(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 961) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Moor fait l’appel nominal à 3 heures et quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
-- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Castiau prient la Chambre de rejeter la proposition concernant l'appel des électeurs par ordre alphabétique et d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »
« Même demande d'habitants de Bruxelles, Jambe, Gilly, Putte, Hulsonniaux, Chevetogne, Saint-Nicolas, Winghe, Hoboken, Mortsel, Brasschaet, Contich, Itegem, Hove, Deurne, Broechem, Oorderen, Lillo, Santhoven, Zuyenkerke, d'une commune non dénommée, de Wichelen, Durnal, Leignon, Ciney, Willebroeck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale.
« Des habitants de Brasschaet prient la Chambre d'adopter le projet de loi concernant le vote par ordre alphabétique. »
« Même demande d'habitants de Tirlemont, d'électeurs, propriétaires, cultivateurs, fabricants industriels et autres habitants de l'arrondissement de Bruges. »
- Même décision.
« Des habitants de Poucques prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique et demandent 1° le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abolition de l'impôt sur le débit des boisons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral ; 3° l'attribution au fermier, pour compléter le cens, du tiers de la contribution foncière payée par le propriétaire. »
- Même décision.
« Des habitants de Nodebais prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique et demandent : 1° le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abolition de l'impôt sur le débit des boissons ou du moins de la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral.
« Même demande d'habitants de Marbais, Ophain Bois-Seigneur-Isaac, Arbre, Bois-de-Villers, Lestre, Bonlez Courrière, Florée, Assesses, Evere, Bois-d'Haine, Rixensart, Haut-Ittre, Auderghem, Tervueren, Beveren, Snelleghem, Lapscheure, Bouchout, Westmalle, Oostmalle, Wuestwezel, Wommelghem, Saint-Riquier, Pulle, Itegem, Varssenaere, Poperinghe, Watou, Overmeire, Lippeloo, Gheel, Waerloos, Hanst, Berchem, Aertselaer, Saint-Léonard, Stabroeck, Lophem, Oeteghem, Hoeleden, Ramscappelle, Wiekevorst, Reeth, Vremde, Ciney. »
- Même décision.
« Des habitants de Worteghem prient la Chambre de rejeter la proposition concernant le vote par lettre alphabétique et demandent : 1° que les électeurs soient appelés à se réunir dans la commune, sauf à faire voter ensemble des communes contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° qu'il soit pris des mesures pour augmenter le nombre des électeurs des communes rurales. »
- Même décision.
« Des habitants de Waesmunster prient la Chambre, si elle se prononce pour la proposition du vote par ordre alphabétique, dont ils demandent le rejet, de décider que les électeurs seront réunis dans la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »
- Même décision.
« Des habitants de Tamise demandent le rejet de la proposition concernant l'appel des électeurs par ordre alphabétique et prient la Chambre de décider que les électeurs seront réunis au chef-lieu du canton. »
- Même décision.
« Des habitants de Brecht demandent le rejet de la proposition concernant le vote par ordre alphabétique et prient la Chambre de faire réunir les électeurs dans la commune, »
- Même décision.
« Des habitants de Saint-Paul demandent le rejet de la proposition concernant le vote par lettre alphabétique. »
« Même demande d'habitants d'Anvers, Saint-Nicolas, Brecht, Saint-Gilles et Malines. »
- Même décision.
« Des habitants de Kemseke demandent le rejet de la proposition relative au vote par lettre alphabétique et prient la Chambre de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »
- Même décision.
« Des habitants de Cortemarcq demandent le rejet de la proposition concernant l'appel des électeurs par ordre alphabétique et le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n’auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs. »
« Même demande d'habitants de Sulsique. »
- Même décision.
« Des habitants de Bossuyt prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique, de faciliter l'exercice du droit électoral et d'abolir la loi qui admet dans le cens électoral l'impôt sur le débit des boissons distillées. »
« Même demande d'habitants de Rolleghem, Moen et Deerlyk. »
- Même décision.
« Le sieur Van Belle demande que le cens différentiel soit rétabli ; que les droits de consommation sur les boissons distillées et sur le débit de tabac ne puissent plus compter dans le cens électoral ; que le vote ait lieu à la commune, sauf à réunir les communes contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; que le scrutin de liste soit aboli et que les circonscriptions électorales soient de 40,000 âmes. »
- Même décision.
« Le sieur Dierckx réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une somme de 2,500 fr. à titre de dommages constatés à ses cristaux revenus de l'exposition universelle de Londres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Cornet prie la Chambre de faire réviser la décision de la députation permanente de la province de Namur qui réforme définitivement le milicien Jacques Henri. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des tanneurs à Audenarde prient la Chambre de rejeter le projet da loi portant suppression du droit de sortie sur les écorces à tan. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Hoossens prie la Chambre de le faire indemniser des pertes qu'il a éprouvées par suite des événements de guerre de 1830 et 1831.»
M. Vanden Branden de Reeth. - Je proposerai le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Des médecins dans l'arrondissement de Namur présentent des observations sur le projet de loi relatif à la police et à la discipline médicales. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la matière.
— Adopté.
« Le sieur Lepère demande qu'il soit donné suite à sa pétition ayant pour objet une augmentation de pension et une place de commissaire voyer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des exploitants de charbonnages, industriels, négociants et bateliers, dans les arrondissements de Charleroi et de Namur, prient la Chambre de voter les fonds nécessaires à l'exécution des travaux d'approfondissement de la Sambre dans tout son parcours de la frontière à Namur. »
M. Lelièvre. - La pétition est parfaitement fondée, et comme elle a un caractère évident d'urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission qui sera invitée à faire un prompt rapport.
