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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 juillet 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 69) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Crombez, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 20 juillet.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Pierre Warling, tisserand à Guirsch, né à Eisch (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les membres du conseil communal d'Ypres prient la Chambre de comprendre dans le projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique, un crédit de 5,500,000 francs pour la construction d'un canal de jonction de la Lys au canal d'Ypres ou d'accorder au gouvernement l'autorisation de concéder ce canal. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi.


« Le conseil communal de Nieuport prie la Chambre de décider qu'une partie des sommes qui seront votées pour l'amélioration des côtes et ports sera destinée au port de cette ville. »

- Même renvoi.


« Le sieur Thans, soldat au 2ème régiment de chasseurs à cheval, demande son congé illimité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Steenhuyse-Wynhuyse prient la Chambre d'accorder au sieur Boucqueau la concession d'un chemin de fer reliant directement le Hainaut et les Flandres en passant par Braine-le-Comte, Enghien, Grammont, Sotteghem et Melle. »

« Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Velsique-Ruddershove, des administrations communales de Lierde-Sainte-Marie et Grootenberge. »

- Même renvoi.


« Par 34 pétitions, autant d'habitants de Molenbeek-Saint-Jean demandent la réunion des faubourgs à la capitale. »

« Même demande d'habitants de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fafchamps réclame l'intervention de la Chambre pour que le gouvernement donne suite à sa demande, tendante à obtenir une récompense nationale pour les services qu'il a rendus à l'industrie houillère par son invention de la machine à vapeur à traction directe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Chaumont, ancien officier, préposé des douanes pensionné, demande une place d'éclusier ou une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur J.-A. Auguentz, instituteur primaire à St-Ghislain, né à Fligny (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Braine-le-Comte appellent l'attention de la Chambre sur les pertes que l'on doit subir en acceptant en payement l'or français et sur les entraves qui en résultent dans les opérations commerciales. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. J. Jouret. - Messieurs, la Chambre a déjà ordonné qu'on lui fit un prompt rapport sur des pétitions analogues. Je demande qu'un prompt rapport soit également fait sur la pétition qui vient d'être analysée et présenté en même temps que celui qui concerne les autres pétitions.

M. Rodenbach. - J'appuie la proposition de l'honorable préopinant.

- Adopté.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, les demandes de naturalisation ordinaire des sieurs N. Peeters, J.-P. Esschenauer et Th.-J. Tiberghien. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. de Paul, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé de quatre jours. »

- Accordé.

Composition des bureaux de section

Les sections de juillet se sont constituées comme suit.

Première section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Allard

Secrétaire : M. de Gottal

Rapporteur de pétitions : M. Goblet


Deuxième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Pirmez

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Troisième section

Président : M. H. de Brouckere

Vice-président : M. Loos

Secrétaire : M. de Boe

Rapporteur de pétitions : M. de Mérode-Westerloo


Quatrième section

Président : M. Grandgagnage

Vice-président : M. de Terbecq

Secrétaire : M. Crombez

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Cinquième section

Président : M. de Naeyer

Vice-président : M. Nothomb

Secrétaire : M. Verwilghen

Rapporteur de pétitions : M. Sabatier


Sixième section

Président : M. d’Hoffschmidt

Vice-président : M. J. Jouret

Secrétaire : M. de Montpellier

Rapporteur de pétitions : M. David

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le compte rendu des opérations du chemin de fer pour l'exercice 1858.

- Impression et distribution aux membres de la Chambre.

Projet de loi autorisant à concéder la construction d’un chemin de fer entre Braine-le-Comte et Gand

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à concéder la construction d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

Projet de loi réduisant les péages sur le canal de Charleroi et uniformisant les péages sur les voies navigables

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement, d'abord à réduire de 25 p. c. les péages du canal de Charleroi, pour le parcours entier, et à fixer le péage ainsi réduit, pour le Centre vers Bruxelles, à raison de douze lieues et demi.

Ensuite, à prendre les mesures nécessaires à l'effet :

1° De substituer aux différents modes de perception existants pour les péages des voies navigables, un mode uniforme d'après lequel les droits seront perçus par lieue de 5 kilomètres.

2° D'appliquer à chaque rivière un péage par lieue de parcours, égal à la moyenne des divers droits qui y sont actuellement perçus.

3° D'établir sur chaque voie navigable un droit unique, sans distinction de classes, en prenant pour base le droit appliqué à la houille.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.


M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le sixième rapport sur la situation des établissements d'aliénés.

— Impression et distribution.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Les sections seront convoquées demain, à l'effet de décider s'il y a lieu d'autoriser la lecture d'une proposition de loi due à l'initiative d'un membre de la Chambre.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Le bureau a été autorisé, par une décision de la Chambre, à compléter des sections centrales dans lesquelles siégeaient quelques membres qui ne font plus partie de l'assemblée. Deux sections centrales peuvent être utilement complétées ; elles sont respectivement chargées d'examiner un projet de crédit au département de l'intérieur et un projet de crédit au département des finances ; ces deux projets ne donneront pas lieu à une longue discussion.et pourront figurera l'ordre du jour.

Le bureau a remplacé dans la section centrale chargée de l'examen du projet de crédit demandé par le ministère de l'intérieur, M. Godin par M. Wasseige, et dans la section centrale chargée de l'examen de la demande de crédit du département des finances, MM. Godin et de Luesemans par MM. Moncheur et Van Volxem.

Je demanderai maintenant à la Chambre, par suite de la décision qu'elle a prise dans une précédente séance, d'autoriser le maintien en fonction de la commission permanente d'industrie, car il est nécessaire qu'elle se prononce sur un amendement présenté par M. J. Jouret à un rapport de la commission d'industrie sur une pétition relative aux droits d'accise sur le sel. S'il n'y a pas d'opposition, la commission sera saisie de l'examen de cet amendement. (Adhésion.)

Motion d’ordre

M. L. Goblet. - Messieurs, depuis longues années l'établissement de la Monnaie provoque des réclamations au sein de la capitale ; je (page 70) désire interpeller M. le ministre des finances pour savoir quelle est la| suite qui a été donnée à un arrêté royal du 3 juillet 1858 qui faisait droit en partie aux plaintes des habitants. Cet arrêté a été pris pour répondre tout particulièrement à un vœu fortement motivé et émis à l'unanimité par le conseil provincial du Brabant dans sa session de 1858.

L'arrêté royal du 3 juillet 1838 porte :

« Art 1er. Les opérations secondaires de l'affinage qui ne doivent pas s'accomplir nécessairement à l'hôtel des monnaies, en seront détachées et transférées hors ville. Elles seront déterminées par nos ministres prénommés.

« Art. 2. A cette fin, il sera procédé à une enquête de commodo et incommodo, pour l'érection de l'usine auxiliaire dans le lieu à désigner et d'après les plans à fournir par le département des finances.

« Art. 3. La surveillance de l'usine auxiliaire aura lieu par l'agent spécial nommé en exécution de notre arrêté précité, du 12 mars 1856, et conformément à l'arrêté du ministre des finances du 14 même mois. »

Messieurs, je sais qu'il a été acheté un terrain pour y établir ce qui pouvait être détaché, comme opérations malfaisantes, de l'atelier des monnaies. Ce terrain est situé sur la commune de Molenbeek-St-Jean.

Après l'avoir acheté, on a demandé l'autorisation d'y transporter les locaux destinés aux opérations déclarées nuisibles.

