(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 1085) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Ruddervoorde demandent la canalisation d'un petit ruisseau dit Riviertje, qui a sa source dans le canal de Gand à Bruges, passe par la commune d'Oostcamp et traverse celles de Waerdamme et de Ruddenoorde, pour déboucher près de Thourout. »
M. Coppieters 't Wallant. - Je demande le renvoi de la pétition à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Dufour, ancien percepteur des postes, réclame l'intervention de la Chambre, pour obtenir la révision de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Muller. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur deux projets de loi dont l'un accorde à Mme veuve Dumont une pension viagère, à titre de récompense nationale et l'antre autorise le gouvernement à faire l'acquisition des collections minéralogiques et documents qu'a laissés ce savant.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Lelièvre. - Le projet étant urgent, je prie la Chambre d'en fixer la discussion après celle du projet concernant l'article 84 de la loi communale ; il s'agit d'une pension à titre de récompense nationale.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
M. Allard. - Je demande la parole pour une rectification aux Annales parlementaires. Je viens de m'apercevoir que mon nom ne figure pas parmi les membres qui ont voté la loi qui proroge de deux années le traité conclu avec la France. Comme j' ai assisté à la séance du 5 et que j'ai voté cette loi, je demande que rectification soit faite aux Annales parlementaires.
M. le président. - La rectification aura lieu par le fait même de l'observation que vient de faire M. Allard.
M. le président. - Il n'y a plus d'orateur inscrit, la parole est à M. le rapporteur.
M. Vervoort, rapporteur. - Messieurs, on a qualifié la loi présentée par M. le ministre de la justice de loi réactionnaire ; quel est cependant son but ? C'est de maintenir la législation existante et non de substituer une législation nouvelle à celle qui nous a régis jusqu'à présent. Cette législation organise d'une manière uniforme la bienfaisance publique, elle l'organise de manière à y associer la bienfaisance privée et individuelle, afin de mieux assurer le but que celle-ci se propose.
L'administration des pauvres est confiée aux hospices et aux bureaux de bienfaisance ; c'est un régime qui doit rassurer à la fois celui qui donne et celui qui reçoit, les hommes charitables et les pauvres. Ce régime tend aussi à rassurer les familles, car il doit nécessairement, sinon supprimer, diminuer au moins les captations. Aussi il a conquis les sympathies de l'opinion publique.
La statistique démontre qu'après l'application rigoureuse des principes de la circulaire de M. de Haussy, les dons et legs de charité ont augmenté dans une proportion considérable.
Ainsi la moyenne s'est élevée de 1842 à 1847 à 926,676 fr. En 1848 le chiffre des actes de bienfaisance a atteint 703.540 francs ; en 1849 1,221,881 francs, et en 1852 2,635,415 francs.
Le système qui a favorisé ce résultat centralise et sécularise, comme nous l'avons dit dans le rapport, l’administration du bien des pauvres.
L'honorable M. Van Overloop a vu une erreur historique dans cette appréciation ; mais, tout le monde sait que l’Eglise avait autrefois la suprématie en matière de fondations charitables ; tout le monde connaît les inconvénients qui en étaient résultés. L'assemblée constituante et la Convention ont érigé la bienfaisance en une dette nationale. Elles ont remis l'administration des biens du pauvre au pouvoir civil.
Les lois de l'an V, en organisant les hospices et les bureaux de bienfaisance, ont achevé la sécularisation de la charité. L'expression dont nous nous sommes servi est donc parfaitement exacte.
On reproche au ministère, messieurs, de présenter la loi dans le moment actuel. Mais si le ministère avait présenté la loi au commencement de 1858, ne lui aurait-on pas fait le reproche d'y mettre trop de célérité ? ne lui aurait-on pas dit ; nous sortons de luttes vives et passionnées, l'opinion publique est exaltée ? ne lui aurait-on pas reproché de représenter la loi à des députés à peine sortis du mouvement de 1857 ? Evidemment on eût fait ce reproche au ministère.
Au lieu d'agir avec précipitation, le gouvernement a, dans le discours du Trône, annoncé l'intention de présenter le projet de loi dans le cours de cette session, personne n'a réclamé ; aucune protestation ne s'est élevée ; la Chambre a ratifié cette résolution, et aujourd'hui, on fait de la présentation du projet un grief au ministère ! on ajoute : C'est une insulte à la magistrature, sa dignité morale est offensée !
Pour moi, messieurs, je ne comprendrais pas que la magistrature pût s'offenser de la présentation d'un projet de loi qui aura pour résultat de la tirer d'un embarras inextricable. (Interruption.)
M. de Naeyer. - Quel est cet embarras inextricable ?
M. Vervoort. - Il y a un désaccord profond, (Interruption.) On n'est nullement d'accord ; la cour d'appel de Bruxelles est en lutte avec la cour de cassation.
M. de Naeyer. - Cela arrive presque tous les jours ; il y a une foule de contestations de ce genre.
M. Vervoort. - Oui, cela arrive souvent ; mais sur des questions d'une importance secondaire ; sur des questions qui n'embrassent pas d'aussi grands intérêts. Mais il est des questions sur lesquelles la lutte ne peut se produite sans provoquer une grande émotion ; celles qui concernent les fonctions charitables sont de ce nombre. La question soulevée à propos du paragraphe 2 de l'article 84 a donné lieu à de nombreuses discussions.
Depuis longtemps elle occupe les tribunaux ; je le répète, elle crée des embarras, et je ne comprendrais pas la magistrature se voyant blessée dans sa dignité parce que le pouvoir législatif viendrait mettre un terme au conflit administratif et judiciaire par une loi que réclame, d'ailleurs, l’opinion publique.
Mais comment a procédé l'honorable M. Nothomb lorsqu'il était ministre de la justice ? S'est-il arrêté devant l'affaire De Rare quant il a présenté sa loi sur la charité ? N'est-il pas venu ici invoquer la jurisprudence de la cour de cassation ? N'a --il pas provoqué, sur cette jurisprudence, un débat auquel nous avons eu personnellement l'honneur de prendre part ?
N'a-t-il pas entraîné la Chambre à discuter une question soumise au pouvoir judiciaire ?
Au reste, la discussion actuelle ne doit point soulever de crise ; si tous les orateurs de la droite veulent conserver la modération dont a fait preuve l'honorable M. de Theux, les débats ne passionneront personne, le public en attend le résultat avec un calme et une confiance qui certainement ne seront pas troublés par les discours des membres de la gauche.
Messieurs, on a mis en doute le droit d'interpréter la loi en dehors des cas prévus par la loi de 1832. Mais en principe, le pouvoir qui fait la loi, ne doit-il pas avoir le droit d'en rectifier ou d'en expliquer le texte ? N'est-il pas rationnel de confier l'interprétation authentique au législateur qui fait la loi ?
On a dit : Le pouvoir législatif subit les fluctuations de la politique et le mouvement de l'opinion, comment peut-il, à plusieurs années de distance, donner le sens d'une loi faite dans d'autres temps et sous d'autres influences ?
Cette observation générale conduit à nier le droit d'une manière absolue. Car l'objection s'applique aussi bien aux cas d'interprétation prévus par la loi de 1832 qu'au droit dont la Chambre fait usage en ce moment. S'il y avait un obstacle sérieux à attribuer à la législature le droit d'interpréter la loi, on ne l'aurait pas inscrit dans la Constitution.
On a objecté aussi que la loi de 1832 a fixé les cas d'interprétation ; ce qui reviendrait à dire que la législature ne peut plus interpréter la loi avant de décider que l'article 28 de la Constitution a une portée plus étendue que celle que comporte la loi de 1832. Il faudrait donc faire une loi pour donner à la législature le droit d'en interpréter une autre, et le législateur ne pourrait user de son droit constitutionnel qu'en vertu d'une lui organique.
Il suffit d'énoncer cette observation pour faire tomber l'objection.
La législature, a-l-cii dit encore, ne doit pas s’immiscer dans l'exercice des fonctions du pouvoir judiciaire ; c'est une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Messieurs, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif sont parfaitement indépendants et se meuvent l'un et l'autre dans une sphère différente. Le pouvoir législatif fait, améliore, complète, interprète les lois. Le pouvoir judiciaire est tenu de les appliquer. Si une cause pendante (page 1086) devant le pouvoir judiciaire pouvait arrêter la marche du pouvoir législatif, celui-ci devrait subir les lenteurs inévitables de la marche des tribunaux, et si successivement des procès étaient engagés sur la même question, le pouvoir législatif, qui pose des règles générales dans l'intérêt de tous, pourrait être tenu indéfini meut en échec !
Nous avons fait remarquer que l'article 28 de la Constitution est conçu en termes généraux. Il était d'autant plus nécessaire de lui donner cette portée, qu'en cas de conflit sur le sens d'une loi en matière administrative, le gouvernement doit pouvoir provoquer, s'il est nécessaire, une loi qui fixe ce sens par voie d'autorité. Et le projet de loi actuel a incontestablement un caractère administratif.
L'honorable M. Van Overloop s'est récrié contre le prétendu effet rétroactif de la loi proposée. Mais, nous croyons l'avoir clairement démontré, il ne s'agit point de rétroactivité à propos de lois interprétatives. Une loi interprétative n'est autre chose que la loi interprétée reproduite en d'autres termes. C'est la traduction d'un texte en expressions plus claires. Le texte, maintenu quant à sa pensée et à la volonté qu'il exprime, doit donc être appliqué à tous les cas, comme s'appliquerait un texte flamand substitué au texte français.
L'honorable M. Van Overloop a invoqué les discussions qui ont précédé le vote de la loi de 1832 et l'opinion des jurisconsultes qui y ont pris part ; tout cela serait fort bien s'il s'agissait de refaire la loi de 1832, mais cette loi a définitivement tranché la difficulté. En voici la démonstration sans réplique :
L'article 25, paragraphe 2, de la loi de 1832 dit :
« Les cours et tribunaux sont tenus de se conformer à la loi interprétative pour toutes les affaires non définitivement jugées. »
Ainsi une loi interprétative, provoquée par des décisions contraires du tribunal de Bruxelles ou de Louvain, de la cour de Bruxelles et de la cour de cassation, doit s'appliquer aux contestations, de même nature, portées devant les tribunaux à Arlon, à Bruges, à Liège ou ailleurs. Il en est ainsi parce que la loi n'a pas d'effet rétroactif et qu'elle s'applique nécessairement, et par sa nature même, à tous les cas atteints par la loi interprétée. L'argument tiré de l'article 25, paragraphe 2, de la loi de 1832 est d'autant plus décisif, qu'il est de principe que lorsqu'une demande est portée devant les tribunaux, le jugement remonte au jour de l'assignation, parce que les parties ne doivent pas souffrir des lenteurs souvent nécessaires d'une bonne justice.
On a prétendu que le pouvoir exécutif se crée dans notre système un droit à lui-même, qu'il s'immisce dans les attributions du pouvoir judiciaire, en considérant des clauses d'un testament comme non-écrites, et l'honorable M. Dumortier a présenté à cet égard un amendement inutile.
En matière de fondations charitables, le gouvernement ne se crée pas de titres à lui-même, il protège les pauvres dans leurs biens. Voilà son unique mission et son seul intérêt. Le gouvernement n'est pas le moins du monde en cause.
On oublie qu'une donation ou un legs fait en faveur des pauvres d'une commune, est soumis à l'acceptation du bureau de bienfaisance ou de l'administration des hospices.
Cette acceptation ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation accordée par le pouvoir exécutif.
Mais avant de donner l'autorisation d'accepter, il doit incontestablement examiner.
Si le legs ou la donation renferme des conditions que la loi ne permet point d'exécuter, ces conditions contraires à la loi sont, aux termes de l'article 900 du Code civil, considérées comme non écrites.
Le gouvernement a donc non seulement le droit, mais le devoir impérieux de ne pas tenir compte de ces conditions dépourvues de toute validité et de transmettre les biens, destinés aux pauvres, à l'administration civile qui est seule en droit de les gérer.
L'honorable M. Nothomb, durant son ministère, a parfaitement respecté ce principe. Nous voyons figurer, dans les documents parlementaires, des autorisations accordées sous son ministère, dans lesquelles on s'appuie sur l'article 900 du Code civil pour considérer comme non-écrites certaines clauses des dispositions charitables.
Nous trouvons dans ces mêmes documents une décision de l'ancien prince-évêque de Liège annulant et permutant un testament par lequel 35,000 écus (somme très considérable dans le siècle dernier) étaient consacrés à des messes pour le repos de l'âme du testateur. L'acte de permutation réduisit la disposition à un anniversaire et six cents messes et fut approuvé par un édit de Marie-Thérèse.
L'honorable M. Van Overloop a soutenu que le roi a aujourd'hui en Belgique le droit de donner la personnification civile à des fondations charitables ; mais c'est dire, en d'autres mots, que les particuliers sont autorisés à créer des personnes civiles pour représenter les pauvres, et que le Roi peut sanctionner de pareilles créations.
Cette prétention étrange est contraire à notre pacte fondamental et à nos lois organiques.
Ce droit n'appartient qu'au pouvoir législatif ; lui seul peut donner l'existence à un être fictif ; la loi a créé des administrations publiques investies de la possession des biens des pauvres. Ni le roi, ni son gouvernement, ne peuvent en étendre le nombre.
S'il n'en est pas ainsi, l'honorable M. Van Overloop doit reconnaître que, par arrêté royal, en aurait pu donner la personnification civile à l'Université de Louvain.
Or, les discussions de la Chambre sont là, pour démontrer ce que la législature a pensé de cette prétention.
Messieurs, j'arrive au fond du débat.
L'honorable M. Dumortier s'est uniquement attaché à la question de savoir si la loi est réellement interprétative.
Il n'a pas élevé les mêmes difficultés que l’honorable M. Van Overloop. Il avait pour cela d'excellentes raisons.
Ainsi, par exemple, lors de la discussion d'une loi relative à la liquidation des traitements d'attente, l'honorable membre disait dans son exposé des motifs de rejet :
« Il ne reste donc aux pouvoirs politiques pour le ramener à l'ordre (le pouvoir judiciaire) et empêcher ses envahissements que deux moyens de résistance :
« 1° Le refus de sanction, s'il s'agit d'un arrêt qui demande un vote des pouvoirs politiques ;
« 2° L'interprétation par voie d'autorité, interprétation que la Constitution n'a pas bornée aux seuls cas prévus par la loi d'organisation Judiciaire.»
Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale de 1836, avec lequel je me trouve en opposition sur la portée de l'article 84 de la loi communale, est en apparence plus compétent que personne pour décider la question.
La belle et noble part qu'il a prise à la discussion de cette loi, et l'ardeur de ses convictions semblent lui donner une compétence spéciale, cependant, il me paraît impossible d'admettre la conclusion à laquelle est arrivé l'honorable membre.
Il avait, dès 1836, une opinion fortement arrêtée sur la législation qui régit les fondations charitables. Il a pensé, il pense encore, que les règlements du temps du roi Guillaume ont pris la place des lois de l'an V. Mais tous les membres de la législature de 1836 n'avaient pas cette opinion.
Le paragraphe 2 de l'article 84 de la loi communale a donné lieu à de longues discussions, et plus tard à une proposition qui fut retirée à la suite d'un débat final qui ne laisse pas de doute sur le but de la proposition et du paragraphe qu'elle tendait à faire disparaître. C'est à la fin du débat et aux motifs qui ont déterminé M. Jullien à retirer sa proposition qu'il faut surtout s'attacher, puisque cette partie de la discussion et ces motifs nous apprennent la pensée dominante qui a imprimé au paragraphe sa véritable portée.
L'honorable M. Dumortier nous dit : La section centrale et la plupart des membres de l'assemblée ont voulu stipuler pour l'avenir. Je réponds oui et non. Et si l'on a voulu stipuler pour l'avenir, ce n'est pas dans le sens de l'opinion de l'honorable M. Dumortier en ce qui concerne les règlements des villes et des campagnes, l'honorable membre disait lui-même dans son rapport de 1834 : « Si dans certains hospices la volonté des fondateurs appelle certaines personnes pour les administrer, cette volonté, qui est la loi de l'établissement, sera toujours respectée, comme sacrée. »
Ce n'est pas là une déclaration absolue. « Si dans certains hospices » sont des termes qui, dans un sens limitatif, peuvent s'appliquer à des hospices administrés en vertu d'actes ayant force de loi en dehors des conditions du décret de 1806.
L'hospice d'Harscamp, à Namur, était de ce nombre eu vertu d'un décret qui n'ayant pas été relevé par le Sénat conservateur avait acquis force de loi. D'un autre côté, les lois relatées dans le projet actuel admettent des administrateurs-adjoints.
De sorte que l'article 84 de la loi communale chargeait l'autorité communale de la nomination des administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance tout en maintenant ce qui avait été consacré dans le passé et ce qui serait fait à l'avenir conformément aux lois existantes.
Voilà comment l'avenir a pu faire l'objet des préoccupations des membres qui se sont mêlés à cette discussion.
Je me demandais quelle fut la pensée dominante dans la discussion de 1834 et de 1836., r
La pensée dominante était celle de ne pas modifier la législation sur les fondations charitables. On ne voulait pas innover. Cela est aussi clair que la lumière du jour.
L'honorable M. de Brouckere a élevé une protestation. « De quoi nous occupons-nous ? a-t-il dit. De la nomination par les conseils communaux des administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Voilà l'objet de la discussion, nous n'avons pas à examiner les questions relatives à la charité, cela n'appartient pas à la matière dont nous avons à nous occuper exclusivement. Je neveux, ajoutait l'honorable membre, aucune innovation.
M. Fallon reprend immédiatement : M. de Brouckere demande si | l'intention de M. le rapporteur est d'innover. « L'intention de M. Dumortier n'est pas d'innover. »
Voici comment s'exprimèrent encore d'autres orateurs : Quelques (page 1087p lignes démontreront complétement que la pensée qui animait tout le monde était de ne pas innover.
L'honorable M. de Brouckere disait donc : Je ne veux aucune innovation, nous ne traitons as la matière des fondations de charité.
M. B. Dumortier. - Nous ne voulions pas innover aux lois qui permettaient les fondations.
M. Vervoort. - Vous ne vouliez pas innover parce que vous considériez les règlements comme ayant remplacé la législation de l'an V, et vous vouliez les faire consacrer par la loi communale.
Or, il y avait erreur dans l'appréciation de la force des règlements et il n'était dans la volonté de personne de trancher cette question de législation ni de modifier celle concernant les fondations.
L'honorable M. Dumortier, messieurs, n'avait pas non plus la pensée de modifier la lit, seulement il se trompait sur l'état de la législation existante. Voici ce qu'il disait dans la discussion :
« L'honorable préopinant m'a tout à l'heure reproché d'employer les grands mots. Sont-ce de petits mots quand il nous reproche de vouloir implanter en Belgique les abus existants en Hollande, et cela parce que nous reproduisons la législation en vigueur ? »
L'honorable M. de Theux, alors ministre, disait de son côté :
« Or, puisqu'on ne veut pas d'innovation, il n'y a rien de mieux à faire que d'adopter la disposition du gouvernement. Nous resterons ainsi dans les termes où nous nous trouvons aujourd'hui. »
M. Dubus ne s'exprimait pas moins nettement :
« Il n'y a donc pas danger de voir donner à la disposition un effet rétroactif ; ce n'est pas une législation nouvelle qu'on propose, mais le maintien de la législation existante. »
Et M. Jullien, sur la foi de toutes ces déclarations, retira la proposition qui avait pour objet la suppression du paragraphe 2.
Voici ce qu'il disait :
« Puisque je vois que la loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif, et qu'elle ne s'appliquera qu'aux donations actuellement gérées par des administrations spéciales, et faites sous l'empire de lois qui le permettaient ; pour ne pas faire perdre de temps à la Chambre, je retire ma proposition. »
N'est-il pas évident que la proposition de M. Jullien n'a été retirée par son auteur que parce que tout le monde considérait la clause comme n'innovant pas ? C'est une clause de non-réjudice, rien de plus.
Maintenant, que signifie la diversité d'opinion qui existait entre quelques membres de la Chambre sur la législation en matière de charité.
L'honorable M. Dumortier avait, il est vrai, une opinion partagée par MM. Fallon et de Theux ; mais M. de Brouckere repoussait cette opinion et il était soutenu par un grand nombre de ses collègues ; de la discussion il résulte clairement qu'on ne voulait pas examiner la question, et bien moins encore la décider. Comment pourrait-on dès lors prendre comme commentaire de l'article 84 en ce qui concerne les administrateurs spéciaux, les opinions émises par quelques orateurs qui déclaraient eux-mêmes ne pas vouloir innover ?
Puisque ce point n'était pas en discussion et qu'on émettait simplement quelques opinions isolées sur la législation existante, il n'est pas possible de trouver dans ces différentes opinions un commentaire d'où résulterait que l'article 84 a consacré la législation antérieure dans tel ou tel sens bien déterminé.
Comment donc peut-on prétendre aujourd'hui que, malgré la protestation de l'honorable M. de Brouckere, la question a été résolue au profit de l'opinion de l'honorable M. Dumortier ? Que l'honorable membre ait cette pensée, cela s'explique par les préoccupations de son opinion sur la législation existante ; mais que d'autres aient pu le croire, c'est ce qui me paraît inexplicable.
