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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 février 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 557) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée et présente l'analyse suivante des pétitions adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambet

« L'administration communale de Crombeke demande que le département des travaux publics donne les ordres nécessaires pour ne plus laisser écouler les eaux de l'Yser jusqu'à ce qu'elles aient converties pâturages qui se trouvent dans son bassin.

« Même demande de l'administration communale de Stavele. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, où par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions
Articles 295 et suivants

M. le président. - La parole est à M. Malou pour développer son amendement.

M. Malou. - Je ne me propose pas en ce moment, messieurs, de rentrer dans la discussion générale, je me bornerai à quelques explications relatives à l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer hier.

Les développements de cette proposition se trouvent dans mon discours et dans celui de mon honorable ami M. le comte de Theux.

Nous disons que l'article 16 de la Constitution interdit, d'une manière absolue, toute législation spéciale quant aux écrits, que la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication n'admet aucune distinction, aucune loi spéciale.

Quant à l'article 14, nous admettons, ce qui est évident selon moi, que la loi peut, à l'égard de toutes nos libertés constitutionnelles, garantir le droit social, en qualifiant les délits qui sont commis à l'occasion de l'exercice de ces libertés ; et nous ajoutons immédiatement que cette création de délits ne peut pas être arbitraire, que les faits qu'on qualifie de délits doivent être des abus du droit, des atteintes portées aux droits d'autrui ou aux droits de la société. Dans les formules qui ont été données de l'article 295, nous n'avons pas trouvé ces conditions, nous avons combattu ces formules ; nous avons demandé, jusqu'à ce qu'une bonne rédaction fût trouvée, l'application du droit commun.

La proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre m'a été suggérée par le discours prononcé à la séance de samedi par l'honorable ministre de la justice.

Je pourrais même dire que je l'ai copié dans ce discours. Il nous a dit, en effet, que, quand un ministre du culte franchira les limites du domaine religieux, la loi trouvera son application. « Nous voulons, ajoutait M. le ministre, interdire au ministre du culte de sortir de sa mission, pour critiquer les actes des autorités publiques. «

Ces deux assertions dénotent un progrès, il ne s'agit plus désormais que des attaques dirigées contre des actes, c'est-à-dire des faits précis. Ensuite, on paraît admettre que la critique, lorsque les questions que le ministre du culte agite sont de son domaine, est parfaitement légitime, parfaitement permise.

Les tribunaux, nous dit-on, et c'est la seule objection que je doive rencontrer en ce moment, les tribunaux précisent les lois qui ne le sont pas assez.

Je croyais qu'en matière pénale la loi devait être précise, que les tribunaux ne les jugeaient pas, mais qu'ils les appliquaient.

Je suis convaincu que M. le ministre de la justice est d'accord avec moi sur ce point.

Ainsi, qu'une loi soit mauvaise, qu'elle érige en délit un fait qui ne l'est pas en lui-même, les tribunaux diront : Je ne suis pas chargé de juger la loi, mais selon la loi. » Il est donc évident que la définition du délit doit être donnée par la loi même et que les tribunaux ont à apprécier seulement si les faits qui leur sont soumis tombent sous l'application de la définition donnée par la loi.

Me plaçant à ce point de vue, je me suis attaché à définir les délits d'après les principes de la Constitution, en respectant le droit et en respectant la liberté réelle des cultes.

La première différence entre cette proposition et celle de la commission est donc de supprimer le mot « écrit ».

Les écrits restent ainsi sous le régime de l'article 16 de la Constitution, c’est-à-dire la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

Messieurs, j'avais fait remarquer que si l'on voulait faire des écrits un délit spécial, on tombait dans l'absurde et dans l'impossible ; dans l'absurde, parce que, d'une part, il ne peut y avoir de délit sans mauvais intention, et que, d'autre part, on punit la simple lecture faite en vertu d'un ordre supérieur.

J'ajoutais que la loi ainsi interprétée aurait pour conséquence d'obliger le gouvernement, à un jour donné, lors de la lecture d'une encyclique par exemple, de poursuivre en même temps tout le clergé de tout le royaume.

S'ensuit-il, messieurs, que nous demandions, comme on le prétendait dans la séance de samedi, l'irresponsabilité, l'inviolabilité pour un délit ? En aucune façon. Il résultera de ce système que si un délit de presse était commis dans un mandement ou à raison de la publication d'une encyclique, on appliquerait la loi commune à l'auteur de cette publication en Belgique.

Vous auriez quelqu'un à poursuivre, mais ce que nous demandons, c'est que l'on ne poursuive pas pour une simple lecture, alors que ceux qui lisent le font en exécution d'un droit et d'un devoir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si c'est en vertu d'un droit, comment peut-on légitimement punir ?

M. Malou. - C’est précisément ce que je demande, et c'est parce que vous érigez en délit une lecture faite par un prêtre en vertu de l'ordre d'un supérieur que je dis que vous voulez traduire devant les tribunaux correctionnels des personnes qui n'ont pas commis des délits.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sont-ils affranchis du délit pour avoir lu par ordre d'un supérieur ?

M. Malou. - Oui. (Interruption.) L'article 16 de la Constitution établit pour les écrits pastoraux la responsabilité du droit commun. Or la responsabilité du droit commun suppose qu'on poursuivra l'auteur de l'écrit, et l'auteur de l'écrit seul, lorsqu'il est connu, et dès lors vous êtes en dehors de l'article 16 de la Constitution, si celui qui ne fait que lire l'écrit par l'ordre de son supérieur est l'objet des poursuites.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous me permettre une observation ?

M. Malou. - Je le veux bien, mais cela durera-t-il longtemps ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Une bulle papale contient une provocation à la révolte, c'est une hypothèse que nous posons, elle n'a rien d'impossible. Cette bulle est envoyée aux curés. Ils la lisent en chaire en exécution de l'ordre de leurs supérieurs. Vous venez de dire qu'ayant agi en exécution de l'ordre de leurs supérieurs, ils ne peuvent pas être punis ; ils ont rempli un devoir. Qui sera puni pour cette provocation à la révolte ?

M. Malou. - Ai-je la parole ?

M. le président. - La parole vous est continuée. Vous avez consenti à l'interruption.

M. Malou. - Je pourrais m'abstenir de discuter des hypothèses comme celle-là. Mais enfin j'en accepte la discussion. Qui sera puni en pareil cas ? Les évêques qui ont donné l'ordre de publier la bulle seront poursuivis ; en restant dans les termes de l'article 16 de la Constitution, je dis que vous ne pouvez poursuivre personne autre. C'est presque la conséquence des principes généraux du droit. Car enfin même en employant le mot « censure », vous devez supposer toujours l'intention mauvaise, l'intention de commettre un délit, et comment, je le demande à M. le ministre de la justice, il a oublié de répondre à cela, comment le vicaire qui lit la bulle du pape peut-il être de mauvaise foi ?

Vous me direz : Je n'accepte pas cette hiérarchie, je ne reconnais pas cet ordre des supérieurs. Mais la hiérarchie, vous la reconnaissez, sinon comme un droit, au moins comme un fait. Elle ne doit plus être reconnue, elle l'est.

Je voulais expliquer, avant cette petite digression à laquelle on m'a amené, pourquoi le mot « écrit » avait disparu de ma proposition. Une seconde modification est celle-ci :

J'ai supprimé les mots « critique et censure » parce que ces mots ont donné lieu, en d'autres temps, à des applications excessivement mauvaises, excessivement exagérées. Sous le régime de notre Constitution, si nous voulons sauvegarder la liberté vraie, il faut qu'il y ait, comme l'avait proposé la commission, une attaque méchante dirigée contre un acte, c'est-à-dire un fait précis, et non des expressions vagues. On dit que le sens de ces mots « critique et censure » est fixé par la jurisprudence. Mais en consultant la jurisprudence, j’ai trouvé un jugement prononcé, sous le gouvernement des Pays-Bas, par le tribunal d’Audenarde, et l’on disait qu'il ne fallait pas que la censure eût un objet précis ; que des expressions générales, des expressions vagues, quand on pouvait y voir une allusion à un acte du gouvernement étaient punissables, et en effet on les a punies dans ce temps.

J'ai trouvé mieux que cela. Un procureur du roi avait tant de zèle, qu'il soutenait l'application du Code pénal, lorsqu'on avait fait une simple comparaison entre le régime ancien de l'instruction et le régime actuellement établi, parce qu'on voulait indiquer par-là que l’ancien régime relatif à l'instruction valait beaucoup mieux que le régime actuel, et qu'ainsi on censurait le gouvernement. Il ajoutait que lorsqu’on censurait un livre qui se trouvait entre les mains d'un instituteur nommé par le gouvernement, c'était le gouvernement que l’on censurait.

Si c'est là la jurisprudence qui doit interpréter l'article 201, je le déclare nettement, je n'en veux pas sous le régime de la Constitution de 1830.

(page 558) J'ajoute que cette attaque doit porter sur un acte étranger aux intérêts de la religion et de la morale. En effet, si l'on veut, comme le disait M. le ministre de la justice à la séance de samedi, n'atteindre les ministres des cultes que lorsqu'ils franchissent les limites du domaine religieux, il faut bien leur permettre d'exprimer leur opinion. Si l'on ne veut pas cela, qu'on le dise. Mais alors, évidemment, le texte et le commentaire que M. le ministre de la justice en a donné samedi, ne seront pas du tout d'accord. On retombera, selon moi, dans le vice que j'ai déjà signalé et qui consiste à étouffer la liberté par la crainte qu'elle ne puisse donner lieu à quelques abus.

