(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 889) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des tanneurs, à Namur, présentent des observations contre le projet de loi portant suppression du droit de sortie sur les écorces à tan. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi présenté sur la matière, avec invitation de faire un rapport sur le mérite de la réclamation.
M. Orban. - Deux autres pétitions du même genre ont été renvoyées à la section centrale. Je ne vois pas pourquoi il faudrait faire un rapport spécial sur celle-ci. Il en sera tenu compte dans e rapport comme des autres pétitions.
M. Lelièvre. - C'est ce que je demande.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
« Des avocats et avoués, à Liège, prient la Chambre d'abolir le droit de succession sur les titres au porteur, et de modifier l'article 15 de la loi du 17 décembre 1851, de manière que les renonciations à des parts héréditaires ne puissent préjudicier aux droits du fisc. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des avoués et avocats, à Liège, proposent à la Chambre d'abréger le temps de la prescription en affaires civiles. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Erpent prient la Chambre d'introduire dans les élections à tous les degrés le vote par lettre alphabétique. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants d'une commune non dénommée présentent des observations contre la proposition de faire l'appel des électeurs par ordre alphabétique et prient la Chambre d'examiner quelle circonscription électorale il y aurait lieu d'établir afin de faciliter le vote des électeurs des communes rurales. »
- Même renvoi.
« Des électeurs de Beveren prient la Chambre de rejeter la proposition du vote par lettre alphabétique et de décider que les électeurs devront se réunir au chef-lieu de canton. »
- Même dépôt.
« Les membres de l'administration communale et des électeurs à Cruybeke demandent que le vote pour les élections ait lieu dans la commune. »
- Même dépôt.
« Le sieur Jacobs et autres prient la Chambre d'adopter la proposition de loi relative aux traitements d'attente et aux traitements supplémentaires. »
M. Lelièvre. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée de l'examen de ma proposition.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs médecins et pharmaciens à Gand prient la Chambre d'adopter le principe électif dans l'institution des conseils médicinaux formés sur le plan des conseils communaux. »
M. Jacquemyns. - Je demanda le renvoi à la sec ion centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la police et à la discipline méditâtes.
- Cette proposition est adoptée.
» M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre le tableau de l'emploi des fonds alloués pour l’instruction primaire pendant l'année 1857, tant par le gouvernement que par les provinces et par les communes. »
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce document.
M. le président. - Hier il a été adressé un reproche au bureau, celui d'avoir fait examiner par les sections le projet de loi dont nous allons nous occuper, le lendemain de la distribution de l'exposé des motifs.
J'avais demandé au greffe le procès-verbal du 15 mars et je l'attendais au moment où la séance a été levée.
J'ai aujourd’hui ce procès-verbal sous les yeux : il prouve que si l'examen du projet a eu lieu le lendemain de la distribution, ce n'est pas au bureau qu'on doit l'attribuer, mais bien à la Chambre qui l'a ordonné. Voici ce que porte le procès-verbal du 15 mars :
« L'assemblée fixe la séance de demain à trois heures et décide que les sections se réuniront à midi pour examiner les budgets des dotations et de la dette publique et le projet de loi sur la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs. »
Je ferai remarquer en outre que ceux des honorables membres qui ont fait des observations critiques étaient présents à la séance et que l'un d'eux a déclaré qu'il ne s'y opposait pas.
M. de Theux. - J'ai examiné ce qui s'était passé et j'ai acquis la conviction que les faits que vient de faire connaître M. le président sont exacts. Mes critiques ne s’adressent donc pas au bureau, mais je dis que dans les circonstances où un projet de loi doit être examiné dans les sections, on devrait éviter de le mettre à l'ordre du jour le lendemain de sa distribution, parce que nécessairement le temps a manqué pour l'examiner et se former une opinion. Il est évident que c'est ainsi que la chose devrait se passer.
M. Coomans. - Il faut exécuter le règlement ; cela est beaucoup plus simple.
M. Jacquemyns. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur les pétitions relatives à l'accise sur l'eau de mer.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Sabatier dépose le rapport de la commission d'industrie sur la demande relative à la libre sortie des chiffons.
M. de Moor dépose le rapport sur le projet d'érection des communes de Pussemange et de Bagimont.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) dépose un projet de loi ayant pour objet d'allouer au ministère de l'intérieur un crédit de 200,000 fr. pour le monument érigé en commémoration du Congrès national.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet, et le renvoie à l'examen des sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) dépose le tableau des élections qui ont eu lieu dans chaque arrondissement. Ce tableau sera imprimé et distribué.
M. Lelièvre. - Je crois pouvoir me borner à motiver en peu de mots le vote favorable que je suis résolu d'émettre. Je donne mon assentiment au projet en discussion parce qu'à mon avis il est suffisamment constaté qu'à l'époque à laquelle l'élection aura lieu le chiffre de la population sera tel, qu'il y aura lieu à une augmentation du nombre des représentants et des sénateurs.
D'abord le recensement de 1856 fait naître à cet égard une présomption suffisante. Cette présomption est d'ailleurs confirmée par les tableaux de la population depuis le 31 décembre 1856, et il n'est pas possible d'élever le moindre doute sur l'exactitude des chiffres, alors qu'il est établi que depuis 1831 la population n'a cessé de s’accroître, de sorte que les faits antérieurs démontrent à l'évidence la vérité des documents qui servent de base au projet.
C’est donc avec certitude et conformément à ce qu'une expérience de vingt-huit ans nous a révélé d'une manière non équivoque que nous sommes autorisés à présumer pour le mois de juin prochain une augmentation qui justifie les propositions du gouvernement.
Ces propositions sont d'ailleurs conformes aux régies suivies jusqu'à ce jour en cette matière. Le projet ne fait que se conformer à des précédents qui ont reçu à diverses reprises l'assentiment de la législature. Du reste, j'adhère à l'opinion de la section centrale, qui a été d'avis que l’accroissement de la population nécessitait de nouvelles mesures relatives, à l'exécution de l'article 19 de la loi communale, et qu'il était (page 890) indispensable de procéder à une nouvelle répartition des conseillers provinciaux.
Le principe sur lequel est fondé le projet de loi réclame nécessairement les modifications dont nous venons de parler, et nul doute que le gouvernement ne doive songer sérieusement à les arrêter.
La matière soumise à nos délibérations sera accueillie avec d'autant plus de faveur, qu'elle atteste la prospérité toujours croissante du pays. L'augmentation du nombre des sénateurs et des représentants relève d’ailleurs la splendeur de nos institutions et la dignité du gouvernement parlementaire. A ce point de vue encore, je suis heureux d'appuyer de mon vote le projet eu discussion.
M. Pirmez. - Messieurs, voici un amendement que, dteconcert avec mon honorable ami M. Sabatier, j'ai l’honneur de soumettre à la Chambre :
« Art. 1er. Modifier le tableau de répartition de la manière suivante :
« Au lieu de : Charleroi : 4 représentants, 2 sénateurs ; Soignies : 3 représentants, 1 sénateur ;
« Dire : Charleroi : 5 représentants, 2 sénateurs ; Soignies : 2 représentants, 1 sénateur.
« Art. 2. Ajouter au paragraphe 1, les mots : sauf toutefois que Charleroi ne nommera le cinquième représentant qui lui est attribué qu'aux prochaines élections générales dans le Hainaut, époque à laquelle Soignies ne nommera plus que deux représentants. »
Cet amendemen1, messieurs, nous est dicté par un impérieux devoir que notre collègue M. Lebeau aurait certainement rempli avec nous, s'il n'était retenu loin de vos délibérations par une fâcheuse circonstance.
L'arrondissement de Charleroi n'a pas obtenu dans la répartition des mandataires du pays entre les différentes divisions, le lot auquel sa population lui donne droit ; un autre arrondissement doit à une position acquise, si ce n'est à une inadvertance, d'avoir été favorisé à sa place ?
Quelque pénible que puisse être la tâche de chercher à enlever à d'autres ce dont ils jouissent, il est impossible que nous ne demandions pas à la Chambre de faire ce que la justice et les principes admis en cette matière nous paraissent commander.
La question est simple, sous quelque aspect qu'on l'envisage elle réclame la même solution.
La Chambre sait que la répartition des représentants et des sénateurs se fait d'abord entre les provinces dans la proportion de leur population.
Cette première opération assigne à la province de Hainaut 20 représentants et 10 sénateurs
Parmi ces vingt représentants il en est 17 qui se trouvent attribués aux divers arrondissements sans contestation possible, parce que l'attribution est faite sur le nombre plein de 40,000 habitants.
Il en reste 3 qui, d'après les principes indiqués dans l'exposé des motifs comme base du projet, doivent être nommés par les arrondissements dont l'excédant est le plus fort après qu'on a divisé le chiffre de la population par40,00u.
Quels sont ces arrondissements ?
D'après la population au 31 décembre 1858,
Tournai a un excédant de 28,999 hab., ce qui lui donne droit à 0,72 représentant.
Mons a un excédant de 20,639 h., ce qui lui donne droit à 0,52 représentant,
Charleroi a un excédant de 20,061 h,, ce qui lui donne droit à 0,50 représentant.
Soignies a un excédant de 19,184 h., ce qui lui donne droit à 0,48 représentant.
Evidemment, les trois représentants qui ne portent pas sur des nombres complets doivent, d'après le principe admis, être attribués à Tournai, Mons et Charleroi.
Mais au lieu de cela, le représentant qui doit être attribué à Charleroi en vertu des 0,50, l'est à Soignies en vertu de 0,48.
Cette dérogation aux principes est-elle justifiée ?
Non, messieurs, elle est passée inaperçue par le gouvernement et par la section centrale.
L'exposé des motifs nous dit qu'une seule exception a été faite, c'est en faveur de l'arrondissement d'Audenarde qui a un représentant qu'un excédant plus fort devrait faire assigner à Alost.
Le rapport de la section centrale dit la même chose, mais son erreur est si flagrante que dans le tableau de répartition, il n'attribue pas le représentant que nous réclamoun à Soignies et qu'il constate même que l'excédant de population de cet arrondissement ne peut le lui faire obtenir ; seulement il oublie de l'attribuer à Charleroi.
Mais ces deux documents ont soin de faire observer que l'irrégularité que présente, au préjudice d'Alost, l'admission du troisième représentant à Audenarde n'est qu'une compensation des avantages dont jouit Alost dans la nomination des sénateurs. Ce dernier arrondissement a un sénateur pour 58,000 habitants tandis qu'Audenarde n'a aucune représentation au sénat pour 16,000 habitants.
Une compensation semblable est-elle accordée à Charleroi ? En aucune manière ; rien ne vient justifier l'exception dont on le frappe.
Cet aperçu si simple et si décisif ne montre pas encore toute l'injustice qu'il y aurait à adopter le projet tel qu'il nous est présenté.
Ce projet repose sur la population du 31 décembre 1858, non pas d'une manière absolue, mais eu tenant compte de l'augmentation présumée jusqu'au mois du juin prochain. C’est en vertu de cette addition que le nombre total des représentants est fixé à 116, au lieu de l'être seulement à 115.
