(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 504) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.
« M. Leclercq, saunier à Alost, prie la Chambre de n'apporter aucune modification à la loi du 5 janvier 1844. »
« Même demande de débitants et consommateurs de sel raffiné à Thuin et à Tongres. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Yves, abonné aux Annales parlementaires, se plaint de les recevoir très irrégulièrement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de l'intérieur transmet les procès-verbaux des opérations électorales qui ont eu lieu à Gaud pour l'élection d'un représentant, rendue nécessaire par la nomination de M. Vanderstichelen en qualité de ministre des travaux publics.
- Il est procédé, par la voie du tirage au sort, à la formation de la commission chargée de vérifier les pouvoirs du nouvel élu.
La commission se compose de MM. de Bast, Deliége, Manilius, Louis Goblet, de Haerne, Henri Dumortier et Thiéfry.
M. Ch. Lebeau. - M0essieurs, les articles 295 à 300 du projet qui vous est soumis, touchent, comme on vous l'a dit hier, à une matière extrêmement délicate : La liberté des cultes.
On comprend dès lors toute l'importance que chacun de nous attache à ces dispositions.
Chaque fois que le mot de liberté a retenti dans le pays, il a trouvé des échos dans tous les cœurs.
Le Belge aime la liberté, il a combattu, il a versé son sang pour elle et, dans toutes les circonstances, il saura s'imposer les plus grands sacrifices pour la maintenir pure et intacte.
Je suis donc d'accord avec l'honorable M. Van Overloop, qu'on ne doit porter aucune atteinte aux libertés si précieuses qui sont inscrites dans notre Constitution.
Mais est-il vrai que les dispositions des six articles en discussion porteraient une atteinte quelconque :
a) Soit à la liberté des cultes ;
b) Soit à la liberté de manifester ses opinions en toute matière ;
c) Soit enfin la liberté de la presse ?
Evidemment non.
Et si j'avais le moindre doute à cet égard, soyez convaincus que vous ne me verriez pas prendre la parole pour demander le maintien de ces articles.
Je suis autant que personne partisan de nos libertés.
Mais c'est précisément parce que je veux les maintenir pures que je voterai la loi qui empêchera qu'elles ne dégénèrent en abus et en licences.
La liberté des cultes a été proclamée par les articles 14, 15 et 16 de la Constitution.
Mais si les cultes sont libres dans leur exercice, c'est à la condition qu'ils se renfermeront dans les limites qui leur sont assignées par leur mission sainte.
Si leurs ministres peuvent librement annoncer leurs enseignements, c'est à la condition que leur parole sacrée, uniquement vouée aux choses de la religion, ne mêlera point à ces intérêts éternels, les éphémères intérêts de la société civile.
La chaire ne doit compte à personne des discours dont elle a retenti tant qu'elle s'est renfermée dans cette sphère. Sa responsabilité ne commence que lorsqu'elle a empiété sur un terrain qui lui est étranger. C'est cette limite que la loi pénale a eu pour but de protéger.
Ces paroles ne sont pas de moi. Elles sont de deux jurisconsultes éminents, MM. Chauveau et Hélie dans leur Théorie du Code pénal.
Les limites que ces savants criminalistes indiquent comme étant les bornes naturelles de la liberté des cultes sont-elles encore aujourd'hui les mêmes que lors de la discussion du Code pénal de 1810 ?
Telle est la question qui se présente et que, pour mon compte, je n hésiie pas à résoudre affirmativement.
On traite, il est vrai, cette législation de surannée. On prétend qu'elle n'est en rapport ni avec la lettre ni avec l'esprit de nos institutions.
Mais dans le discours de l'honorable M. Van Overloop et dans les autorités qu'il a citées, je n'ai rien vu qui puisse justifier l'opinion que les six dispositions du projet seraient incompatibles avec la lettre ou l'esprit de nos institutions.
Comme lui, je veux la liberté des cultes et celle de leur libre exercice.
Comme lui, je veux la liberté de manifester ses opinions en toute matiére.
Comme lui, je veux la liberté de la presse et celle de l'enseignement.
Comme lui enfin, je veux le maintien et le respect de toutes nos libertés.
Mais ce que je veux aussi dans l'intérêt même de ces libertés, c'est qu'elles soient circonscrites dans leurs véritables limites, dans les limites naturelles que la raison leur assigne, afin qu'elles ne dégénèrent pas en abus qui les feraient détester aux yeux des masses.
Nous sommes donc d'accord sur les principes. Nous ne le sommes pas sur leur application.
Qui oserait prétendre que les libertés inscrites dans notre Constitution sont illimitées et que la loi pénale ne peut leur assigner aucun terme ?
Mais l'article 14 de la Constitution condamnerait cette théorie. En effet que porte cet article ?
« Art. 14. La liberté des cultes, celle de leur libre exercice, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »
Ces derniers mots de l'article : » sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés » prouvent clairement que ces libertés ne sont pas illimitées et qu'il appartient au législateur d'en réprimer les abus par des lois pénales.
Or, quelles sont les limites naturelles de ces libertés ? où finissent-elles ? où commencent les abus, la licence ? Tel est, messieurs, le siège véritable de la difficulté. Pour la résoudre il faut s'inspirer des lumières de la raison. En 1810, lors de la discussion du Code pénal, les cultes reconnus et pratiqués étaient libres.
Mais alors comme aujourd'hui, la liberté dont ils jouissaient n'était et ne pouvait être illimitée.
La loi pénale devait donc punir les abus qui pouvaient se commettre à l'occasion de l'usage de cette liberté
C'est ce qu'avait fait le législateur de 1810, par les articles 201 et suivants du Code pénal.
Les articles 295 à 300 du projet sont la reproduction littérale de ces articles avec atténuation des peines.
Or voulez-vous savoir ce que disait l'orateur du gouvernement en 1810, en exposant les motifs des dispositions du Code pénal ? Voici de quelle manière il s'exprimait.
« Trop souvent des prédications insensées ont pris dans les chaires de l'évangile la place du langage sacré de la morale et de la vertu ; et des hommes envoyés pour bénir se sont trop souvent permis de maudire. Trop souvent le fanatisme a fait entendre sa funeste voix là où la religion seule devait parler, et la société tout entière a été ébranlée dans ses fondements et blessée dans ses plus précieux résultats. La répression de ces délits était un devoir du législateur et ils attaquaient trop cruellement la paix et la sécurité publique pour n'être pas mis au rang de ceux qu'une juste punition devait atteindre.
« Des peines sont donc prononcées contre tous les ministres des cultes qui, dans leurs discours, dans leurs écrits, dans leurs instructions, auraient censuré le gouvernement, les lois, les décrets et généralement tous les actes de l'autorité civile, excité à leur désobéir, appelé à la révolte contre eux et tenté par des déclamations criminelles à armer les citoyens les uns contre les autres. »
Ces motifs qui justifiaient si bien les dispositions du Code pénal eo 1810 ne justifient-ils plus les dispositions de notre projet ?
Non, nous dit-on, parce qu'aujourd'hui, nous jouissons de libertés plus larges qu'en 1810 en matière de cultes, et que d'après nos institutions actuelles les cultes sont complétement séparés de l'Etat.
Il est vrai que nous vivons sous l'empire d'institutions plus libérales qu'en 1810.
Mais alors pas plus qu'aujourd'hui il n'existait aucun texte écrit qui traçait la limite de la liberté des cultes.
II fallait à cette épaque, comme maintenant, recourir aux lumières de la raison pour marquer la limite où finissait cette liberté et où commençait l'abus.
Or la raison est immuable, elle ne change ni avec le temps, ni avec les circonstances.
Pour justifier la théorie de l'inconstitutionnalité des six articles du projet, on a dit que les cultes étaient complétement séparés de l'Etat. Que les ministres des cultes n'étaient pas des fonctionnaires publics ; mais de simples citoyens.
(page 505) Que les cultes soient séparés de l'Etat, pour ce qui concerne le spirituel, oui ; mais il n'en est pas de même pour ce qui est du temporel.
Cela, est si vrai, que.la Constitution, article 117, accorde aux ministres des cultes un traitement et une pension.
C'est ainsi encore que l'Etat, la province et les communes interviennent pour faire face aux dépenses pour la construction et l'entretien des édifices consacrés aux cultes.
C'est ainsi également que l'autorité civile est appelée à contrôler les comptes des fabriques.
D'un autre côté, la loi n'exempte-t-elle pas les ministres des cultes de toutes les charges personnelles qui pèsent sur les citoyens ordinaires ?
Enfin, les ministres ne sont-ils pas protégés par la loi, dans leur personne lorsqu'ils exercent leur ministère, même en dehors des temples, ce qui est aller loin, très loin ?
Que les ministres des cultes ne sont pas des fonctionnaires publics, c'est incontestable.
Mais il est inexact de prétendre qu'ils soient des citoyens ordinaires.
Et en effet :
S'ils étaient des citoyens ordinaires jouiraient-ils d'un traitement et d'une pension à charge de l'Etat ?
L'Etat les exonérerait-il de toutes les charges personnelles auxquelles les citoyens ordinaires sont assujettis ?
L'Etat les protégerait-il contre toute espèce de trouble dans l'exercice de leur ministère ?
Comme vous le voyez, messieurs, les ministres du culte ne sont pas des citoyens ordinaires, et cela ne pouvait pas être, dans l'intérêt même des religions qu'ils professent.
C'eût été les rabaisser aux yeux des fidèles.
C'eût été leur ôter tout prestige, toute influence morale.
La loi civile a été plus prévoyante, plus soucieuse des intérêts des religions.
Elle n'a pas voulu que les ministres des cultes fussent rangés parmi les citoyens ordinaires.
Elle leur a assigné une position spéciale dans l'Etat, en leur accordant des avantages et une protection particulière qu'elle n'accorde pas aux autres citoyens.