M. B. Dumortier. - On a maintenu le texte des anciens règlements.
M. Vervoort. - Vous aviez prétendu, en effet, que ces anciens règlements avaient force de loi ; mais c'est une thèse insoutenable en présence de la constitution octroyée par le roi Guillaume, et de l'application qui en a été faite.
Il est impossible de soutenir que le roi Guillaume avait le droit de faire des lois et qu'en 1824 il a pu changer la législation sur les dons et legs charitables. Le roi Guillaume n'avait nullement un pouvoir absolu ; il devait, comme le dit M. de Thiennes, agir de concert avec les Etats généraux.
Au reste, si le roi Guillaume avait eu la pensée de donner force de loi aux règlements, il les eût au moins publiées dans le Bulletin officiel, il les eût constamment invoqués et appliqués !
Que fait-il, au contraire ? Dans les circonstances rappelées dans le rapport de la section centrale, nous voyons le roi Guillaume invoquer les principes de la législation de l'an V et l'article 900 du Code civil.
Le roi Guillaume et son gouvernement n'ont pu considérer les lois de l'an V comme abolies par des règlements des états provinciaux auxquels l’honorable M. Dumortier donne évidemment une portée exagérée et inadmissible.
L'honorable membre est allé plus loin encore, et a donné une interprétation tout aussi exagérée à nos lois actuelles. A l'entendre, nous formons une majorité, décidée à faire un Code, des lois réactionnaires. Ainsi, lorsque nous avons porté dans le nouveau Code pénal l'article 295, nous avons fait une loi réactionnaire. Une loi réactionnaire ! Mais, a-t-on oublié nos débats ?
A-t-on oublié les modifications favorables au clergé apportées au Code de 1810 ?
Les mandements, les lettres pastorales des évêques sont frappés par le Code lorsqu'ils renferment la critique des actes du gouvernement. Faisant une application large de la Constitution, nous avons soustrait les mandements et les lettres pastorales à l'application d'une loi juste mais sévère, et vous appelez cela faire de la réaction ! Quelques jours avant, quand il s'est agi des objets du culte, n'avons-nous pas augmenté la sévérité de la disposition qui commande le respect pour les objets extérieurs du culte ?
Est-ce là de la réaction ? N'était-ce pas étendre la protection que le pouvoir civil accorde à l'autorité religieuse ?
L'honorable M. Van Overloop nous disait au commencement de la discussion : Vous vous effarouchez quand vous entendez parler d'autorité religieuse.
Non, il n'est pas de libéral qui s'effarouche quand l'autorité religieuse, exclusivement vouée à son culte, en remplit strictement les devoirs ; il n'est pas de libérai qui s'effarouche à propos de cette autorité si respectable quand elle apporte la paix et l'ordre, et devient l'alliée des libéraux dans la poursuite de ce but ; mais l'autorité religieuse passionnée, envahissante, qui ne recule pas devant les abus, qui veut usurper l'autorité civile, ah ! celle-là n'effarouche pas les libéraux, mais elle trouve eneux des adversaires infatigables !
Vous avez parlé de réaction à propos du projet de loi relatif à l'élection par lettre alphabétique.
Mais où est donc cette loi réactionnaire ? Nous nous sommes bornés à décréter un principe dont nous avons ajourné l'application à d'autres temps.
Où est donc cette loi que vous qualifiez de réactionnaire ? La loi actuellement en discussion est réactionnaire, avez-vous dit et répété vingt fois ; et elle n'a d'autre but que de maintenir le sens d'une loi et de lui donner une signification plus claire afin de faire cesser les conflits d'opinions qui se produisent dans l'administration, dans la presse, dans cette Chambre, dans les tribunaux.
Changeons-nous quoi que ce soit à l'état actuel des choses ? Messieurs, nous nous bornons à laisser à la loi de 1836 son incontestable portée.
Une loi réactionnaire dans toute la force de l'expression est celle qui fut présentée en 1857 par l'honorable M. Nothomb. Vouloir une pareille loi au mépris des enseignements du passé, d'une pratique éprouvée, d'inconvénients sans nombre, de principes qui avaient fait leur temps, de l'opinion, voilà ce qui s'appelle se livrer à une périlleuse réaction.
Aux gouvernements et aux partis, il faut la force morale, et la force morale est dans l'appui de l'opinion. Suivre l'opinion publique, c'est comprendre son époque ; en remonter le courant, c'est faire de la réaction.
L'honorable M. Dumortier a dit que la droite mettait sur sa bannière : Retrait des lois réactionnaires du libéralisme. Eh bien, quand, avec cette bannière, elle se présentera devant les masses, savez-vous ce qui arrivera ? C'est qu'elles regarderont passer votre bannière et ne la suivront pas. Et le peuple dira : Ils retournent vers le passé ; ma route à moi est celle du progrès et de l'avenir !
M. de Naeyer. - Messieurs, mon intention n'est pas de me livrer à une discussion approfondie de ce projet de loi. Je le considère comme une innovation des plus déplorables et des plus dangereuses à tous nos précédents législatifs. Veuillez remarquer que c'est pour la première fois que le gouvernement, en Belgique, s'avise de nous proposer un projet de loi ayant pour objet l'interprétation, par voie d'autorité, alors que la juridiction du pouvoir judiciaire saisi de la question n'est pas épuisée. C'est un précédent d'une extrême gravité ; jamais cela ne s'est fait jusqu'ici.
Je me bornerai, pour justifier mon vote négatif qui sera une protestation, à faire ressortir, en peu de mots, le caractère réellement exorbitant dont ce projet de loi est entaché sous ce rapport.
Le système en matière de fondations charitables qu'on veut faire consacrer aujourd'hui par un vote de la législature, s'est révélé, si je ne me trompe, en 1849. C'était, je crois, à l'occasion du testament du curé Lauwers. Or, dès son apparition, ce système rencontra à la Chambre des réclamations vives et énergiques.
Quelle fut alors la conclusion des partisans de la charité exclusivement officielle ? Ils disaient à leurs adversaires : Allez devant les tribunaux, ils jugeront la question. Ils interpréteront, ils appliqueront les lois sur la matière.
Messieurs, je me permettrai de vous citer à cet égard un passage de l'Histoire de notre gouvernement parlementaire que nous devons à la plume savante et patiente d'un de nos honorables collègues, M. E. Vandenpeereboom. L'honorable écrivain, après avoir rendu compte de la discussion qui eut lieu dans cette Chambre, au sujet du testament du curé (page 1088) Lauwers, ajoute ce qui suit (page253, tome II de son ouvrage) : « Aucune dérision ne fut prise, tous reconnurent que la question de droit est de la compétence des tribunaux. La question de convenance c'est à-dire celle des mesures à prendre fut discutée longuement ; cette grande cause est encore pendante. »
Or, c'est bien la question de droit qu'on veut faire décider aujourd'hui par le pouvoir législatif.
Vient une note qui porte ce qui suit : « Il est étonnant que puisque le clergé et ses adhérents pensent que les lois existantes sont ma appliquées ou n'ont pas soumis l’une ou l'autre de ces questions à la décision des tribunaux - il y a des juges en Belgique ! - Or, contrairement aux prévisions de l'honorable M. Vandenpeereboom, la question a été portée devant les juges que nous avons en Belgique, et à l'heure qu'il est, elle est encore pendante devant les tribunaux.
Eh bien, que fait aujourd'hui le gouvernement ? Craignant que son système, qu'il proclamait comme infaillible en quelque sorte, ne soit condamné par les tribunaux, il évoque la question devant la législature, il repousse les juges dont il proclamait alors la compétence et il déclare implicitement l'inaptitude du pouvoir judiciaire pour interpréter sainement nos lois. Et que fait-on ? On porte devant le parlement avec ses passions politiques la solution de quoi ? D'une question de droit. Eh bien, dans ma manière de voir, il n'y a qu'une seule réponse à une pareille proposition, c'est une question préalable. Je le dis ave peine, messieurs, mais il serait difficile, me paraît, d'adopter un procédé plus despotique et phis injurieux pour notre magistrature.
C'est assez vous dire, messieurs, que je n'accepte pas, quant à moi, la discussion de cette grande question de la charité, lorsqu'elle se produit dans des circonstances aussi anomales. Je me borne à ce peu de mots pour justifier mon vote négatif qui sera une protestation.
M. Tack. - Comme l'honorable préopinant, je n’ai nullement l'intention d'entrer dans le fond de ce débat. Déjà, de part et d'autre on a dit à peu près tout ce qu'il est possible de dire. Ou tournera constamment dans le même cercle. On continuera de se demander quelle était la législation en vigueur au moment où l'article 84 de la loi communale fut voté. Les uns, comme l'honorable M. Vervoort, et comme l'honorable ministre de la justice, soutiendront que la législation en vigueur, c'est la législation française, notamment l’arrêté du 16 fructidor an XI et le décret du 31 juillet 1806 ; les autres, et je suis du nombre, prétendront que la législation en vigueur au moment où l'article 84 de la loi communale a été voté, c'est la législation néerlandaise, ce sont les règlements de 1824. Pour ma part, ce qui me frappe principalement dans toute la discussion sur l'article 84, c'est que pas un des orateurs qui ont été entendus ne s'est occupé des décrets de l'empire, que l’on invoque aujourd'hui ; pas un n'a cité le décret du 31 juillet 1806', ni l'arrêté du 16 fructidor an XI, mais plusieurs d'entre eux s'en sont rapportés aux règlements de 1824, et l’honorable M. de Theux les a nominativement rappelés.
Ce qui me frappe encore, c'est que tous les orateurs d'alors se servent ou terme générique d' « administrateurs spéciaux » et nullement des expressions restreintes « fondateurs de lits ou fondateurs concourant à la direction d'un établissement », qu'emploient les lois françaises.
Ainsi, messieurs, nous aurons beau discuter, nous en reviendrons toujours, de côté et d'autre, aux mêmes arguments.
Pour moi, je me borne à déclarer que je suis d'opinion que l'article 84 doit être entendu dans le sens que lui attribue la cour de cassation, que lui ont donné tous nos tribunaux, toutes nos cours d'appel, sauf une seule.
J'aborde un instant la question qu'a touchée tout à l'heure l'honorable M. de Naeyer, ce qu'il appelle avec raison la question préalable, celle de savoir si notre Constitution, si nos lois permettent d'interpréter par voie d’autorité l'article 84 de la manière dont le fait le gouvernement, de la manière que vous le propose la section centrale.
Tant que nous n'étions saisis que du projet de loi et de l'exposé des motifs, personne ne devait croire que ce projet de loi avait le caractère et la portée d'une loi interprétative ; cela ne résulte ni de l'intitulé de l'opposé des motifs ni des termes de l'exposé des motifs, ni du texte du projet de loi en discussion. L'intitulé de l'exposé des motifs est en effet conçu comme suit : « Nouvelle rédaction de l’article 84 de la loi communale ».
Or, une nouvelle rédaction peut être une disposition qui modifie, qui change la loi ancienne, par conséquent être une loi ordinaire, comme une nouvelle réduction peut être une disposition qui ne fait que modifier la forme de la loi, qui rend seulement la loi plus claire et, partant, être une loi interprétative.
Qu'on lise l’exposé des motifs d'un bout à l'autre et je prétends qu’il est impossible d’inférer, par voie de conséquence rigoureuse, de ses termes que la loi proposée par le gouvernement est une loi interprétative par voie d'autorité.
Le texte de la loi, messieurs, n'en dit pas davantage.
Ce n'est que postérieurement, après que le rapport de la section centrale nous a été distribué, que l’on s'est expliqué et que nous avons pu savoir qu'il s'agissait d'une mesure aussi exorbitante.
Puisqu'il s'agit d'une loi interprétative, il convient de s'entendre d'une manière très nette, très catégorique sur la définition des mots : « loi interprétative, interprétation par voie d'autorité. »
Qu'entend-on par loi interprétative, interprétation par voie d’autorité ?
C'est le cas où le législateur détermine le sens de la loi, explique sa pensée dans le but de la rendre plus claire.
La loi interprétative est censée se confondre, s'identifier avec la loi que le législature interprète, elle est présumée ne rien innover à celle-ci.
Ce n'est, comme l'a dit l'honorable M. Vervoort, qu'un changement de forme, que l'on peut assimiler à une véritable traduction.
Maintenant, quels sont les caractères de la loi interprétative, quels sont ses effets ?
La loi interprétative participe d'abord du caractère du jugement ; cela est vrai surtout sous l'empire de notre loi de 1832 ; car d'après cette loi, c'est le pouvoir législatif qui, après double cassation, décide le point de droit, même quant au procès pendant qui a provoqué la loi interprétative.
Le pouvoir législatif qui interprète la loi par voie d'autorité exerce par conséquent exceptionnellement les attributions du pouvoir judiciaire.
La loi interprétative, d'un autre côté, a le caractère d'une véritable loi, parce qu'elle prononce par voie de disposition générale.
Relativement aux effets de la loi interprétative, est-il vrai de dire que cette espèce de loi réagit exceptionnellement : Oui et non.
La loi interprétative ne rétroagit pas dans l'acception juridique du mot, en ce sens qu'elle puisse enlever des droits acquis. En vertu d'une fiction légale elle est censée n'être pas une loi nouvelle, elle est présumée ne modifier en rien la loi préexistante, mais au contraire la maintenir, la confirmer, rien de plus ; elle ne peut donc préjudicier aux droits acquis ; quand on dit que la loi interprétative rétroagit, cela signifie qu'on ne pourra plus donner à la loi que l'on interprète d'autre sens que celui que lui connaît la loi interprétative. Voilà les vrais principes sur la matière.
Mais, messieurs, la grande question c'est celle que posait l'autre jour l'honorable M. Van Overloop.
Quand y a-t-il lieu à interprétation par voie d'autorité ? Toujours on a compris qu'il ne pouvait être question d’interprétation par voie d'autorité, par voie authentique, pour ce qui concerne les contestations qui sont du ressort des tribunaux, que dans le tas de nécessité absolue, lorsqu'il y a conflit entre les autorités judiciaires, et que ce conflit en tel, qu'il est devenu moralement impossible que la divergence entre les corps judiciaires cesse.
Il y a lieu à interprétation authentique alors seulement que l'on pourrait craindre que le cours régulier de la justice ne fût interrompu ; lorsqu'on aurait à redouter un déni de justice ; lorsque, à la suite ties conflits qui ont surgi, il y a des tiraillements qui jettent une incertitude persistante sur le point en litige, et telle que les droits des particuliers sont compromis.
Sommes-nous, messieurs, dans ce cas ? Evidemment non. A l'heure qu'il est, une seule affaire, l’affaire Deraere, est pendante devant les tribunaux ; elle est sur le point, peut-être, de recevoir une solution. S'il arrivait, ce que je ne veux pas présumer, que la cour de Gand admît la jurisprudence de la cour de cassation, eh bien, le différend auquel l'affaire Deraere a donné naissance serait définitivement terminé.
On ne peut donc pas dire qu'il y ait lieu, en ce moment, de recourir à l'interprétation par voie d'autorité.
Vous pouviez faire une loi nouvelle, une loi de disposition, une loi interprétant la loi ancienne pour l'avenir seulement ; c'est la voie qu'il eût fallu préférer.
Messieurs, de tout temps on a senti qu'il fallait restreindre, dans les limites les plus étroites possible, le droit d’interprétation par voie d'autorité.
On était beaucoup préoccupé de cette nécessité au moment où l'article 28 de la Constitution a été voté. Le législateur constituant se trouvait sous l'influence des idées d'alors, et quelles étaient ces idées ? C'étaient celtes qui avaient donné naissance et servi de base en France aux lois de 1790 et de 1828 sur lesquelles a été calquée, en exécution de l'article 28 de la Constitution, votre loi de 1832.
Les législateurs français, comme le législateur constituant de Belgique, ont été dominés par le souvenir de l'abus que le pouvoir avait fait, avant eux, de l’arme terrible de l’interprétation par voie d'autorité.
En ce qui concerne la législation belge, cela résulte de la forme négative qui a été adoptée dans le texte de la l’article 28 de la Constitution, qui porte : « L’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’au pouvoir législatif. » Qu’est-ce à dire ? Qu’on ne voulait plus que le pouvoir exécutif se mêlât d’interpréter authentiquement les lois, qu’on ne voulait plus que, sous prétexte d’interprétation, il fût possible de faire rétroagir la loi ; C’est ce qui s’était vu en France avant 1789. Dès 1790 on mit fin à cet abus ; la loi du 1er décembre de la même année fut une loi réparatrice qui a servi de type à notre loi de 1832, promulguée peu de temps après la Constitution.
Par la loi de 1790, le législateur français dispose que, dans le cas de conflit entre les autorités judiciaires, après une double cassation pour les mêmes motifs, l'affaire est portée devant une troisième cour d'appel ou un troisième tribunal et que si ensuite le procès est engagé pour la (page 1089) troisième fois devant la cour de cassation, il y a lieu à interprétation authentique par le pouvoir législatif, c'est le système que l'honorable M. de Brouckere proposait en 1832.
En 1807, survint une loi réactionnaire.
Le pouvoir exécutif d'alors s’empara du droit d'interpréter les lois par voie de règlements administratifs.
Toutefois il est à remarquer, que même sous l'empire de la loi de 1807, les décrets d’interprétation étaient délibérés en conseil d’Etat.
Des plaintes s'élevèrent contre ce retour à l'ancien régime.
Voici comment s'exprimait à ce sujet, en 1832, l'honorable M. Van Meenen :
« Dès 1807, disait-il, je m'étais élevé contre la doctrine des jurisconsultes, contre l'interprétation de la loi avec la faculté de régler les affaires passées et même, dans certains cas, d'influer sur une affaire déjà pendante devant les tribunaux, ma doctrine parut une hérésie, mais je ne désespérais pas du progrès des idées ; il paraît que le temps est venu. »
Aptes la loi de 1807, parut en France la loi du 30 juillet 1828, qui fut de nouveau une loi réparatrice, une loi qui est analogue à notre loi de 1352, on l'avait réclamée avec instance depuis 1815.
En vertu de la loi de 1828, après la double cassation, l'affaire est renvoyée devant une troisième cour d'appel qui décide en dernier ressort du point de droit et du point de fait, et c'est seulement après que cette cour a décidé en toute liberté que le législateur français est appelé à interpréter par voie d'autorité ; c'est le système que l'honorable M. Devaux voulait faire adopter en 1832.
A cette époque, si rapprochée du Congrès, on était donc d'accord qu’il ne pouvait y avoir lieu à interprétation qu'en cas de nécessité, en cas de conflit interminable entre les autorités judiciaires.
Et après cela, on viendra se prévaloir de ce que le texte de la Constitution n'est pas limitatif, pour prétendre que le législateur aurait le droit d’interpréter par voie d’autorité quand bon lui semble, sans suivre aucune règle, sans s’imposer aucune mesure, qu'il le pourrait, à tout instant, dans toutes circonstances, dessaisir violemment les tribunaux des causes pendantes, distraire les parties de leur juge naturel, se substituer au pouvoir judiciaire. Cela me semble inadmissible.
Or, pourquoi ne faut-il jamais abandonner ce principe de nécessité absolue, ce principe de la nécessité de l'existence d'un conflit, sans solution possible, de la part de l'autorité judiciaire. ? Pourquoi ce principe tutélaire doit-il régler toujours la matière de l'interprétation par voie d’autorité ?
D’abord, cela tient à l'essence des lois interprétatives, car la loi interprétative est un jugement ; c'est, en outre, une décision souveraine ; donc, pour que vous puissiez juger, il faut au moins que vous vous trouviez devant une espèce déterminée, et puisque c'est une décision souveraine, elle suppose que plusieurs degrés de juridiction ont pu être parcourus.
Ensuite, l'adoption de tout autre principe présenterait un véritable danger. Tout le monde, lors de la discussion de la loi de 1832, a été d'accord pour dire que 1 interprétation par voie d’autorité est une mesure extrême, dangereuse, parce qu'il est impossible d'assurer que, malgré toute la volonté qu’on pourra d’ailleurs y mettre, on fixera d'une manière exacte le sens de la loi qu'il s’agit d’interpréter.
On sera donc toujours exposé à faire rétroagir la loi nouvelle, à enlever des droits acquis ; ce t ce que vous démontrait l'autre jour l'honorable M. de Theux, quand il vous faisait observer que la législature d'aujourd’hui n'est pas la même que celle de 1836, qui a voté l'article 84 de la loi communale ; d’autres hommes, vous disait-il, siègent sur ces bancs ; nous nous trouvons dans un milieu nouveau, sous l'influente d'idées différentes ; aujourd'hui d'autres passions divisent le pays. Nous devons nous défier de nous-mêmes, si nous ne voulons fane rétroagir la loi.
Or, messieurs, une loi interprétative ne doit pas avoir le caractère de rétroactivité dans le sens juridique du mot. C’est ce que reconnaît l'honorable rapporteur de la section centrale. En effet, à la page 11 du rapport je lis :
« Ce serait abuser du mot que de prétendre que la loi interprétative entraîne un effet rétroactif, dans la véritable acception attribuée à ce mot dans le langage juridique ; s'il en était autrement, une même disposition à laquelle le législateur n'a entendu porter aucune modification, pourrait avoir des effets différents, selon l’application de l’un ou de l'autre des deux textes, exprimant la même volonté. »
Y a-t-il des hypothèses où la loi puise rétroagir réellement ? Je ne veux pas examiner cette question. On dit dans le rapport que oui, par exemple, pour les droits personnels, pour les questions d’ordre public ou celles qui se rattachent aux êtres moraux, et c’est en s’appuyant sur cette thèse, qu’on reconnaît au gouvernement le droit de revenir sur les arrêtés royaux précédemment pris en matière de bienfaisance.
