains cas la rigoureuse et cependant indispensable loi sur les servitudes militaires.
L'un des avantages de la grande enceinte est d'englober dans la ville tous les terrains sur lesquels la population est portée à s'étendre. Ces terrains sont si considérables qu'ils suffiront pendant un temps incalculable aux besoins de la cité, de sorte que l'impérieuse nécessité de bâtir au pied du glacis de la nouvelle enceinte n'existera probablement jamais. Dès lors, le respect de la loi sur les servitudes sera d'autant mieux assuré que personne n'aura intérêt à la violer.
La grande enceinte présente d'autres avantages qui touchent de plus près à la question militaire. Je les exposerai brièvement.
Au point de vue de la défense comme au point de vue des intérêts civils, il est utile qu'on incorpore dans la place le plus de terrains possible, surtout quand ce résultat peut être obtenu sans la moindre augmentation dans le chiffre de la dépense et dans le développement des ouvrages.
De la des espaces libres en arrière du corps de place sont utiles, non seulement pour la défense des brèches et des points attaqués, de vive force, niais encore pour le campement des troupes.
En effet, ou ne peut pas loger l'armée pêle-mêle avec les habitants. Il faut donc lui réserver des espaces libres en arrière et en avant de l'enceinte, et ces espaces doivent être assez nombreux, pour qu'on puisse changer fréquemment l'assiette des camps. Plusieurs exemples de guerre, et notamment la dernière expédition de Crimée, ont prouvé que l'infection du sol, causée par la permanence des camps, engendre et propage des maladies contagieuses plus terribles pour les armées que le fer et le feu de l'ennemi. Ce fait a été constaté d'une manière évidente par le docteur Baudens, médecin en chef des armées françaises, dans l'ouvrage qu'il a publié à la suite de l'expédition de Crimée.
Il sera d'autant plus nécessaire de tenir compte de ce résultat d'expérience, que le site d'Anvers a cela de particulier, qu'il se compose de deux sortes de terrain qui ont des propriétés hygiéniques particulières.
Le terrain moderne ou d'alluvion ce qui existe sur la rive gauche de l'Escaut jusqu'à la tête de Flandre et qui se prolonge le long de la rive droite à partir du nord d'Anvers jusqu'en Ho|lande, comme, on peut le voir dans la carte géologique de la Belgique qui se trouve dans l'ouvrage de M. d'Omalius d'Halloy, est un terrain qui sous certaines influences atmosphériques engendre des fièvres. Le terrain au contraire sur lequel sont situés les faubourgs de Berchem et de Borgerhout que nous voulons englober dans l'enceinte de la place, est un terrain nommé par les géologues sables de la Campine ; il est parfaitement sain, et exempt de fièvres.
Il était donc du plus haut intérêt d'incorporer dans l'enceinte ces terrains élevés et salubres. On satisfera ainsi aux conditions militaires les plus importantes, tout en donnant pleine satisfaction aux intérêts civils, dont il est toujours désirable de tenir compte lorsqu'on le peut sans sacrifier des intérêts plus essentiels.
Après avoir adopté le principe d'une grande enceinte enveloppant les faubourgs de Berchem et de Borgerhout, la commission s'est occupée de la détermination du périmètre et de la profondeur du camp retranché, Elle a été d'avis que le camp doit se composer d'une seule ligne de forts, enveloppant les fronts accessibles de l'enceinte et que la plus grande distance des forts à la place doit être réglée sur la double portée efficace de l'artillerie,
L'adoption de ce principe, combiné avec celui de la grande enceinte, donnera à la population d'Anvers la garantie que ses propriétés seront complétement soustraites aux éventualités d'un bombardement, quels que soient les progrès que réalisent les armes à feu.
Une question importante au point de vue de l'art, mais que la Chambre n'a point à résoudre et que je me contenterai d'indiquer, était de savoir d'après quelles idées seraient construits les nouveaux ouvrages à élever autour d'Anvers.
Les ingénieurs sont divisés sur ce point en deux camps. Les uns suivent encore les principes de l'ancienne école française, personnifiée par Vauban et Cormontaigne ; les autres ont adopté un système nouveau dont les avantages ont paru assez bien établis pour que la Prusse, l'Autriche, la Bavière, la Russie et d'autres Etats aient cru pouvoir l'appliquer à leurs nouvelles forteresses.
II était de mon devoir de faire mûrement étudier ce système nouveau qui, par sa simplicité et par ses propriétés particulières, offre des avantages réels. J'ai en conséquence envoyé quelques officiers distingués, pris parmi les membres de la commission, visiter les travaux les plus remarquables exécutés dans ces derniers temps J'ai tenu compte des observations que ces officiers m'ont communiquées ; je les ai soumises à un nouvel examen et j'ai consulté les hommes les plus compétents de l'Europe ; c'est ainsi que nous sommes parvenus à nous mettre d'accord sur un dispositif qui recevra, j'aime à le croire, l'approbation de tous les hommes spéciaux et qui fera honneur à notre corps du génie.
Le dispositif adapté à la grande portée des armes à feu, favorise l'action de l'artillerie qui est l'âme de la défense ; il soustrait mieux que les anciens tracés les bouches à feu à l'action des batteries ennemies; il offre plus de garantie contre les surprises et les attaques brusques, et, par sa grande simplicité, il rend la surveillance plus facile et la défense moins morcelée.
Si l'on tient compte que dans ce dispositif les troupes sont logées d'une manière permanente sur les points mêmes qu'elles doivent défendre ; qu'ainsi la partie attaquable de la grande enceinte présentera des logements à l'abri de la bombe; que ces logements devraient être construits séparément si l'on adoptait le tracé bastionné proposé en 1856, enfin que les expropriations sont moins considérables dans le nouveau dispositif que dans l'ancien, on comprendra que le trésor, autant que la défense, ont intérêt à ce que ce dernier soit substitué à l'autre.
Pour diminuer la dépense, j'ai supprimé toutes les maçonneries dont la nécessité n'est pas évidente. En agissant ainsi, je n'ai fait que suivre les recommandations des plus illustres ingénieurs et me conformer à l'exemple des autres nations. On n'a rien négligé de ce qui peut augmenter la valeur défensive de la position d'Anvers, mais tout en satisfaisant à ce principe essentiel, on a pris en sérieuse considération l'intérêt du trésor.
On ne pourrait donc opérer aucune réduction sur le crédit demandé sans porter atteinte à la valeur défensive d'une position qui exercera une influence décisive sur les destinées du pays.
J'espère que la Chambre donnera son approbation à l'ensemble du projet que j'ai l'honneur de lui présenter. Ce travail est le résultat de longues et consciencieuses études poursuivies avec le désir de doter la Belgique d'un vaste établissement militaire qui, augmentait sa valeur défensive, deviendra pour elle et pour l'Europe un gage de paix et de sécurité.
Quand ce grand œuvre sera terminé, le pays et l'armée se féliciteront de voir enfin la défense nationale établie sur une base définitive, et la législature, de son côté, pourra s'applaudir de n'avoir plus à traiter cette épineuse question, dont la solution, bien que vivement désirée, a été différée d'année en année, par le fait même des incertitudes qui pesaient sur ses délibérations.
Aujourd'hui, ces incertitudes ont fait place à une conviction raisonnée dont le résultat se produit devant vous sous forme d’un système nettement défini, arrêté dans son ensemble et dans ses détails. Ce système ayant reçu l'approbation de nos officiers les plus compétents, vous pouvez, messieurs, le voter en toute confiance, certains qu'il répondra à l'attente du pays et de sa fidèle année.
Pour corroborer les principes que je viens d'émettre et le système que je viens de vous exposer pour la défense du pays, pour vous prouver qu'il doit vous inspirer toute confiance, permettez-moi d'invoquer encore l'autorité de Napoléon sur ce double objet.
Dès 1804, l'empereur avait conçu le projet d'agrandir Anvers au nord, d'améliorer son enceinte et de la couvrir d'ouvrages avancés. Quelques-uns de ces travaux étaient en cours d'exécution lors de l'expédition de lord Chatham. Cet événement modifia les vues de Napoléon. Pour donner à Anvers une plus grande importance militaire, mettre les chantiers et les bassins à l'abri du bombardement, |il décréta l'établissement d'un système de forts détachés sur les deux rives de l'Escaut.
Les faubourgs de Berchem et de Borgerhout, ainsi que l'espace intermédiaire, alors complétement libre, devaient former l'assiette d'un grand camp retranché. Nous possédons les éléments de ce projet. Sa dépense était évaluée à 53,296,000 fr. Il reçut un commencement d'exécution, mais les événements de 1812 en arrêtèrent le développement.
L'immense accroissement qu'ont pris les faubourgs d'Anvers ne permet plus de réaliser à h lettre les projets de l'empereur tels qu'ils ont été conçus ; mais il n'en est pas moins vrai que l'idée mère est restée la même et que nous pouvons appuyer le projet du gouvernement de l'autorité du plus grand homme de guerre des temps modernes. Nous pouvons même dire que ce que nous proposons est fort modeste, comparé à ce que ce souverain voulait faire pour Anvers. Nous lisons en effet dans le Mémorial de Ste-Hélène le passage suivant, qui mérite de fixer votre attention :
« Napoléon a dit qu'il avait beaucoup fait pour Anvers, mais que c'était encore peu auprès de ce qu'il comptait faire. »
Par mer il voulait en faire un point d'attaque mortel à l'ennemi ; par terre il voulait le rendre une ressource certaine en cas de grands désastres, un vrai point de salut national ; il voulait le rendre capable de recueillir une armée entière dans sa défaite et de résister à un an de (page 139) tranchée ouverte, intervalle pendant lequel une nation avait le temps, disait-il, de venir la délivrer et reprendre l'offensive.
Cinq à six places de la sorte, ajoutait-il, étaient d'ailleurs le système de défense nouveau qu'il avait le projet d'introduire à l'avenir.
Vous voyez, messieurs, que jusqu'à la fin de sa vie cet homme de génie n'a varié ni dans ses idées sur Anvers, ni dans ses admirables principes sur la défense des Etats.
La même autorité justifiera le choix que nous avons fait de la position d'Anvers et la résolution bien arrêtée chez le gouvernement de faire prévaloir le système de la défense centralisée
Voici ce que Napoléon écrivait à son frère Joseph pour lui tracer le système de défense qu'il devait adopter pour le royaume de Naples. Des écrivains militaires et des hommes d'Etat du plus grand mérite considèrent cette lettre et celle que je vous ai citée sur la défense de la Dalmatie, comme des chefs-d'œuvre de raison, de jugement, comme un exposé de principe qui porte le cachet du génie.
Elles ont été écrites en 1806, à l'époque où l'empereur était dans toute la force, toute la plénitude de ses immenses facultés. Celle-ci est adressée à son frère de prédilection et inspirée par l'intérêt le plus cher à un grand souverain, celui de sa puissance et de sa gloire.
Voici les principaux passages de cet écrit remarquable :
« Napoléon veut une grande place de guerre pour base d'opération. Il trouve un avantage à ce qu'elle ait un port dans sa défense. Pour être la meilleure possible, voici les trois objets principaux que doit avoir cette place :
« 1° Contenir la capitale de manière qu'on ne puisse s'en dire possesseur tranquille tant qu'on n'a pas pris la place ;
« 2" Renfermer les arsenaux et les magasins de l'armée de terre ;
« 3° Réunir tout l'arsenal et les vaisseaux de la marine ;
« Cette place doit être capable d'une longue résistance et obliger l'ennemi à l'assiéger avec une armée considérable et des approvisionnements immenses. Si, envahissant ses frontières et se combinant avec des troupes de débarquement, une armée beaucoup plus forte que celle du roi de Naples l'oblige à abandonner la campagne, que ce prince ait son plan de campagne simple et ses mouvements naturels, qu'il se retire dans sa place forte avec ses richesses, ses archives, etc., etc. En calculant seulement la quantité effroyable de moyens que l'ennemi sera obligé de réunir, on voit combien 60,000 hommes auront de difficultés à s'emparer de Naples.
« Lorsqu'on verra ce système établi et un roi s'enfermer dans cette place, on le respectera, on fera la paix et on ne s'engagera pas dans une lutte qui affaiblirait trop les moyens de l'ennemi. Une place construite dans ce but mérite seule l'emploi de sommes considérables.