Or, si procédant pour les arrondissements du Hainaut qui sont ici rivaux comme on le fait pour tout le royaume, j'ajoute l'augmentation de cinq mois, telle qu'elle est révélée par les années antérieures, je tiens que l'iniquité commise au préjudice de l'arrondissement de Charleroi est bien plus flagrante encore.
En dix ans (1846-1856), la population de l'arrondissement de Charleroi a crû de près de 40,000 habitants, tandis que celle de l'arrondissement de Soignies n'a augmenté que de 1,200 habitants. Dans les deux dernières années, Charleroi a acquis une différence de près de 10,000 habitants, tandis que Soignies ne s'accroît que de 2,000 environ. Voici les chiffres :
Soignies : 1846 : 95,938 ; 1856 : 97,062 ; 1858 : 99,184 ; 1858-1856 : 2,122.
Charleroi : 1846 : 131,025 ; 1856 : 170,324 ; 1858 : 180,061 ; 1858-1856 : 9,637.
Eh bien, si l'on veut, pour fixer la population au mois de juin prochain, prendre l'accroissement des deux dernières années qui est le plus désavantageux à Charleroi, on trouve que Charleroi doit avoir à cette époque environ 2,000 habitants de plus et Soignies seulement 440 environ.
Soignies : augmentation annuelle : 1,061 ; augmentation de 5 mois : 442 ; excédant au 1er juin 1859 : 19,626.
Charleroi : augmentation annuelle : 4,818 ; augmentation de 5 mois : 2,035 ; excédant au 1er juin 1859 : 22,096.
Il résulte de ces chiffres que si l'on s'attache à la population au mois de juin prochain, époque que le gouvernement prend pour base du nombre des membres de la législature, ce n'est plus une fraction de 48/100 qui l'emporte sur une fraction de 50/100, mais bien uue fraction de 40/100 sur une fraction de 55/100.
Il y a plus.
Au 31 décembre dernier la population de l'arrondissement de Mons était supérieure à celle de l'arrondissement de Charleroi, de 600 habitants environ.
Cette légère différence fait attribuer à Mons un représentant sénateur. Eh bien, si l'on calcule quelle doit être la population de Mons et de Charleroi au mois de juin prochain, on acquiert la conviction que la différence se renverse et que Charleroi devrait obtenir le sénateur assigné à Mons.
Mons : 1856 : 175,652 ; 1858 : 180,639 ; augmentation annuelle : 2,493 ; en 5 mois : 1,035 ; excédant au er juin 1859 : 21,674.
Cependant nous ne réclamons pas à ce sujet quoique nous soyons en droit de le faire, nous ne le faisons pas parce qu'il y a une raison pour une époque quelconque, tandis que pour Soignies il n'y en a aucune.
Mais remarquons-le bien, Mons et Soignies forment un seul arrondissement judiciaire, Soignies veut nous enlever un représentant et Mons un sénateur.
Veut-on savoir quel est le résultat du projet en l'examinant par la réunion des deux fractions de cet arrondissement, eh bien, Mons et Soignies nomment deux représentants pour des excédants qui au 31 décembre dernier n'atteignent pas 40,000 habitants, en sorte qu'en leur en enlevant un, ils obtiennent encore juste ce qu'ils doivent avoir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils n’obtiennent rien du tout, ils conservent.
M. Pirmez. - Permettez, il s'agit d'un tableau de répartition ; le gouvernement a indiqué les principes qui le guident, il s'en écarte, je m'y tiens et j'en constate les conséquences. Nous verrons tantôt quel changement peut apporter la circonstance de la possession.
Je dis donc que tandis qu'on attribue à Mons et à Soignies juste un représentant de trop, Charleroi et Thuin qui forment ainsi un même arrondissement n'obtiennent rien pour cet excédant de 30,670 habitants !
Est-ce équitable ?
Il est impossible de le soutenir.
Que Mons et Soignies s'unissent pour avoir un sénateur de plus, que Charleroi isolément devrait enlever à Mous, nous le voulons bien, mais à condition que l'on respectera au moins les droits évidents que nous avons à un cinquième représentant, à la condition que l'on verra dans cette concession un nouveau titre qui les rende encore plus inviolables.
Mais on ne manquera pas de nous dire que les trois députés de Soignies doivent accomplir le terme de leur mandat, qu'il est donc impossible de réaliser aujourd'hui la répartition que nous réclamons.
Nous l'admettons pleinement ; mais est-ce une raison pour perpétuer l'iniquité ?
Faut-il que nous ayons un mandataire de moins à la législature, par (page 891) suite de cette circonstance toute de hasard qu'il n'y a pas cette année d'élection dans le Hainaut ?
Non évidemment, ce n’est là qu'une circonstance indifférente, et Soignies doit conserver ses trois représentants jusqu'à l'expiration de leur mandat, il n'est pas de raison pour que le privilège se poursuive au-delà.
Alors l'iniquité serait plus flagrante encore, car à cette époque, si l'avenir peut se juger par le passé, et d'après les chiffres que nous avons indiqués l'excédant de Charleroi sera de 31,753 habitants et celui de Soignies seulement de 21,753.
Nous aurons 0.79 à opposer à 0.54.
Qu'on regarde donc le passé, le moment présent ou l'avenir, que l'on prenne la population de l’année dernière, celle du moment présent, ou celle où la loi recevra son exécution, la solution doit être la même.
Soignies et Charleroi ont quelquefois eu des intérêts opposés ; j'aime à croire que ces conflits ne se représenteront plus dans l'avenir, mais cette confiance personnelle ne peut nous faire renoncer pour nos mandants à un droit qui existe.
La haute impartialité de la Chambre nous est garante que notre juste réclamation sera accueillie.
M. J. Jouret. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à me trouver dans l'obligation de devoir traiter cette question devant la Chambre. La Chambre comprendra que je suis forcé de réclamer son indulgence.
Je ne veux pas contester les chiffres que vient de poser mon honorable ami M. Pirmez. Les chiffres constituent en général de ces arguments auxquels il est extrêmement difficile de répondre. Il est surtout difficile d'y répondre, lorsqu'ils sont présentés avec le talent que l'honorable M. Pirmez apporte ordinairement dans ces sortes de questions.
Fort heureusement pour l'arrondissement de Soignies, il y a d'autres considérations extrêmement puissantes qui militent en faveur du maintien de l'état de choses existant dans cet arrondissement. Ces considérations ont été consignées en grande partie dans l'exposé des motifs.
Après avoir dit qu'il y avait 116 représentants et 58 sénateurs à répartir entre les neuf provinces, l'exposé des motifs ajoute ; « La sous-répartition entre les arrondissements a été faite d'après la même règle qui a été également suivie pour le classement des 58 sénateurs, et l'exposé des motifs explique en note la mesure qui a été prise d'une manière toute spéciale pour l'arrondissement d'Audenarde :
« On n'a fait, dit cette note, qu'une seule dérogation à cette règle, en faveur de l'arrondissement d'Audenarde, afin de lui conserver ses trois représentants actuels. D'après la rigueur des chiffres, comme le montre le tableau de répartition ( annexe n°1 ), c'est l'arrondissement d'Alost qui obtiendrait un représentant de plus, profitant ainsi de celui que perdrait Audenarde ; mais il a paru équitable de maintenir, en cette circonstance, les positions acquises, d'autant plus que, relativement aux autres arrondissements de la province, Alost se trouve déjà très favorisé dans la répartition des sénateurs »
En présence des chiffres que vient de poser l'honorable M. Pirmez, on pourrait se demander comment il se fait que le gouvernement dans l'exposé des motifs, pas plus que la section centrale dans son rapport, n'ont touché une semblable question en ce qui concerne l'arrondissement de Soignies, mis en rapport avec l'arrondissement de Charleroi. Evidemment le motif en est qu'aux yeux du gouvernement comme à ceux de la section centrale, la question n'a pas fait l'ombre d'un doute. On ne peut en effet expliquer autrement le silence du gouvernement et de la section centrale : c'est que l'un et l'autre ont trouvé que le léger écart de 48 à 50 centièmes de représentant, si je puis m'exprimer ainsi, n'autorisait nullement l'arrondissement de Charleroi qui déjà obtenu un représentant de plus, à venir en demander un cinquième, et à en déposséder un autre arrondissement.
Qu'il en soit ainsi, cela résulte de l’annexe n°1, où sont les chiffres consignés dans l'expose des motifs. L'arrondissement de Charleroi a actuellement 3 représentants, et il devrait en avoir 4,50, on lui en donne 4. Soignies a 3 représentants et n'a droit d'en avoir que 2,48 ; de sorte que, comme je le disais, il y a un écart de 48 à 50 centièmes.
Quant aux sénateurs, nous sommes absolument sur la même ligne. Charleroi a 2,25 ; Soignies a 1,24.
Messieurs, si jamais il y a eu quelque raison de ne pas faire ce qu'indique, comme le dit l'honorable M. Pirmez, la rigueur des chiffres, et de procéder au contraire d'une manière infiniment plus équitable, cette raison se présente pour l'arrondissement de Soignies. Car, remarquez-le, cet arrondissement, pour une fraction de 48/100, n'aurait plus de représentant, tandis que l'arrondissement de Saint-Nicolas en obtiendrait un pour une fraction de 46/100 et l'arrondissement d'Audenarde en obtiendrait également un pour une fraction de 42/100.
Je sais bien que l'honorable M. Pirmez dira : C'est possible, attendu qu'il y a une première répartition à faire entre les provinces. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il y aurait une anomalie qui sauterait aux yeux et que personne ne comprendrait si l'arrondissement de Soignies, avec une fraction de 48/100, ne pouvait garder le représentant qu'il possède, alors que l'arrondissement de Saint-Nicolas en aurait un pour une fraction de 46 et l'arrondissement d'Audenarde pour une fraction de 42.
Messieurs, en admettant qu'il soit vrai, ce qui en fait est toujours douteux, car enfin la répartition peut ne pas avoir été faite d'une manière exacte, que la fraction est en faveur de Charleroi pour un petit nombre d'électeurs, le gouvernement a-t-il bien fait de vous proposer la mesure qu'il vous a soumise et la section centrale a-t-elle également bien fait de la maintenir et de ne pas obéir à la rigueur des chiffres ? Pour mon compte, je n'hésite pas à dire qu'il devait en être ainsi par les raisons qu'on a fait valoir pour les arrondissements de Termonde et de Saint-Nicolas.
L'honorable M. Moreau a dit dans son rapport : « Il résulte de ces calculs que le projet de loi fait exception en quelque sorte à la règle générale pour les districts d'Alost et d'Audenarde. »
Et je pense qu'on ne fait pas mention de Soignies parce qu'on a jugé qu'il n'y avait pas même lieu de s'occuper de la question de savoir s'il fallait oui ou non enlever un représentant à cet arrondissement.
Plus bas le rapporteur ajoute :
« Or, déjà lors de l'examen de la loi de 1847, des faits analogues-se sont présentés, et il a été décidé que lorsque, pour fixer le nombre des représentants et des sénateurs entre deux districts, les fractions que chacun des arrondissements pouvait faire valoir différaient de peu, il y avait lieu d'attribuer le représentant à l'un et le sénateur à l'autre, en respectant l'état de choses existant. »
Ainsi, on a toujours eu égard à l'état de choses existant.