Il me semble qu'il y a une inconséquence à dire d'un côté, que la loi interprétative ne peut pas avoir d’effet rétroactif et à déclarer, d'autre part, que la loi pourra faire rétroagir dans certains cas. Je sais qu'au moyen de subtilités on viendra prétendre que ce n'est pas une véritable rétroactivité que celle qui frappe les êtres moraux ; je ne puis pas admettre cette opinion, pour ma part ; j'aime beaucoup mieux la manière très logique de raisonner de l’honorable M. Lelièvre qui vous dit : Ce n'est pas une loi interprétative que j’entends faire, mais une loi rétroactive ; une loi qui enlève des droits acquis aux êtres moraux que j'ai en vue. Au moins M. Lelièvre est conséquent avec lui-même.
Messieurs, si vous n'admettez point le principe tutélaire de la nécessité absolue, de la nécessité de l’existence d’un conflit auquel il n’y a pas de remède, eh bien comme l’a démontré l’honorable M. Van Overloop, vous brisez le prisme de l’indépendance de l’autorité judiciaire, vous portez atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ; vous vous instituez juges dans un cas spécial sur une contestation qui a pour objet des droits civils.
Comme vient de le dire l’honorable M. de Naeyer, vous évoquez devant vous l'affaire pendante ; vous distrayez sans nécessité le justiciable de son juge naturel.
C'est par respect pour cette théorie fondamentale, de la nécessité absolue, que, dans la loi de 1832, on n'admet l'interprétation par voie authentique que lorsque toutes les voies judiciaires ont été épuisées.
Or, encore une fois, ce n'est pas ici le cas, c'est une théorie fondamentale qui a été développée par les honorables MM. Destouvelles. Raikem, de Brouckere, à l’occasion de la discussion de la loi de 1832.
Aujourd’hui, c’est l’antithèse de cette théorie que vous inaugurez.
Que faites-vous ? Vous tranchez le litige quant au passé, et cela dans un cas particulier dont les tribunaux sont saisis.
Vous prétendez que vous ne faites pas autre chose que ce que faisait M. Nothomb il y a deux ans quand il présentait son projet de loi sur la charité ; votre assertion est controuvée, car ce projet n’était certainement pas une loi interprétative, c'était un projet de loi qui statuait pour l'avenir. Voilà la grande différence qui sépare le projet de M. Nothomb du projet qui est en discussion.
En distrayant le justiciable de son juge naturel, on viole la Constitution, sinon dans son texte, du moins dans son esprit ; on désire la loi de 1832.
Que dit le rapport fait au Congrès national sur l'article 28 de la Constitution ? Je vais en lire quelques passages, ils vous démontreront quel était l'esprit du législateur constituant.
« L'art. 40 du projet de la commission portait : « L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif.
« Au lieu de cette disposition, la troisième section a proposé la rédaction suivante : « L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif et seulement dans les cas déterminés par la loi. »
« Le but de cette rédaction était de restreindre dans de justes bornes le pouvoir dangereux d'interpréter les lois.
« La cinquième section avait demandé la suppression de l'article, parce que, s'il n'y a interprétation, il y a effet rétroactif, réprouvé par tous les principes de droit.
« La disposition a été l’objet d'une forte discussion à la section centrale.
« D'un côté, l'on disait qu'il était nécessaire de laisser au pouvoir législatif la faculté d’interpréter les lois par voie d’autorité, qu’autrement la marche du gouvernement pourrait être entravée ; qu’on voyait bien que cette faculté devait être particulièrement restreinte dans les matières judiciaires, mais qu’elle était surtout nécessaire pour les lois administratives.
« « D'un autre côté, l'on disait qu'une loi interprétative s'applique à des lois antérieures, qu’elle a par sa nature une plus ou moins grande rétroactivité ; que l'interprétation des lois est dans les attributions des tribunaux ; et qu'on ne doit recourir à l'interprétation du législateur que lorsqu'on a acquis la certitude que la cour chargée spécialement de connaître de la violation de la loi, sans pouvoir entrer dans le fond des affaires, est en opposition directe avec les cours d'appel
« La section centrale a pensé que l'on ne préjugeait rien en adoptant la rédaction suivante :
« L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif. »
« Plus tard, le législateur lui-même pourra régler en quels cas il y a lieu à une telle interprétation et faire une distinction convenable entre les lois administratives et les lois qui règlent les droits des particuliers. »
La loi de 1832 est celle qui a été portée pour satisfaire à la volonté du Congrès, vous êtes tenus de la respecter tant qu’elle n’a pas été rapportée, vous ne pouvez en suspendre l’exécution.
Vous pourriez, à la vérité, adopter d’autres règles d’interprétation en vertu d’une loi nouvelle, et c’est ce que voulait l’honorable baron d’Anethan, dont on invoque fort à tort l’opinion dans le rapport de la section centrale ; l’honorable baron d’Anethan admettait avec nous, avec tout le monde, que la rétroactivité est de l’essence des lois interprétatives ; il ne s’agissait pas dans sa pensée de la rétroactivité telle qu’on l’entend dans son acception juridique ordinaire, mais de cette fiction de droit qui fait remonter, quand il s’agit d’interprétation par voie d’autorité, le sens de la loi à son origine.
Disait-il que la Chambre a le droit absolu d'interpréter une loi quand (page 1090) bon lui semble, d'enrayer le cours de la justice, de se substituer au pouvoir judiciaire sans même respecter la loi de 1832 ?
Non. Au lieu de restreindre l'action du pouvoir judiciaire il proposait de l'étendre. Il voulait, au contraire, restreindre l'action du pouvoir législatif.
Il demandait que la question de droit, en ce qui concerne l'affaire qui a fait naître le conflit, fût décidée non par le pouvoir législatif mais par la cour de cassation.
Vous faites l'inverse ; vous ne laissez pas le pouvoir judiciaire aller jusqu'au bout, vous l'entravez dans sa marche.
Messieurs, l'interprétation par voie d'autorité a paru tellement dangereuse que dans les gouvernements qui ont le plus de ressemblance avec le nôtre, on a supprimé l'interprétation par voie d'autorité.
Ainsi, en Angleterre, il n'existe pas d'interprétation par voie d'autorité.
Les tribunaux décident souverainement sur tous les différends qui se présentent. Quand la jurisprudence devient trop incertaine, le parlement porte une loi déclarative qui décide pour l'avenir.
En fait, il en était de même en France, sous l'empire de la loi de 1828, quoique cette loi traite de l'interprétation par voie d'autorité comme j'ai déjà eu occasion de le dire. Cette loi a pour base le système que proposait M. Devaux en 1832 et qui consiste à faire décider toujours la question de fait et de droit par l'autorité judiciaire, sauf à interpréter après pour les cas sur lesquels il n'y a point jugement.
Messieurs, c'est une question de savoir si l'interprétation par voie d'autorité, telle qu'on l'a toujours pratiquée, est encore possible aujourd'hui. Cette question a été examinée par les jurisconsultes allemands, français, anglais ; Kluber, Fouché, Blackstone se prononcent pour la négative.
A mon avis, c'est aller trop loin ; il faut dire que parfois elle est impossible ; ainsi du cas où le Sénat ne pourrait se mettre d'accord avec la Chambre ; cela résulte de la nature de l'organisation de nos pouvoirs, cela provient de ce que le pouvoir législatif, ailleurs comme chez nous, est divisé en trois branches ; il pourrait même arriver en Belgique, sous l'empire de la loi de 1832, que le cours régulier de la justice fût arrêté ; c'est à quoi portait remède la proposition de M. le baron d'Anethan.
A présent le cas de conflit entre la Chambre et le Sénat pourrait naître à l'occasion du projet de loi que nous discutons.
C'est le danger auquel on s'est exposé en présentant la loi actuelle sous forme de loi interprétative.
Qu'arriverait-il si le Sénat venait dire : Je n'examine pas quel est le sens de l'article 84 de la loi communale ; je m'occupe avant tout de la question préalable ; je n'admets pas qu'il soit possible au pouvoir législatif de venir a priori, en matière de droits civils, et en dehors des termes de la loi de 1832, interpréter une loi ; je ne prétends pas me prononcer tant que les voies judiciaires ne sont pas épuisées. Si le Sénat prenait cette position, votre interprétation par voie d'autorité ne pourrait aboutir ; vous ne pouvez amender votre loi interprétative ; il n'y a pas à transiger sur un projet de loi interprétative comme sur une loi ordinaire.
Je sais que vous pouvez recourir à la dissolution du Sénat. Dans cette hypothèse, ce serait donc le corps électoral qui viendrait trancher une question de droit.
Voilà la conséquence. Cela est impossible parce que c'est absurde.
J'en conclus qu'il eût été plus sage de présenter une loi ordinaire, de dispositions pour l'avenir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, plusieurs de nos honorables adversaires ont commencé leur discours en exprimant leurs grands regrets, leur extrême douleur que ce débat se présente dans les circonstances actuelles, et comme pour témoigner de leur sincérité, ils ont employé, en abordant la discussion, toutes les expressions, tous les arguments, tous les moyens les plus propres à le passionner. Je n'imiterai pas mes adversaires sous ce rapport, je ne témoigne rai aucun regret quant au moment où la question se présente, car il ne s'agit pas d'une question à soulever, mais d'une question à vider.
Mes adversaires devraient être très contents de voir disparaître de l'ordre du jour de la Chambre une question qui y figure depuis dix ans. Ce n'est pas en lui donnant une solution qu'on cause l'irritation dans les esprits, c'est en tenant la question toujours en suspens, et nos adversaires devraient nous savoir gré de ce que nous réglions législativement ce point. (Interruption.)
Depuis combien de temps dites-vous que c'est une question irritante pour le pays ? Y a-t-il un intérêt à la laisser pendante ? est-ce en ajournant encore que vous calmerez les esprits, que vous rétablirez l'union ? Je trouve que vos regrets et vos plaintes ne sont ni sincères, ni à leur place.
Nos adversaires ont beaucoup parlé des effets rétroactifs et du caractère réactionnaire de la loi ; ils ont encore cherché à donner sous ce rapport au débat une portée qu'il n'a pas, que nous n'avons jamais voulu lui donner ; nos adversaires semblent croire que le projet ne vous est soumis, qu'en raison de l'affaire de Rare ; ils cherchent à faire croire que ce sont les décisions judiciaires intervenues et à intervenir qui ont déterminé la présentation du projet. Rien n'est moins exact. Nous avons fait tout ce qui était possible pour ne pas présenter notre projet avant que l'arrêt de ta cour d'appel de Gand fût rendu, et ce n'est que quand nous n'avons plus pu attendre ; quand d'ultérieurs retards nous eussent fait manquer à nos engagements que nous avons présenté le projet de loi. Au reste, je le déclare, si la loi est votée, elle ne sera pas promulguée tant que l'affaire de Rare ne sera pas définitivement jugée.
II ne s'agit donc pas ici de dessaisir les tribunaux, il faut rester dans le vrai.
Je ne traiterai pas aujourd'hui ers affaires avec moins de calme et d'impartialité que je ne l'ai fait il y a dix ans ; et dans les difficultés judiciaires qu'elles soulèvent, tout en maintenant mon opinion je les traiterai avec tout le respect qu'un ministre de la justice doit aune magistrature aussi éclairée, aussi honorable que la magistrature belge, alors même que je ne partagerais pas son avis.
M. de Naeyer. - Vous la déclarez incapable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est vous qui lui faites cette injure.
M. de Naeyer. - C'est curieux !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais si par cela seul qu'on diffère d'opinion avec une personne, on déclare l'incapacité de celle-ci, nous avons, l'honorable M. de Naeyer et moi, par exemple, le droit de nous déclarer mutuellement incapables.
M. de Naeyer. - Comment cela ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est évident ; si, parce que je suis d'un autre avis que la cour de cassation, je déclare celle-ci incapable, je dois en faire autant vis-à-vis de M. de Naeyer dont je combats aussi l'opinion, et M. de Naeyer doit en faire autant à mon égard, et cependant je ne pense pas que ce soient plus les sentiments de M. de Naeyer à mou égard, que ce ne sont les miens vis-à-vis de lui.
M. de Naeyer. - La comparaison manque de justesse ; en différant d'opinion nous n'entendons pas nous dessaisir mutuellement de la connaissance d'une question rentrant dans nos attributions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Une chambre de la cour de cassation a décidé dans un ses contraire à l'opinion de la cour d'appel ; si l'honorable M. de Naeyer a raison, elle a aussi en cassant l'arrêt de la chambre de la cour d'appel de Bruxelles décrété l'incapacité de celle-ci.
M. de Naeyer. - Pas du tout !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est incontestable, mais soit ; je passe.
Messieurs, ceux qui s'élèvent contre le caractère interprétatif que nous donnons à la loi méconnaissent quelle est la matière dont nous nous occupons. Il s'agit avant tout ici d'une question administrative et ce n'est qu'accessoirement même que l'affaire a été déférée aux tribunaux. Il s'agit bien moins de savoir à qui appartiendra l'objet légué, qu'il ne s'agit de savoir par qui l'objet légué sera administré ; il s'agit de savoir si ce sera à une commission des hospices ou à un bureau de bienfaisance nommé conformément à la loi ou à une commission nommée d'après la volonté du testateur qu'appartiendra l'administration du bien des pauvres.
Au fond, je le répète, c'est avant tout une question administrative. C’est l'article 84 de la loi communale, loi administrative par excellence, qu'il s'agit d'interpréter. Voilà de quoi il s'agit réellement.
Mais, avons-nous le droit d'interpréter cette loi ? Cela n'est pas sérieusement contestable. L'article 28 de la Constitution le proclame dans les termes les plus explicites.
A cela que nous oppose-t-on ? On nous oppose la loi de 1832. Mais cette loi, qu'a-t-elle fait ? Cette loi a réglé un des cas dans lesquels il y a lieu de recourir à 1 interprétation.
Elle détermine les conditions dans lesquelles il y a lieu de recourir à l'interprétation par suite d'un conflit au sein du pouvoir judiciaire ; mais elle n'a évidemment pas entendu proscrire tous les autres cas. Je ne comprends pas que l'honorable M. Tack ait pu soutenir un semblable système. Je lui demanderai, par exemple, si son système est vrai, comment on sortira de difficulté quand il s'agira de conflit à propos d'’une loi administrative, dont l'application n'appartient pas aux tribunaux ; comment, dans ce cas, sortirait-on de la difficulté. Il n'y a pas de conflit judiciaire possible ; et cependant il faudra bien que la législature intervienne pour mettre fin au conflit.
Il peut donc y avoir lieu à interprétation dans d'autres cas que celui qui est prévu par la loi de 1832.
Si l'honorable membre avait bien voulu parcourir nos Annales parlementaires, il aurait vu des lois interprétatives votées par les Chambres en dehors de conflit judiciaire ; et j'admire vraiment l'aplomb avec lequel tous les jours, ici, l’on affirme ou l'on dénie tantôt un fait ou tantôt un autre, alors qu'il suffirait d'ouvrir nos Annales parlementaires ou un Recueil de lois pour se convaincre du peu de fondement des affirmations et des dénégations.
Ainsi, messieurs, il s'est élevé des difficultés au sujet de la loi du 24 mai 1858 sur les pensions militaires.
(page 1091) Il y a eu conflit entre le département de la guerre et la cour des comptes. Qu'a fait le gouvernement ? Il a saisi la chambre d'un projet de loi interprétatif qui par cela seul a eu effet à la date de la loi interprétée.
M. de Naeyer. - L'indépendance des pouvoirs n'était pas alors eu cause.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dis qu'il y a eu là une loi interprétative et que cette loi a été portée sans être précédée d'un conflit judiciaire. Et cependant vous prétendez que cela n'a jamais eu lieu.
Une autre loi, à laquelle on n'a pas donné le nom de loi interprétative, mais qui avait bien ce caractère a encore été faite en dehors d'un conflit judiciaire. La Chambre se rappelle qu'ensuite du traité de 1839, il s'est élevé de sérieuses difficultés sur la portée de l'article 20 qui déclarait que personne dans les pays qui changent de domination ne pourra être recherché, ni inquiété en aucune manière pour cause quelconque de participation directe ou indirecte aux événements politiques.
Une grave divergence d'opinion s'est élevée dans la Chambre ; et qu'a-t-on fait ? On a présenté une loi pour déclarer que sont en tant que de besoin abolies et interdites toutes poursuites pour délits politiques commis avant le 19 avril 1839.
Encore une fois, a-t-on attendu, pour résoudre par une loi interprétative la difficulté, que les tribunaux aient statué sur le sens de l'article 20 du traité de 1839 ? Non, et cependant l'on ne contestera pas que l'interprétation, l'application de cet article 20 d'un traité devenu loi du pays, était tombée dans le domaine du pouvoir judiciaire.
Ainsi, sous ce rapport, il n'y a aucun doute possible et puisque l'honorable M. Tack a trouvé que le passage transcrit dans le rapport de la section centrale d'un projet présenté par l'honorable M. d'Anethan alors ministre de la justice, n'était pas assez explicite, je vais citer l'opinion de cet honorable membre exprimée dans une autre circonstance.
Voici, ce qu'il disait dans un rapport qu'il faisait au Sénat dans la session de 1854 -1855 à propos de l'article 13 du décret de 1831, qu'il s'agissait d'interpréter.
« Messieurs, le pouvoir législatif est appelé à interpréter une disposition du décret du 20 juillet 1831. Il est appelé à exercer cette mission, non d'une manière générale et absolue, comme l'article 28 de la Constitution lui en donne le droit, mais en exécution de la loi du 4 août 1832 qui exige une loi uniquement pour interpréter le point qui a divisé les cours de cassation et d'appel. »
Vous voyez comme l'honorable M. d'Anethan reconnaissait qu'il y a, en dehors de la loi de 1832, droit général et absolu pour les Chambres d'interpréter.
Voici ce qu'il disait encore dans une autre séance et d'une manière non moins explicite :
« Je sais bien que l'interprétation des lois doit être faite par le pouvoir législatif, mais autre chose est l'interprétation d'une loi que peut provoquer le gouvernement quand il le croit nécessaire ; autre chose une interprétation forcée et en vue d’un procès soumis aux tribunaux. »
Cela est-il assez clair ? Est-il assez reconnu par l'honorable M. d'Anethan lui-même que le gouvernement peut provoquer des lois interprétatives aussi souvent qu'il le croit nécessaire ? Et il doit en être ainsi, messieurs ; il y a une foule d'affaires administratives dans lesquelles interviennent des corps administratifs dont la décision n'est pas soumise à la censure d'un corps judiciaire et qui ne peuvent pas donner lieu à un conflit judiciaire. Dans le système de nos adversaires les difficultés que ces affaires présentent seraient insolubles.
Et ici, messieurs, je dois faire observer que la jurisprudence des tribunaux fût-elle bien et définitivement fixée, qu'encore elle ne suffirait pas pour mettre un terme aux conflits, et mettre le gouvernement à même de donner ainsi une solution aux affaires, car celles-ci se compliquent de difficultés dont la solution ne dépend ni du gouvernement, ni de l'autorité judiciaire.
Ainsi, supposons des dispositions par lesquelles on donne à des corps communaux ou à des corps provinciaux le droit de nommer ou de présenter des administrateurs spéciaux. Supposons que ces corps refusent cette mission en déclarant ces dispositions illégales, malgré les décisions judiciaires. Que pourra faire le gouvernement en présence d'une jurisprudence administrative contraire à la jurisprudence judiciaire ? Que pourra faire le gouvernement, si ce n'est de saisir la Chambre, pour ramener la jurisprudence à l'unité d'interprétation ? Cette supposition que je fais est une réalité.
Je pense, messieurs, que le point relatif au caractère interprétatif de la loi est suffisamment élucidé et je passe à l'examen du fond du débat.
L'honorable M. de Theux nous a dit que, faisant une loi interprétative, nous devions donner à l’article 84 son véritable sens. Je suis parfaitement de son avis. Si je n'avais pas la conviction que c'est le véritable sens que nous donnons à l’article 84, je n'eusse pas présenté le projet, et mon opinion ne date pas d'aujourd'hui, elle date de 1850 où, sans idée préconçue, sans parti pris, j'ai examiné la question, et je vais tâcher de faire partager mon sentiment par la Chambre.
L'honorable M. Van Overloop a commencé par soutenir que le pouvoir exécutif avait encore aujourd'hui le droit de créer des personnes civiles. Je ne puis pas partager sa manière de voir, et je pense que personne, sauf l'honorable M. Van Overloop, n'est de cette opinion dans cette Chambre.
M. Van Overloop. - La cour de cassation l'a admis.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La cour de cassation n'a pas admis cela.
Sur quoi se fonde cette opinion que le pouvoir exécutif aurait encore aujourd'hui le droit de créer des personnes civiles ?