« Toutes les autres fortifications n'ont plus de but, non que je croie que les petits forts qui y existent, défendant, soit un réduit, soit un mouillage, soient inutiles, mais ils ne sont que secondaires. A mon avis, ce qu'il y a d'important, c'est une place de dépôt à tracer dès le mois prochain. »
Ne dirait-on pas que ces lignes ont été écrites pour la Belgique ? Anvers ne remplit-il pas toutes conditions qu'exige Napoléon pour la grande place de guerre, base d'opération ? Elle est à une forte marche de la capitale, qu'elle contient et dont on ne peut se dire possesseur tranquille tant qu'Anvers ne sera pas pris. Elle peut renfermer les magasins et les arsenaux. Elle peut abriter une marine. Ses communications avec la mer sont assurées par l'Escaut et par les polders inondés.
Il faudra des moyens immenses pour l'assiéger.
En présence du temps et des dépenses qu'exigeront la réunion du matériel innombrable et la concentration d'une armée suffisante pour un si formidable siège, ne peut-on pas espérer que jamais aucune nation ne se lancera dans une pareille aventure ?
Toutes, au contraire, n'auront-elles pas intérêt à respecter une neutralité sage et bienveillante comme le sera la nôtre, et dont la violation présenterait tant de difficultés et de danger ; toutes ne trouveront-elles pas, dans une conflagration générale, plus de bénéfice à employer leurs troupes sur les parties vulnérables de leurs frontières, que de les exposer pour atteindre un but aussi incertain que la conquête d'un territoire dont l'indépendance a été jugée nécessaire au maintien de l'équilibre européen ?
On peut donc proclamer qu'en appuyant notre système de défense sur Anvers, nous aurons inauguré une ère de paix et de sécurité pour la Belgique.
En sanctionnant ce système de défense, vous aurez acquis, messieurs, des droits à la reconnaissance de la nation et de la postérité. Vous prouverez à l'Europe le prix que vous attachez à votre nationalité et que lorsqu'un grand intérêt national est en cause, oubliant vos dissentiments politiques, vous vous unissez dans un sentiment commun de patriotisme et qu'alors aucun sacrifice ne vous coûte, pour assurer l'indépendance et l'honneur de votre pays.
J'ai la rare bonne fortune dans un gouvernement constitutionnel, de vous présenter un projet qui n'a rien de politique, sur lequel vous pouvez tous vous entendre, que vous pouvez tous voter, sans vous faire de concessions, sans transiger avec vos opinions politiques, parce que ce projet est purement national.
Aucun des membres de cette patriotique assemblée ne voudra assumer sur sa conscience la responsabilité du rejet d'un projet qui est la clef de voûte et le couronnement de notre système de défense, et qui sera la sauvegarde de l'indépendance et de l'honneur de notre patrie.
Avant de terminer ces explications peut-être trop longues, permettez-moi, messieurs, d'ajouter un dernier mot.
Lorsque en 1848 vous mîtes à ma disposition un crédit considérable pour faire face aux événements qui venaient d'éclater, je fis tous mes efforts pour justifier votre confiance.
Si j'avais été prodigue des deniers du trésor, j'aurais pu dépenser ce crédit et vous m'auriez accordé un bill d’indemnité, car l'avenir était bien menaçant, les besoins de l'armée considérables et j'étais vivement sollicité d'y satisfaire. Eh bien, messieurs, m’inspirant de votre esprit, à force d'économie, de sévérité même, je parvins, non seulement à ne pas dépasser le crédit alloué, mais encore à ne pas le dépenser en entier et à en faire rentrer le tiers au trésor.
J'en appelé au souvenir de tous les anciens membres de cette Chambre. J'en appelle au souvenir de mou honorable collègue M. le ministre des finances ; ils pourront vous dire que sur les neuf minions qui m’avaient été alloués j'en ai fait rentrer trois au Trésor.
Ce que je voulais vous dire, messieurs, en terminant, c'est que dans ces circonstances j’agirai avec la même économie, le même zèle et le même dévouement si, en votant ce projet que je viens de défendre, vous m'accordez la même confiance qu'en 1848, comme j'en ai la bonne espérance.
(page 129) M. le président. - La parole est à M. Julliot, inscrit contre le projet.
M. Julliot. - J'y renonce.
M. Goblet. - Après l'éloquent discours que vient de terminer M. le ministre de la guerre, c'est avec une profonde émotion que je prends la parole. Je ne croyais pas que mon tour de parole vînt aussi subitement ; je vous prie donc, messieurs, de m'accorder la plus grande indulgence, car je n'ai ni le talent ni l'autorité de mon honorable contradicteur.
L'honorable général Chazal, en commençant son discours dans la séance d'hier, a dit que le bon sens de l'homme politique suffisait pour l'appréciation des points principaux qui doivent être considérés dans cette question.
Cette pensée qui a été exprimée déjà dans les discussions de 185, m'encourage à me déterminer à exprimer mou opinion sur le projet de loi qui nous est soumis.
La discussion de l'an dernier, que j'ai parcourue tout entière, mais à laquelle je n'ai pas eu le bonheur d'assister-, m'a prouvé encore que quelque grande que fût l'autorité de M. ministre de la guerre, on pouvait trouver parmi des officiers supérieurs de l'armée belge des hommes qui ont été chargés par le gouvernement de défendre une thèse qui me donne des arguments contre l'argumentation si puissante de l'honorable général.
Il est, a dit l'honorable ministre de la guerre, des erreurs qui ont pris naissance dans l'esprit public et contre lesquelles il importe de mettre en garde les masses de la population, pour éviter les catastrophes qui sont si souvent en conséquence d'idées fausses auxquelles on a laissé le temps de prendre racine. Mais, messieurs, à part less possibilité que je viens de constater de trouver des opinions très respectables, contraires à celles de l'honorable M. Chazal, si des erreurs ont pris naissance et se sont développées sur le projet ministériel, la responsabilité n'en retombe-t-elle pas sur le ministère qui, l'année dernière, a présenté un projet diamétralement opposé à celui qui nous est aujourd’hui soumis?
Ce projet ressemblait si peu à ce dernier que M. le général Renard, l'honorable commissaire du roi, en répondant à l'honorable rapporteur de la section centrale, M. le général Goblet, s'exprimait ainsi :
« Les raisons que donne l'honorable rapporteur pour justifier la nécessité de l'agrandissement général sont de deux espèces. Les unes sont fondées sur les intérêts de la population, et le gouvernement en tient grand compte. Les autres se basent sur les intérêts de la défense, mais il est reconnu que la grande enceinte n'accroissant pas la valeur défensive de la position, et dès lors les considérations qu'on a fait valoir ne sauraient légitimer l'énorme dépense que l'Etat devrait faire pour l'agrandissement de la ville, r
Plus loin, l'honorable général Renard disait encore :
« Les comités auxquels la question a été déférée ne l'ont pas laissée sans solution.
« Le projet que repousse la section centrale a été jugé comme satisfaisant à toutes les exigences militaires, tandis que celui qu'elle préconise a été, au contraire, rejeté à l'unanimité des membres militaires. »
Le système préconisé par la section centrale d'alors, messieurs, c'était le système de la grande enceinte.
M. le ministre des finances distinguait ainsi, de son côté, les deux projets.
« La grande enceinte et les plans que soumet aujourd'hui le gouvernement tiennent à deux ordres d'idées entièrement différentes. Dans le système de la section centrale, il s'agit en réalité, quoi qu'on ait dit, d'enfermer l'armée dans la place et de la charger uniquement de garder cette position.
« Dans le système du gouvernement l'armée doit jouer dans le pays et pour le pays le noble rôle qui lui est assigné. »
Vous voyez donc, messieurs, que si aujourd'hui nous avons une grande commission de vingt-cinq officiers, unanime pour adopter comme uniquement bon le système de la grande enceinte, nous avions aussi en 1858 une commission d'officiers unanime pour repousser ce système. Et la conclusion que je puis en tirer, c'est que, comme civils, nous avons le droit d’hésiter quelquefois. J'en tire surtout une autre conclusion, c'est que la discipline est parfaite dans l'armée.
Messieurs, l'honorable général Chazal a démontré d'une manière remarquable tout l'avantage du système de concentration. Je crois que ce système est généralement adopté et que personne ne voudrait sérieusement en contester les avantages. Cependant dans un pays comme la Belgique, il faut voir si ce système peut être appliqué d'une manière tout à fait absolue, ou si nous devons placer notre centre de concentration de manière à protéger efficacement le pays et à ne pas l'abandonner complétement. Nous ne pouvons plus compter, a dit l'honorable général Chazal, sur la coopération d'alliés qui viendraient à notre secours garder un certain nombre de nos places fortes, comme nous le garantissaient les traités de 1815 et comme nous l'assurait le maintien des places érigées contre la France.
C'est, messieurs, une erreur et dans la discussion de l'année dernière l'opinion contraire n'a pas trouvé de contradicteur ; personne n'a pensé que la Belgique pût rester seule dans un conflit avec un de ses puissants voisins. Toujours il a été admis comme première raison de sa défense, que la Belgique devait être secourue le plus promptement possible, par le pays, qui ne l'attaquant pas, devenait par cela même son allié contre celui qui violait notre neutralité.
Nous devons compter sur nous, sans doute, mais nous ne devons pas compter sur nous seuls, nous devons compter sur les prompts secours des puissances protectrices.
Mais, d'autre part, messieurs, le système de concentration admis, faut-il faire d'Anvers le point central de la défense nationale ?
Il me serait difficile de combattre la partie technique du discours de l'honorable général Chazal. Cependant, il ne m'est pas complétement démontré qu'il n'y ait pas d'autre système qui puisse protéger plus efficacement notre pays. Dans la discussion de l’année dernière, des hommes plus expérimentés que moi, plus éloquents que je ne le suis, ont défendu les fortifications de Bruxelles. Eh bien, je crois que cette thèse est la véritablement nationale, la véritablement indiquée par la neutralité de la Belgique.
L'honorable M. Thiéfry reconnaissait des avantages énormes, au point de vue politique, dans la fortification de Bruxelles, et si l'honorable général Goblet n'a pas défendu les fortifications de Bruxelles, c'est qu'il ne croyait pas que la législature, dès le début, fût disposée à faire les sacrifices nécessaires pour fortifier Bruxelles, alors qu'on lui demandait les premiers fonds pour les fortifications d'Anvers.
L'honorable M. Loos, en combattant le projet du gouvernement, s'exprimait ainsi :
« Ma position personnelle est un grand obstacle à la conviction que pourrait vous inspirer mes paroles, si je venais maintenir devant vous que, dans l'intérêt du pays, c'est à Bruxelles plutôt qu'à Anvers que devrait se concentrer la défense du pays. Et pourtant, messieurs, je suis pénétré de la plus profonde conviction à cet égard. »
Messieurs, en fortifiant Bruxelles, nous avons la certitude de ne blesser aucune des nations étrangères qui nous entourent, car les fortifications ne peuvent servir qu'à défendre uniquement la Belgique. Bruxelles fortifié de manière à y concentrer notre armée et à servir de place de refuge, donne, par sa position géographique, toutes les facilités possibles pour réunir les ressources propres à une banne défense ; de même, nos permissionnaires, comme le disait l'honorable général Chazal, auraient les plus grandes facilités pour rejoindre leurs corps, si toutefois l'on admet que le pays puisse être envahi avant que les permissionnaires aient rejoint leurs corps.
Le gouvernement, en fortifiant Bruxelles, reste où il est ; il ne déménage pas. Nous ne transportons pas hors de Bruxelles toute la vitalité de la nation. Nous nous maintenons où nous sommes ; nous ne reculons pas.
La position géographique de Bruxelles, comme obstacle à une armés envahissante, ne serait peut-être pas à la longue aussi puissante que celle d'Anvers. Mais Bruxelles pourrait résister assez longtemps pour attendre les secours sur lesquels nous avons le droit de compter. Bruxelles ne permettra pas à une armée de jeter un corps d'observation devant elle et de s'engager impunément dans le pays, parce que Bruxelles couvre la plus grande partie du territoire.
On a parlé du prix que coûteraient les fortifications de Bruxelles. Cette question a été soulevée l'année dernière. L'honorable M. Loos estimait les fortifications de Bruxelles à 70 millions, et il se fondait pour cette estimation sur le coût des fortifications de Paris, qui en avaient coûté 140, Bruxelles ayant un périmètre à fortifier, moitié de celui de Paris.
En tenant compte de la diminution du prix des matériaux, du prix des terrains, du prix de la main-d'œuvre, des hommes très compétents ont démontré qu'avec 45 millions, on obtenait ce résultat.
Vous voyez donc que la différence de prix n'est pas un motif de repousser les fortifications de Bruxelles, alors qu'on en arrive à nous demander des sommes aussi considérables pour les fortifications d'Anvers. Il n'en coûterait donc pas plus pour faire de la capitale la plus belle ville de l'Europe que pour transporter et garantir à Anvers toutes nos ressources.