Je crois que ces explications suffiront pour faire comprendre à la Chambre le but et la portée de la proposition que j'ai l'honneur de lui soumettre. J'ajouterai qu'en formulant cette proposition, je n'ai pas la prétention de la présenter comme résolvant d'une manière complétement satisfaisante pour tous une question que je considère comme très difficile, comme très délicate, parce qu'elle touche à nos libertés constitutionnelles. Je désire que cette proposition puisse amener une rédaction qui soit reconnue acceptable par la grande majorité de la Chambre.

- L'amendement de M. Malou est appuyé.

M. Vervoort. - Messieurs, l'honorable M. de Theux a critiqué amèrement la position prise par le gouvernement dans la discussion actuelle. A l'instant même, l'honorable M. Malou nous dit que nous voulons étouffer la liberté pour éviter quelques abus.

Je crois que ces libertés, dont ou parle tant, ne sont réellement une sauvegarde pour la société que lorsqu'elles sont bien organisées.

La Constitution a investi la législature et le gouvernement de la mission de nous donner l'ordre dans la liberté.

Cela est si vrai que l'article 14, après avoir proclamé la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, a soin d'ajouter : « sauf la répression des délits commis à l'occasion de ces libertés ».

Vous voyez que la Constitution n'a pas donné une liberté illimitée qui pût aller jusqu'à la licence ; elle a décrété le principe eu laissant à la législature le soin d'organiser les moyens de prévenir les abus qu'on peut commettre à l'occasion de l'usage de nos libertés : c'est à la législature qu'elle attribue le droit de déterminer les délits qui portent atteinte à cet usage.

L'article 16 de la Constitution fait-il obstacle à ce système ? Nullement. Il nous apprend que l'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque. Cet article donne un appui puissant à la réserve de l'article 14 qui se trouve ainsi mieux justifiée.

L'article 16 ajoute que les ministres des cultes peuvent désormais correspondre avec leurs supérieurs, et publier leurs actes. Cette disposition relative aux bulles et brefs antérieurement soumis au placet, n'apporte aucun changement à l'article 14 ; et je ne comprends pas comment l'article 14 a pu être invoqué par l'honorable M. de Theux, pour combattre l'article 295 du nouveau Code pénal.

Il s'est appuyé sur les discussions du Congrès, je n'ai qu'une objection à faire à cet égard ; je la trouve même dans le discours de M. Nothomb ; c'est que les trois conséquences qu'il faisait découler de la séparation de l'Etat et de l'Eglise n'ont fait l'objet d'aucun débat, et qu'on s'est attaché uniquement à la disposition relative au mariage.

Voici ce que disait M. Nothomb :

« On ne s'est pas occupé de ces trois premières conséquences ; une opinion seule agite cette assemblée, elle est relative au mariage. »

Le texte montre au surplus positivement qu'on a voulu abolir toutes les dispositions relatives au placet.

Je n'insiste pas davantage sur ce point, le caractère constitutionnel de l'article 295 a été très clairement établi par plusieurs discours excellents et spécialement par celui de M. le ministre de la justice. Mais ici j'ai à signaler la position étrange que prennent les adversaires du projet. Il existe entre eux un désaccord flagrant.

L'honorable M. de Theux a fait hier de grands efforts pour démontrer que nous marchons vers la violation de la Constitution, que nous oublions les principes de liberté constitutionnelle sur lesquels est fonde notre état social ; l'honorable membre trouve dans les articles 14 et 16 de la Constitution, la preuve du caractère inconstitutionnel de l'article 295 du projet.

Dans la même séance, l'honorable M. Malou présente un amendement qui implique le droit de punir les faits dont nous nous occupons.

L'honorable M. Moncheur ne conteste pas le caractère constitutionnel de la disposition ; seulement il voudrait que le prêtre, auquel il n'accorde pas le droit d'attaquer les actes des autorités publiques dans un discours, pût cependant les critiquer ou les censurer à l'aide d'un écrit lu en chaire. L'honorable M. De Fré admet lui aussi, le droit de punir ; mais il attache ce droit d'abord à la longueur du discours s'il apporte du retard dans les cérémonies du culte, ou bien à l'existence d'un désordre. Ce système fait sortir la culpabilité non du fait posé par le prêtre, mais du tumulte au milieu duquel il est accueilli. L'honorable M. De Fré laisse impunies les attaques les plus violentes, qui ne causent pas de rumeur dans l'auditoire.

L'honorable M. Malou a un autre système : il met d'abord implicitement les membres du clergé à l'abri de la pénalité derrière l'ordre donné par leur supérieur. Le curé invoquera l'ordre de l'évêque, et l'évêque l'injonction du pape. De cette façon plus d'intention coupable.

Dans la deuxième partie de son amendement l'honorable membre permet aux ministres du culte de faire de la morale et pour ses ouailles et pour le bourgmestre de sa commune et les autres autorités.

Je constate un désaccord complet entre ceux qui combattent le projet du gouvernement .Certains membres soutiennent l'inconstitutionnalité des propositions du gouvernement, d'autres suivent le gouvernement mais veulent aller moins loin que lui.

Messieurs, nous voyons le clergé accepter les subsides, les protections et toutes les faveurs que nos lois accordent aux ministres, aux objets du culte, aux temples où il s'exerce.

Nous les voyons ensuite réclamer la liberté, l'indépendance du pouvoir religieux. Mais ces avantages, cette protection, ces faveurs viennent du pouvoir civil ; et quand le pouvoir civil invoque l'indépendance et la protection qui lui sont dus, on lui oppose les principes de la Constitution sur la liberté des opinions et le droit dévolu à tout citoyen de les exprimer en toute matière.

Et on lui reproche d'entraver celui qui veut en chaire se servir de la religion pour attaquer les actes de l'autorité civile.

C'est demander un privilège pour le prêtre exerçant ses droits de citoyen, oui, c'est demander un privilège sous le prétexte de jouir d'un droit commun à tous.

Et en effet, on protège dans le prêtre qui monte en chaire non les citoyens mais le ministre du culte. On protège la cérémonie dans laquelle il va figurer entouré de ses ouailles. Si ce prêtre, revendiquant ses droits de citoyen, abandonne l'objet de sa mission évangélique, parle administration, politique, fait la critique des actes du gouvernement, qu'arrive-t-il ? C'est qu'il se donnera la position exceptionnelle d'un citoyen qui peut parler contre les actes du pouvoir civil, à l'abri de toute réplique, de toute protestation et sans discussion possible.

Ce n'est plus l'usage de la liberté, c'est l'usurpation d'une position tout à fait exceptionnelle et du privilège d'attaquer l'autorité sous la protection même qu'elle accorde au culte.

Le prêtre dans l'église se doit à la religion et non aux choses de ce monde, et la protection qu'on lui accorde ne lui est pas donnée pour exercer son droit de manifester ses opinions politiques.

L'honorable M. Dumortier a proposé un amendement par lequel il demande que lorsqu'un prêtre commettra un des délits prévus par les lois sur la presse il soit puni conformément à cette loi ; il aurait pu étendre cet amendement à l'application de toutes nos lois. Je ne sais si l'honorable membre consentirait à ce qu'on accordât le droit de réponse en matière de presse au représentant de l'autorité censuré dans la chaire ?

Permettrait-il à celui-ci de succéder au prêtre et d'user du droit de réponse ? Incontestablement il ne le permettra pas.

Je viens de démontrer, messieurs, que ni en principe, ni en fait, on ne peut écarter le droit de punir les critiques dirigées par le prêtre du haut de sa chaire contre les actes de l'autorité. Ce droit de punir se justifie encore par les considérations morales les plus puissantes. Il est incontestable que le ministre du culte, jouissant de la protection qui lui est assurée dans l'exercice de ses fonctions, commet un abus quand il attaque les actes de l'autorité, et lorsque, au lieu de poursuivre sa mission évangélique, il se livre à des discussions politiques ou à des déclamations contre le pouvoir civil.

Son caractère sacré, la confiance qu'il inspire, l'obéissance qu'on lui doit, le prestige de ses fonctions, la majesté du lieu, le danger du désordre donnent à cet abus une gravité extrême.

Poser dans ces circonstances un tel acte qui expose au trouble et au désordre est un abus de la liberté qui s'élève à la hauteur d'un délit.

La législature doit s'efforcer de prévenir ces faits dangereux, les vouer à la répression lorsqu'ils ont été commis au mépris des plus saints devoirs.

D'un autre côté, l'intérêt de la religion même exige qu'il en soit ainsi. Elle veut que le désordre ne vienne pas du ministre du culte et que les fidèles accourus pour entendre un enseignement évangélique ne soient pas froissés dans leurs opinions.

On se récrie contre les conséquences qui dérivent du caractère du prêtre quand il commet le délit prévu par l'article 295.

Eh ! mon Dieu ! ne voyons-nous pas dans d'autres circonstances, la loi, prenant égard à l'influence du prêtre et aux abus que son saint caractère peut lui permettre, ne voyons-nous pas la loi limiter ses droits ?

Tout citoyen ne peut-il pas recueillir les legs qui lui sont dévolus, dans les limites de la part disponible, par un testateur ?

Cependant le prêtre, quand il assiste celui-ci dans ses derniers moments et lorsqu'il n'est point au nombre de ses héritiers naturels, ne peut recevoir de legs. Jamais on n'a prétendu que cette interdiction constitue une violation du droit du clergé, jamais on ne lui a attribué un caractère odieux. L'expérience a justifié cette mesure. L'expérience prouve aussi la nécessité de maintenir la disposition de l'article 295.

