Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 925 ) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demanderai que M. le président veuille bien relire la partie du procès-verbal relative à l'incident d'hier.
M. Landeloos. - On n'entend pas ; je demande le rappel au règlement, on doit parler de sa place ou de la tribune et non du milieu de la salle.
M. de Moor, secrétaire. - « Un membre ayant donné les motifs de son abstention, M. le ministre de l'intérieur demande la parole pour y répondre.
« Sur la déclaration de M. le président que la parole lui sera accordée immédiatement après que tous les membres qui se sont abstenus auront été appelés à faire connaître les motifs de leur abstention, M. le ministre de l'intérieur insiste pour qu'elle lui soit donnée auparavant.
« Il s'élève un débat sur la question de savoir si la parole pour répondre à des motifs d'abstention doit être accordée à un ministre avant que tous les membres qui se sont abstenus eussent été admis à motiver leur abstention.
« Plusieurs membres ayant pris la parole, la discussion sur cet incident et la suite des motifs d'abstention sont continuées à demain à deux heures. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je veux faire observer que le débat n'a pas porté sur le point de savoir si le ministre de l'intérieur pourrait prendre la parole avant que les membres qui s'étaient abstenus eussent fini d'exposer les motifs de leur abstention ; le débat s'est élevé sur le point de savoir si le ministre a le droit absolu d'être entendu quand il demande la parole.
Quand j'ai demandé la parole, je n'ai pas dit pour quel motif, je me suis borné à la demander purement et simplement. Elle m'a été refusée ; j'ai rappelé qu'aux termes de l'article 88 de la Constitution, un ministre devait être entendu quand il demandait la parole. C'est sur ce point que nous avons soutenu le débat, disant que, quant à la question de fait, nous n'y attachions pas d'importance, mais que nous tenions à la question de droit.
C'est notre droit que nous avons soutenu. Je demande acte de ma réserve au procès-verbal.
M. le président. - Je dois défendre la rédaction du procès-verbal ; elle est entièrement d'accord avec les Annales parlementaires. La question qui a été soulevée était celle de savoir si le président était obligé d'accorder la parole au ministre pour combattre des motifs d'abstention avant que tous les membres qui s'étaient abstenus eussent fait connaître les motifs de leur abstention ; j'avais eu le soin de dire que je donnerais la parole à M. le ministre de l'intérieur immédiatement après que tous les membres abstenants auraient déduit leurs motifs.
Messieurs, je ne peux pas permettre qu'on change la nature de l'incident. Il n'est jamais entré dans ma pensée de refuser à un ministre le droit constitutionnel de se faire entendre dans cette enceinte quand il demande la parole. Je crois qu'il n'y a pas d’inconvénient à ce que je rappelle les précédents, quoique je sois au fauteuil et qu'il n'est pas nécessaire que j'en descende. (Non ! non !)
Je continue donc. Un discours avait été prononcé par M. de Naeyer, dans lequel il avait cherché à démontrer que la proposition de loi qu'on discutait n'était conforme ni au texte ni à l’esprit de la Constitution, qu'il pouvait tout au moins y avoir des doutes à cet égard ; eh bien, pas plus le ministre qu'aucun autre membre n'a demandé la parole pour répondre à cette partie du discours de l'honorable M. de Naeyer.
Pendant le vote viennent les abstentions, et après l'appel nominal les membres abstenants sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
L'honorable M. de Muelenaere, le premier, expose ses motifs et il prend beaucoup plus de précautions que n'en avait pris l'honorable M. de Naeyer ; il dit qu'il ne lui était pas complétement démontré que le projet de loi est conforme à la Constitution.
Je n'ai pas accordé la parole à l'honorable ministre de l'intérieur lorsqu'il l'a demandée pour répondre aux motifs donnés par l'honorable M. de Muelenaere. Un autre honorable membre a développé alors ses motifs d'abstention ; M. le ministre a de nouveau insisté pour parler et je lui ai déclaré qu'il aurait la parole immédiatement après que tous les membres qui s'étaient abstenus auraient fait connaître les motifs de leur abstention.
Je n'ai certes pas voulu contester le droit constitutionnel qu'a la Couronne de prendre la parole quand elle l'entend, mais il appartient au président de régler l'ordre des travaux, de tenir la police de l'assemblée et il serait impossible de tenir cette police s'il était permis à un ministre de venir interrompre un orateur quand il parle. Ce sont les prérogatives de la Chambre que j'ai voulu sauvegarder.
Messieurs, je n'apporte ici aucune espèce d'amour-propre ; je ne traite pas une question personnelle. Si la Chambre juge à propos de décider contrairement à mon opinion et de donner la parole au ministre avant que tous les membres qui se sont abstenus aient fait connaître leurs motifs, je me conformerai à cette décision sans en être nullement ému.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je fais des réserves quant au procès-verbal.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur fait des réserves, je lui en donne acte.
M. Dolez. - Je crois cependant, messieurs, qu'il y a dans le procès-verbal un mot qui ne peut être maintenu.
Il y est dit que la parole était donnée aux membres qui s'étaient abstenus pour motiver leur vote.
M. le président. - Non, c'est une erreur, il est dit pour motiver leur abstention.
M. Dolez. - On avait dit tout à l’eure : leur vote. C'est pour cela que j'avais demandé la parole.
- Le procès-verbal est adopté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département des travaux publics un crédit de 200,000 fr. pour l'extension des lignes télégraphiques.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ce projet de loi, qui sera renvoyé à l'examen des sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau deux tableaux.
L'un m'a été demandé par les membres de la Chambre ; il indique le nombre des élections qui ont eu lieu, tant pour la Chambre des représentants que pour le Sénat, depuis 1831.
J'avais déposé d'abord un premier tableau qui n'était relatif qu'aux élections de la Chambre.
Une note de M. le président m'a prié de compléter ce tableau eu ce qui concerne les élections qui ont eu lieu pour le Sénat.
J'ai donc fait compléter le tableau et j'ai l'honneur de le déposer.
M. Coomans. - Je demande l'impression.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le second tableau constate mois par mois, pendant une longue série d'années, le mouvement de la population.
Il en résulte que la Chambre a pu, avec toute raison, établir la nouvelle répartition sur l'accroissement présumé de la population, se conformant en ce point aux antécédents posés par les auteurs mêmes de la Constitution dans la rédaction de la loi du 3 mars 1831.
C'est ce qu'en vertu de mon droit je me proposais de faire observer hier à ceux des membres de la Chambre qui invoquaient ou se proposaient d'invoquer des scrupules constitutionnels à l'appui de leur abstention.
M. de Naeyer. - Je prouverai le contraire.
M. de Boe présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Beauvechain et Tourinnes prient la Chambre de rejeter les propositions relatives au vote par lettre alphabétique et demandent : 1° le vote à la commune, sauf à réunir les électeurs des communes rurales, contiguës qui n’auraient chacune qu'un petit nombre d’électeurs ; 2° l'abrogation de la loi qui admet dans le cens électoral l'impôt sur le débit des boissons.
« Même demande d'habitants de Cbapelle-lez-Herlaimont, Breendonck et Westerloo. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant quelques dispositions de la loi électorale relatives aux élections.
« Des habitants de Celles présentent des observations contre la proposition de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique et prient la Chambre d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir, afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales, »
« Même demande d'habitants de Longueville, Evrehailles, Dorinne et d'une commune non dénommée. »
- Même dépôt.