L'honorable général Chazal nous a dit que Bruxelles serait privé d'eau si l’ennemi venait à couper l'aqueduc qui conduit les eaux nouvelles jusqu'au sein de la ville. Messieurs, tout le inonde sait qu'il n'y a pas un seul endroit, quelque élevé qu'il soit, dans la capitale, où l'on ne puisse avoir de l'eau excellente en faisant un puits d'une profondeur très ordinaire et l'on peut mutiplier ces puits à l'infini.
Les vivres manqueraient beaucoup plus vite à Bruxelles qu'à Anvers, dit l'honorable général Chazal; et comparant les fortifications de Bruxelles à celles de Paris, il a ajouté qu’il était impossible d’empêcher les vivres d’entrer à Paris.
(page 130) Dans la discussion de l’année dernière, l'honorable général Renard a prononcé quelques paroles qui résumaient les opinions des généraux et des orateurs de la Chambre française.
Voici ce que l'honorable général Renard disait :
« Ainsi il était parfaitement établi dans l'esprit de M. Thiers, du général Valazé et de tous les généraux qui ont donné leur avis sur les fortifications de Paris, que Paris pouvait être privé de l'alimentation extérieure ; mais ils étaient convaincus que Paris avait d'ordinaire un approvisionnement de vivres assez considérable pour résister jusqu'à l'arrivée des secours. »
Cet approvisionnement était estimé à une durée de six mois. Eh bien, ne pourrait-on faire pour Bruxelles, qui compte 200,000 âmes ce qu'on ferait peur Paris qui en possède 1,200,000 ?
L'honorable général Chazal a cité, pour justifier l'utilité de la concentration de l'armée belge à Anvers, des opinions historiques. Il a parlé du rôle qu'avaient joué les lignes de Torres-Vedras dans la guerre de la Péninsule.
Eh bien, je tire du rôle qu'ont joué les lignes de Torres-Vedras dans cette guerre, précisément un argument contraire contre les fortifications d'Anvers.
Les Français avaient évacué le Portugal. Les Anglais qui y sont descendus l'avaient occupé tout entier. Masséna revint, il livra une bataille au général anglais Wellington. Ce dernier fut battu sans cependant être désorganisé. Il a pu opérer sa retraite en bon ordre ; et savez-vous comment le général anglais, qui savait qu'il avait les lignes de Torres-Vedras pour y trouver protection et s'y retirer, a traité le territoire qu'il était appelé à défendre ?
Il a ravagé le pays, brûlé les maisons, chassé les habitants pour rendre ces lignes de son camp retranché plus faciles à défendre, en augmentant ainsi la difficulté que devrait rencontrer l'armée française.
L'honorable général Chazal nous a cité Alexandrie. Il nous a dit qu'Alexandrie en permettant la concentration des forces du Piémont, avait sauvé la capitale, avait sauvé la plus grande partie du pays de l'invasion autrichienne.
Mais, messieurs, la position géographie d'Alexandrie par rapport au Piémont, est bien plus semblable à celle de Bruxelles par rapport à la Belgique que celle d'Anvers.
Pour le Piémont la ville qui pouvait jouer le rôle d'Anvers c'est Gènes, et si Gènes eût été fortifiée au lieu d'Alexandrie, nul doute que les Autrichiens ne furent arrivés à Turin. Mais Alexandrie et au cœur du pays, il était plus facile à Alexandrie de menacer les flancs de l'armée autrichienne qu'il ne l'eût été à Gênes.
Vérone, dit l'honorable général Chazal, a été choisi pour être fortifiée plutôt que Milan. Mais Milan n'est pas la capitale de l'Autriche. Pour l'Autriche Milan est moins que Mons, pour nous Milan est la capitale d'une province contre laquelle est construit en quelque sorte le quadrilatère. Le véritable rôle de Vérone est de venir protéger l’Autriche des agressions de la France et de l’Italie. Pour l’attaquer d’un autre côté il faudrait violer le sol de l'Allemagne et la neutralité de la Suisse.
De tout temps, dit l'honorable général Chazal, Anvers a été fortifié. Je le concède tout et constatant qu'Anvers n'a jamais été fortifié pour le bien-être de la Belgique, les fortifications d'Anvers ont toujours été faites contre nous.
Le duc d'Albe a construit la citadelle d'Anvers pour maintenir en respect la ville calviniste qu'il avait soumise. Napoléon, dont l'autorité a été si souvent invoquée, en voulant fortifier Anvers, avait deux buts tout à fait personnels : le premier, c'était d'avoir un moyen puissant d'attaque contre les côtes anglaises ; le second, c'était de protéger, non la Belgique, mais Paris en cas de désastre.
Messieurs, je conviens qu'au point de vue militaire il est plus facile de défendre Anvers que Bruxelles.
Mais ce n'est pas l'unique point de vue auquel on doit se placer. Anvers, défendu pendant des années, secouru par mer comme l'était Ostende qui luttait contre Isabelle, alors qu'il était au pouvoir des Hollandais, peut éterniser la guerre dans notre pays et nous exposer à tous les ravages de l'invasion perpétuée chez nous.
Les lignes de défense qu'établissent le Demer, la Nèthe, le Ruppel, l'Escaut, et que l'on invoquait encore en faveur de la facilité qu'elles donnent pour défendre notre armée, couvrent non pas le pays, mais bien Anvers.
L'honorable général Chazal a dit quelques mots des forteresses à conserver et des forteresses à démolir ou plutôt il ne nous a parlé que de deux forteresses et de quelques têtes de pont à conserver. Dans la section centrale de 1858, ou a demandé au gouvernement qui promettait aussi la démolition de certaines places, quelles étaient celles qu'il entendait démolir. Invoquant encore, comme en 1859, cette convention de 1831, si peu respectée, le ministère s'est refusé d'indiquer ces places. L'honorable M. Thiéfry n'avait pas non plus une confiance illimité dars les promesses ministérielles. Il voulait, avant de croire à la démolition de Mons particulièrement, que l'on donnât des garanties et voici ce qu'il disait :
« MM. les ministres ont en outre déclaré en section centrale qu'aucune forteresse ne pourrait être désignée ni dans la loi ni dans la discussion, rien n'est porté pour ces sortes de travaux dans les crédits pétitionnés.
« Il ressort évidemment des faits que l’on cherche à obtenir des fonds pour les fortifications projetées à Anvers et que l'on conservera toutes les places fortes. A ce système je ne donnerai pas mon assentiment : l'effectif de l'infanterie n'était pas suffisant pour défendre toutes les positions. Le développement des fortifications d'Anvers, n'importe l'espèce d'ouvrage qu'on adopte, est nécessairement subordonné à la démolition de plusieurs places fortes.
« Je ne veux pas prendre sur moi la responsabilité d'une telle position fait à l'armée, et sur la démolition des places fortes je ne voterai rien, absolument rien, ni pour une enceinte, ni pour les forts. »
Messieurs, il y a un autre côté de la question qui est peut-être plus important encore aux yeux du pays. Ce côté de la question, c’est le côté financier.
Les moyens d'exécution du projet sont-ils parfaitement établis, je ne le crois pas. Le gouvernement réclame 48,927,000 francs rien que pour établir les fortifications et ne consacre rien dans cette somme pour les besoins ultérieurs de la défense. Rien n'est prévu pour l'armement. L’honorable général Greindl, en 1854, alors qu’il s'agissait en section centrale du projet de la grande enceinte, a dit dans une note qu'il a fournie à la section centrale, qu'il fallait 15 millions en plus pour continuer les grandes gardes, les hôpitaux, les prisons militaires, les casernes nécessaires aux troupes concentrées dans Anvers.
Dans le crédit pétitionné, je ne vois rien pour ces constructions.
L'année dernière, alors qu'il y avait des adversaires de la grande enceinte, autres que des opposants militaires, les principaux adversaires de la grande enceinte la repoussaient, parce qu'ils étaient convaincus que la grande enceinte coûterait au minimum 60 millions
L'honorable M. Verhaegen l'a dit en section centrale, quand il était en quelque sorte l’organe du ministère, et les paroles de M. Frère venaient confirmer, ce devis estimatif alors qu'il répondait à M. Loos.
Vous voyez donc, messieurs qu'à part les 15 millions sollicités par M Greindl, l'estimation du gouvernement en 1858 s'élevait à 60 millions, ce qui ferait 75 millions en totalité.
Quand nous aurons construit Anvers, il faudra évidemment l'armer. L'honorable M. Chazal nous a assuré que l’armement des places qu'on démolira suffira pour armer Anvers ; mais, messieurs, en présence des améliorations qui s'introduisent graduellement dans les armes à feu, pouvons-nous supposer que notre matériel puisse, sans dépense aucune, servir à la place d'Anvers ?
Dans les sections on a demandé au ministère si une marine était nécessaire pour compléter la défense du port d'Anvers ; il a été répondu affirmativement ; quelle sera la dépense à faire pour cette marine, du chef de premier établissement ? Quelle sera la dépense exigée pour son entretien annuel ? C'est encore, messieurs, une chose que nous ignorons.
Il y a une question qui n'est pas prévue non plus, question extrêmement grave, la question des indemnités à accorder aux propriétaires des terrains que vous allez grever de servitudes. La zone est aujourd'hui de 500 hectares, elle sera de 2,500 hectares dans le nouveau projet ; quelle est la somme que vous aurez à payer de ce chef ?
Maintenant, messieurs, ce système de concentration absolue ou du moins, quoiqu'on le nie, presque absolue, ce système admis pour Anvers, si l'on veut y concentrer non seulement l'armée, mais le gouvernement, les Chambres, la famille royale, nos grands établissements, la fonderie de canons, nos magasins et nos fabriques de poudre, les archives, les musées, en un mot tout ce que nous avons de précieux, ne faudrait-il pas de ce chef encore dépenser des sommes énormes ?
L'insalubrité de la ville d'Auvers est malheureusement trop constatée, elle a été signalée trop souvent pour qu'elle ne doive pas être prise en considération. Les habitants d'Anvers sont habitués à leur climat, mais l'étranger qui séjourne quelque temps dans cette ville y contracte la fièvre des polders et lorsque vous aurez tout concentré à Anvers que ferez-vous de vos malades?
On a demandé en sections à l'honorable ministre de la guerre si le budget futur de la guerre diminuerait par suite de l'établissement des fortifications d'Anvers. Il a répondu négativement. Il a répondu aussi, il est vrai, que ce budget n'augmenterait pas ; mais, messieurs, l'expérience nous prouve que quand un ministre promet que les dépenses diminueront, cela n'est pas toujours exact, tandis que quand il promet que les dépenses n'augmenteront pas, le contraire arrive presque toujours.
Nous sommes donc certains de ne pas avoir de diminution sur le budget normal, mais nous sommes complétement incertains de ne pas avoir d'augmentation.
Messieurs, je bornerai là mes observations. Comme je vous l'ai dit en commençant, je n'étais nullement préparé, et il m'a fallu, j'ose le dire, un certain courage pour prendre la parole aptes l'honorable général Chazal ; mais en combattant le projet du gouvernement, j'obéis à une conviction sincère et profonde. L'incertitude de l'efficacité du système présenté, les énormes dépenses dans lesquelles le pays s'engage, la crainte de le voir sortir de son système de neutralité, tout concourt à me démontrer qu'aujourd'hui, pas plus qu'en 1858, le dernier mot n'est dit sur notre système de défense nationale. Une chose surtout m'a (page 131) frappé dans l'habile argumentation de l'honorable ministre de la guerre, c'est la manière absolue dont il envisage la défense du pays, uniquement au point de vue de l'armée.
L'armée seule est appelée à défendre notre nationalité et la Belgique, dotée d'une des plus belles places fortes de l'Europe, se borne à appeler les permissionnaires sans songer à faire appel au courage de ses citoyens. Et pourtant ne peut-on compter sur la garde civique, sur les enfants du pays ? (Interruption.)
Riez, messieurs, mais croyez-le bien, la qualification de soldat du dimanche ne nous rendra pas incapables de défendre, s'il le faut, notre pays et nous sommes aussi justement fiers de nos épaulettes que ceux qui les portent tous les jours. La thèse que je soutiens a été développée pai cette grande figure, dont si souvent l'on invoque l'autorité, Napoléon Ier. Ce conquérant tombé regrettait, à l'heure du désastre, de n'avoir pu, quand il était fort et puissant, organiser d'une manière complète la garde nationale de la France.
Messieurs, si la Chambre donne son approbation au projet du gouvernement, j’espère me tromper complétement dans mes prévisions, j’espère que mes craintes ne se réaliseront pas.
Fassent les destinées que les influences et les intérêts coalisés pour faire triompher la cause que je combats, ne soient jamais contraires aux influences prospères et aux véritables intérêts de la Belgique !