M. Sabatier. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Lelièvre.
- La proposition de M. Lelièvre est mise aux voix et adoptée.
« M. d'Hoffschmidt, obligé de s'absenter, demande un congé. »
- Accordé.
« M. de la Coste, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« M. le ministre de l'intérieur transmet des explications sur la pétition du sieur Verbrugghe, se plaignant de l'arrestation de son fils mineur, et demande qu'il soit donné lecture de ces explications »
M. le président. - La Chambre ne jugerait-elle pas utile d'insérer ces explications aux Annales parlementaires ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'agit du milicien à l'égard duquel j'ai déjà donné des explications, c'est un fait isolé. Le document que j'ai adressé à la Chambre est assez loun. On pourrait le renvoyer à la commission, qui examinerait s il y a lieu de l'imprimer.
- Cette proposition est adoptée.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Goldschmit (Jean) directeur de tanneries, demeurant à Virton. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président. - La Chambre a chargé le bureau de nommer la commission chargée d'examiner le projet relatif à l'érection de la (page 962) commune de Naninne. Cette commission est composée de MM. Lelièvre, Godin, de Smedt, de Moor et Orban.
M. Moreau. - Messieurs, la section centrale s'est livrée aujourd'hui longuement à l'examen, tant de aà proposition signée par M. Malou et d'autres membres de la Chambre que des observations faites par M. le ministre de l'intérieur sur les difficultés que présenterait dans l'application une des dispositions du projet de loi de la section centrale.
D'abord après avoir entendu les auteurs de l'amendement qui ont invoqué en sa faveur les considérations qu'ils avaient déjà fait valoir en séance publique, elle n'a pas admis, à l'unanimité des 7 membres présents, l'amendement de l'honorable M. Malou.
Dans son opinion, la mesure proposée détruirait dans une de ses bases, dans un de ses principes essentiels, l'œuvre du Congrès national.
Lorsque, en 1831, cette assemblée constituante décréta la loi électorale, elle eut soin de décider que les électeurs devaient se réunir au chef-lieu du district, pour y exercer leurs droits électoraux, parce qu'elle avait compris que c'était en s'assemblant dans une même ville et en grand nombre que les électeurs auraient plus de facilités pour se concerter et s'éclairer sur les choix qu'ils avaient à faire.
Le Congrès avait senti également que c'était en conservant au corps électoral son unité, cet ensemble qui ne peut exister que lorsqu'il se réunit dans un même endroit, qu'on pouvait rendre ce corps homogène et faire régner entre tous ses membres cette union si désirable qui fait sa force et est en même temps une des garanties les plus fortes de la bonté des choix qu'il est appelé à faire.
Aussi quoique en 1831 les moyens de communication fussent loin d'être aussi multipliés et aussi faciles qu'ils le sont maintenant, n'a-t-on pas hésité à fixer l'assemblée des électeurs au chef-lieu, sans s'inquiéter si quelques-uns d'entre eux éprouveraient quelques difficultés pour avoir accès à l'urne électorale.
La section centrale d'ailleurs pense que diviser, comme le demande l'honorable M. Malou, les électeurs dans des sections dont le nombre maximum serait en général de 200, ce serait faire chose en opposition directe au but qu'elle se propose d'atteindre par les amendements en discussion,
Car il est évident que lorsque les sections seraient formées de 200 et même de beaucoup moins d'électeurs (aucun minimum n'est fixé], il serait extrêmement facile de livrer l'électeur à cette pression, à ces investigations, à ces influences illégitimes contre lesquelles nous voulons le garantir.
Alors chacune de ces petites sections deviendrait un foyer d'intrigues et d'abus de tout genre.
Alors une surveillance active, incessante, un contrôle illicite s'exerceraient aisément sur les actes de quelques électeurs isolés au moment du vote et après.
Dans l'opinion de la section centrale, un semblable système aurait pour résultat d'asservir l'électeur, de fausser les élections, d'en détruire la sincérité et ainsi de porter l'atteinte de plus grave à la liberté et à nos institutions nationales.
Il n'atteindrait pas même le but qu'on se propose, il n'établirait pas encore cette égalité parfaite entre tous qu'on préconise, égalité qui n'existerait sous ce rapport que par le vote à la commune, égalité qui d'un autre côté est singulièrement compromise, en cas de scrutin de ballottage, scrutin qui deviendrait bien plus nombreux qu'auparavant lorsque par suite de l'isolement dans lequel on aura placé les électeurs, ils n'auront plus les mêmes moyens de se concerter pour fixer leur choix.
Quant aux difficultés que présenterait dans l'application une des dispositions que la section centrale propose, le temps lui a manqué pour vous proposer une solution sur ce point. Elle continuera sa délibération sur cet objet.
M. Coomans. - Je propose de remettre la discussion à demain.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi à demain ?
M. Malou. - Parce qu'il n'y a pas de rapport.
M. Allard. - Messieurs, nous sommes saisis d'un projet de loi et d’un amendement de M. Malou. Il me semble qu'il y a lieu de continuer la discussion.
M. Malou. - Messieurs, la Chambre dans la séance d'hier si j'ai bien compris le vote, a décidé que la proposition de la section centrale et notre amendement étaient renvoyés à cette section pour qu'elle fît un rapport. Cette connexité reconnue indique, ce me semble, que la discussion doit porter sur les deux objets à la fois.
Il est quatre heures. La section centrale avait eu le temps de mûrir la question de savoir si le vote par ordre alphabétique est bien pratique. Je m'étonne, je dois le dire, qu'elle ait pu si promptement apprécier les effets de notre proposition, et que la proposition qui provient de son initiative et qu'elle a méditée dans le silence du cabinet, lui crée, au dernier moment, de si graves préoccupations.
