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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 février 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 465) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

Le sieur Verbeek, saunier à Anvers, prie la Chambre de n'apporter aucune modification à la loi du 5 janvier 1844. »

« Même demande du sieur De Rest, saunier à Lierre, et de débitants et consommateurs de sel raffiné des provinces de Brabant, de Hainaut, de Liège et de Namur. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les membres du conseil communal et des habitants demandent que l'arrêté de la députation permanente de la province de Liège, du 8 septembre 1858, fixant la hauteur des haies longeant les chemins pavés ou empierrés, à 1 mètre 40 centimètres, soit rapporté. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les commissaires de police de l'arrondissement de Courtrai, faisant fonctions d'officiers du ministère public près les tribunaux de simple police, demandent qu'il leur soit accordé un traitement en rapport avec l'importance de ce mandat et de leurs cantons respectifs. »

- Même renvoi.


« Le sieur Meinertzhagen demande à être dispensé du payement des droits d'enregistrement attachés à l'acceptation de la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée. »

- Même renvoi.

« Le sieur Minderjan, facteur rural démissionné, demande à être réintégré dans ses fonctions. »

- Même renvoi.

Rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 25 janvier 1859, la dame Vergeylen demande d'être admise à établir ses droits aux bourses d'études fondées à l'université de Louvain par Remi Drieux, dit Driutius.

Messieurs, la commission s'est d'abord posé la question si elle n'aurait pas dû vous proposer l'ordre du jour, parce que ce n'est pas à la Chambre qu'il appartient de statuer sur les titres que peut avoir la dame Vergeylen à participer aux bourses d'études dont il s'agit ; mais, par égard pour la pétitionnaire, la commission vous propose le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de la justice.

M. de Luesemans. - Messieurs, je ne veux pas m'opposer d'une manière absolue au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, cependant je crois que, dans l'intérêt de la pétitionnaire, il serait plus convenable de passer à l'ordre du jour, après les explications que je vais avoir l'honorable de donner à la Chambre.

La fondation Remi Drieux, dit Driutius, est administrée, pour la partie des bourses attribuée aux parents des fondateurs, par des collateurs administrateurs qui sont à Louvain. Ceux-là forment le premier degré de juridiction pour l'admission des demandes de la nature de celle qui est soumise à la Chambre et sur laquelle par conséquent la Chambre est incompétente, pour statuer.

Lorsque ce premier degré de juridiction est épuisé, l'appel est ouvert devant le gouvernement. S'il n'y a pas de parents, les bourses par moitié sont à la collation de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre de la justice.

Je crois pouvoir affirmer que la pétitionnaire n'a fait aucune démarche auprès des administrateurs de Louvain, et le signe que vient de me faire M. le ministre de la justice me fait comprendre qu'elle n'en a pas fait non plus dans ses bureaux : c'est ce qu'elle aurait dû faire tout d'abord.

Lorsqu'une bourse est vacante, la vacance en est proclamée, et ceux qui croient y avoir droit s'adressent aux collateurs ! C'est ce qui n'a pas eu lieu dans l'occurrence.

Maintenant, pour abonder dans le sens de observations présentées récemment par M. le ministre de l'intérieur, à savoir que l'espèce de passe-port qu'on vient solliciter de la Chambre pour des pétitions, fait que ces pétitions sont moins bien accueillies que celles qui sont adressées directement à l'administration ; je demande à la Chambre si, dans cet état de choses, il ne faudrait pas passer à l'ordre du jour : ce qui ne signifie pas qu'on dédaigne la pétition ; cela signifie seulement qu'il y avait une meilleure marche à suivre par la pétitionnaire.

Si l'ordre du jour n'était pas adopté, et je déclare ne pas insister, je demanderais que la pétition fût renvoyée à M. le ministre de l'intérieur qui doit statuer de son côté au même titre que M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai fait prendre dans les bureaux quelques renseignements sur cette affaire ; il en résulte que la pétitionnaire n'a fait aucune démarche afin d'être admise à participer aux bourses de la fondation Remi Drieux.

Seulement un fonctionnaire du département a cru se rappeler qu'une dame portant ce nom s'était présentée dans les bureaux et avait demandé non la participation aux bourses de cette fondation, mais avait revendiqué les biens affectas aux bourses.

On lui avait dit que c'était là une question du ressort des tribunaux et dont le département n'avait pas à s'occuper.

Je ne m'oppose du reste pas à ce qu'on me renvoie cette pétition.

M. de Luesemans. - Je n'ai pas insisté pour qu'on passe à l'ordre du jour, mais si l'on ordonne un renvoi il faut que ce soit un double renvoi aux ministres de la justice et de l'intérieur.

- Le double renvoi est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Molenbeek-Wersbeek le 7 janvier 1859, le conseil communal et des habitants de Molenbeek-Wersbeek demandent que le chemin de fer de Louvain à Diest soit dirigé par Winghe-Saint-Georges, et qu'il soit accordé une garantie d'un minimum d'intérêt pour assurer l'exécution de cette voie avant celle de l'embranchement d'Aerschot à Diest.