M. J. Jouret. - Messieurs, quoique complétement étranger aux questions techniques que soulève le projet de loi de travaux qu’il s’agit d’exécuter à Anvers, j’ai entendu avec un plaisir extrême l’exposé complet, lucide et calme que M. le ministre de la guerre nous a fait dans les séances d’hier et d’aujourd’hui.
Et si, ce dont je doute, il reste quelque chose à faire à cet égard, je laisse à d’autres qui possèdent, jusqu'à certain point, cette spécialité de connaissances, le soin de compléter l'examen du projet de loi sous ce rapport.
Je ne dirai rien non plus de la question financière que l'honorable préopinant a traitée ; je suis convaincu que M. le ministre des finances lui répondra d'une manière complétement satisfaisante pour la Chambre.
Je me bornerai donc à présenter quelques observations qui, je l’espère, motiveront suffisamment pour la Chambre le vote affirmatif que je suis bien décidé à émettre dans cette occasion solennelle.
Messieurs, j'ai voté pour le projet de 1858, j'ai voté pour ce projet guidé par un sentiment patriotique qui me criait que ce travail était indispensable à notre défense nationale ; je voterai pour celui de 1859, et je ne me laisserai en aucune manière émouvoir par le reproche d'inconséquence qu'on nous a fait, reproche qui vient d'être renouvelé par l'honorable M Goblet.
« Quoi ! vous avez voté la petite enceinte en 1858, et vous allez voter la grande en 1859. Et cependant ce sont deux choses diamétralement opposées. »
Voilà à peu près les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Goblet.
Cette objection, en ce qui me concerne, ne me fait éprouver aucun embarras.
Je le reconnais, je ne possède aucune compétence pour apprécier les questions stratégiques qui se produisent dans ce débat, je les laisse complétement aux hommes spéciaux, et je n'ai pas à juger à ce point de vue les projets qu’ils nous présentent.
Cependant je n'ai pas oublié que l'année dernière, la petite enceinte ne nous était pas donnée comme diamétralement opposée au projet actuel, ainsi que le prétend l'honorable M. Goblet. Cette assertion ne souffre pas l'examen.
Au contraire, la petite enceinte nous a été proposée par le gouvernement comme un premier pas dans une voie qui nous menait à la grande, cela a été dit 20 fois, et je m'étonne que l'honorable membre, au langage vrai duquel j'ai applaudi, en ce qui concerne la garde civique, n'ait pas loyalement reconnu ce fait.
Il y avait à cet égard unanimité. Le gouvernement, le commissaire royal, tous les orateurs qui ont pris la parole le reconnaissaient : la petite enceinte n'excluait pas la grande dans l'avenir. Et quand, en 1859, on vient proposer la grande enceinte, un projet qui de plus donne complétement satisfaction aux intérêts d'Anvers, nous serions inconséquents, en votant ce projet, que je voterai, pour ce qui me concerne, en ne considérant uniquement que les intérêts généraux du pays.
Messieurs, la principale et la plus sérieuse objection qu'on ait faite au projet de loi est celle-ci : « La guerre est finie ; la paix a été proclamée à Villafranca ; par conséquent, nous n’avons plus à nous préoccuper du soin de la défense de notre territoire. »
Il me semble que ce raisonnement pèche entièrement contre la logique. Si un système énergique et permanent de défense nationale n'est pas nécessaire, il faut en déduire forcément cette conséquence que tout établissement militaire devient inutile en Belgique; et si l'on veut être conséquent jusqu'au bout, il faut demander le licenciement complet de l'armée belge.
Est-ce que ceux qui raisonnent ainsi veulent aller jusque-là ? Je doute qu'ils l'osent.
Il est évident que si la nécessité du maintien de l'armée est incontestable, celle de la constitution d'une base sérieuse d'opération en est le complément naturel. Si la question de fortification n'obtient pas une solution complète, à quoi bon les charges d'un budget de la guerre ne servant qu'à entretenir une armée qui, en cas de guerre contre une puissance nous opposant des forces supérieures, ne trouverait pas à se retrancher vigoureusement dans une place assez forte pour être le dernier boulevard de la nationalité belges ?
Je comprends cette manière de voir chez les membres de cette Chambre qui votent toujours contre le budget de la guerre et qui repoussent tout établissement militaire. Ceux-là au moins sont logiques. Mais comment comprendre cette manière de voir chez ceux qui votent ordinairement le budget du ministère de la guerre.
Je fais un appel au bon sens de la Chambre. Quoi ! nous dépensons tous les ans pour notre établissement militaire 35 à 40 millions (Interruption.) Vous me direz que le budget annuel ne porte que 32 millions ; mais il est à remarquer qu'avec les crédits extraordinaires, on arrive au chiffe de 35 à 40 millions.
Eh bien, pour donner à notre système militaire toute sa puissance, toute son efficacité, le gouvernement vient nous proposer de faire une dépense de 48 millions ; et vous qui votez, chaque année, une dépense de 35 à 40 millions, vous refuseriez de voter, pour une fois, la somme de 48 millions, et qui doit rendre fructueuse cette dépense annuelle de 35 à 40 millions ! Cela serait illogique.
Je le répète, ceux qui ont cette manière de voir devraient, pour être conséquents, demander qu'on cesse de voter les dépenses de la guerre ; et, sans prendre à cet égard aucun engagement, j'avoue que moi-même je ne sais ce que je ferais dans l'avenir, si la Chambre se refusait à voter ces travaux importants qui doivent donner toute son efficacité à notre établissement militaire.
En continuant de répondre à l'objection tirée de la conclusion de la paix, je demanderai : Est-on bien fondé à dire : « La guerre est finie; nous pouvons nous endormir dans une complète sécurité. »
D'abord, messieurs, quel est celui de vous qui considère, non pas la paix, puisqu'elle n'est pas faite, mais les préliminaires de Viliafranca comme étant de nature à nous ôter toute crainte que dans un temps donné, les événements européens ne nous mettront en présence de complications, sinon certaines, probables du moins, tout au moins possibles.
Messieurs, si quelqu'un pouvait avoir des doutes à cet égard, je le mettrais eu présence des appréciations de la plupart des organes de la presse ; en voici une qui me tombe la première sous la main et que je demande à la Chambre la permission de lui lire.
« L’accueil fait à la paix par l'opinion et par la presse rend des explications indispensables. Les classes élevées, les classes commerçantes et industrielles ont accueilli la paix avec une joie sincère : les classes populaires de Paris n'ont pas dissimulé leur déception. Mais ceux mêmes auxquels la paix a fait autant de plaisir que la guerre leur avait causé de regrets, sont plongés dans la plus profonde incertitude sur le vrai caractère de cette paix ; un malaise secret agite les esprits, et les craintes d'une nouvelle guerre européenne se traduisent chaque jour. »
Messieurs, je pourrais vous donner d'autres extraits encore dans le même sens, mais je crois pouvoir m'en abstenir. Je continue à répondre à cette objection que la paix doit nous faire renoncer au vote du projet de loi.
Messieurs, est-il bien certain que le projet actuel soit le même que celui qui nous aurait été présenté si la guerre avait continué ? Je ne suis pas dans les secrets du gouvernement, mais il est évident, pour moi, que le projet actuel n'est nullement ce qu'on avait l'intention de nous présenter quand la Chambre a été convoquée. Pour moi, cela ne forme pas l'ombre d'un doute. Le projet qu'on se proposait de nous présenter avait évidemment pour cause les nécessités immédiates de la guerre.
Ce projet, telle est du moins ma conviction, était un projet d'emprunt forcé...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jamais.
M. J. Jouret. - Ayant pour objet tout d'abord de mettre notre armée sur le pied de guerre.
On me dit jamais ! Soit, mais je demande de conserver mon appréciation à cet égard
J'affirme néanmoins que le projet actuel, et c'est en cela que le reproche qu'on lui fait, manque de fondement, ne nous a pas été présenté malgré la paix, mais précisément par ce que la paix était conclue. (Interruption.)
Ce projet contient des travaux de paix, et dès lors je ne comprends point la critique dont il est l'objet puisqu'on voit assez par là combien il diffère du projet qu'on avait d'abord conçu.
On a dit ensuite, et ceci est plus grave, c'est une objection que vous avez rencontrée partout et qui a dû, messieurs, faire une pénible impression sur vos esprits ; on a dit que les fortifications d'Anvers sont dirigées contre la France, qu'elles doivent être considérées comme un acte de défiance, de provocation ; que nous devons avoir foi dans notre neutralité, nous fier à la loyauté des puissances qui ont constitué cette neutralité et s'en sont portées garantes.
Messieurs, je dis, moi, que la devise patriotique de la Belgique, celle (page 132) qu'elle doit inscrire toujours sur son drapeau, c'est celle-ci : neutralité sincère, loyale, mais neutralité armée et forte.
Il faut que notre neutralité soit une garantie sérieuse pour toutes les puissances qui nous ont constitués nation neutre ; et cette garantie ne sera sérieuse qu'avec une neutralité forte et bien organisée ; si elle est faible et désarmée, au contraire, elle ne sera jamais qu'un embarras et un danger pour les puissances qui nous entourent.
Il est évident, messieurs, qu'Anvers, fortifié contre la France, c'est là une idée absurde qui n'a pu venir sérieusement à l'esprit de personne. Anvers sera fortifié contre tout le monde, contre toutes les nations qui tenteraient d'attaquer notre neutralité.
Quant à nous confier à une neutralité désarmée, quant à nous nourrir de ces idées philosophiques d’une paix perpétuelle, de ces beaux rêves qui ont été produits en section centrale, dans toutes les sections de la Chambre et qui ont été consignées presque textuellement dans le rapport de l'honorable président-rapporteur, je crois, messieurs, que c'est caresser un rêve irréalisable. Oh ! si nous pouvions nous transporter dans une contrée encore inconnue, dans quelque nouveau pays d'Utopie, dans quelque Icarie nouvelle, j'admettrais qu'on essayât cette expérimentation si dangereuse pour notre nationalité. Mais, messieurs, restons dans la réalité et reconnaissons qu'un peuple entouré de puissances considérables et possédant de nombreuses armées, animées de sentiments bienveillants, je le veux bien, mais qui prouvent parfois aussi que ces sentiments ne sont pas immuables, reconnaissons qu'un peuple dans ces conditions doit veiller toujours à assurer son repos, sa sécurité.
Quant à moi, je trouve ces rêves de paix très généreux sans doute ; mais quand je les entends produire, je me rappelle ces magnifiques paroles prononcées, il n'y a pas longtemps, au sein du parlement anglais par un noble lord presque centenaire et dont la voix dans cette occasion semblait venir pour nous d'outre-tombe :
« La vérité, s'écriait lord Lyndhurst, a été dite dans les temps anciens, par un grand orateur d'Athènes : La force réelle, le boulevard des nations libres contre l'étranger, c'est la défiance. »
Messieurs, croyez-moi, défions-nous ! Rappelons-nous ce qu'il en a coûté à une nation qui avait en quelque sorte compté sur la réalisation de ces beaux rêves. La république de Venise, en 1796 et 1797, disparut pour toujours de la carte des nations ; cette malheureuse république, malheureuse jusqu'à ce jour et destinée à l'être longtemps encore peut-être, avait eu l'imprudence de ne point s'occuper de la défense de son territoire; elle disparut, messieurs, et si elle avait veillé au soin de sa défense au contraire, selon toute probabilité, la république de Venise n'eût pas été rayée du nombre des nations indépendantes, par une autre république, et elle n'aurait pas eu surtout à subir l'humiliation d'entendre le général Bonaparte dire à son provéditeur Foscarelli : « Ce n'est pas avec vos 1,500 Esclavons que vous pourriez maintenir votre neutralité et vous opposer au passaae de l'armée autrichienne. Je dois donc faire chez vous ce que vous n'avez pas eu l'énergie de faire vous-mêmes .»
Songeons, messieurs, à cette destinée de la république de Venise et montrons-nous plus qu'elle prévoyants et soucieux de notre avenir.
Un autre reproche a encore été fait au projet, c'est qu'il livre tout le pays à l'invasion étrangère. Mais ce serait véritablement abuser des moments de la Chambre, qu'essayer d'ajouter quelques considérations nouvelles à celles qu'a développées sur ce point l'honorable général Chazal.
Ainsi donc, l'exposé des motifs nous le dit : nous aurons dorénavant un système de défense du pays basée sur le principe de la concentration des forces défensives, principe incompatible avec le maintien de toutes nos places-frontières créées en 1815 en vue d'une situation qui n'existe plus. Il est évident que notre système de défense concentrique a pour but de réaliser autant que possible ce qui a été fait en 1810 à Torres-Vedras, dans ces lignes célèbres qui ont été le premier obstacle devant lequel la puissance de l'empereur qui menaçait de tout envahir fut contrainte de s'arrêter.