Le point de départ de l'honorable M. Van Overloop est, je pense, celui-ci. Il nous dit : Avant 1789, c'était un droit qui appartenait au gouvernement. Il n'y a pas de loi qui ait révoqué ce droit ; donc il lui appartient encore aujourd'hui. Tout au moins, dit-il, si, sous l'empire, cela était douteux, ce droit a appartenu sans conteste au roi Guillaume en vertu de l'article 228 de la loi fondamentale et par suite du règlement de 1825, ce droit a été transmis au pouvoir exécutif en Belgique.
Messieurs, cela ne me paraît pas sérieux. Avant 1789, nous ne connaissions pas la division des pouvoirs telle qu'elle existe aujourd'hui Nous n'avions pas la distinction entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ; cette division n'existait pas ; elle a été établie depuis, et cela est fondamental, capital pour la solution de la question qui nous occupe ; le souverain était à la fois pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Avant 1789, la souveraineté résidait tout entière dans le prince, et le prince avait tous les droits qu'il n'avait pas concédés au pays. Tout ce qu'il n'avait pas abandonné aux populations était le lot du prince.
C'est précisément ce que nos constitutions ont radicalement changé. Aujourd'hui la souveraineté réside dans la nation, et le pouvoir exécutif n'a que les attributions qu'on lui a abandonnées. C'est là la grande différence, et c'est ce que proclame l'article 78 de notre Constitution quand elle dit : le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même. M'appuyant sur ce texte si formel, je demande que l'on montre une loi quelconque portée avant ou depuis la Constitution qui ait jamais attribué au pouvoir exécutif le droit de créer des personnes civiles ? Le principe de la souveraineté a été déplacé. L'exercice de la souveraineté a été divisé, et en présence de l'article 78 de la Constitution, il est impossible de reconnaître au Roi un pouvoir qu'aucun article de la Constitution et qu'aucune loi ne lui accordent.
Messieurs, est-ce que le roi Guillaume a eu le pouvoir de créer des personnes civiles, de modifier la législation sur la charité ? C'est une question que j'examinerai tout à l'heure en répondant à l'honorable M. Dumortier. Mais le roi Guillaume eût-il eu, quant à la bienfaisance, le droit de modifier les lois existantes, encore ce droit n’eût-il pas passé au roi en Belgique, parce que, ainsi que je viens de l'établir en citant l'article 78 de la Constitution, les droits de la royauté dans notre pays sont autrement déterminés, limités que ne l'étaient les droits de la royauté sous la loi fondamentale.
Dans le système des honorables MM. Van Overloop et Dumortier, où le roi Guillaume puisait-il le droit de réglementer souverainement la charité ?
Dans l'article 228 de la loi fondamentale. Mais cet article 228 n'a pas été transporté dans la Constitution belge. On y a au contraire introduit les dispositions restrictives de l'article 78.
Maintenant, messieurs, quel est le véritable sens de l'article 84 ?
L'honorable M. Dumortier a cherché à établir le sens de cet article au moyen des paroles prononcées par quelques membres de la Chambre qui ont pris part à la discussion de cet article. Eh bien, je n'hésite pas à dire que ces opinions individuelles se contredisant parfois les unes les autres, tout à fait incomplètes sur la portée de l'article 84, sur l'étendue de son application, sont insuffisantes pour en fixer le sens. Je dis de plus que le siège de la difficulté n'est pas dans l'article 84, et c'est ce qu'a soutenu avec beaucoup de raison déjà l'honorable rapporteur de la section centrale.
Si l'on examine d'abord le rapport de l'honorable M. Dumortier, sur l'article 84, on doit reconnaître que jamais cet article n'a été appliqué dans les limites que ce rapport lui a assignées, et ce rapport, tel qu'il est rédigé, vient plutôt confirmer notre opinion qu'il ne l'infirme.
Que dit, en effet, l'honorable M. Dumortier ? Il dit : Si dans certains hospices, des administrateurs ont été nommés, la volonté du testateur sera respectée. Ainsi vous voyez qu'il n'applique pas ce principe à tous les hospices, mais seulement à certains hospices ; qu'il ne l'applique pas à toutes les administrations de charité, mais seulement aux administrations des hospices.
M. B. Dumortier. - C'est un principe général que l'on pose.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nullement, il y a une grande différence entre les secours distribués dans un établissement et les secours à domicile. Ainsi votre rapport même donne raison à l'interprétation que nous soutenons. Aussi, en présence de votre rapport, quelle est l'idée qui est venue à tout le monde ? C'est que votre observation s'appliquait, par exemple, à l'hospice d'Harscamp. Cela est tellement vrai que l'honorable M. Desmanet de Biesme l'a cité, et c'est (page 1092) tellement peu la même chose et le même principe, que vous allez voir la distinction qui est faite par un homme dont vous déclariez hier la capacité éminente, par l’honorable M. Fallon.
L'honorable M. Gendebien posait deux cas et disait: Je comprends qu'on puisse admettre la disposition lorsqu'il s'agit des hospices complets mais si un individu lègue à un bureau de bienfaisance ou à un établissement administré par des administrateurs spéciaux, il ne peut en être de même. Et que répond ? Fallon ? L’honorable M. Fallon disait : Dans le premier cas, la volonté du testateur devra être suivie, mais dans le second cas, s'il s'agit d'un legs, il y a dans le Code civil un article qui déclare que les conditions contraires aux lois sont réputées non écrites. L'honorable M. Dumortier disait que jamais personne ne s'était avisé de refaire les testaments. Eh bien, je vous cite la déclaration qu'a faite l'honorable. M. Fallon lui-même et dans laquelle il déclare que le legs fait à un établissement existant sous la condition d'y introduire un administrateur spécial serait déclaré non écrit.
Ainsi l'honorable M. Fallon semblait admettre la disposition, pour certains hospices, mais il ne l’admettait plus quand il s'agissait d'un legs fait à un établissement existant.
Maintenant l'honorable M. Pollénus avait encore, lui, un système qui n'a pas été suivi dans l'application ; il ne voulait pas de l'intervention d'un administrateur spécial dans les établissements de bienfaisance.
Il semble avoir voulu une personnification civile indépendante des établissements existants. Eh bien, depuis 1836, au contraire, on a presque toujours écarté les personnifications civiles indépendantes ; on a rattaché, pour la forme à la vérité, mais on a rattaché les fondations faites, à des personnes civiles déjà existantes en les faisant gérer par des administrateurs particuliers.
Dans la réalité, messieurs, on n'était d'accord en 1834 et en 1836 que sur une seule chose, c'était de ne pas innover.
L'honorable M. Dumortier l'a dit, l'honorable M. de Theux l'a déclaré, l'honorable M. Dubus l'a proclamé à son tour, l’honorable M. de Brouckere l'a admis comme tout le monde.
Ainsi que je viens de le dire, le siège de la difficulté n'est donc pas dans l'article 84, mais dans la question de savoir quelle était la législation existante au moment où l'article 84 a été voté. C'est donc là le véritable point à examiner.
L'honorable M. Dumortier soutient :
1° Que toutes les lois françaises sur la charité ont disparu par notre séparation de la France.
2° Que le roi Guillaume, en ce qui concerne les dispositions sur la bienfaisance, avait le pouvoir législatif en Belgique.
3° Que les règlements de 1824 et 1825, s’il avait encore existé quelque chose de la législation française sur la charité, en eussent fait table rase, et que ces règlements ont rétabli le droit, pour tout particulier, de créer des personnes civiles.
Eh bien, messieurs, je n'admets aucune de ces trois propositions.
Je nie de la manière la plus formelle que la législation française relative à la charité ait disparu avec l'arrivée du roi Guillaume en Belgique, et que le roi Guillaume ait jamais eu le pouvoir législatif en matière de bienfaisance. Je nie également que les règlements de 1824 et de 1825 aient la signification, la portée que l'honorable M. Dumortier leur a donnée.
L'honorable M. Dumortier affirme ; rien n'est plus facile, mais je vais, moi, démontrer par les textes que tout son système est insoutenable.
Voici, messieurs, un arrêté du gouverneur général de la Belgique du 22 avril 1814, qui porte :
« Ayant eu rapport de la représentation de l'intendant départemental en date du 12 de ce mois, par laquelle il demande si, conformément à ce qui était établi sous le régime français, les intendants doivent continuer à réclamer près le gouvernement les autorisations pour l'acceptation des legs ou dons faits au profit des hospices, des pauvres ou d'une commune, ou d’un établissement d'utilité publique, ou s’ils peuvent consentir de leur propre chef à l'acceptation de ces sortes de libéralités, quelle que soit la somme à laquelle peuvent s'élever les legs ou dons.
« Déclare que les lois, décrets et arrêtés sur la matière, sont confirmés par provision, et qu’ainsi un chacun doit s'y conformer. »
Ainsi, voilà, dès 1814, la législation du la république et de l'empire sur la charité maintenue en Belgique.
Arrive, après cela, messieurs, la loi fondamentale. Que porte, messieurs, l'article 2 additionnel à cette Constitution ?
« Toutes les autorités restent en place, et toutes les lois demeurent obligatoires jusqu'à ce qu'il y soit autrement pourvu »
Or je pense bien que les lois sur la charité sont comprises dans ces mots : « Toutes les lois restent obligatoires. »
Maintenant il n'est pas douteux que les mots : « jusqu'à ce qu'il y soit autrement pourvu » aient signifié : « jusqu’à ce qu'il y soit autrement pourvu par des lois nouvelles. »
Le rapport sur la loi fondamentale ne laisse aucun doute à ce sujet.
Voici, messieurs, ce que disait ce rapport :
« Elle (la loi fondamentale) maintient en vigueur toutes les lois qui régissent les différentes parties du royaume jusqu'au moment où elles auront été remplacées avec la célérité désirable mais sans précipitation, par d'autres lois bien méditées, et elle se donne ainsi le meilleur appui, l'auxiliaire le plus puissant qu'elle puisse avoir, votre sagesse et votre amour pour vos sujets »
Ainsi toutes les lois existante étaient maintenues en vigueur jusqu'à ce qu'elles fussent remplacées par d'autres lois avec la célérité désirable, mais sans précipitation.
Je demande après cela comment il est possible de soutenir que les lois de l'an V aient été abolies par l'arrivée du roi Guillaume en Belgique, alors qu'il y a une disposition expresse qui maintient toutes les lois existantes ?
Ce n'est pas tout encore, nous trouvons qu'en 1816 le gouvernement du roi Guillaume a lui-même formellement reconnu que ces lois existaient encore, étaient en pleine vigueur. Aux termes de l'article 228 de la loi fondamentale, il devait être rendu un compte annuel par le gouvernement aux états généraux sur les administrations de bienfaisance. Le premier rapport fut fait en 1816, et voici en qu'il porte :
« La loi ne reconnaît d'autres administrations de charité que les bureaux de bienfaisance et les administrations des hospices. »
Vous voyez, messieurs, si le gouvernement hollandais considérait les lois de la république et de l’empire sur la bienfaisance comme abolies !
Ce rapport est du 28 décembre 1816.
Le gouvernement du roi Guillaume se croyait si peu le droit de modifier de sa propre autorité ces lois, qu'il proclamait que les institutions qui y étaient contrôlées devaient disparaitre et reconnaissait ainsi de la manière la plus formelle que tout ce qui avait rapport à la charité devait être réglé par la loi.
Voici ce que je lis dans le même rapport :
« Il y a aussi dans la province du Brabant méridional, indépendamment des commissions des hospices, des bureaux centraux de bienfaisance et des bureaux communaux pour chaque arrondissement, un conseil général d'administration des hospices et des secours, sous la surveillance desquels sont placées tous les administrations particulières, chacune dans leur arrondissement ; mais je doute que cette institution, qui n'a point été établie pur une loi, puisse à la longue se concilier avec les attributions que la loi fondamentale reconnaît aux administrations municipales. »
Ainsi ces bureaux centraux qui existaient par arrondissement, le gouvernement lui-même déclarait qu’il ne pensait pas qu'ils pussent subsister, parce qu’ils n'étaient jas établis par la loi et qu'ils se trouvaient eu opposition avec les attributions données aux administrations communales.
Je demande si les citations que je viens de faire n'établissent pas de la manière la plus péremptoire que le gouvernement hollandais lui-même a considéré comme étant en vigueur les lois de la république et de l’empire, qui ne croyait pas avoir le droit de les modifier à sa guise ?
Il est donc hors de doute que le gouvernement hollandais n'a jamais regardé comme abrogées, ni par le fait de notre séparation d'avec la France, ni par la loi fondamentale, les lois sur la charité qui avaient été en vigueur jusque-là.
On a prétendu que la loi fondamentale avait délégué au roi Guillaume le pouvoir législatif en matière de charité, mais c'est là, de la part de nos adversaires, une théorie nouvelle ; jusqu'à présent ils avaient toujours soutenu le contraire ; et jadis ils faisaient un très grand grief au roi Guillaume de s'être arrogé, en vertu des articles 226 et 228, le pouvoir législatif, en matière d'enseignement et de bienfaisance ; et aujourd'hui, pour les besoins de la cause, on vient se désavouer et prétendre que le roi Guillaume pouvait, sans l'intervention des Chambres, réglementer comme il l'entendait sa bienfaisance, et c'est sur l'article 228 qu'on s'appuie pour étayer cette opinion ; il est presque risible d'oser soutenu que cet article conférait au gouvernement le pouvoir législatif, en matière de charité.
Ecoutez :
« Art. 228. Les administrations de bienfaisance et l'éducation des pauvres sont envisagées comme un objet non moins important des soins du gouvernement. Il en est également rendu aux états généraux un compte annuel. »
C'est en vertu de cet article que le roi Guillaume aurait eu le droit de régler législativement tout ce qui avait rapport à la bienfaisance, comme l'article 226 le lui aurait donné en matière d'instruction. Voici ce que portait cet article :
« Art. 226. L'instruction publique est un objet constant des soins du gouvernement. Le roi fait rendre compte tous les ans, aux états généraux, de l'état des études supérieures, moyennes et inférieures. »
La Chambre vient d'entendre la lecture de l'article sur lequel s'appuyait l'exorbitante prétention qu'a eue un instant le roi Guillaume d'organiser sans l’assentiment des chambres tout l’enseignement du pays ; mais cette prétention, combattue surtout par nos adversaires d'aujourd'hui, avait fini par être abandonnée par le gouvernement même, et maintenant c’est l’opinion qui excluait l’omnipotence du roi Guillaume (page 1093) en matière d'enseignement qui vient soutenir cette omnipotence en matière de charité !
Je viens de dire que dès avant 1830 le gouvernement lui-même avait renoncé à cette prétention. Voici ce que je lis dans un opuscule publié, à cette époque, par un de nos honorables collègues, M. J. Lebeau sous le titre de : Observations sur le pouvoir royal.
« La loi fondamentale présente l'instruction publique comme un objet constant des soins du gouvernement et impose au roi l'obligation de faire rendre compte tous les ans aux états généraux de l'état des écoles supérieures, moyennes et inférieures (226).
« Nous ne faisons nulle observation sur le sens de cette disposition de la loi fondamentale, le ministre ayant abandonné la prétention d'y trouver le monopole de l'enseignement au profit du la couronne, et ayant reconnu que tout ce qui concerne l’instruction publique doit être régi par des mesures législatives. »
Et voici ce que dit l'auteur quant à la bienfaisance : « Les administrations de bienfaisance et l'éducation des pauvres sont «également recommandées aux soins du gouvernement par la constitution. Le roi doit aussi en faire rendre annuellement compte aux états généraux (228).
« Il est évident qu'il ne s'agit ici que d'un droit de surveillance et de protection. »
Voilà comme en 1830 un homme qui appartenait à l'Union, et qui sur ces points était en communauté complète d'idées avec nos adversaires d'aujourd’hui ; voilà comment cet homme établissait le sens, la portée de la loi fondamentale et l’interprétation que le gouvernement de l'époque avait fini par lui donner lui-même.
Il est donc établi, d'abord que les lois de la république et de l'empire n'ont pas disparu avec le changement de domination ; en second lieu que le roi Guillaume n'avait pas en Belgique le pouvoir législatif. Si les lois sur la charité n'ont pas disparu avec la domination française et si le roi Guillaume n'avait pas le pouvoir législatif, si. comme le disait le rapporteur de la loi fondamentale, les lois n'ont pu être changées que par d'autres lois, il faut de toute nécessité que vous me montriez une loi qui a aboli les lois de la république et de l'empire en matière de charité.
Or, vous n'avez pas invoqué une pareille loi jusqu'à présent ; vous invoquez exclusivement des règlement, et des règlements faits par qui ? Par le roi Guillaume ? pas le moins du monde ; des règlements faits par les Etats provinciaux et qui ont obtenu l'approbation du roi Guillaume...
M. B. Dumortier. - Pas du tout !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comment ! pas du tout ! Mais la chose est incontestable ; c'est écrit tout au long dans la loi fondamentale. En voici la preuve :
« Art. 154. Les administrations rurales des seigneuries, districts ou villages sont organisées de la même manière qui sera trouvée la plus convenable aux circonstances et aux intérêts locaux, et jugée compatible avec les droits légalement acquis.
« Les Etats provinciaux font faire à cet égard, et en se conformant à la loi fondamentale, des règlements, qu'ils soumettent avec leurs observations à l'approbation du roi. »
La disposition s'applique aux villes et aux communes rurales.
Dans le système de nos adversaires, on arrive donc nécessairement à cette conclusion, que la puissance législative appartenait en matière de charité non seulement au roi Guillaume, mais encore aux états provinciaux, et que ce sont les états provinciaux qui ont aboli toutes les lois sur la charité. Cela est-il soutenable ? L'absurdité ne devient-elle pas palpable ?
Je vais plus loin, je dis que les arrêtés de 1824 et de 1825 n'ont jamais eu le sens que leur donnent nos adversaires. Je le démontrerai encore péremptoirement.
Le royaume des Pays-Bas, il est inutile de le dire, était formé de la Hollande et de la Belgique, de la Hollande qui comprenait les provinces septentrionales, de la Belgique qui comprenait les provinces méridionales.
Dans les provinces septentrionales, les lois françaises sur la charité n'avaient jamais été mises à exécution, et l'ancien droit, en ce qui concernait les fondations, les diaconies, se trouvait en vigueur, lors des événements politiques de 1814 et 1815. Mais en Belgique, dans les provinces méridionales, on ne reconnaissait que des bureaux de bienfaisance et des commissions d'hospices.
Le pays se trouvait donc régi en matière de charité par deux législations différentes : en Hollande on conservait l'ancienne législation, en Belgique on était soumis à la législation française. Dans une partie du pays, dans les provinces septentrionales, les fondations avec administrateurs spéciaux aux étaient possibles ; dans les provinces méridionales, elles ne l'étaient pas. C'est ce que constate dès 1816 le rapport dont je vous ai lu tantôt quelques passages.
Aussi, quand le gouvernement du roi Guillaume prend des mesures qui ne s'appliquent qu'aux provinces méridionales, il n'est pas question, il n'est pas fait mention d'administrateurs spéciaux. Aussi, l'honorable M. Dumortier a commis hier une très grave erreur quand il a dit que les règlements de 1817 renfermaient déjà la disposition qui s'est trouvée placée plus tard dans les règlements de 1824 et de 1825. Le règlement de 1817, fait pour les provinces méridionales, porte ce qui fuit :
« Art. 17. Au conseil appartient la nomination des membres que la ville députe aux Etats de la province.
« Le conseil d'une part, et le bourgmestre avec les échevins d'autre part, nomment alternativement aux emplois de la commune, excepté ceux du secrétaire et du receveur, dont il sera parlé dans les chapitres III et IV ci-après, excepté aussi les emplois subalternes, qui sont exclusivement à la nomination des bourgmestres et échevins.
« Les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance sont nommés par le conseil.
« Les bourgmestre et échevins soumettent au conseil, dans le mois de leur première installation, un tableau des emplois qu'ils estiment appartenir à la nomination alternative ci-dessus mentionnée ; et en cas de divergence d’opinions entre le bourgmestre et échevins d'une part, et le conseil de ville d'autre part, il en est référé à la décision des Etats députés de la province. »
Comme la Chambre le voit, il n'est pas question dans cet article d'une réserve en faveur d'administrateurs spéciaux ; et pourquoi ? Parce que le gouvernement savait et admettait que, d'après la législation en vigueur en Belgique, l'administration de la charité était entre les mains des bureaux de bienfaisance et des hospices, que cette législation excluait les administrateurs spéciaux. Aussi n'est-il question des administrateurs spéciaux qu'en 1823 et dans les circonstances suivantes que je rappelle dans l'exposé des motifs.
Par arrêté du 3 janvier 1822, le roi Guillaume institua une commission chargée d'examiner le véritable état des pauvres, dans les diverses parties du royaume et de proposer successivement les mesures propres à améliorer leur sort. Sur l'avis de cette commission, l'arrêté du 10 décembre 1823 modifia quelque peu les arrêtés des 18 février et 1er mars 1817 portés pour les provinces méridionales et en étendit l'application à tout le royaume, en statuant:
« 1° Que la nomination des membres peur les institutions de bienfaisance du plat, pays ainsi que le règlement des budgets et des comptes de ces institutions seront confiés aux administrations communales, sous l'approbation des états députés.