(page 964) M. Orts. - Messieurs, il y a, entre les deux propositions que la section centrale avait à examiner, une différence que l'honorable, M. Malou ne paraît pas avoir saisie.
La proposition dont l'honorable M. Malou s'est fait hier l'éditeur responsable en première ligne, et qu'il présente de commun accord avec quatre de ses honorables collègues, est une proposition très vieille pour nous ; nous connaissons de longue date le vote à la commune et le vote au canton.
M. Malou. - Ce n'est point cela.
M. Orts. - Pardonnez-moi ; c'est parfaitement cela.
C'est une petite combinaison qui a pour père et mère les deux idées, et l'enfant a tout à fait un air de famille ; nous l'avons reconnu tout de suite : cela ne nous sera pas difficile à démontrer à ceux qui auraient été moins clairvoyants que nous.
Le vote à la commune comme le vote au canton est une vieille machine de guerre que nos adversaires et nous avons méditée et discutée depuis longtemps ; de sorte que, sur ce terrain, tout le monde est parfaitement préparé.
Il n'y a donc pas de difficultés à continuer la discussion sur le point de savoir si l'on maintiendra le système actuel de la loi électorale, ou si on substituera le fractionnement nouveau, que les honorables MM.de Theux et Malou proposent aujourd'hui en commun, de même qu'en 1842, ils proposaient le fractionnement des élections communales, fractionnement qui a été si utile, comme chacun sait, aux hommes qui l'avaient enfanté. Nous pouvons donc parfaitement discuter sur ce terrain.
Maintenant, quant aux propositions de la section centrale, celle-ci connaît parfaitement aussi son système, et je suis convaincu qu'elle est toute préparée à le défendre, même contre les objections tirées de la difficulté pratique de le réaliser.
Mais, ce que la section centrale ne connaît pas bien, ce que les débats ultérieurs mettront sans doute en lumière, ce sont les difficultés pratiques qu'on nous a annoncées et qu'on ne nous a pas démontrées jusqu'à présent.
Or, l'examen de ces difficultés annoncées et non pas encore justifiées, fait partie de la discussion des articles ; et lorsque nous aurons examiné si en principe il y a lieu d'inscrire l'ordre alphabétique dans la loi, nous verrons, lors de la discussion des articles, si le mécanisme, proposé pour réaliser ce principe, est susceptible de marcher convenablement, soit aux élections prochaines, soit à une autre époque à déterminer.
Rien n'empêche dès lors de continuer la discussion.
(page 962) M. de Theux. - Messieurs, la marche qu'on propose est véritablement irrégulière ; le rapport sur notre proposition vient d'être lu et on demande qu'à l'instant même on le discute. On se montrerait si rigoureux pour notre proposition, et l'on aurait toutes les complaisances possibles pour la proposition de la section centrale ! Cela n'est pas possible. Je ne pense pas que la Chambre puisse avoir deux poids et deux mesures.
M. Coomans. - Messieurs, je répondrai à l'honorable M. Orts que les grands partisans du fractionnement sont moins nombreux sur nos bancs que sur les siens. On n'y fait que des fractionnements depuis plusieurs jours ; on a fractionné les propositions du gouvernement et de la section. Or, on veut maintenant fractionner son rapport. En voilà assez de fractionnements.
La Chambre a décidé que nous aurions un rapport de la section centrale sur deux points nettement désignés.
La section centrale nous apporte un rapport fractionné, elle nous demande de nous prononcer sur la partie la plus importante du projet qu'elle a examinée, expédiée rapidement, et quand nous lui demandons son avis sur son propre travail, elle vient nous dire qu'elle doit méditer encore.
Cela n'est pas sérieux ; le projet forme un tout, nous demandons qu'on le discute dans son entier, loyalement, franchement. Aux termes du règlement, nous avons encore raison, car aux termes du règlement, après la présentation d'un rapport il faut un intervalle de deux jours avant d'eu aborder la discussion.
(page 974) M. Orts. - Je peux avoir aidé à fractionner bien des choses mais ma conscience est parfaitement à l'aise sur ce point que je n'ai jamais cherché, que je ne chercherai jamais à fractionner les élections. C'est là un fait que toutes les plaisanteries de l'honorable membre ne parviendront pas à faire disparaître.
On nous dit qu'il n'y a qu'un rapport verbal de la section centrale, et que quand il n'y a qu'un rapport de ce genre on ne peut en aborder immédiatement la discussion.
Quand la Chambre s'est occupée de la loi sur la charité, mes honorables amis politiques ou moi, nous avons présenté des amendements contre le projet dans la discussion, et l'honorable M Malou nous a exécutés aussi sommairement que je demande qu'on l'exécute aujourd'hui, en renvoyant alors nos amendements à la section centrale qui faisait son rapport à l'ouverture de la séance et la discussion continuait.
Nous traitons ceux qui étaient la majorité d'alors par la loi du talion.
On me parle maintenant du règlement. Ce règlement serait une difficulté plus grave si en l'invoquant on était dans l'exactitude de l'esprit et de la lettre du règlement. Le règlement ne dit pas qu'après un rapport sur un ou des amendements on ne pourra continuer la discussion générale que deux jours après la distribution de ce rapport. Le règlement dit que sur la proposition principale la discussion ne peut s'ouvrir que deux jours après que le rapport a été distribué.
Le règlement n'a rien à faire ici.
(page 962) M. Malou. - L'honorable M. Orts rappelle des précédents qui sont vrais, mais il les rappelle d'une manière incomplète. Plus d'une fois des sections centrales ont fait un rapport sur des amendements qui leur ont été renvoyés, et la discussion a continué ; mais il y avait un rapport sur tous les objets qui lui avaient été renvoyés et on continuait la discussion telle qu'elle était avant le renvoi.