Majs c'est précisément parce que la position des ministres des cultes, dans l'Etat, est différente de celle des autres citoyens, qu'ils ont envers l'Etat des devoirs différents à remplir.
Comment peut-on prétendre que les ministres des cultes que la loi protège contre toute atteinte dans l'exercice de leur ministère, pourront impunément se livrer, dans le cours de cet exercice, à des attaques, critiques ou censures contre le gouvernement, les lois et autres actes de l'autorité publique ?
Qu'ils pourront même, abusant de l'influence morale résultant de la position exceptionnelle qui leur est faite dans l'Etat, provoquer à la désobéissance aux lois et exciter les citoyens à s'armer les uns contre les autres ?
Cela est impossible.
Mais, nous dit-on, tous les citoyens ne sont-ils pas égaux devant la loi ? Dès lors, pourquoi les ministres du culte, qui sont des citoyens, ne pourraient-ils pas se livrer à des critiques contre le gouvernement, les lois et les actes de l'autorité publique, alors qu'on tolérerait ces attaques de la part des autres citoyens ?
Pourquoi par exemple un tribun populaire pourrait-il impunément dans un meeting se livrer à de semblables attaques, et pourquoi les ministres des cultes ne le pourraient-ils pas ?
Pourquoi, messieurs ? Mais par les raisons que je viens d'indiquer.
Parce qu'il n'est pas exact de dire que les ministres des cultes soient des citoyens ordinaires, parce qu'ils jouissent de certains avantages dont ne jouissent pas les autres citoyens, parce qu'ils occupent dans l'Etat une position spéciale, qu'ils sont protégés d'une manière toute particulière et qu'à raison même de cette position qui leur est faite, de la protection qui leur est accordée, et du caractère sacré dont ils sont revêtus, on ne pourrait, sans danger pour l'ordre et la tranquillité publique, leur permettre de se livrer à des attaques qu'on peut tolérer de la part de simples citoyens, parce que dans la bouche de ceux-ci elles n'ont plus la même importance, la même gravité.
Mais notre législation nous offre une foule d'exemples où des faits sont punis lorsqu'ils sont commis par certaines personnes tandis qu'ils ne le sont pas lorsqu'ils sont commis par certaines autres.
Tels sont, par exemple, pour ne citer qu'un cas les faits de corruption commis par les pères, mères, tuteurs, instituteurs, etc.
La loi doit donc avoir égard aux positions respectives des citoyens pour apprécier la criminalité de certains faits.
Cette question, d'ailleurs, ne se rapporte pas à la constitutionnalité des dispositions du projet, mais au point de savoir s'il convient ou non de punir les attaques des ministres du culte.
Mais, nous dit-on encore, où est la nécessité de punir ces attaques ?
Où est le danger ?
Est-ce que jamais les ministres du culte ont cherché à fomenter des révolutions ?
Mais l'honorable M. Van Overloop a-t-il donc oublié la révolution brabançonne ? Qui l'a faite, et au nom de quel principe ? Où est le danger ? dites-vous !
Mais le danger existera dans les moments d'agitation et d’effervescence populaire ?
Et c'est dans ces moments que la loi deviendra utile et nécessaire.
Et que deviendrait la tranquillité publique si dans ces circonstances les ministres du culte pouvaient impunément se livrer à des attaques contre le gouvernement, la Constitution et les lois ?
Il était donc sage et rationnel de réprimer par des dispositions spéciales certains faits répréhensibles que les ministres des cultes se permettraient en cette qualité seulement.
De même que le Code pénal de 1810, le projet primitif élaboré par une commission de jurisconsultes, présenté par le gouvernement et d'abord admis par la commission de la Chambre punissait de peines différentes les discours prononcés en assemblée publique, et les écrits contenant des instructions pastorales.
Les premiers étaient punis d'une peine moindre et les seconds d'une peine plus forte.
Comme nous le voyons par son premier rapport, votre commission n'avait pas pensé d'abord à examiner si les dispositions du projet étaient entachées d'inconstitutionnalité.
C'est à la suite de ce premier rapport et dans une nouvelle réunion que cette question a été soulevée.
Votre commission a adopté sur ce point une opinion que je ne puis pas plus partager que celle soutenue par l'honorable M Van Overloop.
Elle a admis que les dispositions des articles 295, 296 et 297, relatives aux discours prononcés en assemblée publique par les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, étaient constitutionnelles.
Mais qu'il n'en était pas de même des trois derniers articles relatifs aux écrits contenant des instructions pastorales.
Seulement elle admet que si les écrits pastoraux sont lus par les ministres du culte dans l'exercice de leur ministère, et en assemblée publique, ils peuvent, sans inconstitutionnalité, tomber sous l'application de la loi pénale.
Cette distinction entre les discours oraux et les écrits contenant des lettres pastorales, ne peut être admise. Il n'existe, en effet, aucune différence quant à la constitutionnalité entre les discours et les écrits.
Comment ! le législateur de 1810, et, après lui, tous les auteurs, considéraient avec raison comme étant plus graves et méritant une peine plus forte les attaques renfermées dans les écrits contenant des instructions pastorales, que les attaques proférées par paroles. Et l’on supposerait que les auteurs de la Constitution ont eu la pensée de permettre au législateur de punir le fait moins important et de lui défendre d'atteindre le fait plus grave.
Mais pour supposer une pareille contradiction, il faudrait au moins pouvoir la justifier par un texte clair, précis et formel, qui ne puisse prêter matière à aucune interprétation.
Ce texte, je ne le vois cité nulle part.
J'ai dit que les auteurs considéraient comme plus graves les attaques renfermées dans les écrits pastoraux que celles proférées par paroles. Voici, en effet, ce que disent MM. Hélie et Chauveau, n° 1990.
« Les articles 204, 205 et 206 préviennent et punissent, comme les articles que nous venons d'examiner, la censure du gouvernement et de ses actes, et la provocation à la désobéissance et à la révolte que les ministres des cultes peuvent répandre parmi les citoyens.
« Une différence sensible sépare ces crimes de ceux qui les précèdent. Il ne s'agit plus ici de censure ou de provocation commise par paroles ; la loi la prévoit et la saisit dans l'écrit qui doit la publier ; il ne s'agît pas, ensuite, de toute espèce d'écrits répréhensibles : la loi ne s'occupe que des seules instructions pastorales ; les écrits de cette classe, auxquels s'attache une haute autorité, ont paru appeler des dispositions spéciales parce que les paroles qu'ils renferment ont plus de poids et peuvent produire plus d'effet parmi les peuples.
» Mais de ces dispositions ainsi limitées on doit déduire deux conséquences : la première, c'est que les crimes qu'elles définissent ne peuvent, en général, être commis que par les évêques, puisque ces prélats seuls ont le droit de publier des instructions pastorales ; et c'est là sans doute l'une des sources de l'élévation des peines édictées par ces articles, parce que les membres du haut clergé, plus éclairés et plus puissants, se rendent plus coupables quand ils publient, dans l'exercice même de leur ministère, des écrits hostiles au gouvernement. Une deuxième conséquence, c'est qu'à l'égard de tous autres écrits répréhensibles qui seraient publiés par les ecclésiastiques et les évêques eux-mêmes, c'est au droit commun qu'il faut se référer pour y trouver les règles de responsabilité qui leur sont applicables. »
Il est donc impossible d'admettre la distinction établie par la commission entre les discours et les écrits.
Ou bien les attaques par paroles sont punissables d'après la Constitution, et dans ce cas celles renfermées dans les écrits pastoraux le sont également et à plus forte raison.
Ou bien les attaques renfermées dans ces écrits pastoraux ne peuvent être punies, aux termes de la Constitution, et alors je ne comprendrais pas comment vous pourriez décider que les attaques verbales peuvent être atteintes.
(page 506) Pour faire prévaloir cette distinction, la commission s'appuie sur l'article 16 de la Constitution. Voici cet article.
« L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, dans ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. »
Je cherche en vain dans cet article un mot qui justifie l'inconstitutionnalité des articles 298 et suivants.
Et je cherche non moins vainement quelque chose qui justifie la distinction que la Constitution a voulu établir entre les discours oraux et les écrits pastoraux.
Je ne trouve rien.
Que dit en effet cet article ?
1° Il dit à l'Etat qu'il n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination et l'installation des membres du culte. Il ne s'agit pas de cela ici.
2° Il dit ensuite que l'Etat ne pourra défendre aux ministres des cultes de correspondre avec leurs supérieurs.
3° Il dit enfin que l'Etat ne pourra défendre aux ministres des cultes de publier les actes de leurs supérieurs.
Sauf dans ce dernier cas, la responsabilité en matière de presse et de publication.
Que signifient ces derniers mots ?
Signifient-ils qu'en matière de presse et de publication les ministres du culte ne pourront être coupables que des délits ordinaires, au même titre et de la même manière que les autres citoyens ? Evidemment non.
Ces mots signifient que lorsque les ministres du culte publieront les actes de leurs supérieurs, ils encourront, de ce chef, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.
C'est-à-dire que, conformément à l'article 18 de la Constitution, si l'auteur de l'acte est connu et domicilié en Belgique, ils ne seront pas responsables de l'écrit.
Mais quant à l'auteur de l'écrit, au supérieur qui a adressé l'acte au ministre du culte, ne peut-il pas être puni à raison des attaques que cet écrit renferme ?
Voilà la question.
Or la solution de cette question ne se trouve pas dans l'article 16 de la Constitution mais dans l'article 14.
Que porte cet article ?
« Art. 14. La liberté des cultes, celle de leur libre exercice, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties ; sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »
Voilà où se trouve la difficulté.
Or, quels sont les faits que vous devez ériger en délits et ceux que vous devez tolérer ?
Cela est dans le domaine du législateur.
C'est à lui, en effet, à régler par des lois organiques l'usage des libertés inscrites dans la Constitution selon son texte et à son esprit.