Même demande du conseil communal et d'habitants de Meensel-Kieseghem, Winghe-Saint-Georges, Lubbeek, Attenrode-Wever et des administrations communales de Becquevoort, Webbecom, Caggevinne-Assent et Waenrode.

Par pétition datée de Bincom, le conseil communal de Bincom déclare adhérer aux pétitions des conseils communaux de Winghe-Saint-Georges et de Lubbeek, relatives à la construction du chemin de fer direct de Louvain à Diest, par Winghe-Saint-Georges.

Même adhésion du conseil communal de Kerkom.

Une autre pétition de Kersbeek-Miscom est encore arrivée à la Chambre depuis l'impresion du feuilleton ; elle a été communiquée à la commission qui propose la même conclusion que sur les précédentes.

La commune de Kersbeek-Miscom demande aussi la concession d'un chemin de fer de Louvain à Diest par Winghe-Saint-Geo-ges avec garantie d'un minimum d'intérêt.

Comme vous le comprenez, la demande d'accorder un minimum d'intérêt sur un chemin de fer à construire a soulevé dans la commission des objections. On a dit que le temps d'accorder des minimum d'intérêt était passé, qu'on n'en accordait plus. Pour ce premier point s'il n'y avait eu que cela, la commission aurait probablement proposé l'ordre du jour ; mais comme l'utilité de la route demandée est incontestable, il paraît qu'elle réaliserait de grands avantages pour les localités intéressées, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi pur et simple au ministre des travaux publics.

M. de Luesemans. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de la commission tendante au renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics. Mais je ne puis pas me rallier aux motifs que la commission vient de faire valoir par l'organe de son rapporteur.

Je ne me prononcerai pas maintenant sur la question de savoir si le temps des garanties de minimum d'intérêt est ou n'est pas passé : je croirais en cela préjuger des solutions qui appartiennent évidemment à la législature.

Seulement, je ne m'explique pas trop comment il se fait que la commission ait, d'une part, reconnu l'utilité incontestable d'une voie de communication entre Louvain et Diest, et, d'autre part, déclaré que celle-ci devait être en quelque sorte repoussée dans ce qu'elle a d'essentiel, la garantie de minimum d'intérêt.

Je dirai, quant à moi, comme j'ai eu déjà l'honneur de le dire, que nous subissons en ce moment une épreuve et qu'un avenir très prochain nous dira si le gouvernement a bien ou mal fait en accordant par la loi de 1851 une garantie de minimum d'intérêt à quelques sociétés. Mon opinion sur ce point n'est pas douteuse, mais la discussion en serait prématurée. Quoi qu'il en soit, j'appuie la proposition qui vient d'être faite.

Je me permettrai d'appeler l'attention du gouvernement et de la Chambre sur quelques rétroactes. Je serai très concis.

Déjà, lors de la discussion du budget des travaux publics pour 1858, j'avais eu l'honneur d'indiquer à l'honorable M. Partoes. l'indispensable nécessité de relier enfin, après des promesses multipliées. la ville de Diest au réseau général des chemins de fer.

M. le ministre eut alors l'obligeance de me faire une réponse qui nous remplit d'espérances IlI me répondit entre autres choses ce qui suit

Si une compagnie sérieuse se présentait pour exécuter cette ligne à des conditions acceptables, le gouvernement n'hésiterait pas à soumettre des propositions formelles à la Chambre, persuadé qu’elles y trouveraient un accueil favorable.

Le gouvernement, messieurs, a rempli sa promesse autant qu’il était en lui, et voici comment.

(page 466) Depuis longtemps il avait obtenu des Chambres l'autorisation de concéder, sans garantie de minimum d'intérêts, un chemin de fer de Louvain a Hereunhals par Aerschot.

Immédiatement après les paroles si bienveillantes que je viens de rappeler, un demandeur sérieux se présenta pour obtenir la concession de cette ligne.

L'honorable ministre me communiqua cette demande, et il fut convenu entre nous qu'il ne concéderait pas Louvain à Herenthals purement et simplement, mais qu'il y mettrait pour condition que la ville de Diest serait reliée à ce chemin de fer à Aerschot, et c'est ce qu'il fit.

Cette condition, messieurs, nous l'avons obtenue et je puis dire que j'y ai été pour quelque chose, car j'ai eu à cette époque des entretiens et des correspondances presque journaliers avec M. le ministre des travaux publics et avec les demandeurs en concession ; cette condition, dis-je, nous l'avons obtenue, et par un arrêté royal du 31 octobre 1858, M. le ministre des finances chargé par intérim du département des travaux publics a concédé provisoirement, mais irrévocablement, la ligne de Louvain à Herenthals par Aerschot, et éventuellement le tronçon d'Aerschot à Diest.

C'est là un fait accompli dont je remercie le gouvernement ; je désire ne pas perdre le bénéfice. Les raisons déterminantes de ce désir sont sensibles ; il s'agit de relier au réseau général des chemins de fer, des centres de populations très nombreuses, telles que les villes de Diest et d'Aerschot et les communes populeuses de Montaigu, de Sichem et d'autres encore.