Messieurs, qu'il me soit permis, car c'est un point que j'ai fort à cœur, de revenir un instant encore sur le parti que, le cas échéant, on pourrait, à l'aide de notre nouveau système de défense, tirer de nos milices citoyennes.
Veuillez me permettre de dire comment j'apprécie notre nouveau système de défense, les conséquences que je voudrais lui voir produire et comment je m'explique qu'il doit amener, malgré les assertions contraires, une certaine atténuation de nos dépenses militaires.
La Chambre me permettra de développer quelques considérations sur les lignes de Torres-Vedras qu'ont invoquées dans un sens différent l’honorable ministre de la guerrie et l'honorable préopinant dans le discours qu'il vient de prononcer.
Ces considérations forment, pour moi, un des points importants du projet de loi. La Chambre sait qu'en 1810, l'armée qui défendait le Portugal était composée de 30,000 Anglais et de 20,000 hommes de troupes régulières portugaises. Mais ce que le général n'a pas dit hier, dans sa démonstration relative aux lignes de Torres-Vedras, parce que cela n'était nullement nécessaire pour la démonstration qu'il avait à faire à la Chambre, c'est qu'il y avait de plus 30,000 hommes des milices citoyennes qui peuvent être comparées au premier ban mobilisé de notre garde civique qui a excité tout à l'heure si malheureusement le rire de la Chambre.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Coomans. - Je constate que je n'ai pas ri.
M. J. Jouret. - Je ne dis pas que ce soit vous qui ayez ri.
M. Coomans. - Vous dites que la Chambra a ri et comme je fais partie de la Chambre, je tiens à déclarer que je n'ai pas ri.
M. J. Jouret. - Il m'est permis d'exprimer le sentiment pénible dont j'ai été pénétré en entendant les éclats de rire qui ont accueilli les paroles de l'honorable M. Goblet à propos de la garde civique.
Que fit le duc de Wellington lorsque le maréchal Masséna arriva en Portugal à la tête d'une magnifique armée ? Cette armée était magnifique, non seulement par le nombre, mais encore par ses chefs, parmi lesquels on remarquait les maréchaux Masséna, Ney, Suchet, les généraux Walzin, Régnier et Foy ; ce fameux général Foy qui plus tard devint l'une des gloires de la tribune française.
Que fit le duc de Wellington lorsqu'il vit Masséna s'avancer à la tête de cette armée au cœur du Portugal ? Il se porta en avant à la rencontre de l'ennemi et vint se porter sur les hauteurs d'Alcoba, où il arrêta les Français dans la bataille qu’il leur livra à Busaco. A quelle circonstance le général anglais dût-il ce succès ? A ceci qu'il sut utiliser avec une parfaite intelligence les 30,000 hommes de milices portugaises qu'il avait à sa disposition et qui, au dire de M. Thiers, étaient en état de lui rendre de très bons services. Voilà ce que je tenais à constater.
L'honorable M. Goblet a dit que Wellington avait été battu avant de se retrancher derrière les lignes de Torres-Vedras ; mais c'est tout le contraire : il fut vainqueur à Busaco. Il arrêta l'ennemi, lui fit éprouver des pertes considérables. Les historiens s'accordent à croire que, s'il avait marché en avant, il aurait pu le détruire. Ce qui fait l'erreur de l'honorable M. Goblet, c'est que, par une circonstance toute fortuite, Masséna découvrit un défilé ignoré du général anglais et qui lui permit de faire écouler ses troupes qui débouchèrent deux jours après dans les plaines de Coïmbre. C'est alors que Wellington, débordé par l'armée française, fut forcé de regagner ses lignes de Torres-Vedras. M Goblet a donc eu tort de dire qu'il avait été vaincu.
Nos gardes civiques sont-elles propres à concourir avec l'armée à la défense du pays et à rendre de pareils services ? Ce qui s'est passé en 1831 répond à cette question. L'honorable général Chazal sait mieux que personne que la défaite de Louvain fut due non à la lâcheté ni à tout autre sentiment que nous ayons à désavouer, mais au défaut d'organisation.
Dans cette défaite même on a pu constater tout le mérite de nos gardes civiques, et lorsque trois mois après ce désastre le gouvernement sentit la nécessité de réorganiser l'armée, que fit-il ? Par un simple arrêté royal il mobilisa 25,000 à 30,000 de ces jeunes hommes ; mobilisés le 10 novembre, quatre à cinq jours après tous avaient répondu à l'appel du gouvernement et se trouvaient les uns aux frontières, les autres dans la place d'Anvers où ils surent rendre des services signalés qui ne se sont pas démentis pendant deux années.
En présence de pareils faits j'ai peine à comprendre, je le répète, les rires qui accueillirent tout à l'heure les paroles de l'honorable M. Goblet. Pour moi, je ne trouve rien de risible à cela.
Dans mon opinion, ce qui rend le projet bon, ce qui fait que je le voterai avec un véritable sentiment de satisfaction, c'est que j'ai l'espoir que l'on pourra reconstituer notre armée sur d'autres bases que celles de la loi d'organisation.de 1845, et qu'il sera possible d'opérer de notables économies dans nos dépenses militaires.
La garde civique exige peu de frais d'armement. Organisez vigoureusement le premier ban de la garde civique d'après les idées qui président aux conseils du gouvernement, donnez-lui des armes de précision, excitez et développez son patriotisme en la faisant participer aux tirs que vous instituez, et vous pourrez y trouver un élément réel de force nationale, comme une source d'économie dans nos dépenses militaires.
Qu'il me soit permis d'exprimer ici le regret que m'a fait éprouver la manière dont s'est opéré le licenciement du premier ban de la garde civique.
Il me semble qu'on aurait pu le traiter avec un peu plus d'égards. Au lieu de lui laisser ses armes et de lui permettre de les déposer dans ses localités respectives, où elles auraient continué à armer les nouveaux appelés au service, on l’a renvoyée dans ses provinces où après avoir déposé ses armes et une partie de sou équipement, il a été licencié dans un état de dénuement presque complet.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Beaucoup d'entre eux sont devenus officiers supérieurs dans l'armée.
M. J. Jouret. - Sur 25 à 30 mille hommes dont se composait le premier ban, cela est arrivé pour de très rares exceptions.
En vous donnant tous ces détails j'ai voulu seulement, messieurs, attirer l'attention du gouvernement sur quelques points qui me paraissaient dignes d'être examiné s; j'espère que ces observations seront prises en considération.
On a dit que le projet était peu populaire, qu'il était repoussé par la nation. Je m'étonnerais beaucoup qu'un pareil projet fût généralement bien accueilli au premier abord ; tous les projets qui entraîneraient des dépenses considérables pour le pays ont commencé par être (page 133) impopulaires. Il en sera toujours ainsi. Mais faisons comprendre à nos populations toute l'importance du projet actuel, la grandeur de l'intérêt auquel il se rattache et la nécessité d'une dépense aussi patriotique, et je vous garantis qu'avant peu il cessera d'être impopulaire.
S'il en était autrement, si, quand il s'agit d'un aussi grand intérêt national, quand, dans un avenir prochain, l'existence même du pays peut être mise en jeu, c'est mon appréciation, du moins, nous avions la douleur de voir une partie de nos populations livrée aux préoccupations exclusives du lucre et de l'intérêt personnel, de la voir indifférente aux dangers de la patrie, aux appréhensions de ceux qui sont chargés de veiller à ses destinées, de la voir dépourvue de tout sentiment politique et national, ne serait-ce pas pour nous le plus saint, le plus sacré des devoirs de lui dire la vérité tout entière et de ne jamais lui laisser ignorer que l'indépendance et la liberté sont des biens suprêmes qui, le cas échéant, doivent être défendus par de suprêmes sacrifices ?
Pour moi, c’est ainsi que je comprends mon devoir.
Ce devoir je le remplirai avec courage et saurai dédaigner, s'il le faut, les charmes d'une vaine popularité.
Messieurs, nous nous sommes trouvés souvent dans des situations analogues. Nos prédécesseurs, les fondateurs de notre bel établissement politique, ceux qui ont su le défendre et le féconder, nous ont, dans diverses occasions, donné de beaux exemples. Sachons nous en inspirer et les suivre.
Que la Chambre me permette ici de lui donner lecture d'une page magnifique due à la plume de notre honorable et vénéré collègue M. Devaux :
« Et, cependant, quel pays eut jamais plus besoin de foi politique que notre jeune Belgique ? C'est sa condition d'existence. Au lieu de lui prêcher l'indifférence, au lieu d'énerver le sentiment politique, fortifiez-le, relevez le, car cette vitalité est indispensable à la Belgique pour rester nation. Ce qu'il lui faut avant tout, c'est qu'elle se sente vivre et grandir, qu'elle se sente nation, qu'elle s'inspire de la confiance à elle-même. Eteignez la vie politique, rendez les citoyens indifférents à la-direction des affaires de la patrie, faites que tout se mesure à l'aune de l'intérêt personnel, votre pays sera une agrégation de localités juxtaposées, sans lien moral entre elles, ce ne sera pas une nation. »
Beaucoup d'entre vous se rappellent des paroles à peu près semblables qui ont fait une si profonde impression sur vos esprits.
« Comment alors, continue M. Devaux, lui ferez-vous comprendre la nécessité des sacrifices que commande la nécessité de son indépendance ? Comment le ferez-vous consentir longtemps aux frais de son armée et de ses places fortes ? Et quand l'orage viendra à éclater sur votre tête, quand l'étranger sera à vos portes, pour vous arracher votre existence de peuple indépendant, où retrouverez-vous des citoyens, où retrouverez-vous des Belges au milieu de cette poussière que vous aurez faite ?
« Tandis que vous rechercherez alors tous les ressorts moraux qui peuvent agir sur votre armée et sur vos populations, l'intérêt particulier sera à calculer par sous et deniers ce que la nationalité lui coûte, ce que la domination étrangère lui rapporterait, et vous aurez la douleur de le voir, pendant vos tardifs appels aux sentiments nationaux et au patriotisme désintéressé, se porter au-devant de l'étranger pour solliciter des places ou courir à la bourse pour faire profiter à la hausse de ses actions industrielles, la honte et l'asservissement de la patrie. •
Ne dirait-on pas, messieurs, que ces nobles et éloquentes paroles ont été écrites pour les circonstances où nous nous trouvons ?
Messieurs, la résolution que nous allons prendre est une de ces résolutions solennelles qui datent dans la vie des peuples. S’il est vrai que le projet en discussion n’ait point toutes les sympathies de la nation, c’est à votre patriotisme dévoué à lui en faire comprendre la nécessité, afin qu’elle l’accepte et lui rende la faveur qu’il mérite.
On a dit souvent : « Noblesse oblige. » » Cela est vrai, lorsque l'on donne à ce mot son sens véritable, élevé.
Eh bien, l'indépendance et le degré de liberté qu'un peuple a su se donner lui-même, et pratiquer avec constance et énergie constituent ses titres de noblesse devant les autres nations, mais fixent également l'étendue de ses obligations et de ses devoirs.
Messieurs, ne l'oublions pas dans ces circonstances redoutables, lorsqu'on les envisage au point de vue de l'avenir !
Pour moi, sans me préoccuper des conséquences que mon vote devait avoir pour moi-même, ce qui importe peu, je me suis placé devant ma conscience et devant les résultats probables que devait avoir pour la patrie un votre improbatif. J'ai pensé à Venise, rayée de la carte des nations, après des siècles d'une nationalité puissante et forte ; j'ai pensé à Lisbonne et au Portugal, résistant avec succès dans les lignes de Torres-Vedras au colosse qui menaçait de tout envahir. J'ai pensé à Turin, sauvé récemment par Alexandrie, et à Vérone conservant la Vénétie à l'Autriche, contrairement aux prévisions qu'avait fait naître une désastreuse campagne.
En faisant un retour sur le passé de notre chère Belgique, j'ai tremblé, je vous l'avoue, à l'idée des malheurs que notre faiblesse et notre aveugle confiance pouvaient accumuler sur elle dans l'avenir.
Nous serions indignes de nous-mêmes, nous mériterions les sévérités de l'histoire et peut-être l'exécration de nos neveux, si nous n'avions pas assez d'énergie pour faire tout ce qui est en notre pouvoir pour leur transmettre intact ce précieux héritage.
Je vote donc pour le projet de loi, parce qu'il réalise l'une des œuvres les plus utiles, les plus indispensables qu'il ait été donné à la nation de faire pour la sécurité de son avenir, pour son honneur et pour le maintien de son indépendance et de ses institutions.