Cet au législateur qu'il appartient de fixer les droits et les devoirs de chacun des citoyens suivant leur qualité et la position qu'ils occupent dans l'Etat.
Et je crois avoir établi que les ministres du culte ne pouvaient pas, lorsqu'ils agissent en cette qualité, jouir de la même latitude que les simples citoyens, pour critiquer et censurer le gouvernement et la loi.
Cela n'entre pas, du reste, dans leur mission.
Du reste, le projet primitif qui vous a été présenté, de même que le Code pénal, ne punit pas tous les écrits émanés des ministres du culte, mais seulement ceux qui renferment des instructions pastorales.
Parce que ces instructions ne peuvent émaner que des évêques agissant en cette qualité dans l'ordre de leur mission.
Or, c'est à cause de cette circonstance qu'ils sont punissables.
Ce n'est pas le citoyen qui fait une instruction pastorale, ni un mandement. C'est l'évêque, c'est le ministre supérieur du culte.
Le décret du 21 juillet 1831, sur la presse, vient encore prouver que, dans la pensée du Congrès national, la liberté de la presse et celle de la parole ne sont pas illimitées.
Voici ce que portent les articles 1, 2 et 3 :
« Art. 1er. Indépendamment des dispositions de l'article 60 du Code pénal, et pour tous les cas non spécialement prévus par ce Code, seront réputés complices de tout crime ou délit commis, ceux qui, soit par des discours prononcés dans un lieu public devant une réunion d'individus, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à les commettre.
« Cette disposition sera également applicable, lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime ou de délit, conformément aux articles 2 et 3 du Code pénal. »
« Art. 2. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué la force obligatoire des lois, ou provoqué directement à y désobéir, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans.
« Cette disposition ne préjudiciera pas à la liberté de la demande ou de la défense devant les tribunaux ou toutes, autres autorités constituées. »
« Art. 3. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits constitutionnels de la dynastie, soit les droits ou l'autorité des Chambres, ou bien aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans. »
Eh bien, je me demande si, à la suite de ces articles, on n'aurait pu inscrire ceux du projet actuel ? Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ?
Mais précisément parce que ces dispositions existaient et conservaient leur force légale.
Du reste, messieurs, je le répète, je ne puis pas plus admettre le reproche d'inconstitutionnalité des articles 298 à 300, que je ne puis admettre l'inconstitutionnalité des trois premiers.
Voyons, en effet, où nous conduirait cette distinction ?
D'après le projet primitif comme d'après le Code de 1810, l'écrit contenant une instruction pastorale n'était punissable qu'autant qu'il était publié.
La publicité était l'un des éléments du délit.
Aux termes de l'article 16 de la Constitution, les ministres du culte peuvent publier les actes de leurs supérieurs, sauf la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.
Or, suivant l'amendement de la commission et de M. le ministre de la justice, qu'arrivera-t-il lorsqu'un ministre du culte recevra un mandement ou instruction pastorale de ses supérieurs ?
S'il ne donne à l'écrit aucune publicité, il n'y aura pas délit.
Mais, s'il le publie, il faut distinguer, dit-on.
Si la publication est faite par une lecture en assemblée publique du culte, il y aura délit, si cet acte renferme des attaques contre le gouvernement.
Mais il n'y aura pas délit si la publication de cet écrit a été faite par la voie de la presse. C'est la Constitution qui s'y oppose. Mais où a-t-on trouvé cette distinction ?
La Constitution accorde le droit de manifester les opinions en toute matière.
Et dans quel article voit-on que la liberté de manifester ses opinions par la parole est plus restreinte que par la voie de la presse ?
Mais s'il y avait une distinction à établir, ce serait dans le sens inverse.
Quoi ! vous soutenez qu'il y aura délit, lorsque la publicité sera donnée par une lecture fugitive en assemblée publique. Mais que la Constitution s'oppose à ce qu'il en soit ainsi lorsque cette publicité sera donnée par la voie de la presse.
Mais la publicité est bien plus grande, bien plus dangereuse dans le second cas que dans le premier.
Il est impossible d'admettre que la Constitution ait consacré une semblable anomalie.
C'est donc vainement que l'on soutient que les trois dernières dispositions du projet sont inconstitutionnelles tandis que les trois premières ne le sont pas.
Que les auteurs de ce système l'abandonnent et qu'ils reconnaissent avec nous que les six articles en discussion sont constitutionnels, sauf à soutenir que les trois derniers articles ne devraient pas être adoptés tels qu'ils sont présentés.
Mais sur le dernier point encore je ne pourrais partager leur manière de voir, par les raisons que j'ai développées.
Je dois cependant répondre à une observation qu'on a faite pour justifier la distinction entre les discours et les écrits.
On ne peut répondre aux premiers, dit-on : mais on peut répondre aux seconds.
Cette distinction ne touche en rien à la constitutionnalité de la peine ni à la criminalité du fait.
Si vous répondez à une attaque, vous pouvez sans doute en atténuer les effets et les conséquences. Mais cela n'effacera pas le délit que cette attaque peut contenir.
Et puis, comment admettre que de simples citoyens auront assez d'influence et d'autorité pour combattre dans une réponse les effets désastreux que pourrait produire une instruction pastorale ?
Ensuite voilà que vous forcez les citoyens ou les membres du gouvernement à combattre l'autorité des ministres du culte.
Mais dans les moments de troubles et d'agitations, seriez-vous bien sûrs d'arriver à temps ?
Cette distinction ne peut donc être accueillie.
Ou les six articles sont constitutionnels, ou aucun ne le sont.
II n'y a pas de distinction.
Je crois devoir borner ici mes observations.
Celles que mon honorable collègue et ami M. Jouret a présentées dans la séance d'hier ont abrégé de beaucoup ce que j'avais à dire.
(page 507) En résumé :
J'estime, 1° que la Constitution permet d'atteindre les attaques des ministres des cultes contre le gouvernement, la loi et les actes des autres autorités publiques.
2° Que la Constitution permet d'atteindre aussi bien les attaques renfermées dans des instructions pastorales, écrites et publiées par la voie de la presse, que celles qui auraient lieu par des paroles ou par une lecture en assemblée publique.
Donc, à mon avis, vous devez adopter les six articles du projet primitif.
Je désire cependant que ces dispositions pénales restent toujours sans application.
Je désire que les ministres des cultes se renferment dans leur mission sainte et n'en sortent jamais.
La part qui leur est faite dans l'Etat est assez belle pour qu'ils ne la compromettent pas par des attaques insensées qui jetteraient le trouble et la discorde dans le pays, alors qu'ils devraient chercher à y faire régner la concorde et l'union.
Mais dans l'intérêt de l'Etat comme dans celui de la religion, il est nécessaire que des dispositions pénales existent pour réprimer les excès que les ministres des cultes pourraient commettre dans l'exercice de leur ministère.
Et à ce sujet permettez-moi de terminer par un passage du savant Carnot, dans son commentaire du Code pénal.
« Si l'on tenait strictement la main à ce que les délits que répriment les articles 201, 202, 203, 204, 205 et 206, fussent vigoureusement poursuivis et punis, on en ressentirait bientôt les plus heureux résultats.
« On ne peut se dissimuler, en effet, combien la crainte de voir reparaître les privilèges et les abus de l'ancien régime agit fortement sur le moral du peuple et que cette crainte ne soit trop souvent inspirée par les écrits et les discours que se permettent quelques ministres imprudents, lorsqu'ils ne devraient prêcher que la concorde, l'oubli du passé et l'obéissance aux lois, seul moyen d'assurer l'ordre et le maintien de la tranquillité publique. »
M. Lelièvre. - Pour arriver à une solution équitable des questions soumises aux délibérations de la Chambre, il me paraît d'abord nécessaire d'énoncer les principes qui doivent nous guider dans notre résolution.
Pour qu'on puisse frapper d'une pénalité un fait quelconque, il est essentiel qu'il ait d'abord un caractère délictueux, c'est-à-dire qu'il soit illicite, et ensuite il est indispensable qu'il soit propre à porter atteinte à l'ordre public, c'est-à dire qu'il soit de nature à produire un désordre social.
Voyons si les faits énoncés aux articles 295 et suivants du projet du gouvernement réunissent les conditions dont nous venons de parler. A mon avis, cela ne peut être douteux.
Les ministres des cultes ne sont pas, dans la société, des citoyens ordinaires. Ils ont une mission sociale d'une haute importance dont la loi reconnaît l'utilité au point qu'elle les rétribue et leur accorde un salaire proportionné aux services qu'ils rendent à l'Etat. Aussi les voit-on intervenir dans diverses branches de l'administration, par exemple dans l'enseignement.
D'un autre côté les ministres des cultes, revêtus d'un caractère sacré, parlant au peuple au nom de la religion, ont une influence doun l'abus peut donner lieu à des désordres matériels.
Qui oserait contester que par exemple des attaques contre l'autorité communale ne puissent, surtout dans les campagnes, donner naissance à des excès de tout genre ?
Il est donc évident que les attaques contre le gouvernement, les lois ou les actes de l'autorité civile, sont de nature à causer de véritables désordres dans la société à raison de la position particulière des ministres des cultes, de l'influence que leur donne leur sainte mission et des intérêts religieux dont ils sont la personnification.
D'autre part, le fait de censurer et d'attaquer les actes de l'autorité publique sont non l'exercice légitime de la liberté des cultes, mais un véritable abus de cette liberté.
En effet, n'est-il pas évident que les membres du culte, étrangers aux choses terrestres, doivent uniquement s'occuper de leur mission divine ?
Les affaires temporelles ne sont pas de leur ressort, et il y a abus de leur part du moment que, chargés d’enseigner au peuple ses devoirs moraux et religieux, ils s'immiscent dans un domaine qui relève uniquement de l'autorité civile.
Or, puisque, comme nous l'avons vu, des actes abusifs de cette nature peuvent donner lieu à des désordres et troubler la société, la loi pénale peut et doit les atteindre.