L'honorable M. Malou a parlé de la condamnation de l'abbé de Smedt ; -il a été question aussi des poursuites dirigées autrefois contre l'évêque de Gand. Il nous est difficile de bien apprécier ces actes aujourd'hui. Il y avait alors antagonisme entre les deux nations, l'une était protestante, l'autre catholique, l'une avait adopté la Constitution par ses états généraux, l'autre par une partie seulement de ses notables. Nous voyons (page 559) ensuite que l'évêque de Gand a été poursuivi deux ans après que son mandement avait été lancé.

Il y a là plusieurs circonstances qui expliquent comment les catholiques ont pu s'indigner de la condamnation qui frappait alors leur évêque. M. l'abbé de Smedt a fait un sermon qui renfermait d'excellentes choses ; une belle inspiration lui fait dire aux enfants pauvres : Vous ne jouissez pas des biens de la terre, mais Dieu veille sur vous et vous protège. Mais, ailleurs, M. l'abbé de Smedt signale la présence dans le pays d'hérétiques auxquels il prête l'intention d'anéantir l'instruction religieuse.

Ensuite, il décoche quelques traits contre les philosophes français et contre un employé du gouvernement qui avait fait un ouvrage adressé aux instituteurs du pays.

Je n'ai pas vu le jugement, je ne sais ce qui a décidé le tribunal à condamner l'abbé de Smedt. Mais, me reportant à notre régime actuel, je vois le danger que peut courir la tranquillité publique, malgré les dispositions protectrices des article 295 et suivants, inscrits dans le projet et qui remontent à 1810.

J'ai en main la copie du jugement de condamnation du curé de Boitsfort. On a parlé déjà de cette condamnation, mais sans faire connaître les faits qui ont donné lieu au jugement.

Voici quel était le début du sermon incriminé : M. le curé dit qu'il ne parlera pas ce jour-là de l'évangile, qu'il a à parler d'autres choses beaucoup plus importantes. (Interruption.) Il parle alors des persécutions dirigées de tout temps contre les prêtres à Boitsfort ; non par les pauvres mais par d'autres ; il ajoute que pour cette raison il aime mieux visiter les chaumières que les châteaux, il blâme le conseil communal et enfin, dit le jugement, « ému et plein de colère, tenant d'une main le crucifix et frappant de l'autre avec violence sur la chaire, il avait fini par dire que si la délibération du conseil communal était signée, il afficherait dans l'église les noms et prénoms des signataires, qu'on pouvait le prendre au mot, qu'il ne craignait ni les tribunaux, ni même la guillotine. »

Ce jugement révèle des dangers réels, et, en effet, la commune de Boitsfort a été livrée au désordre pendant toute la durée de cette affaire.

Un prêtre du pays wallon a soutenu dans un sermon, en 1833, que ses paroissiens ne devaient pas payer certain droit de barrière.

Ils s'y sont refusés et il en est résulté un déplorable conflit.

Maintenant, je le demande, peut-on se plaindre d'une seule poursuite injuste ou vexatoire depuis 1830 ?

Le pouvoir judiciaire s'est-il montré trop rigoureux ? N'avons-nous pas vu le gouvernement pousser très loin l'esprit de conciliation ?

J'aperçois d'un côté la violence des attaques, de l'autre la modération de la justice.

Souvent le clergé a montré de la malveillance à l'égard de l'autorité civile. S’il fallait compléter la preuve de l'exactitude de cette appréciation et faire voir l'esprit qui règne dans une sphère plus élevée, je pourrais rappeler ce qu'on disait dans certaines lettres pastorales qui ont si profondément agité le pays. '

« Dans son mandement l'évêque de Gand affirme que l'université de Gand est devenue une source de maux incalculables, que le poison y remplace la nourriture d'une saine instruction, que c'est un abîme où les parents doivent craindre de précipiter leurs enfants. »

Et dans une sphère plus élevée encore nous trouvons un langage dont la violence n'a pas de borne.

Voici un extrait de l'encyclique de 1832.

« De cette source empoisonnée de l'indifférentisme, disait S.S. Grégoire XVI, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt extravagante, qu'on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience : erreur des plus contagieuses, laquelle à aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions, qui, pour la ruine de l'Eglise et de l'Etat... »

Et plus loin :

« Là se rapporte cette liberté funeste, et dont on ne peut jamais avoir assez d'horreur, la liberté de la presse, pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit et d'ardeur. »

Vous aurez remarqué, messieurs, que l'encyclique blâme la liberté d'opinion et de conscience, qui forme la base des discours dirigés contre la disposition présentée par le gouvernement.

Je tire de ces considérations la conséquence qu'il faut se défier des abus de la prédication et qu'il n'y a rien à craindre de la justice de notre pays ; et l'expérience me porte à ne point me défier de la formule de l'honorable ministre de la justice. Je crois cette formule sans dangers, et en toute conscience je la voterai.

La commission avait proposé une autre formule ; elle voulait poursuivre non pas la simple critique, la simple censure, mais les attaques.

L'honorable M. Pirmez nous disait : Je n'attache pas d'importance à ce mot, car attaquer c'est censurer, et censurer c'est attaquer. Je crois, messieurs, qu'il importe défaire la distinction. Il faut prendre le mot « attaques » dans son sens juridique ; or le sens juridique du mot « attaquer » est incontestablement critiquer méchamment ; l'honorable M. Malou a présenté un amendement qui ne laisse aucun doute sur ce point.

Je crois avoir prouvé qu'il y a abus dans la simple critique dirigé, par un prêtre, dans la chaire, sous la protection de l'autorité civile contre les actes de cette autorité ; si on exigeait la preuve de l'intention méchante, comme le veut l'honorable M. Malou, jamais cet abus ne pourra être réprimé.

On invoquerait la chaleur de l'improvisation, ou bien l'intention pure qu'inspirent l'esprit évangélique et les convictions religieuses : ce moyen réussira au prêtre ayant de bons antécédents. Ou bien encore on invoquera l'ordre reçu des supérieurs : le curé dira que son évêque lui a donné l'ordre et l'évêque se prévaudra de l'ordre formel de Sa Sainteté.

Que résultera-t-il de là ? C'est qu'on ne pourra atteindre l'intention méchante. Le caractère saint, vénéré de celui qui profère les attaques, surtout s'il s'y prend avec adresse, couvrira presque toujours l'intention méchante.

Le texte de l'honorable ministre de la justice atteint, au contraire, ceux qui se livrent aux critiques ou aux simples censures, qu'il est très facile d'éviter.

On éprouve donc un irrésistible désir de mêler les choses du ciel à la critique des choses de la terre, pour défendre avec tant d'ardeur la thèse contre laquelle nous faisons des efforts. Il est donc bien nécessaire de donner au prêtre, lorsqu'il est dans sa chaire, la faculté de critiquer et de censurer librement l'autorité et de la mettre à l'abri de la peine en exigeant la preuve de l'intention méchante ?

Quant aux évêques, on veut mettre les lettres pastorales et les mandements sur la même ligne que d'autres écrits émanés de ces chefs ?

Mais il me semble qu'à raison même de l'importance de leur autorité, de la foi qui s'attache à leur parole, de leur rang et du commandement direct ou indirect que renferment leurs mandements, il me semble qu'il y a abus grave de la part de ces hauts fonctionnaires de l'Eglise lorsqu'ils attaquent le pouvoir civil.

Le trouble que les lettres pastorales peuvent apporter dans la société, trouble qui peut aller jusqu'à soulever les populations, doit faire considérer ces abus comme un délit.

L'honorable M. Moncheur veut qu'on puisse lire impunément ces mandements en chaire. Mais si le prêtre peut sans danger écrire son sermon et le lire en chaire il éludera toujours la loi. Je demanderai à l'honorable M. Moncheur si le prêtre peut lire en chaire des articles de journal renfermant des attaques contre l'autorité civile ; les journaux, par exemple, qui s’impriment à Bruges et ailleurs ? Je demande si l'on ne considérera pas le prêtre comme aussi coupable quand il lira de pareils articles de journaux que lorsqu'il prononcera un discours de sa composition qui renfermerait les mêmes attaques ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'évêque est l'auteur de l'article, il pourra le lire impunément.

M. Vervoort. - Il se peut fort bien en effet que l'évêque ait fait l'article, qu'il ait voulu éviter de lui donner la forme d'un mandement, qu'il ait ensuite engagé son clergé à le lire au prône.

Je demanderai si, dans ce cas-là, le prêtre ne pourra encourir aucune peine, ou si l'on prétendra que le prêtre qui a lu cet article de journal devient le complice d'un délit de presse ?

Ceci m'amène, messieurs, à examiner l'argument que nous avons entendu employer par l'honorable M. Malou, par l'honorable M. de Theux, et qui a été, en apparence, consigné dans l'amendement de l'honorable M. Du mortier.

Ces honorables membres ont dit qu'un délit de presse peut venir se mêler au fait imputé au prédicateur. Ils ont parlé du jury, de la juridiction correctionnelle venant à apprécier le mandement livré à la publicité par la voie de l'impression.

Les dispositions sur la presse et les articles 295 et suivants se concilient parfaitement.

Le Code pénal n'enlèvera rien à la législation qui punit les délits de la presse.

Si le mandement renferme un délit de presse prévu par le décret de 1831, l'évêque pourra être poursuivi du chef de ce délit. Si le prêtre lit le mandement eu chaire par ordre de l'évêque, il sera coupable du délit prévu par l'article 295 et l'évêque deviendra co-auteur.

Si le mandement publié renferme une simple critique d'un acte de l'autorité, la lecture au prône constitue le délit puni par l'article 295.

Si l'évêque a préparé un mandement qui renferme les éléments du délit de presse, et s'il le fait lire au prône, cette lecture, sans autre publication, vente ou distribution, ne devient pas un délit de presse, mais encore une fois le délit de l'article 295.