« Aussi, continue le rapport, dans toutes les sections la répartition des députés et des sénateurs, telle qu'elle est faite dans le tableau faisant partie du projet de loi, a-t-elle été adoptée sans observation. »
Il n'a été fait d'observations, ni en sections, ni en section centrale, et le projet du gouvernement n'avait pas soulevé cette question.
Il résulte donc des précédents que lorsqu'il y a des différences imperceptibles dans les fractions excédantes, on a toujours eu égard à la possession acquise.
J'ajoute qu'il y a d'autant plus lieu de procéder encore de la même manière, que l'arrondissement de Charleroi est véritablement inadmissible à venir réclamer ce représentant au moment où il en obtient un de plus. Ce serait réellement le cas de dire que l'appétit vient en mangeant.
J'ajoute une dernière considération, c'est que l'arrondissement de Charleroi doit être considéré comme très mal venu à réclamer une pareil accroissement de représentants, alors qu'il est déjà représenté d'une manière parfaite, je le dis à la louange de mes honorables collègues, et si le nouveau représentant que cet arrondissement doit recevoir est digne de ses prédécesseurs, la représentation de l'arrondissement de Charleroi ne laissera rien à désirer.
Messieurs, je n'ai pas besoin de le dire, je pense, je repousserai de toutes mes forces l'amendement présenté par MM. Pirmez et Sabatier, et j'ose espérer que la Chambre fera de même, et se prononcera pour la répartition qui lui est soumise par le gouvernement et par la section centrale.
M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, lorsque, en 1847,1a Chambre a été appelée à s'occuper d'une nouvelle répartition des membres de la législature, la question qui est actuellement soulevée s'est aussi présentée et je lis ce qui suit dans le rapport fait, à cette époque, par l'honorable M. Dumortier :
« Il s'agissait alors de décider une question de principe et elle est posée en ces termes dans le rapport.
« Attribuera-t-on les excédants, soit de représentants, soit de sénateurs, aux fractions les plus élevées, soit dans les provinces, soit dans les districts ?
« Cette question, comme règle absolue, fut rejetée par cinq voix contre deux.
« Il s'agissait alors de faits analogues à ceux qui se présentent et qui concernaient les arrondissements d'Alost et de Termonde et ceux de Liège et de Verviers.
« D'après la population ni Alost, ni Termonde n'avaient droit à un représentant de plus, le premier de ces districts n'avait que 45/100 et le second 42/100 au-dessus du chiffre de ses représentants. Ainsi comme dans le cas dont il s'agit actuellement, ce qu'on leur accordait en sus, ils ne le tiraient pas de leur propre droit, mais bien des excédants des autres districts de la province. Ce système admis par la section centrale et par la Chambre en 18417 s'applique donc à ce qui fait l'objet d'une contestation entre les districts de Charleroi et de Soignies. »
Il est très vrai, messieurs, que le district de Charleroi peut invoquer eu sa faveur un excédant de population un peu plus fort que celui de Soignies ; mais je vous prie de remarquer, messieurs, que cet excédant est extrêmement minime, il n'est supérieur à celui de Soignies que 867 habitants.
Or, comme on l'a fait très bien remarquer, peut-on pour un excédant si minime enlever à l'arrondissement de Soignies un représentant dont il est déjà eu possession ? Je ne le pense pas. Je ne puis donc ni appuyer ni adopter l'amendement qui vous est proposé. Je ferai de plus remarquer que la question qui est maintenant en discussion n'a été soulevée par aucune des sections. Ce qui explique pourquoi elle n'a pas fait l'objet de l'examen de la section centrale.
M. B. Dumortier. - Messieurs, la question soulevée par l'honorable M. Pirmez est double : il réclame en faveur de son district et (page 892) quant aux sénateurs et quant aux représentants. Il désire diminuer de un le nombre des représentants de Soignies et augmentée de un le nombre des représentants de Charleroi.
Messieurs, je ne puis m'associer à ce vœu, et voici pourquoi :
D'abord sur quoi se base le projet de loi ? Il se base sur un recensement de la population.
Or, comment se fait le recensement ? A un jour déterminé, on indique quelles sont toutes les personnes qui habitent chaque localité, niais veuillez-le remarquer, messieurs, il se trouve dans une localité des personnes qui y ont leur habitation de fait et des personnes qui y ont leur habitation de droit et il peut en résulter des différences considérables
Ainsi, messieurs, si l'on faisait en ce moment le recensement de la capitale, nous tous, qui sommes étrangers à Bruxelles, nous serions compris dans la population de cette ville. (Interruption.) M Vermeire, qui était à Bruxelles à l'époque du dernier recensement, a été compris dans le recensement de Bruxelles.
M. Ch. de Brouckere. - On a renvoyé son bulletin à sa commune.
M. B. Dumortier. - On fait le' relevé des personnes présentes.
Il en résulte, messieurs, que dans un travail il y a nécessairement des erreurs que le législateur doit prendre en sérieuse considération et je ne doute pas que cette circonstance n'ait contribué beaucoup à former la conviction de l'honorable ministre de l'intérieur.
Il se trouve, messieurs, dans certaines localités, un grand nombre d'ouvriers qui n'y sont pas nécessairement domiciliés, et qui vont même émettre leur vote dans un autre arrondissement. Cela est surtout vrai pour les arrondissements de Mons et de Charleroi. Il y a là un nombre considérable d'ouvriers qui viennent travailler dans les établissements et qui retournent dans leurs foyers, lorsque ces établissements chôment.
C'est ainsi que l'arrondissement d'Audenarde n'est pas porté dans le recensement à sa population réelle, parce que beaucoup de ses habitants, qui n’avaient pas d'ouvrage chez eux, étaient allés travailler ailleurs.
II eu est de même de l'arrondissement de Courtrai, et des divers arrondissements qui longent la France, parce qu'un grand nombre d'ouvriers quittent cet arrondissement pour chercher de l'ouvrage en France ; lorsque l'ouvrage cesse, ils rentrent chez eux.
Vous comprenez, messieurs, que le législateur, tout en ayant sous les yeux le tableau officiel de la population, doit aussi tenir grand compte d'une pareille situation ; en effet, il serait absurde de s'en tenir obstinément aux chiffres d'un recensement, alors qu'on a la certitude qu'un grand nombre de personnes comprises parmi les habitants d'une localité ne sont pas réellement domiciliées dans cette localité.
En ce qui concerne l'arrondissement de Charleroi par exemple, quel est l'arrondissement qui doit y envoyer le plus grand nombre d'ouvriers ? C'est évidemment l'arrondissement de Soignies. Priverez-vous l'arrondissement de Soignies d'un représentant parce qu'au jour du recensement un grand nombre d'habitants de Soignies travaillaient à Charleroi ? (Interruption.)
Il existe dans les environs de Charleroi des villages où il y a jusqu'à deux et trois mille Flamands. Pouvez-vous dire que ces Flamands sont à tout jamais fixés à Charleroi ?
Je dis donc, messieurs, qu'à ce point de vue l'opinion de l'honorable M. Pirmez ne peut pas prévaloir. Il faut laisser à l'arrondissement de Soignies les trois députés qu'il possède.
Mais, messieurs, la question me semble un peu différente en ce qui concerne le sénateur, les arrondissements de Mons et de Charleroi sont identiquement dans les mêmes conditions. Ce sont des districts miniers l'un et l'autre.
Le district de Charleroi a 180,061 habitants, c'est-à-dire 579 habitants de moins que celui de Mon>. Or, pour ces 579 habitants de plus, on donne un député et un sénateur de plus à Mons qu'à Charleroi. J'avoue que cela ne me paraît pas rationnel. Il me semble qu'ici Charleroi a à se plaindre...
M. Pirmez. - Je cède le sénateur pour avoir le représentant.
M. B. Dumortier. - C'est-à-dire qu'au lieu d'une justice, vous voulez une injustice, Du reste, vous cédez ce qui ne vous appartient pas.
Tout à l'heure, j'ai fait remarquer, et l'honorable M. Jouret l'a fait avant moi, que les différences entre Charleroi et Soignies sont tellement imperceptibles, qu'en tenant compte des habitants très nombreux qui se sont trouvés le jour du recensement dans le district de Charleroi et qui n'y sont pas régulièrement domiciliés, on commettrait une criante injustice pour enlever au district de Soignies un des trois représentants qu'il possède aujourd'hui.
Quant au district de Mons qui n'a que 579 habitants de plus que celui de Charleroi, il obtient un député et un sénateur de plus que Charleroi. Cette double faveur, à laquelle il n'a nul droit, est contraire à tous les précédents. Lorsque les excédants touchent d'un district à l'autre, toujours on a donné le représentant à l'un des districts et le sénateur à l’autre. Voilà la véritable justice répartitive. Mais je ne pense pas que le district de Charleroi soit fondé à réclamer du district de Soignies un des représentants qu'il possède aujourd'hui.
C'est le cas d'appliquer ici la maxime : Summum jus summa injuria
Car le district de Charleroi n'a pas le chiffre constitutionnel qui lui donne droit à ce qu'il demande.
M. de Theux. - Messieurs, je viens réclamer l'appui de M. le ministre de la justice pour obtenir un changement à la répartition des sénateurs entre les provinces de Liège et de Luxembourg
Messieurs, vous aurez remarqué tous que le Luxembourg et le Limbourg ont 10 représentants et n'ont que 4 sénateurs ; ils ont le chiffre de population requis pour 10 représentants, et cependant ils n'ont que 4 sénateurs ; ii leur manque donc évidemment un sénateur.
Comme la différence entre le Limbourg et le Luxembourg n'est que de 2,000 à 3,000 habitants, il serait juste qu'on alternât entre les deux provinces. Mais c'est un principe nouveau que la Chambre n'aimerait peut-être pas à admettre. Je me bornerai pour le moment à demander que le sénateur soit attribué au Luxembourg, qui a un excédant un peu plus considérable ; mais à la condition que ducs la prochaine répartition le Limbourg aura un représentant de plus.
Voilà la transaction que je propose entre les deux provinces.
Pour établir le droit de la province de Luxembourg, je n'ai qu'à recourir au tableau. D'abord je dois rappeler à la Chambre le principe de justice qui a guidé la législature en 1847. Voici ce qu'en ma qualité de ministre de I intérieur, je d sais dans l'exposé des motifs :
« Lorsque, dans une province ou dans un arrondissement, il y a excédant de population pour le nombre de sénateur qui lui est attribué, la compensation est établie en lui attribuant un représentant en plus, bien que la population n'atteigne point le chiffre strictement voulu ; et réciproquement, lorsqu'il y a excédant de population pour le nombre de représentants attribué à une province ou à un arrondissement, la compensation est établie en lui attribuant un sénateur en plus ; le Congrès national en a agi de même en votant le tableau annexé au décret du 5 mars 1831. »
Ce principe de justice si élémentaire a été approuvé par la section centrale et, je dois le dire, par le vote unanime de la Chambre en 1847.