Et remarquez-le bien, notre législation fourmille d'exemples qui justifient notre système.
Ainsi, les ministres des cultes ont droit à des privilèges spéciaux ; ils sont exempts de tous services incompatibles avec leur qualité, ils ne sont pas obligés au service de la milice ni à celui de la garde civique.
Ils sont dispensés de faire partie du jury, des charges de tutelle et de subrogée tutelle.
Ils sont protégés spécialement par la loi dans l'exercice de leurs fonctions. On ne peut les interrompre dans l'exercice de leur ministère sans commettre un véritable délit.
D'un autre côté, ils sont punis plus sévèrement s'ils commettent des attentats aux mœurs ou à la pudeur.
Il est donc évident que les ministres des cultes ont une position exceptionnelle qui les oblige à des devoirs spéciaux dans l'Etat.
Or, bien certainement, au nombre de ces devoirs, se trouve celui de ne pas troubler la société par des discours étrangers à leur mission et empiétant sur le domaine de l'autorité civile. Nous pensons donc que le principe sur lequel sont fondés les articles 295 et suivants du Code pénal, ne peut être sérieusement contesté.
Ces dispositions naissent de la position spéciale des ministres des cultes dans la société et des désordres auxquels peuvent donner lieu les paroles étrangères à la religion prononcées en chaire, résultats que ne peuvent produire les mêmes actes émanés d'autres citoyens sans mission spirituelle.
J'appelle l'attention de nos contradicteurs sur ceux qui en cette occurrence appuient le système qu'ils proposent. Ce sont ceux qui écartent les ministres des cultes de toute position privilégiée et leur enlèvent même toute protection.
Ainsi, d'honorables membres veulent que les ministres des cultes puissent censurer et attaquer le gouvernement, mais aussi ils ne veulent pas que la loi les protège en quoi que ce soit.
Ces ministres seront écartés systématiquement de l'enseignement public. Lors des cérémonies publiques des cultes, les objets du culte exposés pendant son exercice ne seront pas protégés contre les outrages par paroles, et si le ministre se permet dans ses discours d'attaquer le gouvernement ou les autorités locales, les agents attaqués pourront sans doute interrompre le discours, discuter avec le prêtre et lui démontrer que ses censures et ses attaques sont dénuées de fondement. Eh bien, veut-on ce régime qu'il faut prendre en son entier et qu'on ne peut évidemment scinder en acceptant la partie favorable et rejetant celle défavorable ? Pour nous, nous ne voulons pas que les membres des cultes puissent être interrompus dans l'exercice de leur ministère, nous entendons les protéger spécialement.
Mais il est évident que cette protection donne naissance à une obligation de leur part, et cette obligation consiste à se renfermer dans les bornes de leur mission divine. Lors donc que nous maintenons les articles en discussion, nous sommes convaincus être les défenseurs des véritables intérêts religieux, parce que la conséquence nécessaire du système qui combat les dispositions dont nous nous occupons serait de laisser les ministres des cultes sans protection, d'autoriser les interruptions à leur égard, de laisser impunis les outrages par paroles envers les objets du culte, et d'astreindre les ecclésiastiques à toutes les obligations généralement quelconques qui sont imposées à tous les citoyens. La conséquence logique de ce régime devrait être la suppression complète du traitement du clergé.
Mais, dit-on, le prêtre ne pourra-t-il pas attaquer le divorce ? et comment pourra-t-il traiter ce point sans critiquer la loi civile ? Il y a encore là confusion d'idées. La loi civile, qui autorise le divorce, ne s'en occupe qu'au point de vue des intérêts civils et rien de plus.
C’est toujours dans l'ordre civil que les lois sont décrétées. Le prêtre, pour remplir sa mission divine, n'a pas besoin de s'occuper du divorce sous ce rapport ; mais il enseignera au peuple qu'au point de vue religieux, la célébration du mariage devant l'Eglise est indispensable, que ce mariage est seul reconnu par l'Eglise catholique et que c'est là un devoir de conscience imposé aux fidèles.
Il n'est donc pas besoin d'attaquer la loi civile qui ne dispose pas au point de vue de la conscience et des principes religieux, mais uniquement dans l'ordre civil relativement aux obligations auxquelles la loi civile imprime sa sanction.
Il en est de même de toutes les autres matières. Les ministres des cuites peuvent parfaitement remplir leur mission, en se dispensant d'attaquer les actes des autorités publiques.
Remarquez que des attaques dirigées contre ces actes présentent des dangers sérieux pour l'ordre social. Elles peuvent amener des collisions et des rixes au sein des communes, elles peuvent être cause d'outrages envers les autorités. Ce sont donc là des faits abusifs qui, pouvant produire des résultats funestes, doivent être atteints, puisque, d'ailleurs, ils dépassent les limites de la liberté des cultes.
Mais les dispositions dont nous nous occupons sont même propres à maintenir l'ordre dans les temples. Qui doute, en effet, que des censures des actes de l'autorité publique, des attaques contre ces autorités ne soient de nature, en provoquant des réponses et des interruptions, à amener des conflits regrettables pour l'ordre public et les cultes eux-mêmes ?
Qu'on ne l'oublie pas, si les interruptions sont prohibées dans les temples, c’est parce que la loi admet d'un autre côté qu'on n'y traitera que des matières du ressort des membres chargés d'une mission spirituelle.
Faire disparaître cette prescription, c'est donc légitimer des interruptions qui peuvent provoquer des rixes et des collisions que par mesure de police le législateur doit avoir soin de prévenir.
En conséquence les dispositions dont nous nous occupons sauvegardent les intérêts religieux, elles sont d'ailleurs la conséquence nécessaire (page 508) de la protection que la loi accorde aux ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, protection qui n'est sanctionnée que sous condition qu'il ne sera question dans leurs discours que d'instructions spirituelles et non pas de matières étrangères à leur mission.
Quant aux instructions pastorales, la commission propose d'en punir la lecture lorsqu'elle a lieu dans l'exercice des fonctions des ministres des cultes dans le cas où les discours eux-mêmes seraient réprimés. Ce système est d'une incontestable justice.
Il n'est pas possible qu'on laisse impunément donner lecture d'un écrit contenant des allégations qu'il n'est pas permis de produire oralement.
Quoi ! un ministre du culte ne pourra pas prononcer un discours censurant ou attaquant le gouvernement, et il pourra donner lecture d'un écrit renfermant ce caractère délictueux !
Mais que veut-on punir ? Ce sont les attaques et la censure dans l'exercice du ministère spirituel. C'est la consommation de ce délit dans un lieu où il peut avoir des résultats fâcheux pour l'ordre public.
Or, s'il en est ainsi, il doit peu importer qu'il s'agisse d'un écrit ou d'un discours. Ils ont évidemment la portée que la loi a voulu prévenir. Dès lors, ils doivent l'un et l’autre être atteints de la pénalité légale.
Mais si l'on donne lecture d'un écrit, on s'approprie l'écrit, c'est comme si on prononçait un discours énonçant tout ce que l'écrit renferme ; et par conséquent si le discours lui-même est puni, impossible qu'il en soit autrement de la lecture même de l'écrit.
Il y a plus, la lecture de l'écrit a même une portée bien plus grande qu'un simple discours. Quoi ! lorsque le ministre du culte parlant spontanément est déjà puni, on ne le punira pas lorsqu'il prendra la parole au nom d'un supérieur ecclésiastique dont l'autorité est plus élevée que celle du ministre auteur de la lecture ?
Il y aurait donc une anomalie injustifiable si l'on faisait à cet égard une distinction qui est contraire à la nature même des choses. Si des attaques ne peuvent être dirigées en chaire, il importe peu que ce soit par un écrit dont lecture est donnée ou par un simple discours que le fait soit commis. La criminalité est la même parce que le fait est le même et produit les mêmes résultats.
Et qu'on remarque bien qu'il ne s'agit pas d'une publication ordinaire de l'écrit. Il s'agit d'une publication dans un endroit où le ministre du culte, revêtu d'un caractère sacré, agit en vertu de sa mission spirituelle, là où il ne peut être interrompu sans trouble porté au culte lui-même, là enfin où il est protégé spécialement par la loi sous la condition qu'il se renferme dans les devoirs de son ministère, en raison duquel il est protégé.
Cette publication toute spéciale à raison du lieu où elle est faite et de l'influence que lui donne la mission du prêtre, peut avoir aussi des conséquences préjudiciables pour l'ordre public que ne peut avoir le mode ordinaire de publication.
Si donc, en ce cas, le ministre du culte est punissable, c'est à raison d'une publication qui n'appartient pas au droit commun et qui ne pourrait émaner des citoyens en général. Il est donc évident que les dispositions des articles 295 et suivants, telles qu'elles ont été arrêtées par la commission, sont conformes aux principes et à la vérité des choses.
Qu'on ne se le dissimule pas, du reste. La commission a fait preuve d'une conciliation portée très loin.
Elle a donné à la Constitution la plus grande extension en ce qui concerne les instructions pastorales.
C'était une grande question que celle de savoir si l'article de la loi constitutionnelle comprenait autre chose que les bulles émanées du souverain pontife.
Eh bien, cette difficulté sérieuse a été résolue en faveur d'une liberté presque illimitée des ministres des cultes.
La commission avait même proposé de ne punir que les attaques en chaire. Je pense que sous ce rapport il y a délit, du moment qu'il s'agit d'attaques inconsidérées ayant pour but de dénigrer soit le gouvernement, soit les autorités.
La censure des actes du gouvernement et de l'autorité publique me semble également devoir être atteinte par la loi, parce que, en sortant des devoirs des ministres des cultes, elle constitue un désordre pouvant entraîner de funestes conséquences, et d'ailleurs la censure des actes du gouvernement ou de l'autorité est en réalité une véritable attaque que la loi a en vue de réprimer.