Ainsi point de difficulté sur ce point. Il n'y a pas de délit de presse si l'écrit n'a pas été affiché, vendu ou distribué. La simple lecture de l'écrit ne donne pas naissance à un délit de presse.

L'honorable M. Malou va plus loin que n'avait été la commission et il demande par son amendement que l'on n'applique la loi que dans le cas d'attaques méchantes contre l'autorité publique, par un acte étranger aux intérêts de la religion et de la morale. Je crois que ce texte est inadmissible. Et en effet il n'est presque pas d'acte administratif que l’on ne puisse rattacher à une question de morale, et de cette manière on pourra toujours se mettre à l'abri de la loi.

En matière d'enseignement on pourra toujours placer les questions (page 560) sur le terrain de la morale et ainsi échapper à toutes les critiques qu'on dirigera contre l'autorité.

Les questions qui concernent la charité seront placées sur le terrain de la liberté religieuse. On l'a fait déjà dans cette enceinte. Et de cette manière on échappera encore avec une extrême facilité à I application de la loi.

L'autorité communale donnera certaine autorisation, par exemple celle dont parlait hier l'honorable M. Mascart, il donnera l'autorisation de danser. Sous prétexte de religion et de morale, on attaquera l'autorisation de danser donnée par le bourgmestre et l'on mettra le trouble dans la commune.

Ainsi avec la disposition que propose l'honorable M. Malou la loi deviendra illusoire.

M. B. Dumortier. - C'est comme cela qu'on arrive à supprimer la liberté.

- Un membre. - La liberté de danser. (Interruption.)

M. Vervoort. - C'est ce que vous disiez aussi à propos de la charité. Vous disiez que nous voulions supprimer la liberté, que nous portions atteinte au sort des pauvres. Vous avez mis le trouble dans le pays, vous avez profondément agité le pays. Et qu'a fait la nation ? Interrogée sur cette question de liberté, elle a condamné votre système ; elle a renvoyé ici les députés qui vous avaient combattus. Et vous parlez comme si nous ignorions le premier mot de la liberté ! Et je rencontre cette thèse à chaque phase de nos discussions, tantôt à propos de l'instruction, tantôt à propos de la charité, tantôt à propos de la liberté des cultes.

Mais, messieurs, la nation belge fait justice de tout cela. Cette nation, qui a un esprit si éminemment religieux, se connaît parfaitement en liberté. Elle sait bien que du côté de la majorité actuelle sont les soutiens de la liberté vraie. Et savez-vous ce que veut la nation à propos de la liberté, puisque vous prétendez que nous voulons l'étouffer ?

La nation dont vous invoquez le caractère religieux demande que l'autorité civile qui émane d'elle demeure dépositaire de ses libertés et conserve intacts et puissants les moyens de les maintenir. La nation demande que le prêtre respecte dans l'exercice de ces saintes fonctions les actes de l'autorité et inspire par son exemple ce respect aux populations, elle demande qu'à l'église le prêtre se renferme exclusivement dans les doctrines et les pratiques du culte de Dieu.

M. de Muelenaere. - Messieurs, cette discussion ne paraît assez grave, pour mériter de part et d'autre toute notre attention.

Au point où les questions qui depuis huit jours s'agitent devant nous sont arrivées, il me semble qu'il faut les renfermer dans certaines limites. C'est ce que je tâcherai de faire.

L'honorable préopinant est dans l'erreur, s'il croit qu'il y a quelqu'un sur nos bancs, qui réclame l'irresponsabilité ou l'impunité en faveur des ministres des cultes.

Nous savons tous, messieurs, que cédant à l'entraînement des faiblesses humaines, le ministre du culte, dans l'exercice de son ministère, peut commettre des fautes, qu'il peut commettre des délits. Nous savons qu'il peut troubler ou chercher à troubler l'ordre public, léser les droits de la société ou les droits des individus.

Les droits des individus et l'ordre public doivent être respectés et protégés. Tout délit, sans aucune acception de personnes, doit être puni. Voilà notre doctrine à l'égard des ministres des cultes. Mais en cherchant à réprimer les abus, on doit avoir soin de ne pas compromettre la liberté elle-même ; on doit la sauvegarder de toute atteinte.

Il ne s'agit pas ici d'une question de parti ; il s'agit d'une question qui intéresse au plus haut point toutes les opinions. Il n'y a pas une seule de nos grandes libertés proclamées par la Constitution qui ne puisse être mise à néant par les précautions exagérées qu'on prendrait pour réprimer tous les délits imaginables que l'abus de ces libertés peut engendrer.

Messieurs, la sollicitude pour l'ordre public est une chose, sans aucun doute, extrêmement louable ; je crois que cette sollicitude, dans toute notre carrière déjà si longue, ne nous a jamais fait défaut ; mais cette sollicitude elle-même doit avoir des bornes ; elle deviendrait un danger pour la société, un danger pour le pays tout entier, si elle était trop vive, trop ardente, trop passionnée.

Dans les sociétés modernes, on considère généralement et avec raison la liberté religieuse comme la liberté la plus importante et la plus précieuse pour les hommes. C'est qu'autour de cette liberté viennent se grouper toutes les autres libertés politiques et civiles ; l'expérience nous apprend que partout où, sous des prétextes quelconques, on est parvenu, soit à entraver, soit à enchaîner la liberté religieuse, toutes les autres libertés n'ont pas tardé à s'amoindrir et à disparaître.

La divergence d'opinion qui se produit, dans cette enceinte et en dehors de cette enceinte, sur les questions que nous discutons en ce moment, me paraît provenir de deux causes principales.

La première, c'est qu'on semble avoir confondu des époques et des circonstances entièrement distinctes. Nous avons le bonheur de vivre sous la charte de 1831, c'est-à-dire sous une Constitution que tout le monde se plaît à déclarer la plus libérale de l'Europe ; et en présence de cette Constitution, on nous propose de transporter dans le nouveau Code pénal révisé des articles empruntés au Code pénal de 1810, c'est-à-dire des articles décrétés, lorsque le chef du grand empire, comme il le déclare lui-même dans ses conversations de Sainte-Hélène, croyait, pour l'accomplissement de ses vastes dessins, qu'il était d'un devoir impérieux pour lui, de comprimer, au moins momentanément, tontes les libertés politiques et religieuses.

Permettez-moi de vous rappeler quelques-unes des circonstances sous l'empire desquelles le Code pénal ne 1810 a été conçu, rédigé et voté. C'est le 12 février 1810 qu'on a décrété ce Code pénal.

Or, c'est le 17 mai que l'empereur des Français, se trouvant à Vienne en Autriche, après sa campagne d'Allemagne, réunit les Etats romains, les quelques possessions du Saint-Siège à l'Empire français ; ce fut le 6 juillet 1809 que le général Radet fit enfoncer les portes du Quirinal et qu'il emmena Pie VII prisonnier à Savone, d'où il fut conduit prisonnier à Fontainebleau. Quelques mois après, on promulgua les articles du Code que nous discutons en ce moment. C'est assez vous dire quel fut l'esprit qui présida à cette législation et le but qu'on voulait atteindre.

Messieurs, une autre cause de la divergence d'opinion qui se produit, a déjà été signalée par deux honorables membres qui ne siègent pas sur nos bancs.

Dans une séance précédente, ces deux honorables membres ont fait observer avec infiniment de raison que le premier devoir du législateur en matière pénale, c'est de bien caractériser les faits réputés délits et de les définir d'une manière précise et intelligible pour tout le monde ; c'est que le texte de la loi soit tellement clair, qu'il prête par son élasticité, le moins possible, à l'interprétation arbitraire du juge ; c'est enfin que chacun en ouvrant le Code pénal, sache quels sont les faits licites et quels sont ceux qu'il ne peut pas poser sans s'exposer aux peines que la loi prononce.

Si les articles que nous discutons en ce moment avaient été rédigés dans ce sens ; s'ils l'avaient été conformément à ces principes, en quelque sorte élémentaires, en matière pénale, je crois qu'une grande partie des difficultés que nous rencontrons auraient complétement disparu.

Car enfin, messieurs, avec toute la bonne volonté du monde, je suis obligé de demander encore aujourd'hui qu'on veuille bien me dire ce que signifiait, dans le langage juridique, ces mots : « faire la critique ou la censure du gouvernement. »

Maintenant où s'arrête, d'après l'article 295, le droit constitutionnel du ministre du culte, tant comme prêtre que comme citoyen ? et où commence l'abus de ce droit ?

La loi est complétement muette à cet égard, et son application est arbitrairement abandonnée au juge.

On vous a parlé de certains abus ; on en a fait beaucoup de bruit ; mais je prie mes honorables contradicteurs d'être convaincus que nous ne désirons pas plus qu'eux que le prêtre abandonne les intérêts de l'Eglise pour d'autres intérêts éphémères de la société civile.

Nous ne voulons pas plus qu'eux que le ministre du culte fasse retentir la chaire, comme on l'a dit tout à l'heure, de prédications insensées et de déclamations haineuses contre le gouvernement. Nous pensons, au contraire, que dans tous ses discours et particulièrement dans les discours qu'il prononce en assemblée publique, le ministre du culte doit apporter un grand esprit de prudence, de modération et de charité chrétienne, et j'ose, messieurs, du haut de cette tribune, adresser ce conseil bienveillant à tout le clergé du pays. Je suis persuadé que ce conseil sera compris et suivi.