« 2° Que les administrations des villes continueront de nommer les membres et d'arrêter définitivement les budgets et les comptes des institutions de bienfaisance de leurs ressorts respectifs, mais que les conseils municipaux ne pourront proposer, dans les budgets annuels de leurs villes, aucune somme pour subside aux établissements de bienfaisance, sans que la nécessité du subside soit constatée par le compte de l'année révolue et que le budget des recettes et des dépenses de l'établissement pour le service suivant ait été présenté. »
Cet arrêté renferme, en outre, une réserve ainsi conçue :
« Nous nous réservons de déterminer, sur la demande des administrations communales, et après avoir entendu les états députés, les exceptions qui pourraient être équitables, dans quelques lieux, à raison des actes de fondations des institutions dont il s'agit. »
Ainsi que je l'ai dit, cette réserve ne se trouve pas dans les arrêtés ces 18 février et 1er mars 18l7, parce qu'ils ne s'appliquaient qu'à la Belgique où toutes les anciennes fondations de charité avaient été supprimées et où l'administration des nouvelles avait été dévolue aux bureaux de bienfaisance et aux commissions des hospices ; mais l'arrêté du 10 décembre 1823 est porté pour tout le royaume qui comprend les provinces septentrionales où toutes les fondations et l'administration des pauvres sont restées sur l'ancien pied, où par conséquent une réserve est à la fois nécessaire et légale.
Ceux-ci déclarent que les régences des villes, les administrations communales du plat pays nommeraient les membres des bureaux de bienfaisance et des commissions des hospices pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation ; mais les termes mêmes de cette réserve condamnent complétement tout le système de nos adversaires ; ils prouvent à l'évidence qu'il ne s'agissait pas de rétablir le droit illimité de créer des fondations avec administrateurs spéciaux, mais seulement de maintenir dans quelques lieux, sur la demande des administrations communales, et après avoir entendu les états députés, ce qui existait. Cet arrêté de 1825, qui a précédé de peu de temps les règlements de 1824 et 1825, donne en même temps le véritable esprit de ces règlements.
Peut-on prétendre que par ces termes l'on ait entendu modifier la législation sur la charité ? Ainsi que je l'ai dit, ce droit n'appartenait ni au gouvernement, ni aux états provinciaux auteurs des règlements. S’ils l'eussent fait, ils eussent commis une illégalité, et la législation de l'an V n'en serait pas moins restée obligatoire. Mais qu'on me permette de le répéter. Le roi Guillaume déclarait en 1816 que cette matière était réglée par la loi, que ce qui n'était pas institué par la loi ne pouvait se soutenir. Vous ne pouvez donc pas admettre qu'il ait donné son approbation à des actes d'une illégalité flagrante s'ils avaient eu le sens. La portée qu'on veut bien donner aujourd'hui. Vous devez au contraire admettre que ces arrêtés n'avaient qu’un sens légat, et y eût-il même dans les termes de l'ambiguïté, pussent-ils être interprétés dans un sens légal et dans un sens illégal, c'est le sens légal qu'il faudrait seul admettre. C'est là une règle d'interprétation élémentaire.
(page 1094) Les administrations communales nomment les membres des administrations des hospices publics, des établissements publics de charité et de l'administration générale des pauvres de la commune, pour autant qu'il n'ait pas été décidé autrement à cet égard par les actes de fondation.
Voilà les termes des règlements ; quelle est la portée de la réserve que contient la dernière phrase ? Elle n'en a pas d'autre que de maintenir ce qui existe légalement. Par cette réserve, on n'entend pas créer un droit nouveau qu'on n'avait pas le droit de créer, mais consacrer le respect des droits acquis en maintenant les administrations spéciales d'établissements de charité dans les lieux où elles existaient légalement. Voilà le véritable sens des règlements.
Je reconnais, après cela, que dans différentes circonstances il a été pris en matière de charité par le gouvernement des Pays-Bas, des arrêtés qui n'étaient pas en harmonie en certains cas avec la législation de l'an V.
Mais cela ne provenait-il pas de cela même qu'il y avait dans le pays des législations différentes, et que parfois l'on appliquait à une partie du pays ce qui devait être appliqué à l'autre ? Certes, ces affaires étant traitées dans les mêmes bureaux, de semblables erreurs pouvaient facilement se commettre.
Du reste, messieurs, que le roi Guillaume ait bien eu l'intention de maintenir aux administrations des hospices et établissements publics de bienfaisance l'administration des biens des pauvres, cela ne saurait être contesté ; cela résulte de différentes dispositions et entre autres de l'arrêté du 23 mai 1828, par lequel il a déclaré considérer comme non écrites les stipulations concernant les distributions à faire par le curé ; les administrateurs des pauvres étant seuls légalement chargés de ce soin.
Ainsi voilà le roi Guillaume lui-même reconnaissant en 1828 que les administrateurs des pauvres sont seuls légalement chargés du soin de distribuer des aumônes ; il reconnaît, par conséquent, que la législation de l'an V existe encore dans son entier, il déclare non écrites les clauses qui y sont contraires, et nos adversaires ce nonobstant viennent prétendre que, dès 1815 et au plus tard dès 1824 et 1825, toute la législation de la république et de l'empire sur la charité a été abolie !
M. B. Dumortier. - Il en a admis beaucoup d'autres.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et il en a repoussé d'autres, mais vous ne pouvez pas par le fait modifier le droit. La question est de savoir quelle était la situation légale du pays en 1836, quand vous avez dit que vous ne vouliez pas innover. (Interruption.)
M. B. Dumortier. - Nous savons bien ce que nous avons voulu dire. C'est tellement vrai, qu'un membre voulant faire une proposition dans ce sens n'a pas trouvé cinq membres qui consentissent à signer son amendement. Il avait son opinion comme vous avez la vôtre.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il ne s'agit pas de savoir quelle était l'opinion de M. Dumortier ; il peut avoir erré que cela n'aurait pas d'influence sur la législation ; il s'agit de savoir quelle était la législation existante en 1836, quelle était, si je puis dire, ainsi la situation légale du pays à cette époque, sur cette question.
Vous avez dit que vous ne vouliez pas innover ! si les dispositions de l'an V avaient encore force de loi, ce sont ces dispositions que vous avez maintenues.
M. B. Dumortier. - Il ne faut pas injurier vos devanciers.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En fait d'injures, je cède le pas à l'honorable membre, je n'ai pas l'habitude de me permettre de ces choses-là.
Un argument qui prouve surabondamment qu'on n'a pas entendu modifier la législation sur la charité par les règlements de 1824 et 1825, c'est que dans aucun des arrêtés statuant sur des dons et legs on ni n'a cité ni visé ces règlements, ce qu'on eût fait s'ils avaient, comme on le prétend, consacré le droit de créer les personnes civiles ; les règlements de 1824 et 1825 eussent constitué la source du droit, et on n'eût pas manqué de les invoquer.
La preuve, du reste, que le roi Guillaume n'entendait pas respecter la volonté du fondateur quand elle était en opposition avec la loi, je la puise encore dans un passage d'un discours que tenait à la Chambre un des amis de l'honorable M. Dumortier. Je veux parler de M. Doignon :
« C'est, dit-il, à l'esprit religieux des Belges qu'on doit la majeure partie de ces fondations de bienfaisance. Comme s'il eût pris en haine le caractère charitable de Belge catholique, le roi Guillaume avait porté plusieurs dispositions tendantes à entraver les intentions du fondateur. On l'a vu s'opposer même à l'exécution du vœu, exprimé dans un acte de dernière volonté, de faire distribuer une aumône par son pasteur. »
Voilà, messieurs, la preuve la plus manifeste que le roi Guillaume exécutait lui-même les lois de l'an V, qui centralisaient entre les mains des bureaux de bienfaisance et des commissions des hospices l'administration de la charité.
Ainsi, messieurs, je viens d'établir, je pense, trois choses qui renversent complétement le système de l'honorable M. Dumortier.
En premier lieu, que la législation française, en matière de charité a conservé force obligatoire en Belgique après 1814, que la loi fondamentale elle-même l'a maintenue et que l'administration hollandaise l'a toujours reconnue. En second lieu, qu'il était acquis et dès avant 1830 qu'en matière de charité pas plus qu'en matière d'enseignement, le roi Guillaume n'exerçait pas le pouvoir législatif en Belgique et que, par conséquent, eût-il voulu changer la législation existante, il n'en aurait pas eu le droit.
Enfin, je viens de prouver, je crois, que les règlements émanés des états provinciaux et approuvés par le roi, n'avaient pas le sens qu'on a voulu leur donner et n'ont pas abrogé la législation que nous avons continué d'appliquer.
C'est dans cette situation que se trouvaient les choses en 1836 ; on était donc encore à cette époque sous l'empire de la législation française et l'on a déclaré qu'on ne voulait pas innover. Qu'en résulte-t-il ? C'est que la loi de 1836 a maintenu la législation française et qu'on ne peut reconnaître comme administrateurs spéciaux que ceux qui, aux termes de cette législation, sont légalement nommés ; c'est dans ce sens aussi qu'étaient conçus les règlements provinciaux. On disait : Ils nommeront les administrateurs, à moins qu'il n'y ait d'autres administrateurs légalement nommés. Voilà quel était le véritable sens des règlements, et voilà le véritable sens de la loi communale.
Messieurs, un mot encore, s'il vous plaît, sur l'amendement de l'honorable M. Dumortier ou plutôt relativement au reproche qu'il a adressé à l'administration de refaire les testaments. L'honorable membre nous a dit que lorsque en 1836 il s'est agi de l'article 84, personne n'aurait reconnu au gouvernement le droit de refaire les testaments.
Messieurs, j'ai montré tantôt à l'honorable M. Dumortier que M. Fallon qu'il citait avec beaucoup de complaisance avait été parfaitement d'accord que toutes les conditions contraires à la loi devaient être réputées non écrites.
M. B. Dumortier. - Dans quel cas ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans le cas notamment où il s'agirait d’un legs de 100,000 francs.
M. B. Dumortier. - Dans le cas où l'on voudrait usurper le pouvoir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est un jeu de mots, car nous prétendons que quand vous nommez des administrateurs particuliers, dans les cas où la loi ne le permet pas, quand vous créez une personne civile, vous usurpez le pouvoir et, cela étant, nous déclarons la condition non écrite.
L’opinion à laquelle vous appartenez au surplus applique ce principe comme nous et tous les pouvoirs l'ont fait et légitimement.
Mais pourquoi n’a-t-on pas discuté cette question en 1836 ? Par la raison bien simple qu'il ne s'agit pas d'un principe spécialement applicable à la matière des fondations de bienfaisance, mais d’un principe de droit civil inscrit dans l’article 900 du Code civil, applicable à toutes les donations, à tous les testaments, n'importe ; au profit, de qui la disposition soit faite, d’un particulier, de l'Etat, d'une, province, d'une commune, d'un bureau de bienfaisance, d'une fabrique d'église, ou de toute autre institution publique.
Du reste, ainsi que je viens de le dire, cette règle a été appliquée par tous les pouvoirs.
L'empereur, sous le règne duquel le Code civil a été rédigé, prenait, en septembre 1815, un décret ainsi conçu :
« Art. 1er. Le trésorier de la fabrique de l'église de Sainte-Gudule, à Bruxelles, département de la Dyle, est autorisé à accepter, au profit de ladite fabrique, la fondation d'une messe journalière, faite par le sieur Lambert de Lamberts, dans son testament du 6 ventôse an XII (26 février 1804), déposé chez Caroly, notaire, à Bruxelles, aux charges et conditions autorisées par ledit testament, dont extrait sera annexé au présent décret, sauf toutefois la disposition qui tend à établir un bénéfice à collation laïque, laquelle, étant contraire aux lois de l'empire, est, conformément à l'article 900 du Code Napoléon, réputée comme non écrite. »
Je vous ai cité tantôt l'arrêté du 28 mai 1828 par lequel le roi Guillaume a déclaré que des bureaux de bienfaisance établis par l'autorité étant seuls chargés de l'administration des biens des pauvres, la clause par laquelle le curé était chargé de distribuer les revenus de la somme léguée, a été déclarée non écrite, et le legs a néanmoins été maintenu au profit du bureau de bienfaisance.
Maintenant voici un autre cas d'application de l'article 900. Il est relatif à la propriété des édifices du culte.
Voici messieurs quels étaient les dispositions qui ont donné lieu à cette application :
« Je lègue aux pauvres collectifs de la commune de Bolland, canton de Dalhem, la somme de trois nulle francs à charge par lesdits pauvres de faire célébrer pour le repos de mon âme, ainsi que pour celles de mes feu père et mère, trois grandes messes avec diacre, sous-diacre, orgue et argenterie, chaque année à perpétuité dans l'église de Bolland, lesquelles seront payes au célébrant et assistants d’après le tarif. Les grandes messes seront célébrées l'une le douze novembre pour feue ma chère mère, l’autre le deux janvier pour feu mon cher père et la troisième un an après mon décès et sous la condition expresse que le premier banc que ma sœur Elisabeth de Loguay possède dans ladite église de Bolland lui soit restitué à perpétuité et restera toujours pour ceux de notre famille qui posséderont ladite maison qu'elle occupe présentement à Bolland. Mais si la fabrique ne veut pas on ne peut pas mettre ma sœur (page 1095) Elisabeth de Lognay en possession de son premier banc ou ceux à qui appartiendront la maison provenant de feu nos père et mère, alors je lègue les trois mille francs énoncés ci-dessus aux pauvres collectifs de Thimister à charge par eux de faire les trois grandes messes comme il est dit ci-dessus, et le surplus des intérêts de ces trois mille francs sera distribué aux pauvres de la commune qui assisteront aux trois messes, un tiers le deux novembre, le deuxième tiers le deux janvier et le troisième tiers aux pauvres qui assisteront à la messe qui se dira pour moi pour mon anniversaire tous les ans et à perpétuité. »
Ainsi, voilà un legs de 3,000 fr. au profit d'une fabrique, mais à la condition que la sœur du testateur jouira à perpétuité d'un banc dans l'église.
L'acceptation de cette disposition a été soumise à l'avis de monseigneur l'évêque de Liège, et voici l'avis de l'évêché :
« Vu le testament olographe de Francois Joseph de Lognay ancien bourgmestre de Thimister en date du 17 juin 1845, qui lègue une somme de 3,000 francs aux pauvres de Bolland, en les chargeant de faire célébrer annuellement trois grand-messes avec diacre, sous-diacre et orgues dans l'église de Bolland, et qui attribue à la demoiselle, Elisabeth de Lognay ainsi qu'à sa famille, la jouissance à perpétuité d'un banc situé dans la dite église ;
« Vu l'acte qui est avenu le 3 janvier 1850 devant Me Jacquinet, notaire à Herve, et par lequel le bureau de bienfaisance de la commune de Bolland a constitué une rente de 60 fr. pour cette rente, former la dotation des messes demandées ;
« Vu la délibération que la fabrique intéressée a prise le 7 octobre 1849 au sujet du prédit testament ;
« En ce qui regarde la fondation des messes, vu l'article 59 du décret du 30 décembre 1809 et le tarif diocésain du 28 novembre 1806 ;
« Attendu qu'aucune opposition canonique ne s'est élevée contre l'établissement de ces services religieux et qu'il a été suffisamment pourvu à tous les frais soit d'exonération, soit d'administration qui en résulteront pour la fabrique de l'église de Bolland ;
« En ce qui regarde le banc que le défunt a réservé pour sa sœur et sa famille ;
« Vu les lois des 24 août 1790 et 20 avril 1791 portant abolition des droits de chapelle ou de bancs attribués par les anciennes fabriques à des particuliers à titre de fondateurs ou de patrons de l'église ;
« Considérant aussi d'une part que les édifices consacrés au culte ont été déclarés propriété de l'Etat, que pendant la durée de la mainmise nationale, les droits qui pouvaient compéter à des particuliers sur ces édifices ont cessé d'exister ; que depuis lors, le gouvernement les ayant remis à la disposition des évêques, sans aucunes charges, ils sont restés affranchis de tous droits anciens ;
« Considérant d'autre part qu'il ne peut plus être concédé de bancs dans les églises, si ce n'est dans les formes et sous les conditions voulues par les articles 68 et suivants du décret du 30 décembre 1809 ;
« Considérant que dans toute disposition testamentaire, les conditions qui sont contraires aux lois doivent être réputées non écrites, Code civil 900.
« Nous sommes d'avis qu'il y a lieu d'accorder à la fabrique de l'église de Bolland l'autorisation qu'elle sollicite et de tenir pour non avenues les clauses du testament du feu de Lognay qui se rapportent au banc dont il s'agit.
« La présente répond à la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser sous la date du 2 de ce mois et le n°1139, troisième division. »
Ainsi on faisait à la fabrique la condition de maintenir à perpétuité un banc au profit de la sœur de la testatrice. Le gouvernement a autorisé le legs de 3,000 francs et a réputé la condition dont je viens de parler non écrite. C'était l'avis de l'évêché, et j'ai signé un arrêté conforme à cet avis. Je refaisais, selon vos expressions, le testament au profit de la fabrique d'église comme, je les refais au profit des bureaux de bienfaisance. Lorsqu'une disposition est contraire à la loi, j'obéis à la loi, j'applique l'article 900 du Code civil.
Maintenant voyons la jurisprudence qui a été suivie sous ce rapport par M. Nothomb.
Je vais encore vous citer une autre espère et vous verrez que si certaines personnes veulent bien des administrateurs particuliers pour les biens des pauvres, ils n'en veulent pas pour les biens des fabriques, et n'hésitent pas à réputer non écrites les conditions en vertu desquelles de semblables administrateurs sont établis.
Par testament en date du 4 janvier 1852 un le.js de 3,000 fr. est fait à la fabrique de l'église de Charneux, à la condition entre autres que le légataire universel de la testatrice et après lui ses représentants auront le droit de concourir à la direction de l'établissement doté.
L'arrêté qui autorise la fabrique à accepter la libéralité est du 24 juin 1856. Il porte :
« Considérant que les lois organiques du culte catholique n'admettent que les fabriques d'église pour régir les donations de ces établissements ; qu'ainsi il y a lieu de réputer non écrite la clause du testament qui réserve au légataire de la testatrice et après lui et à toujours aux représentants de ce légataire le droit d'intervenir comme il est dit dans la gestion des biens de l'église de Charneux. »
Je ne sache pas que nos adversaires aient réclamé. Ainsi de même que certains testateurs ont voulu avoir des administrateurs spéciaux pour les legs faits au profit des pauvres, on voulait introduire ici un administrateur spécial dans un conseil de fabrique, et dans ce cas comme dans les autres, on a réputé la clause non écrite, et c'est l'honorable M. Nothomb qui a appliqué une jurisprudence, qui a été unanimement suivie depuis l'empire jusqu'aujourd'hui, qui a été suivie en France comme en Belgique. Je répète que dans ce cas nos adversaires n'ont pas crié que c'était refaire les testaments.
Messieurs, je termine. L'honorable M. Dumortier nous a signifié hier le programme de son parti. Il nous a dit qu'il y inscrirait: Retrait de l'article 295 du Code pénal et de la loi que nous discutons.
Je remercie l'honorable M. Dumortier de sa franchise et j'en félicite sincèrement notre opinion. Aussi longtemps que le parti de l'honorable M. Dumortier n'aura d'autre programme que la promesse de donner aux ministres des cultes le droit d'attaquer, d'injurier en chaire toutes les administrations du pays, par le retrait de l'article 295 du Code pénal, le droit de multiplier la personnification civile et les couvents, par le retrait de la disposition que nous proposons, je ne crains pas du tout son retour aux affaires.
M. E. Vandenpeereboom. - Je demandé la parole pour un fait personnel ; ou plutôt, pour une rectification.
L'honorable M. de Naeyer a cru convenable de me citer, et il l'a fait, dans des termes trop bienveillants, je puis le dire.
Que l'on cite ce que j'ai dit ou écrit, hors de cette enceinte, je n'ai pas à réclamer. Je pourrais, d'ailleurs, m'être trompé, et dans ce cas, je confesserais volontiers mon erreur. Cette fois, la citation, faite par l'honorable M. de Naeyer, pourrait faire croire, contrairement à son intention, que le vote, que je vais émettre, est en contradiction avec ce que j'ai écrit.
Or, je tiens à prouver que, dans le cas présent, mon opinion écrite ne contrarie pas mon vote verbal.
L'honorable M. de Naeyer s'est arrêté à cette phrase : « Cette grande cause est encore pendante ; elle présentera d'énormes difficultés et au ministère et à la législature appelés à la résoudre. »
Je n'étais pas trop mauvais prophète, puisque, un an après, le ministère, pour avoir mal présenté cette question, a succombé et a entraîné la majorité dans sa propre ruine.
Mais voici ce qui va prouver que je n'ai pas changé d'opinion, et que le vote que je vais émettre est parfaitement conforme à mes idées d'alors ; le paragraphe cité se termine ainsi : « Car cette question de la charité, touche aux plus vifs intérêts sociaux :elle soulève des principes, que la grande révolution de 89 avait prétendu poser sur des bases définitives. »
Eh bien, je prétends, messieurs, que les lois de l'an V, que nous allons confirmer et maintenir, n'ont jamais cessé d'exister, et que ce n'est que pour mettre un terme à un doute, que nous faisons la loi actuelle.