Mais, depuis lors, de nouvelles propositions ont été faites au gouvernement et c'est à ces nouvelles propositions que les pétitions qui viennent d'être analysées font allusion. Ces nouvelles propositions tendent à racheter, par une trajectoire à peu près directe la distance de Louvain à Diest et à passer par Winghe-Saint-Georges au lieu de relier Diest au réseau général, au point d'intersection à Aerschot,

Les nouveaux demandeurs en concession qui jusqu'à présent n'ont pas encore tout à fait développé leur projet, mais que je crois être des demandeurs sérieux, affirment que les localités qui doivent être favorisées le plus par le tracé d'Aerschot à Diest par Montaigu n'auraient rien ou presque rien à perdre à leur projet ; ils disent que d'un autre côté les localités qui seraient déshéritées dans le cas où le projet arrêté s'exécute sans modification, auraient tout à y gagner ; ainsi en serait-il des communes populeuses et importantes de Winghe-St-Georges, de Lubbeek et de la contrée connue sous le nom de Hageland. En un mot, on propose la solution du problème le plus difficile que cette affaire soulève, c'est-à-dire de donner satisfaction à tout le monde.

S'il en était ainsi, il est évident qu'aucune opposition ne pourrait être formée par les députés de Louvain contre une semblable demande. C'est par ces motifs que, sous la réserve que j'ai eu l'honneur d'exprimer, que je n'entends pas perdre le bénéfice des faits accomplis, que je n'entends point que le nouveau projet puisse être un obstacle ou retarder l'exécution du projet primitif, je m'associe à la demande de renvoi à M. le ministre des travaux publics, et je prierai cet honorable ministre de dire s'il a pu examiner suffisamment cette affaire pour pouvoir me donner l'assurance qu'il a pour la communication de Diest à Louvain les sentiments de sympathie que mon honorable prédécesseur a témoignés à plusieurs reprises.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, l'honorable député de Louvain me demande si j'éprouve, pour la voie de communication qui doit relier Louvain à Diest, la même sympathie que mon honorable prédécesseur.

A cet égard il n'y a pas le moindre doute. Je connais toute l'importance que la ville de Diest a à être reliée au réseau général des chemins de fer, et la question de convenance, d'utilité, est une question décidée. Il s'agit désormais de savoir s'il se présente une société qui offre au gouvernement des conditions acceptables.

Ainsi que vous l'a dit l'honorable M. de Luesemans, l'affaire a déjà reçu une sorte de solution, sous réserve de la sanction de la législature, bien entendu. Cette solution est écartée pour quelque temps, mais par le fait même du canton de Diest, qui réclame une nouvelle combinaison, un nouveau tracé est présente et à cette réclamation se lie aussi une nouvelle combinaison financière.

Le gouvernement a donc aujourd'hui à examiner l'affaire au double point de vue du tracé et de la nouvelle combinaison financière proposée, et je puis donner à l'honorable député de Louvain l'assurance que je mettrai à cet examen toute la promptitude possible. Je puis lui garantir, je le répète, que je comprends parfaitement l'intérêt qu'à la ville de Diest à ère reliée au réseau des chemins de fer, et que la question sera étudiée avec le désir très sincère d'aboutir à une solution dans ce sens.

M. Coomans. - Quoique ce point intéresse assez notablement le district que je représente, je ne comprends pas bien la conversation qui vient de s'engager entre 1 honorable M. de Luesemans et l'honorable ministre des travaux publics.

Ces honorables préopinants semblent supposer que le gouvernement et la Chambre sont en droit en ce moment de modifier l'arrêté royal du 31 octobre dernier, qui a accordé à M. Riche la concession du chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Du tout, cet arrêté reste debout.

M. Coomans. - L'arrêté reste debout ; c'est ce que je veux dire. Mais si j'ai bien compris, vous promettez d'examiner une nouvelle combinaison, un nouveau tracé proposé par les pétitionnaires de Diest. Or, il me semble qu'il n'y aura lieu d'examiner cette nouvelle combinaison, ce nouveau tracé, que lorsque le concessionnaire provisoire du chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot aura été mis en demeure d'exécuter ses engagements ; jusque-là, il y a un pacte indissoluble entre le gouvernement et le concessionnaire.

Il n'est pas même nécessaire que la législature se prononce sur cet arrêté royal, qui a été pris en vertu d'une loi, votée par les Chambres en 1853. Le gouvernement avait le droit d'accorder la concession d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals, en vertu de cette loi de 1853, en vertu d'une disposition de cette loi, adoptée sur ma proposition. Il n'y a donc pas lieu de discuter en ce moment la question soulevée par l'honorable M. de Luesemans Il faudra attendre que M. Riche ne soit pas à même d'exécuter ses engagements, car s'il les exécute, le nouveau plan de M. de Luesemans n'aura pas de suite.

M. de Luesemans. - Messieurs, si l'honorable préopinant avait bien voulu remarquer qu'au lieu d'une simple conversation, je faisais une interpellation très sérieuse, il aurait peut-être pris un peu plus attention à mes paroles, il les eût un peu mieux comprises, il ne m'aurait pas fait dire exactement le contraire de ce j'ai dit. Jamais il n'a été question dans ma pensée et il n'a pu être question de revenir sur l'arrêté du 31 octobre dernier. Il me semblait que j'avais dit assez clairement que je n'entendais pas qu'il fût apporté à l'exécution de cet arrêté le moindre obstacle ni même le moindre retard.