Quant aux instructions pastorales publiées par la voie ordinaire de la presse, je suis d'avis qu’elles ne peuvent être atteintes que par les lois générales en matière de publication. Du moment qu'un ministre du culte se sert de la presse uniquement comme un simple citoyen et par les voies permises à ceux-ci, il me semble que la société est suffisamment protégée par les lois ordinaires de la presse.
L'article 16 de la Constitution est, du reste, sur ce point très explicite.
Les écrits des ministres des cultes, publiés par les voies ordinaires, restent soumis aux lois générales, mais lorsqu'on veut recourir à une publication exceptionnelle qui n'est pas permise aux autres citoyens ; lorsqu'il s'agit d'une publication faite dans un lieu où certains discours sont prohibés, il est impossible de ne pas mettre les écrits dont il est donné lecture sur la même ligne que les discours eux-mêmes.
Sous ce rapport, je partage complétement l'avis de la commission et celui du gouvernement.
M. Manilius. - Messieurs, la commission que vous avez nommée au début de cette séance pour vérifier les opérations électorales qui ont eu lieu hier à Gand, m'a chargé de vous présenter son rapport.
Il y a eu 1,180 votants, la majorité était donc de 591. M. Jules Vander Stichelen a obtenu 1,156 suffrages et a été proclamé par le bureau membre de la Chambre des représentants
La commission a reconnu que les opérations électorales ont été faites régulièrement, aucune réclamation n'est venue à sa connaissance ; elle conclut, par conséquent, à la proclamation de M. Jules Vander Stichelen comme membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Pirmez. - J’ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner la partie du projet de loi portant révision du Code pénal, qui contient le titre VI du livre II de ce Code.
- Ce rapport sera imprimé et distribué, la discussion de cette partie du Code est mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Julliot. - Messieurs, j'avais demandé à parler dans la discussion générale, mais on m'a inscrit sur l'article 295 ; or, je n'ai pas le talent d'épiloguer sur un article de loi, j'étendrai donc un peu le terrain ; d'ailleurs l'honorable M. Joseph Jouret, a fait une digression hier jusqu'en 1857, je n'irai pas si loin et je serai court.
Je compte donc sur l'indulgence de la Chambre.
Selon moi, la stabilité des lois est un des grands bienfaits que les gouvernants peuvent procurer aux gouvernés.
D'une part : quand les lois sont stables, elles s'identifient avec les mœurs, leur observance est transmise de père en fils, et il en est des lois comme des impôts, les anciennes sont toujours mieux supportées que les nouvelles.
D'autre part : le principe qui domine toutes les lois répressives, c'est que chacun est censé connaître la loi. Or, plus les lois sont modifiées, plus ce principe en fait est faux et mensonger. Je déduirai les conséquences de cet axiome.
Le remaniement des lois, quand il n'est pas indispensable, est donc condamné au premier chef par les sciences morales et politiques, et cependant nous sommes huit mois de l'année en permanence pour réviser et allonger nos lois ; nous rechercherons quels en sont les motifs principaux.
La Constitution a prescrit de réviser le Code pénal ; on a laissé écouler trente ans avant d'obéir à cet ordre ; est-ce maintenant la Constitution ou l'expérience qui nous amène à réviser 300 articles à la fois ? Je ne le sais. Mais ce que je crois savoir, c'est que quand la Constitution a ordonné cette révision, elle a déclaré implicitement que le Code pénal basé sur la constitution de l'empire, sur le concordat de 1801, et mis en rapport avec la loi fondamentale de 1815, devait être modifié dans le sens de la Constitution de 1830 qui changeait radicalement les lois sur la presse et les rapports entre l'Etat et les cultes religieux.
On nous propose de modifier 300 articles du Code actuel, mais je me demande quels sont ceux des articles proposés, qui modifient en principe les dispositions de 1810 dans le sens de la séparation de l'Etat et de l'Eglise et je n'en trouve aucun ; on dirait que nous sommes encore en 1810.
On touche donc gratuitement à une matière délicate que l'on pouvait respecter en en abandonnant l'application aux tribunaux, si on ne voulait pas reconnaître, avec moi, que dans l'esprit de la Constitution, les protections spéciales et les répressions spéciales des cultes n'avaient plus de raison d'être, qu'on pouvait se contenter du droit commun en abandonnant aux mœurs et la protection morale et la répression morale en ce qui concerne les cultes ; tel est, selon moi, l'esprit de la Constitution .
Je m'attends à voir les uns combattre la protection comme exagérée, mais approuver la répression ; d'autres feront le contraire, mon principe seul peut les mettre d'accord.
Car, si à droite ou à gauche, on trouve la Constitution trop libérale, qu'on le dise, mais qu'on ne la torture pas dans des sens différents.
L'honorable ministre de la justice a déjà dit que c'est la faute de la Constitution, si on se trouve dans une situation qui n'offre rien de logique.
Puis, depuis que nous sommes réunis, la commission ne révise-t-elle pas tous les jours sa révision ?
Le gouvernement ne modifie-t-il pas ses rédactions ?
Tout cela dénote que le terrain où ou se trouve est du sable mouvant.
Si vous envoyiez ce travail entier à une autre commission de légistes capables, en leur demandant s'il n'y a plus rien à faire, il est probable qu'elle vous renverrait le travail avec 200 modification en plus.
Si au contraire vous envoyiez ce Code à une réunion d'hommes qui voient la marche de la société de plus près, parce que leur vue n'est pas oblitérée par les poussières des bureaux administratifs, je présume qu'il vous reviendrait écourté d'un tiers de ses dispositions, voilà ce que je pense. Car si la société s'est moralisée et améliorée de 20 pour cent (page 509) depuis 30 ans, comme le dit la statistique, il faut réduire en proportion les lisières qui la soutiennent.
Déjà nous avons modifié le code forestier, la loi hypothécaire, la loi sur les faillites, nous en sommes au code pénal, nous en viendrons au code rural et au crédit foncier.
Eh bien, je n'hésite pas à le dire, il y a là-dedans de l'imitation française, et ce qui le prouve c'est que cet exemple est invoqué dans les exposés des motifs mêmes de ces lois.
Si l'on ne me croit pas, on n'a qu’à recourir aux dates respectives de ces lois.
Je n'approuve pas les imitations, et je préfère que nous gardions nos défauts avec nos qualités et que nous soyons nous.
J'approuve qu'on modifie dans nos lois des parties importantes, telles que l'abolition de la mort civile, de l'embauchage, qu'on définisse bien l'usure et la coalition, mais qu'à ce propos on bouleverse tout un code pour faire quoi, augmenter tel délit de deux jours de prison, diminuer tel autre de trois jours, modifier les maxima ou les minima de chaque amende et de chaque détention en ne tenant aucun compte des inconvénients graves de bouleverser sans motifs sérieux des centaines de dispositions législatives, je le comprends difficilement.
Les lois, pour être bonnes, doivent compter avec le principe philosophique, l'économie sociale, les sciences morales et politiques et le droit proprement dit ; eh bien, c'est toujours l'élément avocat qui absorbe le tout, il est partout à dose exagérée.
Messieurs, je comprends que le jeune homme qui quitte l'université bouleverserait les sept codes à h fois si on le laissait faire, c'est dans son rôle, mais je pense que l'âge mûr doit être sobre quand il s'agit de modifier les lois qui ne sont que les mœurs et les usages écrits, et qu'il est sujet à se tromper comme le prouve l'organisation judiciaire dont ou veut déjà réformer la réforme.
J'améliorerai donc par mon vote autant de détails que je pourrai, j'élaguerai tout ce qui me semble superflu, et comme il est probable que je me trouverai en minorité, je voterai, je le suppose, contre l'ensemble de la loi.
M. Pirmez. - Messieurs, avant d'aborder la grave discussion qui occupe en ce moment la Chambre, je dois répondre quelques mots aux paroles que l'honorable préopinant vient de prononcer et qui forment comme une sorte d'intermède dans cet important débat,
Si l'on a attendu longtemps, comme le dit l'honorable M. Julliot, avant de réviser le Code pénal, lui aussi a été bien tardif pour nous présenter ses observations. Il y a plusieurs années que la discussion du premier livre a eu lieu ; c'est là surtout que les changements étaient graves ; car vous n'ignorez pas que de toutes les dispositions qui composent l'ensemble de ce Code, ce sont celles du premier livre qui constituent les plus nombreuses et les plus importantes innovations.
Or, l'honorable M. Julliot s'est-il levé alors ? a-t-il tâché d'empêcher ses collègues de s'aventurer dans la voie où il déplore de les voir engagés ? Loin de là, l'honorable membre a assisté à la longue discussion de cette époque et après cela qu'a-t-il fait ? Il a voté pour le projet de loi. Je me demande donc comment il se fait que ce qui était bon pour lui en 1851 soit devenu mauvais aujourd'hui.
Et quelle est l'occasion que l'honorable membre saisit pour faire ses observations ? C'est le moment où nous discutons ce qui touche aux délits des ministres des cultes, relativement auxquels, sans nous dire quel sera son vote, il nous engage à faire des changements au Code de 1810 pour le mettre en harmonie avec la Constitution. Le gouvernement et la commission vous proposent des changements, et c'est précisément alors que M. Julliot vient critiquer l'œuvre à laquelle nous travaillons, en prétendant qu'il n'y a rien à faire.
Mais les modifications que nous avons apportées à la législation existante sont-elles donc si insignifiantes, si puériles que le prétend l'honorable membre ?
M. Julliot. - Je n'ai pas dit puériles.
M. Pirmez. - Vous n'avez pas dit puériles ; mais c'est votre pensée. Vous nous reprochez de diminuer l'emprisonnement de deux jours dans certains cas, de l'augmenter de deux jours dans certains autres. Si la Chambre, en s'occupant d'un pareil travail, n'avait d'autre but que d'augmenter ou de diminuer les pénalités de deux jours d'emprisonnement, le travail auquel elle se livre serait un travail puéril.