C'est ainsi que les choses se sont passées à propos des amendements présentés au projet de loi sur la charité ; jamais on n'a demandé qu'on discutât une partie d'un amendement et pas l'autre. Cela est contraire aux usages de la Chambre ; c'est d'ailleurs matériellement impossible ; il y a entre les diverses propositions une connexité qui ressort de la nature des choses. Le vote par ordre alphabétique, si notre proposition est adoptée, je le veux bien. Il faut donc examiner simultanément les deux propositions
L'observation que j'ai faite tout à f heure subsiste dans toute sa force. D'après le règlement, il doit y avoir une discussion générale ; quels que soient les obstacles que la proposition de la section centrale rencontre dans son sein, je désire que ces obstacles soient levés le plus tôt possible, je demande que la discussion générale porte sur l'un et l'autre objet.
M. le président. - Je dois justifier la section centrale du reproche qui vient de lui être adressé. La section centrale a été convoquée ce matin pour examiner deux choses : les observations de M. le ministre de l'intérieur et les amendements de M. Malou et ses amis.
La section centrale a entendu les honorables MM. Malou et ses amis, et c'était pour ne pas les faire attendre qu'on les a introduits à l'heure fixée.
Ces messieurs ayant été entendus, la section centrale s'est occupée de leur amendement, et au moment où elle avait fini cet examen, le temps était venu d’ouvrir la séance publique. La section centrale n'a donc pas eu le temps de s'occuper des observations de M. le ministre de l'intérieur, quant aux moyens d’exécution de la mesure proposée.
M. Malou. - La section centrale s'était réunie une heure avant pour s'occuper des deux objets.
M. Devaux. - La prétention qu'on émet ne tend rien moins qu'à empêcher désormais le renvoi d'amendements à la section centrale. Or, c'est là une mesure extrêmement utile aux discussions. Si l'on établit le principe que chaque fois qu'une proposition sera renvoyée à la section centrale, il faudra attendre, pour continuer la discussion, que le rapport soit déposé et même qu'il se soit écoulé trois jours depuisl|e dépôt, autant vaut décider immédiatement qu'il n'y aura plus de renvoi à la section centrale pendant une discussion. Quand la Chambre a ordonné le renvoi à la section centrale de l'amendement des honorables MM. Malou, de Theux, etc., il a été parfaitement entendu et dit sur nos bancs que ce renvoi n'aurait pas pour effet d'interrompre la discussion jusqu'au dépôt du rapport.
Je conçois qu'il n'y ait pas de vote avant que la section centrale ait présenté son rapport, que la discussion générale reste ouverte ; mais pourquoi ne pas continuer la discussion générale sur le principe du projet de loi et sur le principe du système de MM. Malou et de Theux ? Je n'en vois d'aucune raison. Vous auriez pu présenter votre amendement pendant la discussion des articles, la section centrale aurait pu ne pas présenter aujourd'hui de rapport, eh bien, n'est-il pas évident que la discussion eût continué ? Pourquoi donc devrait-il en être autrement, alors surtout que nous sommes encore dans la discussion générale et que votre amendement devra être examiné de nouveau, d'ailleurs, quand nous arriverons à la discussion des articles ?
Il n'y a donc aucun motif pour ne pas continuer la discussion générale.
(page 963) M. Coomans. - Messieurs, nous discutons sur bien peu de chose : la section centrale nous apportera demain, je l'espère, la seconde moitié de son rapport. Eh bien, faut-il, pour 15 minutes que durerait peut-être encore la séance, insister pour que la discussion continue aujourd'hui ? Je le répète, demain nous aurons la seconde partie du rapport de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Peut-être.
M. Coomans. - Assurément, si on le veut bien. Trouvez-vous donc un si grand plaisir d'entendre pendant dix minutes l'un ou l'autre d'entre nous pour qu'il faille continuer la discussion en l'absence du rapport de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en a un.
M. Coomans. - Mais non ; la section centrale vient de dire elle-même qu'elle n'a pu présenter que la moitié de son travail.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il s'agit de la discussion générale.
M. Coomans. - Soit ; mais la discussion ne continuerait guère aujourd’hui pendant plus de dix minutes.
M. Muller. - L'honorable M. Coomans et ses collègues de la droite raisonnent maintenant comme si la Chambre n'était pas eu présence d'un projet de loi qui lui est soumis par la section centrale, qu'elle n'a nullement retiré, et d'un amendement qui lui a été renvoyé et sur lequel elle vient de faire rapport. Eh bien, messieurs, si la prétention qu'on vient de développer devant vous pouvait être admise il en résulterait qu'il n'y aurait plus de discussion possible dans la Chambre sans pertes de temps infinies. Vous avez à discuter l'amendement de l'honorable M. Malou et de ses amis politiques, vous avez à discuter le projet de la section centrale, et quant aux observations qu'elle pourra vous présenter à la suite de la conférence qu'elle a eue et de celle qu'elle peut avoir encore avec M. le ministre de l'intérieur, cela ne doit nullement arrêter le cours de nos débats.
Si vous n'invoquiez le peu de temps que durerait encore la séance d'aujourd'hui, nous pourrions peut-être nous mettre d'accord, quoique je sois d'avis que nous pourrions très utilement en consacrer le reste à la discussion ; mais au point de vue du principe, comme précédent, vous avez évidemment tort.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je crois que les honorables membres de la gauche qui désirent la continuation de la discussion perdent de vue ce qui a amené le renvoi à la section centrale, et c'est précisément ce qui a amené le renvoi à la section centrale qui rend aujourd'hui impossible de discuter sans un rapport.