M. Coomans. - Vous avez parlé de Winghe-Saint-Georges au lieu d'Aerschot.

M. de Luesemans. - C'est tout autre chose. L'arrêté du 31 octobre contient deux stipulations parfaitement distinctes : l'une relative au chemin de fer de Louvain à Herenthals.

M. Coomans. - Par Aerschot.

M. de Luesemans. - Evidemment il ne peut s'agir d'un autre tracé.

Et aussi, il ne peut s'agir d'apporter à l'arrêté du 31 octobre des changements, des modifications, ni même des retards, je le répète. Cela est bien net. Mais sur mes instantes démarches, le gouvernement a bien voulu ajouter à cet article uns concession éventuelle, mais définitive en ce sens que M. Riche se trouve aujourd'hui lié envers le gouvernement et le gouvernement envers M. Riche ; cette concession éventuelle concerne le raccordement de la ville de Diest, avec le réseau général des chemins de fer, au point d'intersection d'Aerschot.

Je ne préjuge pas, j'ai même dit, et je sens le besoin de répéter à chaque instant parce qu'on semble en douter, que j'entendais, quant à moi, ne pas perdre le bénéfice de ce raccordement. J'ai dit, du reste, qu'une nouvelle combinaison était proposée, combinaison sur laquelle je me garde de me prononcer, mais par laquelle on prétend résoudre ce problème-ci : Donner satisfaction à tout le monde. Je n'entends pas, je le répète encore, porter la moindre atteinte à la communication entre Louvain et Herenthals par Aerschot et entre cette dernière ville et Diest, mais je ne me refuse pas à examiner la nouvelle proposition et je prie le gouvernement de vouloir bien l'examiner à son tour.

M. Coomans. - Il ne le peut pas.

M. de Luesemans. - Il le peut certainement avec le concours de M. Riche. (Interruption.) Mais c'est évident puisque M. Riche a un droit qu'il est impossible de lui enlever, à moins qu'il ne se trouve dans les conditions de déchéance, et j'espère bien qu'il n'en viendra jamais là. Cela n'empêche pas que le gouvernement ne puisse mettre en présence les deux demandeurs de concession, et aviser.

Ainsi, nous sommes d'accord, même avec l'honorable M. Coomans, puisqu'il ne peut pas s'agir de changer, contre le gré de M. Riche, le traité du 31 octobre. Tout ce que l'on peut faire, c'est d'examiner si les promesses qui sont faites sont réalisables, et c'est la seule chose que je demande en appuyant le renvoi à l'honorable ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, je voulais fournir à la Chambre les mêmes explications que l'honorable M. de Luesemans. La difficulté entre l'honorable M. Coomans et nous provient d'un malentendu.

Le gouvernement a été autorisé à concéder la construction d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot. La concession a été accordée. Cela est fait et cela est irrévocable. Or, pour favoriser les intérêts si sérieux de Diest, le gouvernement a posé à la concession du chemin de fer de Louvain à Herenthals par Aerschot, la condition de construire un embranchement d'Aerschot à Diest, moyennant, pour le concessionnaire, la garantie d'un minimum d'intérêt à concurrence d'une certaine somme.

Il est évident que cette partie du contrat qui est intervenu entre le gouvernement et M. Riche, c'est le nom du concessionnaire, devrait être éventuellement ratifiée par la législature.

La question se présente donc aujourd'hui en ces termes ; il y a une partie du contrat sur laquelle on ne peut plus revenir ; c'est la concussion du chemin de fer de Louvain à Herenthals, par Aerschot ; il y a une autre partie qui n'est que provisoire et qui a besoin de la sanction législative.

(page 467) Maintenant des habitants du canton de Diest demandent que cette ville ne soit pas reliée à Louvain par un embranchement à la ligne de Louvain à Herenthals, prenant son point de départ à Aerschot, mais par une voie directe de Diest à Louvain. Eh bien, je dis que la question sur ce point est encore ouverte. (Interruption.)

Faites attention que M. Riche ne tient pas à construire son embranchement d’Aerschot à Diest ; il considère cette partie de son contrat comme essentiellement onéreuse ; et si le gouvernement pouvait s'entendre avec un autre concessionnaire pour la construction d’un chemin de fer direct, M. Riche ne demanderait pas mieux que de renoncer à son embranchement. C'est dans ce sens que la question est encore ouverte et qu'il y a lieu à examen ultérieur.

M. Coomans. - Messieurs, je suis presque d'accord avec M. le ministre des travaux publics, mais je ne le suis pas du tout avec l'honorable M. de Luesemans qui, par conséquent, ne l'est pas non plus avec M. le ministre des travaux publics.

L'honorable M. de Luesemans a dit d'abord, et c'était là l'objet de ma réclamation, qu'il s'agissait de modifier la ligue de Louvain à Herenthals par Aerschot de façon que…

M. de Luesemans. - ... Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - Si nous maintenons le tracé de Louvain à Aerschot...