« Par deux pétitions, des habitants de Hamme prient la Chambre, si elle décide d'apporter des modifications à la loi électorale, de faire réunir les électeurs dans la commune, ou du moins au chef-lieu du canton. »
« Même demande d'électeurs à Renaix. »
- Même dépôt.
(page 926) « Le sieur Verschueren, décoré de la croix de Fer et ancien employé des accises, demande un secours ou une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
“Des habitants de Menin demandent la construction d'un canal reliant la Lys à l'Yperlé. »
M. H. Dumortier. - Cette pétition, signée par un assez grand nombre d'habitants notables de Menin, a une importance considérable. Elle a pour objet une demande tendante à relier la province de Hainaut à la mer du Nord, en complétant la ligne de navigation qui existe actuellement, par la construction d'une section de canal entre Menin et Ypres.
Le moment n'est pas venu de développer les considérations importantes qui militent en faveur de cette demande. Je me réserve de le faire ultérieurement. Pour le moment, je me bornerai à demander le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, et je prierai cette commission de vouloir faire un prompt rapport sur cet objet.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec prière d'un prompt rapport.
« Le sieur Jean-Pierre Eschenauer, ancien fabricant de tabac à Louvain, né à Singhofen (duché de Nassau), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. le président. - La parole est à M B. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Messieurs, la question soulevée à la fin de la séance d'hier est d'une importance sérieuse au point de vue de la prérogative ministérielle, au point de vue de la prérogative de la Chambre.
L'article 88 de la Constitution accorde aux ministres le droit d'avoir la parole, quand ils la réclament. Mais voyons d'abord dans quels termes : « Les ministres ont leur entée dans chacune des Chambres ; ils doivent être entendus, quand ils le demandent. »
Je ne vois pas qu'il soit écrit dans la Constitution que les ministres ont le droit d'interrompre un discours pour demander la parole. Ce que la Constitution dit et ce qu'elle devait dire, c'est que les ministres ont toujours le droit d'être entendus dans les Chambres, bien entendu pourvu qu'ils en fassent la demande. Mais la constitution ne dit pas que c'est immédiatement, que c'est, comme le disait M. le ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, eu interrompant un discours. Elle ne dit pas qu'ils ont le droit de parler au moment où ils le demandent, ce qui est très différent. C'est faire dire à la Constitution plus qu'elle ne dit ; c'est étendre les pouvoirs ministériels beaucoup plus que la Constitution n'a voulu les étendre : « Ils doivent être entendus chaque fois qu'ils le demandent » ; c'est-à-dire qu'on ne peut refuser aux ministres la parole lorsqu'ils la demandent, mais cela ne signifie pas qu'ils ont le droit d'interrompre les débats pour avoir la parole, en un mot, de violer les prérogatives parlementaires.
Maintenant, à côté de cette disposition de la Constitution, s'en trouve une autre que, dans l'espèce, nous ne devons pas perdre de vue. C'est l'article 46 ; l'article 46 porte : « La Chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. »
La parole qu'un ministre demande à la Chambre eu vertu de l’article 88 peut et doit lui être accordée conformément à l'article 46, c'est-à-dire d'après le règlement. Si l'article 88 est constitutionnel, l'article 46 n'est pas moins constitutionnel. L'un accorde aux ministres le droit de parler chaque fois qu'ils en font la demande, sans préciser le moment où ils parleront. Mais la manière de procéder dans la Chambre est fixée par l'article 46 de la Constitution, qui dit que cette manière de procéder sera réglée par le règlement.
Je ne puis donc admettre avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il soit permis à un ministre, en vertu de l'article 88 de la Constitution, de venir interrompre les débats, de venir parler au milieu d'un discours, de faire une communication au milieu d'un discours.
Si le principe défendu par M. le ministre de l'intérieur pouvait être admis, il n'y aurait plus d'ordre dans une assemblée, ce serait la perturbation de l'ordre. L'article 88 ne peut être expliqué que par l'article 46 qui exige que la Chambre exerce des attributions conformément à son règlement, et certes le règlement s'explique fort bien sur la manière dont les ministres doivent parler. Il résulte du règlement que dans une discussion régulière un ministre a le droit de parler, quand il en fait le demande, c’est-à-dire qu'il peut interrompre le cours des débats ; mais il n'en résulte pas qu'il a le droit d'interrompre le discours d'un orateur pour dire : Halte-là ! je parle maintenant et vous finissez votre discours après moi : Cela n'est pas possible.
Nous ne pouvons pas reconnaître aux ministres un pouvoir semblable, sans violer notre prérogative ; ce serait là une interruption défendue par le règlement.
Maintenant que porte le règlement ?
Il porte que les membres qui se sont abstenus devront donner les motifs de leur abstention. Mais le règlement qui porte cette disposition n’admet pas que la discussion puisse être de nouveau ouverte, après que les débats sont terminés, que la clôture a été prononcée. C'est alors une discussion posthume, et certes si le ministre a le droit de parler, pour réfuter la manière de voir d'un député qui s'abstient, ce député a le droit de répondre, et alors que deviendrait l'article du règlement qui défend de parler après la clôture des débats ?
Les adversaires parleraient de leur côté et toute la discussion se renouvellerait.
Dans l'ordre de la discussion, le ministre ne peut marcher que comme un autre député, sauf à parler quand il le demande, tandis que nous devons parler à notre tour. Voilà toute la différence entre le ministre et le représentant, et la Constitution n'en a pas voulu d'autre.
Jamais la Chambre n'a interprété le règlement d'une autre manière, et l'honorable M. Rogier lui-même, dans une autre occasion, l'a expliqué tout à fait dans ce sens. Permettez-moi, messieurs, de vous lire ce qui s'est passé dans la séance du 25 mars 1847.
On venait de voter la loi sur les offenses à la royauté, loi que l'honorable M. Rogier trouvait peu constitutionnelle. L'honorable membre s'était abstenu, et voici l'incident qui s'éleva :
« M. Rogier (motivant son abstention). - J'ai fait connaître dans la séance d'hier les motifs qui auraient pu me déterminer à adopter le principe déposé dans l'article premier de la loi, loi dont j'ai d'ailleurs vu la présentation avec un profond regret ; mais telle a été l'étrangeté de la conduite du ministère dans cette discussion, telle a été la portée de certains discours partis des bancs ministériels, que je n'ai pas voulu, au point où en est la discussion, m'engager sur cet article même.
« Voilà pourquoi je me suis abstenu. »
L'honorable M. Malou, qui était alors ministre des finances, croit voir dans ces mots : « l'étrangeté de la conduite du ministère, » croit voir dans ces mots une allusion personnelle ; ii demande la parole non pour réfuter les motifs d'abstention de l’honorable M. Rogier, mais en vertu du droit qu'a chacun de nous de répondre à un fait personnel.
« M. le ministre des finances. - Il semblerait résulter de ces deux abstentions (MM Osy et Rogier) que dans mon discours d'hier, j'aurais attaqué la liberté de la presse. J'en appelle au Moniteur, aussi bien qu'à vos souvenirs, tout mon discours n'a-t-il pas été en faveur de la liberté de la presse ? »
M. Malou. - On avait fini les abstentions.
M. B. Dumortier. - On avait fini les abstentions.
« M. Rogier. - Je demande s'il est d'usage de discuter les motifs d'une abstention ? »
Voilà donc M. Rosier qui vient proclamer qu'il n'est pas d'usage de discuter les motifs d'abstention, Remarquez que M. Malou ne discutait pas les motifs d'abstention.
M. le président (M. Liedts). - M. le ministre des finances n'a pas discuté les motifs d'une abstention, il a relevé un fait personnel.
