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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 avril 1859

Séance du 12 avril 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 935) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il lit le procès-verbal de la séance du 9 avril dont la rédaction et adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Rupelmonde prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par ordre alphabétique et de décider que les électeurs seront réunis dans la commune ou au chef-lieu du canton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale, relatives aux élections.


« Des habitants de Haensdonck prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique, et de décider que les élections aux Chambres auront lieu dans la commune. »

- Même décision.


« Des électeurs, à Nieukerken prient la Chambre de rejeter le projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale, relatives aux élections. »

« Même demande d'habitants de Bornhem. »

- Même décision.


« Des habitants de Zele prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique et de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »

- Même décision.


« Des habitants de Melden présentent des observations contre la proposition relative au vote par lettre alphabétique et demandent : 1° que le vote ait lieu dans la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° qu'il soit pris des mesures pour augmenter le nombre des électeurs des campagnes. »

- Même décision.


« Des habitants de Meerdonck demandent que les élections aux Chambres aient lieu dans la commune. »

- Même décision.


« Des habitants de Waesmunster demandent que les électeurs soient réunis dans la commune ou du moins au chef-lieu du canton si le vote par ordre alphabétique est adopté. »

- Même décision.


« Des habitants de la Clinge demandent que les électeurs soient réunis dans la commune ou du moins dans le chef-lieu du canton pour les élections aux Chambres. »

- Même décision.


« L'administration communale de Nukerke prie la Chambre d'adopter le projet de loi modifiant quelques dispositîons de la loi électorale, relatives aux élections. »

- Même décision.


« Des habitants de Poesele demandent 1° que, pour les élections aux Chambres, on puisse déposer son vote à la commune ou au chef-lieu du canton, sauf, dans le premier cas, à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abrogation de la loi qui admet dans le cens électoral l'impôt sur le débit des boissons. »

- Même décision.


« Des habitants de Courtrai prient la Chambre de rejeter la proposition relative au vote par lettre alphabétique, de faciliter l'exercice du droit électoral et d'abolir la loi qui admet, dans le cens électoral, l'impôt sur le débit des boissons distillées. »

« Même demande d'habitants de Tieghem, Lauwe, Gyselbrechtegem, Espierres, Dottignies, Caster, Resseghem, Belleghem, Autryve, Avelghem, Anseghem, Kerckhove, Ingoyghem, Hulste, Deule, Herseaux, Helchin, Hoestert, Gulleghem, Waermaerde, Waereghem, Reckem, Marche, Luigne, Lendelede, Mouscron, Ooteghem, Cuerne. »

- Même décision.


« Des habitants de Leysele présentent des observations contre la proposition de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique ; ils prient la Chambre, si elle décide d'apporter des modifications à la loi électorale, de faciliter le vote des électeurs des communes rurales, en demandant la diminution, sinon l'abolition, du droit de patente pour débit de boissons alcooliques. »

« Même demande d'habitants d'Alveringhem et Pervyse. »

- Même décision.


« Des habitants d'Everbecq présentent des objections contre la proposition de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique et prient la Chambre d'établir, pour le vote, de nouvelles circonscriptions formées de la réunion de deux ou trois communes voisines. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles, Fayt-lez-Seneffe, Arquennes, Fleurus, Wavre, Namur, Gosselies. »

- Même décision.


« Des habitants d'Everbecq présentent des objections contre les propositions de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique et prient la Chambre d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir, afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales.

« Même demande d'habitants de Mozet, Emblebem, Esschen, Naomé, Louette-St-Denis, Laplante, Langlorp, Fayt-lez-Seneffe, Bruxelles, Arquennes, Betecom, Gelrode, Zoersel, Schille, Knocke, Nieuwmunster, Annevoie, Niel, Eeckeren, Calmpthout, Santvliet, Achéne et d'une commune non dénommée, des cantons d'Aerschot et de Gedinne, des communes de Sommières, Weillen, Onhaye. »

- Même décision.


« Des habitants d'Everbecq prient la Chambre de rejeter les propositions relatives au vote par lettre alphabétique et demandent 1° le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales contiguës qui n'auraient chacune qu'un petit nombre d'électeurs ; 2° l'abrogation de la loi qui admet dans le cens électoral l'impôt sur le débit des boissons distillées. »

« Même demande d'habitants de Westerloo, Zoerleparwys, Morckhoven, Arquennes, Fayt-lez-Seneffe, Oevel, Bonlez, Chaumont-Gistoux, Schooten, Langdorp, Betecom, Dael, Gelrode, Pulderbosch, Hersselt, Maillen, Dave, Lustin, Crupet, Desschel, Boom, Eghezée, Calmpthout, Beirendrecht, Wilryck, Poperinghe, Longchamps, Borsbeeck, Heffen, Plancenoit, Mehagne, Genappe, du canton d'Arschot, et des communes de Corroy-Legrand, Thisselt, Blacsvelt. »

- Même décision.


« Des habitants de Saint-Nicolas présentent des observations contre la proposition de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique, et prient la Chambre de faciliter le vote de tous les électeurs, d'abolir le débit des boissons distillées, ou du moins la loi qui admet cet impôt dans le cens électoral. »

- Même décision.


« Des cultivateurs à Lennick-Saint Martin demandent le libre échange pour le houblon, ou une augmentation de droit à l'entrée du houblon étranger. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des receveurs communaux dans la province de Hainaut demandent à être admis à participer à la caisse générale de retraite proposée en faveur des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse générale de retraite en faveur des secrétaires communaux.


« Le sieur Lepère prie la Chambre d'accorder un subside à la commune de Tournai, pour l'empierrement et l'élargissement de chemins. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Denderleeuw demandent qu'il soit donné suite aux propositions de la commission pour la langue flamande. »

- Même décision.


« Des tanneurs à Turnhout prient la Chambre de rejeter le projet de loi qui supprime le droit de sortie sur les écorces à tan. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi présenté récemment sur la matière énoncée dans la réclamation.

- Le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi est prononcé.


« Le sieur Thonnissen, lieutenant en non-activité, prie la Chambre de lui accorder une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs bourgmestres dans le Brabant appellent l'attention de la Chambre sur la convention douanière concernant le houblon, qui existe entre la Belgique, la France et l'Angleterre, et prient la Chambre de s'occuper de la pétition de leurs administrés, cultivateurs de houblon. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


“Les membres du conseil communal et des habitants de Saint-André demandent l'établissement d'un pont-tournant pour relier les deux parties du territoire de cette commune, coupé par le canal de navigation d'Ostende à Bruges. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Cannart d'Hamale, ancien contrôleur des contributions directes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une indemnité qui puisse couvrir les frais d'une maladie contractée par suite de l'exercice de ses fonctions. »

- Même renvoi.


« M. Deliége, retenu chez lui, demande un congé de quelques jours. >

- Accordé.


(page 956) « M. De Lexhy, retenu à Tongres pour affaires de famille, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi prorogation la loi sur les péages du chemin de fer

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi portant prorogation de l’article premier de la loi du 12 avril 1835, en ce qui concerne les péages du chemin de fer.

Projet de loi accordant la concession d’un chemin de fer du Centre à Marchienne-au-Pont

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai l'honneur de déposer un second projet de loi accordant à la compagnie du chemin de fer du Centre la concession d'un chemin de fer du Centre à Marchienne-au-Pont.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

Projet de loi érigeant la commune de Nanine

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j’ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour objet de séparer le hameau de Nanine d'avec la commune de Dave.

- Impression et distribution.

M. Lelièvre. - Je demande que le projet de loi soit renvoyé à l'examen d'une commission spéciale qui sera nommée par le bureau.

- Adopté.

Projet de loi, proposé par une section centrale, apportant des modifications à la loi électorale

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement se rallie au principe déposé dans le projet de la section centrale ; j'ai eu l’honneur d'en faire la déclaration devant la section centrale, qui a bien voulu m'appeler dans son sein.

Quant à l'application du principe, quant à l'organisation des moyens proposés par la section centrale, pour arriver à sa mise en pratique, je dois le dire, avant de m'y rallier, j'ai besoin de nouvelles lumières Ce principe nouveau entraîna certaines complications administratives, nous ne devons pas nous le dissimuler.

J'ai recueilli les avis de quelques commissaires d'arrondissement. L'un d'eux m'a fait savoir que pour arriver à rédiger sans erreur les deux listes alphabétiques que suppose le système de la section centrale, il faudrait un travail assidu de trois mois. Telle est l'opinion du commissaire de l'arrondissement le plus considérable.

Voilà une première objection qui m'a été faite ; je me dispenserai de donner à la Chambre lecture des diverses lettres que j'ai reçues pendant ces derniers jours.

Le conseil en a délibéré ; il s'est lui-même livré à l'appréciation du système ; il a reconnu qu'en aucune hypothèse, le système nouveau qu'il s'agirait d'inaugurer ne pourrait être appliqué pour le mois de juin prochain.

Nous ajouterons, messieurs, une considération, avec une entière franchise.

Les modifications qu'on propose d'apporter à la loi électorale sont considérées, de la part du parti contraire, comme une sorte de révolution introduite dans nos habitudes et notre législation électorales.

Nous ne donnons pas à ce projet une pareille portée ; nous pensons qu'il n'aura pas, pour le parti contraire, les conséquences désastreuses qu'il-lui suppose.

Nous faisons remarquer que, dans tous les cas il n'intéresse qu'un certain nombre d'électeurs dans le pays ; que, pour tous les arrondissements où l'élection se fait dans un ou même deux bureaux, la loi laissera l'état de choses tel qu'il est aujourd'hui ; elle ne le modifiera pas. Mais, en supposant que la loi pût recevoir son exécution au mois de juin de cette année, voici la déclaration que je suis autorisé à faire au nom du cabinet tout entier.

Nous pensons qu'il importe à la dignité de l'opinion libérale de faire un appel aux électeurs du pays dans les mêmes conditions où ils ont répondu à l'appel du gouvernement au mois de décembre 1857. Nous avons la confiance que l'opinion du pays est restée conforme à celle du gouvernement et à celle de la majorité libérale.

Nous tenons à interroger le pays dans les mêmes conditions. Nous ne voudrions pas que les nouveaux succès que nous espérons des prochaines élections pussent être attribuées par nos adversaires à je ne sais quel stratagème dont nous aurions usé à la veille de la lutte, afin de chercher à saisir une victoire qui nous échappait.

Nous voulons donc que, dans toutes les hypothèses, les élections de juin 1859 se fassent dans les mêmes conditions électorales que les élections de décembre 1857.

Voilà ce que nous désirons très catégoriquement.

Maintenant, messieurs, nous le déclarons aussi, nous sommes très décidément, très résolument favorables à toute modification à la loi électorale qui aura pour but et pour effet d'assurer la sincérité, la liberté, l'indépendance du vote.

Voilà ce que nous voulons ; voilà ce que doivent vouloir les hommes sincères de tous les partis.

Eh bien, messieurs, quel est le but du projet de loi ; quelle est la pensée qui l'a inspiré ? Cette pensée est celle que je viens d'exprimer : les auteurs de la proposition ont eu en vue d'assurer aux élections la sincérité, la liberté, l'indépendance du vote ; voilà le principe ; voilà pourquoi nous nous y sommes ralliés.