Eh bien, j'engage M. Julliot à examiner le projet, à le comparer aux dispositions actuelles du Code pénal, et il verra qu'à presque chaque article on a apporté des changements et des changements importants, non pas de ces changements théoriques que l'honorable membre paraît mépriser, mais des changements que l'expérience de tous les jours a rendus nécessaires. Et si cette lecture ne le convainc pas, j'engage l'honorable membre à assistera à quelques audiences des tribunaux répressifs, et il verra que les peines que commine le Code de 1810 ne sont presque jamais appliquées. Et en effet que s'est-il passé ? En 1814, le roi Guillaume a dû prendre deux arrêtés pour introduire dans ce Code de 1810 le système des circonstances atténuantes en matière criminelle. Depuis lors la faculté de correctionnaliser les crimes a été introduite dans nos lois, et il en est fait un très fréquent usage, parce que les peines du Code de 1810 sont hors de toute proportion avec les faits jugés d'après les idées qui sont dans nos mœurs actuelles.
En matière correctionnelle, il en est de même. Les tribunaux ne prononcent pas les peines comminées par le Code en vigueur. Mais au moyen du système des circonstances atténuantes, ils prononcent très ordinairement des peines moindres.
Aussi, messieurs, le Congrès, en 1830, a fait un devoir à la législature de modifier le Code pénal. Dès 1834, on s'est mis à l'œuvre, mais c'était un travail considérable, une tâche immense ; la législature en a abordé l'examen, il y a six ans ; nous sommes occupés à le continuer. Je demande si l'obéissance aux prescriptions du Congrès est chose blâmable et si, lorsque la pratique demande tous les jours la révision du Code pénal, nous n'obéissons pas à un devoir en y procédant.
Mais je suis étonné que ce reproche d'innover parte de l'honorable M. Julliot. Je ne sache pas que le système de l'honorable membre soit l'immobilité absolue. Lorsque l'honorable membre attaque nos lois économiques, si on lui répondait : La stabilité des lois est une bonne chose ; conservons les droits différentiels, les primes sur la pêche, les droits protecteurs même au-delà de 50 p. c, je demande si l'honorable membre trouverait cette manière de raisonner bien convaincante.
Messieurs, je ne pense pas que dans la matière qui nous occupe plus qu'en toute autre, nous soyons astreints à l'immobilité. Lorsque l'utilité de faire des changements est démontrée, il faut savoir les opérer.
Je demande d'ailleurs à l'honorable membre de vous citer les articles ou l'on s'est borné aux faibles modifications qu'il a indiquées ; qu'il ne se borne pas à des généralités au milieu desquelles il est très difficile de saisir sa pensée et de le réfuter, nous verrons alors si l'œuvre à laquelle nous travaillons est si inutile qu'il le dit.
Cela posé, permettez-moi, messieurs, d'aborder la grave question qui attire maintenant votre attention.
La discussion qui s'est élevée n'étonnera personne. Lorsque les projets qui vous sont soumis touchent aux grands principes qui sont consacrés dans notre pacte fondamental ; lorsque vous êtes appelé à tracer les limites qui séparent les droits de la liberté de ceux du pouvoir, il est naturel que les susceptibilités s'éveillent, et que chacun cherche à sauvegarder les droits en présence qu'il est de la plus haute importance de conserver également intacts.
Aussi n'est-il personne d'entre nous qui puisse être indifférent à la solution qui va intervenir, et déjà nous avons vu les fruits des études auxquelles cette question a donné lieu dans les divers systèmes qui vous ont été présentés et entre lesquels vous avez à choisir.
Un fait étrange cependant se produit : le projet que la commission et le gouvernement vous soumettent est attaqué en vertu des principes les plus opposés, cette remarque n'a pas échappé aux observations de M. Jouret, et par ceux qui désirent et par ceux qui redoutent l'extension des idées religieuses.
MM. De Fré et Van Overloop voient leurs vœux converger contre les dispositions qui nous occupent.
En dehors de cette opinion radicale, deux systèmes encore sont produits ; MM. J. Jouret et Ch. Lebeau, dans les remarquables discours qu'ils ont prononcés, ont prétendu que les projets du gouvernement et de la commission (je montrerai tantôt qu'ils ne sont pas réellement différents) ne répriment pas assez ; M. Moncheur, au contraire, rapporteur de la commission à laquelle il a donné dans le dissentiment qui les sépare tant de preuves de ses sentiments loyaux et conciliants trouve qu'il réprime trop.
C'est là, je tiens à le constater, un indice non équivoque de la modération qui a guidé ceux au nom desquels l'adoption du projet vous est proposée ; aussi espérons-nous le démontrer, il est l'expression exacte des principes qui nous gouvernent en cette matière, la résultante de toutes les dispositions que nos lois consacrent, en sorte qu'il est impossible de ne pas l'accueillir, si l'on ne veut rompre l'harmonie de notre législation et l'égalité des droits qu'elle doit assurer à chacun.
Le débat, messieurs, comprend deux questions, qui doivent être examinées séparément.
La première est celle-ci : Pouvons-nous et devons-nous interdire aux ministres des cultes de faire la critique ou la censure des actes de l'autorité dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique ? Cette question est la question fondamentale, c'est celle qui embrasse tous les grands principes de la matière.
La seconde est celle-ci : En supposant que ce premier point soit admis, faut-il y ajouter des dispositions particulières quant aux écrits pastoraux, soit pour 1'étendre, soit pour le restreindre, ou faut-il les laisser régis par cette disposition combinée avec les principes du droit commun ? C'est une question accessoire qui ne comprend qu'une espèce d'actes particuliers.
Voilà, messieurs, les deux questions que nous avons à examiner. J'aborde la première.
Pouvons-nous et devons-nous, par des dispositions particulières, interdire aux ministres des cultes, dans les cérémonies du culte, de critiquer ou de censurer les actes de l'autorité ?
Et d'abord, messieurs, je me demande si la Constitution nous défend de prendre ces dispositions ? Y a-t-il dans la Constitution un texte qui en contienne la prohibition ?
Messieurs, la réponse à cette question a déjà été donnée ; il n'y a pas un texte, pas un, d'où l'on puisse induire semblable conséquence. Un seul article s'occupe du point qui est maintenant soumis à votre attention, c'est l'article 14. Or, il réserve formellement le droit au législateur (page 510) de déterminer quels sont les délits auxquels l'exercice des cultes peut donner lieu.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit de déterminer les délits.
M. Pirmez. - Si ce n'est pas à la législature à déterminer les délits, je demande à l'honorable M. Dumortier qui les déterminera.
M. B. Dumortier. - La loi générale, la loi commune.
M. Pirmez. - Mais la loi n'est-elle pas l'œuvre de la législature ?
J'ai dit et je répète que d'après l'article 14 de la Constitution, il appartient à la législature qui fait la loi, de déterminer quels sont les délits. (Interruption.) Voilà ce que j'ai dit ; pas autre chose.
Je ne me suis pas prononcé sur le point de savoir si ces dispositions seront ou non spéciales aux ministres des cultes. J'examinerai tout à l'heure cette question que l'honorable M. Dumortier a soulevée.
Je constate de nouveau quels sont les termes de l'article 14 de la Constitution : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. »
Or, comme la Constitution n'a pas prévu un seul délit, force est bien de recourir à la loi, c'est-à-dire qu'il nous appartient de prendre les dispositions nécessaires pour réprimer ces délits.
Aussi, ce n'est pas sur un texte positif qu'on s'appuie, pour soutenir l'inconstitutionnalité de projet, c'est sur les tendances de la Constitution, sur son esprit, sur sa portée générale.
Et ici je me demande comment des hommes professant les principes les plus opposés se sont tout d'un coup rencontrés pour soutenir que le projet est inconstitutionnel ? Comment est-il possible que ces principes contraires viennent, dans le moment actuel, s'unir pour arriver au même résultat ?
Messieurs, je crois qu'il est bien aisé d'indiquer la cause de cette erreur qui est différente selon les différents principes des membres qui attaquent les articles en discussion.
Les uns, prenant leurs désirs pour la réalité, ont pensé que la Constitution était d'une indifférence absolue en matière de culte ; les autres qui, dans toute autre circonstance, combattraient ce sentiment de toute leur énergie, n'ont pas tiré, dans cette circonstance, les conséquences qui découlent de l'opinion contraire qu'ils professent. Il en est résulté que les uns sont partis d'une base fausse, et que les autres qui ne pouvaient contester la base, ont manqué ici aux lois de la logique.
Messieurs, dans les pays qui ont admis le principe de la tolérance religieuse, nous trouvons deux grands systèmes de législation, profondément différents entre eux.
Le premier de ces systèmes consiste à laisser le culte absolument en dehors de toute prescription législative, à ne pas le soutenir, à ne rien régler à son égard ; à placer dans le droit commun les réunions dans lesquelles il se pratique comme toute autre réunion, à le tolérer, mais à ne pas s'en occuper spécialement.
Quelle est la conséquence de ce premier système ?
C'est que le législateur qui n'attribue aucun effet au culte, qui le regarde comme indifférent, ne doit pas d'abord salarier ses ministres, dépenser des sommes toujours considérables pour une chose qu'il ne considère pas comme utile.
La loi ne prendra d'ailleurs aucune de ces dispositions qui lui sont favorables.
Ainsi pas d'édifices consacrés au culte appartenant à l'État ou à des corps qui en émanent ; pas de fonds pour la construction et l'entretien de ces édifices ; pas d'institutions exceptionnelles en faveur du culte ; pas de fabriques et pas de fondations ; pas de faveur pour ceux qui se destinent à devenir ses ministres ; pas d'exemptions pour eux ni avant qu'ils le soient, ni après qu'ils le sont devenus ; pas de protection spéciale pour les cérémonies religieuses ; pas de peine qui protège le culte contre le trouble qui peut être apporté à son exercice.