M. de Renesse. - Messieurs, déjà lors de la discussion de l'année dernière sur le meilleur système défensif à établir devant Anvers, j'ai indiqué les motifs qui m'engageaient à donner une certaine préférence à la grande enceinte du camp retranché, avec des fortifications très solidement constituées, de manière à assurer la défense nationale la plus formidable.
Le système de la grande enceinte, auquel le gouvernement S'est rallié pour son immédiate exécution, depuis qu'une grande commission de vingt-sept membres, choisis parmi les officiers de toutes les armes, a été unanime pour reconnaître que ce moyen de défense était préférable à tout autre, doit maintenant offrir une plus grande garantie à ceux d'entre nous qui n'ayant pas de connaissances spéciales militaires, désiraient encore être éclairés sur cette grave question de la meilleure et la plus efficace défense nationale, avant de prendre une détermination définitive.
Cette commission spéciale, après un long et mûr examen, a dû reconnaître « que, dans l'état actuel de l'art de la guerre, le système de défense du pays doit être basé sur le principe de la concentration des forces défensives ; principe incompatible avec le maintien de toutes les places frontières créées après 1815, en vue d'une situation qui n'existe plus. »
Je puis concevoir qu’il est encore des personnes qui ont des doutes, qui ne sont pas encore entièrement fixées sur l'efficacité de ce nouveau système défensif que le gouvernement présente aux délibérations des Chambres ; qu'elles préfèrent le statu quo, en attendant que l'on puisse trouver un moyen de défense moins dispendieux; mais, ceux d'entre nous qui, l'année dernière, ont voté l'ajournement du projet plus restreint proposé par le ministère actuel, pour que la question de l'agrandissement général de la ville d'Anvers, avec la grande enceinte fortifiée, soit plus mûrement étudiée, ne devraient pas, actuellement, former une opposition contre un projet qu'ils paraissaient avoir alors indiqué par leurs votes, et dont déjà sous le ministère précédent, la dépense avait été prévue et détaillée dans la note du 21 avril 1857, adressée par M. le général Greindl à la section centrale ; les dépenses de l'agrandissement général étudié en 1856-1857, s'élevaient à environ 45,000,000de francs. Si ces honorables collègues ont un meilleur système à présenter, surtout plus économique, qu'ils lui fassent voir jour, on l'examinera, on l'appréciera à sa juste valeur, et l'on pourra, alors seulement, faire la comparaison des deux systèmes en présence, dont l'un aura obtenu l'assentiment unanime des hommes du métier, et l'autre aurait pour auteurs peut-être quelques théoriciens peu pratiques, et probablement guère au courant de la stratégie militaire.
Si, lors de la discussion du projet de défense, présenté pendant la session de 1857-1858, j'ai donné une certaine approbation au système des fortifications de la grande enceinte, ce n'était, toutefois, que sous une réserve : partisan des économies à introduire dans les trop grandes dépenses de l'Etat, j'avais été frappé, ainsi que plusieurs de mes honorables collègues, de l'augmentation presque continue des dépenses ordinaires et extraordinaires du département de la guerre ; j'avais démontré en 1858, sans contestation aucune, que de 1851 inclus 185 ; le budget ordinaire de la guerre avait été porté, en moyenne, à environ 35,000,000 de francs sans y comprendre les pensions militaires, considérablement augmentées, par suite d'une application plus extensible de la loi des pensions, et il est probable que par la mise à la retraite, depuis peu, d'un très grand nombre d’officiers de tous grades, le crédit pour ces pensions sera encore accru d'une manière très notable ; en outre, les dépenses extraordinaires de ce département, depuis 1848 jusqu'en 1858, avaient absorbé une somme de 31,585,386 francs. Ainsi une moyenne de 3,150,000 francs par année; il résulte de ces renseignements statistiques, puisés dans des documents officiels, que le ministère de la guerre aurait absorbé, chaque année, en y comprenant, toutefois, les pensions militaires pendant le terme ci-dessus indiqué, plus de 41,000,000 de fr.
C'est ce chiffre réellement de 41,000,000 francs que l'on a dépensé pendant ces dix dernières années ; il est loin de celui de 50,000,000 de francs que l’honorable M. J. Jouret a cité, probablement par erreur.
C'est contre cette grande extension de dépenses que j'ai cru devoir m'élever, et j'indiquais, avec plusieurs autres de nos honorables collègues d'alors, d'ailleurs beaucoup plus compétents que moi en cette matière, qu'il fallait chercher à introduire des économies dans, les dépenses de la guerre, en modifiant sous un certain rapport une partie de l'organisation actuelle de l'armée, créée pour un tout autre système défensif qui comprenait la défense d'un grand nombre de forteresses, ainsi que la faculté de pouvoir en même temps mettre en campagne une force active, assez fortement constituée.
Le principe que je soutenais en 1858 me paraît s'être fortifié de l'opinion de la grande commission, qui propose formellement, en cas de guerre, « la concentration de forces défensive s; de ne garder que les places existantes, au nombre strictement nécessaire, et de concentrer notre armée et notre matériel de guerre sur une grande position stratégique, organisée pour une défense opiniâtre. » Aussi, dans l’exposé des (page 134) motifs du projet de la grande enceinte, le gouvernement doit reconnaître que ce projet d'ensemble offre des avantages nombreux, surtout pour le système de la centralisation des forces défensives, qu'il consacre définitivement et aura pour résultat de donner satisfaction à un grand intérêt et de permettre à la Belgique de remplir dignement et efficacement les devoirs que sa neutralité lui impose. »
Ce ne sera certes pas en tenant la campagne avec des forces insuffisantes que nous pourrions espérer de défendre avec opiniâtreté et honneur un pays entièrement ouvert, et attaqué par une armée beaucoup plus considérable que la nôtre, ayant, en outre, une bonne réserve, ce qui, jusqu'ici, nous manque entièrement. Il faudrait donc que notre armé active fût plus que doublée pour pouvoir résister avec quelque chance de succès, si, en outre, elle devait défendre notre territoire sur les différents points du pays; il est d'ailleurs à supposer que dans l'état actuel des choses , la Belgique ne pourra plus être envahie que par les armées de puissances du premier ordre, et, alors il y a nécessité pour nous de concentrer dans un camp retranché, solidement fortifié, nos forces militaires, insuffisantes contre une trop forte agression armée ; l'on pourra alors, avec plus d'énergie, repousser l'attaque étrangère, en attendant que les puissances qui ont intérêt à défendre notre neutralité et notre nationalité puissent concourir avec nous à la défense commune.
La démolition d'une grande partie de nos forteresses, la concentration de l'armée et de son nombreux matériel en cas de guerre doit, dans un avenir rapproché, après l'exécution des travaux de défense à Anvers, permettre de réduire les dépenses ordinaires du département de la guerre, dans une certaine proportion, de manière à compenser les grands sacrifices que le pays doit s’imposer pour se créer un système défensif approprié à sa neutralité et à ses ressources ordinaires.
C'est le but que le gouvernement doit chercher à atteindre, s'il veut que le projet de l'établissement de grandes fortifications, avec camp retranché à Anvers, devienne plus populaire dans le pays, qu'il soit mieux compris; en effet si l'intérêt d'une meilleure et plus concentrée défense nationale doit naturellement prévaloir, que, sous ce rapport, des fonds notables sont postulés, il est de notre devoir, nous qui sommes partisans de ce nouveau système défensif, d'insister avec force auprès du gouvernement pour que, dorénavant, les dépenses ordinaires du budget de la guerre soient maintenues dans de justes limites, ce sera alors seulement que la discussion de ce budget ne donnera plus lieu à cette opposition continue, toujours regrettable, lorsqu'il s'agit de notre force armée.
Nous, les représentants de la nation, nous devons avoir principalement à cœur tous les grands intérêts du pays ; nous devons, dans le but du maintien de notre nationalité, désirer que les charges publiques ne soient pas inutilement aggravées ; la meilleure garantie pour notre nationalité, c'est d'y attacher sincèrement nos populations, en sauvegardant toutes les grandes libertés, dont notre libérale Constitution nous a si largement dotés, en procurait en outre à ces populations une amélioration dans leur bien-être moral et matériel ; mais, pour y parvenir, il faut nécessairement de la modération dans les impôts publics et les répartir dans des proportions équitables : il ne faut pas que l'on puisse supposer qu'il y ait encore en Belgique des privilèges en matière d'impôts ; dans un pays de liberté et d'égalité, chacun doit, pour sa juste part, contribuer aux charges de l'Etat, et alors elles seront plus supportables.
S’il est prouvé, par suite de la discussion actuelle, que l'intérêt d'une meilleure, plus économique et plus opiniâtre défense nationale réclame impérieusement de nouveaux sacrifices du pays, si, suivant l'opinion de la majorité de la section centrale, « l'honneur et l'intérêt national exigent à la fois que la Belgique s'arme, pour la défense de son territoire, pour la garantie de sa neutralité, pour la conservation de son indépendance ; » s’il est constaté d’après le rapport de la grande commission militaire : « Que non seulement l’intérêt militaire, mais aussi ceux de son commerce et de la population rendent nécessaire l'agrandissement général de la place d’Anvers,’ il est, je crois, de notre devoir d'y donner notre assentiment, si toutefois le gouvernement en accepte franchement toute la responsabilité, et donne toute la garantie d'une bonne et prompte exécution de son nouveau système défensif, et surtout dans les limites des nouveaux sacrifices réclamés du pays, et qui sont indiqués dans le projet de loi en discussion.
D'après ces considérations, je donnerai, dans l'intérêt d'un véritable patriotisme national, par conséquent de la défense de notre indépendance et de notre neutralité, en dehors de toute pression étrangère, n'ayant en vue que les intérêts belges, un vote favorable au projet de l'agrandissement général de la ville d'Anvers, avec l'établissement des fortifications jugées nécessaires, pour, en cas de guerre, pouvoir y concentrer la plus grande partie de nos forces militaires.
Quant au projet comprenant l'exécution de divers travaux publics, je réserve formellement mon vote, et je m'en expliquerai lorsque aura lieu la discussion sur cette seconde partie du projet de loi.
M. de Gottal. - La question que nous sommes appelés à résoudre est une des plus graves, sinon la plus grave qui se soit présentée devant la Chambre depuis notre existence politique.
Si pour tous elle offre de grandes difficultés, de profonds sujets de méditation, elle en offre surtout pour moi qui viens à peine de m'asseoir parmi vous et qui me vois appelé, pour mon début, à peser de mon vote sur les destinées futures de la Belgique. Oui, messieurs, c'est une question d'avenir que nous venons discuter ici. Il ne s'agit plus pour la Belgique de devenir libre et indépendante. Cette liberté, cette indépendance, acquises au prix d'un sang si généreux, il s'agit de les lui conserver.
Il en est plusieurs parmi vous qui avez pris une part glorieuse à notre émancipation politique, qui avez inscrit nos libertés conquises dans-cette Constitution qui fait l'admiration et l'envie de l'Europe entière. C'est vous surtout qui devez avoir à cœur de consolider, d'assurer le maintien d'une œuvre à laquelle vous avez si dignement coopéré.
C'est à ce point de vue que la question est des plus importantes, c'est à ce point de vue que nous, les représentants de la nation (et non uniquement de la province ou de l'arrondissement qui nous a nommés), nous devons nous placer.
A ce point de vue donc, faisons abstraction de tout intérêt local et privé, que l'intérêt général soit notre seul guide.
Plus que tout autre, peut-être, je sens la nécessité de m'affranchir de toute préoccupation de ce genre pour me prononcer en faveur du projet qui nous est soumis.
Je ne ferai pas appel à votre patriotisme ; pour ma part, je le crois exister aussi bien sur les bancs de la droite que sur ceux où je suis venu m'asseoir.
Ces institutions dont à bon droit nous sommes fiers, ces institutions en est-il un seul parmi vous qui voudrait les voir renverser et disparaître ?
Cette indépendance dont la Belgique jouit depuis près de trente années, est- il un cœur belge qui voudrait y renoncer ?
Mais cette indépendance, dit-on, est-elle donc menacée ? Depuis 30 ans n'avons-nous pas vécu à l'abri de toute crainte, s'est-il jamais agi de créer de nouvelles fortifications, d'en renforcer d'anciennes ; et la neutralité de la Belgique reconnue par les grandes puissances n'est-elle pas la plus forte sauvegarde de notre nationalité ? D'où vient ce danger si imminent et si imprévu ?