Si le prêtre, comme je le disais tout à l'heure, cédant à quelque faiblesse haineuse, sort, ne fût-ce que passagèrement, de la sphère religieuse, pour se livrer à des écarts qui revêtent le caractère d'un délit, eh bien qu'on punisse le prêtre, qu'on le punisse même plus sévèrement qu'un autre citoyen, à raison de la position qu'il a dans la société, à raison de l'influence que lui donne son caractère et la sainteté du lieu où il parle, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Vervoort, mais qu'on se borne à punir des délits caractérisés, des délits déterminés, mais non pas des fautes imaginaires, des fautes qui n'existent que dans l'esprit de ceux qui le poursuivent de leur malveillance.

Mon honorable ami M. Van Overloop, dans une séance précédente, vous a prouvé par la citation même des textes, que presque tous les faits répréhensibles qui peuvent être posés par un ministre des cultes sont réprimés par les lois ordinaires ; indépendamment de cela l'article 132 du Code pénal édicté des peines sévères, qui même ont été critiquées ici (page 561) comme excessives, contre tous ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des écrits publiés ou non et vendus ou distribués, auront commis l'un des délits spécifiés dans cette disposition.

Cette disposition qui a paru suffisante pour des éventualités bien autrement graves et compromettantes pour l’ordre public, cette disposition s'applique au ministre du culte comme aux autres citoyens. S'il y a d'autres faits, des faits non prévus par la loi commune, des faits réellement repréhensibles, qu'à raison de sa position un ministre des cultes peut commettre plus facilement et d'une manière plus dangereuse qu'un autre citoyen, je ne recule pas devant une loi qui, caractérisant ces faits, les punisse dans le chef du ministre, mais à la condition que ces faits auront le véritable caractère d'un délit.

Mais ce qu'il m'est impossible de comprendre, ce qu'il m'est impossible de m'expliquer, c'est qu'une législature puisse changer, transformer, convertir en délit à l'égard du ministre des cultes, ce qui est l'usage d'un droit constitutionnel, dont jouissent librement tous les autres citoyens. C'est là le véritable nœud de la question, sur lequel j'appelle toute l'attention du parlement.

Mon honorable ami M. Tack, vous a démontré de la manière la plus saisissante, et M. le ministre n'a pas contesté ses assertions ; l'honorable M. Tack vous a démontré de la façon la plus irréfragable, que sous l'empire de la Constitution sous laquelle nous vivons, chaque citoyen a le droit incontestable de critiquer et de censurer, à part la forme qui doit toujours être modérée et convenable, que chaque citoyen, dis-je, a le droit de censurer, de critiquer les actes du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sauf les abus.

M. de Muelenaere. - Vous pouvez réprimer les abus, mais vous ne pouvez pas supprimer ni confisquer le droit lui-même.

Vous prouverez, si vous voulez, que ce n'est plus un droit en Belgique, mais jusqu'à preuve contraire, je persiste à penser avec mes honorables amis que ce droit de critique et de censure dans les limites convenables, est un droit incontestable pour tout le monde ; cela est si vrai que c'est ce droit qui distingue en grande partie les gouvernements libres des autres formes de gouvernement.

Et, messieurs, jusqu'à présent en Belgique, tous les journaux ont largement usé et je dirai même quelque fois abusé de ce droit de critiquer et de censurer les actes du gouvernement. Des abus ont été commis, la licence quelquefois a usurpé la place du droit. Mais dans ces circonstances qu'a-t-on fait ? On a cherché à réprimer les abus, on a cherché à mettre un terme à la licence ; mais je ne sache pas que jamais on ait dit à la presse, sous la charte de l831 :

Vous n'avez plus le droit même dans les limites convenables et dans un langage modéré, de vous occuper des actes du gouvernement, vous n'avez plus le droit de les examiner et le cas échéant de les censurer on de les critiquer.

Je ne pense pas qu'on ait jamais été jusque-là en Belgique.

Cependant, messieurs, je comprendrais jusqu'à un certain point le système du gouvernement, du moins je pourrais m'expliquer ce système si la loi fixait la démarcation plus ou moins exacte de ce qui est du domaine religieux et moral, et de ce qui est du domaine civil ou politique, si, la loi disait d'une manière intelligible pour tout le monde où cesse la sphère religieuse et où commence l'empiétement sur le pouvoir civil.

M. le ministre de la justice, mon honorable ami M. Malou vient de le rappeler, nous a dit dans son discours de samedi dernier, que le ministre du culte n'encourrait les peines prononcées par la loi que quand il franchirait les limites de la liberté religieuse ; si cela était vrai, si tel était le texte et l'esprit de la loi, si j'étais convaincu que le ministre du culte n'encourra jamais ces peines que quand il sortira du domaine religieux et moral, quand il se mêlera sans motifs légitimes à des discussions politiques, je ne serais pas loin d'être d'accord avec M. le ministre de la justice.

Mais je ne vois rien de tout cela dans l'article qui nous est proposé.

En effet, que porte cet article ? C'est que les ministres qui auront fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique…

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En chaire.

M. de Muelenaere. … seront punis d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 26 fr. à 500 fr.

Les ministres des cultes ne pourront, sans tomber sous l'application de la loi, s'occuper d'aucun acte quelconque de l'autorité, si ce n'est pour en faire l'éloge. L'éloge, à la vérité n'est pas prévu comme un délit. Mais dès qu'ils en parleront autrement que pour en faire l'éloge, ils tomberont sous le coup des pénalités comminées et pourront être punis d'un emprisonnement de huit jours à un an.

Messieurs, je crains réellement que l'article 295 n'enferme les ministres du culte dans un cercle de fer et ne les mette complétement dans l'impuissance de remplir convenablement leurs devoirs religieux.

Voilà une sérieuse inquiétude que j'ai sur ce point et ce motif seul serait suffisant pour me déterminer à voter contre le projet.

Le ministre de la justice nous a dit qu'il n'y aurait pas de législation possible si l'on appliquait la même peine à tous les citoyens indistinctement. Je crois que M. le ministre a raison, aussi n'ai-je nullement entendu soutenir dans cette enceinte qu'il fallait appliquer indistinctement à tous les citoyens la même peine.

Les peines doivent nécessairement varier selon la gravité des faits, le degré de culpabilité, la position et le caractère des individus. Le ministre du culte, a dit M. le ministre de la justice, n'est pas le seul individu dans le chef duquel la loi punisse des faits qui ne constituent pas des délits communs. J'ai déjà fait à cet égard une très large concession : je ne m'oppose pas à ce qu'on punisse chez les ministres du culte des faits hautement répréhensibles, présentant le caractère bien défini d'un délit, bien qu'ils ne soient pas des délits de droit commun, mais jusqu'à présent on ne nous a cité aucune de ces infractions. M. le ministre de la justice a ensuite demandé si la discrétion est commandée à tout le monde, si elle constitue une obligation commune.

Evidemment non, messieurs, la discrétion n'est pas imposée à tout le monde, elle n'est pas une obligation garantie par des pénalités. Et, cependant, dit M. le ministre, on punit le médecin indiscret.

Oui, messieurs, on punit le médecin indiscret, et cela est fort naturel : le médecin a une profession à raison de laquelle il peut être dans le cas d'être rendu dépositaire de confidences que le malade ne confierait à nul autre qu'à lui. Or, le médecin qui divulgue les confidences qui lui ont été faites sous le sceau du secret, se rend évidemment coupable d'un abus de confiance ; il pose un acte très blâmable, puisque son indiscrétion peut causer un tort irréparable, soit au malade lui-même, soit à sa famille ; elle peut compromettre pour toujours l'honneur et la réputation de toute une famille.

Quoi de plus naturel dès lors que de punir une semblable indiscrétion de la part du médecin.

Je ne connais pas bien les lois canoniques, mais je crois qu'elles comminent des peines très sévères contre le confesseur qui se permettrait de divulguer d'une manière quelconque les secrets qui lui ont été confiés dans le tribunal de la pénitence.

Il n'est donc pas étonnant que le médecin soit puni comme le confesseur, sauf qu'il l'est d'une manière infiniment moins rigoureuse.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas prétendu que cela fût étonnant ; je trouve, au contraire, que cela est parfaitement naturel.

M. de Muelenaere. - Alors nous sommes d'accord.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'était un exemple.

M. de Muelenaere. - Nous n'en avions pas besoin, nous ne prétendons pas qu'on ne puisse pas punir certains faits par des lois spéciales.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quand j'ai cité l'exemple du médecin, c'était en réponse à une question posée par l'honorable M. De Fré.

M. de Muelenaere. - Je crois qu'on peut et qu'on doit punir tous les délits quand ils sont suffisamment caractérisées, c'est-à-dire quand ils constituent des actes nuisibles à la société ou qu'ils peuvent porter atteinte aux droits des individus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cependant ce qu'on a nié.

M. Malou. - Personne n'a jamais nié cela.

M. de Muelenaere. - Je suis charmé de l'interruption ; elle me prouve que nous sommes peut-être assez près de nous entendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. de Muelenaere. - Messieurs, je ne dirai rien des lettres pastorales ; cette question a été traitée d'une manière si complète par mon honorable ami M. le comte de Theux, que je me dispenserai de rien ajouter à ce qu'il a dit à cet égard. Je me bornerai seulement à présenter deux observations.

Dans les premiers jours de cette discussion, on a constamment argumenté, en faveur des articles proposés, de la qualité des fonctionnaires publics et de la position qui leur est faite par la loi. On voulait ainsi justifier les dispositions qui nous sont présentées ; mais il me semble qu'on a aujourd'hui oublié complétement la comparaison entre le clergé et les fonctionnaires publics, lorsqu'il s'agit des circonstances atténuantes, et des cas d'excuse. Le titre II du livre II traite des atteintes portées par les fonctionnaires publics aux droits garantis par la Constitution. Là vous trouvez l'article 161 et sous un titre suivant l'article 283 par suite desquels l'inculpé qui justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs échappe à toute espèce de peine et la loi ne commine de peine que contre celui qui a donné l'ordre.