Appliquons maintenant ce principe au chiffre de la population de la province de Liège et du Luxembourg, et la question ne peut pas être un instant douteuse.
La province de Liège a droit à 12 représentants 87/100 ; il lui manque donc 13/100 pour avoir droit aux 13 représentants qui lui sont attribués.
Le Luxembourg a droit à 5 représentants 92/100, il ne lui manque donc que 8/100 pour avoir droit à 5 représentants, tandis qu'il manque 13/100 à la province de Liège.
Quant au Sénat, nous avons le même résultat.
La province de Liège obtient 6 sénateurs, et elle n'a qu'un excédant de 45/100 ; la province de Luxembourg a 2 sénateurs ; et elle a un excédant de 46/100) ; donc, les excédants, tant pour les sénateurs que pour les représentants, sont en faveur de la province de Luxembourg.
Il est donc évident qu'un des sénateurs attribués à la province de Liège doit appartenir au Luxembourg, à moins que la Chambre ne veuille décider que l'on alternera entre la province de Luxembourg et celle de Limbourg.
Maintenant, si j'examine les districts du Luxembourg qui doivent avoir ce sénateur de plus, je trouve que ce sont les districts d'Arlon, de Bastogne et de Marche, qui ont 102,000 habitants, tandis que les deux autres districts n'ont que 95,000 habitants, je pense que dans cette question, je serai appuyé par les députés du Luxembourg.
Messieurs, j'ai une autre observation à présenter, observation qui touche au principe même qu'on a suivi pour fixer le nombre des nouveaux représentants et sénateurs.
L'article premier de la loi du 2 juin 1856 comble une lacune qui existait dans notre législation ; il était admis en principe que quand il y avait une certaine augmentation de population, on devait procéder à l'augmentation du nombre des membres de la représentation nationale ; comme cela restait dans l'arbitraire, la législature a admis, en 1856, un principe qui doit être invariable dans son application :
« Un recensement général de la population est opéré tous les dix ans dans toutes les communes du royaume.
« Il servira de base à la répartition des membres des Chambres législatives, conformément aux articles 49 et 51 de la Constitution et le prochain recensement aura lieu le 31 décembre 1856. »
Eh bien, messieurs, que fait-on ? Aujourd'hui on oublie le principe qui a été voté en 1856 ; c'est à-dire qu'on escompte l'avenir, qu'on se jette dans le vague ; s'il est permis de tenir compte de l'augmentation qu'a éprouvée la population depuis 1856, qui empêchera un ministre, quand il jugera à propos de favoriser une province, un district, de présenter un projet de loi de répartition ?
Ce qu'on fait aujourd'hui, on pourra le faire dans trois, quatre ou cinq ans. Je dis que c'est escompter l'avenir, et que cet escompte peut se faire dans l'intérêt d'une opinion. Quand une règle est posée, elle doit être exécutée, quel que soit le cabinet qui soit au pouvoir. Quand se fera la nouvelle répartition ? Dans huit ans ou dix ans. En procédant ainsi vous opérerez sur un accroissement présumé de population ; (page 893) ce n'est pas là une marche régulière ; il peut en résulter des inconvénients très réels.
Nous pouvons en escomptant l'avenir créer des droits pour des districts qui, si on avait suivi la règle normale, ne seraient pas reconnus à l'époque décennale, car la population peut changer ; un district pour une légère différence peut obtenir un représentant ; un déplacement peut changer la population en plus ou en moins ; dans tous les cas il est évident qu'escompter les deux années eu dehors du recensement officiel qui peut servir de base légale à telle ou telle province, c'est accorder une jouissance anticipative à tel district ou à telle province ; c'est un privilège.
Je crois qu'on a très bien fait de voter la loi de 1856 qui ordonne le recensement tous les dix ans et la répartition en vertu de ce recensement et que tout ce qu'on fait en dehors est irrégulier et ne peut être équitablement invoqué.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demanderai d'abord que tous les amendements soient déposés et imprimés, afin de pouvoir être discutés d'une manière convenable et à leur place ; ces amendements, appuyés de chiffres plus ou moins difficiles à suivre, demandent un examen sérieux, il serait impossible d'en aborder immédiatement la discussion.
Je dirai à M. Pirmez que ce n'est pas par distraction que le gouvernement a maintenu à Soignies les trois représentants qu'il possède aujourd'hui.
Il est vrai qu'en faisant une réserve pour l'arrondissement d'Audenarde, on a dit que c'était la seule exception que le principe devait recevoir ; il y avait à la rigueur une deuxième exception en faveur de l’arrondissement de Soignies.
Sa population diffère par une très légère fraction de celle de l'arrondissement de Charleroi, il est vrai ; niais nous n'avons pas pu penser que Charleroi, qui obtenait déjà un représentant, irait pousser la convoitise politique jusqu'à vouloir priver un arrondissement voisin d'un représentant qu'il possède pour l'accaparer. Nous n'avons pas pensé que pareille idée pût naître au sein de l'arrondissement de Charleroi.
Dans un esprit d'équité nous avons maintenu le statu quo ; nous avons conservé à Soignies les trois représentants dont il était eu possession et nous avons attribué à Charleroi unu représentant de plus. Nous avons agi par des motifs d'équité qui sont dans les antécédents immuables de la Chambre.
Il y a de plus une objection pratique. En présence de cette différence minime, imperceptible de population, pouvait-on enlever à Soignies et à Audenarde un de leurs représentants ? L'honorable membre a senti la gravité de l'objection. Si on privait Soignies d'un de ses représentants, comment faudrait-il procéder ?
Cet arrondissement a trois représentants, ces représentants ont reçu un mandat pour 4 ans, ils ont droit de siéger jusqu'à l'expiration de leur mandat. (Interruption.)
Vous avez dit que vous les maintiendriez jusqu'à l'expiration de leur mandat.
Je trouve que c'est là une très grave difficulté que de maintenir d'une manière précaire, provisoire, trois représentants à un arrondissement alors qu'il aurait été établi en principe que cet arrondissement n'aurait droit qu'à deux représentants.
Le remède que veut apporter M. Pirmez à la rigueur du principe qu'il invoque n'est pas admissible. S'il fallait en venir à cette mesure extrême de priver d'un représentant un arrondissement qui aurait perdu une grande partie de sa population pour le reporter sur un autre arrondissement qui aurait vu augmenter la sienne, ce serait un peu dur, mais cela se concevrait.
Mais ici ce n'est pas le cas ; il s'agit d'une minime différence, et l'arrondissement de Charleroi au lieu d'être privé d'un de ses représentants en gagne un ; je fais appel aux sentiments d'équité des députés de Charleroi, pour les engager à ne pas invoquer le droit rigoureux pour quelques centièmes qui se trouvent en plus en leur faveur.
Voilà ce que j'ai à dire quant à l'amendement de M. Pirmez que je combattrai encore quand il sera mis en discussion.
J'ai maintenant une observation à faire à l'honorable M. de Theux, dont nous aurons à apprécier ultérieurement la proposition.
Il a jeté une sorte de discrédit sur les bases de la répartition des représentants.
Il a dit qu'aux termes de la loi de 1856 le recensement qui a été ordonné par cette loi devait servir de base à la répartition future des représentants.
Messieurs, cela est vrai ; la loi de 1856 dit qu'il y aura tous les dix ans un recensement qui servira de base pour la nouvelle répartition ; et il est un fait regrettable c'est que cette loi n'ait pas été exécutée ; c'est que le recensement de 1856 n'ait pas servi de base à un nouvelle répartition en 1857. Voilà ce que voulait la loi. C'est ainsi que le recensement de 1846 a pu servir à la répartition qui a eu lieu en 1847. Mais le recensement de 1856 est resté sans application en 1857 et en 1858, de manière que nous sommes aujourd'hui en dehors de la loi de 1856, attendu que 12 années au lieu de 10 années se sout écoulées.
Il était donc parfaitement équitable, pratique et légal de s'écarter de la base du recensement de 1856. Ce qui était vrai en 1856, ce qui était reconnu comme exact en 1856, l'est-il encore en 1858 ? La population n’a-t-elle subi aucun changement de 1856 à 1858 ; ne devons-nous pas tenir compte de l'accroissement ou de la diminution qu'elle peut avoir subie ? C'est, messieurs, ce que nous avons cru devoir faire. Nous aurions fait une répartition inconstitutionnelle en l'établissant sur la population de 1856, alors qu'il était constaté que la population avait subi de graves changements dans l'espace de ces deux années.
C’est, messieurs, ce qui a eu lieu, et le rapport de la section centrale de la loi de 1856 a fait à cet égard des réserves formelles : elle n'a pas dit que jamais on ne sortirait du recensement pour de nouvelles répartitions ; au contraire, elle a expressément dit qu'il est encore d'autres éléments, d'autres bases à prendre pour établir la répartition dans l'avenir. Qu'avons-nous voulu eu 1856 ? Voici ce que nous avons voulu : nous avons voulu que la loi déterminât, pour autant qu'elle pût le déterminer d’une manière définitive, les époques où se feraient les répartitions en raison des accroissements de la population ; on n'a pas voulu qu'à la fin de chaque année, si l'on constatait un accroissement suffisant de population dans tel ou tel district, on augmentât la représentation de ce district.
Nous avons dit : il faut laisser les faits s'établir d'une manière assez permanente pour qu'on puisse, en toute sûreté, faire une répartition conformément au chiffre de la population constaté pendant un assez grand nombre d'années. Voilà ce qu'on a voulu. On a assigné un terme de dix ans pour chaque répartition nouvelle, pour chaque recensement nouveau ; mais on n'a pas dit que le recensement était indispensable pour chaque répartition. La section centrale a fait des réserves expresses à cet égard.
Quoi qu'il en soit, la loi étant restée sans exécution depuis 1856, nous ne sommes plus en présence de la population de 1856 ; mais nous sommes en présence de la population de 1858 et même de celle de 1859. Voilà l'état des choses.
Remarquons-le, messieurs, si la loi de 1856 avait la portée qu'on veut lui attribuer que serait-il arrivé si, dans le courant de cette session on n'avait pas pu faire une nouvelle répartition ? On se serait trouvé à 4 ans de distance du recensement de 1856, et on aurait fait alors une répartition sur un chiffre de population radicalement inexact.
Maintenant pour que l’argument eût une certaine valeur il faudrait établir que la population, telle qu'elle a été constatée par le gouvernement, est inexacte, ne présente pas de garanties suffisantes de véracité pour que la Chambre puisse s'y fier et ni faire la base d'une répartition nouvelle. Or, je ne pense pas que l'on veuille contester l'exactitude de l'état de la population, tel qu'il a été présenté par le gouvernement.
La loi de recensement de 1856 a eu pour but non de décider qu'il y aurait un recensement tous les 10 ans, mais d'introduire certaines règles pour améliorer dans toutes les communes le service administratif relatif à la population.