Que s'est-il passé ? M. le ministre de l'intérieur est venu présenter des difficultés d'exécution, des impossibilités d'exécution dans certaines hypothèses. D'une autre part, de plusieurs bancs un mot est parti demandant l’ajournement du projet de loi, et c'est sur ces deux points que le renvoi a été ordonné à la section centrale.
Messieurs, s'il arrivait que la section centrale vînt à proposer l'ajournement, à quoi servirait-il de continuer la discussion ? Evidemment la situation serait tout autre. La question qui se présente est tout à fait transformée depuis ce renvoi.
Maintenant, en présence de quoi vous trouvez-vous ? Vous vous trouvez en présence d'un rapport sur l'accessoire et de rien sur le principal ; et l'on nous dit de discuter le principal ? Mais je suppose que j'aie la parole pour discuter le principal ; je demanderai d'abord à l'honorable M. Muller ce que je dois examiner. Est-ce la motion d'ajournement ? Sont-ce les difficultés que soulève l'exécution de la mesure ? Est-ce le rapport que la section centrale doit faire et qu'elle n'a pas fait ?
Et ici je prendrai la confiance d'appeler l'attention de l'assemblée sur un mot qui a été prononcé tout à l'heure. On disait sur les bancs de la droite que la section centrale pourrait faire demain son rapport. Mais, j'ai entendu dire au banc ministériel que peut-être la section centrale n'aurait pas fini demain son travail. Alors, comment voulez-vous que la discussion continue ? Discuter est impossible. Car c'est le principe lui-même qui est tenu en suspens à la section centrale, et vous voulez que nous examinions ce principe ? Mais cela reviendrait à demander la clôture avant l'examen.
Il est donc évident que, dans la situation tout à fait exceptionnelle faite à ce projet, qui n'est pas parti de l'initiative du cabinet, qui n'est pas accepté, comme vous l'avez vu, par le cabinet, il faut que les membres qui l'ont présenté se mettent d'accord entre eux pour savoir ce qu'ils veulent.
Nous ne pouvons délibérer sur une proposition, lorsque les auteurs de cette proposition ne savent pas ce qu'ils veulent.
Messieurs, je ne suis pas partisan des renvois à la section centrale. Je les ai toujours combattus, parce que je les regarde comme des moyens propres à prolonger les débats ; je l'ai déjà dit, lorsque la Chambre travaillait beaucoup, elle ne renvoyait pas à la section centrale ; elle discutait. L'honorable M. Lebeau, qui siège depuis longtemps dans cette enceinte, le sait comme moi.
Mais enfin, depuis quelques années, on a adopté ce mode. Or, quand on renvoie à la section centrale, par le fait même on suspend l'examen de l’article renvoyé jusqu'à ce que le rapport soit fait et l'on passe à d'autres articles. C'est ainsi qu'on a procédé encore dans la discussion du Code pénal.
Mais ici ce n'est pas un article qui est renvoyé à la section centrale, c'est le principe même du projet. Comment voulez-vous établir une discussion sur un principe dont l'examen est suspendu en ce moment par ceux-là mêmes qui l'ont présenté ?
Je dis que cela est déraisonnable, que cela est impossible.
Je regrette, messieurs, que le débat ne puisse pas continuer, car je désire que cette question se vide ; mais enfin la situation est créée par la section centrale elle-même, par la volonté de la Chambre, et je ne comprends pas comment on pourrait continuer la discussion d'un projet que la Chambre a déclaré devoir être soumis à un nouvel examen et qui n'a pas subi cet examen.
Je pense que nous devons attendre le rapport de la section centrale et je prie la section centrale de vouloir bien faire ce rapport dans le plus bref délai possible.
Quant au temps qui reste, nous pouvons l'employer utilement à discuter divers objets d'importance secondaire que nous avons à l'ordre du jour. C'est la marche qu'on a suivie dans la discussion du Code pénal.
(page 974) M. Orts. - L'honorable M. Dumortier paraît croire que nous ne pourrions pas utilement continuer le débat, faute de questions qui puissent être examinées par la Chambre. Il est d'avis, comme moi, que le renvoi à la section centrale de propositions incidentes présente un désavantage, c'est de prolonger les discussions sans y apporter beaucoup de lumières.
J'aurai l'honneur de faire à la Chambre une proposition qu'elle pourra discuter immédiatement, et j'espère que si l'on en demandait le renvoi à la section centrale, l'honorable M. Dumortier voudra bien se joindre à moi pour combattre ce renvoi.
Je proposerai à la Chambre de procéder comme elle l'a fait en plusieurs circonstances, par question de principes. Cela simplifiera beaucoup les débats parce que, le principe écarté, il devient inutile de s'occuper des questions accessoires qui peuvent en découler.
Si la Chambre entend suivre cette méthode, je la prie de vouloir bien discuter la question de principe que voici :
Il n'y a pas lieu de modifier les circonscriptions électorales actuelles.
(page 963) M. B. Dumortier. - Messieurs, ce que propose l'honorable M. Orts serait la violation du règlement de la Chambre, et je m'étonne que l'honorable vice-président ne s'en soit pas aperçu.
Que porte en effet le règlement ? Les amendements sont mis aux voix avant la question principale.
Cela se fait après la clôture de la discussion, et ce que veut l'honorable député de Bruxelles, c'est qu'on mette aux voix l'amendement avant la clôture des débats.
M. Malou. - La majorité statuera sur la proposition que j'ai faite de concert avec d'honorables amis. Mais je lui demande d'en accepter la discussion franche et complète et qu'on n'ait pas recours à des moyens de procédure pour empêcher que la signification du vote soit comprise par e pays.