Mais, tout en nous ralliant au principe, il nous est impossible de fermer les yeux sur les difficultés d'application, difficultés qui nous ont été révélées et qui se révèlent chaque jour à la suite d'un sérieux examen. En présence de ces difficultés, je le dis en toute conscience, il m'est impossible de déclarer, dès maintenant, que je me rallie aux propositions de la section centrale.

Je crois que ces proposions ont besoin d'être examinées de nouveau, d'être étudiées par des hommes pratiques.

Ceux que j'ai consultés ne se sont pas trouvés d'accord sur les difficultés. Il en est qui pensent que te classement des électeurs par ordre alphabétique peut être l'affaire de quelques jours, tandis que d’autres croient qu'il exigerait un travail de plusieurs semaines. Voilà en présence de quels avis différents nous nous trouvons.

Ce serait de ma part agir avec légèreté que de dire dès maintenant que j'accepte la proposition de la section centrale.

Il y a certainement encore, messieurs, d'autres mesures à prendre pour atteindre ce triple but que je vous indiquais tout à l'heure : la sincérité, la liberté, l'indépendance du vote.

En cherchant, en creusant ces questions, on découvrira encore probablement d'autres remèdes ; car le remède que l'on propose n'est pas complet, il laisse en dehors un grand nombre de questions. Ainsi que je l'ai dit, beaucoup de districts échappent à la loi.

Il y en a une vingtaine de bureaux de cette catégorie. Ainsi, on n'aura pas remédié au mal dans sa généralité. Ce sera donc sous ce rapport une réforme incomplète.

On a suggéré d'autres moyens : ces moyens ont besoin aussi d'être examinés de près.

Messieurs, je désire que l'opinion de nos amis ne se méprenne pas sur la déclaration que je viens de faire. Tout à l'heure j'ai fait connaître quelle était notre attitude en présence des élections prochaines. Nous voulons le statu quo en ce qui concerne la législation électorale, j'ai dit pourquoi.

Mais nous sommes loin de nous refuser à rechercher avec soin les moyens d'introduire dans notre loi électorale toutes les améliorations qui auront pour but d'assurer (je ne puis trop le répéter) la sincérité et la liberté des votes.

Nous espérons être aidés dans ce travail par tous les amis du régime parlementaire, par tous les amis de la constitution belge, par tous ceux, n'importe à quelle opinion ils appartiennent, qui veulent que la représentation nationale soit la représentation fidèle de l'opinion publique.

Eh bien, comme je pense que nous sommes tous d'accord qu'il n'y aurait pas lieu d'appliquer la loi au mois de juin prochain, serait-il inopportun de prendre un peu de temps, de nous accorder à chacun un délai convenable pour revoir la législation et pour trouver, de commun accord, des moyens efficaces et pratiques ? C'est une question que je pose à la Chambre. Dans l'état actuel des choses il ne me serait pas possible de me rallier aux propositions de la section centrale.

M. Rodenbach. - Messieurs je n'ai demandé la parole que pour motiver en peu de mots mon vote.

Je m'oppose formellement à l'amendement proposé par la section centrale, tendant à introduire le vote par lettre alphabétique. Je m'y oppose d'autant plus, que je trouve que la proposition est inopportune, intempestive ; je dirai même qu'elle est irrégulièrement introduite et qu'il est impossible qu'un principe comme celui-là soit discuté ex abrupto.

D'ailleurs, notre loi électorale a besoin d'autres améliorations. Je vous signalais naguère notamment les bulletins marqués et forcés par lesquels ou reconnaissait celui qui avait émis le vote. Ceci est un vice qui doit disparaître de notre loi électorale.

Il y a d'autres observations à faire, j'ai entendu déclarer qu'on achète indirectement les votes: il est fâcheux de voir de pareils dols ; c'est un scandale qui ne devrait point exister dans un pays qu'on proclame le plus libéral de l'Europe.

Il y a des membres ici présents, et qu'au besoin je pourrais nommer, qui, comme moi, ont entendu faire cet aveu par d'honorables collègues. On nous a également fait connaître que, pour arriver avec un mandat à la Chambre des représentants, il faut dépenser immensément d'argent ; il faut avoir une fortune considérable ; à l’avenir ce ne sera plus que l'aristocratie financière qui pourra y arriver.

Je sais qu'il y a des villes où des associations et des clubs sont organisés et où l’on peut devenir député gratis. J’en citerai quelques-unes : Bruxelles, Liége, Mons, etc., où l’on arrive ainsi à la députation sans bourse délier ; mais dans les quarts des autres arrondissements bientôt il n'y aura plus que ceux qui ont de la fortune qui pourront arriver à la Chambre.

Je le répète, c'est un scandale. Si on peut appeler cela de la démocratie, de l’indépendance, je ne sais plus ce que signifient les mots. Je suis porté à croire que si on ne trouve pas moyen de faire disparaître ce vice électoral, l'entrée du palais de la Nation ne sera ouverte ni au (page 937) mérite, ni au talent, ni au patriotisme ; en un mot il n'y aura que la clef d'or qui saura faire ouvrir les portes du parlement.

M. Malou. - Je ne crois pas que la déclaration de M. le ministre de l'intérieur ait terminé ce débat. En effet, les propositions de la section centrale subsistent, et la Chambre est appelée à émettre un vote sur ces propositions aussi longtemps qu'elles ne sont pas retirées.

Bien des fois en d'autres temps, on nous a fait remarquer combien la loi électorale touchait de près à la Constitution même ; bien des fois on a invoqué, quand les modifications les plus secondaires à la loi électorale étaient présentées de ce côté de la Chambre, le principe de la stabilité des lois organiques : en d'autres temps encore, on disait que l'opinion à laquelle je m'honore d'appartenir ne devait avoir qu'une seule mission, celle de servir de lest. Aujourd'hui tout disparaît à la fois, on altère, sans motif sérieux, la loi électorale qui se lie si étroitement à la Constitution, et le pilote ou le capitaine propose de jeter le lest par-dessus bord.

On le fait sans motif sérieux ; en effet, il m'est impossible de trouver dans le rapport de la section centrale autre chose que des prétextes ; la question politique, la question électorale telle qu'elle se présente eu réalité n'y est même pas effleurée.

Quoi qu'il en soit, messieurs, nous acceptons ce débat, mais nous voulons qu'il soit complet, qu'il porte sur le système électoral tout entier, tel qu'il fonctionne en Belgique.

L'honorable ministre de l'intérieur disait tout à l'heure que toutes les opinions devaient être d'accord pour introduire dans le système électoral la liberté, la sincérité, l'indépendance des votes. Oui, messieurs, c'est beaucoup mais ce n'est pas assez. Il faut assurer avant tout l'égalité électorale.

Messieurs, l'idéal d'un bon système serait de reconnaître les mêmes droits à tous, de répartir également ces droits, de donner à tous les mêmes facilités pour les exercer ; de faire enfin que l'efficacité de tous les votes fût la même.

Est-ce là, messieurs, je le demande à tous, est-ce là le régime qui existe en Belgique ? Nous sommes à mille lieues de là. Toutes les inégalités, toutes les injustices, je n'hésite pas à le dire, sont accumulées inutilement, vexatoirement, contre une classe d'électeurs. Et, si le vote par ordre alphabétique général, était ajouté, ce ne serait pas une loi de plus que vous auriez faite, ce serait une vexation de plus que vous auriez décrétée.

II y a, forcément, des inégalités entre les électeurs ; il est peut-être impossible de donner à tous une facilité égale pour exercer leurs droits ; mais les inégalités ne sont légitimes que lorsque la loi ne peut les supprimer ; si elle les crée inutilement, arbitrairement, elle porte atteinte au droit.

Ce n'est donc pas assez, je le répète, de donner la liberté des votes, il faut donner l'égalité dans l'exercice du droit.

Quelles sont les inégalités inévitables et partant les seules légitimes ?

Nous devons vouloir tous qu'il y ait des garanties de la réalité du vote c'est-à dire qu'il y ait des bureaux présentant à toutes les opinions la garantie que les suffrages ont été réellement émis par les ayants droit et que le dépouillement de ces suffrages a été bien fait. Nous devons vouloir tous qu'il n'y ait pas d'incertitude sur le résultat.

Nous devons enfin vouloir qu'il n'y ait pas d'abstentions provoquées par le fait de la loi, par les difficultés qu'elle oppose à l'exercice du droit : c'est aussi tout ce que les opinions sincèrement constitutionnelles peuvent désirer.

Lorsque la loi va au-delà, que fait-elle ? Fonde-t-elle le régime électoral sur les suffrages exprimés, ou plutôt ne la fonde-t-elle pas sur l'abstention ? Une telle loi éloigne les électeurs du scrutin tout en ayant l'air de leur conférer un droit.

Lorsqu'on rapproche notre système électoral actuel tel qu'il fonctionne, de ce qui existe ou de ce qui est proposé dans les autres pays libres, on est étonné de la différence qu'il y a entre ces systèmes.

Ainsi, par exemple, en France, sous le gouvernement de Juillet, le cens électoral était de 200 francs, mais c'étaient de petits collèges qui nommaient chacun un seul député. Il y avait un cens que j'appellerai quasi aristocratique en égard au nôtre. Mais, au moins, il y avait une facilité relative pour l'exercice du droit.

Ici au contraire, nous avons des grands collèges, des collèges étendus et un cens excessivement réduit. On a doublé, dans certains arrondissements, le nombre des électeurs, par la réforme de 184i8 mais on a laissé subsister les mêmes entraves. Ainsi le citoyen jouit du droit électoral moyennant 42 francs, mais on lui impose une contribution indirecte qui va quelquefois à une somme égale au montant du cens électoral.

Est-ce là, je le demande encore une fois, un système qui place les électeurs dans des conditions d'égalité raisonnables ? Y a-t-il quelques motifs qu'on puisse alléguer, pour maintenir de semblables injustices ?

Dans d'autres pays encore, lorsqu’on a étendu les droits électoraux, on a facilité le vote. Ainsi quand, en France, on a introduit le suffrage universel, on a établi le vote à la commune.

En Hollande, quand on a modifié la loi fondamentale et les institutions, quand on a voulu se placer dans la vérité du régime représentatif, on a changé complétement le mode établi pour émettre le vote ; on a admis le vote à la commune comme principe et seulement la réunion de quelques communes lorsqu'elles étaient trop peu importantes.

Si nous restions en fait dans les termes de la Constitution et de la loi électorale, c'est-à-dire s'il n'y avait que des élections tous les quatre ans, je crois qu'on pourrait peut-être se résigner quoique à regret à laisser continuer l'état actuel des choses ; mais il n'en est pas ainsi.

Nous voyons certains districts électoraux avoir en moyenne une élection chaque année ; le district de Bruxelles, qui a été avantagé, comparativement à tous les autres, a eu cinquante élections depuis 1831, d'après le tableau que M. le ministre de l'intérieur nous a fait distribuer.

Il faut tenir compte, dans ce pays, des dissolutions. L'honorable M Rogier a contresigné toutes les dissolutions qui ont eu lieu en Belgique depuis 1830 ; lorsqu'il arrivait au pouvoir, quelquefois lorsqu'il s'y trouvait, il a jugé nécessaire de recourir à la dissolution. Ces appels extraordinaires faits fréquemment au corps électoral, ont aggravé singulièrement l'exercice du droit électoral, surtout pour les électeurs qui demeurent dans des communes éloignées du chef-lieu électoral.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez eu de bons motifs pour ne pas faire de dissolution ; chaque fois que nous en avons fait une, le pays nous a donné raison.