Une information de commodo et incommodo a été ouverte ; le conseil communal de Molenbeek-St-Jean a répondu, le 12 octobre. 1858, qu'en présente des émanations délétères et des influences funestes que devait avoir l'établissement projeté, il ne pouvait en autoriser l'érection sur la commune.

Quoique la députation permanente provinciale du Brabant, saisie de l'affaire, ait décidé qu'il ne fallait pas s'arrêter devant la décision du conseil de Molenbeek, aucune mesure que je sache n'a été prise depuis afin d'exécuter l'arrêté royal de 1858.

Les promesses de M. le ministre des finances pour faire droit aux réclamations de la population de la capitale sont restées complètement sans effet et rien n'est venu modifier une situation intolérable pour Bruxelles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, c'est à mon initiative que l'on doit l'arrêté royal dont vient de parler l'honorable préopinant, qui consacre en principe le déplacement des opérations secondaires de l'affinage qui se font actuellement à la monnaie ; c'est assez dire que je ne négligerai rien pour que cet arrêté soit complètement exécuté.

Des mesures ont été prises pour arriver à l'exécution de cet arrêté ;, un terrain a été acheté ; avant de commencer les constructions nécessaires, une enquête a été faite ; il en est résulté qu'il y aurait certains inconvénients à laisser élever l'établissement projeté sur le terrain primitivement destiné à le recevoir. Depuis lors une nouvelle propriété a été acquise ; les formalités préalables à l'érection d'un pareil établissement se remplissent, je présume, actuellement. Ce que je sais personnellement, c'est qu'un terrain nouveau a été acquis et qu'une demande d'autorisation a été faite. Et en effet, mon collègue me dit que l'affaire s'instruit.

J'ai donc lieu d'espérer que, dans un temps assez court, l'on pourra réaliser l'amélioration dont a parlé l'honorable membre.

M. L. Goblet. — Puisqu'il y a une nouvelle tentative de faite, je n'ai que peu de mots à ajouter.

J'insiste auprès de MM. les ministres des finances et de l'intérieur pour que cette situation mauvaise et injuste qui est faite à la ville de Bruxelles vienne à cesser.

Je ne m'oppose pas le moins du monde à l'enquête qui a été ordonnée, comme une formalité nécessaire pour sauvegarder des intérêts particuliers ; mais je ferai remarquer que lorsqu'on a adjoint à l’établissement de la Monnaie à Bruxelles un atelier d'affinage, qu'on y a fait sans aucune espèce d'enquête des opérations dangereuses pour la salubrité publique.

J'espère donc que MM. les ministres feront tous leurs efforts pour que les changements promis soient exécutés le plus tôt possible.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne veux pas traiter la question soulevée par l'honorable membre ; je veux seulement faire une observation sur ce qu'il vient de dire que l'atelier d'affinage adjoint à la Monnaie de Bruxelles a été établi sans aucune information préalable.

On a soutenu que la loi ayant décrété l'établissement d'un atelier d'affinage à la Monnaie, il n'y avait pas lieu de le soumettre à une enquête, puisque le gouvernement devait faire exécuter la loi. Je ne veux pas discuter cette question ; mais je dois faire remarquer que de ce qu'un atelier d'affinage décrété par une loi a été établi sans enquête, il ne faut pas conclure que lorsqu'on ordonne l'établissement, d'un pareil atelier par mesure administrative, on puisse se dispenser de faire une enquête. Au surplus, l'information a été prescrite pour éviter toute nouvelle discussion à ce sujet.

M. le président. - L'incident est clos.

Motion d’ordre

M. A. Vandenpeereboom. - M. le secrétaire a donné, au commencement de la séance, l'analyse d'une pétition du conseil communal d'Ypres, qui demande la construction d'un embranchement du canal de la lys au canal d'Ypres. Cet embranchement est destiné à compléter une grande voie navigable qui aboutit à la mer du Nord. Ce projet a déjà été présenté plusieurs fois devant la Chambre. Comme il sera reproduit dans la discussion qui va s'élever à propos du projet de loi décrétant divers travaux d'utilité publique, il importe que la Chambre puisse bien s'en rendre compte. Je demande donc que la Chambre veuille bien décider qu'une copie de cette pétition, qui est très courte, soit renvoyée à la commission, afin qu'elle puisse se prononcer sur l'affaire en connaissance de cause.

M. B. Dumortier. - Il est vrai que depuis longtemps il est question d'un canal de jonction de la Lys et de l'Yperlée ; mais ce canal peut prendre diverses directions, et si la Chambre et le ministère veulent s'occuper de ce projet, il est désirable que la question soit examinée à son double point de vue.

Indépendamment de la direction qui vient d'être indiquée par notre honorable collègue, il y a une autre direction qui serait beaucoup plus avantageuse à la Flandre orientale et à la Flandre occidentale elle-même.

Ce serait la canalisation de la Mandel. Cette direction est de beaucoup préférable, surtout depuis la construction du canal de Bossuyt. On aurait ainsi l'avantage de mettre Gand, le grand centre industriel par excellence, en communication avec Roulers et Ypres.

Roulers est certes, on ne peut le contester, le centre le plus industriel de la Flandre occidentale. On aurait en outre l'avantage de faire arriver par une voie économique les houilles du Hainaut jusque dans cette ville de fabrication. Là je verrais un avantage sérieux, un avantage réel, tandis que, dans le système indiqué, il faut convenir que l'avantage pour le pays serait complètement insignifiant.

Je demande donc que les deux questions soient examinées simultanément et je le demande avec d'autant plus de confiance que, dans le projet qui vous a été récemment présenté par le gouvernement, il s'agit de dépenses à affecter à la Mandel. Il y a donc de son côté bon vouloir. J'en remercie M. le ministre des travaux publics.

- Un membre. - Cela concerne M. le ministre de l'intérieur.

M. B. Dumortier. - Je remercie le ministre de qui émane la proposition. Je ne fais pas de cela une question de personnes. Je remercie le gouvernement de s'être occupé de cette importante question qui a fait depuis longtemps, dans cette enceinte, l'objet de réclamations de la part de l'honorable M. Rodenbach et de la mienne. Je pense que puisqu'on met en avant la question de joindre l'Yperlée à la Lys, il serait beaucoup plus sage d'examiner la question de cette jonction par la Mandel, et je ne doute pas que cette jonction n'eût pour elle toutes les opinions.

M. de Haerne. - Je suis loin de m'opposer au projet de canalisation de la Mandel, dont vient de vous parler l'honorable M. Dumortier. J'ajouterai même que ce projet date de bien longtemps, et si j'ai bon souvenir, je crois en avoir lu quelque chose dans l'histoire de la Belgique. Il paraîtrait que ce projet remonte à Marguerite de Constantinople. A cette époque déjà, on avait conçu l'idée de cette jonction de la Lys à l'Yperlée par la Mandel ; mais, par une raison très simple, c'est qu'alors on ne connaissait pas la navigation souterraine. L'art n'était pas assez avancé pour recourir à ce moyen qui est aujourd'hui généralement usité dans la plupart des grands canaux, tant dans notre pays, qu'en France et ailleurs.

La jonction directe de la Lys à l'Yperlée, qui exige un tunnel, paraissait impossible. On devait donc suivre alors les voies fluviales, telles que la Mandel, malgré les grands détours qu'elles présentaient.