« M. Rogier. - Je demande s'il est conforme aux usages de la Chambre qu’un ministre discute les motifs d'une abstention ? Si l'on veut considérer comme non avenue la réponse du ministre, je veux bien ne pas y répliquer ; mais c'est à la condition que sa réponse ne se trouvera pas dans le Moniteur. »
Voilà, messieurs, les maximes de cette époque.
« Plusieurs membres : Non ! non !
« M. Rogier. - Alors je demande à répondre.
« M. le président. - M. le ministre des finances s'est, je le répète, borné à répondre à un fait personne1, il n'a pas attaqué l'honorable membre qui n'a par conséquent pas à répondre à un fait personnel.
« M. Rogier. - Je réponds en deux mots :
« M. le ministre des finances conteste que son discours ait la portée qu'on lui attribue. Je dis que l'impression générale sur nos bancs, c’est que son discours était empreint d'un esprit d'hostilité contre la liberté de la presse.
« Dans l'intérêt des travaux de la Chambre, je ne veux pas insister, mais je persiste à penser que ce serait un antécédent fâcheux que celui qui, autorisant à discuter les motifs d'une abstention, pourrait réveiller toute une discussion. »
Je le demande, messieurs, y a-t-il rien de plus clair ? Alors l’honorable M. Rogier soutenait cette doctrine, qu'un ministre ne pouvait venir combattre les motifs d'une abstention. C'était sa doctrine à cette époque ! Et maintenant quelle est sa doctrine ? C'est que lui, ministre de l'intérieur, a le droit de se lever pour discuter les motifs d’une abstention.
Que conclure de là ? C'est qu'on a des doctrines à tout usage, qu'on en a tant, qu'on finit par en avoir de rechange. Voilà maintenant ce que répond l'honorable M. Malou, ministre des finances :
« Le ministre des finances. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel ; je crois qu'il n'y a là aucun précédent fâcheux. S’il y a un fait personnel dans une abstention, le membre de la Chambre que le fait concerne a le droit de le relever, ce droit j'en ai usé, si l’occasion s’en présenterait, j'en userais encore.
« (L'incident est clos.) »
Vous voyez donc que l'honorable M. Rogier déniait à un ministre le droit de répondre à des abstentions, et il avait raison ; l’honorable M. Matou ne réclamait pas davantage ; mais il réclamait le droit de (page 927) répondre à un fait personnel, et il avait aussi personnellement raison ; de manière qu'on n'avait pas imaginé alors qu'un ministre eût le droit de répondre à des motifs d'abstention, et rouvrir la discussion, après qu'elle a été close.
Messieurs, il faut de l'ordre dans une assemblée délibérante. Vous avez une discussion ; cette discussion suit son cours ; quand elle est arrivée à son terme, vous prononcez la clôture ; quand la clôture est prononcée, elle l'est tant pour les ministres que pour les simples membres de la Chambre.
Comment ! Après que la clôture a été prononcée, vous auriez le droit de prononcer encore des discours !
La Constitution ainsi interprétée n'amènerait que désordre dans l'assemblée. La seule interprétation possible, c'est que vous ne pouvez parler que quand votre tour arrive, que vous ne pouvez pas interrompre les autres, et que vous devez suivre le règlement, comme tous les députés doivent le faire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'aurais voulu que l'honorable préopinant ne réveillât pas la discussion d'hier.
J'avais offert, me semble-t-il, aux amis de la paix parlementaire une occasion de terminer, sans aller plus loin, un incident qui s'était élevé à l'improviste à la fin de cette discussion. Quant à moi, je n'ai plus rien à dire. Ce que je voulais dire hier aux membres qui s'abstenaient, je l'ai dit aujourd’hui, usant de mon droit constitutionnel.
Je considère donc, en ce qui me concerne, l'incident comme clos. Les membres de la Chambre, qui se sont abstenus, continueront de motiver leur abstention comme ils l'entendront ; je ne dirai plus rien ; je renonce à la parole.
L'honorable M. Dumortier a eu la bonne fortune ou on la lui a procurée cette bonne fortune, de remonter à un antécédent de 1847 pour établir que le ministre de l'intérieur d'aujourd'hui, membre de l'opposition alors tenait à cette époque un langage différent de celui qu'il tient aujourd'hui.
Moi, je connais des représentants qui n'ont jamais eu l'avantage d'être ministres : ce qui ne les a pas empêchés de tenir, à diverses époques, les langages le plus opposés. L'honorable M. Dumortier doit connaître un peu ces représentants ; mais je ne veux pas récriminer.
Ce que j'ai soutenu en 1847, je le soutiens encore aujourd'hui ; il n'est pas dans les usages parlementaires de discuter des motifs d'abstention. C'est tout à fait exceptionnellement qu'on demande à les discuter, et c'est aussi exceptionnellement qu'hier j'aurais dit quelques mots en réponse aux motifs d'abstention présentés par l'honorable M. de Muelenaere, si on m'avait accordé la parole, mais je fais observer que c'est le droit de discuter les motifs d'abstention qui a l'ait l'objet des débats d'hier. J'ai soutenu que lorsqu'un ministre du roi demandait la parole, il devait être entendu ; c'est sur ce terrain que je suis resté.
M. le président lui-même doit reconnaître que j'étais dans mon droit en demandant à être entendu. M. le président a cru, de son côté, qu'il était dans son droit ; ii a cru que les convenances parlementaires étaient mieux sauvegardées s'il me donnait la parole après que les membres que s'étaient abstenus eussent fait connaître leurs motifs ; il est possible que l'ordre eût été mieux observé, si j'avais parlé après qu'on eût entendu tous les motifs d'abstention, mais cela n'enlève rien au droit que j'avais de demander la parole et d'être entendu.
Voilà le droit que j'ai défendu. Cela n'a jamais fait doute dans la Chambre. L'honorable M. de Theux, qui a pris la parole hier, aurait pu se rappeler ce qui s'est passé à une époque où lui-même était ministre. Il avait une communication à faire à la Chambre, il a demandé la parole. L'honorable M. Gendebien voulait qu'on s'expliquât avant de l'entendre sur d'autres objets, l'honorable M. de Theux en a appelé dans les mêmes termes que moi à l'article 88 de la Constitution.
L'honorable M. Gendebien avait invoqué le règlement, M. de Theux lui répondit : Vous invoquez le règlement, moi j'invoque la Constitution, et il avait raison, il comprenait dans cette circonstance les devoirs que lui imposait sa position, il exerçait ses fonctions de ministre comme il devait le faire, avec dignité, avec énergie. J'ai été surpris de le voir hier s'associer à une opinion qui n'irait pas à moins qu'au renversement de l'article 88 de la Constitution. Voilà en quel point seulement l'incident d'hier a pu prendre de grandes proportions. On contestait aux ministres le droit d'être entendus quand ils le demandent.
Je crois que ce droit est incontestable et doit rester incontesté ; maintenant est-ce à dire qu'un ministre usera et abusera de ce droit au point d'interrompre les orateurs sans aucune raison sérieuse ? On doit comprendre ce droit exercé d'une manière raisonnable, utile. Que l'on suppose au contraire qu'un ministre voudra exercer ce droit à outrance ; eh bien, si j'étais président, j'aurais tant de respect pour la Constitution, que j'accorderais au ministre le droit d'être entendu chaque fois qu'il demanderait la parole, mais quand il aurait fini de parler, j'userais aussi de mon droit en proposant un vote de censure contre le ministre qui aurait abusé de sa prérogative.