Si je n'espère pas que la majorité actuelle adopte notre proposition, j'ai le droit de demander qu'on la discute conformément au règlement. Le règlement, on l'a dit bien des fois, est la protection des minorités ; or, le règlement n'admet pas des questions de principe posées comme celle-là. Il veut une discussion d'ensemble sur la proposition principale et sur les amendements, tandis que l'honorable M. Orts propose de discuter isolément un principe négatif dont l'adoption écarterait mon amendement et tous ceux qu'on a encore le droit de proposer dans le cours de la discussion.
M. le président. - On n'est pas d'accord sur le point de savoir si la discussion générale continuera aujourd'hui. Je vais consulter la Chambre à cet égard.
- La Chambre décide que la discussion générale continue.
M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, les discours de mes honorables amis, MM. Muller et E Vandenpeereboom ont singulièrement simplifié ma tâche.
Il est bon cependant, ce me semble, de vous rappeler encore, ainsi qu'au pays, quelle est l'origine du projet de loi que nous discutons afin qu'on en saisisse mieux la signification et la portée.
Depuis longtemps déjà ont surgi dans la presse et ailleurs des plaintes fondées sur ce que dans les sections électorales formées comme elles le sont aujourd’hui, on ne respectait ni l'indépendance ni la liberté de l'électeur, sur ce qu'on violait le secret des votes, en se livrant à des manœuvres qui faussaient notre système électoral et par conséquent avaient pour résultat de porter une grave atteinte à la sincérité de nos institutions qu'il est cependant de notre devoir de faire respecter et de maintenir intactes.
Je ne veux pas examiner, messieurs, quels sont ceux qui se livrent à ces actes répréhensibles. Peu m'importe qu'on les impute à l'un ou à l'autre parti, il suffit que ces faits existent pour qu'ils attirent sérieusement notre attention.
Il était donc naturel que l'opinion publique se préoccupât de cet état de choses et qu'on recherchât ce qu'il y avait de mieux à faire pour réprimer ces abus et tâcher de rendre à la loi électorale une exécution plus régulière et plus sincère, en soustrayant les électeurs à toute pression illégale.
Eh bien, messieurs, on a signalé comme pouvant atteindre ce but louable et porter remède au mal existant, ce qu'on appelle le vote par ordre alphabétique. Et les sections, en s'occupant du projet de loi sur l'augmentation des membres de la législature, ont saisi cette occasion pour soumettre cette question à l'examen de la section centrale.
C'était donc une obligation pour celle-ci de satisfaire aux vœux exprimés par les sections, en la discutant, et c'est ce qu'elle a fait.
La section centrale, après mûr examen, convaincue que la mesure proposée apporterait des améliorations notables à notre régime électoral et cela sans léser les droits d'aucun électeur, sans empêcher en fait à aucun d'eux l'exercice de ses droits ou le rendre plus difficile, la section centrale, dis-je, a admis d'abord cette proposition en principe et l'a formulée ensuite dans des amendements dont elle vous demande l'adoption.
Voilà ce qu'a voulu, voilà ce qu'a fait la section centrale. Mais je sais bien qu'on veut faire de l'œuvre de la section centrale une grosse question politique ; on vous la représente comme propre à fausser les élections, à bouleverser totalement notre régime électoral, on vous la (page 964) dépeint comme une mesure destinée à écraser eu quelque sorte un parti au profit de l'autre, que sais-je ! comme un coup d'Etat, comme une mesure révolutionnaire.
Ce sont là, messieurs, pour tout homme impartial et jugeant les choses avec sang-froid, des exagérations que rien ne justifie.
En quoi, je vous le demande, la réforme pratique que nous proposons serait-elle un moyen extrême ?
Touche-t-elle au fond de notre système électoral ? porte-t-elle la moindre atteinte à ses bases ou à ses principes ?
En quoi peut-elle léser les droits d'une catégorie d'électeurs plutôt que ceux d'une autre ? Ne restent-ils pas tous égaux en droit et en fait comme ils l'étaient auparavant ?
En quoi enfin cette réforme dans l'exécution de la loi, pourrait-elle être favorable à une opinion et nuisible à l'autre ? Si nous admettons tous, comme nous devons le faire, que pour faire prévaloir notre opinion nous ne devons recourir qu'à des moyens loyaux et avouables, peut-on soutenir sérieusement qu'un électeur quel qu'il soit verra ses droits diminués ou leur exercice compromis, parce qu'on l'appellera à voter dans un local plutôt que dans un autre ? parce qu'on l'obligera à se réunir à tels citoyens plutôt qu'à tels autres pour exercer collectivement ses droits ?
Telle est cependant toute la portée des dispositions maintenant en discussion.
Car quel est le but que nous nous proposons d'atteindre ? que disons-nous ? que proclamons-nous ouvertement, sans réticence aucune ?
Dans l'état actuel des choses, disons-nous, on peut facilement exercer des pressions sur le vote de l'électeur, on peut sans difficulté contrôler ses actes, sa manière de voter tant au moment où il exerce ses droits qu'après.
Eh bien, ce que nous voulons c'est de rendre plus difficile, au moment du vote, le contrôle illégitime qu'on exerce aujourd'hui sur les électeurs d'une même commune, d'un même canton, à quelque titre que ce soit, c'est qu'après le vote, il soit plus difficile de reconnaître quel a été le suffrage donné par l'électeur.
Ce qu'enfla nous désirons, c'est de mettre l'électeur à l'abri de cette surveillance incessante qui tend à l'asservir, de lui rendre ses libres allures et d'empêcher qu'il ne soit placé dans une position telle qu'il doive opter entre ses intérêts et sa conscience.