M. Malou. - Je me borne à rappeler ce fait, qu'il y a eu de fréquentes dissolutions prononcées par vous seul ; je ne demande pas si les dissolutions vous ont réussi. C'est une autre question.

Je ne vous discute pas ; je discute le système électoral. Je fais remarquer qu’il faut tenir compte de dissolutions, et que cela aggrave la corvée, la servitude électorale, telle qu'elle résulte de la législation actuelle, et c'est un fait.

Messieurs, dans une discussion précédente, relative à la loi électorale, on a beaucoup insisté sur les conséquences matérielles de ce système et sur les altérations qui en résultaient pour nos institutions.

Nous avons des institutions démocratiques en droit, mais en fait nous arrivons à peu près à des institutions aristocratiques.

Si l'on veut corriger ce vice de nos institutions, si l'on veut diminuer le mal qui s'aggrave à chaque élection, il faut en revenir à un système plus simple, plus juste, il faut faciliter le vote pour réduire les dépenses électorales qui sont la plaie de notre système électoral.

J'oubliais de citer un autre fait qui est bien près de nous. Le bill rejeté récemment en Angleterre conférait des droits nouveaux ; mais il donnait aussi des facilités nouvelles ; on admettait, par exemple, le vote par lettres cachetées, pour certains électeurs ; nous ne pouvons pas demander cela en Belgique, puisque le vote est secret. Mais j'indique ce fait, pour prouver que partout où l'on parle de réformes électorales, on songe aussi à faciliter l'exercice du droit ; car enfin le droit, alors que l'exercice en est rendu très difficile, est une illusion, un mensonge légal.

Les objections qu'on a faites se réduisent à celles-ci : il faut des garanties pour toutes les opinions dans la composition des bureaux ; il faut prévenir autant que possible l'abus des influences.

Messieurs, je crois qu'en effet le vote à la commune, dans toutes les parties du pays, ne serait peut-être pas immédiatement pratique, ou du moins il supposerait une législation d'après laquelle les résultats de ce vote seraient soumis à des précautions matérielles.

Ce serait un système très compliqué, qui ne serait ni facilement compris ni pratiqué facilement dans le pays.

Je pars donc de cet intérêt commun à toutes les opinions, qu'il faut que la composition des bureaux des sections présente une complète garantie quant à la sincérité du vote émis et du dépouillement des votes.

Quant aux influences, il me semble qu'on s'égare quelquefois. Le jeu de l'influence est de l'essence du régime représentatif. Qu'il n'y ait pas d'influence en jeu dans les élections, et il n'y aura pas d'élections.

Mais il y a des influences légitimes, d'autres qui ne le sont pas. La pression morale ou la violence, de quelque part qu'elles viennent, est illégitime ; toutes les opinions doivent être d'accord pour les combattre car tous les moyens compatibles avec la jouissance réelle et la conservation du droit.

La proposition que nous avons l'honneur, mes amis et moi, de soumettre à la Chambre se borne à ceci : Organiser le vote par petites circonscriptions, de manière que les bureaux continuent à être composés conformément à la loi électorale actuelle, et que les électeurs soient soumis au moindre déplacement possible.

Vous voyez, messieurs, par ce simple énoncé, que nous maintenons les collèges, tels qu'ils sont, sans fractionner les collèges électoraux actuellement établis ; nous maintenons le système d'aujourd'hui dans toutes ses parties ; nous n'y faisons pas d'autre changement que de faciliter le vote des électeurs, eu conservant toutes les garanties de la sincérité, de l'indépendance, de la liberté du vote, et eu se rapprochant, autant que possible, de l'égalité dans l 'exercice du droit...

M. Devaux. - Est-ce à la commune ?

M. Malou. - Non ; ce n'est pas, en tout cas, à la commune ; un peu de patience ; je vais m'expliquer.

(page 938) Voici, messieurs, comment d'honorables amis et moi, avons formulé la proposition :

(page 944) « Art. 19 de la loi électorale. Les cinq premiers paragraphes de l'article 19 de la loi électorale sont abrogés et remplacés ainsi qu'il suit :

« Les collèges électoraux sont divisés, pour le vote, en sections formées par communes les plus voisines entre elles, ou par fractions de communes, conformément aux dispositions suivantes :

« A. Dans les villes et communes où le nombre des électeurs dépasse 600, la division se fait de manière que chaque section comprenne au plus 600 électeurs et au moins 200.

« B. Pour les autres communes, la division se fait par circonscriptions ayant au maximum un rayon de dix kilomètres, sans que le nombre des électeurs de chaque section puisse dépasser 200.

« Les électeurs ne peuvent se faire remplacer. »


« Art. 20. (comme au projet de la section centrale.)

« Les paragraphe 4, 6 et 7 de l’article 20 de la loi électorale sont modifiés comme suit :

« Son appelés aux fonctions de scrutateurs, dans les bureaux de sections, les bourgmestres et les membres des conseils communaux faisant partie de chaque section et, au besoin, des électeurs qui ne sont pas des fonctionnaires amovibles désignés par le président du bureau principal.

« Quinze jours au moins avant l'élection, le gouverneur transmettra, au président du tribunal de première instance, une liste indiquant, pour chaque section électorale, le nom, le domicile et l'âge des bourgmestres et des membres des conseils communaux faisant partie de chaque section.

« L'inscription sera faite d'après l'âge en commençant par les plus jeunes.

« Le président du tribunal, dix jours au moins avant l'élection, convoquera les présidents des sections ; ceux-ci inviteront sans délai les fonctionnaires portés en tête de la liste à venir au jour de l'élection remplir les fonctions de scrutateurs, savoir : les quatre premiers inscrits, comme titulaires, et les quatre qui suivent ceux-ci comme suppléants, en évitant autant que possible qu'il y ait plusieurs scrutateurs appartenant à la même commune. »


« Art. 30. Ajouter au dernier paragraphe les mots :

« le jour ou le lendemain de l'élection. »


« Art. 36. La disposition suivante est intercalée entre le troisième et le quatrième paragraphe de l'article 36 :

« En ce cas (de ballottage), les électeurs sont convoqués de nouveau, en observant les formes et les délais établis par l'article 10. »

« Signé : J. Malou, compte de Theux, J.G. de Naeyer, de Liedekerke-Beaufort, G. de la Coste. »

(page 938) Messieurs, la commune quand elle est assez importante pour remplir les conditions que j'ai indiquées tout à l'heure, doit être le siège d'uni bureau électoral ; quand elle ne l'est pas, on réunira plusieurs communes.

Tel est le système que nous avons proposé, en voici les motifs : Notre classification électorale est arbitraire et même assez bizarre.

Nous avons en Belgique 41 arrondissements administratifs et 86 villes ; la moindre de ces villes celle de Durbuy a 336 habitants et 9 électeurs ; Il y a au contraire en certain nombre de communes rurales qui ont au-delà de sept mille habitants ; la commune de Seraing, je ne parle pas de la banlieue de Bruxelles, compte 16,835 habitants et 93 électeurs.

Les villes chefs-lieux ont ensemble une population de 929,000 habitants et les villes secondaires ont une population de 252,000 habitants ; dans les premières il y a 30,000 électeurs et 6,757 dans les autres. Ce fait m'a frappé ; en examinant les documents statistiques, j'ai vu des arrondissements où une ville secondaire a une population plus forte et un plus grand nombre d'électeurs que le chef-lieu de l'arrondissement.

Aussi Hasselt est chef-lieu d'arrondissement ; St-Trond a une population plus forte et plus d'électeurs. Soignies est chef-lieu d'arrondissement et les autres villes ont plus d'électeurs que le chef-lieu ; il en est de même de plusieurs arrondissements. Je cite encore le district d'Audenarde ; Renaix n'est pas le chef-lieu ; elle a une population plus grande et un plus grand nombre d'électeurs. Par quelle raison d'intérêt public doit-on obliger 6,750 électeurs des villes secondaires à se rendre au chef-lieu, quand ils appartiennent à des communes assez populeuses pour former une section ?

Pourquoi les électeurs de Saint-Trond, plus nombreux que ceux d'Hasselt, doivent-ils se rendre à Hasselt pour voter ? S'il y avait quelque chose à faire, c'est à la minorité à aller chercher la majorité. Vous obligez les électeurs de 46 villes à aller voter dans 41 autres, dont plusieurs sont moins importantes. Waremme, autre anomalie, est un chef-lieu électoral, et ce n'est pas une ville, mais une commune rurale.

La population des villes secondaires est le cinquième de la population totale de toutes les villes, et le nombre des électeurs des villes qui ne sont pas chef-lieu de district est de plus du sixième du nombre total des électeurs des villes.

En rappelant ces faits, je réponds d'avance à une objection qui s'est produite précédemment. Cette réforme qu'on demande c'est dans l'intérêt exclusif, disait-on jadis, de ces électeurs qui sont des « charrues croyant en Dieu », de ces électeurs qu'on a appelés plus récemment avec moins d'urbanité les bêtes menées par les curés.

Non, certes, notre proposition doit profiter non seulement aux communes rurales, mais aussi au cinquième de la population de toutes les villes, au sixième du nombre des électeurs des villes. En réunissant ces deux catégories, qui ont le plus grand intérêt à ce qu'on se rapproche de l'égalité relative dans l'exercice du droit, l'on voit que notre proposition doit profiter aux trois quarts de la population totale du royaume, aux deux tiers du corps électoral. C'est assez dire qu'elle est digne de toute l'attention de la Chambre et du pays ; le pays, j'en suis convaincu, j'espère, l’appréciera.

Je parlais tout à l'heure des dépenses électorales ; je crois ne pas exagérer en disant qu'une élection générale occasionne une dépense de 400,000 à 500,000 francs. Or, pourquoi les quarante villes chefs-lieux d'arrondissement sont-elles les seules sur lesquelles doive tomber cette rosée électorale, pourquoi les villes secondaires, qui quelquefois ont une population plus forte que celle des chefs-lieux, ne pourraient-elles pas profiter aussi de notre système électoral, si malheureusement il doit continuer à avoir ces infirmités ?

J'aborde maintenant la question en ce qui concerne plus particulièrement les communes rurales. La population des communes rurales est de 3,348,000 habitants ; cette population à 53,300 électeurs ; pour le dire en passant, c'est un fait qui est connu de tout le monde, la proportion relative entre les électeurs des villes et ceux des communes rurales a été considérablement changée par suite de la réforme de 1848 ; au lieu d'une différence de moitié, les villes ont relativement aux campagnes acquis une force électorale double, indépendamment d'une facilité plus grande pour exercer leur droit.

J'ai pris la peine de relever dans la statistique officielle, commune par commune, le nombre des électeurs. Voici à quel résultat je suis arrivé : il y a en Belgique 811 communes rurales ayant moins de 10 électeurs, 996 ont de 10 à 25 électeurs, 646 ont plus de 25 électeurs.

J'ai fait ce relevé pour établir qu'il faut de deux choses l'une : ou bien grouper certaines communes entre elles, ou introduire dans la loi un système analogue à celui qui fonctionne en Hollande, d'après lequel les boîtes voyagent et sont portées au bureau où se fait le dépouillement. Il serait difficile peut-être d'organiser ce système en Belgique ; il présenterait quelque incertitude sur le résultat électoral ; on est dès lors forcément amené au deuxième moyen, celui de grouper quelques communes voisines quand elles sont peu importantes.