Eh bien, messieurs, lorsqu'un ministre du culte donne lecture, en chaire, d'un mandement épiscopal, d'une lettre pastorale, que fait-il ? Mais il agit par ordre de ses supérieurs, pour un objet qui est du ressort de ceux-ci et sur lequel il doit une obéissance hiérarchique. Pourquoi donc n'applique-t-on pas, dans ce cas, aux ministres du culte le principe consacré par les articles 161 et 283, en faveur des fonctionnaires (page 562) publics ; et pourquoi l'évêque seul n'encourt-il pas la responsabilité de l'ordre qu'il a donné et auquel le prêtre n'a fait qu'obéir ?

Mon honorable ami, M. le comte de Theux a paru supposer un instant que tous les faits prévus par l'article 295, que nous discutons en ce moment, tomberaient nécessairement sous la compétence des tribunaux correctionnels.

C'est là, messieurs, une erreur que je crois devoir relever. Ces faits ne tomberont pas tous sous la compétence des tribunaux correctionnels, je pense même que presque tous tomberont sous la compétence du jury.

En effet, l'article 98 de la Constitution porte en termes exprès que « le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de la presse. »

Vous voyez que, d'après l'article 98, tous les délits politiques et tous les délits de la presse sont nécessairement de la compétence du jury.

Dès lors, messieurs, quand on voudra faire l'application de l'article 295, il faudra commencer par se demander si le fait pour lequel vous poursuivez est un délit politique ou s'il est un délit ordinaire. Si c'est un délit ordinaire, il pourra être de la compétence du tribunal correctionnel. Mais si vous êtes obligés de répondre que c'est un délit politique, nécessairement le délit politique, aux termes de l'article 98 de la Constitution, est du ressort du jury.

Maintenant, quels sont les délits politiques ? Je ne veux pas établir une discussion anticipée là-dessus, je dois cependant en dire un mot.

En France, il existe une loi qui détermine quels sont les délits politiques. En Belgique nous n'avons pas de loi spéciale. En Belgique la qualification du délit est nécessairement abandonnée à la jurisprudence des cours et tribunaux. A moins qu'on ne fasse une loi particulière sur l'objet, c'est la jurisprudence qui déterminera quels sont les délits politiques et quels sont les délits qui ne le sont pas.

Mais dans l'arrêt dont on a beaucoup parlé, dans l'arrêt du curé de Boitsfort, je vois que là on a soulevé la question de savoir si le délit imputé au curé de Boitsfort et au curé d'Auderghem constituait un délit politique ou si c'était simplement un délit ordinaire, et la cour a décidé que le délit imputé au curé constituait un délit ordinaire et non un délit politique.

Mais voici, messieurs, les raisons que la cour nous donne, et vous verrez qu'à ce point de vue, presque tous les autres délits qui pourront être commis en vertu de l'article 295, tomberont sous la compétence du jry.

Voici ce que dit la cour :

« Attendu que le premier chef de la prévention mise à charge des appelants et tel qu'il a été formulé par ordonnance de la chambre du conseil, consiste à avoir, le 20 octobre 1844, à Boitsfort et à Auderghem, dans l'exercice de leurs fonctions de ministres du culte, et en assemblée publique, prononcé des discours contenant la critique ou censure d'un acte de l'autorité publique, en date du 17 octobre 1844, qui rejette certaines sommes proposées dans le budget de cette commune en faveur du curé d'Auderghem et du vicaire de Boitsfort.

« Attendu que le fait ainsi qualifié ne constitue qu'une simple critique ou censure d'un acte isolé dudit conseil ; qu'on chercherait vainement un caractère politique dans la mesure censurée qui n'avait pour but que la gestion des intérêts et des deniers de la commune, qui n'était qu'un acte de pure administration, sans influence et sans portée en dehors de l'objet qu'il avait en vue. »

Ainsi la cour a décidé que le délit commis par le curé d'Auderghem n'était pas un délit politique, parce qu'il ne se rapportait qu'à un acte de simple administration intérieure de la commune et en dehors de toute espèce de portée politique.

Mais il est évident pour moi qu'en vertu de votre article 295, chaque fois que l'on aura fait la critique du gouvernement, des actes de l'autorité ou des droits constitutionnels, on aura commis un véritable délit politique et que, dans tous ces cas, ce sera en définitive le jury qui devra en connaître.

Messieurs, permettez-moi de faire une supposition, supposition qui n'est pas gratuite et dont je pourrais vous citer bien des exemples.

Supposons qu'un ministre des autels, obéissant à la voix de sa conscience et s'inspirant des intérêts purement spirituels, croie qu'il est de son devoir de prémunir ses ouailles, les fidèles de sa commune, contre des principes déposés dans un arrêté royal ou dans une instruction ministérielle uniquement parce qu'il croit que ces principes sont contraires à la religion catholique qu'il est obligé d'enseigner et de propager, que devra faire le ministre du culte ?

S'il ne parle pas, il faut à un devoir sacré. S'il parle, il commet un délit aux termes de l'article 295, et il s'expose à un emprisonnement de huit jours à un an.

Or, messieurs, je crois que dans ce cas-là, le choix du ministre du culte ne sera pas douteux ; il fera son devoir, advienne que pourra. Il aimera mieux vivre en paix avec sa conscience que vivre en paix avec le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ira eu prison.

M. de Muelenaere. - Il ira en prison, dit M. le ministre de l'intérieur, parce qu'il aura eu le courage de remplir son devoir. Si votre loi doit avoir cet effet, elle est jugée et condamnée d'avance.

M. Muller. - Elle existe depuis cinquante ans.

M. de Muelenaere. - Messieurs, j'ai toujours pensé jusqu'à présent que ce n'était que par une heureuse et intelligente combinaison des lois politiques, morales et religieuses que l'on pourrait espérer de fonder d'une manière durable le bonheur d'une société. J'ai toujours pensé que, loin de se combattre et de s'entraver réciproquement, ces diverses lois devaient se prêter un mutuel et salutaire appui.

Il paraît, messieurs, que j'ai été dans l'erreur, je le regrette sincèrement.

Quoi qu'il en soit, et avant de finir, permettez-moi de vous présenter encore une seule considération

Qui oserait nous prédire les événements que l'avenir nous réserve ? Malgré toute la sagesse des gouvernements, il est possible que le temps ne soit pas loin où nous serons obligés peut-être de faire un appel, dans l'intérêt du salut commun, au patriotisme, au dévouement et à l'union de tous ceux qui portent un cœur belge. Si ce malheur arrivait, messieurs, c’est alors que nous regretterions amèrement d'avoir jeté dans les esprits un germe de trouble, de division et de défiance.

(page 565) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, depuis huit jours que dure cette discussion, j'ai peine à me rendre compte des proportions que certains orateurs ont voulu donner à une disposition de loi, que l'on nous représente comme une innovation dangereuse et monstrueuse, alors qu'elle n'est que la reproduction d'une disposition qui existe depuis un demi-siècle ; reproduction non pas complète, mais avec les adoucissements généralement introduits dans le nouveau Code que nous discutons.

Je conçois, messieurs, qu'un parti politique, dans une circonstance donnée, en présence d'une loi qui remuerait la société jusqu'au fond de ses entrailles, prenne l'alarme, fasse un appel solennel à la concorde, invoque des dangers suprêmes, cherche des arguments dans la situation européenne. Mais je dois vous le dire avec naïveté, il m'est impossible de voir, dans la disposition en discussion, toutes les monstruosités qu'on en fait jaillir, tous les dangers qu'on en redoute.

Je m'étonne en particulier du langage qui vient d'être tenu par l'honorable représentant de Thielt, ancien membre du Congrès national, pour ne pas remonter plus haut dans sa carrière politique et administrative.

II ne comprend pas la portée de l'article en discussion ; il ne sait pas où il va nous mener ; cet article peut être pour le clergé une source de terribles persécutions. Il faut absolument que l'on sache ce que veut dire cet article incompréhensible. Eh ! messieurs, cet article est connu et appliqué, je le répète, depuis cinquante ans. Il a été clair, à toutes les époques, pour tous les parquets, pour tous les procureurs du roi, aussi bien depuis 1830 qu'avant 1830 ; et je ne sache pas que jamais à aucune époque, aucun parquet, aucun magistrat ait vu, dans l'article que nous discutons, toutes ces monstruosités, toutes ces obscurités que l'on y découvre aujourd'hui.

On veut rendre l'article plus clair, nous ne demandons pas mieux. Mais enfin, tel qu'il est, combien de fois cet article a t-il donné lieu à de graves abus, à des persécutions ? Sous le régime qui a disparu en 1830, le clergé, généralement, se croyait menacé, se croyait tracassé. A-t-il été fait de fréquents abus de cet article contre lui ?

Si le clergé, ayant à lutter contre une véritable persécution et n'écoutant que sa conscience, eût bravé la prison, il était louable. On vient de poser l'hypothèse d'un prêtre qui consciencieusement verrait dans un arrêté royal une atteinte à la religion, un danger pour la religion, et qui viendrait en chaire attaquer cet arrêté. Si sa conscience de prêtre le pousse à une pareille attaque, le pousse à braver la pénalité ; eh bien, il fera acte de courage. J'ai dit tout à l'heure en interrompant M. de Muelenaere qu'un prêtre qui agirait ainsi s'exposerait à aller en prison ; un prêtre peut braver la prison consciencieusement, c'est là qu'est le sacrifice.