Ce travail se fait aujourd'hui avec le plus grand soin ; je citerai notamment, comme exemple, le travail administratif organisé au sein même de la capitale. Indépendamment des registres de l'état civil, qui tiennent compte des entrées et des sorties par naissance et décès, dans chaque commune il existe aujourd'hui des registres de population où l'on tient compte des entrées et des sorties par changements de résidence. Ce double registre est tenu ave le plus grand soin. Il y a sans doute de petites communes qui mettent plus ou moins de négligence à constats changements de résidence. Mais ce sont là des exceptions et l'on peut dire qu'on est arrivé à un état de perfection aussi satisfaisant qu'on puisse le désirer en semblable matière. Il est impossible, en effet, que nous parvenions jamais à connaître, à un habitant près, le chiffre exact de la population. Le recensement qui se fait à domicile renferme même des erreurs, et cependant il faut bien que la Chambre s'arrête à une base quelconque.
Nous avons pris la base de la répartition (et ici nous sommes restés dans la loi), d'abord, la population, telle qu'elle résultait du recensement au 31 décembre 1856 ; cette population de fait constatée dans chaque commune a été le point de départ, et on a complété ces indications d'après les registres de l'état civil et les registres de la population.
Ces registres, je le répète, sont tenus avec beaucoup de soin, surtout dans les grandes villes, et c'est là le point essentiel. Ils sont contrôlés, surveillés, de sorte que nous avons là des renseignements aussi complets, aussi exacts que possible.
Voilà, messieurs, les éléments qui ont servi de base au projet de loi de la nouvelle répartition.
Sous ce rapport, je crois qu'il n'y a aucun reproche à adresser au gouvernement. Du reste, je n'ai pas vu que dans aucune section on eût élevé une objection contre le mode de répartition proposé.
M. de Naeyer et M. H. Dumortier. - Si ! si !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on venait établir par des chiffres que les nôtres sont inexacts, je concevrais l’objection, mais jusqu'ici je n'ai pas vu que les chiffres rapportés dans le tableau du gouvernement aient été contestés par aucun membre de la Chambre. Jeles (page 894) tiens donc comme authentiques, aussi bien que ceux que le recensement a produits.
Ici, messieurs, on ne peut pas supposer la moindre fraude ; ce travail est susceptible de vérification, à chaque jour, à chaque heure, dans chaque commune du royaume ; et je pense qu'il est peu d'e documents fournis à la Chambre qui offrent un degré de certitude comparable à celui des documents relatifs à la population.
J'attendrai que les amendements proposés aient été imprimés.
M. le président. - Il n'y en a qu’un.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Est-ce que l'honorable M. de Theux ne formule pas sa proposition ?
M. de Theux. - Je n'ai pas, jusqu'ici, fait de proposition.
M. Muller. - Messieurs, l'honorable M. de Theux s'est mis tantôt à la recherche d'un sénateur qu'il désire partager entre la province de Luxembourg et la province de Limbourg.
M. d’Hoffschmidt. - Il le cède au Luxembourg.
M. Muller. - Il le cède au Luxembourg ! C'est trop de bonté. Mais je n'entends pas céder un des sénateurs de notre province ni au Luxembourg ni au Limbourg et j'en dirai le motif bien simple.
Je comprends l'honorable M. de Theux qui s'adresse à une province qui n'obtient un sénateur que par une fraction de population ; mais la population de la province de Liége était de 514,894 âmes au 1er janvier dernier. Or, pour avoir 6 sénateurs, il lui faudrait 480,000 âmes. Nous avons 34,894 âmes de plus ; et l'honorable M. de Theux vient nous demander de lui faire la cession d'un sénateur !
Malgré toute la bonne volonté que je veux y mettre, il m'est impossible d'y consentir.
M. de Decker. - Messieurs, je viens appuyer en quelques mots les observations que vous a présentées l'honorable comte de Theux à la fin de son discours, relativement an principe qu'on a suivi pour la fixation du nombre des nouveaux représentants et des nouveaux sénateurs et leur répartition entre les divers districts.
Je ne dissimule pas à la Chambre que j'ai vu avec surprise que le gouvernement n'ait pas pris pour base de la fixation du nombre des représentants et de leur répartition, les résultats du recensement de 1856.
En effet, messieurs, lorsque la loi sur le recensement a été présentée en 1856, le gouvernement n'avait d'abord eu que la pensée de déterminer une fois pour toutes que le recensement se ferait tous les dix ans ; jusque-là il n'y avait pas eu de principe fixe suivi en Belgique, et il s'agissait de se mettre enfin d'accord sur le terme endéans lequel se ferait le recensement pour se mettre autant que possible en rapport avec les usages suivis par les autres nations.
C'était donc un premier principe qui était décrété par la Chambre.
C'est d'après les vœux de la section centrale, dont l'honorable M. Rogier lui-même était rapporteur, que l'on a proposé d'ajouter à ce premier principe un deuxième qui consistait à dire que ce recensement décennal servirait de base à la répartition des membres des Chambres législatives
Le gouvernement s'est rallié à ce deuxième principe. En effet, messieurs, le gouvernement reconnaissait qu'il était utile que l'on prévînt les modifications trop fréquentes qui pourraient être faites à l'application de la loi électorale et les changements qu'on pourrait présenter, à chaque session, dans la répartition du nombre des membres du Sénat et de la Chambre. C'était donc là un principe essentiellement gouvernemental, auquel nous étions heureux de nous rallier.
L'honorable M. Rogier, qui est pour ainsi dire auteur de l'introduction de ce second principe dans la loi de 1856, est aujourd'hui celui qui vient vous en proposer la violation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous ne l'avez pas suivi.
M. de Decker. - Vous ne l'avez pas suivi ? C'est la première objection que fait M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, vous savez parfaitement bien quelles ont été les circonstances qui ont empêché la présentation d'un projet de loi ayant le même but que celui que nous discutons aujourd'hui. C'est à la date du 31 décembre 1856 que le recensement a été fait. On arrivait donc, avant que les résultats eussent été réunis, au mois d'avril ou de mai i8i7. Et, en effet, déjà à cette époque, les renseignements étaient réunis et l'on aurait pu dès lors, à la rigueur, présenter le projet de loi. Mais tout le monde connaît les circonstances extraordinaires dans lesquelles on s'est trouvé, et qui ont empêché, par la clôture imprévue de la session, la présentation de ce projet de loi.
Mais cet inconvénient n'était pas très considérable. Il est un fait dont M. le ministre de l'intérieur ne tient pas assez compte, c'est que dans la pratique, on n'introduit jamais les modifications que l'on propose à la répartition des membres du Sénat et de la Chambre, qu'à l'occasion d'un renouvellement partiel des Chambres.
C'est entendu ainsi : c'est dans les traditions parlementaire du pays. On n'a jamais, jusqu'à présent, introduit de nouvelle répartition, qu'à l’occasion d'élections partielles.
Or, ces élections partielles ne devaient avoir lieu, en supposant que tout eût marché d'une manière régulière et paisible, que dans le courant de 1858 ; par conséquent la nouvelle répartition ne devait être appliquée qu'en 1858. Nous ne sommes donc éloignés de cette époque que d’une année. (Interruption.) Je ne pense pas que personne eût insisté pour appliquer la répartition nouvelle avant les élections de 1858, eh bien, je le demande, est-ce un motif pour s'écarter du principe solennellement admis par les deux Chambres de baser la répartition nouvelle sur le résultat du recensement de 1856 ?
M. le ministre de l'intérieur nous dit : Mais ce qui existait à la fin de 1856 est-il encore exact aujourd'hui ? Complétement non ; mais cela n'eut pas été complétement exact non plus en 1858, et cependant on eût pris pour base les résultats du recensement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ! on aurait tenu compte de l'accroissement, sinon on eût fait une chose évidemment fausse.
M. de Decker. - Mais en stipulant que le recensement se fera tous les dix ans et que la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs se fera d'après ce recensement, on savait parfaitement que, pendant un certain temps, dans l'intervalle de dix ans, il n'y aurait pas une représentation rigoureusement exacte de la population ; mais c'est ce qu'a voulu la Chambre. Ainsi, dans deux ans, dans trois ans, à moins que vous ne vouliez constamment remettre en question la répartition votée aujourd'hui, vous aurez de nouveau des populations qui ne seront pas représentées exactement dans cette enceinte.
C'est un inconvénient auquel on savait d'avance qu'on se soumettait lorsqu'on déclarait que le recensement devait servir à une nouvelle répartition des sénateurs et des représentants.
Pourquoi les Chambres ont-elles agi ainsi ? Parce qu'on voulait prévenir cet autre inconvénient, beaucoup plus grave, de voir à chaque session surgir des questions électorales.
On voulait que le pays sût que c'était tous les dix ans qu'on s'occuperait de ces questions, parce qu'on supposait que tous les dix ans il y aurait des modifications assez importantes dans la population pour motiver des modifications dans la représentation, et parce qu’il est reconnu aussi que, si bien tenus que soient les registres de la population, le recensement se fait avec un soin tout particulier et offre une base beaucoup plus certaine et plus positive.
Voilà les motifs pour lesquels la loi de 1856 fut votée. Eh bien, je regrette qu'aujourd'hui nous soyons complétement en dehors de cette loi.
Messieurs, je ne veux point cependant proposer à la Chambre de prendre pour base de la répartition nouvelle, le résultat du recensement de 1856. Je ne le ferai pas, parce que je crois, d'après la tournure de la discussion, que cette proposition aurait peu de chances de succès et parce que je suppose que, pour l'avenir, il sera entendu que le principe de 1856 sera maintenu. Je désire que M. le ministre de l'intérieur s'explique sur ce point.
Je conçois jusqu'à un certain point qu'à raison des circonstances extraordinaire où nous nous sommes trouvés, on déroge. pour cette fois, au principe de la loi de 1856 ; mais je voudrais que le gouvernement déclarât qu'à l'avenir la loi de 1856 sera respectée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant ne fait pas de proposition ; il regrette seulement que la répartition proposée n'ait pas pour base la population constatée au 31 décembre 1856. Je soutiens que nous devons établir la répartition sur des bases réelles, sur les bases actuelles et non pas sur les bases du temps passé ; la population de 1856 n'est pas celle de 1858 ni celle de 1859.
La loi de 1856 en cette partie est restée inopérante, elle n'a pas été exécutée par des motifs que j'apprécie, mais enfin elle n'a pas été exécutée.
Aujourd’hui nous avons deux années de plus et un changement notable dans le chiffre de la population.
Nous devons aux termes de la Constitution répartir les membres de la représentation nationale, non d'après la population du passé, mais d'après la population actuelle ; c'est ce que fait le projet de loi.
L'honorable M. de Decker s'étonne qu'on se soit écarté, dit-il, des bases de la loi de 1856. Il ne devrait pas s'en étonner du tout. L'honorable M. de Decker, lorsqu'il a déposé son projet de loi, poursuivait un but purement administratif, et je reconnais qu'au point de vue administratif il est utile de faire tous les dix ans un recensement ; mais l’honorable M. de Decker n'avait peut-être pas la pensée de rattacher en principe la répartition des membres de la législature à ces recensements décennaux : c'est la section centrale qui a pris l'initiative à cet égard.