Suffit-il, pour arriver à exécuter ce système, d'établir une règle générale absolue, applicable à tout le royaume ? Suffit-il de faire seulement des distinctions entre les provinces ?

D'après l'étude faite, je ne le crois pas ; la population absolue et la population électorale est trop inégalement répartie sur notre territoire ; nous avons en moyenne pour tout le royaume 147 habitants par kilomètre carré, ce qui fait à peu près 15 habitants par 10 hectares. Pour citer les termes extrêmes, l'arrondissement de Bruxelles en a 34, celui de Courtrai 32 par 10 hectares, Bastogne n'en a que 34, Neuchâteau 33 et Dinant 45.

A distance égale, la proportion est que les unes ont un habitant quand d'autres en ont dix ; c'est-à-dire que la population spécifique, comme disent les statisticiens, est, dans certains arrondissements, le dixième de ce qu'elle est dans d'autres: Rapprochez le fait de l'étendue des arrondissements et le fait du nombre d'électeurs par commune, et vous verrez, messieurs, que la règle applicable aux arrondissements où la population est très agglomérée ne peut pas s'appliquer d’une manière absolue aux arrondissements où elle est très disséminée.

En examinant ces faits d'une manière approfondie, nous sommes donc arrivés à cette conséquence qu'il fallait établir une double limite ; une limite, quant à l'étendue des circonscriptions électorales, lorsqu'il s'agissait d'une population disséminée sur une assez grande étendue et comptant peu d'électeurs ; et une limite, quant au nombre, quand il s'agit de communes rapprochées, ayant une population plus forte et plus d'électeurs.

En appliquant ce système aux faits, on arrivera à donner partout, suivant les localités et le nombre d'électeurs, la plus grande somme possible de facilités pour l'exercice du droit électoral. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir d'autre ni de meilleure limite d'après les différences de la densité de la population.

D'après les propositions que nous avons soumises à la Chambre, le système actuel continuerait à fonctionner dans toutes ses parties pour les villes et pour les communes, où il y a 600 électeurs et plus.

Nous n'y changeons absolument rien. Pour les autres communes, les commissaires d'arrondissement feraient des circonscriptions et ils le feraient de telle sorte qu'aucun électeur, là où la population est le plus disséminée, ne pourrait avoir à faire plus de 10 kilomètres pour exercer son droit ; qu'au contraire pour les communes rapprochées, où la population est agglomérée, la limite agirait en ce sens que personne ne pourrait être contraint de se déplacer plus qu'il ne faut pour constituer une assemblée contenant au maximum 200 électeurs. En d'autres termes la proposition aboutit à donner toutes les facilités de vote dans la mesure du possible ; maintenir entièrement le système électoral ; ne faire autre chose, en un mot, que de déplacer les sections afin de les rendre accessibles aux électeurs.

Les bureaux siégeront où sont les électeurs au lieu de forcer ceux-ci à chercher à grande distance et à grands frais les bureaux.

Est-ce à dire, messieurs, qu'il n'y ait aucune autre modification à introduire dans la loi électorale ? Nous nous sommes demandé, par exemple, s'il ne sera.it pas utile, en introduisant ce système, de charger les députations permanentes, au lieu des commissaires d'arrondissement, de former les circonscriptions électorales.

C'est une question qui mérite un mûr examen. Nous ne l'avons pas résolue, parce que nous voulions nous attacher à présenter nos propositions dans les termes les plus simples, en ne touchant qu'à une des deux dispositions de la loi électorale.

Ces dispositions sont d'abord l'article 19, lequel porte que les électeurs se réunissent au chef-lieu du district ; nous proposons de dire : les électeurs se réunissent dans la circonscription qui leur est assignée, et autant que possible dans leur voisinage. Avec cette disposition, on peut combiner celle que la section centrale indique quant à la formation des bureaux.

En proposant le vote par ordre alphabétique, la section centrale a compris qu'il fallait étendre les pouvoirs du président du bureau principal pour la formation des bureaux secondaires là où les juges et les conseillers communaux ne se trouveraient pas en nombre suffisant. On peut donc coordonner avec notre proposition l'amendement propose par la section centrale à l'article 20 de la loi électorale.

Je n'ai plus à rendre compte à la Chambre que de deux dispositions secondaires. Ainsi, à l'article 30, il faut prévoir le cas où le résultat des diverses sections disséminées dans l'arrondissement ne pourrait pas être rendu en chef-lieu électoral le jour même de l'élection. Il suffit d’ajouter que les résultats seraient remis au bureau principal le jour où le lendemain de l'élection.

L'article 36 de la loi électorale doit être légèrement modifié en ce qui concerne le ballottage. Nous proposons de dire qu'en cas de ballottage, les électeurs sont convoqués de nouveau en observant les formes et le délai établis par l'article 10.

Messieurs, lorsqu'on examine dans ses applications pratiques notre système électoral, on voit que c'est surtout, eu cas de ballottage, qu'il est défectueux, injuste et qu'il froisse les intérêts de la classe la plus nombreuse des électeurs. Et, en effet, il est arrivé plusieurs fois que la minorité du matin était la majorité au ballottage ; plusieurs fois des représentants ont été élus par un nombre de voix beaucoup moins élevé que celui que leurs concurrents avaient obtenu au premier tour de scrutin. C'est une des conséquences les plus injustes du système actuel. En d'autres termes, l'inégalité qui existe entre les électeurs des (page 939) chefs-lieux, et ceux de l'arrondissement est dix fois plus dangereuse quand il s'agit de ballottage.

Or, il s'agit de ballottage précisément lorsque les forces des deux opinions se balancent à peu de chose près ; précisément quand il y a, pour les deux opinions, le plus grand intérêt à ce que le droit électoral puisse être pleinement, et librement, et facilement exercé.

On me dira peut-être qu'en disséminant les sections électorales, le ballottage deviendra plus fréquent ; cette objection a été faite, mais l'expérience de ce qui se passe y répond d'avance. L'éducation du corps électoral est parfaitement faite aujourd'hui ; nous voyons, en effet, que dans les élections il n'y a plus guère de voix perdues, surtout quand la lutte est vive.

Dans ce cas-là, il n'y a que deux listes opposées ; on se concerte aujourd'hui chez soi pour venir voter au chef-lieu Désormais, si nos propositions sont adoptées, on se concertera encore chez soi et l'accord s'établira de la même manière, seulement l'électeur aurait beaucoup moins de chemin à faire pour exercer son droit. Il ne faut donc pas craindre qu'en donnant ces facilités on multiplierait des chances de ballottage.

Les dispositions que nous vous proposons d'introduire dans la loi électorale existent déjà pour le cas où deux arrondissements concourent à l'élection d'un sénateur, cas prévu par la loi de 1839.

Il suffit de généraliser l'application de ces dispositions en disant que, quand il y aura lieu à ballottage, on convoquera de nouveau les électeurs eu observant les formes et les délais que la loi établit pour la première convocation.

Je crois inutile d'ajouter d'autres explications pour justifier les dispositions que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, d'accord avec d'honorables amis. Je suis convaincu que ces mesures amélioreraient beaucoup notre régime électoral ; que cette amélioration, qui ne touche en rien aux droits de l'électeur ni aux droits de l'éligible ; qui n'est pas, à proprement parler, une réforme électorale, est juste en elle-même ; elle jouirait dans le pays d'une légitime popularité de bon aloi ; aujourd'hui ou demain, par la force même des choses, par la force de la vérité et de la justice, par la puissance de l'opinion., je suis convaincu qu'elle se réalisera.

M. le président. - L'amendement de M. Malou étant signé par cinq membres, il est suffisamment appuyé. Il fait donc partie de la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quels sont les signataires ?

M. le président. - MM. Malou, de Theux, de Naeyer, de Liedekerke et de la Coste.

M. Orts. - M. le président voudrait-il nous en donner une nouvelle lecture ?

M. le président. - Le voici. (M. le président donne lecture de l'amendement.)

M. Malou. - Je demande que la Chambre veuille bien ordonner l'impression de l'amendement et que le bureau fasse imprimer en regard les dispositions de la loi électorale telles qu'elles existent aujourd'hui ; sans cela, lorsqu'il s'agit d'enchâsser dans une loi des amendements, ces amendements ne sont pas intelligibles.

M. le président. - L'impression aura lieu telle que la demande l'honorable M. Malou.

M. Muller. - Messieurs, lorsque à l'occasion du projet de loi sur la nouvelle répartition des membres de la législature, la section centrale a proposé, par voie d'amendement, des dispositions tendantes à l'adoption de l'ordre alphabétique général par arrondissement, elle n'a fait que remplir un vœu qui avait été exprimé par toutes les sections...(interruption) les unes d'une manière directe et nominative eu recommandant l'ordre alphabétique, toute en proclamant la nécessité d'assurer aux électeurs la liberté, la sincérité, l'indépendance de leur vote. Je crois que je suis parfaitement dans l'exactitude des faits, lorsque je résume ainsi l'opinion des sections.

La section centrale, se conformant aux désirs de la majorité nettement exprimés, a donc examiné quel serait le mode qui, sans toucher essentiellement aux bases du droit des électeurs, pourrait le mieux en garantir le libre exercice. Après un long et mûr examen, elle s'est prononcée en faveur de l'ordre alphabétique pour la répartition des électeurs dans les différents bureaux, convaincue que cette simple modification de forme doit puissamment contribuer à prévenir les graves abus dont elle se plaint. Le résultat qu'elle voulait atteindre tous, nous devons aussi le désirer.

Il ne s'agit pas, dans cette question, de prendre une mesure de parti ; il s'agit de faire acte de moralité, de soustraire les électeurs aux influences illégitimes que peuvent exercer sur eux certaines individualités, certains personnages qui les tiennent, par des causes quelconques, dans leur dépendance ; il s'agit, enfin, de rendre cette véritable oppression, sinon toujours inefficace, du moins aussi rare que possible.

Messieurs, qu'obtiendrons-nous par le projet de loi qui vous a été soumis par voie d'amendement et qui laisse intacts, non seulement les droits, mais les facilités dont jouit l'électeur ? C'est qu'il ne sera plus astreint à voter sous l'œil d'un surveillant et sous le coup de la contrainte ; c'est, à la différence de ce qui se passe trop souvent aujourd'hui, qu'il pourra exprimer librement et traduire en acte ce qui est au fond de sa conscience.

Messieurs, je vous soumettrai une autre considération. Tantôt, l'honorable M. Rodenbach et après lui l'honorable M. Malou ont dénoncé ces dépenses qui se font aujourd'hui en matière électorale.

Elles ont. été qualifiées avec raison, par le premier de ces orateurs, de scandaleuses, et j'approuve son expression.

Mais lorsque j'entends prédire que désormais pour entrer dans cette enceinte il faudra être très riche, que le mandat parlementaire deviendra le partage de l'aristocratie, qu'il faudra une clef d'or pour ouvrir la porte de cette enceinte, je me demande si le projet que nous proposons n'apporte pas déjà à cette situation un remède, s'il ne restreindra pas considérablement cet usage déplorable qui se propage, cet abus dont, comme l'a dit l'honorable M. Rodenbach, quelques arrondissements sont témoins et responsables, mais que d'autres n'ont pas à s'imputer, entre autres celui que j’ai l'honneur de représenter ici.

Lorsqu'on n'aura plus la même action directe sur les électeurs, lorsqu'on ne sera plus aussi sûr des votes qu'ils déposeront dans le scrutin, on ne fera, certes, pas autant de dépenses de toute nature pour les conduire et se les rendre favorables, on n'aura plus à se livrer à ces frais, à ces frais exorbitants, dont le bruit a déjà retenti tristement devant les tribunaux, à la suite de quelques élections.