Ah ! si d'autres croient que telle doit être la position normale de l'électeur, si d'autres pensent qu'il faut la lui conserver, parce qu'ils y trouvent quelque intérêt, parce qu'ils la regardent comme un moyen de faire prévaloir leur opinion, eh bien, alors nous dirons franchement et ouvertement à ceux-là, n'importe à quel parti ils appartiennent : Oui, c'est contre vous que nous proposons notre réforme, oui, c'est contre vous que nous agissons et c'est pour nous un devoir impérieux de le faire, car nous voulons conserver intactes nos belles institutions, en donnant de nouvelles garanties à la liberté électorale, en assurant de plus en plus la marche régulière de nos lois électorales.
Si vous vous placez sur le terrain que je viens d'indiquer, vous avez certes raison de soutenir que c'est contre vos prétentions que la réforme est faite ; sinon, non.
A entendre certains orateurs, la réforme pratique que nous proposons serait hostile principalement aux électeurs des campagnes.
On cherche, dit-on, à leur rendre plus difficile l'accès de l'urne électorale ; disséminés dans les différents bureaux, ils ne sauront plus où aller voter, et on va les exposer à toute espèce d'avanies, aux entreprises des plus hardis, des plus audacieux.
Messieurs, l'intention de la section centrale est si peu celle qu'on lui suppose gratuitement, qu'elle s'est, au contraire, ingéniée à rechercher, avec la plus grande attention, le moyen de laisser aux électeurs des campagnes les mêmes facilités que celles qu'ils ont aujourd'hui pour exercer leurs droits.
C'est pour eux seuls qu'on a conservé la disposition qui permet aux habitants les plus éloignés du chef-lieu de voter les derniers au premier scrutin et les premiers au second.
C'est pour eux, comme pour tout autre électeur placé dans la même position, qu'on a cherché le moyen de les soustraire à l'œil investigateur de tous ceux qui matériellement ou moralement seraient tentés de les violenter au moment du vote et de connaître le candidat auquel ils donnent leur suffrage.
On a dit et répété souvent dans cette enceinte et ailleurs que presque toujours on insérait dans nos lois électorales des dispositions qui étaient éminemment vexatoires pour les électeurs des campagnes, qu'on employait tous les moyens pour les écarter de l'urne électorale au premier tour de scrutin et surtout au second.
Quant à moi je demande qu'on veuille bien m'indiquer où sont ces dispositions, je demande qu'on veuille bien établir qu'en fait il y a moins d'électeurs de campagne que d'électeurs urbains qui prennent part à nos luttes électorales.
Serait-ce d'abord la loi de 1843 qui leur a été défavorable ? Non certainement, cette loi contient deux dispositions qui sont tout à fait à leur avantage.
La première statue que pour faciliter aux électeurs éloignés du chef-lieu l'exercice de leurs droits, on commencera le premier scrutin par l'appel des électeurs des communes les plus rapprochées, et qu'on suivra l'ordre inverse pour le scrutin de ballottage.
La section centrale, si hostile prétendument aux électeurs des campagnes, maintient cependant cette disposition.
Touche-t-elle à une autre qui est aussi toute en leur faveur et qui consiste à faire élire les représentants et les sénateurs par un seul scrutin ? Pas davantage.
Et que font les amendements de la section centrale ?
Ils leur enjoignent, comme aux électeurs des villes, de se rendre pour exercer leurs droits dans les bureaux qui leur sont en quelque sorte naturellement désignés par les premières lettres de leurs noms.
Quelles seront à leur égard les conséquences des amendements de la section centrale, s'ils sont adoptés ? C'est qu'on pourra placer les bureaux dans des locaux situés plus au centre de la ville chef-lieu et les éloigner moins les uns des autres qu’ils ne le sont aujourd'hui.
Ce qui, il faut, bien le reconnaître, hâtera singulièrement la clôture des opérations électorales et tournera encore, sans aucun doute, à l'avantage des électeurs résidant hors ville.
Peut-on dire que ce soient là des mesures qui entravent l'exercice des droits électoraux des habitants de la campagne ?
Soutiendra-t-on avec plus de raison que la dissémination des électeurs ruraux dans les différentes sections les empêchera de savoir dans quel local ils sont appelés à voter, ou les exposera à mille dangers en les mettant à la merci des intrigants ?
On a déjà répondu, messieurs, victorieusement à cette objection que je ne considère plus comme sérieuse. Quant à moi, je me contenterai sur ce point de tenir un langage laconique, mais énergique, analogue à celui qui est consigné dans le rapport de l'honorable M. Malou sur la loi de 1843. Soutenir de telles prétentions, dirai-je, ce serait accuser l'intelligence des électeurs, présumer en quelque sorte l'incapacité d'un grand nombre et tel ne peut être dans notre pays le point de départ d'aucune mesure en matière d'élection.
Permettez-moi, messieurs, de mettre sous vos yeux quelques données statistiques, pour établir que c'est à tort qu'on vous représente les électeurs des campagnes comme de véritables victimes, sacrifiées aux villes.
Voyons d'abord quel a été le résultat de la loi de 1848, qui a établi un cens uniforme.
Le 1er avril 1846, il y avait, dans les villes, 1 électeur sur 68 habitants, soit 14 7/10 électeurs par 1,000 habitants.
Dans les campagnes, le nombre des électeurs était de 1 sur 109, soit 9 17/100 par 1,000 habitants.
Déjà donc alors la proportionnalité entre les électeurs des villes et leurs habitants était d'environ un tiers plus forte que celle qui existait entre les électeurs des communes rurales et leur population.
Aujourd'hui, à la vérité, les villes ont 1 électeur sur 32 habitants et les communes rurales un sur 62 4.