Je répète que je ne m'oppose pas à cette jonction. Mais ce projet est tout à fait différent de celui dont il s'agit dans la pétition dont vous a parlé l'honorable M. A. Vandenpeereboom. Ceux qui connaissent les localités, ceux qui sont familiarisés avec les voies navigables des deux Flandres reconnaîtront que cette canalisation par la Mandel serait loin d'offrir une jonction en ligne directe ; ce serait une ligne brisée d'un grand développement et qui ne raccourcirait guère la voie actuelle.

On perdrait ainsi le grand avantage de la jonction aussi directe que possible du bassin de Mons à la mer du Nord qui a été le but primitif de la navigation projetée de Bossuyt à Ypres par Menin.

Le canal de Menin à Ypres a été conçu depuis longtemps dans le but de rejoindre le bassin du couchant de Mons à la mer du Nord et de favoriser ainsi l'exportation des houilles et des produits pondéreux du Hainaut, non seulement vers les Flandres, mais aussi vers le littoral des Flandres et de la France par la navigation intérieure. C'est un projet éminemment national.

Vous voyez, messieurs, que de cette manière on ouvrirait au bassin houiller de Mons de vastes débouchés. C'est là le but principal, et la jonction de Menin à Ypres donne la ligne la plus directe de navigation.

Je conçois qu'on s'occupe de la canalisation de la Mandel ; elle peut avoir lieu dans un autre but ; elle faciliterait la navigation à l’intérieur de la Flandre, Mais se borner à cette canalisation, ce serait abandonner le (page 71) plan de navigation directe de Mons sur la mer du Nord, le véritable plan national, qui doit substituer la navigation belge à celle qui se fait aujourd'hui par la France.

Il est question d'une autre voie de navigation. Cette question est pendante depuis longtemps et n'exclut pas non plus la canalisation de la Mandel, c'est l'ouverture du canal de Schipdonck à la navigation de Deynze vers Schipdonck, pour entrer à Schipdonck dans le canal de Bruges.

Voilà encore une voie navigable très sérieusement proposée depuis longtemps et qui est sollicitée instamment dans le dernier rapport de la chambre de commerce de Mons. Ainsi non seulement la ville d'Ypres, la ville de Courtrai et d'autres villes des Flandres insistent pour l'ouverture de ce canal ; mais la ville de Mons vient de se joindre aux premières dans le même but.

C'est là une ligne de navigation très importante, qui peut s'exécuter presque sans frais et qui est devenue en quelque sorte nécessaire ; mais qui n'atteindrait pas complètement le but de joindre, par la plus courte voie possible, le bassin de Mons à la mer du Nord. C'est à ce dernier projet que les arrondissements de Courtrai et d'Ypres et même celui de Roulers se sont vivement intéressés dans le temps ; et ce projet n'a jamais été abandonné par ces localités.

Je ne suis pas exclusif, j'appuie tout ce qu'on pourra faire pour la Mandel ; mais le projet relatif à cette petite rivière ne doit pas faire obstacle à l'exécution du canal de Menin à Ypres, que j'appuie de toutes mes forces.

Telles sont, messieurs, les considérations que j'ai cru devoir émettre en réponse à quelques objections qui viennent d'être produites, et à l'appui de la proposition de l’honorable M. A. Vandenpeereboom.

M. H. de Brouckere. - Les deux honorables préopinants se sont expliqués précisément comme si la pétition de la ville d'Ypres était en discussion.

Nous n'avons pas à examiner en ce moment si le canal de la Lys à l'Yperlée est préférable à la canalisation de la Mandel. Nous allons nous occuper en sections de tout ce qui concerne les canaux, et que fait l'honorable M. Vandenpeereboom ? Il demande qu'une copie de la pétition soit adressée à chaque section afin que la question soulevée puisse être examinée à fond. Aujourd'hui nous n'avons à nous occuper que du seul point de savoir s'il y a lieu de faire 6 copies de la pétition ; eh bien, je fais remarquer que pour faire ces 6 copies il ne faut pas une demi-heure ; j'ai vu la pétition, elle est extrêmement courte et l'objet auquel elle se rapporte est d'une très grande importance ; je ne vois donc pas pourquoi l’on ne ferait pas droit à la demande de l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. Rodenbach. - J'appuie les observations faites par l’honorable M. Dumortier. Je les appuie d'autant plus fortement, que voilà plus d'un quart de siècle que je n'ai cessé d'entretenir la Chambre de la nécessité de rendre navigable la Mandel et surtout d'assainir et d'approfondir cette rivière qui était autrefois navigable. Lorsque sous peu il y aura question de discuter ici dans cette enceinte la nécessité d'augmenter la quantité d'eau par la jonction de la Mandel et du Saint-Amand, j'entrerai dans de plus grands détails, et je me plais à croire qu'on ne laissera pas cette ville de Roulers, si progressive et si manufacturière, sans eau qui, comme le charbon, est le pain de l'industrie.

M. B. Dumortier. - Il me semble, messieurs, que l'honorable M. de Brouckere a bien tort de dire que nous n'avons pas ici à examiner la question qui nous est soumise. Il arrivera nécessairement que l'un des deux systèmes absorbera l'autre et nous serons forclos sans avoir parlé.

C'est précisément au moment où la Chambre va examiner ces systèmes dans les sections, qu'il est de notre devoir d’éclaircir la question. Cette question, messieurs, intéresse le Hainaut, la Flandre orientale et la Flandre occidentale et l'intérêt combiné de ces trois provinces exige non pas un canal entre la haute Lys et l'Yperlée, mais bien la canalisation de la Mandel. La Maudel était autrefois navigable ; elle a cessé de l'être par suite d'atterrissements, et il faut peu de travaux pour lui rendre sa navigabilité.

Déjà mon honorable ami, M. de Haerne vient de dire que le projet de canalisation et de jonction à Ypres datait de plusieurs siècles.

Ce n'est pas, comme on le prétend, la ligne droite qu'on veut avoir ; la ligne que l'on vent faire entre le Hainaut et la mer est une ligne courbe et improductive. Où conduirait cette ligne ? Exclusivement dans le port de Nieuport. Or, le Hainaut n'y pourrait rien conduire ; le port de Nieuport est aujourd'hui dans une telle situation qu'il peut à peine recevoir des barques de pêcheurs.

Quel est, au contraire, l'intérêt du Hainaut ? C'est que Mons, Charleroi puissent transporter les houilles dans le bassin de Roulers qui commence à développer une activité si grande, et certes ces produits trouveront là un immense débouché dans l'avenir. Si donc en allant à Ypres, vous devez traverser un autre centre de production, avantageux à la fois et pour l'entreprise et pour l'industrie du Hainaut, c'est cette ligne-là que vous devez choisir. Ce sera en même temps la voie la plus économique.

Ce n'est pas tout : Le canal de la Mandel offre ce grand avantage qu'il met Gand en communication directe avec Ypres.

Il me semble que la question, bien étudiée dans l'intérêt des provinces que la chose concerne, doit amener cette conviction, qu'il faut faire la canalisation par la Mandel : un examen sérieux de la question ne peut, à mon avis, laisser aucun doute à cet égard.

M. Coomans. - Messieurs, je ne sais s’il est bien régulier d'opérer, comme le proposent les honorables M. A. Vandenpeereboom et H. de Brouckere. Je crois que c'est la première fois qu'une semblable motion est faite. Quand une pétition nous arrive, nous la renvoyons soit à la commission des pétitions qui fait un rapport, soit à une section centrale ou à une commission spéciale. Je crois que c’est la première fois qu'une pétition jouirait de la faveur insigne d'aller directement de cette Chambre dans les sections.