Messieurs de quoi peut-on se plaindre, quand on consent à examiner avec calme le projet dont la section centrale, qui croit avoir été votre interprète, accepte la responsabilité ? A-t-il le moins du monde un caractère réactionnaire ? Est-ce que l'électeur votait aujourd'hui ne continuera pas à voter demain ? Il votait avec les habitants de sa commune, sous l'œil d'un maître surveillant, et il peut y avoir différentes espèces de ces contrôleurs, je l'ajoute de bonne foi : des pressions peuvent s'exercer dans les deux partis qui tiennent de la nature humaine.

C'est donc pour faire disparaître les violences morales comme toutes autres, que nous demandons que l'électeur vote dans un bureau dans lequel, confondu avec un grand nombre de citoyens qui ne le connaissent pas, il ne se trouvera pas continuellement sous un regard inquisiteur, vérifiant si c'est bien le bulletin qui lui a été donné que l'électeur dépose dans l'urne.

Voilà, messieurs, toute la portée du projet de loi.

La pensée qui a présidé à sa rédaction est inattaquable ; l'opinion qui le combattrait autrement que sous le rapport des difficultés d'exécution, qui sont loin d'être insolubles, se condamnerait elle-même, parce qu'elle avouerait que les moyens honnêtes ne lui suffisent pas.

Qu'est-ce qu'est venu maintenant nous proposer l'honorable M. Malou dans l'amendement dont il a été donné lecture ? Selon moi, sans que cela ait pu être au fond de sa pensée, c’est diamétralement le contre-pied du résultat moral que veut obtenir la section centrale.

L'honorable M. Malou désire, d'une manière générale, de petits collèges électoraux, encore un peu plus petits que quelques-uns de ceux qui existent aujourd'hui, fractionnés, en réunissant quelques communes voisines.

Or, tous les électeurs s'y connaîtront mieux qu'actuellement, le rôle de surveillant sera rendu plus facile, ou pourra mieux s'enquérir de ce que fera l'homme placé sous une dépendance quelconque du vote qu'il déposera dans l'urne. Et la raison que l'on donne pour étayer ce nouveau système, c'est l'utilité prétendue de réduire le déplacement auquel sont condamnés une partie des électeurs.

Mais, messieurs, voyons donc les choses telles qu'elles se passent en général. L'électeur de la campagne à des relations plus ou moins fréquentes avec le chef-lieu d'arrondissement ; l'habitant de la campagne, quand il vient voter dans une ville, ne se borne pas toujours à y exercer son droit ; il peut faire combiner quelques affaires personnelles avec l'accomplissement de son devoir civique, et n'en fût-il pas ainsi, je crois pouvoir affirmer, par ce que je sais et ce que j'ai pu constater, qu'un voyage au chef-lieu d'arrondissement n'est pas si effrayant pour l'électeur rural que MM. les membres de la droite veulent bien le supposer. (Interruption.) Vous pouvez sourire, messieurs, mais mon observation n'en restera pas moins fondée.

Au surplus, j'ajoute qu'en général, du moins dans un grand nombre de provinces, il est sinon plus facile, du moins aussi facile, grâce à la rapidité et au nombre de communications qui existent, que les électeurs des campagnes se rendent au chef-lieu d'arrondissement, que de se diriger vers le chef-lieu du canton. On veut leur épargner les peines, les déplacements frayeux. Et que vient-on vous proposer en dernier lieu ?

Après nous avoir dit qu'il est intolérable d'imposer de lourdes corvées aux électeurs ruraux, M. Malou vient nous demander comme dernier article d'amendement, une disposition qui, en cas de ballottage, assujettirait l'électeur campagnard à une nouvelle corvée, une servitude de plus, pour rappeler cette expression de l'honorable membre ! Voici à quoi l'on aboutit, après s'être écrié que nous avons, en matière électorale, des institutions démocratiques en droit, aristocratiques en fait !

Je me borne à renvoyer cet argument à son honorable auteur, car ce qu'il propose serait réellement l'aristocratie en fait, ayant plus de chances de maintenir le petit électeur sous sa dépendance, tandis que notre système consacre en droit et en fait l'application de la démocratie, mais d'une bonne démocratie, s'appuyant sur la moralité.

Je ne crois pas, messieurs, pour le moment, avoir à développer plus longuement les considérations que j'aurais à opposer à l'honorable (page 940) M. Malou. Je me réserve de prendre de nouveau part à la discussion lorsque je saurai, par exemple, d’une manière plus positive si l'honorable ministre de l'intérieur est résolu à entrer en explication avec la section centrale, à lui signaler, non pas vaguement, mais d'une manière précise, les inconvénients, les obstacles qui pourraient entraver l'exécution de la loi telle que nous la proposons. Que l'on fasse partager à la section centrale la conviction qu'il y a des difficultés d'exécution très grandes à vaincre, qu'on les lui signale, sans se borner à nous dire par exemple : Un commissaire d'arrondissement a déclaré qu'il lui faudrait 92 jours pour dresser ses listes. (Interruption.) C'est bien cela que je crois avoir entendu, et je réponds que ce commissaire d'arrondissement a été beaucoup trop effrayé du travail qu'il aurait à faire, et si les autres ont raisonné sous cette préoccupation, j'avoue que leurs avis ne seraient pas de nature à ébranler mon opinion.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a déclaré que la loi lui paraissait inexécutable dans les termes où elle est présentée ; que dans tous les cas elle ne pourrait point avoir d'application pour les élections prochaines, M. le ministre a ajouté qu'il était d'ailleurs de l'honneur du parti libéral de se représenter aux élections sous l’empire des lois actuelles Je suis, messieurs, entièrement de son avis, j'ajouterai même qu’il est de l'honneur du parti libéral, comme de tous les partis parlementaires, de se présenter aux élections avec une loi électorale sincère, qui n'accorde de privilège à aucun parti, à aucune opinion.

Le Congrès national a adopté pour base de la représentation nationale le principe d'égalité dans les élections ; et, en effet, messieurs, sans le principe d'égalité dans les élections, il n'y a point de représentation nationale.

Aussi le Congrès a-t-il eu soin de mettre sur la même ligne, quant au droit électoral, la portion de la population qui est la plus pauvre du pays et celle qui est la plus riche. Ainsi, messieurs, la population de Marche, de Bastogne, a autant de droit que la population de l'arrondissement de Bruxelles, capitale du pays et centre de toutes les fortunes. Voilà l'égalité pratique. La population seule des arrondissements a été prise en considération par le Congrès national. Que suit-il de là ? Que dans chaque arrondissement aussi il faut que les populations dont il se compose aient tous les mêmes droits.

Le Congrès national avait fixé le cens électoral au minimum de 20 florins et au maximum de 100 florins, pourquoi ? D'abord pour empêcher qu'on n'allât au, suffrage universel ou bien qu'on n'allât à un cens par trop élevé ; mais aussi pour maintenir une certaine proportionnalité d'électeurs entre les campagnes et les villes.

Le rapport que j'ai eu l'honneur de faire au Congrès national le déclare de la manière la plus positive, et la discussion de la loi électorale a roulé sur ce point capital, qui était d'équilibrer autant que possible le droit électoral d'après les présomptions. Car nous n'avions pas alors les statistiques qui ont fait connaître le nombre des électeurs des villes et celui des électeurs des campagnes

La loi électorale de 1831 donnait cependant, malgré l'élévation du cens pour un grand nombre de villes, une certaine supériorité aux électeurs de ces villes, au détriment des électeurs ruraux. Pour la capitale, le cens électoral était fixé à 80 florins. Il en était de même pour les trois autres grandes villes ; le cens pour les populations rurales était fixé à 30 florins ; malgré cette disproportion dans le cens électoral, les villes l'emportaient en nombre d'électeurs sur les communes de l'arrondissement.

Jamais nous n'avons réclamé contre cet état de choses qui était constaté par la formation des listes électorales.

Arrive la révolution de février 1848. Le gouvernement saisit, à la hâte, la Chambre d'un projet de loi abaissant le cens électoral à 20 florins. Il pouvait y avoir dans cette mesure un but patriotique, celui d'intéresser un plus grand nombre d'habitants à l'exercice des droits politiques. Mais au montent du vote de cette loi, personne ne pouvait prévoir quel en serait le résultat. Quelques-uns ont cru que l'abaissement à 20 florins amènerai' un avantage pour les communes rurales ; il n'en a pas été ainsi. Les statistiques électorales qui ont été faites, après la loi de 1848, ont constaté que cette mesure a été éminemment avantageuse aux villes.

C'est ainsi que les villes, dont la population n'est que le quart de la population totale du royaume ont aujourd'hui un nombre d'électeurs double, et même au-delà, tandis que les trois quarts de cette population totale ne sont représentés que par un nombre d'électeurs à peu près égal au nombre d'électeurs des villes. Voilà, pour l'exercice du droit politique le plus important, une différence de situation très préjudiciable pour les habitants des campagnes.

Venons-nous réclamer le rétablissement du cens différentiel ? Non, messieurs, nous nous bornons à demander ce qu'en toute justice vous ne pouvez pas nous refuser, ce que vous devez accorder tôt ou tard, c'est-à-dire une plus grande facilité pour exercer le droit électoral.

Messieurs, j'arrive au vote par ordre alphabétique qui nous est proposé par la section centrale.

J'ai souvent vu faire des réformes électorales, mais j'ai toujours vu qu'elles étaient faites au profit de la partie de la nation qui se trouvait lésée par la loi existante, et non pas au profit de la partie de la nation qui jouissait déjà de privilèges exorbitants. Une réforme dans le sens de l'extension du privilège est une véritable révolution, un coup d'Etat.

Aujourd'hui, cependant, messieurs, on vous propose réellement d'aggraver la position de l'électeur rural ; on vous propose de détruire la protection que tes habitants d'une même commune se prêtent mutuellement, quand ils se rendent ensemble aux élections, on vous propose d'isoler nos électeurs ruraux dans la foule énorme des électeurs urbains beaucoup plus habitués qu'eux à toutes les pratiques subtiles du régime électoral ; là se trouvent toujours un certain nombre d'hommes hardis, rusés, qui peuvent exercer une surprise et même de la violence sur les électeurs ruraux.

L'honorable M. de Renesse a eu la loyauté de reconnaître, dans la dernière séance, qu'il s'agit de déplacer une influence morale au profit d'une influence factice.

D'ailleurs, quelle est l'objection qu'on présente ? On dit que les électeurs ruraux sont surveillés, qu'ils se présentent ensemble, qu'on les accompagne côte à côte.

Messieurs, j'ai pris part à beaucoup d'élections ; je n'ai jamais observé cela, le fait d'ailleurs, tel qu'on le signale, n'est pas pratiquement possible. En voici la raison : c'est que je défie de trouver une seule commune où il n'y ait pas deux opinions politiques différentes en présence. Or, chaque opinion surveille l'autre opinion.

Il y a protection pour chaque opinion. Les faits scandaleux, dans l'ordre d'idées où l'on s'est placé, sont réellement impossibles, surtout à cause du caractère des personnes auxquelles on prête ces manœuvres.

On sait que dans les assemblées électorales nombreuses il y a toujours des hommes andacieux, qui ne respectent aucune espèce de convenance, et ce sont ces personnes-là qui l'emportent toujours.