Si ce système était celui qui est en vigueur chez nous, ce serait, je l'avoue, une flagrante injustice de porter les dispositions qui nous sont proposées. Si nous ne reconnaissions pas le culte pour lui donner des avantages, ce serait une mesure inique de le reconnaître pour appliquer des peines à l'occasion de son exercice.
Mais ce système est-il celui de notre pacte fondamental ?
La Constitution a-t-elle considéré une réunion de fidèles assemblés pour adorer Dieu, comme une réunion ordinaire, comme un meeting, ainsi qu'on l'a dit ?
Le Congrès, en admettant de la manière la plus large la liberté religieuse en ne consacrant pas la supériorité d'un culte sur l'autre, a-t-il pour cela été d'une indifférence absolue à l'égard du culte ?
Loin de là : pour le Congrès le culte est une chose essentiellement bonne : il n'en faut pas d'autre preuve que l'obligation qu'il a imposée à la législature de faire chaque année des sacrifices pécuniaires considérables pour en assurer les bienfaits au pays.
Le corps constituant est parti de cette idée que la religion qui élève l'homme vers Dieu, qui le fait réfléchir sur le bien et le mal, appelle son attention sur ce qui se passe après la vie, sur les récompenses réservées aux bons et les châtiments qui attendent les méchants, que la religion, dis-je, et à ne la considérer même qu'à un point de vue purement humain, est un élément puissamment moralisateur et de la plus haute utilité au maintien de la société. Si tel n'avait point été son point de départ, l'obligation de servir des traitements aux ministres des cultes serait un non-sens.
La législature a-t-elle suivi le Congrès dans la voie qu'il lui a ouverte ?
Mais faut-il encore énumérer tous les avantages que la loi accorde, tous les moyens qu'elle emploie pour protéger le culte ?
Les fabriques existent ; c’est une institution de droit exceptionnel, une personne morale instituée pour permettre aux églises de posséder des biens.
Les édifices publics servent de réunions aux fidèles ; les lois obligent la société à les maintenir dans un état convenable.
On a pensé que la vie militaire dispose mal en général au ministère des autels, que ceux qui ont la mission de faire triompher la force matérielle, sont moins aptes ensuite à ramener les esprits par la douceur, que le langage des camps est une mauvaise préparation à celui du temple ; la loi a prononcé l'exemption de la charge la plus lourde de celles que le peuple doit supporter, de celle qui porte le triste nom d'impôt du sang.
Voilà des avantages nombreux admis par nos lois. Mais pourquoi sortir du projet que nous discutons ? N'avons-nous pas placé les cérémonies religieuses sur un rang tout exceptionnel ? Le moindre trouble est frappé d'une peine sévère quelle que soit sa nature, qu'il soit un fait matériel direct ou que, dirigé contre les objets du culte, ou contre ses ministres, il ne l'atteigne qu'indirectement ?
On le voit, nous sommes loin du premier système que nous avons exposé. Mais quelle conséquence avons-nous à tirer de cet état de choses, pour le débat actuel ?
Je ne voudrais pas dire que parce que nous donnons des avantages aux ministres du culte nous avons le droit de leur imposer un sacrifice ; que parce que nous les favorisons, nous avons droit à une compensation ; si une atteinte devait être portée à leur liberté, ce serait un marché immoral ; la liberté est inaliénable ; si le prêtre venait nous demander des faveurs quelconques en offrant d'abandonner une partie de sa libre action, je refuserais sans hésiter un pareil compromis ; et à plus forte raison ne voudrais-je pas l'imposer.
Mais, messieurs, il est d'autres conséquences de l'état de choses que je viens d'avoir l'honneur d'exposer.
En effet, messieurs, cet esprit général de notre Constitution et de notre législation toute entière impose à la législature des devoirs, et lui donne des droits.
Je dis d'abord que ces dispositions imposent à la législature le devoir de prendre les précautions indispensables au maintien du paisible exercice des cultes.
La raison en est simple :
Vous venez de voir que le projet exige impérieusement que chacun respecte les cérémonies religieuses et s'abstienne de tout ce qui pourrait les troubler. La loi doit prendre les moyens nécessaires pour que cette obligation puisse être remplie.
Or, il serait impossible d'atteindre le résultat que l'on se propose si l'on admettait comme licites des faits subversifs de tout ordre.
Nous voulons garantir une complète tranquillité aux personnes qui assistent aux cérémonies des cultes, nous voulons empêcher que les cérémonies ne puissent être troublées ; dès lors, nous devons avoir le devoir d'exiger des ministres du culte qu'ils ne soient pas eux-mêmes une cause de trouble. N'est-il pas nécessaire, pour assurer l'accomplissement de l'obligation que nous nous imposons, que nous supprimions toutes les circonstances qui entraîneraient nécessairement à y contrevenir ?
Mais si nous autorisons le prêtre à venir soulever en chaire les questions les plus irritantes, à blâmer les actes de l'autorité, à froisser les assistants dans leurs convictions les plus intimes, dans leurs convictions étrangères au culte et qui ne regardent que la vie politique, avons-nous encore le droit d'exiger que ceux qui assistent aux cérémonies du culte conservent tout le respect qu'ils doivent à la sainteté du lieu où ils se trouvent ? Cela n'est évidemment pas possible, et j'en trouve la preuve même dans le discours de l'honorable M. Van Overloop.
L'honorable membre a tellement bien compris qu'il est impossible d'empêcher qu'on ne trouble les cérémonies du culte, si on permet au prêtre de se livrer à certaines attaques, qu'il a déclaré qu'on pourrait dans ce cas lui répondre au milieu de la cérémonie religieuse ; une discussion s'ouvrirait ainsi et l'église se trouverait transformée en un véritable club.
N'est-il pas évident qu'un pareil système n'est pas soutenable ? Nous avons le devoir de faire en sorte que des cérémonies du culte restent calmes et imposantes ; nous ne voulons pas que la discussion puisse pénétrer dans l'église ; et cependant c'est là que nous arriverions inévitablement, de l'aveu même de l'honorable M. Van Overloop, si nous rejetons les dispositions qui nous sont présentées.
Ainsi, messieurs, par cela même que nous voulons que le culte soit respecté, nous devons empêcher tout ce qui serait de nature à provoquer des causes de trouble des cérémonies du culte.
Messieurs, les sacrifices que s'impose l'Etat, et qu'il accepte dans l'intérêt de la société, lui confèrent un droit incontestable, celui d'exiger que l'exercice du culte soit régulier et permanent, de manière que tous les citoyens qui le pratiquent soient toujours assurés de trouver les satisfactions qu'y puisent leurs consciences.
(page 511) Si donc un ministre du culte voulait suspendre l'exercice de son ministère, la loi aurait évidemment le droit d'intervenir pour l'empêcher, et le contraindre à remplir les obligations inhérentes à ses fonctions. Or, messieurs, si l'on permettait que des controverses eussent lieu au sein des temples, que des provocations partissent du haut de la chaire, n'est-il pas évident que l'exercice du culte pourrait être à chaque instant entravé au grand préjudice moral des fidèles qui vont à l'église pour prier Dieu et entendre des paroles édifiantes ?
J'ai le droit, de par la loi, de pratiquer librement le culte qui convient à ma conscience ; j'ai le droit de puiser dans l'exercice de ce culte toutes les consolations morales qui me le font pratiquer ; dès lors, ne porterait-on pas une atteinte évidente à ce droit si le prêtre, au lieu de discours religieux que je m'attends à entendre sortir de sa bouche, faisait retentir la voûte du sanctuaire de paroles haineuses ?
L'église doit être pour moi une retraite paisible où j'ai le droit d'aller me recueillir et prier ; ce droit est le corollaire des sacrifices que l'Etat s'impose, on ne peut donc pas permettre aux prêtres qu'elle soit transformée et qu'elle devienne une arène de discussions irritantes au lieu d'être un lieu de paix et de prières.
Et voyez, messieurs, quelle serait l'inconséquence de notre législation si nous n'admettions pas le système du gouvernement et de la commission ?
Nous comminons des peines contre les troubles matériels. Qu'est-ce qu'un trouble matériel ? C'est un bruit passager qui disparaît la plupart du temps avec la cause qui l'a produit et ne laisse aucune trace dernière lui. En est-il de même du trouble moral ? En est-il de même du trouble que causent des discours politiques ? Non, messieurs, ces paroles restent gravées dans la mémoire de tous ; elles laissent après elles la défiance contre le ministre du culte qui les a proférées et elles suscitent des ressentiments profonds que le temps ne parvient que difficilement à effacer. Et ici, messieurs, j'en appelle aux souvenirs de tous les membres de cette Chambre ; et je leur demande s'ils n'ont pas toujours vu entouré de respect le prêtre qui est resté étranger aux luttes politiques ; tandis que ceux qui sont sortis de leur sphère pour s'y mêler ont toujours vu leur autorité s'y amoindrir.
Mais, messieurs, la Constitution nous impose le devoir de maintenir l'influence religieuse du prêtre, et c'est précisément parce que ce devoir nous incombe que nous devons empêcher cette influence de décroître ; et il n'y a, certes, pas de cause plus active de décroissance que son immixtion dans les affaires temporelles.
J'ai parcouru, messieurs, les conséquences diverses des deux systèmes de législation qui se concilient avec la tolérance religieuse ; vous avez vu que le système de l’indifférence n'est pas celui que la Constitution a consacré ; ce n'est pas non plus celui que le gouvernement et la commission vous proposent de sanctionner.
Il me reste encore à répondre aux arguments particuliers qui ont été présentés contre la constitutionnalité du projet que nous défendons.
Aurais-je, messieurs, dans les observations que je viens d'avoir l'honneur de présenter, aurais-je mal posé la question ? L'honorable M. Van Overloop l'a posée d'une autre manière ; voici, selon lui, dans quels termes elle se présente : « Est-il permis à la loi de défendre à un Belge ministre du culte, des actes qu'elle ne pourrait pas interdire à un Belge non ministre du culte ? »
Mais, messieurs, je dois, ne fût-ce que pour l'honneur des principes, protester contre cette manière de déterminer le débat.