Voilà les droits des ministres et les droits de la Chambre. Tous nos droits, nous pouvons en abuser, mais nous n'en abusons pas, nous en usons eu hommes raisonnables.
Le Roi a le droit de dissoudre la Chambre ; il ne la dissout pas chaque année ; le Roi a le droit d'ajourner la Chambre, il ne l’ajourne pas sans de sérieuses raisons.
Les ministres doivent être entendus chaque fois qu'ils demandent la parole ; ils ne la demandent pas à tout propos, sans motifs sérieux ; s'ils le faisaient, cet abus pourrait provoquer et mériterait un vote de censure de la Chambre. Voilà votre droit, voilà le nôtre ; mais, de grâce, ne contestez pas un droit aussi formellement inscrit dans la Constitution.
Voilà sur quoi je me suis animé avec raison ; quant au fait qui a donné naissance à l'incident en lui-même, il ne vaut pas la peine d'en faire l'objet d'un débat. Ce que je voulais dire hier en demandant la parole, je l'ai dit aujourd'hui en donnant des explications à l'appui du tableau que j'ai déposé. Ces explications répondant aux scrupules constitutionnels qui avaient été exprimés, considérant l'incident comme clos, et ma demande de parole n'ayant plus d'objet, j'y renonce sous toutes réserves.
M. le président. - Il s'est opéré un changement quant à l'incident qui a surgi hier ; la grande question constitutionnelle n'est pas en jeu, le gouvernement fait ses réserves, la Chambre fait les siennes de son côté ; les prérogatives de part et d'autre sont réservées.
M. le ministre a dit qu'il considérait l'incident comme clos et qu'il renonçait à la parole pour combattre les motifs d'abstention.
Il ne me reste donc plus qu'à donner 'a parole à l'honorable M. de Portemont et aux autres membres qui se sont abstenus, pour expliquer les motifs de leur abstention, sauf à M. de Theux, qui a demandé la parole pour un fait personnel, à s'expliquer au préalable. (Interruption.) Je donne la physionomie du débat.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit que je renonçais k la parole ayan1 dit ce que j'avais l'intention de dire hier.
M. le président. - Usant de son droit constitutionnel, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître, en déposant deux tableaux, les motifs qu'il aurait donnés hier si la parole lui avait été accordée ; il a dit qu'il considérait l'incident comme clos et qu'il renonçait à la parole pour répondre aux motifs d'abstention, au fur et à mesure qu’ils seraient présentés, se réservant de le faire après, s'il le jugeait à propos.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les questions de prérogatives sont extrêmement délicates ; en général, les pouvoirs en présence quand ils viennent se heurter à ces questions si difficiles, parfois même si dangereuses, cherchent quelque expédient qui respecte la dignité de tous sans compromettre le droit de personne.
A la séance d'hier la prérogative royale a été contestée. (Interruption.) La prérogative du gouvernement est inscrite dans l'article 88 de la Constitution... C'est ce qu'on appelle, je pense, la prérogative royale.
M. B. Dumortier. - La prérogative ministérielle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La prérogative royale, la prérogative du gouvernement n'a pas été complétement respectée. On a prétendu que le ministre demandant la parole lorsque divers membres avaient à motiver leur abstention, le droit du ministre était paralysé ; on a soutenu que le ministre ne pouvait pas parler alors, qu'il devait attendre que tous les membres qui s'étaient abstenus se fussent expliqués.
La séance d'hier a été levée sans que la difficulté ait été résolue. Aujourd'hui, à l'ouverture de la séance, nous avons exercé le droit contesté, nous avons...
M. Coomans. - C'est un jeu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette manière de faire peut déplaire à ceux qui cherchent à aggraver l'incident, à jeter des germes d'irritation dans la Chambre ; cette manière de faire qui dénote un esprit conciliant, modéré, comme on le dit à mes côtés, peut déplaire au parti conservateur, au parti de l'ordre et de la modération, au parti qui a la prétention de se poser surtout en défenseur de la prérogative royale.
Oui, il peut lui déplaire que nous cherchions à éviter de regrettables conflits ; constatons-le devant le public. Le public reconnaîtra en même temps que, tout en sauvegardant de graves intérêts qui sont en jeu, nous avons su par le fait conserver intact le droit qui appartient au gouvernement.
Nous avons voulu éviter, et nous le cherchons encore, nous ne le dissimulons pas, une discussion irritante dont les résultats ne peuvent être prévus dès ce moment.
Je dis donc que l'incident n'ayant pas été clos dans la séance d'hier, nous nous sommes présentés à la séance de ce jour et, interrompant les explications des membres qui avaient à motiver leur abstention, nous avons fait exactement aujourd’hui ce que nous prétendions avoir le droit de faire hier (Interruption.)
M. B. Dumortier. - La discussion n'était pas reprise.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons fait deux communications au nom du gouvernement, comme nous eussions pu le faire hier, et grâce à la seconde de ces communications qui se rapporte à l'objet de l'incident, mon honorable collègue de l'intérieur a pu dire quelles étaient les raisons qu'il aurait opposées aux motifs développés hier par l'honorable M. de Muelenaere.
De la sorte il a rendu inutile une discussion ultérieure sur l'incident. Il n'y a plus à rechercher maintenant si un ministre doit attendre que tous les membres aient donné leurs motifs d'abstention avant de prendre la parole. Ou niait que le ministre eût le droit de se mouvoir, et il a marché ; on contestait son droit, et il l'a exercé. En faisant une communication au nom du gouvernement, en déposant un projet de loi, d'après les ordres du Roi, en suspendant ainsi toute discussion, il a été (page 928) établi par le fait que rien ne peut paralyser le droit constitutionnel des ministres d'être entendus quand ils le demandent.
Cette solution ne blesse la dignité de personne ; elle n'implique assurément rien de désobligeant pour l'honorable président de la Chambre. M. le président fait des réserves sur les doctrines qu'il a émises hier ; c'est son droit ; il peut maintenir ses réserves ; nous ne nous y opposons pas. Mais comme personne n'a l'intention, je présume, de provoquer la solution de questions théoriques, qui n'auraient plus maintenant aucune utilité pratique, on s'accordera pour déclarer que l'incident est terminé.
Je dois ajouter cependant que la doctrine que nous avons défendue hier et que nous avons mise en pratique aujourd'hui a été soutenue fréquemment par les ministres dans cette Chambre. Elle l'a été par l'honorable M. de Theux. Il réclamait la parole en qualité de ministre pour faire une communication au nom du gouvernement. On lui opposait le règlement et l'on prétendait qu'une motion d'ordre qui venait d'être faite devait avoir la priorité. L'honorable M. de Theux, invoquant la Constitution, a soutenu qu'il devait être entendu parce que, ministre, il demandait à parler.
Dans la séance du 8 juillet 1832, l'honorable M. de Theux demanda la parole pour communiquer à la Chambre l'arrêté de clôture de la session.
- Un membre. - Un arrêté royal !
M. de Theux. - Je me rappelle parfaitement cette circonstance.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nos amis et nous, nous avons posé en principe hier que nous pourrions aller jusqu'à interrompre un orateur parlant à la tribune pour donner connaissance de l'arrêté royal prononçant la clôture de la session. Ce que nous donnions comme une hypothèse s'était déjà réalisé en fait, et vous semblez admettre maintenant le principe. Vous reconnaîtrez, avec l'honorable M. de Theux, que l'on ne peut opposer le règlement au ministre qui se prévaut du droit absolu inscrit dans l'article 88 de la Constitution.