La progression a donc augmenté dans une proportion un peu plus forte pour les villes que pour les campagnes. Mais qu'y a-t-il d'étonnant, si l'on considère que l'industrie, de plus en plus prospère, a, depuis 1846, accru considérablement la richesse des villes et dans une proportion beaucoup plus forte que celle des campagnes.
Il y a d'ailleurs encore beaucoup plus d'électeurs dans les campagnes que dans les villes ; les premiers sont au nombre de 53,589, tandis que les seconds ne sont qu'au nombre de 36,954.
En fait, messieurs, c'est à tort qu'on prétend que l'éloignement d'un chef-lieu électoral est un obstacle à ce que des électeurs concourent aux élections et est une cause d'abstention de l'exercice de leurs droits de citoyen.
En voulez-vous une preuve encore plus palpable, consultez la statistique en ce qui concerne soit les élections provinciales, soit les élections communales.
Aux élections provinciales du 26 mai 1856, 448 électeurs appartenant aux chefs-lieux ont voté, et 621 électeurs habitants d'autres communes ont pris part à l'élection.
Maintenant, aux élections communales de 1857, il y avait 209,652 électeurs inscrits et seulement 143,887 électeurs ont concouru aux élections, soit environ 69 votants par 100 électeurs.
Vous voyez donc que ce n'est pas lorsque l'urne électorale est la plus rapprochée des électeurs que ceux-ci exercent en plus grand nombre leurs droits ; on dirait même que plus on les en éloigne, plus ils sont disposés à voter, parce que plus ils croient le faire librement à l'abri de toute contrainte et de toute recherche sur la manière dont ils ont consciencieusement exprimé leurs opinions.
En présence de ces faits, pourquoi vouloir encore fractionner les collèges électoraux, quand il s'agit d'élections pour les Chambres ? Ce n'est ni la commune ni le canton qui forment la famille électorale, la véritable famille, celle qui en remplissant la haute mission que la loi lui confie, ne doit qu'envisager l'intérêt, le bien-être de tout le pays ; c'est le corps électoral tout entier, c'est lui seul qui doit donner à l'un de ses membres le mandat honorable d'exprimer son opinion au sein des Chambres et de la faire, si possible, prévaloir.
Voilà, messieurs, la véritable famille électorale, et voilà aussi pourquoi (page 965) tous ses membres n'ayant qu'un seul et unique but et animés des mêmes sentiments patriotiques doivent se réunir non pas séparément et guidés par un esprit de clocher, mais confusément comme étant tous appelés à titre égal à remplir la plus belle prérogative de leur qualité de citoyen.
Ce ne sera pas nous certes qui chercherons jamais à fractionner le corps électoral, quelle que soit la tâche qu'il doive accomplir.
Ce ne sera pas nous qui préconiserons la fameuse devise : Divisez pour commander, et encore moins qui la mettrons en pratique.
Est-ce nous qui avons fractionné le corps électoral communal pour parvenir à y faire prévaloir notre opinion ?
Vous vous le rappelez, nous avons répudié ces petits moyens, nous les avons mis de côté avec raison, alors nous avons dit : Il faut que la famille électorale soit une lorsqu'elle n'a à s'occuper que d'intérêts purement communaux, alors qu'elle doit régler tout ce qui regarde le bien-être, la prospérité des habitants d'un territoire restreint et limité.
Et, messieurs, conséquents avec nos principes, avec nos précédents, que venons-nous aujourd'hui vous demander, si ce n'est aussi de laisser une et indivisible la grande famille électorale lorsqu'elle a à s'occuper d'intérêts majeurs, du bien-être, de la sécurité et de la prospérité du pays ?
Que venons-nous vous demander, si ce n'est de ne plus fractionner ce grand corps, cette grande famille par cantons ou communes lorsqu'il n'a pas à résoudre des questions cantonales ou communales ?
Vous le voyez, notre système à nous est un, tandis que de votre côté, c'est un reste, pour ainsi dire, du fractionnement des collèges électoraux communaux que vous voulez introduire dans notre législation, et que nous, au contraire, nous voulons en faire disparaître jusqu'aux derniers vestiges.
Lorsque en 1843 on inséra dans la loi électorale des dispositions pour punir, dans certains cas, ceux qui, le jour de l'élection, portaient, arboraient ou affichaient un signe de ralliement, que disait-on alors pour justifier cette mesure ?
Voici ce que portait l'exposé des motifs du projet de loi.
« Une cause active de désordre et parfois un moyen d'intimidation au jour des élections, c'est le port des signes de ralliement, tels que placards, proclamations, symboles ; c'est d'ailleurs un moyen indirect de faire connaître les votes en classant pour ainsi dire les électeurs. »
De son côté la section centrale dans son rapport disait :
« Le but de l'article 10 est d'empêcher le désordre à l'occasion des élections et de prévenir l'emploi de moyens, soit d'intimider les élections, soit de porter atteinte à la précieuse garantie que le secret du vote offre à toutes les opinions. »
Eh bien, messieurs, le but que vent atteindre aujourd'hui la section centrale est le même que celui qu'on indiquait en 1843. Nous voulons diminuer, le jour des élections, le nombre de ces hommes, véritables drapeaux, dont la présence dans les sections est un signe de ralliement et qui ne s'y trouvent que pour intimider les électeurs, surveiller et contrôler illégalement leurs actes, ou pour porter atteinte au secret des votes.
Nous ne faisons donc que compléter la mesure prise en 1843, et ceux-là qui, à cette époque, étaient à bon droit si soucieux de l'indépendance de l'électeur, de la sincérité des élections, devraient, ce nous semble, nous savoir gré de notre prévoyance et nous suivre sur ce terrain.
- La séance est levée à 5 heures.