C'est aussi ce qu'a prévu mon honorable collègue du Limbourg ; il a dit qu'on voulait substituer à une influence une autre influence, une influence réellement dangereuse.

Les habitants des campagnes, croyez-le bien, messieurs, ne considéreront pas du tout la mesure proposée par la section centrale comme un bienfait, comme une émancipation ; ils n'y verront qu'un grief de plus.

Il n'est pas un seul électeur rural qui ne soit assez intelligent pour comprendre que c'est un nouveau moyen de renforcer la majorité parlementaire dans un sens qui lui est hostile, d'augmenter l'influence des villes au détriment des campagnes. Voilà le fait qui m'a frappé d'abord...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les grandes villes envoient aujourd'hui des libéraux à la Chambre ; la loi n'aurait donc pas pour effet d'augmenter l'influence de ces villes.

M. de Theux. - L'honorable M. Muller nous disait tout à l'heure que dans le district qui l'avait élu, on n'avait pas besoin de faire des dépenses considérables ; je le crois bien, l'honorable membre est porté par la ville qui seule compte un nombre d'électeurs double, relativement aux électeurs de l'arrondissement. Le système actuel doit donc lui aller parfaitement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les électeurs des campagnes sont en aussi grand nombre que les électeurs des villes.

M. de Theux. - Quand ils se rendraient tous aux élections, les électeurs de la ville l'emporteraient toujours, s'ils étaient tous du même bord.

Si la proposition qui vous est faite était adoptée, voici en peu de mots de quelle manière j'envisage l'avenir. Vous continuerez à avoir des chambres, mais vous n'aurez pus de représentation nationale. Voilà la vérité ; vous aurez créé l'ilotisme pour les trois quarts de la nation ; ce que vous gagnerez en nombre de votes, vous le perdrez en force morale.

Vous serez sans représentation nationale, car sans une élection à laquelle tous les intérêts, toutes les opinions ont pu concourir avec des conditions d'égalité, il n'y a pas de représentation nationale. La Constitution est violée dans sa base. C'est dans ce sens que la première fois que cette mesure a été discutée dans cette Chambre, je n'ai pas hésité à déclarer que ce serait une mesure révolutionnaire.

Pendant plusieurs années nous entendions avec orgueil dire autour de nous à l'étranger : La liberté comme en Belgique ; mais soyez sûrs que si le système qu'on propose prévalait, ces mots ne seraient plus prononcés qu'avec dérision.

Mais l'opinion dominante retirerait-elle un grand profit de cette loi ? Je ne le crois pas. Que dirait-on si les élections étaient désertées ? Mais les Chambres étant exclusivement composées du parti des occupeurs d'emplois, des satisfaits ; à côté de cette situation des Chambres et des ministres dépourvus de la force morale dont on a essentiellement besoin dans un pays d'égalité, de justice et de liberté comme la Belgique, ne sauraient pas résister aux attaques qui viendraient d'ailleurs.

Messieurs, il y a des morts politiques comme des morts naturelles. Lorsqu'un parti, par un ensemble de lois, est frappé d'exclusion, comprimé par un autre parti dont les droits sont égaux aux siens, le parti vaincu est mort, mais il peut dire à ses adversaires : Hodie mihi, erat tibi.

Messieurs, la Constitution de 1830, je n’hésite pas à le déclarer, sans le concours des éléments conservateurs, serait une œuvre qui ne pourrait pas maintenir la prospérité du pays.

(page 941) La Constitution de 1830 est, à coup sûr, la plus libérale du monde entier ; je ne crois pas exagérer en disant que jamais aucun pays n'a joui d'une pareille Constitution ; mais le drapeau arboré alors est-il le dernier ? Toujours une opposition a arboré un drapeau nouveau. La France en 1830 avait à peu près inauguré le même régime que nous, mais là les oppositions ont levé d'autres drapeaux et 1848 est venu mettre fin à la Charte de 1830. Au drapeau de 1848 en a succédé un autre.

Notre Constitution, toute libérale qu'elle est, trouvera toujours des gens qui ne la trouveront pas suffisante ; nos lois électorales seront insuffisantes ; nos lois, en général ne conviendront plus à la situation du pays, et sans le mot « progrès », le parti gouvernemental ne sera plus qu'une fraction de la nation ; il n'y aura plus unanimité de sentiment, et il ne pourra pas résister aux tentations hostiles qui pourront se produire dans l'avenir.

Ne dirait-on pas que la Belgique s'ennuie de ses libertés, s'ennuie de sa voie de prospérité ! A l'époque des journées de septembre, pendant que le Congrès national délibérait sur les destinées de la Belgique, qui eût osé prédire que le pays arriverait à un degré de prospérité telle que jamais sous aucun gouvernement on n'avait rien vu de pareil ; l'état actuel n'est pas le dernier mot ; si nous pouvons resserrer l'union, la paix, l'harmonie entre nous, la Belgique est appelée à des destinées plus magnifiques encore. Certes il est peu de personnes qui en 1830 aient eu plus de confiance que moi dans l'avenir de nos institutions et la prospérité future du pays ; je n'hésite pas à le déclarer, sous le rapport de la prospérité, mes espérances ont été de beaucoup dépassées.

Toute opinion peut avoir ses représentants dans la Chambre, des progrès peuvent être réalisés dans nos lois ; mais aller plus loin, se jeter volontairement dans l'inconnu, c'est une faute capitale, une chose que l'histoire ne pardonnera jamais à la Belgique.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, quand, une première fois, nous avons soutenu, à propos d'une pétition soumise à notre examen, la proposition d'introduire le vote par ordre alphabétique, l'honorable M. de Theux a dit que c'était une mesure révolutionnaire. L'accusation était si injuste, que je pensais qu'il ne l'aurait pas répétée ; et voilà qu'après bien des jours de réflexion, l'honorable membre nous accuse, de nouveau, de présenter une mesure révolutionnaire.

J'ai à cœur, messieurs, je vous l'avoue franchement, de me laver de cette accusation. Je n'ai jamais été révolutionnaire qu'une fois dans ma vie, et je l'ai été avec beaucoup d'honorables membres de cette assemblée, et notamment avec l'honorable M. de Theux, c'était en 1830. Si je l'étais, cette fois, j'aurais encore pour complice l'honorable M. de Theux, car il emprunte à notre projet une de ses dispositions.

Mais, messieurs, je ne veux pas abriter ma responsabilité sous celle de mes adversaires. Je vais défendre, ou plutôt expliquer ce qu'a fait la section centrale, relativement au vote par ordre alphabétique.

Dans la section dont je faisais partie, c'était la cinquième, j'ai fait prévaloir cette idée, que j'ai été chargé de soutenir au sein de la section centrale :

« La cinquième section a saisi la section centrale de la question de savoir s'il n'y avait pas lieu de prendre des mesures pour assurer la liberté des électeurs, la sincérité des élections. »

Pour ma part, j'avais indiqué diverses réformes de nature à produire ce résultat ; mais le vote par ordre alphabétique est la seule formule que la section centrale ait adoptée !

Maintenant, quel est l'accueil que l'on fait à ce système ? On nous adresse trois grands reproches : on nous reproche de toucher, sans cesse, à la loi électorale, d'ébranler les bases de cette loi ; et puis (pour dire tout haut ce qui se dit ici tout bas et ce qu'on écrit dans les journaux) de faire une loi dirigée contre le clergé. Vous voyez, messieurs, que je ne cache aucun grief ; je les relève tous, tels qu'on les formule.

Examinons donc ces trois points.

Nous touchons, sans cesse, à la loi électorale ! Mais, messieurs, n'est-ce pas la conséquence naturelle de l'application de cette loi ?

L'application de la loi électorale a révélé certains abus, n'est-il pas rationnel de les corriger, à mesure qu'ils se manifestent ?

Que n'a-t-on pas fait, en Angleterre, ce pays modèle du régime parlementaire, pour réprimer les fraudes électorales ? Il existe 90 bills sur cette seule matière. De 1801 à 1831, il y a eu 9 actes de répression. En 1832, vint la grande réforme qui renversa les bourgs pourris. Et maintenant encore, il est question d'une réforme électorale, plus profonde qu'aucune des précédentes, si profonde même qu'il en est qui s'effrayent de voir de telles transformations, dans un pays où l'aristocratie est si directement aux prises avec la démocratie.

Ce sont des conservateurs - torys - qui proposent ces réformes.

Mais vous-mêmes, messieurs, qui nous reprochez de toucher sans cesse à la loi électorale, qu'avez-vous donc fait quand vous avez fractionné les communes ; cela n’était-il pas une réforme électorale bien autrement profonde que la modification que nous proposons au mode d’émission des votes ?

Elle était tellement radicale cette réforme, que vous, M. de Theux, qui l'avez proposée et fait adopter, vous n'oseriez plus la représenter, tant elle a été mal accueillie par le pays. Vous faisiez cela en 1842. La loi communale fonctionnait depuis six ans seulement. En 1843, à ta veille d'une élection, vous proposiez une réforme électorale bien autrement radicale, bien autrement profonde que ce que nous proposons aujourd'hui. Et c'est vous qui nous reprochez d'être des novateurs, des révolutionnaires ! Nous vous renvoyons le reproche.

Nous ébranlons les bases de la loi électorale ! Messieurs, j'ai souvent vu appliquer la loi électorale ; je l'ai assez bien étudiée ; eh bien, je ne connais que trois bases principales à la loi électorale : le cens, le lieu de réunion des électeurs, le secret du vote. Pour moi, dans ces trois bases résident toute la force et toute la sécurité de notre système électoral.

Le cens, nous ne le changeons pas, parce qu'il est arrivé à l'extrême limite fixée par la Constitution, et ce n'est pas nous, je l'espère, qui toucherons les premiers à notre pacte fondamental.

Le lieu de réunion des électeurs, nous le respectons et nous y tenons ; parce que nous disons que si vous fractionnez le collège électoral, vous ouvrez la porte à tous les abus : et, pour le dire en un mot, la proposition qu'on nous oppose est précisément l'antipode de ce que nous proposons ; c'est-à-dire que nous voulons, nous, assurer la liberté du vote et qu'avec votre système, cette liberté serait complétement anéantie.

Nous ne portons pas davantage atteinte au secret du vote. Au contraire, nous le renforçons ; je le prouverai bientôt.

Vous dites, en troisième lieu, que nous ferons une loi contre le clergé. Messieurs, je veux être sincère sur ce point. Oui, c'est une loi contre le clergé, si le clergé veut, à côté de son influence morale si grande déjà, exercer une influence matérielle, qui est illégitime. Mais, à ce point de vue, ce n'est pas seulement contre le clergé que nous ferons une loi, nous voulons atteindre tous ceux qui cherchent à exercer une influence illégitime sur les électeurs, tous ceux qui, au dernier moment, assaillent les électeurs et portent atteinte à leur liberté, en leur imposant leur volonté.

C'est pour lutter contre une pareille influence, c'est pour la paralyser autant que possible, que nous proposons le vote par ordre alphabétique. Notre but est d'assurer à tout le monde la liberté du vote, au dernier moment. Voilà, quant à moi, la seule intention qui me fait agir, et je prie mes honorables adversaires d'être bien convaincus que je ne veux pas autre chose que de prévenir les abus et de garantir la moralité des élections.

Dans une de nos dernières séances et à propos d'une pétition qui nous était adressée, n'avons-nous pas entendu l'honorable M. Tack nous dire qu'il avait été souvent témoin de ces abus ?