Je ne fais pas de proposition formelle ; mais j'appelle l'attention de la Chambre sur le précédent qu'on veut lui faire poser. Je pense qu'on ferait mieux de suivre la filière tracée par le règlement. Au reste, l'honorable M. A. Vandenpeereboom aura atteint son but ; il est certain qu'après la discussion qui vient d'avoir lieu, la pétition sera lue dans les sections.

M. le président. - Je dois faire une remarque :

La Chambre a déjà décidé, conformément à ses habitudes, que. la pétition sera renvoyée à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de loi.

Maintenant, M. A. Vandenpeereboom désire quelque chose de plus : il demande qu'on envoie une copie de la pétition à chacune des six sections.

M. Dolez. - La Chambre pourrait ordonner l'impression au Moniteur. (C’est cela !)

- La chambre décide que la pétition sera insérée aux Annales parlementaires.

Rapport de pétitions

Rapport de la commission permanente de l'industrie sur les pétitions du sieur Baron et des commerçants en chiffons, demandant la libre sortie des chiffons

M. le président. La commission conclut au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances.

M. Coomans. -Messieurs, je ne crois pas pouvoir laisser passer sous silence l'étrange rapport qui nous est soumis. J'avais écrit, avant la clôture de la dernière session, des observations assez longues sur ce rapport ; mais elles se sont égarées dans le nettoyage de la Chambre qui a eu lieu pendant les dernières vacances. Je devrai donc présenter de mémoire et résumer les remarques critiques que cet étrange rapport m'avait suggérées.

Des pétitionnaires ont demandé la libre sortie des chiffons. Voyant que la liberté commerciale est en faveur en Belgique, ils se sont imaginé d'appliquer ce beau principe aux chiffons. Mal leur en a pris. La commission d'industrie, dans laquelle, cependant, j'ai vu figurer avec plaisir quelques partisans de la liberté du commerce, la commission d'industrie s'est indignée de l'audace inouïe des chiffonniers, de demander la libre sortie de leurs marchandises.

Ce n’est pas seulement pour cela que le rapport est étrange, quoique cela suffise pour lui donner cette qualification, mais il est surtout étrange par la crudité des aveux et la hauteur des prétentions qu'on y trouve.

La commission fait remarquer que si la sortie des chiffons n'était pas prohibée, cette marchandise hausserait considérablement : il y aurait une hausse de 150 francs par 1,000 kil. et la commission dit que cette position serait détestable, non pour les propriétaires des chiffons évidemment, mais pour ceux qui doivent en faire emploi.

Or, n'ai-je pas raison de dire, qu'il est étrange qu'en 1859 une commission d'industriels, composée en grande partie de partisans de la liberté du commerce, vienne demander le maintien de l'interdiction de la sortie des chiffons, parce qu'il en résulterait un certain avantage pour les propriétaires de cette matière au détriment des fabricants de papier ? Quels sont donc les propriétaires de chiffons ? Ce sont les pauvres. Je n'en connais pas d'autres. La commission croit qu'il est nécessaire que les Belges qui portent des chiffons restent exploitables à merci pour ceux qui en ont besoin.

Je ne veux pas trop approfondir cette question. Si je disais tout ce que je sais à cet égard, on reconnaîtrait que je suis bien modéré dans ma condamnation du rapport de la commission d'industrie. Je me bornerai à cette seule observation ; non seulement l'interdiction de sortie est une diminution de la propriété, une expropriation arbitraire, sans indemnité aucune ; mais il y a monopole des fabricants et coalition permanente entre les propriétaires de chiffnus, contre les pauvres ; c'est-à-dire que ceux-ci sont obligés de vendre leurs chiffons à un prix fixé d'avance par les marchands qui les leur achètent. Après cela on viendra faire de beaux discours contre les coalitions ! La vérité est que quand les coalisés sont puissants ou riches, on les laisse faire ; ce sont les pauvres seuls que l’on poursuit quand ils se coalisent pour augmenter leurs bénéfices. Je ne cesserai de protester contre cette injustice criante, encore inscrite dans nos lois.

Ainsi, loin d'approuver les conclusions de la commission d'industrie, je voudrais qu'on rentrât dans le droit commun, qu'on pût vendre le (page 72 chiffon ce qu'il vaut, d'autant plus que les fabricants de papier jouissent d'un droit d'entrée sur les papiers étrangers de 15 p. c.

Je dis qu'une industrie qui ne peut pas soutenir la concurrence contre l'industrie étrangère avec un droit de 15 p. c, droit que je considère comme trop élevé, ne mérite pas qu'on lui accorde d'autres avantages. (Interruption.) C'est un avantage énorme que la prohibition de sortie de la matière première, c'est une iniquité commise au profit d'une industrie qui se coalisé publiquement pour faire hausser le prix de ses produits.

Je me bornerai pour le moment à ces quelques mots, sauf à répliquer à qui me contredira.

Je demande que la Chambre passe à l'ordre du jour sur les conclusions de la pétition, en s'associant au vœu que je fais de voir la liberté de la vente des chiffons renaître en Belgique.

M. le président. - Il s'agit de voter non sur les conclusions de la pétition, mais sur les conclusions de la commission qui sont le renvoi au ministre des finances.

M. Coomans. - Je consens au renvoi accompagné de mon petit discours, et j'espère que M. le ministre des finances ne tardera pas de faire droit à mes réclamations. Au besoin je prendrai l'initiative d'une réforme basée sur le bon sens et la justice.

M. Nélis. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission permanente de l'industrie et les considérations qu'a fait valoir son rapporteur, l'honorable M. Sabatier, pour justifier le maintien du régime actuel sur les chiffons.

Mais avant d'examiner cette question, dans laquelle la papeterie est si intéressée, permettez-moi de vous dire que je n'exploite plus cette industrie ; mes paroles en seront plus libres dans l'examen que je vais faite du régime douanier qui doit être appliqué à la sortie des chiffons, au point de vue des intérêts généraux du pays.

Deux pétitions ont été adressées à la Chambre, demandant la libre sortie des chiffons. A l'une d'elles, les pétitionnaires ont joint la copie d'une convention qui avait été conclue entre les sieurs L.de Naeyer et comp., et plusieurs fabricants de papier, pour la fourniture des chiffons nécessaires à leur fabrication.

Je vous dirai d'abord que la société qui s'est formée en Belgique, pour le commerce de chiffons, a adopté la raison sociale De Naeyer jeune et comp., et non L. de Naeyer et comp.

Sur cette pièce je vois figurer mon nom. Sans vouloir exprimer d'opinion sur cette convention, je dois protester contre cette allégation, parce qu'elle est contraire à la vérité. Je n'ai mis ma signature sur aucune espèce de contrat avec la société de Naeyer jeune et Ce, ayant rapport à la fourniture des chiffons nécessaires à mes fabriques.

Ces deux rectifications faites, voyons les motifs sur lesquels s'appuient les pétitionnaires, pour demander que vous adoptiez un régime douanier sur la sortie, des chiffons, diamétralement opposé à celui qui existe aujourd’hui.

Dans la pétition qui a été adressée à la Chambre, le 27 août 1858, le pétitionnaire affirme, ce qui est vrai, que le commerce des chiffons a pris beaucoup d'extension en Belgique, depuis quelques années ; puis il ajoute : que les prix sont tellement bas, que des milliers de personnes se livrant à la profession de chiffonniers se voient dans l'impossibilité de nourrir leur famille.