- Un membre : Vous attaquez la liberté.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Laissez donc vos attaques à la liberté ; nous la comprenons et nous la pratiquons, je pense, tout aussi bien que vous.

Nous avons vu, messieurs, non seulement des prêtres mais aussi des magistrats qui, n'écoutant que la voix de leur conscience, bravaient les pénalités.

On a vu sous le roi Guillaume des magistrats sacrifier leurs fonctions lorsqu'on exigea leur adhésion au célèbre message du 11 décembre dont on nous a souvent cité les auteurs en nous comparant même à eux. Eh bien, ces magistrats ont recueilli les applaudissements du pays. Mais, messieurs, est-il possible de s'imaginer que l'on trouve une magistrature assez oublieuse de ses devoirs pour condamner à tort et à travers, pour condamner, en absence de tout délit, un prêtre qui consciencieusement accomplirait sa mission. Ceux qui tiennent un pareil langage calomnient leur pays, calomnient la magistrature et méconnaissent les mœurs nationales ; ils leur font injure.

Messieurs, nous avons été mis plusieurs fois en cause, on a cité souvent l'arrêté du 16 octobre du gouvernement provisoire. Je connais quelque chose de cette mesure, j'en revendique l'honneur, je l'ai signée. Qu'avons-nous fait alors ? Nous avons déclaré que tous les citoyens belges avaient le droit d'exprimer leurs opinions en toutes matières, philosophiques, religieuses ou politiques.

Nous avons dans cet arrêté formulé l'ancienne devise de la liberté en tout, pour tout et pour tous ; eh bien, cette thèse est encore la nôtre ; nous sommes encore les amis de la liberté, en tout, pour tout et pour tous. Mais il y a nécessairement un amendement à ce principe, amendement que le bon sens indique. La liberté en tout et pour tout, est-ce à dire la liberté partout ?

Vous avez la liberté d'exprimer votre opinion, de faire des discours ; mais pouvez-vous jouir de cette liberté partout où vous vous trouvez ! Vous avez la liberté de jouer du violon ; avez-vous la liberté de jouer du violon dans cette Chambre ? (Interruption.) Permettez ; la thèse que vous soutenez est aussi bizarre que celle-ci.

Vous avez la liberté, dans le temple, de prier, de prêcher, de vous occuper de choses religieuses ; avez-vous la liberté, dans le temple, de vous occuper de choses administratives ou politiques ?

Pour qui existe cette liberté ? Existe-t-elle pour un seul ou pour tous ? Si nous avons la liberté en tout, pour tous et partout, il faut que la liberté d'exprimer, dans l'église, des opinions politiques ou administratives, il faut que cette liberté appartienne à chacun des paroissiens qui font acte de présence dans le temple, comme au prêtre lui-même. Si vous ne voulez pas cela, vous établissez un privilège en faveur d'un seul, en faveur du prêtre auquel il sera permis de faire de la politique, alors qu'il sera interdit à tous les auditeurs d'interrompre le prêtre faisant de la politique.

Je dis donc, messieurs, que le droit d'exprimer son opinion en tout et pour tout, n'existe pas partout ; qu'il est certains édifices réservés à certains usages et que ceux qui font usage de ces édifices pour leur donner une autre destination, s'exposent nécessairement à des peines.

Nous soutenons qu'alors que la loi empêche le prêtre de s'occuper dans l’Eglise de questions politiques et administratives, nous garantissons la véritable liberté religieuse.

Les fidèles se rendent dans le temple pour prier, pour écouter les leçons religieuses du prêtre ; ils n'y viennent pas pour écouter des discussions politiques ou administratives ; du moment que vous les exposez à entendre des discussions administratives ou politiques, vous les troublez dans leurs prières, dans leur recueillement ; vous apportez le désordre dans l'exercice du culte ; et voilà ce que nous voulons empêcher ; nous voulons maintenir le respect du culte, conserver l'ordre dans le temple ; or, si la loi permettait au prêtre de faire de la politique ou de l'administration, le prêtre deviendrait lui-même le premier perturbateur du culte, et c'est pour cela qu'il faut le punir.

Si l'on pratique sincèrement ce principe que l'on invoque, de la liberté pour tous, de l'égalité pour tous, je pose cette question que j'ai déjà faite à quelques orateurs :

Si le prêtre a le droit de se livrer, dans l'église, à des dissertations politiques, les auditeurs ont-ils le même droit ? L'auditeur, attaqué dans sa personne, dans ses amis, a-t-il le droit de répondre au prêtre qui s'est permis de l'attaquer ? Voilà un point sur lequel un honorable membre de la droite a répondu oui ; mais on a dit que c'était là une opinion isolée ; on ne s'est pas généralement associé à la réponse très logique de l'honorable M. Van Overloop. Cependant s'il n'est pas permis à tous les auditeurs d'entamer une controverse avec un prêtre qui au lieu de faire de la religion fait de la politique, il n'y a pas égalité de liberté pour tous, vous le reconnaîtrez vous-mêmes.

Il y a, messieurs, deux systèmes. Nous avons d'abord le système qui consiste à donner à tout le monde la liberté de tout dire partout ; il n'y a rien de plus large que ce système-là. Est-ce de ce système que l'on veut ? Veut-on reconnaître à tout le monde le droit de faire de la politique dans l'église, à l'agresseur comme au défenseur ? Eh bien, ce système peut être jusqu'à certain point développé et défendu ; mais nous n'en voulons pas, parce que nous voulons l'ordre dans l'exercice du culte.

Nous avons l'autre système qui trace à la liberté certaines limites, qui assigne l'église comme le lieu où doit se pratiquer librement le culte, où doit s'enseigner librement la religion, mais où l'on ne doit pas se livrer à des controverses politiques ou administratives.

Messieurs, on a invoqué l'époque de 1830 ; on a dit que nous nous écartions de ce magnifique élan de 1830 ; que nous voulions aujourd'hui imposer des entraves à la liberté.

Nous repoussons de pareilles accusations. Nous sommes toujours ce que nous étions en 1830 ; nous aimons toujours la liberté du même cœur, de la même ardeur ; mais nous ne sommes pas des extravagants, des anarchistes ; nous sommes des gens logiques.

Lorsque eu 1830 le gouvernement provisoire proclama pour tous les citoyens la liberté d'exprimer leur opinion en toute matière, croit-on que, si le lendemain de la publication de cet arrêté, un prêtre orangiste, il y en avait quelques-uns à cette époque, fût monté en chaire, et en vertu de cet arrêté, eût tenu ce langage à ses auditeurs :

« Le gouvernement provisoire est illégitime ; le seul gouvernement légitime est l'ancien gouvernement ; le gouvernement provisoire est composé de gens pervers, d'émeutiers ; il est sorti des barricades, il s'est élevé sur des pavés ; il renferme dans son sein des incrédules, des impies. »

Croit-on, dis-je, que le gouvernement provisoire, tout libéral qu'il était, eût toléré un pareil langage ? (Interruption.) Vous-même, M. Dumortier, vous si bon patriote, à ce que vous dites, vous eussiez été le premier à crier au scandale, à demander la punition d'un prêtre aussi insolent.

Certes, le gouvernement provisoire eût été fort surpris de voir une pareille portée donnée à son arrêté émancipateur.

Bien certainement, le gouvernement provisoire, tout libéral .u'il était, aurait aussi fait poursuivre un prêtre aussi insolent.

Il ne l'aurait pas fait poursuivre, dites-vous ? Le peuple en aurait fait justice.

M. B. Dumortier. - La presse disait cela tous les jours, et vous ne l'avez pas fait poursuivre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement (page 566) provisoire aurait dû peut-être la poursuivre ; trop souvent le peuple s'est fait justice par des violences. Il s'agit ici de prêche, non de presse, et il faudrait méconnaître l'esprit de sagesse du gouvernement provisoire pour supposer qu'il ait voulu permettre à un prêtre en chaire de critiquer, de livrer au mépris de ses auditeurs les actes de l'autorité publique.

Pour moi je proteste contre une pareille interprétation. C'est ce qu'en fait les magistrats de Bruxelles ont reconnu ; ils ont déclaré que ce serait faire injure au gouvernement provisoire que de supposer que par l'arrêté du 16 octobre il avait voulu supprimer toute législation répressive.

La cour de Bruxelles, composée d'hommes dévoués à la Constitution, a reconnu que les articles 201 et suivants du Code pénal étaient restés en vigueur.

Voilà comment ces magistrats ont interprété l'arrêté du gouvernement provisoire.

Le peuple, disais-je, aurait fait justice d'un prêtre qui se serait conduit comme je viens de le supposer ; c'est pour empêcher le peuple de faire justice de pareils écarts que nous voulons réprimer les faits qui, en l'absence de toute répression, pourraient donner lieu à des représailles terribles. Le mot terrible est peut-être trop fort, disons regrettables.

Supposons que vous parveniez à faire rejeter toute mesure répressive du nouveau Code pénal en ce qui concerne le prêtre parlant en chaire d'administration.

M. de Naeyer. - Personne ne dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est votre thème !

M. de Naeyer. - On a les mesures répressives ordinaires !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est libre à chacun, dans le premier salon ou dans le premier estaminet venu, de critiquer les actes du gouvernement et de l'administration ? On dit au prêtre : Vous pouvez faire cela très librement partout ailleurs que dans l'église. Mais vous n'êtes pas libre pas plus qu'à tout autre de transformer la chaire en tribune politique.