M. Tack. - Je demande la parole.

M. E. Vandenpeereboom. - Ne nous a-t-il pas signalé cette pression qui s'exerce sur certains électeurs ? Et ici, messieurs, je fais abstraction complète des auteurs de ces abus ; je ne veux pas plus de la tyrannie de la soutane, que de celle du paletot.

L'honorable M. de Theux vient de dire que les accusations dirigées contre certains personnages ne sont pas permises, parce que le caractère de ces personnages les met suffisamment à l'abri de pareils soupçons.

Je ne crois pas qu'il convienne d'entrer ici dans certains détails sur ce point ; mais je puis dire à l'honorable membre, que si, je le voulais, j'apporterais ici, et sans crainte d'être contredit, des faits nombreux qui sont singulièrement à rencontre de la bonne opinion que l'honorable M. de Theux a des personnages auxquels je fais allusion.

M. H. Dumortier. - On y opposerait d'autres faits !

M. E. Vandenpeereboom. - Eh, sans doute ! je le sais parfaitement bien ; mais c'est précisément parce que nous voulons prévenir, autant que possible, ces abus scandaleux, que nous avons fait notre proposition. En avez-vous une autre, possédez-vous une autre formule qui permette d'arriver au même résultat ? Présentez-la ; je la signerai immédiatement avec vous.

Est-il quelqu'un qui puisse contester l'existence des abus dont je parle ? Chacun de nous ne sait-il pas comment les fraudes se commettent, par quels moyens il est facile de s'assurer si l'électeur a déposé, dans l'urne, le bulletin qu'on lui a remis et qu'il a accepté de bon gré ou de force : la manière de plier le bulletin ; la nuance du papier qui, bien qu’il doive être blanc, peut offrir cependant des nuances qu'il est facile de reconnaître, la manière d'indiquer le candidat, en disposant son nom, ses prénoms et ses qualités dans un ordre déterminé, etc., etc. ?

Ne sont-ce pas là autant de moyens de reconnaître les bulletins et le vote qu'ils renferment ? On a voulu prévenir ces abus, en écartant les votants de la surveillance directe dont ils étaient l'objet. Le contrôle n'est facile que parce qu'il s'exerce sur des individus que l'on connaît. Dispersez les individus d'une même commune ; et le contrôle devient difficile, si pas impossible.

Messieurs, j'ai vu le cas suivant : lorsque l'électeur passait pour se rendre au scrutin, on lui remettait, en présence de toute la section, un billet, qu'il était obligé de déposer. Eh bien, c'est à de tels abus qu'il faut porter remède.

Messieurs, on a fait deux reproches à la proposition d'ordre alphabétique. On a dit : Le travail est difficile ; et, en tous cas, il ne peut pas se faire, pour les prochaines élections. On a dit encore : Si ce système est admis, l'électeur campagnard est incertain de l'endroit où il doit aller voter, et il est livré à toutes les intrigues, à toutes les obsessions des citadins. Ce sont là, je crois, les reproches qu'on a faits à la proposition de la section centrale.

Je veux bien reconnaître, que le travail qui est demandé est assez long. En demandant une première liste, par ordre alphabétique, nous (page 942) voulons confondre tous les électeurs. Mais, en faisant une liste d'appel par commune, pour appeler les électeurs des communes les plus rapprochées les premières au premier vote et les dernières en cas de ballottage, qu'avons-nous fait ? Nous avons voulu respecter une des prescriptions, que vous avez, vous-mêmes, introduite dans la loi électorale.

Si le travail se bornait à faire une première liste alphabétique, ce serait peu de chose. J'ai été, pendant quelque temps, commissaire d'arrondissement ; j'ai aidé à préparer les élections de 1848 qui se sont faites avec assez de précipitation après la dissolution et qui se présentaient avec des éléments nouveaux. Eh bien, j'ai acquis la preuve qu'on travaille, au commissariat d'arrondissement, comme ailleurs, suivant que l'affaire est pressée ou ne l'est pas, et qu'en se hâtant un peu, ou fait beaucoup de besogne en peu de temps. Je crois que les commissaires d'arrondissement actuels, qui ont plus d'expérience que je n'en avais alors, feraient aussi beaucoup de besogne, si le gouvernement les en priait.

Mais j'ai voulu savoir quel était à peu près le travail qui résulterait de la mesure que nous proposons ; et j'ai demandé l'avis d'un de mes anciens collègues. Ce collègue a un très grand collège sous sou administration, comprenant près de 6,000 électeurs. Il m'a dit qu'un seul employé ayant tontes les pièces sous les yeux, avait formé une section de 600 électeurs, d'après l'ordre alphabétique des électeurs de toutes les communes, en cinq heures ; donc pour dix bureaux cinquante heures.

Cette première liste faite, on doit faire la seconde. Le travail sera, peut-être, un peu plus long. Je ne veux pas entrer dans des détails. Si la section centrale est réunie, je donnerai à cet égard quelques explications. Je ne veux pas, en ce moment, fatiguer la Chambre. Mais je crois qu'à l'aide de certaines disposions prises dans chaque commune, ou pourrait abréger la besogne d'ensemble. Ce serait le système de la division du travail.

Au reste, je ne veux pas discuter les moyens d'exécution. Je crois bien qu'il y a des obstacles ; mais ils ne sont pas insurmontables.

On a fait au projet un second reproche, qui, s'il était fondé, serait de nature à faire repousser la mesure proposée. On a dit : L'électeur campagnard ne saura pas le lieu où il doit voter. 11 viendra en ville et il ne saura où aller. On aura indiqué sur son bulletin dans quel local il vote, mais il ne saura pas où est ce local.

En entendant ce reproche, on croirait que l'électeur campagnard, rendu en ville, arrive en Chine ; on croirait qu'il n'a jamais mis les pieds dans cette ville où il va voter. On oublie qu'il va dans cette ville dix fois, vingt fois, par année. Donnez à un campagnard un billet de 10 francs à recevoir, n'importe dans quelle rue de la ville, il trouvera cette rue ; et vous supposez qu'il ne saura pas trouver le local de l'élection. Mais vous faites injure aux électeurs campagnards, en leur supposant si peu d'intelligente. C'est vous qui les insultez par de telles suppositions.

On dît : Les électeurs de la ville sont des intrigants ; ils vont circonvenir les électeurs campagnards, ils vont les entourer, les séduire, les tromper, leur faire violence. Messieurs, je ne nie pas que ces actes mauvais puissent se produire isolément ; mais des fails semblables seront toujours rares. D'ailleurs réprimez ces abus : édictez des peines contre ceux qui commettent de pareilles violences, et mon vote vous est assuré.

Je reconnais qu'il y a une influence qui peut s'exercer légitimement sur l'électeur ; c'est celle qui s'exerce pendant les jours qui précèdent l'élection.

On tient des meetings ; on fait des visites ; on envoie des journaux, des circulaires ; on fait ce qu'on peut de part et d'autre pour réussir. J'admets cela. Mais je veux un moment, où l'électeur puisse dire, la main sur la conscience : Quoi qu'on m'ait dit, voilà le vote que me commande l'intérêt de la patrie.

On dit qu'on enlèvera à l'électeur campagnard son bulletin, qu'on le trompera en lui prenant son bulletin et en lui en donnant un autre. Je suis fâché de devoir le dire ; mais en faisant de pareilles suppositions, vous ne respectez guère l'électeur campagnard ; c'est moi au contraire qui le respecte.

Messieurs, qu'on propose à un campagnard de lui donner une pièce de 50 centimes contre une pièce de 20 francs et l'on verra comment on sera reçu. Eh bien ! cet électeur saura aussi conserver son billet, s'il est bon pour lui, et il est bon, si c'est celui que lui dicte sa conscience.

Au cas où l'on voudrait changer son bulletin, qu'il ait soin de son suffrage, comme il a soin de son argent.

On lui fera violence ! Mais, dans ce cas, qu'il se plaigne à la police ; s'il est dans la salle, qu'il en appelle au président et partout il trouvera protection et assistance.

Laissez donc se former un peu les mœurs électorales du pays ; croyez que l'électeur comprendra ce qu'il fait dans une élection, qu'il saura qu'il exerce sa part de souveraineté. Eh bien, il finira par être fier de cette part qu'il prendra à la souveraineté nationale et il dira: Je sais ce que je veux, et ce que je veux, je puis le faire, et je le ferai.

Messieurs, que l'on exerce une influence légitime sur les électeurs, je le comprends ; mais qu'on remette un bulletin à l'électeur et qu'on lui dise : Si vous ne déposez pas ce bulletin dans l'urne, votre femme ne recevra pas l'absolution, ou votre enfant ne fera pas sa première communion... (Interruption) je dis que cela ne peut pas se faire.

Après cela, trouvez-moi une formule pour empêcher les influences illégitimes sur les électeurs campagnards, je signe cette formule.

M. B. Dumortier. - Vous voulez leur voir arracher leurs bulletins dans les bureaux ?

M. E. Vandenpeereboom. - Je dis que si vous voulez édicter des peines pour ces cas exceptionnels et mauvais, car je les déclare mauvais, je signerai cette proposition avec vous.

J'édicterai ces peines avec vous. Mais je dis qu'il doit être pris des mesures contre les violences du dernier instant.

Messieurs, en deux mots, l'ordre alphabétique est une mesure juste, libérale, qui n'offense personne et qui protège tout le monde.

Messieurs, à mon sens, ce que nous avons proposé n'est pas trop, c'est trop peu. Il existe encore d'autres abus, et si, cette fois-ci, nous n'aboutissons pas, le gouvernement sera amené à nous proposer des mesures autrement étendues que celles que nous proposons. Je fais allusion à ces frais déplorables qu'on appelle « frais d'élection ». C'est là un abus qu'il faut frapper dans sa racine ; c'est une honte pour l'élu et pour l'électeur !

M. Rodenbach. - C'est une honte pour la libre Belgique.

M. E. Vandenpeereboom. - Je dis, messieurs, que, tous ensemble et à tout prix, non pas par intérêt, - car beaucoup d'entre nous ne passent point par-là, - mais pour le pays, nous devons couper cet abus à sa racine ; et toutes les mesures, que l'on proposera dans ce but, je les signerai avec tous mes collègues ; je les défendrai avec chaque membre de cette Chambre.

Messieurs, il faut que l'électeur apprenne que s'il vient voter, il remplit un grand devoir, il faut qu'il sache que, s'il trouve un homme probe, désintéressé, qui ne soit pas ambitieux, l'élu n'est pas l'obligé de l'électeur, mais l'électeur est l'obligé de l'élu. Que signifient ces frais énormes qui vont toujours en augmentant ? Je dis que c'est une chose qui me choque, qui me blesse, et je conjure le gouvernement de méditer des mesures sévères, efficaces, contre ce scandale.

Messieurs, pour ce qui est de la mesure en elle-même, je crois que ce qu'il y aurait, peut-être, de mieux à faire, ce serait de renvoyer à la section centrale les explications de M. le ministre de l'intérieur et en même temps l'amendement de nos honorables collègues ; j'en fais la proposition à l'assemblée.

M. Tack. - L'honorable M. Ernest Vandenpeereboom vient de rappeler une déclaration que j'ai faite ici il n'y a pas longtemps, au sujet des fraudes électorales ; je maintiens, messieurs, cette déclaration, et je vous dirai un mot tout à l'heure des abus qui se pratiquent en matière d'élections. J'indiquera où est, selon mo, le mal.