M. de Luesemans. - Irrévocablement.

M. Coomans. - Alors nous sommes d'accord sur le tracé, mais alors aussi, il est évident, d'après ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics, que nous n'avons rien à faire pour le moment, que nous n'avons rien à recommander à l'honorable ministre, attendu que le gouvernement est irrévocablement engagé jusqu'à ce que M. Riche soit mis en demeure de remplir ses promesses.

Qu'aurions-nous à recommander au gouvernement pour le moment ? Le gouvernement est lié ; n'anticipons pas sur l'avenir ; le gouvernement est lié envers M. Riche, non seulement quant à la ligne de Louvain à Aerschot, mais aussi quant à la ligne de Diest à Aerschot. Or, jusqu'à ce que M. Riche vienne lui-même proposer des modifications à ce contrat, nous n'avons rien à faire...

M. de Luesemans. - C'est ce que j'ai dit.

M. Coomans. - Sur quoi discutons-nous alors ? Lorsqu'il s'agira de modifier le contrat, nous aurons beaucoup de choses à dire ; nous aurons, entre autres, à démontrer que le but des chemins de fer est d'aller vite et à bon marché ; qu'il faut, par conséquent, leur donner le tracé le plus court qui est aussi le moins cher.

Chaque fois qu'on viendra proposer, dans un intérêt local, de faire faire des courbes à des chemins de fer, je m'y opposerai toujours. C'est ce qu'on a eu quelquefois en vue ; c'est peut-être la pensée de l'honorable M. de Luesemans.

M. de Luesemans. - Je demande la parole.

M. Coomans. - C'est ce que nous verrons plus tard. Pour le moment, je le répète, nous n'avons rien à faire.

Je me borne à défendre le tracé le plus court de Charleroi et de Louvain à Aerschot et Turnhout. Toute cette discussion ne peut pas aboutir. Nous devons respecter les engagements pris, et attendre que l'heure vienne de songer à d'autres combinaisons. Cette heure n'a pas sonné, que je sache.

M. de la Coste. - Messieurs, je ne dirai que peu de paroles. J'appuie le renvoi pur et simple des pétitions à M. le ministre des travaux publics qui me paraît comprendre parfaitement bien l'état de la question. Je ne suis pas tout à fait de l'avis de l'honorable M. Coomans. Je ne crois pas qu'une concession éventuelle, accordée par le gouvernement, crée un droit exclusif. Ainsi, il y a même d'autres directions vers Diest, que le gouvernement a le droit de concéder, eu vertu de la loi.

Je ne pense donc pas que la concession accordée à M. Riche lie le gouvernement de manière qu'il ne puisse pas admettre une autre direction qui serait trouvée préférable.

J'ai dit que j'appuyais le renvoi pur et simple des pétitions à M. le ministre des travaux publics, parce que, avec l'honorable M. de Luesemans, je ne puis pas m'associer à une partie des observations de l'honorable rapporteur, qui tendent à préjuger la question du minimum d'intérêt. Ce n'est pas le moment de la discuter ; mais s'il s'agissait d'entamer cette discussion, il y aurait au moins des raisons très exceptionnelles à faire valoir en faveur de l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte.

L'honorable M. de Luesemans s'est félicité de la part qu'il a prise à la négociation relative au chemin de fer de Diest ; qu'il me soit permis, à mon tour, de me féliciter ici de la part que j'ai prise à la création du chemin de fer de Louvain à la Sambre ; je m'en félicite d'autant plus, que le minimum d'intérêt qui a été accordé pour faciliter l'exécution de ce chemin de fer ne coûtera dorénavant pas un denier au trésor, la société concessionnaire elle-même paraissant très disposée à renoncer entièrement au bénéfice de cette clause. Ainsi le gouvernement, en prenant un simple engagement moral, sauf quelques avances qui ne sont pas une charge très lourde pour le trésor, a amené la construction d'une voie de communication très importante qui peut déjà se suffire sans le concours du budget.

Eh bien, messieurs, si tout ou partie de ce que la législature a bien voulu accorder pour cette voie ferrée et que celle-ci ne réclame plus, était appliqué au chemin de fer de Louvain à Diest, la question serait résolue. Je borne là mes observations. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Luesemans. - Je n'ai plus que deux mots à dire ; c'est pour répondre presque à un fait personnel. L'honorable M. Coomans m'a supposé des intentions, je ne crois pas que ce soit parlementaire.

M. Coomans. - Elles ne sont pas mauvaises.

M. de Luesemans. - Vous m'avez supposé l'intention de préconiser des chemins tortueux et vous ne pouvez douter que j'ai l'habitude d'aller toujours par la ligne la plus droite.