On ne peut aller jusqu'à paralyser le droit que donne le règlement aux orateurs de ne pas être interrompus. Supposez, en effet, que le gouvernement ne craigne que les débats ne prennent un caractère dangereux. Il se décide à clore la session, si le péril qu'il redoute vient à se manifester. Les ministres sont porteurs de l'arrêté royal qui suspend les délibérations des Chambres, et ils ne pourraient en faire usage qu'après avoir laissé prononcer le discours qu'ils voulaient empêcher ou subi les interpellations qu'ils voulaient arrêter dans l'intérêt du pays ! Evidemment cela n'est pas admissible, et c'est ce que l'honorable M. de Theux s'est chargé de démontrer.
Il s'exprimait ainsi dans la séance du 18 juillet 1832 :
« J'ai déjà eu l'honneur de dire que j'étais chargé d'une mission de la part du Roi, que je voulais remplir mon devoir, que dès lors je devais obtenir la parole. C'est là qu'est la question. De nouveau je demande la parole pour remplir le devoir qui m'est imposé, (Bruit.) Aux termes de la Constitution un ministre est entendu chaque fois qu'il le demande ; je demande a être entendu. »
On lui oppose le règlement qui porte que toute motion d'ordre doit avoir la priorité, et l'auteur de cette motion qui avait pour objet des interpellations au ministère, insiste pour qu'il y soit donné suite. L'honorable M. de Theux répond :
« Ce n'est pas dans le règlement que je cherche la règle que je dois suivre pour remplir mon devoir ; c'est dans la Constitution.
« L'article 88 dit : Les Ministres doivent être entendus quand ils le demandent. Si dans ce moment j'insiste pour exécuter ma mission, ce n'est pas que le gouvernement ait aucun motif particulier pour ne pas répondre aux questions qui sont faites, mais c'est que je veux remplir mon devoir. »
M. Coomans. - Il n'a pas interrompu le discours de l'orateur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'a pas admis que l'on pût opposer le règlement pour paralyser l'exercice de son droit constitutionnel. Dans cette même séance, M. Milcamps, examinant cette question, s'exprimait ainsi :
« La question me paraît extrêmement grave. D'une part la Constitution donne au Roi le droit de clore la session des Chambres, et elle ne fixe pas le moment où il peut user de cette prérogative ; il s'ensuit qu'il peut en user quand il lui plaît et faire prononcer la clôture de la session même au milieu d'une discussion. D'un autre côté, un ministre peut demander la parole quand bon lui semble, et d'après la Constitution nous ne pouvons la lui refuser. Si donc le ministre qui doit être entendu quand il le demande, insiste en ce moment pour obtenir la parole, nous sommes obligés de l'entendre et rien ne peut l'empêcher de lire l’arrêté de clôture. Voilà, je pense, la seule manière d'interpréter sainement la Constitution... »
L'honorable M. Devaux soutenant dès 1832 l'opinion qu'il défendait encore hier, disait en propres termes :
« Quant à la question de droit, elle ne saurait, selon moi, faire de difficulté, et elle est résolue très clairement par la Constitution. Il est évident que le Roi a le droit de dissoudre les Chambres quand il veut : il peut le faire au milieu d'une discussion, à chaque instant, de quoi qu'il s'agisse, et le ministre chargé de faire la notification aux Chambres doit toujours être entendu. Je regretterais rependant que le ministre refusât de répondre aux nouvelles interpellations qui lui sont faites ; il le doit par esprit de conciliation, mais s'il insistait encore, il faudrait bien se rendre ou poser ainsi la question : La parole sera-t-elle interdite à M. le ministre ? »
Et, en effet, cette seule manière de poser la question, nous en donne la solution. La parole sera-t-elle refusée au ministre qui la demande ? C'est justement le contre-pied de l'article 88 de la Constitution.
Ce n'est pas la seule fois que la question se soit présentée.
En 1843, l'honorable M. Raikem, président, a maintenu au ministre le droit de parler, bien que l'on invoquait le règlement pour le lui contester. Il s'exprimait ainsi dans la séance du 21 janvier 1843 :
« Aux termes de l'article 88 de la Constitution, les ministres doivent être entendus quand ils le demandent. Cette disposition est claire, et elle a toujours été exécutée en ce sens que, quand les ministres demandent la parole, elle leur est toujours accordée. Je ne puis donc faire autrement que d'accorder la parole à M. le ministre des travaux publics. Ensuite la Chambre décidera ce qu'elle croira convenable. Si ma mémoire est fidèle, en France une discussion s'est élevée sur la question de savoir si l'on devait accorder la parole à un ministre après que la clôture avait été prononcée. Mais ici cette question ne se présente pas ; la clôture n'a pas été prononcée. »
Enfin en 1846 encore, l'honorable M. Vilain XIIII, président, M. Van de Weyer, ministre de l'intérieur, la même solution a été donnée à la question. Le droit constitutionnel a été respecté, malgré l'appel au règlement.
La clôture de la discussion était régulièrement demandée. Aux termes du règlement, la parole ne peut plus être accordée que sur la clôture. Cependant M. le ministre de l'intérieur insiste pour parler. Le Moniteur retrace ainsi l'incident :
« M. le ministre de l’intérieur. - Je demande la parole. (Non ! non ! La clôture ! la clôture !) Les ministres ont le droit d'être entendus chaque fois qu'ils le demandent, et ils doivent surtout être entendus lorsque des interpellations leur ont été adressées. (Interruption). Je ferai remarquer à la Chambre que la question n'est pas nouvelle ; elle a été posée dans la discussion, mais elle m'est échappée de la mémoire, lorsque j'ai répondu à l'honorable M. Fleussu. Je désire réparer cet oubli, et, en même temps, remplir un devoir envers la Chambre. »
On conteste le droit du ministre ; mais l'honorable M. Vilain XIIII le maintient en ces termes :
« Les ministres ont toujours le droit d'être entendus. La parole est à M. le ministre de l'intérieur. »
Ainsi, quoique la clôture fût demandée, et qu'aux termes du règlement, on ne fut plus admis à parler que sur la clôture, la parole est accordée au ministre d'une manière indéterminée, sur le fond du débat, en vertu de l'article 88 de la Constitution.
M. Orts. - Il y a même eu un rappel formel au règleme n, que la Chambre a écarté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce précédent n'est donc pas moins formel que les autres. Aussi M. le président Vilain XIIII, après avoir entendu M le ministre, n'a pas hésité un seul instant à déclarer que « les ministres ont toujours le droit d'être entendus ; » et a Chambre a ratifié encore une fois cette décision.
Nous avons donc soutenu une doctrine qui a été affirmée par tous les ministres qui se sont assis sur ce banc, et que tous les ministres qui viendront après nous, continueront à défendre également. On ne peut renoncer à la prérogative qui est écrite dans l’article 88 de la Constitution. Ce n'est pas en invoquant le règlement, soit qu'il s'agisse d'un vote, d'une demande de clôture, d'une motion d'ordre, de faits personnels, ou d'un incident quelconque, ce n'est pas en invoquant le règlement, qu'on pourra paralyser le droit des ministres.
Si un ministre abuse de ce droit, la Chambre en blâmant, en censurant le ministre, en déclarant qu'il n'a pas sa confiance, saura toujours faire respecter les convenance et exercer sa prérogative.
Ces principes établis, comme en fait, il n'y a plus aucune espèce de nécessité de s'occuper de l'incident après la déclaration de M. le ministre de 1 intérieur, je crois qu'il entrera parfaitement dans les idées conciliantes de la Chambre de clore cette discussion.