Il y a là évidemment contradiction ; un commerce ne prend de l'extension et ne prospère que lorsqu'il laisse quelque profit à ceux qui s'y livrent.

La vérité, c'est que la masse de chiffons que produit la Belgique augmente chaque année ; cette augmentation, dans les années normales, est d'environ 400,000 kilogrammes. Elle provient de l'augmentation de la population, de l'aisance plus grande des classes inférieures de la société, de la diminution de solidité des tissus de lin, de chanvre et de coton, de l'extension que prennent les filatures de ces matières filamenteuses, et d'une plus grande masse de déchets qu'elles laissent aux papeteries. cette augmentation exige, chaque année, un nombre plus grand des chiffonniers pour en faire la cueillette. Si, comme le prétend le pétitionnaire, les prix de cette matière première étaient tellement bas qu'ils ne laisseraient plus de bénéfice à ceux qui la ramassent, le nombre de chiffonniers n'augmenterait pas, il diminuerait au contraire et il en serait de même de la masse de chiffons que produit la Belgique. Les faits démontrent qu'il n'en est pas ainsi, l'allégation du pétitionnaire n'est donc nullement fondée. Aucun pays ne produit plus de chiffons que la Belgique, eu égard à son étendue et à sa population, et je vais vous démontrer, par des chiffres, que les prix n'ont pas cessé d'être rémunérateurs.

Une des plus fortes maisons qui exploitent la papeterie en Belgique a eu l'obligeance de me remettre une note des variations du prix des chiffons depuis 1847 jusques et y compris 1858, soit pendant une période de 12 années. Cette maison fait trier les chiffons qu'elle reçoit pour en fixer le prix. Elle a adopté un tarif invariable qui lui sert de base, les résultats qu'elle obtient par ce triage n'indiquent pas seulement les variations dans les prix ordinaires du commerce, mais encore, les variations dans la qualité. Quand le chiffon devient rare et cher, sa qualité diminue, sa valeur réelle n'est plus en rapport avec les prix du commerce.

De ces 12 années, trois se trouvent en dessous du tarif invariable, ce sont les années 1847, 1848 et 1849 On doit les considérer comme exceptionnelles pour le bon marché. Par contre les années 1853, 1854 et 1855 sont exceptionnelles pour les hauts prix. Ces années ont été désastreuses pour la papeterie, plusieurs fabriques ont dû cesser de travailler.

La Chambre m'excusera de l'entretenir de ces détails, mais ils ont de l'importance dans la question qui nous occupe.

Voici cette note : (Suit l’évolution des prix par année, non reprise dans cette version numérisée)

Si l'on prend la moyenne de ces douze années, on trouve pour résultat 3 fr. 63 c. au-dessus du tarif. Or, nous venons de voir qu'en 1857 et en 1858, le prix des chiffons a été de 4 fr. 94 c. et de 4 fr. 3 c. au-dessus du tarif, il a donc dépassé la moyenne des douze dernières années.

Ces chiffres, messieurs, en disent plus que tous les raisonnements sur la valeur des plaintes sur le bas prix des chiffons.

Les autres motifs que les pétitionnaires font valoir, c'est la formation d'une société composée des principaux marchands de chiffons, qui aurait traité avec les fabricants de papier, pour la fourniture de tous les chiffons dont ils ont besoin. Ils voient là une coalition entre cette société et les fabricants de papier, qui les oblige à vendre leurs chiffons aux prix que cette société veut bien leur donner.

Je ne pense pas qu'il soit de la dignité de la Chambre de rechercher si la convention dont les pétitionnaires parlent constitue ou non une coalition. Dans l'affirmative, c'est aux tribunaux que les pétitionnaires devraient s'adresser.

Mais il n'est pas inutile de vous démontrer combien est grande l'exagération dans laquelle les pétitionnaires sont tombés. D'après des renseignements, sur l'exactitude desquels je crois pouvoir compter, la quantité de chiffons du pays, livrée aux fabricants de papiers qui achètent à la société De Naeyer jeune et Cie, depuis le 1er juin 1857, époque à laquelle cette société a commencé ses opérations, jusqu'au 31 décembre 1858, ainsi pendant 19 mois, est de 8,900,000 kil., ce qui revient à une moyenne de 469,000 kil., par mois et par année de 5,600,000 La Belgique fournit de 13 à 14 millions de kil. de chiffons par année, la société n'entre donc dans ce chiffre que pour environ 3/7 et les marchands qui vendent aux fabricants qui n'achètent pas à cette société, pour 4/7.

Les pétitionnaires ne disent donc pas la vérité, lorsqu'ils affirment qu'ils doivent s'incliner devant la prétendue coalition, faute d'autres débouchés.

Les pétitionnaires ajoutent que plutôt que de leur donner un prix rémunérateur, ils vont acheter à l'étranger à 9 et 12 fr. plus cher qu'en Belgique.

Il est évident, messieurs, que la société des marchands de chiffons et les fabricants de papier sont assez soucieux de leurs intérêts, pour ne pas aller payer 9 à 12 fr. plus cher à l'étranger, un article qu'ils pourraient obtenir en Belgique à bas prix. Il y a donc une autre cause qui nécessite ces achats à l'étranger, et cette cause, c'est la rareté de l’article sur le marché belge. Le chiffon ne se ramasse pas en égale quantité dans les différentes saisons de l'année ; au printemps et avant l'hiver, il est plus abondant ; pendant les travaux de l'été et les rigueurs de l'hiver, alors que les colporteurs ne peuvent parcourir les campagnes, il est plus rare. D'autres causes influent encore sur l'abondance plus ou moins grande de l'article, et la plus puissante, c'est que 1'industrie papetière emploie plus de chiffons que le pays n'en produit. Le chiffon ne se reproduit pas à volonté ; lorsqu'il manque sur place, il faut bien aller le chercher ailleurs, ou bien, les fabricants qui n'ont pu faire des approvisionnements en temps opportun, seraient obligés de chômer.

Vous voyez, messieurs, que les pétitionnaires ne peuvent faire valoir aucune bonne raison pour justifier le changement qu'ils demandent au régime douanier. Cependant la question de savoir quel doit être le régime douanier applicable à la sortie des chiffons est posée devant la Chambre au nom de la liberté commerciale. Elle doit être examinée à fond, l'industrie et le commerce ont besoin de stabilité ; ils ne peuvent prospérer dans l'inquiétude, il importe donc qu'elle soit résolue.

Moi aussi, messieurs, j'aime la liberté commerciale autant que les autres libertés qui font le bonheur et qui contribuent tant à la prospérité de la Belgique. J'aime la liberté commerciale qui augmente le travail national, qui excite au progrès l'industriel et le négociant, qui procure à la classe ouvrière un travail plus rémunérateur, en un mot qui contribue à augmenter le bien-être et la richesse du pays. Mais je ne veux pas de la liberté commerciale qui tue le travail, qui fait chômer nos usines, qui appauvrit le pays. Je ne veux pas de la liberté(page 73) commerciale sans réciprocité, de cette liberté qui place notre industrie et notre commerce dans une position d'infériorité vis-à-vis de l'industrie et du commerce des peuples avec lesquels nous devons lutter sur les marchés étrangers. La lutte n'est soutenable qu'à armes égales, c'est-à-dire qu'avec les mêmes conditions d'achat des matières premières et de vente des produits fabriqués.