Qu'a fait la section centrale ? Elle a dit : On va faire un recensement ; l'augmentation de la population sera ainsi constatée d'une manière exacte, mais cette augmentation nous l'avions constatée avant le recensement. Nous avons dit alors : Voilà 10 ans qu'on a fait une répartition des membres des Chambres ; la population est augmentée, faisons une nouvelle répartition. Qu'a répondu M. de Decker ? Attendez quelques mois, je vais faire procéder à un recensement de la population. Voilà ce qui a été dit, mais dans le projet de loi sur le recensement il n'était point parlé d'une nouvelle répartition des membres de la législature.
M. de Decker. - Je me suis rallié à votre projet.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, mais je constate seulement que ce n'était point là votre pensée primitive.
Il y a plus, messieurs, dans la section centrale, nous avons déclaré formellement que le recensement n'était pas la seule base sur laquelle la répartition se ferait à l'avenir, que d'après les améliorations que la loi avait pour but d'introduire dans les registres de la population, il se (page 895) pourrait que le recensement ne fût plus nécessaire : voilà des faits, messieurs, que je rappelle dans l'exposé des motifs.
Messieurs, la Chambre est parfaitement libre de décider après dix ans, après huit ans, qu'il sera procédé à un recensement ou qu'il ne sera pas procédé à un recensement, que le recensement servira de base à la répartition ou que la répartition se fera d'après les registres de la population convenablement tenus. Mais une telle décision ne peut lier l'avenir.
A quoi servirait sous ce rapport une déclaration de notre part ? Qui sait ce que voudra la Chambre dans 8 ans, qui sait surtout ce que sera le ministère ?
Un principe sur lequel toutes les législatures seront sans doute d'accord, c'est qu'il ne faut pas tous les ans, chaque fois que l'on constate une augmentation de la population, procéder à une nouvelle répartition.
La Chambre a introduit dans la loi de 1856 le principe américain des répartitions décennales. Je crois que c'est une bonne durée, niais si par le développement de la prospérité publique la population prenait un accroissement considérable, je ne vois pas pourquoi l'on ne pourrait pas au bout de 5 ans, de 6 ans, de 7 ans procéder à une nouvelle répartition. Les registres de l'état civil et de la population offrent maintenant des bases parfaitement sûres ; seulement, je le répète, il ne faut pas renouveler trop souvent ces répartitions.
Je ne pense pas que l'opinion de M. de Decker trouve beaucoup d'adhérents dans cette Chambre ; chacun doit se dire que la législature est ici maîtresse d'agir dans l'intérêt général. Pourquoi repousserait-on des populations qui ont acquis le droit d'être représentées. Nous devons sous ce rapport être aussi larges que possible, nous ne faisons de mal à personne, nous donnons au pays une représentation plus forte et je crois que ce sera un grand bien, lorsque les Chambres seront plus nombreuses.
Quand nous pouvons les augmenter en usant d'une certaine tolérance et sans sortir des termes de la Constitution, je crois que nous devons le faire. C'est pourquoi nous sommes allés jusqu'à ajouter aux augmentations constatées pour 1857 et pour 1858 une légère augmentation présumée pour 1859. A une autre époque, messieurs, lorsque le Congrès national a fait la première répartition, il a également tenu compte des augmentations présumées de 1830 et même de 1831, et cependant l'on n'était pas dans les conditions où nous sommes aujourd'hui, on pouvait supposer qu'à la suite des événements politiques, il y avait eu de nombreuses émigrations et une diminution de la population. Cependant le Congrès a porté en ligne de compte une légère augmentation présumée de la population. C'est cet antécédent respectable que nous avons suivi, et aucune objection n'a été faite dans les sections contre cette manière de procéder
M. de Decker. - Messieurs, il est vrai que le projet de loi présenté par le gouvernement en 1856 ne contenait aucune disposition aux termes de laquelle les nouvelles répartitions des représentants et des sénateurs dussent se faire à la suite d'un recensement ; mais cet argument n'est pas sérieux. Quoique introduite par la section centrale, sur la proposition de l'honorable M. Rogier, la disposition n'en fait pas moins partie de la loi qu'il s'agit d'exécuter ; le gouvernement s'était rallié à l'amendement de la section centrale, amendement qu'il trouvait très convenable, très gouvernemental et très pratique.
L'honorable ministre de l'intérieur dit que la section centrale n'avait pas attaché au recensement une importance telle, que ce recensement dût seul servir de base à la répartition dans l'avenir, qu'elle avait consacré d'autres moyens pour constater le chiffre de la population.
Je regrette de le dire, j'apprécie tout autrement que l'honorable M. Rogier, la disposition dont il est l'auteur. D'après la section centrale, c'était le recensement qui devait toujours servir de base. Mais cette opération ne devait pas toujours se faire d'après le mode coûteux qu'on avait suivi deux fois.
Voici ce que je lis dans le rapport de cette section centrale :
« La section centrale n’entend pas préjuger le mode de recensement qui pourra être adopté pour chaque renouvellement décennal. Elle est d'avis qu'en maintenant l'ordre et la régularité dans les registres de la population, l'état de la population pourra en tout temps se constater d'une manière exacte, sans recourir au recensement à domicile, qui est une mesure onéreuse pour le trésor et peu sympathique aux habitants. »
Il fallait donc un recensement tous les 10 ans ; le mode de ce recensement peut varier sans doute.
On hésitait devant les fais qu'occasionne une pareille opération. Si l'on veut éviter cette dépense, tant mieux ; si l'on peut arriver à une perfection suffisante dans la tenue des registres publics et de l'état civil, nous sommes d'accord pour épargner au pays les dépenses du recensement. Mais toujours est-il que, d'après les vues de la section centrale, il fallait un recensement, opéré d'une manière quelconque, tous les 10 ans.
Mais, dit l'honorable ministre de l'intérieur, on n'est pas lié par cette loi ; le gouvernement et les membres de la Chambre peuvent faire des propositions de répartitions nouvelles, quand bon leur semble.
Messieurs, je ne partage nullement cette manière de voir. Quoi ! nous sommes unanimes pour adopter une importante disposition organique fondée sur l'intérêt général, et l'on viendra prétendre que l'on pourra, dans l'avenir, par caprice ou dans l'intérêt d'un parti, violer cette disposition organique ! Cela signifie que l'on se réserve de soutenir que la répartition aura lieu tous les 10 ans, quand on ne sera pas au pouvoir ; mais que, lorsqu'on sera au pouvoir, la répartition se fera comme on jugera convenir aux intérêts de son parti !
Une pareille interprétation, une pareille explication d'une loi importante, est déplorable.
M. Devaux. - Messieurs, je m'explique difficilement comment l’honorable M. de Decker insiste sur une opinion aussi peu fondée.
L'honorable membre soutient que parce qu'un recensement a été fait en 1856, il faut le prendre comme unique base de la répartition des représentants et des sénateurs, cette répartition se fit-elle six ou huit ans après.
Comme cela s'est déjà vu dans d'autres circonstances, il aurait pu arriver que la loi de répartition fût ajournée pendant 5, 6, 7 ou 8 ans, et au bout de 8 ans, vous auriez dit : « Il faut prendre pour base la population de 1856, bien que tout le monde sache que depuis lors et e s'est accrue de deux à trois cent mille âmes. »
M. de Decker. - Je n'aurais pas dit cela.
M. Devaux. - Ainsi, dans la pratique, vous auriez reculé devant l'application de votre principe, preuve que ce principe est faux.
Pourquoi la Chambre a-t-elle voulu un recensement ? Afin d'avoir, pour la répartition des représentants, la base la plus exacte possible, la plus rapprochée de la réalité.
Sans cela, on se serait borné aux renseignements ordinaires puisés dans les registres de l'état civil et dans les registres qui constatent les changements de domicile et de résidence.
Et que vous propose-t-on ? De vous en rapporter à cette base unique à une époque où il est certain qu'elle n'est plus vraie. On voulait la base la plus exacte et on vous demande d'en adopter sciemment une qui, de l'aveu de tous, est fausse.
Le recensement doit servir de base unique, quand la répartition se décrète immédiatement après ; mais s'il s'écoule plusieurs années, il faut compléter les résultats du recensement par les changements que constatent les registres de l'état civil et ceux des résidences.
Ce recensement ainsi sert de base et de point de départ, mais en le complétant à raison des changements survenus postérieurement dans l'état de la population.
Vous avez laissé la loi de 1856 sans exécution ; je ne vous en fais pas un reproche ; il y a eu des raisons pour cela ; mais enfin la loi est restée sans exécution ; le ministère actuel et les Chambres actuelles l'ont laissée également sans exécution, pour ne pas faire d'élections deux années de suite ; il y aura donc deux ans et demi que la loi n'aura pas été exécutée.
Vouloir l'exécuter maintenant en prenant pour unique base l'état de la population d'il y a deux ans et demi, c'est fausser l'esprit de la loi, c'est substituer à une base qui eût été vraie si la loi avait été immédiatement exécutée, une base évidemment fausse à raison même de l'inexécution de la loi.
Messieurs, puisque j’ai la parole, je dirai quelques mots d'une question qui a été soulevée par l'honorable M. Pirmez.
L'honorable membre voudrait qu'on suivît à la lettre le principe que quand, dans le calcul de la répartition, à raison d'un représentant par 40,000 âmes, il se présente un excédant de population, on assignât toujours les représentants qui restent à répartir aux excédants les plus élevés, sans avoir égard à aucune autre circonstance.
Cette règle me paraît trop absolue. La seule chose, ce me semble, qui donc être considérée comme absolue dans la répartition, c'est le droit pour chaque arrondissement d'avoir autant de représentants qu'il compte de fois 40,000 habitants ; mais un excédant inférieur à 40,000 ne lui donne pas ce droit. La Constitution qui a déterminé cette proportion dit au contraire que le nombre des représentants ne peut pas dépasser le rapport de 1 à 40,000 âmes. Si donc on assigne un représentant de plus à certains arrondissements, ce n’est pas en vertu de la Constitution qui n'a parlé que de la représentation totale du pays ; c'est plutôt contre la lettre de la Constitution ; ce n'est pas en vertu d'un véritable droit, c'est parce que le nombre total des représentants étant fixé d'après la population générale du pays, il faut bien les répartir tous entre les diverses circonscriptions électorales, et comme on ne peut avoir des circonscriptions d'une population qui représente toujours exactement un chiffre bien multiple de 40,000, il en résulte qu'un certain nombre de représentants doivent être assignés à des arrondissements à raison de populations qui n'atteignent pas 40,000 âmes.
A cet égard, à défaut d'autre règle, on en suit une très imparfaite, c'est d'assigner un représentant de plus aux excédants les plus forts. Il en résulte qu'un très petit nombre de voix décide quelquefois en faveur d'un arrondissement et comme la répartition a eu lieu par province, avant de se faire par arrondissement, il arrive que dans telle province un excédant plus faible obtient le représentant dont un excédant plus fort est privé dans une autre province. On peut dire qu'on suit cette règle à défaut de meilleure et il ne faut pas la regarder comme tellement rigoureuse, qu'il faille absolument faire abstraction de toute autre considération.