Supposons qu'on ait donné le droit de tout dire, de tout critiquer librement dans l'église, je ne parle pas de provocation à la révolte ou à la désobéissance aux lois, je suppose le prêtre affranchi de toute appréhension quant à la prison et à l'amende, qu'il ait la faculté de parler librement de tous les actes des administrations communales et provinciales, si vous faisiez ce funeste présent au clergé, il ne se passerait pas six mois avant qu’il n'en éprouve les plus amers regrets.

Le prêtre a souvent des intérêts à démêler avec l'autorité communale ; il lui arrivera de rencontrer dans l'administration des choses qui ne lui conviennent pas ; affranchi de toute espèce de crainte, il ne manquera pas de se livrer à la critique du gouvernement local si pas du gouvernement général ; qu'arrivera-t-il ? Les amis du gouvernement local, des administrateurs locaux le prendront sur le même ton. Quand il aura été établi d'après vos principes qu'il y a liberté d'exprimer ses opinions pour tous en tout, sur tout et partout, vous allez instituer dans vos églises des polémiques, des controverses, des querelles. Est-ce ainsi que vous entendez faire respecter la liberté des cultes ?

Nous voulons, nous, qu'elle soit respectée, c'est pour cela que nous voulons écarter toutes les occasions de trouble dans l'église. Vous ne pouvez pas sortir de là, si vous admettez la liberté de critiquer dans la chaire les actes de l'autorité, l'administration aura le droit de se défendre quand le cmlergé la critiquera.

Aujourd'hui on se dit : i le clergé nous attaque il sera poursuivi ; la loi pénale est là. Si on sait que ses attaques seront impunies, on se fera justice ; les membres de l'administration blessés dans leur caractère ne manqueront pas de répondre au prêtre : M. le curé, vous sortez de vos attributions. Nous sommes venus ici avec notre femme et nos enfants pour assister à la messe, à la prédication, à la prière, nous n'entendons pas que vous fassiez de l'administration. Si vous voulez critiquer l'administration, faites comme les autres citoyens, écrivez dans les journaux, beaucoup le font ; allez dans les familles, si vous voulez, ou si cela vous convient, dans les cabarets, cela s'est vu, mais ne venez pas faire cela à l'église ; l'église n'est pas faite pour de pareilles controverses ; vous n'êtes pas payé pour cela ; le culte n'est pas entretenu pour cela par l'Etat, chaque chose doit se faire en son lieu et place.

Si vous reconnaissez au clergé le droit de critiquer en chaire l'administration supérieure ou inférieure, vous reconnaissez aux partisans de l'administration le droit de faire une réponse au prêtre dans la chaire, vous introduisez le trouble dans le service du culte. Si donc vous voulez sérieusement la liberté des cultes, le libre exercice des cultes, vous devez admettre les dispositions que nous proposons de maintenir en adoucissant les peines qui ont pour but d'écarter toute espèce de trouble.

Il faut voir les choses pratiquement. Il s'agit de défendre non les ministres, ni même le gouvernement du Roi, ni les autorités de la province, il s'agit surtout de maintenir la dignité et la considération des autorités dans les communes, de mettre les administrations communales à l'abri des attaques de prêtres imprudents. C'est surtout en vue de la tranquillité communale que ces dispositions étaient utiles et que nous les maintenons.

On sait que le gouvernement sera toujours assez fort contre un curé de village qui voudra se livrer à quelques excès contre lui. Au mois de décembre, nous avons été traités de la manière la plus dure par plusieurs ecclésiastiques.

Je ne veux pas rappeler les mots outrageants, mais ils ne nous ont pas manqué. Il y a eu un curé qui, hors de l'église, nous a publiquement traités d'une façon tellement brutale, qu'il a été poursuivi et condamné à une amende de cinq francs. J'ignore si l'on a crié à la persécution à cette occasion ; mais si ce même prêtre avait tenu le même langage dans son église et du haut de la chaire, vous avouerez que ses paroles eussent revêtu là un caractère de gravité plus grande et qu'il eût mérité une peine plus forte que 5 francs d'amende. Je fais appel au bon sens de tous, et je vous demande si vous voulez qu'un prêtre puisse se permettre de pareils excès en chaire sans encourir des peines plus fortes que le premier venu qui se rendrait coupable des mêmes écarts dans un établissement public.

Je reconnais que le prêtre est libre partout ailleurs que dans l'église, comme tous les citoyens indistinctement ; mais, comme tous les citoyens aussi, il est tenu, dans l'église, à certaines réserves qu'il ne peut transgresser sans s'exposer à certaines peines. S'il croit que sa conscience lui fait un devoir de ne pas les observer, qu'il fasse ce que sa conscience lui commande, mais il est juste aussi que la loi intervienne pour mettre un frein à des abus qui peuvent occasionner les plus graves inconvénients pour la société en général et pour la liberté des cultes en particulier.

Nous n'apportons ici aucune passion ; nous ne cherchons nullement à introduire dans la loi des dispositions où le clergé puisse voir la moindre velléité de le persécuter ; nous n'avons jamais été et nous ne sommes pas des persécuteurs du clergé.

Prenons garde que cette discussion n'ait pour effet d'engager le clergé à se poser en victime d'une loi draconienne. Il faut que l'on sache bien que la loi que nous proposons n'est pas une innovation, qu'elle existe depuis un grand nombre d'années et que nous ne faisons qu'adoucir les dispositions qui sont actuellement en vigueur.

Nous ne touchons à la liberté de personne ; au contraire, nous respectons la liberté de tous et c'est dans l'intérêt même de la liberté des cultes en particulier, que nous voulons empêcher les excès.

(page 562) M. B. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Depuis plusieurs jours, divers orateurs et M. le ministre de la justice nous ont parlé du grand nombre d'arrêts oude jugements qui auraient été rendus depuis 1830, au sujet des articles que nous discutons actuellement. Je demande que M. le ministre de la justice veuille bien déposer sur le bureau ces nombreux arrêts ; il doit les avoir sous la main à son ministère. Je désire pour mon compte que chacun puisse en prendre connaissance. Si M. le ministre n'avait pas ces arrêts dans les archives de son département, je le prierai de vouloir bien nous en donner l'indication ; je crois que quand on les aura bien cherchés il en est jusqu'à un que l'on pourra compter

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas avoir parlé de nombreux arrêts ; je n'ai parlé que d'un seul arrêt et je pense qu'il n'en a été rendu qu'un seul sur cette question ; du moins je n'en connais pas d'autres.

Au surplus si le nombre n'en est pas plus grand, c'est parce que les personnes condamnées en première instance ont trouvé l'article 201 tellement peu inconstitutionnel qu'elles n'ont pas jugé utile de soumettre la question à un second degré de juridiction.

J'ai donné lecture de deux jugements rendus par le tribunal de Huy ; je dois dire même, quant à ces jugements, qu'ils m'ont été transmis spontanément, sans doute par suite de l'affirmation de l'honorable M. B. Dumortier que l'article 201 n'avait jamais été appliqué.

M. B. Dumortier. - Je le maintiens, quant au gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si j'avais les Annales parlementaires sous la main, il me serait facile d'établir que l'honorable M. Dumortier a formellement déclaré dans la discussion que l'article 201 n'a jamais été appliqué.

M. B. Dumortier. - Par rapport au gouvernement. (Interruption.)

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Par rapport au gouvernement dites-vous ; mais cela n'est pas sérieux. L'honorable M. Dumortier prétendra-t-il donc qu'aujourd'hui l'article 201 est encore obligatoire par partie et abrogé pour le surplus ?

Prétend-il faire une distinction entre les critiques des actes de l'autorité communale, par exemple, et des critiques dirigées contre le gouvernement et ses actes ? Si vous n'entendez pas faire cette distinction, que signifie l'argument ?

Après cela je n'ai pas fait d'enquête pour connaître tous les jugements qui ont été rendus sur l'article 201, je n'ai pas fait fouiller les greffes pour en découvrir.

Mais je crois avoir suffisamment démontré que la constitutionnalité de l'article 201 n'avait jamais été révoquée en doute par personne et je sais convaincu que des recherches constateraient que de nombreux jugements ont appliqué en Belgique cette disposition.

M. B. Dumortier. - Je suis parfaitement satisfait de la motion que j'ai faite. Il résulte, en effet, de la réponse qu'elle a provoquée de la (page 563) part de M. le ministre de la justice, que ce grand nombre d'arrêts... (Interruption}.) On a dit qu'il y en avait une quantité innombrable... (Nouvelle et bruyante interruption.) Vous l'avez dit, et maintenant vous avez dû reconnaître qu'il n'y a eu qu'un arrêt et deux jugements de première instance. Voilà, messieurs, à quoi se réduisent toutes ces décisions judiciaires portées depuis 1810 sur l'article du Code pénal que nous discutons. Et quant à cet arrêt unique, M. le ministre de la justice sait fort bien qu'un seul arrêt ne suffit pas pour former jurisprudence et qu'il arrive m'en souvent que des lois sont abrogées dans certaines de leurs parties tandis qu'elles sont maintenues dans d'autres.

Il reste donc établi qu'il n'y a eu jusqu'à présent qu'un arrêt et deux jugements ; voilà à quoi se réduisent toutes ces poursuites qui, d'après nos adversaires, auraient été exercées sous le roi Guillaume en vertu de cette disposition du Code pénal. Quant aux jugements rendus antérieurement au règne du roi Guillaume, oh ! je sais qu'ils ont été nombreux, mais je sais aussi qu'ils ont été une des nombreuses causes de la révolution. J'aurai l'occasion d'en parler dans mon discours.

- Plusieurs voix. - A demain !

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget de xxx

Rapport de la section centrale

M. Deliége. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif an crédit de 130,000 francs pour le remboursement de rentes par l'Etat.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et la discussion du projet est mise à la suite de l'ordre du jour.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.