Ce n'est pas d'aujourd'hui, messieurs, que ce projet existe. Depuis plus de dix ans (M. le ministre de la guerre l'a dit), depuis plus de dix ans le gouvernement s'en occupe ; la question a été longuement et mûrement étudiée. L'année dernière elle a été portée devant cette chambre, et si le projet alors soumis à votre examen a été rejeté, c'est dans un sens qui à mes yeux implique l'acceptation du projet actuel. Je reviendrai sur ce point.
Depuis 10 ans, ai-je dit, le gouvernement belge a senti la nécessité d'effectuer de nouveaux travaux de défense et la section centrale de l'année dernière l'a reconnu également à l'unanimité, sauf une voix.
La neutralité de la Belgique inscrite dans les traités, et qui, d'après certaines idées, rend toute autre défense inutile, est-elle bien une garantie suffisante, nous garantit-elle que jamais notre territoire ne sera envahi ?
Certes, cette neutralité, à mes yeux, a une force très grande, la force du droit, mais s'il m'est permis de faire une comparaison avec ce qui se passe dans la vie ordinaire, il me- sera facile de prouver qu'aucun d'entre nous ne se contente de pareille garantie quelque grande et légitime qu'elle puisse être.
Le principe de la propriété ne se trouve-t-il pas inscrit dans nos lois ? Des peines n'y sont -elles pas comminées contre ceux qui viendraient à ne pas la respecter ? Nos propriétés, nos demeures, nos personnes ne sont-elles pas en quelque sorte déclarées neutres ? N'y a-t-il pas de par la loi convention et défense de ne pas en violer la neutralité ?
Et, messieurs, en est-il un parmi nous qui, se reposant uniquement sur cette neutralité, sur cette garantie du traité, la loi, laisse toutes portes ouvertes, les clefs sur tous les meubles, se fiant à l'intervention préventive des autorités chargées de la faire respecter ?
Je vais plus loin. Est-ce à l'extrême frontière, à la porte de vos demeures que vous placez les objets qui vous sont les plus chers ? N'est-ce pas dans un endroit spécial, plus écarté, plus fort, plus solide que vous les mettez à l'abri de toute attaque, de toute violation de neutralité ?
Et lorsque à vos propriétés, à vos demeures, à vos personnes, une attaque quelconque est faite, ne vous mettez-vous pas à même de la repousser énergiquement, de l'arrêter jusqu'à ce que secours arrive ?
Et cette conduite si sage, si universellement tenue, pourquoi ne l'imiteriez-vous pas lorsqu'il s'agit du bien le plus précieux de la nation, lorsqu'il s'agit de nos institutions, de nos libertés, de notre indépendance nationale ?
Mats cette place de défense, ce dernier refuge n'existe-t-il point déjà ? N'avons-nous pas des places fortes où, après avoir tenu la campagne le plus longtemps possible, nous puissions nous retirer et attendre le secours des puissances qui ont garanti notre neutralité.
Ici, messieurs, je n'entends pas vous prouver scientifiquement que l'état actuel de nos places fortes ne permet pas une défense sérieuse. Cette démonstration, l'honorable ministre de la guerre l'a faite d'une manière à ne laisser aucun doute à ce sujet.
Je n'ai du reste point fait d'études spéciales qui me permettent de traiter la question au point de vue militaire, mais je crois pouvoir la traiter au point de vue du sens commun.
(page 135) Nos places soi-disant fortes, disséminées dans le pays, pour qui les connaît, ne sont pas susceptibles de sauvegarder la nationalité.
Une seule, celle que sa position indique encore fatalement au choix des hommes compétents, une seule, Anvers pourrait servir de dernière retraite à l'armée, au gouvernement.
Mais pour qui a vu les nombreuses bâtisses au pied de ses remparts, il me semble qu'il ne peut y avoir grande difficulté à comprendre combien la défense de la place est compromise. Vous aurez beau bombarder, incendier, raser toutes les maisons qui nuisent à la défense, les débris n'en formeront pas moins d'immenses retranchements derrière lesquels une armée pourra s'approcher de la place et mener plus activement les travaux de siège.
Et je ne vous parle pas de la profonde émotion qu'un pareil système de défense produirait dans tout le pays.
Anvers donc encore dans l'état actuel où elle se trouve, ne pourrait sérieusement nous sauvegarder.
Je crois donc être fondé à dire avec la section centrale de l'année dernière, que, dans l'état actuel des choses, il est nécessaire d'effectuer de nouveaux travaux de défense.
Mais où ces travaux doivent-ils se faire ?
Et c'est ici, je l'avoue, que le projet de loi me blesse.
C'est Anvers, c'est la métropole commerciale qu'on désigne comme devant sauver la Belgique à l'heure du danger.
Grande et glorieuse mission qu'on lui destine ; mais cette gloire ne s'acquiert qu'au prix de nombreux et sanglants sacrifices.
Eh bien, messieurs, ce périlleux honneur, moi, qu'Anvers a envoyé à la Chambre, je ne le repousse pas, je ne dirai pas que je l'accepte, encore moins que je le revendique, je le subis.
Et j'avais cependant fait un beau rêve, j'avais rêvé Anvers dégagée de cette ceinture qui l'étouffe, de ces murailles qui l'écrasent. Anvers ne devait jamais entendre que la voix du canon des navires saluant ses rives hospitalières.
Les feux de la guerre, à jamais éloignés d'elle, laissaient à son commerce un libre essor ; elle devenait le premier port de l'univers ; d'une main généreuse et prodigue, elle déversait les trésors des deux mondes au sein de la Belgique entière.
Ce rêve, pouvais-je espérer le voir un jour se réaliser ?
Depuis des siècles Anvers n'était-elle point un port de commerce et depuis des siècles n'était-elle point fortifiée ?
Quels motifs impérieux, quelles raisons souveraines avaient pu nécessiter une combinaison si antithétique, j'allais dire si monstrueuse ?
Des raisons politiques.
Mais du moins ces raisons politiques existaient-elles en faveur d'idées, d'institutions qui nous étaient chères ? et le passé répond pour moi.
Ne pouvais-je donc espérer que cette politique si contraire aux vœux des Belges étant tombée, les fortifications d'Anvers tomberaient avec elles ?
Que ne puis-je entrevoir cette possibilité ! Vous auriez beau me proposer les plus magnifiques projets du monde, le démantèlement complet d'Anvers serait mon delenda Carthago.
Mais dans aucun système de défense de la Belgique présenté jusqu'à ce jour, je ne vois la réalisation de cette idée.
Partout on laisse à Anvers ses fortifications actuelles, et la Chambre n'a-t-elle pas, il n'y a pas si longtemps, en votant des crédits pour entourer Anvers de nouveaux forts, indiqué Anvers comme le boulevard de notre nationalité ?
Vous l'avez donc reconnu, vous l'avez déjà décidé - et ces sympathies que quelques-uns d'entre vous semblent aujourd'hui porter à Anvers, sont donc ou bien peu réelles ou survenues bien subitement !
Oui, j'ai entendu de bien belles phrases sur le tort immense qu'on allait faire éprouver au commerce, à la prospérité d'Anvers, prospérité de la Belgique entière.
Le commerce étranger devait s'éloigner à tout jamais de cette place de guerre, c'était l'idée la plus malheureuse, la plus injuste de fortifier un port de commerce.
Pourquoi ne pas fortifier Bruxelles, Ostende, Diest ou toute autre place, n'importe laquelle, pourvu que ce ne fût pas Anvers ?
Ce n'est pas à un membre de cette Chambre, c'est à plusieurs que j'ai entendu tenir ce langage. Tous s'apitoient sur le sort d'Anvers : à les entendre, tous lui portent un immense intérêt, plus d'intérêt que les députés d'Anvers eux-mêmes ?
Et cependant aucun ne propose la démolition des fortifications actuellement existantes à Anvers.
Est-ce que leurs sympathies n'iraient pas si loin ?
Non messieurs, mais c'est que les uns semblent oublier qu'Anvers est fortifiée, et ce depuis des siècles, et dans ce cas leur raisonnement serait des plus logiques, et je serais le dernier à voler la loi ; les autres ne le proposent pas parce qu'ils en sentent l’impossibilité.
La position d'Anvers comme place forte doit être bien avantageuse, et je n'en crois pas ici seulement la commission si vivement critiquée, j'en crois l'expérience des siècles, car il n'est pas encore venu à l'idée de personne de songer à son démantèlement.
Et je ne veux pas être le premier à le proposer, sûr que je suis, du reste, d'avance de ne rencontrer aucun appui sérieux dans cette Chambre, et, je l'avoue, à moi seul je n'oserais en assumer l'immense responsabilité.
Et n'ai-je pas quelque raison de douter de la réalité des sympathies de quelques-uns d'entre vous pour Anvers : lorsque après les tirades les pins éloquentes sur le sort que l'on fait subir à cette ville, sur les pertes immenses que son commerce doit essuyer, sur les sacrifices que par cette loi on lui impose, je vois aussitôt discuter sèchement et froidement la somme pour laquelle le gouvernement cèderait à Anvers les terrains de l'enceinte actuelle.
Etrange logique !
D'un côté, le gouvernement d'un trait de plume raye Anvers du nombre des villes commerciales, la ruine entièrement ; et de s'apitoyer sur le sort d'Anvers, et de s'opposer à une loi qui consacrerait une pareille iniquité.
D'un autre côté, le gouvernement cède à Anvers une partie de terrains pour une somme de dix millions ; et de crier à l’injustice, à l'avantage énorme fait à cette ville ; et de s'opposer à une loi qui favorise autant la ville d'Anvers.
Non, messieurs, si vos sympathies sont si réelles, si profondes, j'espère que sous peu vous pourrez les manifester d'une manière plus sérieuse.
Le commerce d'Anvers a vécu dans une ville forte, il y a prospéré, et s'il n'est pas devenu l'égal de celui d'autres villes, ce ne sont pas ses fortifications qui en sont cause ; c'est cette fermeture de l'Escaut, la plus grande iniquité qui ait jamais été consentie par les puissances européennes.
Et ce commerce auquel vous semblez porter un si vif intérêt, ce commerce qui n'enrichit pas seulement Anvers, mais toutes nos provinces, vous le verrez prendre un essor nouveau, si vous consentez à supprimer ces autres barrières qui ferment ou rendent d'un accès difficile et onéreux le port d'Anvers aux nations étrangères.
Je veux parler des droits de tonnage, de pilotage, de ces mille et mille formalités fiscales et souvent vexatoires de la douane; voilà les obstacles plus réels à la prospérité du commerce belge. C'est en les écartant ou les diminuant d'une manière très sensible, que vous ferez preuve de sympathies réelles pour Anvers, que vous ferez refleurir plus vivement ce commerce que vous craignez de voir s'éteindre à tout jamais.
J'ai hâte d'ajouter, messieurs, qu'il est cependant des membres de cette Chambre opposés au projet de loi, qui, loin de critiquer la cession des terrains à la ville d'Anvers, déclarent avec loyauté que si de cette combinaison Anvers retirait quelque avantage, cet avantage ne saurait jamais compenser le sacrifice qu'on lui impose.
Pour qui connaît Anvers, les terrains que comprend l'enceinte actuelle, le parti qu'on peut en tirer, la valeur des propriétés, pour qui calcule le temps qu'il faudra peur les réaliser, pour celui-là la convention à conclure par le gouvernement avec la ville d'Anvers ne soulèvera aucune objection.
Mais je conçois ces objections, et si mes souvenirs sont exacts un journal rie la localité n'est-il pas allé jusqu'à insinuer que la ville d'Anvers consentait à se laisser embastiller, moyennant la cession de ces terrains au prix de 10 millions.
Vraiment il n'est que les gens toujours prêts à se vendre qui voient des marchés partout.
Mais je tiens à vous prouver que la somme pour laquelle la ville d’Anvers consent à reprendre les terrains est suffisante, et je dirai même la valeur réelle de ces terrains.
Mais dans ce cas, direz-vous, la ville fait un marché de dupe ! Oui et non.
Oui, pécuniairement parlant. Non,à un point de vue d'un intérêt plus élevé, au point de vue de l'embellissement d'Anvers. Je serai bref, messieurs.
Remarquez, messieurs, qu'en admettant que la démolition des fortifications actuelles coûte (comme le dit l'exposé des motifs) un million à la ville d'Anvers, déduction faite de la valeur des matériaux à provenir de cette démolition. En admettant cette évaluation que je crois être en dessous de la réalité, les terrains reviennent à la ville à une somme de 11 millions.
La contenance de ces terrains est calculée à 154 hectares.
Sur cette contenance totale il faut déduire tous les terrains à affecter à la voirie, aux places publiques. Cette grande quantité de terrains ne saurait être utilement exploitée, n'importe qui s'en rendra acquéreur, qu'en en abandonnant une partie dans ce but. C'est le seul et meilleur moyen d'en tirer profit.