Or, ces lois de l'an V ne sout elles-mêmes que les conséquences des principes de 1789.
Je suis dans la conviction que si vous pouviez ramener vos administrateurs spéciaux, vous arriveriez immédiatement à une foule d'abus, précédemment supprimés. Et c'est pourquoi, dans mon livre, je prévoyais les difficultés qu'éprouveraient ceux qui tenteraient de nous faire opérer ce recul.
Je n'ai donc, cette fois, rien à retrancher, et je soutiendrai par mon vote, comme j'ai soutenu par ma plume, les grands principes de la société moderne.
- Plusieurs membres. - La clôture !
- Plus de cinq membres se lèvent pour demander la clôture.
M. Van Overloop. - Je demande la parole contre la clôture.
Messieurs, il y a deux ans, vous avez discuté pendant plusieurs semaines à l'occasion de cette grave question et alors même l'un de vous a dit que, dans l'intérêt de la liberté, il combattrait la loi jusqu'à extinction de force physique.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Van Overloop. - Prenez garde qu'on ne puisse vous appliquer ce passage de Tacite :
« On met en avant la liberté et d'autres prétextes spécieux ; et quiconque veut assujettir les autres à sa domination ne manque jamais de faire résonner ces grands mots. »
- Plusieurs membres. - Parlez !
M. Van Overloop. - Prenez garde qu'on ne vous applique ces mois que Tacite écrivait il y a dix-huit siècles !
- Plusieurs membres. - Mais parlez !
M. H. de Brouckere. - Je ne sais pourquoi l'honorable M. Van Overloop se fâche si fort, nous lui disons tous de parler.
M. le président. - On n'insiste pas sur la demande de clôture. La parole est à M. Van Overloop.
M. Van Overloop. - Messieurs, il y a quelques années, dans le parlement anglais le grand orateur O'Connell disait: Dieu nous garde des légistes ! Je serais presque tenté d'en dire autant dans la Chambre belge ; Dieu nous garde des légistes, c'est-à-dire des législateurs qui (page 1098) veulent interpréter la loi comme des légistes l'interpréteraient en épiloguant sur des membres de phrases détachées.
L'honorable ministre de la justice a commencé par nous dire que nous devrions être enchantés de ce qu'il fait disparaître de l'ordre du jour de la Chambre une question qui a grandement ému le pays. J'aime beaucoup l’Evangile, mais je vous avoue franchement que quoique nous avons reçu un premier soufflet, je ne suis pas disposé à tendre la joue pour en recevoir un second sans combattre.
« Je déclare, dit M. le ministre de la justice, puisque vous concentrez tout sur la question de l'affaire de Rare, que la loi ne sera pas promulguée, avant la décision de la cour de Gand. Donc il n'y aura pas d’effet rétroactif. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela.
M. Van Overloop. -N'aura pas d'effet rétroactif quant à l'affaire de Rate.
Mais je ne m'arrête pas à l'affaire de Rare. Je l'ai dit en section centrale, il y a une foule d'autres affaires en instruction au département de la justice, soumises à des conditions irritantes. Je demande à M. le ministre de la justice s'il veut persister à appliquer à ces affaires l'article 900 au détriment des héritiers, au détriment de la famille. Car vous qui prétendez défendre les intérêts des familles, ce sont les intérêts des familles que vous frappez.
Eh quoi ! lorsque j'ai fait une libéralité à la condition sine qua non que cette libéralité sera acceptée avec des administrateurs spéciaux ou qu'elle ne sera pas acceptée ; si vous refusez d'accepter des administrateurs spéciaux, si, par conséquent, la libéralité tombe, n'est-ce pas la famille qui doit en profiter ? Est-ce ainsi que vous agissez ? Non, vous considérez la clause des administrateurs spéciaux comme non écrite et vous attribuez les libéralités à des corps auxquels le testateur ne voulait pas les attribuer. et vous prétendez que vous défendez l'intérêt des familles !
Mais il ne vous est pas libre, en justice, de venir dire : Je supprime les administrateurs spéciaux, je viole la volonté du testateur, je viole le droit des familles, et j'attribue les biens aux bureaux de bienfaisance. Voilà ce que vous ne pouvez pas faire en justice malgré toutes les lois possibles. Autre chose est la justice, autre chose est la légalité.
« Il ne s'agit pas de savoir, dit M. le ministre de la justice, à qui appartiendra la propriété ; il s'agit de savoir à qui appartiendra l’administration.» C'est une erreur, M. le ministre ; il s'agit de savoir, quand il y a une clause irritante, que vous refusiez d'accepter, si la propriété retournera à la famille. Quoi ! vous prétendez que nous avons voulu rétablir la mainmorte, et que faites-vous ? Le projet de loi de M. Nothomb avait pour but d'empêcher le développement de la mainmorte, vous avez fini par induire le pays en erreur sur ce projet, mais quiconque examinera le projet de loi déposé par mon honorable ami, je reste fidèle à mes amis. M. Nothomb, dira que ce projet était bien plus hostile au développement de la mainmorte que la législation que vous voulez établir. Quand refusez-vous l'acceptation des libéralités ? Jamais. Que le donateur ait désigné ou n'ait pas désigné des administrateurs spéciaux, toujours vous attribuez les biens au bureau de bienfaisance sans l'obliger à les vendre dans un délai donné, comme l'exigeait le projet de loi de M. Nothomb : vous développez donc la mainmorte. Voilà ce que vous faites, et voilà ce que le projet de loi de M. Nothomb ne permettait pas.
« On peut faire, dit l'honorable ministre de la justice, on peut faire une loi interprétative sans qu'il y ait conflit ; » et il a été cité comme exemple une difficulté entre le gouvernement et la cour des comptes.
Mais, messieurs, quand se plaint-on des lois interprétatives ? Quand offrent-elles du danger ? Quand elles doivent avoir un effet rétroactif sur les droits des citoyens, sur les intérêts des familles.
Faites des lois interprétatives sur des matières d'administration, faites-en tant que vous voulez, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte aux droits acquis des citoyens. Mais quoi ! mon auteur fait une libéralité, il la soumet à une clause irritante, il institue des administrateurs spéciaux, et vous venez tout en repoussant la clause irritante, tout en repoussant les administrateurs spéciaux, me ravir mon bien pour l'attribuer au bureau de bienfaisance ou à la commission des hospices ?
- Un membre. - C'est ce que faisait M. Nothomb.
M. Van Overloop. - M. Nothomb peut l'avoir fait dans des cas où la famille ne réclamait pas, dans des cas où il n'y avait pas de contestation par d'opposition de la famille, consentement au contraire à ce qu'il agit ainsi, et alors je l'admets ; mats quand il y a contestation, quand la famille réclame, quand elle vient dire : Respectez la volonté de mon auteur ou rendez-moi mon bien, alors vous commettez un abus de pouvoir si vous ne faites pas droit à cette réclamation.
Vous appelez la loi une nouvelle rédaction de l’article 84, je l'appellerai moi une falsification de l'article 84.
« La cour de cassation, dit l'honorable ministre de la justice, la cour de cassation ne dit pas que le Roi a encore le droit de créer des personnes civiles, comme le soutient M. Van Overloop. »
Eh bien, messieurs, voici ce que porte l'arrêt de la cour de cassation :
« Attendu qu'avant la révolution française, chaque particulier avait le droit, tant en Belgique qu'en France, de fonder des établissements charitables et d'en régler la forme, la destination et l'administration, sous la seule condition d'obtenir, respectivement, le consentement du souverain l'homologation du parlement ou du conseil supérieur, que cela réulte notamment de l'ordonnance de Marie-Thérèse du 15 septembre 1753, article 2, et de l'édit de Louis XV du mois d'août 1749, article 3. »
Il ne suffisait donc pas de la libre volonté des particuliers pour créer des personnes civiles, comme on l'a prétendu il y a deux ans ; il fallait, connue aujourd'hui, l'intervention de l'autorité publique. Mes amis ont-ils jamais soutenu autre chose ?
« Attendu que s'il est vrai que, pendant la réunion de notre pays à la France, les lois des 16 vendémiaire an V et 16 messidor an VII avaient centralisé, sous une même administration, tous les hospices qui se trouvaient dans le canton ou dans la commune, et avaient absorbé, dans une commission unique, les administrations spéciales qui avaient existé précédemment, le gouvernement n'a pas tardé de rendre hommage, au moins en partie, au principe de la législation antérieure, en permettant aux fondateurs, par les arrêtés des 28 fructidor an X et 16 fructidor an XI et le décret du 51 juillet 1806, de réserver pour eux-mêmes et pour leurs représentants ou héritiers, certains droits de collation et d'administration, et en autorisant, par plusieurs décrets spéciaux, la création d'établissements placés sous des administrations particulières.
« Attendu qu'après notre séparation de la France, le gouvernement des Pays-Bas a constamment manifesté l’intention d'en revenir complétement à l'ancien droit national, c'est-à-dire au principe du respect dû à la volonté du fondateur... »
Et on vient prétendre que la cour de cassation n'a pas dit ce que je lui ai fait dire !
« L'ancien régime, dit l'honorable ministre de la justice, a été complétement renversé et toutes les lois ont disparu ; rien n'a survécu. »
Que M. le ministre de la justice se mette donc d'accord avec l’honorable M. Faider, son prédécesseur, qui soutenait, dans un réquisitoire prononcé en 1846 à la Cour de Bruxelles, que toutes les lois anciennes étaient maintenues pourvu qu'elles n'eussent pas été abrogées formellement ou virtuellement.
Je demanderai à M. le ministre de la justice où est l'abrogation formelle, où est l'abrogation virtuelle des édits de Louis XV et de Marie-Thérèse ?
« La loi de 1856 n'a pas voulu innover, » dit encore M. le ministre de la justice. Mais c'est précisément ce que nous soutenons. Quelle était la pratique en 1836 ?
- Un membre. - Il faut demander : Quelle était la loi ?
M. Van Overloop. - C'est qu'à partir de la constitution du royaume des Pays-lias, on avait constamment agi dans notre pays comme on l'avait fait en France sous Napoléon 1er, sous Louis XVIII, sous Charles X et comme on l'a fait encore sous le régime légal de Louis-Philippe, c'est-à-dire que quand un donateur instituait des administrateurs spéciaux, le gouvernement avait le droit de constituer la fondation en personne civile particulière.
Voilà quelle était la pratique et voilà ce qu'on a voulu maintenir en 1836. On a voulu ne pas innover, c'est-à-dire qu'on a voulu consacrer l'état de choses existant. On aura beau citer ces textes coupés dans des phrases. Voilà le fait, il est incontestable.
« Aujourd'hui, dit M. le ministre de la justice, on vient soutenir, pour les besoins de la cause, que le roi Guillaume avait le pouvoir législatif, alors qu'avant 1830 c'était là un des principaux griefs des unionistes. »
Non, messieurs, on ne vient pas soutenir que le toi Guillaume avait le pouvoir législatif. Qu'est-ce que le pouvoir législatif ? C'est le droit de décréter des règles de conduite pour tous les citoyens. Qu'est-ce maintenant que l'acte d'autoriser des fondations ? C\st un acte d'administration qui entre naturellement dans les attributions du Roi, qui, constitutionnellement, n'entre pas dans la compétence du pouvoir législatif. Cela résulte de la Constitution elle-même et je citerai a cet égard l'opinion d’un homme que vous ne récuserez pas, l'opinion de l'honorable M. Tielemans.
D'après la nature même des choses, le pouvoir législatif, comme tel, n'a pas d'autre mission que celle de faire des lois, c’est-à-dire de prescrire des régies de conduite aux citoyens ; quels sont nos autres droits ? Ceux que nous accorde formellement la Constitution.
Ainsi, en qualité de pouvoir législatif, nous n’aurions pas le droit de conférer la naturalisation, si ce droit ne nous avait pas formellement été accordé par la Constitution. C'est que naturaliser quelqu'un, ce n'est pas faire une loi dans la véritable acception du mot, ce n'est pas prescrire aux citoyens une règle de conduite.
C'est l'auteur du système de M. de Haussy qui a développé ces principes lorsque j’étais assis sur les bancs de l'Université libre de Bruxelles. (Interruption.)
Elève de l'Université libre, j'ai suivi le cours de droit administratif de M. Tielemans : ce dont je m'estime fort heureux, car c'est précisément parce que j'ai suivi ce cours que j’ai acquis quelques connaissances dont peut-être, sans cette circonstance, j'aurais été privé et qui me permettent de combattre aujourd'hui le système de M. de Haussy.
(page 1097) « Le roi Guillaume, dit M. le ministre de la justice, a considéré, en 1828 comme non écrite, une clause conférant la distribution d'aumône à des curés. »
Soit ; mais le roi Guillaume a-t-il agi ainsi, malgré l'opposition des héritiers du testateur ? A-t-il agi ainsi malgré leurs réclamations ?
Vous citez 1828 ; mais, M. le ministre, puisque vous invoquez votre franchise, tournez une page du document que vous avez sous les yeux, vous y verrez qu'en 1830, avant la révolution, le roi Guillaume a fait le contraire !
Vous invoquez l'article 900 du Code civil, qui considère comme non écrites les clauses impossibles, contraires aux lois ou aux mœurs. Soit. Lorsqu'il n'y a pas réclamation de la part des héritiers, lorsqu'il n'y a pas contestation.
Mais lorsqu'il il y a contestation sur le point de savoir si une clause donnée est ou n'est pas impossible, est ou n'est pas contraire aux lois ou aux bonnes mœurs, qui doit juger de cette contestation ? C'est évidemment le pouvoir judiciaire, parce, qu'il y a un droit civil en jeu et que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement de la compétence des tribunaux.
Maintenant, la disposition qui décrète l'institution d'administrateurs spéciaux, est-elle impossible ? C'est la première question que je pose ?
Evidemment, non, car le mot impossible ne s'entend que de l'impossibilité physique. Est-elle contraire aux bonnes mœurs ? Qui oserait le prétendre ? Est-elle contraire aux lois ? Où est la loi qui le défend ? C'est encore dans les auteurs français que vous avez puisé l'opinion que la clause qui institue des administrateurs spéciaux, alors qu'il y a des administrateurs légaux de la bienfaisance, est contraire aux lois. (Interruption.)
En tout cas, ce n'est pas à vous, pouvoir exécutif, à statuer sur des contestations qui portent sur des droits civils. Que voulez-vous ? Vous voulez-vous abroger le droit de conserver des libéralités faites sous de-conditions irritantes malgré l'opposition des héritiers ; vous voulez être à la fois juge et partie.
Encore une fois, c'est une idée étrangère qu'on veut importer en Belgique. Je veux, moi, les anciennes lois belges. Là se trouve la sauvegarde de notre nationalité !
On a cité une décision de monseigneur l'évêque de Liège (car ce mot monseigneur ne me déchire pas la bouche) au sujet d'une clause qui a été considérée comme non écrite. Encore une fois, je demandent si des intérêts privés étaient en jeu, si les héritiers, si la famille du testateur s'opposaient à ce que la clause fût considérée comme non écrite. Là est la question !
Quand les héritiers ne s'opposent pas, vous pouvez agir comme vous le jugerez convenable, je le reconnais.
« Mais, dit M. le ministre de la justice, la loi de 1832 ne peut pas lier les législatures futures. »
D'accord, mais là n'est pas la question, c'est résoudre la question par la question, ou plutôt c'est se mettre à côté de la question.
Que disons-nous ? Vous, pouvoir législatif ; vous ne pouvez jamais vous immiscer dans l'exercice du pouvoir judiciaire, vous ne pouvez exercer le droit d'interprétation par voie d’autorité que lorsqu’il est devenu impossible que, sans interprétation, la justice soit rendue dans un cas donné. Sommes-nous dans un cas pareil ? Evidemment non, la justice n'a pas dit son dernier mot.
L'honorable rapporteur de la section centrale, répondant à l'honorable M. Dumortier, a dit : « Nous ne faisons pas de lois réactionnaires, nous avons soustrait les mandements des évêques à l'application de lois très graves. »
J'aurais désiré que l'observation n'eût pas été faite, car la vérité est que les mandements des évêques n'ont pas été soustraits à l'application de lois très graves. Ils étaient protégés par les disposions de la Constitution relatives à la liberté de la presse. Ce qu'on a fait, c'est d'atteindre indirectement ces mandements parce qu'on n'osait pas les atteindre directement. Qu'a-t-on-fait ?
Par un scrupule apparent, par un respect apparent pour les principes constitutionnels en matière de presse, ou n'a pas frappé directement les mandements des évêques, mais on les a frappés indirectement, on a atteint son but par un biais, en frappant les curés qui se permettraient de donner lecture des mandements en chaire. Auparavant, les mandements tournaient sous l'empire du droit commun ; aujourd’hui il jouissent du privilège... de tomber sous des pénalités spéciales.
Arrière donc le respect qu'on professe en paroles pour le clergé ! Ce sont des faits qu'il faut, et les faits sont en opposition avec les paroles.
Messieurs, ce matin même j'ai relu une circulaire du 7 mars 1814 du gouverneur civil, duc de Beaufort, relative à la séparation des affaires civiles et religieuses.
Voici comment on s'exprimait en 1814 :
« Les victoires éclatantes que les armées de leurs hautes puissances alliées ont remportées par le secours de Dieu, ayant affranchi le clergé de la Belgique de toutes les entraves mises à l'exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, le gouvernement conformément aux intentions de leurs hautes puissances alliées, maintiendra inviolablement la puissance spirituelle et la puissance civile dans leurs bornes respectives, ainsi qu'elles sont fixées par les lois canoniques de l'Eglise et les anciennes lois constitutionnelles du pays.
« En conséquence, les affaires ecclésiastiques resteront en main des autorités spirituelles qui soigneront et surveilleront en tout les intérêts de l'Eglise. C’est donc aux autorités ecclésiastiques que l'on devra s'adresser pour tout ce qui concerne la religion.
« En transmettant cette résolution à votre clergé, vous pouvez, messieurs, lui assurer la protection spéciale du gouvernement. »
Voilà comment on entendait la séparation des deux pouvoirs en 1814. Je demande comment on l’entend aujourd'hui.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - De la même manière.
M. Van Overloop. - Au lieu de maintenir la séparation des deux pouvoirs, on voudrait aujourd'hui revenir, sous ce rapport, au temps de Louis XIV, de Joseph II, Napoléon Ier et vers 1825, de Guillaume, c'est-à-dire qu'on voudrait de nouveau mettre la société religieuse sous le joug de la société civile ; eh bien, vous n'y réussirez jamais.
Je persiste dans tout ce que j'ai dit dans mon premier discours, je persiste à soutenir que le roi a le droit de déceler des établissements d'utilité publique avec administrateurs spéciaux. Je persiste dans cette opinion, je persiste à dire ce qui est soutenu avec moi par toutes les cours, par tous les tribunaux du pays, moins une chambre de la cour d'appel de Bruxelles, alors que dans une affaire analogue, je ne dis pas identique, une autre chambre de la même cour a décidé le contraire de ce que voulait M. de Haussy par sa circulaire, je veux parler de l'affaire de Gozee.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'y a aucune espèce de rapport entre ces deux affaires.
M. Van Overloop. - Il y a analogie. On voulait appliquer à cette affaire les principes de la circulaire., le tribunal de Charleroi a donné tort à M. de Haussy et la cour de Bruxelles a confirmé le jugement du tribunal de Charleroi.
Si vous donnez à votre loi un effet rétroactif interprétatif, vous devez le dire dans le texte ; si vous ne le faites pas, il est impossible que les tribunaux, qui ne voient que la disposition, alors que ses termes ne présentent aucune incertitude, l'interprètent comme vous le voulez. Je ne veux pas que le gouvernement ait le droit d'imposer aux tribunaux l'obligation d'interpréter de telle ou telle façon un texte de loi ; j'ai plus de respect pour la magistrature qui, je l'ai déjà dit, est le palladium de nos libertés.
M. B. Dumortier. - J'ai lieu d'être surpris de la persistance qu'a mise M. le ministre de la justice à faire dire à la Chambre de 1834 de 1836, tout le contraire de ce qu'elle a fait, de ce qu'elle a voulu dire.
Il aura beau dire, beau faire, les faits sont là ; ils sont imprimés, ils sont dans le Moniteur ; ce n'est pas au moyen de quelques subtilités qu'il pourra les dénaturer.
Toute la question, dit-il, repose en ceci: la Chambre de 1834 n'a pas voulu innover, tout le monde était d'accord ; et il ajoute que comme, d'après lui, les lois de l'empire et du directoire sont restées en vigueur, ce sont ces lois que la Chambre de 1834 et 1856 a maintenues en vigueur par le vote de l'article 84. Voilà son argumentation.
Messieurs, il m'a toujours semblé qu'il fallait discuter les choses avec le sentiment du vrai. Or, si ces lois avaient été en vigueur dans l'esprit des membres de la Chambre de cette époque, il se serait trouvé quelqu'un qui les invoquât, tandis que les débats vous montrent que ce que la Chambre n'a pas voulu innover, c'est le respect aux volontés du fondateur dans la création des administrateurs spéciaux.
Qu'est-ce qu'on voulait en 1834 et 1836 ? La Chambre en n'innovant pas, a voulu deux choses : le mot « innover » s'est trouvé pris sous un double point de vue.