Toujours, par exemple, on a eu égard à la possession. Je ne voudrais pas en faire non plus un principe absolu et dire que tant qu'il y a un excédant quelconque la possession doit être respectée ; mais ce n'est (page 896) certainement pas aller trop loin de dire que lorsque entre deux arrondissement les excédants de population offrent de faibles différences, celui qui est en possession doit être préféré.
C'est ce qu'on a fait jusqu'à présent. C'est aussi l'esprit général de nos lois de ménager les transitions et de tenir compte des positions acquises, quand elles substituent un régime à un autre.
M. de Theux. - Je ne veux faire qu'une seule observation ! D'après ce que viennent de dire M. le ministre de l'intérieur et l'honorable préopinant, le principe déposé dans la loi de 1856, n'existe plus. Le ministre a dit qu'on pouvait, sans attendre le recensement si on avait des motifs de croire que la population avait éprouvé un grand accroissement, saisir la Chambre d'un projet d'augmentation du nombre des sénateurs et des représentants, en dehors de la loi décennale, ce qui revient à dire que le principe éminemment utile établi par la loi de 1856, pour maintenir l'équilibre de la représentation entre les provinces et les arrondissements, n'existe plus ; que cela peut devenir une course au clocher pour un cabinet qui croirait avoir intérêt à présenter un projet de répartition, comme il pourrait en retarder la présentation s'il le trouvait à sa convenance.
Une loi comme celle-ci est une loi de principe qui devrait être exécutée dans l'intérêt de tous ; personne ne devrait y proposer de dérogation quelles que soient les présomptions quant aux changements que pourrait avoir éprouvés la population, il doit y avoir une base officielle de recensement, c'est le recensement décennal qui sert de base à la représentation nationale, et la répartition doit être présentée immédiatement après que le résultat du recensement est connu.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'entends pas détruire le principe déposé dans la loi de 1856, c'est moi qui ai proposé de l'y introduire. Pour mon compte je n'ai pas le dessein de faire de proposition de nouvelle répartition avant huit ans, c'est tout ce que je puis dire ; l'honorable membre ne pourrait pas davantage faire une déclaration plus formelle à cet égard.
Je tiens au maintien de la loi en ce qui me concerne ; mais ni M. de Theux ni moi ne pouvons disposer de l'avenir.
Il peut arriver des ministres qui en jugent autrement que nous, il peut arriver des représentants qui voyant que leurs arrondissements ont pris un accroissement considérable, jugent à propos de proposer un projet de loi établissant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
Les ministres d'aujourd'hui auraient beau faire les plus belles déclarations du monde qu'ils ne pourraient pas prévenir un pareil accident, si accident il y a.
Je pense qu'en toute situation les Chambres comprendront que ces changements ne peuvent pas être trop fréquents et que l'intervalle de dix ans est suffisant pour satisfaire à toutes les exigences, à tous les, besoins ; mais je ne réponds pas de l'avenir.
M. d’Hoffschmidt. - Dans le premier discours qu'a prononcé l'honorable M. de Theux, il a proposé de donner un sénateur de plus à la province de Luxembourg ; je le remercie de ses bonnes intentions ; j'accepterais volontiers ce sénateur si la Chambre voulait nous l'accorder ; mais je crois que nous n'avons pas le droit d'élever de réclamation à cet égard
Il y a augmentation de quatre sénateurs pour tout le royaume, l'un est attribué à la province d'Anvers ; elle a une population relative de 5.57, c'est-à-dire cinq fois 80,000 âmes, plus une fraction de 57 100, le Brabant qui obtient aussi un sénateur a 9 06, c'est-à-dire neuf fois 80,000 âmes plus 66/100.
Le Hainaut obtient un sénateur parce que sa population représente 9.87/100. Namur obtient le quatrième sénateur parce qu'il a un excédant de 64/100 tandis que dans le Luxembourg nous n'avons qu'un excédant de 37 mille habitants ce qui ne représente que 2 et 76 centièmes. Cette population est inférieure à la moitié du chiffre de 80,000 âmes, nous ne pourrions donc pas prétendre à un nouveau sénateur. Lorsqu'on s'occupera d'une nouvelle répartition, nous aurons alors un droit incontestable à un sénateur de plus, mais pour le moment je ne comprendrais pas à quel titre nous prétendrions à enlever un sénateur à la province de Liège qui n'a que six sénateurs et a un excédant de 43,000 âmes, c'est-à-dire qui est bien près d'avoir le droit d'obtenir sept sénateurs.
Je ne suis pas d'ailleurs partisan du système qui consisterait à enlever des représentants ou des sénateurs aux arrondissements qui en jouissent depuis longtemps.
Sous ce rapport donc, malgré les considérations sur lesquelles il l'a appuyée, je ne puis partager l'opinion de mon honorable ami M. Pirmez.
Maintenant, puisque j'ai la parole, je dirai quelques mots sur une observation présentée par la section centrale. C'est celle qui est relative à la nouvelle répartition qui devrait avoir lieu pour les conseillers provinciaux ; je crois que le gouvernement doit s'occuper de cette question. Depuis la loi provinciale qui date de 1836, il n'y a pas eu de nouvelles répartitions des conseillers, sauf en 1839, pour le Limbourg et le Luxembourg par exception motivée par les événements malheureux de cette époque.
La répartition des conseillers provinciaux est basée, comme celle des représentants, sur la population. Les changements survenus dans les populations depuis 1836 doivent avoir amené des différences dans bien des cantons et rendre nécessaire une nouvelle répartition. Il y a là une question de justice distributive. Par exemple, tel canton qui avait huit mille habitants obtenait deux conseillers, tandis que tel autre qui n'avait que sept mille habitants n'en obtenait qu'un ; depuis lors cette proportion peut avoir changé, et le canton qui avait sept mille habitants peut en avoir plus aujourd'hui que le canton qui avait obtenu deux conseillers.
Cela a une assez grande importance, car dans le conseil il peut s'élever un conflit entre ces deux arrondissements pour la direction d'une route ou autre chose ; l'un est représenté par un conseiller, l'autre par deux.
Le principe qui sert de base au projet, que nous discutons s'applique également aux conseillers provinciaux.
Je crois que le gouvernement doit s'en occuper ; et j'espère qu'à la session prochaine il saisira la Chambre d'un projet de loi concernant la nouvelle répartition des conseillers provinciaux. Dans deux ans des élections doivent avoir lieu ; pour les conseils cette loi viendrait en temps opportun.
M. Pirmez. - Messieurs, je ne me suis pas dissimulé, en présentant l'amendement, l'ingratitude de la tâche que je m'imposais ; j'ai senti mieux que personne combien il est pénible d'avoir à froisser les désirs de quelques-uns de nos collègues qui sont si bienveillants pour nous.
Mais, messieurs, quelle était notre position ?
Nous avons trouvé toutes tracées les règles de la répartition à laquelle nous avons à procéder.
Nous avons constaté que le projet du gouvernement s'en écarte au préjudice de l'arrondissement que nous représentons.
Notre devoir nous obligeait à ne pas laisser passer inaperçue cette dérogation aux principes de la matière.
Après avoir entendu les différents membres qui ont pris part à ce débat, je suis plus que jamais convaincu du fondement de la réclamation que j'ai formulée.
Il est impossible que la Chambre n'admette pas qu'au point de vue du droit rigoureux, cette réclamation ne soit pas complétement justifiée ; elle repose sur des chiffres qui ont une logique indestructible.
Mais je comprends aussi parfaitement que la Chambre, en admettant que ces conclusions sont rigoureusement exactes, éprouve une hésitation à les accueillir en présence de la position acquise à l'arrondissement de Soignies.
Mais, messieurs, si la Chambre veut abandonner les principes posés dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale et cela par des raisosn d'équité, il est absolument impossible qu'elle n'accueille pas la proposition que vient de déposer, d'après ce que je viens d'apprendre, l'honorable M. Dumortier, proposition tendante à attribuer à Charleroi le sénateur dont le projet accorde la nomination à Mons.
En supposant même que l'on doive prendre pour base la population au 31 décembre dernier, est-il possible de s'attacher en équité à une différence de 600 habitants pour donner tout à la fois à Mons un sénateur et un représentant de plus qu'à Charleroi ?
Quelles que soit les règles que l'on veuille tracer, on doit reconnaître que ce résultat blesse l'équité, et que, sous ce rapport, la proposition de M. Dumortier est préférable.
Je maintiens l'amendement que j'ai déposé, messieurs, parce qu'il est fondé d'après les principes sur lesquels s'appuie le projet ; mais si la Chambre le rejetait, je me rallierais à la proposition de M. Dumortier.
Je ferai une seule observation qui prouvera que, même en droit rigoureux, elle doit être accueillie.
(erratum, page 916) M. le ministre de l'intérieur nous disait encore tantôt, que pour arriver au nombre total de représentants indiqué au projet ou avait dû ajouter à la population constatée au 31 décembre damier, l’accroissement présumé de population jusqu'au mois de juin prochain qui s'élève à 16.000 ou 17,000. Mais s'il en est ainsi, c'est bien au mois de juin prochain que la population doit être calculée, cela doit être vrai pour la répartition comme pour le nombre total des représentants.
Eh bien, si l'on fixe la population respective de Mons et de Charleroi pour cette époque au moyen de l'accroissement des années antérieures, on trouve que celle du second sera supérieure à celle du premier de 500 à 600 habitants.
Mons prétend avoir un sénateur et un représentant de plus que Charleroi parce qu'il y avait, au 31 décembre dernier, une population supérieure de 500 habitants.
Charleroi pourrait parfaitement revendiquer le sénateur et (page 897) le représentant parce qu'au mois de juin la différence en plus sera de son côté.
Mais, messieurs, nous voulons bien reconnaître que cette différence est insignifiante, et nous dirons à Mons : Choisissez, si vous le voulez, entre le représentant et le sénateur, niais ne prenez pas les deux.
M. le président. - Voici, en effet, l'amendement de M. Du mortier :
« Arrondissement de Mons : 5 représentants, 2 sénateurs.
« Arrondissement de Charleroi : 4 représentants, 3 sénateurs. »
- Cet amendement est appuyé.
M. Dolez. - Notre honorable collègue, M. Pirmez, imite dans cette occasion la recherche inquiète de Jérôme Paturot. Il veut à tout prix que la représentation de l'arrondissement de Charleroi soit augmentée plus encore que ne le fait le projet du gouvernement. Tout à l'heure il demandait un représentant ; le voici maintenant qu'il vous prie de lui accorder au moins un sénateur si le représentant lui échappe !
M. Allard. - Quel honneur !
M. Dolez. - Je reconnais pourtant qu'il ne fait cette dernière demande qu'à la suite de M. Dumortier. La réclamation première des honorables députés de Charleroi, pas plus que l'amendement de l'honorable M. Dumortier, ne mérite d'être accueillie par la Chambre.
Quand M. Pirmez demande qu'on enlève à l'arrondissement de Soignies un représentant pour l'attribuer à Charleroi, il invoque le droit, les principes et sous ce rapport il a raison, puisque Charleroi possède une fraction de population un peu plus élevée que celle possédée par Soignies.
La réclamation de M. Pirmez devrait donc être accueillie, si elle n'était repoussée par des considérations d'équité.