La loi a apporté des restrictions à presque toutes nos libertés, elle en a tracé les limites. C'est surtout lorsqu'il s'agit de commerce et d'industrie que l'on doit procéder avec lenteur et prudence ; les changements aux lois qui régissent ces matières peuvent apporter de grandes perturbations dans les industries et des désastres irréparables dans les fortunes.

La question me paraît devoir être posée dans ces termes : L'intérêt générai demande-t-il que l'on maintienne la législation actuelle, c'est-à-dire la prohibition à la sortie des drilles et chiffons ? ou bien qu'on la remplace par la libre sortie, ou bien par un droit à la sortie et quel devrait être le taux de ce droit ?

Je n'hésite pas à répondre que l'intérêt du pays, d'accord avec l'intérêt de la papeterie et les nombreuses industries qui s'y rattachent, exige le maintien de la législation actuelle, aussi longtemps que les peuples qui nous entourent, et surtout la France, n'auront pas modifié la législation douanière sur la sortie des chiffons et que les peuples qui manquent de chiffons pour fabriquer les papiers dont ils ont besoin, n'auront pas aboli les droits à l'entrée sur les papiers.

Pour vous démontrer combien mon opinion est d'accord avec l'intérêt général, il est nécessaire d'établir la position de l'industrie papetière dans les pays qui sont particulièrement intéressés dans la question.

La Belgique achète ses chiliens de 8 à 36 fr. par 100 kilos, suivant qualités, soit en moyenne, 22 francs. Les besoins de la papeterie dépassent la production du pays, elle est obligée d'en acheter une certaine quantité à l'étranger. Elle vend ses papiers en concurrence avec la France, la Hollande et l'Allemagne.

La France, où les chiffons sont également prohibés à la sortie, paye, dans ce moment, ses chiffons un peu plus cher que la Belgique, surtout les premières qualités. La Hollande laisse sortir les chiffons moyennant un droit de sortie de 10 fl. P -B., augmentés de 15 additionnels, ce qui porte le droit de sortie à 23 fr. 92 c. ; elle produit plus de chiffons que la papeterie n'en emploie, les qualités supérieures qui peuvent supporter les droits de sortie s'y vendent au prix de 42 à 43 fr. les 100 kil. les qualités inférieures sont à plus bas prix qu'en Belgique. Dans ce moment, elles s'infiltrent dans notre pays par la frontière du nord. Cette situation ne se prolongera pas, la Hollande a réduit de 10 à 5 quinzièmes la quantité de chiffons qui peut franchir la frontière sans payer de droits. Le Zollverein, qui produit aussi plus de chiffons qu’il n'en consomme, les impose d’un droit de sortie de 5 th. par quintal, soit 22 fr. 50 par 100 kil. Somme toute, la différence entre les prix des chiffons en France, en Hollande, en Allemagne et en Belgique, n'est pas considérable, si la liberté du commerce des chiffons pouvait exister entre ces peuples, les fabricants de papiers belges ne s'en plaindraient pas. Il n'en est pas de même en Angleterre ; là, le chiffon double à peu près de valeur. Les besoins de papier dans le Royaume-Uni sont tellement grands, que les chiffons du pays et tous ceux qui sont achetés à l'étranger ne suffisent pas pour les satisfaire ; l'Angleterre reçoit encore deux fois autant de papiers de l'étranger qu'elle en exporte.

Elle impose aux papiers un droit à l'entrée équivalent à 25 fr. 50 c. les 100 kilog. Aux Etats-Unis les besoins ne sont pas moins grands.

D'après un extrait du Journal du commerce de New-York, l'Amérique du Nord, dans une période de dix années, de 1846 à 1855, a importé plus de 206 millions de livres de chiffons, pour une valeur de plus de 8,100,000 dollars. Les papiers sont imposés, à l'entrée, d'un droit de 24 p. c.

Ces deux peuples achètent à peu près tous les chiffons qui sont offerts sur les marchés où ce commerce est libre, ils se font concurrence, et c'est cette concurrence qui a fait arriver cette marchandise à un prix si élevé. Hambourg est le plus grand marché du nord de l'Europe pour le commerce des chiffons. En 1855, il a été vendu, pour l'exportation, 6,855,000 kilog., l'Angleterre seule en a acheté 5,400,000 kilog. Si l'on compare les prix des neuf sortes de chiffons qui se vendent pour l'exportation, sur cette place, aux prix des mêmes qualités en Belgique et en Angleterre, on obtient les résultats suivants : Prix moyen, en Angleterre, 44 fr. ; à Hambourg, 41 fr. ; et en Belgique 24 fr. par 100 kil. soit une différence moyenne, entre les prix anglais et belges, de 20 fr.

Cette différence est d'autant plus grande que la qualité est plus belle et plus solide, elle est de 35 fr. sur le n°1, toiles blanches fines qui valent en Angleterre 71 fr. et en Belgique 36 fr. et de 12 fr. sur le n° 9 coton bleu qui se vend en Angleterre 27 fr. et en Belgique 15 fr.

Quant au papier, si l'on prend pour terme de comparaison le papier d'impression qui se vend en Belgique 85 c. le kilog., on trouve qu'il vaut en Angleterre 1 fr. 10 c, en Allemagne 95 c, en France 92 c, et en Hollande 90 c ; c'est donc en Belgique que le papier est a plus bas prix, ce qui explique le chiffre élevé de nos exportations et les avantages qu'en retirent les consommateurs nationaux et surtout les industries qui emploient le papier. C'est en Angleterre que le papier est le plus cher : cette nation, en déclarant libre le commerce de chiffons, impose un droit élevé, sur les papiers, elle trouve plus avantageux d'acheter du chiffon que du papier.

Supposons maintenant que la liberté du commerce des chiffons existe en Belgique et voyons quels en seront les résultats : Les prix des qualités susceptibles d’être exportées s'élèveront au taux des mêmes qualités en Angleterre, moins les frais de transport. Nous venons de voir que la différence moyenne était de 20 fr. par 100 kil. Les frais de transport et autres doivent être fixés à 3 fr. ; l'augmentation sera donc en Belgique de 17 fr. par 100 kil, ce qui portera le prix moyen de 22 fr. à 39 francs. Des 13 à 14 millions de kil. de chiffons, production de la Belgique, 8 à 9 millions sont susceptibles d'être exportés ; ils donneront donc une plus-value de l,400,000 fr. ; voilà le seul avantage que le pays pourra en retirer. Nous verrons tout à l'heure qui profitera de cette plus-value.

L'augmentation du prix des chiffons produira l'augmentation du papier et comme le chiffon perd 30 à 40 pour 100 pour être converti au papier, l'augmentation ne sera pas moindre de 17 à 30 1/2 centimes de kilog. suivant les qualités, soit en moyenne 23 centimes. La Belgique fabrique environ 10,000,000 kilog. de papier, dont 4 millions sont exportés ; la consommation de l'intérieur est donc d'environ 6 millions de kilog. En supposant que les papiers communs d'emballages ne varient pas, 4 millions de kilog. subiront l'augmentation de 25 1/2 centimes au kilog, les consommateurs de papiers nationaux payeront donc environ un million de plus et la Belgique, au lieu d'exporter du papier pour 3 à 4 millions de francs, devra en acheter pour un chiffre à peu près équivalent. La plus-value sur les chiffons serait déjà chèrement acquise à de pareilles conditions.