Au premier vote, le mot a consisté à dire qu'on voulait maintenir purement et simplement le régime des règlements qui était encore en vigueur, et autorisaient les administrateurs spéciaux. Lisez tous les discours, vous n'en trouverez pas un seul qui ait un sens différent. C’étaient les défenseurs de la disposition des anciens règlements qui en demandaient le maintien, afin, disaient-ils, de ne pas innover, ce qui établit clairement la portée de ce mot.
Au deuxième vote, M. Jullien est venu demander si on voulait innover par voie rétroactive, dans la crainte qu'on pût dessaisir les bureaux d'hospice et de bienfaisance, en distraire les anciennes fondations qui avaient été faites avec administrateurs spéciaux. Tel a été le sens du mot « innover » au premier et au second vole.
Dans tout cela est-il un seul membre qui ait eu la volonté de remettre en vigueur les lois françaises, en supposant quelles existassent encore ? Je dis que non ; je défie de me citer une seule phrase, un seul mot d'un orateur où il soit dit que ces lois étaient encore en vigueur et qu'on voulait les rétablir.
Ce que tout le monde a voulu, c'est la continuation du régime existant, du régime des règlements des villes relativement à la faculté d'établir des administrateurs spéciaux. Cela est tellement vrai que MM. Dubus et de Theux venaient dire à ceux qui ne voulaient innover : la suppression de la phrase qui est dans le règlement des villes serait une innovation, puisque nous sommes en possession du droit de (page 1098) nommer des administrateurs spéciaux. Et vous viendrez dire que le maintien de cette disposition avait pour but de remettre en vigueur les lois de l'empire ! Mais dénaturer ainsi la vérité c'est odieux !
Je ne viens pas discuter ce que M. le ministre de la justice a dit des règlements ; rien ne me serait plus facile que de démontrer qu'il a complétement tort ; mais la Chambre me paraît pressée d'en finir, (Interruption.)
Etes-vous dans les mêmes dispositions que quand, il y a deux ans, après six semaines de débats, vous trouviez que c'était un scandale de vouloir clore la discussion, vous qui venez de demander la clôture à grands cris, et qui me laissez à peine le temps de dire quelques mots ?
Je dis donc qu'il me serait très facile de répondre à tout ce qu'a dit M. le ministre sur cette question, si vous ne vouliez pas étouffer une discussion que vos orateurs ne soutiennent même pas.
Mais ii reste un fait bien constant ; M. le ministre a beau citer à l'appui de son opinion un arrêté de 1828 où le roi Guillaume s'en est référé aux lois françaises ; qu'il ouvre le volume des documents qui nous a été distribué, il y trouvera trente-sept arrêtés de ce même roi Guillaume pris en opposition des lois françaises qu'il prétend avoir toujours existé.
Que résulte-t-il de là ? De deux choses l'une, on bien que le roi Guillaume ne reconnaissait plus la valeur de ces dispositions de l'an V, ou bien que ces trente-sept arrêtés ne sont pas fondés et n'existent pas valablement, d'où il résulte que la conséquence de ces prémisses la conséquence, la conclusion de son discours, est qu'il faut annuler tout ce qui a été fait depuis cinquante ans.
Voilà la conséquence directe de ce qu'a dit M. le ministre de la justice C'est une loi de spoliation, une loi rétroactive et rien de plus.
Je le requiers de s'expliquer sur ce point : que veut-il avec sa loi d'interprétation ? Personne n'en sait rien ; la Chambre ne sait pas si elle vote la loi comme loi d'interprétation ou comme loi ordinaire. Vous ne pouvez pas dire que cela est déclaré dans le rapport.
Que savez-vous si tout le monde dans votre majorité voudrait vous suivre dans cette voie ? Quand vous voulez faire une loi rétroactive, je nie que la majorité veuille vous suivre. Il ne vous appartient pas de donner à une loi le pouvoir d'interprétation par voie d'autorité, sans que la chambre émette un vote positif déclarant nettement ce qu'on veut faire. Ce serait un subterfuge ; ce serait la destruction du régime représentatif pour en faire un régime déclaratif.
Quelle est la portée de la loi d’interprétation ? Personne ne la connaît ; pas un seul de vous ne sait où l'on irait avec cette loi interprétative.
Il faut sur la portée de la loi, sur les limites de sa réaction une déclaration précise du gouvernement, afin que cette portée soit comprise.
Je viens de vous le dire, si les prémisses que vient de poser M. le ministre de la justice étaient fondées ; s'il était vrai que les lois de l'an V sont restées en vigueur, il en résulterait que la loi que vous allez voter anéantirait et ferait au gouvernement une obligation de détruire tout ce qui été fait depuis lors. (Non ! non !) C'est évident, quoi que vous en disiez. Il en résulterait, notamment, que le gouvernement devrait anéantir le plus bel établissement de Namur.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais non ! cela n'est pas possible.
M. B. Dumortier. - Dites-le donc par votre loi, dites ce que vous voulez faire, dites jusqu'où vous voulez aller ; personne ici ne le sait et peut-être ne le savez-vous pas vous-même ; ou, si vous le savez, vous devez avoir de bien puissants motifs pour le cacher à tout le monde.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est écrit tout au long cet que nous voulons.
M. B. Dumortier. Cela n'est pas écrit ;et puis cela fût-il écrit, cela ne suffirait pas encore ; il faut que la Chambre l'accepte et pour l'accepter il faut un vote ; il faut que le Sénat l'accepte et pour l'accepter il faut qu’il le déclare par un vote. Et puis le Roi qui fait partie du pouvoir législatif vous a-t-il autorisés à présenter une loi rétroactive ? (Bruyante interruption.)
- Plusieurs voix. - A l'ordre ! à l'ordre !
M. Muller. - C'est intolérable.
M. le président. - Je ne puis point permettre un pareil langage ; la personne du Roi doit rester en dehors de nos débats.
M. B. Dumortier. - Je ne parle pas de la personne du Roi,, mats de sa part dans le pouvoir législatif ; je demande seulement si, en vous autorisant à présenter le projet de loi, il a voulu donner à ce projet un caractère interprétatif, que le texte signé par lui repousse au contraire. (Interruption.) Je prends le texte de votre projet de loi ! et j'y lis en tête : Nouvelle rédaction de l’article 84 de la loi communale., Pourquoi appelez-vous cela une rédaction nouvelle ? S'il en est ainsi, elle n'a pas force interprétative, et dès lors elle ne peut pas avoir un effet rétroactif. Il faut que la Chambre sache ce qu'elle est appelée à voter et il faut que par son vote elle manifeste clairement sa volonté.
La Constitution est formelle ; les lois doivent être votées par les chambres, article par article, et il faut que la législature décide si elle fait une lot nouvelle ou une loi interprétative ayant un effet rétroactif.
Je ne répondrai pas à tous les extraits qu'a lus M. le ministre de la justice, mais je dois dire qu'il s'est singulièrement trompé quand il a invoqué l'opinion des honorables MM. Fallon et Desmanet de Biesme. Voici ce que disait ce dernier :
« Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai été frappé des inconvénients signalés par l'honorable M. Gendebien ; je persiste dans mon opinion à cet égard.
« Je crois qu'en général les hospices et établissements sont mieux administrés à présent qu'autrefois. Cependant, une considération générale me fera voter pour la proposition de l'honorable M. Dumortier ; cette considération, c'est la crainte de voir diminuer les legs en faveur des établissements de bienfaisance, si vous restreignez les pouvoirs du testateur. »
Voilà ce que disait l'honorable M. Desmanet de Biesme dont vous avez invoqué l'opinion, il ne voulait pas qu'on restreignît le pouvoir donné aux testateurs quant à ses legs.
« J’ai été frappé d'un fait qui s'est passé sous le gouvernement français, l'administration de tous ces établissements lui était dévolue, eh bien, alors il y eut fort peu de fondations, très peu de legs ou donations.
« Depuis, au contraire, que le gouvernement hollandais avait permis leur administration séparée, il y eut beaucoup de legs en faveur des hospices et bureaux de bienfaisance.
« L'hospice de Namur, dans la pensée de la fondatrice, aurait dû être administré par les parents, c'est un fait que je connais pertinemment. Elle a dû, pour la nomination des administrateurs, se concerter avec l'administration des hospices, et cette nomination a été approuvée par l'empereur.
« La considération générale me détermine à voter pour l'amendement de M. Dumortier, sans que néanmoins je m'en dissimule les inconvénients. »
Au surplus, l'honorable M. Demanet de Biesme, qui est encore aujourd'hui au Sénat, vous dira lui-même qu'il comprenait parfaitement toute la portée de la loi, qu'il voyait les inconvénients du système français, système dont on ne voulait plus, et l'on vient néanmoins nous dire que c'est de ce système que toute la Chambre a voulu.
Voyons maintenant ce que disait l'honorable M. Fallon, puisque vous l'avez cité.
« Je prends la parole pour tâcher de démontrer que l'inconvénient signalé par l'honorable M. Gendebien dans l'addition du paragraphe proposé n'existe pas. Il a supposé le cas où par une disposition testamentaire un nouvel établissement serait érigé, et le cas où un legs serait fait en faveur d’un établissement existant.
« Dans le premier cas, il appartient au testateur de régler l'administration de ses biens comme il le juge convenable. Il va sans dire que ses intentions ne pourront être mises à exécution qu'après l'approbation royale. Tout legs exige une autorisation royale. Il n'y a donc pas là d'inconvénient. »
Eh bien, de quoi s'agissait-il là ? Il s'agissait de savoir si un testateur pouvait, en violation des lois générales, prescrire que quelqu'un peut concourir à la nomination des membres des hospices ; or, cette nomination est exclusivement attribuée par la loi à l'autorité communale et celle-ci n'a pas le droit de déléguer ses pouvoirs.
Une telle nomination était donc nulle de plein droit et vous en concluez que M. Fallon vouait que l'on pût se faire les testaments. Il supposait le cas extrême indiqué par M. Pollénus, et même auparavant il avait demandé si, au moyen de la disposition, le fondateur pouvait intervenir dans la nomination des membres des hospices, d'autorités publiques ; et c'est à cela que M. Fallon répond comme je viens de le rappeler. Mais y a-t-il donc la moindre analogie entre la violation des lois générales, des lois communes par un testateur et une loi d'exception faite dans un but de violation du droit commun et ancien, dans un but de spoliation et de vol.
Et que disait le rapporteur dans cette même séance ?
« L'honorable M. Gendebien prétend que j'ai tort de voir, dans le système qu'il veut faire prévaloir dans la loi, une violence imposée à la dernière volonté du testateur. Je connais assez de droit pour savoir que toutes les fois que la loi n'est pas basée sur la justice, elle repose sur la violence, et je soutiens qu'il est contraire à toute justice de conserver le legs d'un testateur en annulant ce qu'il a stipulé comme condition de sa donation.
« Ce sera, direz-vous, en vertu de la loi que le testateur ne pourra nommer l'administrateur des établissements qu'il a fondés, puisque vous établissez telle ou telle stipulation qui le lui interdira. Mais assurément le» lois ne sont pas toujours l'expression de la justice, mais quelquefois celle de la violence des partis (comme c'est aujourd'hui le cas). Témoin les lois de la révolution française, les lois rendues par la Convention : elles étaient peut-être l'expérience des besoins du moment, mais assurément elles n'étaient pas l’expression de la vérité.
« Vous voyez combien était flétri alors ce système d'interprétation du Code que vous voulez introduire aujourd'hui, par une mesure révolutionnaire, dans le but de refaire les testaments, de violer par une loi faite dans ce but la volonté du testateur, de capter son bien en supprimant la condition de son legs, lorsqu’il n'est plus là pour s’opposer. Je ne connais rien déplus odieux.
(page 1099) Comment ! vous pouvez ainsi annuler les conditions des legs. Mais, messieurs, c'est un acte de la dernière violence. Comment ! je vous vends une propriété à condition qu'une somme restera en hypothèque. Vous annulez cette condition, et vous vous emparez de ma propriété! Je lègue une somme à une condition déterminée. Vous supprimez la condition et vous vous emparez de la somme. Je dis que c'est de la dernière violence, et que ce que vous faites par votre loi, c'est donner au gouvernement le droit de refaire les testaments et de s'emparer du bien d'autrui malgré la volonté d'autrui. Car la condition mise par le testateur à son legs est une condition inhérente à m’acceptation de ce legs, et je dirai avec l’honorable M. Van Overloop, que c'est là une question du tien et du mien qui est du ressort des tribunaux et que l'autorité administrative n'a pas le droit de régler ; qu'en le faisant, elle empiète sur les droits du pouvoir judiciaire-
Une pareille disposition est contraire à la justice, et les dispositions contraires à la justice sont des lois de violence. Votre loi, si elle est adoptée, établira un système révolutionnaire, un système qui n'existe dans aucun pays civilisé, car dans aucun pays d'Europe ou d'Amérique on ne se permet de refaire les testaments. Partout quand un testateur a désigné une personne à qui il veut confier son aumône, on respecte sa volonté.
Il faudrait aller en Turquie, en Egypte, pour trouver un système analogue à celui que vous proposez. Ce régime n'est pas européen.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lisez les décisions du conseil d'état de France.
M. B. Dumortier. - Je ne m'inquiète pas des décisions du conseil d'Etat de France.
Je vous admire, MM. les ministres, que faites-vous donc depuis quelques mois ? De nos lois nationales vous voulez faire une caricature des lois françaises.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je veux appliquer le Code civil.
M. B. Dumortier. - De nos lois nationales, des lois du pays, vous voulez faire des lois françaises. Qui donc vous pousse à cela ? Vous voulez nous régler à la manière française. Mais votre patriotisme devrait vous faire faire autre chose.
Il semblerait, comme disait un orateur dans la discussion de la loi communale, que vous voulez accommoder la Belgique de telle sorte que sil plaisait à cette puissance de nous avaler, elle pût d'autant plus facilement nous digérer. Voilà votre système !!
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui lui faisons des avances.
M. B. Dumortier. - Ce que nous voulons, nous, c'est le système de nos anciennes institutions, de nos institutions nationales, et elles étaient complétement différentes des lois de l'étranger. Je voudrais que nos lois différassent tellement de celles de l'étranger qu'elles rendissent impossible toute assimilation, et vous faites le contraire.
Ce sont des lois belges que nous voulons. Vos avis du conseil d'Etat et vos lois françaises touchent peu mes sentiments patriotique. Donnez-nous des lois belges et à l’instant nous les voterons. Celles-là fortifieront le sentiment national que les vôtres ne font qu'affaiblir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est l'article 900 du Code civil, que voulez-vous que j'y fasse ?
M. B. Dumortier. - Le Code civil, ce ne sont pas des institutions étrangères, c'est le droit romain écrit de nouveau. Et quant à l'article 900 de ce Code, il n'a pas été fait en vue des lois réactionnaires, des lois spoliatrices, mais en vue des lois générales.
Messieurs, la loi que nous votons est une loi malheureuse sous tous les rapports. A une législation nationale que nous avions maintenue, à une législation qui a été suivie par le roi Guillaume pendant tout son règne, à une législation dont personne n'a contesté l'existence lorsque nous avons discuté la loi de 1854, vous voulez substituer des dispositions venant de l'étranger. Et c'est ainsi que vous prétendez former l'esprit national !
Dans la loi de 1834, que faisions-nous ? Il y avait des membres, dites-vous qui pensaient rétablir les dispositions françaises. Cela est complétement inexact, je l'ai dit tout à l'heure. C'est au point qu'un honorable membre a voulu présenter un amendement pour restreindre les droits des administrateurs spéciaux, non pas pour les supprimer, car personne ne voulait les supprimer, mais pour restreindre leur institution aux fondations complètes ; cet honorable membre n'a pas su trouver cinq membres pour signer sa proposition, et il ne l'a pas présentée parce qu'elle n'avait pu réunir les cinq voix nécessaires pour être appuyée.
Nous avons encore ici d'honorables membres de cette assemblée qui peuvent répondre de ceci et l’affirmer, j'en prends à témoin l'honorable M. de Renesse qui siège sur vos bancs et dont la loyauté ne me démentira pas.
Et vous venez nous dire que c'est là ce qu'a voulu la législature de 1834 ! et vous appelez cela une loi d'interprétation, quand vous venez faire par votre loi actuelle tout le contraire de ce que voulait le législateur de 1834 ! Faites une loi nouvelle, une loi de parti, vous en avez le droit. Mais ne venez pas écrire dans une loi le contraire de la vérité ; ne venez pas dire que la législature de 1834 a fait telle chose alors qu'elle voulait tout le contraire ; ne venez pas dire que nos devanciers ne savaient pas ce qu'ils faisaient, qu'il n’y avait ici que des ignorants qui ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient.
Messieurs, la Chambre de cette époque était composée des hommes les plus éminents du pays. Parcourez-en la liste ; vous y verrez des présidents, des vice-présidents, des conseillers de vos cours et de vos tribunaux, et ces hommes connaissaient bien les lois dont vous nous parlez. Mais, ni eux, ni les opposants n'invoquaient ces lois ; personne n'en voulait le retour. On savait que le pays ne voulait pas de ces lois que vous prétendez introduire par une loi d'interprétation, et c'est odieux de venir prétendre que la Chambre de 1834 en a voulu le retour !
Non, votre loi n'est pas une loi interprétative. Car il n'y a pas de doute possible à l'égard des discussions de 1834 et de 1836.
Vous vous appuyez toujours sur la dernière phrase du discours de l'honorable M. Jullien ; mais je vais vous lire l'avant-dernière phrase. M. Jullien finit en disant : « Puisque je vois que la loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif (je vous ai dit ce que cela signifiait) et qu'elle ne s'appliquera qu'aux fondations actuellement gérées par des administrations spéciales et à celles faites sous l'empire des lois qui le permettaient, pour ne pas faire perdre de temps à la Chambre, je retire ma proposition.» Voilà tout votre argument. Mais avez-vous oublié que dans la pensée de l'honorable M. Jullien, la pensée qu’il avait clairement exprimée, cette phrase : « que la loi ne peut avoir d’effet rétroactif et qu'elle ne s'applique qu’aux donations gérées par des administrations spéciales et à celles faites sous l'empire des lois qui le permettaient, » signifie que les établissements d'hospices conserveraient leurs fondations sans qu'il y eût rétroaction et que pour le passé il n’y aurait que les administrations spéciales créés antérieurement à la loi qui seraient maintenues.
Mais pour l'avenir, lisez maintenant la phrase de ce même discours qui précède celle que vous invoquez à l'appui de cette thèse insoutenable que l’honorable membre a voulu que la loi ne s'appliquât pas à l'avenir.
« La Chambre, dit M. Jullien, aura remarqué que je n'ai pas soutenu qu'on pouvait transgresser la volonté des donateurs, quand ils avaient imposé pour l'administration de leur legs un autre administrateur que les hospices. J'ai dit au contraire que quand cette disposition se trouvait dans une donation, elle était sacrée et qu'on ne pouvait pas accepter, qu'il fallait accepter ou refuser ; mais que pour l'avenir si des donations renfermaient de semblables dispositions, le gouvernement était à même d'accepter ou de rejeter. Voilà quelle est ma pensée et ce que j’ai dit textuellement. »
Vous invoquez le témoignage de M. Jullien pour vous arroger le droit de refaire les testaments, et M. Jullien vient protester à l'avance contre la pensée que vous lui prêtez ; il vous déclare formellement que lorsque le donateur a institué d'autres administrateurs, c'est une condition sacrée à laquelle le gouvernement ne peut pas déroger.
J'espère qu'il est impossible d’être plus clair.
On vient vous dire qu'il y a doute, et M. Jullien lui-même vous déclare que vous ne pouvez pas refaire le testament, que vous devez accepter ou refuser. C'est ce que nous disions aussi et c'est ce que nous disons encore. Eh bien, vote loi n'a qu’un but, c'est de violer la pensée de M. Jullien dont vous invoquez le témoignage.
De pareilles lois, messieurs, que sont-elles, en définitive ? Sont-ce des lois de justice ? Prendre le bien d'autrui, distraire la libéralité de la main à laquelle le bienfaiteur l'a confiée ; cela se voit dans les moments de révolution, mais cela ne se voit pas à des époques de calme. Ce sont des lois réactionnaires faites pour satisfaire de mauvaises passions et de pareilles lois n'ont pas de durée. Elles sont dangereuses pour le pays, elles sont fatales au pays. Dieu préserve mon pays de lois semblables. Ce sont des lois qui souillent nos Codes, ce sont des lois qui détruisent la liberté en tout et pour tout, car c'est encore à la liberté que vous portez atteinte et vous ne faites pas autre chose.
Vous avez violé la liberté de la tribune religieuse, vous avez voulu porter atteinte à la liberté de la presse ; aujourd'hui c'est la liberté du testateur que vous attaquez, c'est toujours la liberté que vous combattez et vous vous dites libéraux !
M. le président. - La discussion est close.
M. B. Dumortier. - Je proposerai à la Chambre de décider la question suivante :
« La loi aura-t-elle un effet rétroactif ? « (Interruption.)