M. de Theux. - M. le ministre de l'intérieur nous a accusés de saisir avec empressement l'occasion de créer des embarras à la Chambre et au gouvernement. Telle n'est pas notre pensée. Fût-elle même telle, qu'elle n'aurait aucun but utile.
M. le ministre des finances dit : Le parti de l'ordre veut renverser les prérogatives du pouvoir exécutif. Non, messieurs. Mais le parti de l'ordre veut maintenir les prérogatives de la Chambre tout aussi bien que celles du pouvoir exécutif. Nous avons juré d'observer la Constitution dans toute sa plénitude, sans distinction des pouvoirs.
Vous avez remarqué, par le fait même que M. le ministre des finances a cité et qui me revenait à la mémoire, lorsque M. le ministre de l'intérieur a cité un précédent que j'avais posé, sans dire lequel, qu'il n'y a aucune analogie entre les deux situations.
Je venais de clore la session au Sénat. Une motion d'ordre s'était élevée dans le sein de la Chambra sur la communication de certains (page 929) documents diplomatiques ou pour des interpellations relativement à la situation .diplomatique. J'ai dit que je venais communiquer l'arrêté de clôture et que rien ne pouvait m'empêcher de faire cette communication.
Ce que j'ai dit alors, je le dis aujourd'hui. Si M. le ministre de l'intérieur, au milieu du vote, avait tiré de sa poche un arrêté de clôture, nous en eussions entendu la lecture avec respect et nous nous serions séparés immédiatement ; et si nous avions continué à délibérer ou à vouloir consommer le vote, nous eussions été en dehors de notre droit constitutionnel, nous n'étions plus Chambre, nous n'étions que des individus.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On ne savait pas ce que j'avais à dire. J'ai demandé la parole et on me l'a refusée.
M. de Theux. - Messieurs, rappelons les faits tels qu'ils se sont passés dans la séance d'hier, résumons les prétentions qui se sont élevées et que je condamne aujourd'hui comme je les condamnais hier, et vous verrez qu'aucun des précédents qu'on a cités n'a d'analogie avec ces faits.
Mais auparavant, je veux communiquer à la Chambre un précédent extrêmement remarquable.
Pendant plusieurs années, des membres du cabinet qui ne faisaient pas partie de la Chambre, avaient usé du droit qui, suivant moi, leur appartenait, de présenter des amendements à des projets de loi que le Roi les avait chargés de présenter à la Chambre.
Après plusieurs années, des membres de la gauche contestèrent cette prérogative aux ministres. Ils dirent : Pour présenter un amendement, il faut être membre de la Chambre. Fallait-il mettre cette question aux voix ? Elle était assez grave. Que fit-on ? De l'assentiment de la Chambre et du gouvernement, on institua une commission de la Chambre pour examiner la question. Je fus même nommé membre de cette commission ; mais cette commission n'a jamais été convoquée. Eh bien, si le débat commencé hier avait persisté, j'aurais encore proposé la même marche. J'aurais dit : Nommons une commission qui examinera si un ministre a le droit de prendre la parole pendant que les membres qui ont déclaré s'abstenir ont été invités par M. le président à donner les motifs de leur abstention. C'était la seule manière rationnelle de décider la question.
Si la Chambre adoptait une résolution contraire à la pensée, à la conviction du gouvernement, si elle adoptait une résolution qu'il croirait inconstitutionnelle, le gouvernement a le droit de prononcer la dissolution de la Chambre et de faire examiner de nouveau la question.
Voilà la marche à suivre. Mais jusqu'où a-t-on été ? On a été jusqu'à contester au président le droit de consulter la Chambre. On a dit : Vous mettez en question une prérogative constitutionnelle, la Chambre n'a pas le droit de voter sur cette question. Mais nous aurions pu répondre : Est-ce à MM. les ministres seuls à déterminer les prérogatives et l'étendue des pouvoirs de la Chambre ? Assurément non. La Chambre n'est pas une classe dont M. le ministre est le maître. C'est un corps délibérant ; il délibère librement ; s'il se trompe, le gouvernement a le droit de le dissoudre et de faire un appel au pays. Mais son droit ne va pas au-delà. On ne peut contester à la Chambre le droit d'émettre une opinion sur ce qu'elle croit être sa prérogative ; sinon il n'y a plus de Chambre, la police de l'assemblée n'appartient plus au président et le président n'aurait plus le pouvoir de consulter la Chambre sur l'étendue de ses pouvoirs.
Voilà une théorie extrêmement simple. Mais j'ai entendu avec étonnement les opinions qui se sont produites.
Ainsi, on a soutenu que les ministres avaient le droit d'interrompre un orateur, de parler quand ils le voulaient. Ainsi, après que M. le président a prononcé la clôture, un ministre peut rouvrir la discussion. Mais si le ministre peut rouvrir la discussion, il est bien dans les prérogatives des membres de la Chambre de répondre aux discours des ministres, et dès lors le droit de clore la discussion n'appartient plus ni à la Chambre, ni au président.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela s'est ainsi pratiqué en France.
M. de Theux. - Si M. le ministre a toujours le droit de parler, il s'ensuit que le vote commencé (car le mot toujours n'admet pas d'exception) pourra être interrompu par un ministre. Et ainsi, de conséquence en conséquence, où irons-nous ?
Ce sont là des procédés qui n'ont jamais été pratiqués, qui répugnent au bon sens et qui ne peuvent jamais être pratiqués.
Je n'insiste pas davantage, messieurs, sur l'incident, qui me paraît clos, car la Chambre, à coup sûr, réserve bien ses prérogatives comme M. le ministre de l'intérieur réserve les siennes. Evidemment nous ne pouvons pas accepter comme une solution contraire à l'opinion que nous avons soutenue ce qui s'est passé avant le commencement de la discussion. M. le ministre a fait une communication et a prononcé quelques mots, ce n'est point là résoudre la question. La question reste entière, et si elle se présentait de nouveau, M. le président aurait à consulter la Chambre et la Chambre aurait à émettre un vote, ou à renvoyer l'affaire à une commission, ce à quoi je ne m'opposerais pas.
Un seul mot encore, messieurs, pour répondre à une insinuation de M. le ministre de l'intérieur, en ce qui concerne ma carrière politique. Je n'ai jamais soutenu deux théories, l'une au ministère, l'autre en dehors du ministère ; ma manière de voir sur les prérogatives de la Couronne, sur les prérogatives des ministres, sur les prérogatives de la Chambre, sera toujours la même au pouvoir et en dehors du pouvoir. Je ne désire qu'une seule chose, c'est de garder fidèlement le serment, que j'ai prêté à plusieurs reprises, d'observer la Constitution.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'honorable M. de Theux le désire, je suis prêt à le déclarer l’homme le plus conséquent de son parti, l'homme le plus sérieux, l'homme le plus considérable. Je veux bien lui faire ces concessions. Ce n'est pas à lui que j'ai fait allusion, c'est à l'honorable M. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Moi ! Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais que l'honorable M. de Theux veuille bien me permettre de le lui dire, il est en complète contradiction en 1859 avec l'opinion qu'il a exprimée en 1832. L'honorable M. de Theux, j'ai été frappé de la similitude, a invoqué absolument les mêmes arguments que moi ; il s'est exprimé à peu près dans les mêmes termes que moi : « Vous m'opposez, disait-il, le règlement ; moi j'invoque la Constitution ; un ministre a toujours le droit d'être entendu quand il le demande. » Voilà l'excellent terrain, le terrain gouvernemental, où se plaçait l'honorable M. de Theux en 1832. Je regrette qu'il semble l'abandonner en 1859.