M. Coomans. - En fait de chemin de fer on a vu les plus honnêtes gens préconiser des voies tortueuses.

M. de Luesemans. - J'ai voulu répondre que si quelqu'un devait ici se montrer satisfait, ce serait l'honorable M. Coomans ; car loin que les pétitionnaires veuillent des courbes, ils demandent au contraire précisément ce que demande l'honorable membre, c'est-à-dire, aller de Louvain à Diest par la ligne la plus droite. Mais je ne dis pas qu'il faille l'accorder ; si j'avais eu une semblable opinion et qu'elle fût bien arrêtée, je m'en serais formellement expliqué, je me serais gardé de proposer le renvoi au ministre, avec prière de faire des études. Je me suis donc borné au rôle de narrateur, j'ai reproduit les arguments des pétitionnaires et des demandeurs en concession, j'ai dit qu'ils voulaient abréger les distances, en accordant cependant des facilités à toutes les localités importantes situées entre Louvain et Diest, tant à celles qui se trouvent entre Diest et Aerschot, qu'à celles qui sont sur le parcours de Diest à Louvain par Winghe-St-Georges.

Mon désir le plus vif est que toutes les communes de mon arrondissement profitent, dans la mesure du possible des avantages que donnent les chemins de fer construits à leur proximité ; par cette raison je demande que tous les moyens pour arriver à ce résultat soient sérieusement examinés, mais je n'aurais pas pris la parole s'il devait résulter de l'examen auquel je convie le gouvernement un péril ou un retard quelconque dans l'exécution de la convention faite avec M. Riche-Restiau ; j'ai eu trop de peine à l'obtenir pour la compromettre par d'imprudentes paroles. Du reste la déclaration de M. le ministre des travaux publics est trop rassurante pour que j'aie rien à craindre de ce côté.

- Le renvoi au ministre des travaux publics est mis aux voix et prononcé.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, où par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère

Chapitre III. Des détournements et des concussions commis par des fonctionnaires publics
Article 258

M. le président. - La parole est à M. Moncheur pour présenter le rapport de la commission sur l'amendement à l'article 258 proposé par M. Lelièvre.

M. Moncheur, rapporteur. - L'honorable M. Lelièvre a proposé hier un amendement tendant à abaisser d'un degré la peine prononcée contre les agents, préposés ou commis qui se rendraient coupables des crimes ou délits prévus par les articles 255 et 257 du projet, sauf rédaction de cet amendement. Aujourd'hui M. Lelièvre a rédigé, au sein de la commission, l'amendement dont il s'agit. Il est conçu comme suit :

« Les agents, préposés ou commis du gouvernement qui se seront rendus coupables des détournements, destructions ou suppressions prévus par les articles 255 et 257 seront punis conformément à ces articles et suivant les distinctions qui y sont établies.

« Les agents, préposés ou commis de fonctionnaires ou officiers publics ou de personnes chargées d'un service public seront condamnés savoir : dans le cas du premier paragraphe de l'article 255 à un emprisonnement de deux ans à cinq ans, dans le cas du second paragraphe du même article à un emprisonnement de trois mois à cinq ans, et dans les cas prévus par l'article 257 à la réclusion.

« X. Lelièvre. »

La commission, messieurs, après avoir mûrement examiné cet amendement, ne l'a pas accueilli.

Elle n'a pas cru devoir changer, sur ce point la législation actuellement en vigueur.

Les motifs qui ont guidé la commission sont ceux-ci :

Les commis, agents ou préposés des fonctionnaires dont il est parlé dans les articles 255 et 257 et qui se rendent coupables des crimes ou délits que ces articles prévoient, abusent de la confiance dont ils sont investis d'une manière aussi coupable que les fonctionnaires publics eux-mêmes. Ils ont, en outre, autant de facilité que ces derniers pour détourner les valeurs ou pour détruire ou supprimer les pièces ou les actes qui leur sont confiés.

Quant à la preuve de ces faits, elle est aussi difficile à faire à leur égard qu'à l'égard des fonctionnaires eux-mêmes.

Enfin, ils peuvent engager la responsabilité civile de leurs chefs ou patrons à un point excessif ; au point même de les ruiner, dans leur fortune, dans leur réputation et leur crédit.

On a comparé les cas prévus par les articles 255 et 257 avec celui que définit l'article 259, c'est-à-dire avec les crimes ou les délits de concussion commis par les agents ou préposés des fonctionnaires publics, crimes ou délits à l'égard desquels la commission propose de faire une distinction entre les préposés et les fonctionnaires, et de punir les premiers moins sévèrement que les seconds ; mais les motifs que nous venons de déduire n'existent point, quant à l'article 259.

(page 468) En effet, la concussion est un fait d'une toute autre nature que la soustraction de deniers ou la suppression frauduleuse de pièces ou d'actes ayant une valeur indéterminée.

La concussion ne peut pas se commettre dans l'ombre et par le délinquant tout seul ; il ne peut se perpétrer que par la mise de ce délinquant en rapport direct avec la personne dont il veut exiger plus qu'elle ne doit, à titre d'impôt ou d'autres prestations.

Cette personne peut donc se défendre et maintenir son droit.

Le fait incriminé ne peut se commettre, en quelque sorte, que contradictoirement entre le concussionnaire et la personne envers laquelle la concussion s'exerce.