M. Van Overloop. - Je propose d'ajouter à la suite de l'article :
« La loi n'aura pas d'effet rétroactif. »
M. Dolez. - Je ne crois pas, messieurs, que la question puisse être posée comme l'a fait l'honorable M. Van Overloop. Une loi interprétative ne rétroagit pas ; car elle ne porte atteinte à aucun droit acquis. Elle dit quel a toujours été le sens de la loi interprétée. Je comprends donc que, pour repoudre à la pensée qui a dicté l'amendement de M. Van Overloop, et pour écarter tout doute sur la nature de la loi, on dise par exemple : « Le n°2° de l'article 84 est, par voie interprétative, rédigé de la manière suivante. »
(page 1100) Je propose cette modification :
Par là il sera nettement déclaré que la loi est interprétative, et les principes suffiront à déduire les conséquences logiques et juridiques d'une pareille loi.
M. le président. - Nous sommes en présence de trois amendements, l'amendement de M. Dumortier, celui que vient de proposer M. Van Overloop et celui de M. Dolez. Je crois que ce dernier doit avoir la priorité.
M. de Naeyer. - On accorde toujours la priorité à l'amendement qui s'écarte le plus de la proposition principale. Or, la proposition de M. Dolez ne s'écarte pas du tout de la proposition principale ; au contraire, il a pour objet de déterminer le sens de la proposition telle qu'elle a été faite. C’est l'amendement de M. Van Overloop qui doit être mis le premier aux voix.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au fond il serait assez indifférent de voter d'abord sur la proposition de M. Van Overloop, mais ce serait contraire à l'ordre logique des idées. Ils faut avant tout qu’on détermine quel est le véritable sens de la disposition et c'est ce que fait M Dolez, en introduisant les mots « par voie interprétative ». Si la proposition de M. Dolez est adoptée, les autres amendements tombent.
M. Dolez. - Il me semble que la proposition de M. Van Overloop n'est pas un amendement à la loi, c'est la proclamation d’un principe sur lequel nous ne pouvons réellement pas voter.(Interruption.) Est-ce qu'il dépend de nous de dire que la loi aura ou n'aura pas d'effet rétroactif ? C'est un principe fondamental que la non-rétroactivité des lois. Nous ne pouvons pas détruire ce principe, c'est pour cela que tout à l'heure je me permettais de faire remarquer à la Chambre qu'il ne s'agissait en aucun cas de faire une loi rétroactive.
Vous faites une loi interprétative ou une loi nouvelle ; mais, dans aucun cas, vous ne faites une loi rétroactive, portant atteinte aux droits acquis, la formule de la proposition de l'honorable M. Van Overloop et donc fausse et ne répond à aucune idée que la Chambre puisse conserver ; c'est pour cela que je demande que la Chambre vote la question préalable sur cela.
M. de Theux. - Messieurs, je pense que la proposition de l'honorable. M. Van Overloop doit avoir la priorité ; elle constitue un véritable amendement.
La loi peut avoir deux effets ; or, nous déclarons, dans le sens de l'honorable M. Dolez, qu'en 1836 le pouvoir législatif a voulu ce que le ministère vous propose aujourd'hui et que c'est dans cet ordre d'idées que. les contestations seront jugées à l'avenir. L’honorable M. Van Overloop propose au contraire, de déclarer que cette loi n'est pas une loi interprétative, mais une loi modifiant l'article 84 de la loi communale.
Si la proposition de l'honorable M. Van Overloop est rejetée, alois viendra la proposition de l'honorable M. Dolez.
M. le président. - On a demandé la question préalable ; le débat doit porter uniquement sur la question préalable.
M. Van Overloop. - Messieurs, les lois peuvent être interprétées dans deux sens ; ou bien la loi interprétative se borne à fixer le sens d'une disposition législative au futur, ou elle le fixe avec effet, quant au passé ; eh bien, c'est précisément ce que je veux prévenir, et j'espère que la Chambre se ralliera unanimement à ma proposition. Je ne veux pas, que si la loi proposée par le gouvernement est adoptée, on puisse, à l'aide de cette loi, rétroagir sur les faits accomplis sous la loi ancienne, porter atteinte aux droits acquis des citoyens.
Si vous admettez la question préalable, la réponse sera la même. Le pays entier considérera l'adoption de la question préalable comme la consécration par la Chambre du principe que les lois peuvent avoir un effet rétroactif, un effet que l'on appelait crime en 1793 !
M. Pirmez. - Messieurs, nous avons deux espèces de lois, les lois interprétatives et les lois ordinaires.
Les premières remontent, quant à leurs effets, à la loi interprétée même dont elles éclairent le sens.
Les secondes n'ont d'effet qu’à partir du jour où elles sont promulguées.
Toute la question ici est de déterminer dans laquelle de ces deux catégories rentrera la loi que nous allons voter.
L'amendement de M. Dolez a pour objet de provoquer une décision sur ce point fondamental qui est évidemment celui qui est à trancher.
Si cet amendement est adopté, il sera reconnu que la loi actuelle est censée le texte même de la loi communale, et qu'elle remonte à sa date quant aux effets qu'elle produit.
Dans le cas contraire, elle n'aura pas des effets différents que si elle ne se rattachait pas à une loi antérieure.
M. Van Overloop ne se propose sans doute pas d'autre but que de faire vider ces questions par un vote de la Chambre ; je ne sais pas des lors pourquoi il ne se rallierait pas à l'amendement de M. Dolez, dont la portée est parfaitement claire et dont les termes ne soulèvent aucune difficulté.
M. B. Dumortier. - Messieurs, l'honorable M. Pirmez vient de définir parfaitement la question. L'amendement de l'honorable M. Dolez aurait cette portée : c'est que votre loi interprétative, annulant la loi ancienne, comme s'il n’y en avait pas eu, annule par le fait toutes les fondations qui oui été autorisées par arrêté royal depuis la loi de 1836. (Interruption.)
Cela est dans le rapport de la section centrale. Il faut qu'on sache ce qu'on vote. Écoutez :
« La loi aura donc tous les caractères d'une loi interprétative (c'est M. le ministre de la justice qui écrit cela à la section centrale). Mais dans l'application que le gouvernement aura à en faire, il tiendra compte de la manière différente dont l'article 84 a été entendu, et de la double interprétation administrative à laquelle il a donné lieu. Le gouvernement ne se propose pas de revenir sur tous les actes posés avant 1848, mais il doit mettre à l'abri de toute atteinte les actes administratifs postérieurs à cette époque. »
Ainsi le gouvernement, en disant qu'il ne se propose pas de revenir tous les actes antérieurs à 1848, déclare qu'il se réserve de faite tout ce qu'il voudra ; mais c'est de l'arbitraire !
Par conséquent, il voudra annuler toutes les fondations qui ont été créées par arrêté royal, depuis la loi de 1836. Est-ce là, messieurs, ce que vous voliez ? Il y a donc lieu de mettre aux voix la proposition de l’honorable M. Van Overloop avant celle de l'honorable M. Dolez ; il faut que la Chambre sache ce qu'on va voter, et son vote ne peut être compris que par le vote de la proposition de l’honorable. M. Van Overloop.
M. Orts. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
D’après le règlement, lorsque la question préalable est demandée, elle doit d'abord être mise aux voix ; eh bien, l'honorable M. Dumortier discute la question de savoir si on accordera la priorité à la proposition de l'honorable M. Van Overloop ou à l'amendement de l'honorable M. Dolez.
L'honorable M. Dolez ayant demandé la question préalable sur la proposition de l'honorable M. Van Overloop, cette question préalable doit d'abord être mise aux voix.
M. de Theux. - Messieurs, la question préalable, c'est tout simplement la violation de la Constitution. Les Chambres ont le droit d'amender les projets de loi. Or, de quelle manière s'exerce le droit d'amendement ? Par l'initiative d'un membre dans chaque Chambre. D'après la proposition du gouvernement et d'après l'amendement de l'honorable M. Dolez, la loi qui nous est soumise est une loi interprétative ; l’amendement de l'honorable M. Van Overloop consiste à dire que ce ne sera pas une loi interprétative, mais une loi modificative. Je dis donc que vous ne pouvez pas, sans violer la Constitution et le règlement, adopter la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Van Overloop ; ce serait dénier à la Chambre le droit d'amendement, ce serait une nouvelle atteinte, la plus attentatoire qu'on puisse imaginer, à nos prérogatives.
- La discussion sur l'incident est close.
M. le président. - Je mets aux voix la question préalable demandée par M. Dolez sur la proposition de M. Van Overloop.
- Des membres. - L'appel nominal !
-Il est procédé à cette opération.
97 membres sout présents.
62 répondent oui.
34 répondent non.
1 membre s'abstient.
En conséquence, la question préalable est adoptée.
Ont répondu oui : MM. Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, Jos. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Muller, Nelis, Neyt, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Tesch, Thiéfry, Alp. Vandenpeereboom, Ern. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Vervoort, Wala, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, H. de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Lexhy, Deliége, de Luesemans, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, Alb. Goblet, L. Goblet, Godin, Grosfils et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Janssens, Julliot, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Rodenbach, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Coomans, de Decker, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel.
S'est abstenu : M. de Renesse.
M. le président. - M. de Renesse, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
(page 1101) M. de Renesse. - Comptant m'abstenir sur l'article unique du projet de loi, j'ai aussi cru devoir m'abstenir sur toutes les questions posées à l'égard de cet article.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Dolez.
M. Vilain XIIII. - Je désirerais demander à l'honorable auteur de l'amendement s'il considère comme conséquence nécessaire de son amendement que tous les arrêtés qui ont été pris par les divers ministres qui se sont succédé, depuis 1836 jusqu'à 1847, seront considérés comme illégaux et nuls, c'est-à-dire que ceux qui auraient intérêt à en contester la légalité, par exemple les membres des bureaux de bienfaisance des communes où il a été institué des administrateurs par des actes testamentaires ou autrement, seront non seulement autorisés, mais obligés par le devoir de leurs fonctions, à se mettre en possession des fondations en question ? Je demande si l'honorable auteur entend que ces bureaux de bienfaisance auront le droit de se pourvoir vis-à-vis du gouvernement pour faire révoquer les arrêtés pris de 1836 à 1847 et faire annuler les conventions et détruire toutes les administrations spéciales actuellement en exercice ?
M. Dolez. - Je crois que la solution de la question que vient de me poser l'honorable M. Vilain XIIII n'appartient pas au législateur, dont la mission est de poser des règles générales et non de les appliquer à des cas particuliers ; je n'ai donc pas à répondre comme membre de la législature à une question qui porte sur ce qui devra se faire dans tel cas particulier. A toutes les époques j'ai émis cette doctrine et notamment dans une circonstance oh l'honorable M. d'Anethan, alors ministre de la justice, après avoir répondu à des hypothèses successives qui lui étaient posées par des membres de la Chambre, finit par invoquer lui-même cette doctrine que je venais d'émettre, comme je le fais en ce moment.
Je ne pense donc pas que, législativement parlant, nous puissions répondre à la question de l'honorable comte Vilain XIIII. La portée et les effets d'une loi interprétative ne sont pas douteux. Elle dit quel a été le sens de la loi interprétée, dès sa promulgation, mais elle n'enlève aucun des droits qui ont pu être acquis par une interprétation contraire donnée dans des cas particuliers. Si la Chambre vote la loi comme disposition interprétative de l'article 84 de la loi communale, tribunaux et gouvernement auront à l'appliquer d'après les règles que lui imprime sa nature. (Interruption.) Vous m'interrompez, messieurs de la droite, quand je réponds à une question que l'un de vous m'a posée et quand je le fais d'après d'incontestables principes !
M. le président. - Il y a eu une interpellation et une réponse, le débat est clos.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole pour ajouter un mot d'explication.
Messieurs, je ne comprends pas ces interpellations en présence de la déclaration formelle qu'a faite le gouvernement, déclaration qui est insérée dans le rapport de la section centrale. Je crois m'être expliqué avec toute la clarté et toute la franchise possible.
La jurisprudence sur l'article 84 a varié même de 1836 à 1847, surtout en ce qui concerne la spécialité des services ; tantôt on a rattaché à des administrations de bienfaisance des biens qui auraient dû être reins aux hospices, tantôt on a attribué à des hospices des biens qui devaient revenir à des administrations de bienfaisance ; d'autres fois, on a attribué à des fabriques d'église ce qui aurait dû être remis aux hospices ou aux bureaux de bienfaisance, ou à des établissements d'enseignement ; il y a eu différentes fondations créées de cette manière ; en 1848, la jurisprudence a changé, mais la jurisprudence admise à cette époque a été plus régulièrement suivie.
De la différence d’opinion sur l'article 84 et du changement de jurisprudence sont nées des difficultés, des complications sérieuses.
Il y a des cas qui exigent impérieusement que la loi soit interprétative ; là où la jurisprudence, les décisions de corps administratifs se trouvent en opposition avec des décisions judiciaires, il serait impossible d'en sortir si la loi n'avait pas ce caractère.
Nous avons déclaré que le gouvernement ne s'autoriserait pas de la loi pour apporter des modifications aux arrêtés pris avant 1847, à moins qu'il n'y ait absence complète de contrôle. Là où le contrôle n'existe pas nous aviserons aux mesures nécessaires, pour assurer le patrimoine des pauvres.
Dans l'exécution de la loi, nous agirons de manière à ne jeter aucune perturbation dans ce qui a été fait, la déclaration que nous avons faite, nous la répétons.
M. le président. - Je mets eux voix l'amendement de M. Dolez.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal.
Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :
97 membres répondent à l'appel.
60 répondent oui.
36 répondent non.
1 (M. Lelièvre) s'abstient.
En conséquence l'amendement de M. Dolez est adopté.
M. le président. - M. Lelièvre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que je considère l'amendement comme inutile, la loi, quel qu'en soit le caractère, devant, à mon avis, s'étendre à toutes les fondations créées antérieurement, et ce par les motifs que j'ai déduits dans mon discours d’hier.
Ont répondu oui : MM. Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Muller, Nelis, Neyt, Orban, Orts, Pierre, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Tesch, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Vervoort, Wala, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, H. de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, de Lexhy, Deliége, de Luesemans, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, A. Goblet, L. Goblet, Godin, Grosfils et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Janssens, Julliot, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Pirmez, Rodenbach, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Coomans, de Decker, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel.
M. le président. - Maintenant vient l'amendement de M. Dumortier tendant à ajouter à l'article du projet : « et sans qu'il soit permis au gouvernement de refaire le testament en violant la volonté du testateur. »
- Plusieurs membres à droite. - L'appel nominal i
M. le président. - Il va y être procédé. (Interruption.)
- L'appel nominal commence ; à l'appel de son nom, M. Jacquemyns répond non,
M. Dolez. - Il ne me paraît pas possible que la Chambre vote sur une pareille disposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une véritable injure faite au gouvernement.
M. le président. - Je dois, en toute justice, faire remarquer que l'appel nominal étant commencé ii doit continuer.
- L'appel nominal continue.
96 membres y prennent part.
33 répondent oui.
58 répondent non.
5 s'abstiennent.
En conséquence l'amendement de M. Dumortier n'est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Janssens, Julliot, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Rodenbach, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Coomans, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel.
Ont répondu non : MM. Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Muller, Nelis, Neyt, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Vervoort, Wala, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Lexhy, Deliége, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dubus, Frère-Orban, A. Goblet, L. Goblet, Godin, Grosfils et Verhaegen.
Se sont abstenus : MM. Tesch, H.de Brouckere, de Decker, de Luesemans et Dolez.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me suis abstenu, d'abord, parce que cet amendement a été mis aux voix au milieu de l'inattention de la Chambre et en quelque sorte par surprise ; et ensuite parce que, dans mon opinion, cet amendement n'est pas digne de la Chambre et que je n'ai pas cru devoir lui faire l'honneur d'un vote.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. H. de Brouckere. - Je n'ai pas voulu voter sur cet amendement, parce que, malgré toute ma bonne volonté, il m'a été impossible de le prendre au sérieux.
M. de Decker. - Je n'ai pas pu voter l'amendement parce qu'il était conçu dans des termes beaucoup trop absolus.
Sans doute, je veux que l'on entoure d’un respect pieux la volonté du testateur, surtout quand telle ou telle condition écrite dans son testament a été déterminante pour le testateur et particulièrement quand il a déclaré lui-même que son testeraient doit être considéré comme nul, si (page 1102) cette clause n'est pas respectée. Mais, d'autre part, je ne puis reconnaître à un testateur le droit de violer la loi.
M. de Luesemans. - Je me suis abstenu parce que je ne veux pas détruire des testaments ; mais j'aurais voulu voter sur un amendement sérieux et celui de l'honorable M. Dumortier ne l'était pas, selon moi.
M. Dolez. - J'aurais proposé la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Dumortier, parce que, dans mon opinion, il n'y avait pas lieu de délibérer sur une proposition dont le caractère n'était pas sérieux. C'est parce que déjà l'appel nominal était commencé quand j'ai su qu'on la mettait aux voix, qu'il m'a été impossible de formuler la question préalable qui, j'en suis convaincu, eût répondu aux vœux de l'unanimité de nos amis. Tous ceux d'entre eux qui ont voté contre l'amendement de l'honorable M. Dumortier ne l'ont fait que parce qu'il le fallait bien, pour qu'il ne fût pas adopté, et nullement parce qu'ils le considéraient comme pouvant servir à préciser d'une manière sérieuse la portée de la loi.
Dans l'opinion de mes amis comme dans la mienne, la seule chose qu'il y eût à faire, c'était d'écarter la proposition par la question préalable. Je n'ai donc pu ni voter pour ni voter contre.
M. le président. - Il nous reste à voter sur l'article du projet de loi.
M. B. Dumortier. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel.
- Plusieurs voix. - Au vote ! Au vote !
M. B. Dumortier. - M. le ministre de la justice est venu prétendre que non amendement aurait été présenté par surprise.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai rien dit de semblable.
M. B. Dumortier. - Vous l'avez dit. (Interruption.)
- Voix nombreuses à gauche. - C'est inexact.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai dit qu'il avait été en quelque sorte voté par surprise.
M. B. Dumortier. - Eh bien, je demande si l'on peut tenir un pareil langage à propos d'un amendement qui est imprimé depuis trois jours.
M. le président. - M. le ministre de la justice n'a pas dit que votre amendement avait été présenté, mais voté au milieu de l'inattention de la Chambre.
M. B. Dumortier. - L'attention de la Chambre ne peut pas être surprise quand il s'agit d'un amendement qui est imprimé depuis trois jours.
M. le président. - En voilà assez sur ce point.
M. le président. - Nous avons maintenant à voter sur l'article du projet ; il est ainsi conçu :
« Article unique. Le n°2 de l'article 84 de la loi communale du 30 mars 1836 est, par voie interprétative, rédigé en ces termes :
« Art. 84. Le conseil nomme : (…)
« 2° Les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, sans préjudice à l'intervention des administrateurs spéciaux établis dans les limites déterminées par l'arrêté du 16 fructidor an XI et par le décret du 31 juillet 1806.
« Cette nomination est faite pour le terme fixé par la loi.
« (La suite comme à l'article 84, sauf le dernier paragraphe du n°2: « Il n'est pas dérogé (…) » qui est supprimé.)
- Quelques voix à droite. - Il y a un amendement ; il doit y avoir un second vote. (Réclamations à gauche.)
M. le président. - La Chambre est-elle d'avis de procéder immédiatement au second vote ?
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement ; il doit y avoir deux jours francs entre le premier et le second vote quand un projet de loi est amendé.
Je demande que cet article soit exécuté.
- Voix nombreuses à gauche. - Non ! non !
M. le président. - Je mets de nouveau aux voix l'amendement de M. Dolez.
- Cet amendement est définitivement adopté.
L'article ainsi amendé est mis aux voix par appel nominal.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet.
En voici le résultat :
97 membres répondent à l’appel nominal.
62 votent pour le projet.
34 votent contre.
1 (M. de Renesse) s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis an Sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Muller, Nélis, Neyt, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Tesch, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Leempoel, Vervoort, Wala, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, H. de Brouckere, Dechentinnes, De Fré, De Lexhy, Deliége, de Luesemans, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, A. Goblet, L. Goblet, Godin, Grosfils et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. Janssens, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Rodenbach, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Coomans, de Decker, de la Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier et d'Ursel.
M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Renesse. - Ayant voté, en 1834 et 1836, la dernière disposition du paragraphe 2 de l'article 84 de la loi communale dans le sens que l'on pourrait encore, dans le futur, fonder des établissements de charité ayant des administrateurs spéciaux, toutefois avec l'autorisation et sous le contrôle du gouvernement, je crois ne pas pouvoir modifier mes votes antérieurs, d'autant plus que mon opinion sur la portée de cette dernière disposition de cet article était conforme à l'interprétation qui lui avait été donnée par la législature d'alors et par tous les ministres qui se sont succédé jusqu'en 1847.
Désirant toutefois que cette question si irritante, qui n'a eu que trop de retentissement depuis quelque temps, disparaisse du programme du gouvernement et du parlement, je préfère qu'elle reçoive actuellement une solution d'une manière ou de l'autre, pour qu'elle ne reste plus pendante devant la législature au moment où nous avons le plus grand besoin de rester tous unis. J'ai donc cru plutôt devoir m'abstenir que de repousser une disposition qui doit terminer des conflits regrettables et paraît devoir obtenir l'assentiment d'une grande partie de la Chambre.
- La Chambre fixe sa prochaine séance à mardi, à 2 heures.
La séance est levée à 6 heures et un quart.