J'ai dit, messieurs, que l'incident est clos, en ce qui me concerne ; mais nous maintenons intact le système que nous avons défendu hier. Nous maintenons dans toute son intégrité la prérogative que nous attribue l'article 88 de la Constitution, et si la Chambre voulait nommer une commission pour déterminer, limiter cette prérogative, nous nous opposerions formellement à la nomination d'une pareille commission.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je vous avoue que ce n'est pas sans surprise que j'ai entendu l'honorable ministre de l'intérieur venir nous dire tout à l'heure que lorsqu'il avait parlé de personnes ayant différentes doctrines suivant les circonstances... (Interruption.)
Je crois, messieurs, que si l'honorable ministre faisait un petit retour sur sa conscience, il aurait à faire un énorme mea culpa, lui qui a toujours eu au pouvoir et dans l'opposition deux doctrines diamétralement opposées l'une à l'autre. Vous venez de voir encore que ce qu'il soutenait en 1847 est diamétralement opposé à ce qu'il soutient aujourd'hui. Regarder dans votre œil et vous y verrez un sommier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je déclare retirer mes paroles. Je déclare que l'honorable M. Dumortier a toujours été parfaitement conséquent avec lui-même. (Interruption.)
M. B. Dumortier. - Je dois, messieurs, de mon côté faire aussi quelques réserves. J'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que l'article de la Constitution invoqué par MM. les ministres leur accorde le droit de parler quand ils le demandent, mais non pas au moment même où ils le demandent ; ce qui est tout à fait différent.
Ce n'est pas ici, messieurs, une question relative à tels ou tels ministres ; ce que je soutiens, je le soutiens pour toutes les opinions, li s'agit des prérogatives de la Chambre, et pour mon compte je les défendrai chaque fois qu’elles seront attaquées, n'importe de quel côté.
Je le répète donc, messieurs, la Constitution donne aux ministres le droit de parler quand ils le demandent, mais non pas au moment où ils le demandent. Un ministre doit parler conformément au règlement, et c'est ainsi que les choses ont toujours été entendues
Je dis donc avec l'honorable préopinant que les choses doivent rester entières, que chacun doit faire ses réserves, la Chambre d'un côté, le ministère de l'autre, et que c'est là la meilleure manière de clore l'incident.
- De toutes parts. - La clôture ! la clôture !
M. de Theux (pour un fait personnel). - Messieurs, je n'entrerai pas dans de nouvelles explications. La chambre a entendu ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur et ce que j'ai dit. Il n'y a aucune espèce de contradiction en ce que j'ai demandé qu'un ministre fût entendu quand il venait communiquer un arrêté de clôture, tout en soutenant qu'un ministre n'a pas le droit d'interrompre un vote de la Chambre. Je persiste dans cette double opinion.
M. le président. - La discussion est close. Il est bien entendu que les droits respectifs de la Chambre et de la Couronne restent saufs, que l'incident, d'après les déclarations qui viennent d’être faites, est clos et que je n'ai rien à mettre aux voix.
M. Malou. - Ce sera inséré au procès-verbal ?
M. le président. - Oui, monsieur, ce que je viens de dire sera inséré au procès-verbal.
M. le président. - La parole est à M. de Portemont pour faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Portemont. - Je me suis abstenu pour les motifs qu'a développes hier M. de Naeyer.
M. Desmaisières. - Je me suis abstenu parce que j'ai des doutes sur la question de savoir si le recensement de 1856 ne devait pas servir de base à la loi.
M. H. Dumortier. - Je me suis abstenu pour les motifs développés par M. de Naeyer.
M. le Bailly de Tilleghem. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Muelenaere.
(page 930) M. Moncheur. - Je me suis abstenu par deux motifs ; le premier, c'est le scrupule constitutionnel qui s'est élevé pendant la discussion et qui est resté debout jusqu'à la fin, puisque de l'aveu de tout le monde le projet est en partie basé sur une présomption qui, quelque grave qu'elle soit, pourrait être démentie par le fait.
Mon deuxième motif c'est que j'ai trouvé la réclamation de l'arrondissement de Charleroi parfaitement fondée. Je n'ai donc pu voter pour la loi, qui ne faisait pas droit à cette réclamation.
D'un autre côté, je n'ai pas voté contre la loi parce que je n'ai pas voulu priver certains arrondissements des représentants ou dos sénateurs auxquels ils ont un droit réel.
M. Pirmez. - Je me suis abstenu par le deuxième motif de M. Moncheur.
M. Rodenbach. - Je me suis abstenu par les motifs qu'a énoncés l'honorable M. de Naeyer.
M. Tack. - Messieurs, je me suis abstenu par les motifs qui ont été développés hier par l'honorable M. de Naeyer.
M. Thienpont. - Messieurs, je me suis abstenu par les motifs qui ont été énoncés par les honorables MM. Tack et de Naeyer.
M. Vermeire. - Messieurs, je me suis abstenu par les motifs qui ont été développés hier par l'honorable M. de Naeyer.
M. Verwilghen. - Messieurs, je me suis abstenu par les deux motifs qui ont été énoncés par l'honorable M. Moncheur.
M. Coomans. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que le projet de loi renferme diverses injustices.
M. de Decker. - Messieurs, je me suis abstenu par les motifs que j'ai énoncés dans mon discours.
M. le président. - Nous passons à l'objet suivant de l'ordre du jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il manque encore une abstention, celle de l'honorable M. Sabatier.
M. le président - Je ne puis pas faire que M. Sabatier soit présent.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. de Renesse.
M. de Renesse. - La section centrale, à la demande de toutes les sections, a cru devoir proposer à la Chambre quelques dispositions, apportant des modifications à plusieurs articles de la loi électorale, sans, toutefois, porter atteinte à aucune de ses bases.
Ces changements auraient principalement pour but de donner une plus grande liberté aux électeurs, dans l'émission de leurs votes, empêcheraient dorénavant la pression de certaines influences illégitimes, et assureraient une plus grande sincérité aux votes des électeurs de toutes les opinions.
Si l'on ne considérait ces modifications à l'une de nos lois organiques que sous le seul point de vue, de donner, surtout, aux électeurs peu habitués aux affaires politiques, une plus grande indépendance électorale, nous devrions tous, à quelque opinion que nous appartenions, donner notre plein assentiment aux modifications proposées par la section centrale.
Aussi, dans toutes les sections de la Chambre, la majorité a accueilli avec empressement les propositions qui y avaient été faites, pour attirer l'attention du gouvernement et de la section centrale sur la nécessité de rechercher les moyens de donner plus d'indépendance et de sécurité aux votes des électeurs ; même dans la quatrième section, j'avais proposé d'émettre le vœu, que les modifications apportées à cet effet à la loi électorale pussent être mises en vigueur avant les prochaines élections du mois de juin.
Après avoir, depuis, mûrement réfléchi et consulté d'honorables collègues de la gauche, sur les modifications à faire, à cet effet, à la loi électorale, il a paru à plusieurs d’entre nous, que l'on pourrait contester, non sans raison, l'opportunité de pareils changements à introduire au moment où nous tous avons le plus grand intérêt à rester unis, à ne pas nous diviser davantage, d'attendre un temps plus calme, et que la crise politique où se trouve actuellement l'Europe fût passée, pour faire les modifications qui seraient jugées nécessaires pour amener une plus grande sincérité dans les votes électoraux.