Si nous ne pouvons jamais défendre à un Belge ministre du culte, des actes que nous ne défendons pas à un Belge non ministre du culte, nous devons aussi dire que nous ne pouvons par défendre à un Belge salarié par l'Etat, des actes que nous ne défendons pas à des Belges non salariés par l'Etat.
Evidemment il y a identité. Si le principe de l'égalité des Belges est tel que le suppose l'honorable M. Van Overloop, je suis en droit d'en faire l'application que j'indique.
La conséquence sera l'interdiction de prononcer contre le fonctionnaire une seule peine que nous ne prononcerons pas contre les personnes non fonctionnaires.
Et cependant, messieurs, nous venons de discuter le titre IV du projet dans lequel il n'est question que des délits des fonctionnaires, et pas un membre de cette Chambre n'a trouvé qu'il y avait là une inconstitutionnalité ; même dans les discoure de l'honorable membre, que je combats, je n'ai pas entendu un mot touchant l'observation que je présente.
Il serait difficile d'apprécier toutes les conséquences de ce système ; c'est ainsi qu'il faudrait biffer toutes les dispositions qui régissent l'armée. Car je pourrais dire aussi : La loi ne peut défendre à un Belge militaire ce qu'elle ne défend pas à un Belge non militaire ; or je demande ce que deviendrait l'armée avec cette idée ?
Messieurs, je viens de dire que je ne pouvais pas, au point de vue des principes, admettre la position de la question telle que l'a présentée l'honorable M. Van Overloop ; je crois que ce serait une monstrueuse erreur. Mais pour l'occurrence, je veux bien l'admettre. Ainsi ne parlons plus des conséquences singulières qui peuvent résulter de la proposition de l'honorable membre. J'admets pour un moment que nous ne pouvons défendre à un Belge ministre du culte ce que nous ne défendons pas à un Belge non ministre du culte.
En résulte-t-il que nous ne pouvons pas accueillir les dispositions qui nous sont présentées ? Evidemment non.
Y a-t-il un Belge quelconque, ministre du culte ou non, qui puisse au milieu d'une cérémonie du culte, faire un discours politique ? Mais si je me présentais dans une église pour faire des observations sur une loi quelconque, si je voulais monter en chaire et faire un discours, je serais puni comme ayant troublé le culte. Eh bien, si le ministre du culte fait la même chose, il subira la même peine. Il y a donc égalité dans les deux cas. Bien loin de vouloir défendre à un Belge ministre du culte ce que nous ne défendons pas à un Belge non ministre du culte, nous voulons défendre à tous les Belges les mêmes actes, parce que, peu importe la personne qui posera ces aces, ils sont dommageables au culte que nous avons le devoir de protéger.
Messieurs, s'il n'en était pas ainsi, voyez quelles seraient les conséquences ! Il en résulterait que la loi accorderait à une certaine catégorie de citoyens une position, des bâtiments, des fondations, pourquoi ?
Pour avoir exprimé leurs opinions politiques. Si vous voulez que les ministres des cultes fassent des discours politiques, vous devez reconnaître que vous leur accordez le droit exceptionnel d'avoir dans chaque commune une tribune politique.
Or, je demande si, au lieu de conserver l'égalité, un pareil système n'en serait pas la violation la plus inique, la plus flagrante, la plus inexplicable ?
Messieurs, on a invoqué d'autres principes encore, celui de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ah ! messieurs, ce principe, soyez-en convaincus, est aussi sacré pour moi que pour aucun de vous ; mais les dispositions que nous défendons ont-elles pour résultat de permettre l'immixtion du pouvoir civil dans les affaires du culte. Je ne m'étais pas imaginé qu'elles pussent jamais être considérées comme ayant une pareille portée. Pour moi, elles ont un but tout à fait contraire. Comment ! nous disons que nous ne voulons pas que les ministres des cultes s'occupent des actes de l'autorité publique, et l'on verrait là une atteinte à la séparation des pouvoirs ? Pour empêcher la confusion, nous plaçons entre eux la barrière d'une peine, et l'on veut voir là une usurpation du pouvoir civil sur le pouvoir religieux ? Mais si cette disposition n'existe pas, si l'on veut soutenir que le ministre du culte peut faire la critique, peut faire la censure des actes de l'autorité civile, c'est le pouvoir religieux qui vient empiéter sur le pouvoir civil, c'est lui qui sort de sa sphère pour empiéter sur la sphère du pouvoir parallèle.
Je crois que ces principes sont tellement clairs, que je me serais gardé de les exposer, si l'honorable M. Van Overloop, dans le discours plein d'intérêt du reste qu'il a prononcé hier, n'avait pas fait valoir ces arguments.
Mais, messieurs, les considérations que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre sont, dira-t-on, du domaine théorique ; descendons dans le domaine pratique.
Pourquoi ces dispositions ? On nous l'a dit hier. Elles ne reçoivent presque jamais leur application. Pourquoi dès lors les maintenir ?
Messieurs, je crois que ce serait un singulier grief fait à une loi pénale que de dire qu'elle est rarement appliquée. Pourquoi fait-on des lois pénales ? Est-ce seulement pour le plaisir de réprimer les délits qui se commettent, pour donner uniquement satisfaction aux sentiments de justice que tous les hommes ont dans leur cœur ? Mais n'est-ce pas au contraire pour prévoir les infractions ? Quand on punit un coupable, le but n'est pas tant de lui faire expier sa faute que de dégoûter ceux qui auraient la tentation de marcher sur ses traces.
Voilà l'objet de la loi pénale.
Or, n'est-ce pas un reproche mal fondé que de dire : On n'a pas puni les délits que votre loi prévoit. Mais si l'on avait eu souvent à punir les délits, bien loin de demander le maintien de cette loi, j'en demanderais le changement, je dirais : Cette loi est inefficace ; si elle n'a pas empêché les infractions, il faut que nous renforcions les peines ou que nous les abaissions, car l'abaissement des peines est souvent un moyen d'augmenter la répression ; mais c'est précisément parce que la loi a atteint ses effets préventifs qu'il ne faut pas la changer.
Mais, messieurs, en fait cette loi n'a-t-elle jamais été appliquée ? Je crois que c'est une erreur de le prétendre. Déjà j'ai entendu citer en dehors de cette enceinte plusieurs faits. Ainsi je sais que dans l'arrondissement de Huy, deux jugements en semblable matière ont été rendus. Pourquoi ces jugements n'ont-ils pas eu de publicité ? Parce qu'ils ne soulevaient pas de question de droit.
Vous le savez, dans les recueils de jurisprudence, on n'indique pas les jugements qui ne résolvent aucun point de jurisprudence et qui n'ont d'intérêt que pour celui qui est en cause, il y a donc eu certainement un certain nombre de condamnations prononcées, et cela suffit pour prouver que ces dispositions ne sont pas inutiles.
Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, je ne fais pas de distinction entre le projet du gouvernement et le projet de la commission. Permettez-moi d'indiquer, en quelques mots, quels sont les points de dissemblance entre ces deux projets.
La commission n'avait puni que les attaques contre les actes de l'autorité civile. Le mot « attaque » avait remplacé les mots « la critique ou censure ». Le gouvernement a pensé qu'il devait maintenir ces mots. A mes yeux, les deux expressions sont équivalentes.
(page 512) Remarquez qu'on ne dit pas : « la critique ou la censure », je crois que c'est par erreur que le texte des amendements de M. le ministre de la justice porte le mot « la ».
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La critique ou censure.
M. Pirmez. - Le mot « ou » a le sens de « sine » et non de « aut ». La critique, qui ne serait qu'un examen sans intention de blâmer, ne serait pas punissable. C'est la critique qui est une censure, c'est-à-dire un blâme quelconque jeté sur un acte de l'autorité, que l'on veut prévoir. Or, dans ces termes, l'expression dont se sert M. le ministre a le même sens que le mot « attaque ». Car vous ne pouvez blâmer sans attaquer, ni attaquer sans blâmer.
Maintenant, pour quoi la rédaction du gouvernement doit-elle, selon moi, être préférée à celle de la commission ? C'est parce qu'elle n'innove rien. Si nous changions l'expression, nous ferions penser que nous avons modifié la portée de la disposition.
Or, loin de rendre un service au clergé, nous lui tendrions un piège ; il pourrait croire que nous avons restreint la portée de la loi, que nous lui avons permis des actes qu'il ne pouvait poser précédemment, je crois que les tribunaux lui prouveraient qu'il se trompe s'il donnait au mot « attaque » une autre portée qu'aux mots « critique ou censure ». Le plus sage donc est de conserver la rédaction ancienne qui jusqu'à présent n'a donné lieu à aucune difficulté.
Telles sont les observations que j'avais à vous présenter sur la première question soumise à votre examen.
Qu'il me soit permis de le dire à mes adversaires politiques. Le précèdent que vous voulez poser est très dangereux ; si vous écartez complétement les peines dont il est question dans les dispositions que nous avons à voter, vous supposez nécessairement que l'Etat doit demeurer étranger aux cultes. Eh bien, lorsque vous aurez admis ce point, soyez-en convaincus, ceux qui veulent faire prévaloir le principe de l'indifférence en matière de cultes s'en empareront contre vous ; lorsqu'une conséquence de ce principe sera gagnée, ce sera un point d'appui pour remonter jusqu'à la source et une à une on supprimera les faveurs dont jouissent les cultes. Ce sera en vain que vous refuserez d'admettre alors ce que votre décision d'aujourd'hui suppose ; les hommes peuvent être conséquents, les faits ne le sont jamais.
J'ai maintenant à aborder le second point du débat.
- Plusieurs membres. - A demain !
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.