Plus vous ferez vos rues, vos places belles et grandes, plus vous augmenterez la valeur de vos terrains ; ceci est élémentaire et ne saurait être contesté par personne.
Ce n'est pas trop, mais plutôt trop peu en distraire que de compter 110 hectares comme terrains à réaliser. Ace compte l'hectare revient à la ville à 100,000 fr. l'hectare ou 10 fr. le mètre.
Je le reconnais, il est des terrains qui ont une valeur plus grande, mais il en est beaucoup aussi dont la ville ne saurait jamais retirer ce prix.
Je crois donc me rapprocher de la vérité en divisant les terrains (page 136) provenant de l'enceinte à démolir en quatre catégories, lesquelles reviendraient à la ville :
Première catégorie : 16 fr. le mètre.
Deuxième catégorie : 12 fr. le mètre.
Troisième catégorie : 8 fr. le mètre.
Quatrième catégorie : 4 fr. le mètre.
Ne perdez pas de vue surtout que c'est le prix de revient, et que la ville payant comptant un terrain aussi vaste, il lui faudra retrouver dans son prix de vente la perte des intérêts sur le capital déboursé, et ce n'est pas exagérer que de compter un espace de 25 années pour la réalisation de tous ces terrains. Car vous devez bien admettre que des constructions continueront également à s'élever dans les faubourgs actuels, et qui seront compris dans la nouvelle enceinte.
Je ne continuerai pas ces calculs ; cette question, je crois a été déjà discutée l’année dernière, sinon à la Chambre, du moins en section centrale.
A ceux qui ne sont point convaincus, je laisse le soin de continuer les calculs pour connaître le prix auquel la ville devra revendre ses terrains pour éviter une perte qui me paraît évidente.
Si l'opération paraît si belle, si avantageuse à certains membres de la Chambre, que ne se constituent-ils en société pour la faire pour leur compte ?
J'ai été amené incidemment à examiner l'article 2 du projet de loi. Pour ne plus y revenir, j'ajouterai donc un mot par rapport à l'amendement que la section centrale a introduit à cet article sur la proposition que nous en avons faite, mon honorable collègue M. Loos et moi.
D'après les explications données par M. le ministre de la guerre, les travaux à faire à Anvers pourraient s'achever en trois ans. Ce terme me semblait un peu court ; j'espère que les prévisions de l'honorable ministre se réaliseront, mais il me permettra d'en douter quelque peu.
Je n'avais, je le reconnais, aucune crainte que le gouvernement traînât les constructions en longueur ; il est le premier intéressé à faire pousser avec activité les travaux ; mais je ne vous le cache pas, je suis assez ami des choses claires et qui ne peuvent donner lieu à aucune interprétation équivoque. Les ministres dans un pays comme le nôtre changent souvent, et l'appréciation de savoir quand le travail est achevé pourrait différer d'après les différents ministres, ce qui pourrait indéfiniment pour Anvers prolonger le statu quo, aggravé des fortifications nouvelles.
C'est pourquoi j'ai tenu à ce qu'un terme fatal fût inscrit dans la loi, et je ne doute pas que le gouvernement ne se rallie à cet amendement.
Il me reste à examiner encore le projet au point de vue de la dépense qu'il impose au pays. C'est 50 millions (d'après le projet du gouvernement) que doivent coûter les travaux militaires à exécuter à Anvers.
Je le reconnais, cette dépense est grande pour un pays comme le nôtre, mais je ne m'arrête pas longtemps à cette considération, pas plus dans les sections, qu'en section centrale on s'y est beaucoup attaché.
On motive surtout l'opposition qu'on fait à la loi, c'est surtout parce qu'Anvers est choisi comme dernier boulevard de la nationalité.
Ce n'est pas la dépense qui arrête les membres opposés au projet de loi ; je le demande, en est-il un seul qui refuserait ce crédit de 50 millions au risque de compromettre un jour la nationalité belge, en est-il un seul qui voudrait assumer pareille responsabilité ?
Mais il en est d'autres, et je suis de ceux-là, qui craignent de voir dans ce projet un acheminement vers de plus grandes dépenses, des demandes de crédits supplémentaires, des augmentations du budget de la guerre, etc.
Je l'avoue, les assurances données à ce sujet par M. le ministre de la guerre font taire ces doutes; et si je rappelle ce point, c'est que tous en ne suspectant pas la sincérité de ses déclarations, je n'entends en aucune manière, par un vote favorable au projet, m'engager ni directement ni indirectement à voter des crédits supplémentaires, sous quelque forme ou dénomination qu'on les présente. J'entends au contraire réserver à ce sujet mon entière appréciation, et si je vote le crédit actuel, c'est aussi que je compte qu'il ne sera pas dépassé.
Il me reste à revenir sur un point que je n'ai fait qu'effleurer.
J'ai dit qu'à mes yeux si le projet présenté l'année dernière a été rejeté par la Chambre, c'est dans un sens qui implique l'acceptation du projet actuel.
Je m'explique.
La section centrale de l'année dernière, résumant ses travaux, se posait deux questions :
La première concernant la nécessité de nouveaux travaux de défense et qui fut résolue dans le sens que j'ai déjà eu l'honneur de vous dire (6 voix pour, 1 contre).
En admettant qu'Anvers doive être la base de notre système défensif, le projet présenté par le gouvernement est-il acceptable (il s'agissait de la petite enceinte) ? Et la question a été résolue négativement par 6 voix contre une.
En présence de ce vote la section centrale adopte à la majorité de 6 voix contre une la résolution suivante :
« La section centrale est d'avis que si c'est à Anvers que l'on entend concentrer la défense du pays, il est indispensable de démolir l'enceinte actuelle, d'en construire une nouvelle à la hauteur des fortins existants en supprimant toutefois le n° 4, et enfin d'exécuter en avant de l'enceinte nouvelle les forts du camp retranché proposés par le gouvernement. »
Et c'est sur le rapport de la section centrale qui rejetait la petite enceinte, réclamant la grande, c'est sur ses conclusions que s'ouvre le débat à la Chambre.
N'ai-je donc pas raison de dire que réellement le projet de l'année dernière a été rejeté par la grande majorité en vue de voir présenter le projet actuel.
Et cela ne résulte-t-il pas encore de ces paroles de l'honorable membre qui présidait la section centrale l'année dernière ?
« Je vote l'article premier parce que j'ai la conviction que si cet article venait à être rejeté, le rejet aurait pour conséquence une proposition ayant pour objet la grande enceinte, etc. »
Tellement on était convaincu que le rejet du projet menait à la présentation du projet qui vous est actuellement soumis !
Quoiqu'il en soit, à mes yeux la question est des plus importantes ; c'est dans un cas donné, pour la Belgique, une question d'être ou de ne pas être. La question ainsi posée, la solution ne me semble plus douteuse.
Et qu'on n'objecte pas que le système de défense que consacre le projet de loi conduit à l'abandon entier du pays, pour s'occuper exclusivement de la défense d'une place ; l'honorable ministre de la guerre a répondu sur ce point ; et j'ajoute que le prétendre, c'est faire injure à l'armée, au peuple belge, c'est leur faire jouer un rôle dont personne n'a jamais pu les accuser, c'est une supposition injurieuse que rien ne justifie dans l'histoire.
Messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui que la question est à l'ordre du jour. Depuis dix ans le pays s'en occupe, les membres de cette Chambre la connaissent ; l'année dernière elle a été débattue dans cette enceinte, et si elle n'a pas réuni les suffrages, c'est que le système proposé ne semblât pas répondre au but que l'on voulait atteindre.
Aujourd'hui le système proposé réunit l'approbation de tous les hommes compétents. La question de principe, cette première question posée il y a un an par la section centrale, et résolue par elle d'une manière si affirmative n'est plus neuve pour aucun de nous. Elle ne l'est plus pour ceux qui siégeaient à cette époque à la Chambre, elle ne peut l'être pour ceux que le pays vient d'y envoyer aux élections dernières ; car tous savaient qui c'était la première et la plus importante qu'ils auraient à résoudre.
Ils ont pu, ils ont dû s'y préparer, leur opinion doit être formée aujourd'hui, il faut se prononcer dans un sens ou dans un autre ; l'abstention, dans une question de ce genre n'est plus permise, ce serait faire preuve d'une indifférence, d'une tiédeur indigne de tout ce qui s'honore du nom de Belge.
Ou bien le projet de loi ne nous semble pas sauvegarder les intérêts de la Belgique, et notre devoir est de le repousser, ou quelque doute nous reste à l'égard de son efficacité, et notre devoir est de voter le projet car il s'agit de sauvegarder la nationalité belge, il s'agit de conserver la vie à nos institutions, à nos libertés.
Mais je n'avais nul besoin de vous entretenir si longtemps ; * ce que je viens de vous dire, vous l'auriez entendu de voix plus éloquentes et plus persuasives ; mais je tenais à vous faire connaître à vous tous et au pays entier et mon opinion et sur quoi elle se base, et comment elle s'était formée.
Comme député d'Anvers, au point de vue purement local, j'aurais pu, j'aurais peut-être dû rejeter le projet de loi ; mais je vous l'ai déjà dit, je comprends autrement ma mission ; et du reste j'entrevois pour Anvers, dans le projet actuellement soumis à la Chambre, un avantage sur celui qui vous a été présenté l'année dernière
Comme représentant du pays, je voterai le projet, car, messieurs, je tiens à conserver notre indépendance. Je crois fermement que tant que notre drapeau flottera sur un coin de notre territoire, il y aura une Belgique, c'est-à-dire des cœurs prêts à combattre, à reconquérir leurs institutions si belles et si grandes aussi longtemps, nul pouvoir en Belgique ne saurait étouffer nos idées d'indépendance et de liberté.
Puissent cependant les circonstances en vue desquelles nous voterons ces travaux ne jamais se réaliser.
Un mot encore. Que nous importent les appréciations de plumes antinationales ou étrangères. Aux Belges, à ceux dignes de ce nom, il appartient seul d'intervenir dans ce débat.
Messieurs, nous souvenant que nous sommes les représentants d'un peuple indépendant et libre, nous saurons nous affranchir de toute pression étrangère, de toute influence de parti, de toute considération électorale, et n'ayant en vue que le maintien de la nationalité, c'est au fond de nos cœurs, de cœurs vraiment patriotiques que nous irons chercher nos convictions.
Il n'est qu'une seule pression, si je puis m'exprimer ainsi, à laquelle nous voudrons et saurons obéir, celle de notre conscience.
C’est ainsi, messieurs, que j'agirai, c'est ainsi que vous agirez tous; tous en émettant notre vote, nous aurons à l'esprit cette ancienne et noble devise : « Fais ce que dois, advienne que pourra ! »
‘>page 155) M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits; si personne ne demande plus la parole dans la discussion générale, je la déclarerai close.
M. B. Dumortier. - Du tout ! du tout ! on ne peut pas clore ainsi une discussion comme celle-là.
M. le président. - M. Dumortier, demandez-vous la parole ?
M. B. Dumortier. - Je ne demande pas la parole pour le moment ; mais il est impossible qu'on close une discussion de cette importance de cette manière.
M. le président. - Si vous ne demandez pas la parole, je vous invite à vous taire.
M. B. Dumortier. - J'userai de mou droit.
M. le président. - Je n'accorde pas la parole à qui ne la demande pas.
M. B. Dumortier. - Eh bien, je demande la parole.
(page 136) M. le président. - M. Dumortier a la parole.
(page 137) M. B. Dumortier. - Je ne demande pas la parole sur le projet, mais je viens m'opposer à la clôture.
M. le président vient de dire que si personne ne demande la parole, il prononcera la clôture.
Je dis qu'il est impossible de clore en ce moment une discussion de cette importance. Si personne n'est inscrit en ce moment, demain peut-être beaucoup d'orateurs demanderont à être entendus. Nous venons à peine d'arriver. Clore aujourd'hui, ce serait poser un acte qui serait jugé sévèrement par le pays.
M. le président. - Je ferai remarquer que le président se borne à constater un fait/
Quand il n'y a plus d'orateurs inscris dans la discussion générale, et que personne ne demande plus la parole, son devoir est de déclarer que la discussion est close.
Je n'ai fait que constater que personne n'était inscrit et ne demandait la parole. La Chambre veut-elle continuer la séance ou remettre à demain ? Si la séance continue, la parole est à M. le ministre de la guerre qui vient de la demander.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le président. - A quelle heure la Chambre veut-elle fixer la séance de demain?
- Un grand nombre de membres. - A une heure.
M. le président. - La séance de demain est donc fixée à une heure.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.