Mais, messieurs, quelle ne sera pas la perturbation qu'une pareille mesure produira sur l'industrie papetière !

Le premier effet de la hausse sur les papiers sera la suppression du commerce d'exportation par où s'écoulent les deux cinquièmes de la production et qui fait rentrer dans le pays une somme supérieure à la valeur totale des chiffons.

Les droits à l'entrée sur les papiers étant insuffisants pour conserver le marché de l'intérieur, nos voisins du Midi et du Nord, qui ont la matière première à bas prix, fourniront à la Belgique les deux tiers des papiers dont elle a besoin pour sa consommation. Les trois quarts des fabriques à papier devront chômer ; un capital de dix millions sera sacrifié, 5,000 à 6,000 ouvriers sans ouvrage devront chercher du travail ailleurs. Toutes les industries qui profitent de l'activité de la papeterie verront leurs relations brusquement interrompues.

Cependant, messieurs, la papeterie n'est pas une de ces industries sans avenir, qui ne se soutiennent qu'à l'aide d'une protection exagérée, onéreuse à ceux qui livrent la matière première et à ceux qui achètent les produits.

Aucune industrie en Belgique n'a fait plus de progrès que la fabrication du papier. En 1830 il n'y avait que 2 ou 3 machines à fabriquer le papier continu et alors, une machine ne faisait que 200 à 300 kilog. par jour. Aujourd'hui la Belgique compte 40 machines à fabriquer le papier continu, faisant, en moyenne, 700 kilogrammes par jour ; cette production augmente chaque année et je sais qu'il existe déjà des machines faisant 2,000 kilogrammes par jour. 42 fabriques travaillent encore à la main. Le chiffre élevé des exportations des papiers belges, sur les principaux marchés du monde, prouve que cette industrie ne redoute aucune concurrence, pourvu qu'elle puisse obtenir la matière première aux mêmes conditions que les industries similaires avec lesquelles elle doit lutter.

L'honorable rapporteur de la commission de l'industrie vous l'a dit, le capital engagé dans l'industrie papetière n'est pas moindre de 14 millions de francs.

Le fabricant de papier et le marchand de chiffons se sont établis sous le régime de la loi actuelle ; le premier a exposé ses capitaux dans la construction de vastes bâtiments, dans le placement d'un matériel considérable, nécessaires à l'érection d'une papeterie.

Le second a employé ses fonds dans le commerce d'une matière première dont le placement est toujours facile et assuré.,

Le premier s'est placé dans cette position délicate, qu'un changement dans les lois de douanes peut causer sa ruine.

Le second, quoiqu'il arrivé, peut retirer son capital du commerce sans perte. Tous les deux ont droit à une égale protection, pourquoi sacrifierait-on les intérêts du premier au profit du second ? Ce ne serait ni de la justice ni de l'équité.

Les industries qui emploient le papier ne sont pas moins intéressées dans la question que la fabrication du papier elle-même.

Les manufactures de papiers à meubler, dont le nombre et l'importance augmentent chaque année, qui ne se bornent pas à travailler pour les besoins du pays, mais qui exportent pour 200,000 à 300,000 fr. de produits, ne pourront résister à la hausse sur les papiers qui ne sera pas inférieure à 5 ou 7 centimes au rouleau. Elles devront renoncer au commerce d'exportation, elles ne pourront même conserver le marché intérieur qui n'est protège que par un droit ad valorem de 12 p. c. Comme la papeterie, elles seront condamnées à la ruine.

La typographie qui commençait à se remettre de la crise qu'elle a eu à supporter, il y a quelques années, ne pourra résister au choc que lui fera éprouver l'augmentation de 17 à 30 centimes sur les papiers.

(page 74) Le bas prix du papier lui permettait de lutter avec la typographie française ; la lutte ne sera plus possible le jour où le papier sera plus cher à Bruxelles qu'à Paris.

La presse n'a-t-elle pas aussi un grand intérêt dans la question ? Sa prospérité est due en partie au bas prix du papier. Que deviendront tous nos journaux à bon marché, lorsqu'ils devront payer leur papier 20 à 25 centimes de plus au kilogramme, lorsqu'ils devront augmenter le prix de l'abonnement de 2 à 6 francs suivant la grandeur du format ? Il est évident qu'un désabonnement sur une grande échelle sera la conséquence de cette augmentation, plusieurs de ces entreprises ne pourront se soutenir. Mieux vaudrait le rétablissement du timbre que des raisons puissantes, et qui subsistent dans toute leur force, ont fait abolir.

D'autres industries d'une importance réelle, telles que la fabrication des papiers marbrés, maroquinés et autres, la fabrication des cartes à jouer, des cartons, ne sont pas moins intéressées au bas prix du papier.

Je dirai plus, aujourd'hui que l'on cherche par tous les moyens à favoriser l'instruction, à propager les idées et toutes les connaissances utiles par la presse, par l'impression de brochures et de livres accessibles aux classes inférieures par leur bon marché exceptionnel, il est de l'intérêt de tous que le papier, ce véhicule de l'instruction et de la diffusion des lumières, soit à bas prix. Ce serait travailler contre les intérêts moraux autant que contre les intérêts matériels du pays, que d'adopter une législation qui aurait pour première conséquence d'augmenter un produit aussi généralement employé.

Tant de sacrifices n'auraient pour compensation qu'une plus-value sur les chiffons de 1,400,000 fr.

Voyons qui profitera de cette plus-value. D'abord ce seront les producteurs de chiffons ou plutôt les vendeurs initiaux. Tout le monde produit du chiffon, les riches les laissent à leurs ménagères ou à leurs domestiques : les classes inférieures les vendent elles-mêmes ; la quantité que chacun vend est minime, le bénéfice à retirer de la hausse se répartissant sur un très grand nombre, sera peu appréciable. La classe ouvrière a bien plus d'intérêt à la prospérité de la papeterie, qui lui paye annuellement, en salaire, une somme qui dépasse la valeur de tous les chiffons de la Belgique.

Ensuite viennent les personnes qui s'occupent de la cueillette et du commerce des chiffons et qui peuvent se diviser en trois classes.

La plus nombreuse est celle des colporteurs ou plutôt des chiffonniers qui vont ramasser les chiffons dans les villes et les villages.

Dans certains journaux, ou en a porté le nombre à 40,000. Il suffit de comparer ce chiffre fantasmagorique à la masse totale des chiffons, qui est d'environ 14 millions de kilogrammes, pour en démontrer l'exagération. Des 14 millions, 11 à 12 millions au plus sont ramassés par les colporteurs et les petits marchands, ce qui donnerait pour 40,000 chiffonniers une moyenne de 500 kil. par année, ou moins d'un kilog. par jour.

S'il pouvait être vrai que 40,000 personnes s'occupassent de la cueillette et du commerce des chiffons, c'est alors que l'on pourrait dire qu'ils sont désintéressés dans la question. La plus-value sur les chiffons s'élèverait par la libre sortie à 1,400,000 fr. Il est incontestable que les vendeurs initiaux auront la plus grande part de cette plus-value, et cette part sera d'autant plus grande, que les acheteurs seront plus nombreux et la concurrence plus active. Toutefois, supposons qu'il restera un tiers de la somme à partager entre les 40,000 chiffonniers, ce tiers sera de 466,000 francs, soit pour chaque chiffonnier 11 fr. 65 c. par an ou 3 centimes par jour.