En admettant d'ailleurs la proposition de la section centrale, serait-on réellement parvenu à soustraire les électeurs aux influences illégitimes, auxquelles ils sont parfois exposés, dans l'exercice de leurs droits de vote ?
Il y a du moins des doutes à cet égard, et ne pourrait-on pas craindre que l'on n'aurait que déplacé les influences illégitimes actuelles, si, surtout, les électeurs des campagnes doivent être mêlés à ceux de certaines grandes villes, où un parti plus radical, et même antimonarchique, s'agite beaucoup, cherche, par tous les moyens en son pouvoir, à faire triompher ses principes, par conséquent, à gagner du terrain dans les élections à tous degrés, et à pousser ses candidats aux affaires, au détriment surtout du véritable libéralisme constitutionnel basé sur les principes de toutes nos grandes libertés ?
On peut donc avoir une certaine hésitation à donner son adhésion à des modifications qui pourraient parfois tourner contre notre désir, à tous, d'assurer réellement, la sincérité dans les votes électoraux, et de soustraire les électeurs à toute influence illégitime qui pourrait gêner la liberté de leurs votes.
En principe, l'on ne doit pas modifier à la légère nos grandes lois organiques ; il faut une nécessité impérieuse pour y porter la main, et il doit être constaté, après mûr examen, que les modifications à y apporter remédieront efficacement aux abus que l'on veut écarter.
Les abus réels qui existent actuellement, et auxquels il importerait de porter au plus tôt un remède, ce sont les frais parfois excessifs que les candidats à la représentation nationale ont à supporter pour assurer leur élection ; c'est un véritable marché de suffrages dans certaines parties de notre pays, et, si l'on ne met bientôt un terme à la hauteur de ces dépenses, qui deviennent scandaleuses, il n'y aura plus que ceux qui ont beaucoup de fortune qui auraient les moyens de soutenir les luttes électorales.
Ces abus me paraissent devoir attirer l'attention des Chambres et du gouvernement, pour le moins autant que ceux auxquels la section centrale croit pouvoir remédier, en proposant quelques modifications à la loi électorale.
Au reste, si les modifications proposées par la section centrale pouvaient réellement assurer l'indépendance de l'électeur, la sincérité de son vote, s'il nous était démontré à l'évidence qu'aucune influence illégitime, ne quelque part qu'elle vienne, ne pourrait plus s'exercer sur les électeurs, plus ou moins dépendants de certaine pression extra-légale, il faudrait, à quelque opinion que l'on appartienne, y donner son adhésion ; car nous devons tous désirer la moralité et la sincérité dans l'émission des votes électoraux.
La répartition dans les bureaux d'après un ordre alphabétique général, pour chaque district électoral, doit amener une certaine perturbation parmi les électeurs habitués à voter d'après les listes formées par communes ou fractions de communes, comme cela a lieu actuellement ; on croit au moyen des listes alphabétiques générales amener une plus grande fusion, une plus grande intimité entre les électeurs des villes et des campagnes et détruire ainsi l'antagonisme qui, parfois, paraît exister entre ces divers électeurs ; je ne sais trop si cette fusion serait aussi complète, si, surtout, certains électeurs du parti le plus avancé des villes voulaient, au moment même des élections, exercer une pression sur les électeurs campagnards, et si, en effet, par la réunion des électeurs des villes et des campagnes, ces derniers étaient exposés à subir, plus ou moins, l'influence illégitime des premiers, les modifications proposées ne produiraient qu'un effet négatif, et je crois que l'on n'aurait que déplace la pression illégale d'un parti au profit d'un autre plus radical.
Pour amener dans le futur cette fusion, cette intimité si désirable dans un même corps électoral, il faut, par une bonne instruction primaire, préparer la jeunesse de nos campagnes à connaître les droits politiques, en lui donnant quelques notions sur nos lois constitutionnelles et organiques ; ainsi l'esprit public se formera d'une manière plus certaine, plus facilement que si l'on veut forcer nos électeurs des campagnes à se fusionner malgré eux, dans les mêmes bureaux, surtout avec les électeurs des grandes villes avec lesquels, en général, ils ont peu de relations.
Il est encore à observer que le travail pour la formation des listes alphabétiques donnera lieu à assez d'embarras, surtout dans les arrondissements très populeux, et où il y a, en outre, beaucoup de communes ; c'est ainsi que pour l'arrondissement de Bruxelles, qui a plus de 12,000 électeurs, et plus de 120 communes, il faudra compulser toutes ces listes électorales des diverses communes, nom par nom, pour placer chaque électeur à son rang alphabétique ; cet amalgame des électeurs pourrait, en outre, occasionner beaucoup de difficultés pratiques, surtout pour reconnaître l'identité des électeurs portant les mêmes noms et prénoms, s'il y avait contestation.
Puisqu'il s'agit, de nouveau, de proposer des modifications à la loi électorale, il faut bien le dire, depuis la loi du 12 mars 1848, l'égalité proportionnelle qui avait été établie par l'article 47 de la Constitution, a été rompue entre les électeurs des villes et des campagnes ; ces derniers oui été froissés dans leurs intérêts politiques, n'ayant pas obtenu par l'abaissement du cens électoral au minimum de 20 florins, une importance électorale aussi grande que ceux des villes, dont le nombre des électeurs a plus que doublé, quoique la population des campagnes soit des 2/3 plus forte que celle des villes. Après le recensement de 1856, le - campagnes avaient une population de 3,348,090 âmes, les villes seulement, 1,181,371.
D'après l'état de la situation du royaume de 1851-1855, les villes n'avaient en 1847, par 1,000 habitants, que 14.74/100 électeurs, et les communes rurales 9.36/100 électeurs.
Depuis 1848, le nombre des électeurs des villes a été porté au-delà du double de 1847, il est actuellement de 30.77/100 électeurs par mille habitants, et, pour les campagnes, seulement de 14.2/100 électeurs, ainsi la proportionnalité électorale, stipulée par le Congrès et qui avait été réglée sur la population, a été détruite réellement au détriment de l'influence électorale des campagnes.
Je ne veux pas discuter actuellement quel est l'avantage, pour le pays, de ce nivellement du cens électoral, auquel je ne suis du reste pas opposé, et s'il n'aurait pas mieux valu de conserver un sens différentiel (page 951) abaissé pour ne pas détruire la proportionnalité stipulée par l'article 47 de la Constitution.
Si la Constitution permettait, d'ailleurs, de réduire encore le cens électoral, j'y donnerais volontiers mon assentiment, ayant la conviction qu'il est de l'intérêt de notre jeune nationalité régénérée que la plus grande partie de notre population puisse prendre une part plus directe aux affaires du pays, et ainsi pouvoir mieux apprécier par elle-même les avantages de toutes nos grandes libertés, qui n'ont à craindre la comparaison d'aucun autre pays ; mais, pour parvenir à ce résultat si désirable, il faut nécessairement, comme je l'ai déjà dit, qu'une bonne instruction primaire prépare nos jeunes populations à la vie publique ; alors seulement, lorsque les principes de notre belle et libérale Constitution seront mieux connus, il se formera dans la Belgique un grand parti national qui mettra enfin en pratique notre belle devise nationale : l'Union fait la force ; ce sera la plus grande garantie pour le maintien de notre indépendance.
Avant, toutefois, de prendre une résolution à l'égard des modifications proposées par la section centrale, je crois devoir attendre la suite de la discussion générale.
- Des membres. - A lundi !
- D'autres membres. - A mardi !
- La Chambre, consultée, fixe sa prochaine séance publique à mardi, 12 avril, à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures 1/4.