Il suit de là que c'est surtout le caractère public du fonctionnaire qui lui sert, par l'abus qu'il en fait, pour arriver à ses fins. Or, le commis, l'agent ou le préposé qui n'a pas ce caractère, qui ne peut abuser par conséquent d'un caractère dont il n'est pas revêtu, n'a point, comme dans les cas des articles 255 et 257, la même facilité de commettre la concussion que le fonctionnaire public lui-même.

En second lieu, la preuve du crime, du délit de concussion est infiniment plus facile à faire que celle du détournement de valeurs ou de la suppression de pièces ou d'actes.

Enfin les crimes ou les délits de concussion ne peuvent porter que sur des valeurs relativement faibles, comparées à celles qui peuvent être soustraites au moyen des crimes ou délits prévus par les articles 255 et 257, et par conséquent les commis ou les agents des fonctionnaires publics ne pourraient, en aucun cas, engager civilement la responsabilité de ces derniers à un point désastreux pour eux.

Par ces motifs, la commission vous propose, messieurs, à la majorité de trois voix contre une, le rejet de l’amendement de l'honorable M. Lelièvre, et l'adoption de l'article 25S du projet tel qu'elle vous l'a présenté.

M. Lelièvre. - Messieurs, je crois devoir maintenir l'amendement que j'ai rédigé dans les termes suivants :

« Les agents, préposés ou commis du gouvernement qui se seront rendus coupables de détournements, destructions ou suppressions prévus par les articles 255 et 257 seront punis conformément à ces articles et suivant les distinctions qui y sont établies.

« Les agents, préposés ou commis de fonctionnaires ou officiers publics ou de personnes chargées d'un service public, seront condamnés, savoir : dans le cas du premier paragraphe de l'article 255, d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans ; dans le cas du second paragraphe du même article, d'un emprisonnement de trois mois à trois ans, et dans les cas prévus par l'article 257, de la réclusion. »

Il est d'abord certain, à mon avis, que l'article 258, tel qu'il est proposé par la commission, ne peut être admis.

En effet, il se réfère à l'article 257. Or, cet article 257 fait, à l'égard du fonctionnaire public, la distinction suivante :

S'il s'agit d'un acte dont le fonctionnaire public est dépositaire en cette qualité, il est passible de la peine des travaux forcés à temps.

S'agit-il, au contraire, d'un acte qui a été simplement communiqué au fonctionnaire à raison de ses fonctions, on n'applique à ce dernier que la peine de la réclusion.

Cette distinction n'est évidemment applicable qu'au fonctionnaire lui-même, et cependant la commission l'applique au commis, ce qui présente une véritable anomalie ; mais le commis est étranger à la circonstance dont il s'agit, et cependant on le frappe plus ou moins gravement à raison d'une circonstance personnelle au fonctionnaire public.

Ce n'est pas tout ; remarquez que l'article 258 que nous discutons est relatif à deux cas. Le premier concerne le détournement des fonds, le second est relatif à la suppression d'actes. Or, quant au détournement de fonds, il est évident que le commis ne peut être puni aussi gravement que le fonctionnaire public tenu envers l'Etat d'obligations spéciales à raison des deniers dont il est dépositaire.

II y a une différence notable entre le fonctionnaire public et le commis.

La commission reconnaît elle-même ce principe, puisque dans l'article 259, relatif à la concussion, elle établit une diversité dans la peine entre le fonctionnaire public et le commis.

C'est une véritable inconséquence, en ce qui concerne le détournement des deniers, de frapper le commis de la même peine que le fonctionnaire public, alors qu'on établit une différence en ce qui concerne la concussion.

Quant à ce qui concerne la suppression des titres, nous prononçons dans tous les cas contre le commis la peine de la réclusion qui, comme l'on sait, consiste en une détention de cinq à dix ans ; or cette pénalité est plus que suffisante pour la répression du fait.

Les honorables MM. Muller et Savart ont démontré hier à l'évidence la nécessité d'établir une distinction entre le fonctionnaire qui trahit la confiance de la loi et le simple commis qui n'est pas revêtu de la qualité à laquelle sont attachées des obligations spéciales.

Si l'on veut conserver une juste proportion entre la peine et le délit, il faut nécessairement établir une différence entre l'homme revêtu d'un caractère public et le simple particulier qui ne commet qu'un délit ordinaire.

Je ne répéterai pas les considérations que j'ai développées hier. Je ne puis que m'y référer.

La commission dit que les commis ont une aussi grande facilité que les fonctionnaires, pour commettre les crimes.

Mais ce qui établit une différence, c'est la qualité de fonctionnaire public. Or, le commis n'a pas cette qualité, c'est ce qui le rend moins coupable. En effet, il y a une infraction spéciale envers la société qui n'est pas imputable à l'agent. Voilà une différence dont il faut tenir compte.

M. Pirmez. - Messieurs, vous avez à choisir entre deux projets de rédaction de l'article 258 : celui de l'honorable M. Lelièvre et celui de la commission.

Je crois que la rédaction proposée par M. Lelièvre est complétement inadmissible. Il suffit d'en examiner les termes pour en être convaincu. L'honorable membre a dépassé de beaucoup le but qu'il se proposait. Voici comment :

Son intention était seulement de frapper le commis d'un fonctionnaire d'une peine moins sévère que le fonctionnaire lui-même.