Ne nous arrêtons pas plus longtemps à ce chiffre inventé pour le soutien de la cause, et voyons ce qui se rapproche davantage de la vérité.

Un ouvrier chiffonnier ramasse par jour de 5 à 12 kilog. de chiffons, soit une moyenne par année de 2,800 kilog., leur nombre peut s'élever de 2,500 à 3,000. Ils achètent aussi des os, de vieux métaux, etc., et ils vendent de petits objets nécessaires aux ménages des campagnes.

Ce sont les moins intéressés dans la question. Leur bénéfice journalier est en rapport avec le salaire d'un ouvrier intelligent, dans la contrée qu'ils exploitent, augmenté des frais qu'ils doivent faire dans leurs courses. Plus la journée est élevée, moins il y a de chiffonniers. Dans les Flandres, par exemple, où la journée est moins élevée que dans certaines parties du pays wallon, il y a beaucoup plus de chiffonniers que dans les environs de Charleroi ou de Liège. Si pour une cause quelconque la profession de chiffonnier s'améliore, le nombre augmente ; si le contraire a lieu, le nombre diminue ; les chiffonniers se font ouvriers.

C'est ce chiffonnier qu'on a voulu faire considérer comme un ilote vis-à-vis du fabricant de papier. Je dirai, au contraire, que le fabricant de papier est le protecteur du chiffonnier. La Belgique manque de chiffons, il est donc de l'intérêt du fabricant que le chiffon se ramasse avec soin, il doit veiller à ce que le nombre de chiffonniers soit en rapport avec la production du pays, et pour que le nombre ne diminue pas, il faut que le bénéfice soit rémunérateur. Le marchand de chiffons, au contraire, est moins intéressé à avoir beaucoup de chiffons qu'à gagner beaucoup. Acheter à bas prix et vendre cher, doit être le but de son commerce.

La deuxième classe est celle des petits marchands et des fripiers qui achètent en détail chez eux. Les premiers n'ont pas un capital assez considérable, pour profiter des variations dans les prix de cet article, ils ne sont guère plus intéressés à la libre sortie que les colporteurs. Quant aux seconds, l'article chiffons n'entre que pour une petite part dans leur commerce ; ils sont pour ainsi dire hors de cause.

La troisième classe est celle des grands marchands qui ont assez de capitaux pour devenir spéculateurs. Ce sont eux qui partageront, avec les vendeurs initiaux, la plus-value sur les chiffons. Dans les pays où le commerce de chiffons est libre, les prix subissent de grandes variations, lorsque l'interruption de la navigation a arrêté l'exportation, les prix baissent, les spéculateurs achètent et emmagasinent, pour vendre lorsque la reprise des affaires aura lieu.

D'après ce qui précède, je puis conclure :

1° que la libre sortie des chiffons placerait les fabricants de papier belges dans l'impossibilité de lutter sur les marchés étrangers, avec leurs concurrents, les Français, les Hollandais, les Allemands ; que le marché de l'intérieur même serait abandonné à nos voisins du Midi qui ne payent à l'entrée en Belgique, sur les papiers, que le droit de 12 fr. 50 c. par 100 kilos, tandis que l'augmentation du papier serait, en Belgique, de 25 1/2 cent, au kilog.

2° Que l'exportation des chiffons se ferait au profit de l'Angleterre et des Etats-Unis qui, en inscrivant la liberté du commerce des chiffons dans leur tarif, imposent des droits très élevés sur les papiers, qui rendraient impossible l'importation des papiers belges, le jour où la matière première serait, en Belgique, aussi chère qu'en Angleterre ou aux Etats-Unis.

Je dirai donc, avec l'honorable rapporteur de la commission de l'industrie, que dans l'état actuel de la législation douanière des peuples avec lesquels nous devons lutter, ce serait une véritable duperie que de décréter la libre sortie des chiffons.

Mais, puisque nous ne pouvons laisser sortir librement les chiffons, ne pouvons-nous pas les laisser sortir en les imposant d'un droit assez élevé pour sauvegarder les intérêts de l'industrie papetière et suivre ainsi l'exemple de la Hollande ?

II existe une différence capitale entre la Hollande et la Belgique, c'est que la Hollande a trop de chiffons pour ses fabriques à papier et que la Belgique n'en a pris assez. La Hollande ne compte que six à sept machines à fabriquer le papier continu ; les fabriques à la main ont dû renoncer là, comme ailleurs, à fabriquer les papiers blancs ; les prix des qualités qui ne s'exportent pas sont beaucoup plus bas qu'en Belgique ; le coton bleu, par exemple, qui se vend eu Belgique 15 francs, ne vaut que 12 francs en Hollande, par cent kilogrammes. Elle avait donc des motifs qui manquent à la Belgique pour autoriser la liberté d'exportation moyennant un droit élevé. En Belgique, au contraire, tout ce qui serait enlevé par l'exportation, devrait être remplacé par l'importation pour que nos fabriques conservassent la même activité. Nous avons vu que les chiffons sur les marchés libres sont beaucoup plus chers qu'en Belgique, l'importation ne peut donc avoir lieu sans augmentation de prix ; la hausse sur les papiers en sera la conséquence immédiate, dès lors le commerce d'exportation des papiers est perdu, le marché de l'intérieur compromis. Le droit de sortie, pour sauvegarder l'industrie papetière, devrait donc être prohibitif.

Mieux vaut alors laisser subsister ce qui existe. En effet, quand même le droit de sortie serait aussi élevé que le prix moyen des chiffons, fût-il même de 30 francs par 100 kil., les qualités supérieures indispensables pour fabriquer du bon papier seront exportées, puisque la différence entre les prix anglais et les prix belges, comme je l'ai établi précédemment, est de 35 fr. par 100 kil. sur les toiles n°1. En laissant sortir du pays les qualités supérieures, on placera le fabricant dans la nécessité de renoncer à fabriquer les papiers fins, il ne pourra faire que des papiers médiocres ou communs ; la qualité des papiers belges diminuant, ils ne conserveront plus leur bonne réputation à l'étranger, et l'exportation sera également perdue pour la Belgique. Que l'on envisage la question de toutes manières, il est impossible de trouver un système qui permette l'exportation d'une matière première dont le pays manque, sans occasionner la ruine, plus ou moins prochaine, de l'industrie qui l'emploie.

Pour vous démontrer que les droits élevés n'empêchent pas l'exportation des meilleures qualités de chiffons, je n'ai qu'à vous citer les chiffres qui se trouvent dans le tableau du commerce belge des années 1856 et 1857 et qui ont rapport au commerce de chiffons entre la Hollande et la Belgique. En 1856 la quantité de chiffons entrée en Belgique, venant de la Hollande, a été de 18,547 kilogrammes pour la consommation intérieure. En 1857, cette quantité s'est élevée à 2,120,301 kil. dont 84,336 pour la consommation intérieure et 2,120,301 kil. n'ont fait que transiter par la Belgique. Ainsi la quantité de chiffons venant de la Hollande pour l'Angleterre qui a passé par la Belgique sous le régime de l'établissement d'un droit de sortie de 25.92 a été de plus de 2 millions de kilogrammes. J'ignore quelle est la quantité expédiée directement des ports hollandais mais ce chiffre suffit pour vous prouver qu'un pareil régime, appliqué à la Belgique, serait à peu près aussi préjudiciable à la papeterie belge, que la libre sortie.

M. le président. - L'orateur demande à renvoyer à demain la continuation de son discours.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.