Mais, avant tout, je tiens à déclarer que, pour ma part, je ne puis donner mon adhésion à la proposition qui vous est faite par la section centrale, au nom de toutes ou de plusieurs de vos sections. Je ne puis y donner mon adhésion parce qu'il me semble que cette proposition donne lieu à des inconvénients très graves et parce que, d'un autre côté, je suis profondément convaincu qu'elle n'atteint nullement le but qu'a voulu atteindre la section centrale.

Parmi les inconvénients que présente le projet de loi, il y en a un qui est capital : c'est la difficulté qu'il y aura à constater l'identité de l'électeur.

Aujourd'hui cette difficulté n'existe point. Le faux électeur est impossible.

Aussi, je ne pense pas que jusqu'à ce jour, dans la pratique, on se soit jamais plaint de pareille substitution frauduleuse. La raison en est simple, l'honorable comte de Theux l'a fait connaître il n'y a qu'un instant : lorsque les électeurs votent par groupes de communes au chef-lieu d'arrondissement il s'exerce entre eux un contrôle réciproque ; en outre, le bureau électoral est composé de conseillers communaux appartenant aux mêmes communes que les électeurs ; dès lors il faudrait une audace peu commune pour oser se présenter au scrutin à la place d'un autre électeur ; le faux électeur serait immanquablement découvert.

Avec le système de la section centrale, au contraire, la constatation de l'identité sera difficile ; on ne saurait le méconnaître ; et la section centrale l'a parfaitement senti puisqu'elle a comminé contre les faux électeurs les peines les plus sévères que nous ayons en matière électorale, à savoir : la peine de l'emprisonnement d’un mois à un an et d'une amende de 100 fr. à 1,000 fr., à prononcer cumulativement ou séparément.

Je ne veux d'autre preuve de l'imperfection du système qu'on nous préconise que ces pénalités exorbitantes édictées par la section centrale.

Le deuxième inconvénient qu'accuse le projet de loi et sur lequel je n'ai pas besoin d'insister, d'autres viennent de le faire, c'est qu'il aurait pour résultat inévitable de créer de nouveaux embarras à ajouter à tant d'autres pour les électeurs de la campagne eu les éparpillant, en les disséminant, en un mot en leur rendant l'accès de l'urne électorale très difficile.

Le but, dit-on, que la section centrale se propose, c’est d’assurer 1 indépendance de l'électeur, c'est de garantir la libre expression de la volonté de l'électeur, c'est d'assurer la sincérité du vote, c'est de soustraire l’électeur à la pression qui s'exerce sur lui. Eh bien, ce but ne sera point atteint par la mesure qu'on nous vante. Il existe deux espèces d'influences employées sur l'électeur, tous nous sommes d'accord sur ce point ; il y a l’influence légitime et l'influence illégitime. L'influence légitime, c'est celle qui s'exerce par voie de conseil, par voie de persuasion ; c’est là l'action naturelle des partis, la vie politique.

(page 943) La pression illégitime, c'est celle qui s'exerce par voie de violence, par voie de menaces, par voie de coaction. Quant à cette pression illégitime, ce n'est guère dans le local même où se passe l'élection, qu'elle se produit, c'est presque toujours la veille ou l'avant-veille des élections. Toutefois, je le reconnais, il est cependant un genre de pression qui s'affiche au sein même du collège électoral, je veux parler de ce genre de pression dont nous entretenait tout à l'heure l'honorable M. Ernest Vandenpeereboom, et qui consiste en ce que des individus apostés derrière le bureau électoral remettent à l'électeur, au vu et au su de tout le monde, au moment où il va déposer son vote dans l'urne, le bulletin dont on le contraint à faire usage et dont il n'a pas même pu vérifier le contenu. Cette pression, qu'à tort on indiquerait comme le fait propre à notre parti, est déloyale, elle est odieuse, elle révolte la conscience de tout honnête homme, mais il n'était pas besoin, pour la faire cesser de recourir au vote par ordre alphabétique ; il y a pour cela un moyen beaucoup plus simple, c'est de défendre de distribuer des bulletins dans le local où a lieu l'élection.

Quelle nécessité y a-t-il de tolérer la distribution de bulletins dans le local des élections ? Il n'y en a aucune. Nous savons tous que les électeurs arrivent au scrutin avec leur bulletin en poche.

- Un membre. - Pas toujours.

M. Tack. - Presque toujours et dans tous les cas ils peuvent le faire. C'est tout juste pour mettre fin à l'abus qu'on signale qu'il faut les obliger à se munir de leur bulletin avant d'arriver aux comices. Je ne veux pas défendre d'écrire son bulletin dans la salle des élections, mais j'empêcherais formellement toute remise, tout échange de bulletins dans e bureau électoral.

Le second abus auquel la section centrale prétend porter remède, c'est celui qui consiste dans l’usage des bulletins marqués, autrement dits bulletins forcés, c'est-à dire les bulletins au moyen desquels on force l'électeur de voter contrairement à sa conviction. Sous ce rapport, le vote par ordre alphabétique ne remédie à rien, et cependant le grand mal, tout le mal est dans l'emploi des bulletins marqués.

Messieurs, on est parvenu à organiser le système de l'emploi des bulletins forcés d'une manière remarquable ; on est arrivé à un degré de raffinement, à un art tel, qu'il est difficile de réclamer contre ces bulletins forcés.

Nous le savons tous, autrefois il sortait, il est vrai, de l'urne quelques bulletins marqués ; mais aujourd'hui la moitié ou les trois quarts es bulletins qui sortent de l'r ne sont des bulletins où l'électeur se fait connaître à l'aide de désignations plus ou moins caractéristiques, ou à l'aide d'autres signes, par exemple à l'aide de majuscules qui représentent les chiffres romains ; nous en avons vu ici des spécimens.

Comment se passent les choses dans la pratique, là où les partis sont organisés ? Les bulletins marqués sont confectionnés et délivrés par un comité nommé ad hoc ; celui qui en fait usage, n'a pas même besoin de s'occuper du contrôle des bulletins qu'on lui remet ; un délégué du comité se charge de ce contrôle ; il est posté derrière le bureau électoral, et là il se livre à cette vérification.

Il en communique le résultat après l'élection à celui qui s'est fait délivrer le bulletin marqué ; on opère ainsi la vérification pour cent bulletins aussi commodément que pour un seul.

Remédiez-vous à ces manœuvres, par le vote alphabétique ? Pas le moins du monde. Les choses se passeraient à l'avenir comme dans le passé, à moins que vous n'adoptiez d'autres mesures plus sérieuses.

Y a-t-i1 un remède absolu ? Je ne le crois pas. Le meilleur remède sera toujours la sanction que l'on trouvera dans la vérification ries pouvoirs. Mais cette sanction n'est pas suffisante ; elle est rarement efficace ; car souvent il est difficile, au moment du dépouillement du vote, de constater les fraudes immédiatement ; il faut que plusieurs bulletins de ceux qui observent l'opération aient passé sous les yeux, avant qu'il y ait moyen de constater la fraude, et alors il est souvent trop tard pour réclamer, de sorte que le plus souvent l'abus n'est pas dénoncé à la Chambre.

Mais n’y a-t-il pas au moins certains remèdes au moyen desquels on pourrait atténuer le mal ? Evidemment oui. J'en ai signalé tantôt un, il consista à défendre de distribuer des bulletins au sein du collège électoral. (Interruption.)

Vous dites qu'on les distribuera à la porte ; vous épargnerez au moins à l'électeur l'humiliation que vous lui faites subir, la confusion dont vous l'accablez ; vous éviterez au moins de le blesser dans sa dignité, en l'amenant devant l'urne comme une machine à voter. Au surplus à cela ne se bornent pas les remèdes que je conseille d'employer contre les fraudes électorales, contre les violences qui se pratiquent ; il conviendrait aussi de prescrire l'usage d'un papier officiel.

Pourquoi n'adopterait-m pas un papier officiel, plié d'une manière uniforme et sur lequel serait apposé extérieurement de deux côtés sur les angles, le timbre de l'administration ? L'électeur serait astreint à présenter son bulletin de manière que le timbre ou la marque de l'administration soit visible ; on ferait défense au président du bureau d'admettre d’autres bulletins que les bulletins marqués à l'extérieur du timbre de l'administration. Ce moyen me semble d'une application facile ; il empêcherait du moins que les bulletins soient reconnaissables à l'extérieur.

Quanta la défense de distribuer des bulletins dans la salle de l'élection, elle empêcherait qu'on y exerce la moindre pression.

Pour ce qui concerne les désignations sur les bulletins, on pourrait au moins appliquer le remède signalé, dans une autre occasion, par l'honorable M. E. Vandenpeereboom et qui serait toujours une atténuation au mal. Il conviendrait de défendre au président du bureau de lire les désignations superflues ; on ne pourrait proclamer autre chose que les nom, prénoms, profession et domicile du candidat ; de faire connaître les noms inutiles. Par exemple, quand il s'agit de 4 candidats et qu'un bulletin porte cinq noms, il devrait être interdit au président de lire le cinquième nom qui est souvent celui de l'électeur dont on tient à contrôler le vote.

Mais ce n'est pas assez : il faudrait encore défendre de prendre note des désignations qui figurent dans les bulletins ; que sous ce rapport le président du bureau électoral exerçât à cet égard une police sévère.

Je sais que l'on ne peut pas empêcher les électeurs de surveiller le dépouillement du scrutin. Mais y a-t-il nécessité qu'on vienne se poster derrière le bureau pour prendre note de toutes les désignations qui figurent sur les bulletins ?

Il doit suffire à ceux qui sont présents dans le bureau électoral qu'ils puissent réclamer contre un bulletin quelconque, et exiger qu'il soit séparé des autres pour être joint au procès-verbal.

Toute garantie est donnée par-là aux réclamants, il n'en faut pas d’autre.

En résumé le mal n'est pas là où l'on s'obstine à le trouver ; c'est au moyen des bulletins marqués qu'on viole la sincérité du vote. C'est cet abus qu'il faut déraciner à tout prix. Le vote par ordre alphabétique n'y porte aucun remède ; j'en ai indiqué quelques-uns qui sont propres au moins à atténuer le mal et je les crois d'une application très facile.

M. De Fré. - Messieurs, je demande que la section centrale se réunisse demain pour délibérer sur l'amendement de l'honorable M. Malou, ainsi que sur les observations de M. le ministre de l'intérieur, et qu'elle fasse un rapport sur l'un et l'autre objet au début de la séance de demain.

M. Malou. - Messieurs, il serait contraire à tous les usages de la Chambre de forcer une section centrale de faire un rapport, dans les 24 heures, sur un objet de cette importance, alors que le gouvernement a fait lui-même des objections pratiques.

M. De Fré. - Eh bien, que la section centrale fasse un rapport le plus tôt possible. (C'est cela !)

M. Lelièvre. - Je demande que la Chambre statue sur la motion de l'honorable M. Vandenpeereboom relative au renvoi à la section centrale des explications de M. le ministre de l'intérieur et des amendements proposés. IL y a là une question qui doit être immédiatement résolue.

- La Chambre consultée renvoie à la section centrale les explications de M. le ministre de l'intérieur ainsi que les amendements de MM. Malou et collègues.

Elle décide ensuite qu'elle se réunira demain en séance publique à 3 heures.

- La séance est levée à 5 heures.