L'honorable M. Dumortier pense et la Chambre tout entière semble penser comme lui que l'équité doit ici tempérer la rigueur de la loi.
Messieurs, cette équité sur quoi est-elle fondée ? Uniquement sur la possession de l'arrondissement de Soignies. Otez cette possession et il n'y aura plus de motif d'équité pour maintenir à cet arrondissement trois représentants et pour n'augmenter que d'un seul le nombre des représentants de Charleroi. C'est donc uniquement en vertu de cette faveur très légitime dont on entoure toujours la possession, qu'il y a lieu de faire fléchir, en faveur de Soignies, le principe très vrai, très fondé, qu'invoque l'honorable représentant de Charleroi.
L'honorable M Dumortier ajoutait à ces motifs d'équité des considérations qu'il devait oublier bientôt quand il engageait Charleroi à abandonner la prétention d'enlever un représentant à Soignies pour tâcher de conquérir le sénateur que le projet attribue à Mons. Il faisait remarquer que la population de l'arrondissement de Charleroi renferme des éléments flottants.
M. B. Dumortier. - L'arrondissement de Mons aussi.
M. Dolez. - Et il en déduisait cette conséquence que le résultat du dénombrement de cette population est essentiellement douteux. Mais s'il est douteux relativement à la question du représentant, comment peut-il être certain relativement au sénateur ?
M. Dumortier vient de me répondre que l'arrondissement de Mons a une population flottante, tout comme celui de Charleroi. Eh bien, c'est une erreur ; nous n'avons pas à Mons ces colonies flamandes qui s'établissent momentanément dans l'arrondissement de Charleroi. Il y a bien quelques ouvriers flamands dans le Borinage, mais ils y sont en très petit nombre ; tandis que dans l'arrondissement de Charleroi on les compte par milliers.
Par conséquent l'observation de l'honorable M. Dumortier à propos de la demande d'un représentant de plus faite pour Charleroi doit s'élever contre la prétention de l'honorable M. Dumortier quand il nous enlevé un sénateur pour l'attribuer à l'arrondissement de Charleroi. L'amendement de M. Dumortier est donc contraire aux principes, puisque Mons a pour l'obtenir une fraction de population plus élevée que Charleroi, et les raisons d'équité qui s'élèvent pour faire maintenir à Soignies ses trois représentants n'existent pas ici pour faire fléchir les principes.
Aussi, messieurs, ne puis-je m'empêcher de me demander si M. Dumortier n'a pas cédé quelque peu, je ne dirai pas à quelque préoccupation personnelle, mais à des souvenirs de clocher. L'honorable M. Dumortier, nous le savons, n'est plus député de Tournai ; mas il est Tournaisien ; et je n'oserais pas affirmer que la crainte de voir Mons obtenir un sénateur de plus que Tournai, n'a pas pesé quelque peu sur sa conviction.
M. B. Dumortier. - Ne nous prêtez pas des idées aussi étroites ; ces idées n'ont de cours qu'à Mons.
M. Dolez. - Quoi qu'il en soit, de quoi s'agit-il relativement au sénateur ? De donner un sénateur de plus soit à Mons, soit à Charleroi, Eh bien, à qui faut-il le donner ? Mais à l'arrondissement qui a la fraction de population la plus forte.
M. Pirmez. - C’est nous qui l'avons.
M. Dolez. - Pardon, à moins que vous ne contestiez les chiffres du gouvernement.
M. Pirmez. - Au premier juin prochain nous devons l’avoir.
M. Dolez. - Qu'en savez-vous ? Votre demande n'est donc basée que sur une hypothèse. Le projet du gouvernement l'est sur une certitude. L'arrondissement de Charleroi est un arrondissement en progrès, je le reconnais ; mais vous voudrez bien admettre que l'arrondissement de Mons ne s'arrête pas plus que lui, sous le double rapport des progrès moraux et matériels. Dès lors, nous devons nous en tenir, pour déterminer la base de répartition, aux résultats connus.
C'est donc une question qui ne peut être résolue que par les principes, et il faut nécessairement attribuer le sénateur à l'arrondissement qui offre la fraction la plus forte. C'est ce que fait le gouvernement, et c'est ce qui a été admis par les sections et par la section centrale. Aucune des sections n'a demandé, je pense, qu'on enlevât le sénateur proposé pour l'arrondissement de Mons, pour le donner à J'arrondissement de Charleroi. Je prie la Chambre de vouloir bien ne pas perdre de vue que la situation que lui présentait l'habile organe de l'arrondissement de Charleroi n'était pas parfaitement exacte quand il disait : Donnez-nous un sénateur ou un représentant de plus. En effet par le projet du gouvernement Charleroi obtient déjà un représentant de plus ; par conséquent, ce qu'on demande c'est d'obtenir ou un sénateur et un représentant ou deux représentants de plus. Or, messieurs, c'est là une position de faveur que les principes repoussent et que l'équité invoquée avec raison par Soignies, c'est-à-dire le droit résultant de la possession ne réclame pas en faveur de Charleroi.
J'espère donc que la Chambre n'hésitera pas à adopter la proposition du gouvernement approuvée par la section centrale.
M. B. Dumortier. - Je ne crois pas que la Chambre ait pu prendre au sérieux l'observation de l'honorable préopinant, que j'aurais été influencé par des souvenirs de clocher, en formulant mon amendement. Chacun sait que nous avons ici des devoirs à remplir, et certes ce ne sont pas les députés de Tournai, du moins celui qui parle en ce moment, qui s'est jamais fait connaître ici par des idées aussi étroites.
Les idées larges, les idées grandes qui concernent l'honneur et la grandeur du pays, voilà celles que j’ai toujours préférées et que je préférerai toujours. Je laisse le monopole des autres à mon honorable contradicteur.
Quant à ce qui est de la question, pour moi, je le déclare, je ne puis qu'envisager les faits. Certainement si l'arrondissement de Mons avait un chiffre d'habitants tel, qu'on dût lui accorder, sans contester, sans objection, un député et un sénateur de plus, croyez-le bien, je me serais gardé de prendre la parole.
Mais j'examine le tableau du recensement et une chose me frappe : c'est que la population du district de Mons n'est supérieure à celle du district de Charleroi que de 579 habitants, c'est-à-dire 1/150 de ce qu'il faut pour faire un sénateur ; et c'est pour cette fraction si minime qui entre à peine en ligne de compte, que l'on à Mons donne un député et un sénateur de plus qu’à Charleroi.
- Un membre. - Mais non !
M. B. Dumortier. - Il ne s'agit pas de : mais non. Voyez le tableau. Le district de Charleroi a 180,061 habitants ; le district de Mons à 180,630 habitants ; différence 579 habitants. Vous donnez au district de Mons 5 représentants alors qu'il n'a le droit qu'à 4,52, et vous lui donnez 3 sénateurs alors qu'il n'a une population que pour 2,26 sénateurs, de manière que vous forcez deux fois, une fois pour la moitié, et une fois pour les trois quarts, la fraction en faveur de Mons. Forcer deux fois le chiffre de ses habitants. Est-ce là de la justice ?
La population de l'arrondissement de Charleroi est comme celle de l'arrondissement de Mons, de 180,000 habitants. Le chiffre général par mille est le même.
Eh bien, à ce district qui a le même chiffre par mille, vous lui donnez un député de moins et un sénateur de moins qu'à l'arrondissement de Mons, et cela pour une différence de 579 habitants.
Est-ce encore une fois là de la justice ?
Il n'y a pas ici d'esprit de clocher ; et il faut que la cause que défend l'honorable M. Dolez, soit bien mauvaise pour la défendre par de pareils arguments que l'on n'invoque que lorsqu'on soutient une thèse qui ne peut être défendue par aucune bonne raison.
Il est évident que pour 579 habitants de plus, pour une fraction qui est d'un centième de plus, vous ne pouvez accorder à la fois à Mons un représentant et un sénateur.
Messieurs, cette question s'est déjà présentée plusieurs fois, et chaque fois qu'on s'est trouvé dans des circonstances analogues, qu'a fait la Chambre ?
Elle a dit : Nous ne pouvons donner un privilège à une localité au détriment d'une autre localité. Les intérêts locaux ont le droit d'être représentés, les intérêts généraux ont le droit d'être représentés.
Si le district de Mons a le droit d'être représenté, le district de Charleroi a aussi le droit d'être représenté. Eh bien, que fait-on en pareil cas ? On donne le sénateur à l'un et le représentant à l'autre. Mais il est impossible, pour une fraction d'un centième, d'accorder deux faveurs à l'un et de porter un double préjudice à l'autre. Je dis que cela serait souverainement injuste.
Il est bien vrai que, comme l'a rappelé l'honorable M. Dolez, j'ai fait observer que le district de Charleroi avait une population flottante considérable, et qu'il fallait tenir compte de cette circonstance. Mais j'ai ajouté immédiatement que le district de Mons se trouvait dans le même (page 898) cas, les deux districts sont absolument dans les mêmes conditions : ce sont des districts houillère, des districts miniers, et l'un et l'autre ont une population flottante considérable. L'observation que je faisais relativement au district de Soignies disparaît donc ici complétement. Le district de Soignies est un district agricole, qui envoie ses ouvriers dans les districts de Mons et de Charleroi, tandis que les districts de Mons et de Charleroi sont dans les mêmes conditions.
Eh bien, lorsqu'il s'agit de districts, qui sont dans les mêmes conditions, est-il possible, pour une fraction d'un centième, fraction qui, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez avec raison, n'existe plus puisque nous avons une progression constante dans les deux districts, mais que la progression est beaucoup plus grande dans l’arrondissement de Charleroi que dans l'arrondissement de Mons.
En présence de pareils faits, pouvez-vous commettre une scandaleuse injustice, accorder à l'un un représentant et un sénateur de plus, et refuser quelque chose à l'autre ! Je le déclare, mes sentiments de justice sont froissés par une pareille répartition, et c'est pour cela que j'ai présenté mon amendement.
La Chambre verra, dans sa sagesse, ce qu'elle a à faire ; mais en l'acceptant, elle restera fidèle aux précédents. Toujours on a opéré de la sorte. Lorsqu'il y avait des fractions bien au-dessous de la moitié, qui ne donnaient de droits absolus ni à l'un ni à l'autre, toujours la Chambre a fait de la justice répartitive. Car il est impossible de faire de la justice de droit, lorsque le droit n'existe pas. Le droit n'existe pas pour Mons, donc il faut faire de la justice de répartition.
- La suite de la discussion est remise à demain.
M. le président. - La Chambre a décidé, il y a trois jours, que demain serait examiné en sections le projet de loi relatif à l'article 84 de la loi communale. Tout le monde est donc prévenu. Les sections seront réunies à midi.
M. B. Dumortier. - Ne pourrait-on remettre cela à la semaine prochaine ? Nous sommes occupés d'une discussion importante, (Interruption.)
M. le président. - Il y a décision de la Chambre.
La séance publique aura lieu à deux heures. Il est entendu que las prompts rapports de pétitions sont postposés après la discussion commencée.
- La séance est levée à 5 heures.