Or, il est arrivé à faire de la qualité de commis une circonstance atténuante. Ainsi, un commis de fonctionnaire qui détournerait une somme de moins de cinq mille francs ne pourrait être puni que de trois ans d'emprisonnement au maximum, tandis que la peine du vol ordinaire est d'un mois à cinq ans d'emprisonnement.

Je suppose qu'un vol soit commis dans une étude de notaire par un étranger, les tribunaux pourront appliquer la peine de 5 ans, et M. Lelièvre veut que si le vol est perpétré par un clerc de l'officier public, il ne soit puni que d'une peine de trois ans. Je demande si un pareil système peut être admis. Ne sera-t-il pas contraire à toute proportion dans les peines et à toute notion de morale publique de voir une circonstance atténuante dans la violation des devoirs de l'employé vis-à-vis du maître.

Voilà donc une circonstance aggravante érigée en circonstance atténuante.

Ce n'est pas tout, l'honorable membre dans sa rédaction introduit une distinction toute nouvelle, c'est celle qui sépare les commis et les employés du gouvernement des commis et employés des fonctionnaires eux-mêmes.

Les commis du gouvernement, dit-il, sont des fonctionnaires publics. S'il en est ainsi il ne faut pas en parler ; leurs faits sont prévus par les articles 255, 256 et 257.

Nous ne pouvons pas dire que les commis salariés par l'Etat seront punis comme les fonctionnaires. Si nous admettons qu'ils rentrent dans cette catégorie, ce serait un pléonasme législatif. Du reste, l'opinion de l'honorable M. Lelièvre sur la qualité de ces commis est-elle bien exacte ? Les simples commis aux écritures peuvent-ils rentrer dans la nomenclature de la loi ? Quoi qu'il en soit, ils sont vis-à-vis de l'Etat exactement dans la position où se trouve l'employé d'un notaire ou d'un receveur vis à-vis de son patron ; ils sont tenus des mêmes obligations et de la même nature de liens, et devraient être mis sur le même pied relativement à la peine.

Dans tous les cas, de deux choses l'une : ou les commis salariés par l'Etat sont fonctionnaires et alors il ne faut pas en parler, ou ils ne le sont pas et ils doivent être dans la même position que les commis des fonctionnaires.

Voilà donc deux circonstances décisives qui doivent faire rejeter la proposition de l'honorable M. Lelièvre, la première qu'elle fait dégénérer une circonstance aggravante en circonstance atténuante, la seconde qu'elle complique la législation d'une distinction qui ne se justifie à aucun point de vue. Voilà, messieurs, ce qui me porte à voter contre l'amendement.

Je me demande maintenant si les reproches de l'honorable membre adresse au projet de la commission sont bien fondés.

Quand on se rend bien compte de la cause des pénalités plus sévères qui frappent les fonctionnaires, on voit ces reproches s'évanouir complétement, tout s'explique facilement et on reconnaît que le système de la commission, loin de présenter des contradictions, est très rationnel dans toutes ses parties.

Pourquoi punissez-vous de peines plus fortes les fonctionnaires qui détournent des titres ou des fonds qui leur sont confiés, que de simples particuliers coupables des mêmes faits ? Parce que les fonctionnaires étant institués et nommés par la loi, les citoyens sont obligés de se servir de leur ministère ; ils sont astreints envers eux à une confiance forcée que la loi doit garantir. Ce point de départ est si bien celui de notre matière que dans l'article 257 nous avons distingué deux cas : celui où le dépositaire a reçu le dépôt en sa qualité légale de notaire, de juge, de greffier par exemple, et celui où le dépositaire a reçu les titres à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, c'est-à-dire dans des circonstances où la confiance n'est pas commandée, mais seulement sollicitée par la qualité légale. Dans ce second cas la loi ne prononce pas une peine aussi grave, parce qu'il n'y a pas une nécessité aussi absolue d'avoir recours au préposé de la loi.

Telle est donc la base principale de l'aggravation des peines : le devoir de garantir une confiance à laquelle la loi oblige.

Or, en fait, les titres et les fonds sont-ils aussi forcément confiés aux employés du fonctionnaire lui-même ? Si on trouve que les commis ont la même disposition des actes et des fonds déposés chez leur patron (page 469) que ce dernier lui-même, il faut bien admettre le système de la commission qui punit de la même peine le détournement effectué par le chef ou par le subalterne.

Or, peut-on nier que les commis ont les titres et souvent les fonds en leur pouvoir comme l'officier public qui les emploie ?

Que se passe-t-il dans les études de notaire, par exemple ?

Ce sont les clercs qui ont en mains les titres, le protocole tout entier de l'étude.

Si j'ai un contrat authentique à faire, ne suis-je pas obligé de voir mes titres entre les mains de l'employé aussi bien qu'entre les mains du notaire lui-même ?

C'est incontestable.

Ne faut-il pas en conclure que le commis participe à la confiance que la loi impose au public vis-à-vis du chef, et, par une conséquence ultérieure, ne doit-on pas frapper de la même peine les commis et les fonctionnaires du gouvernement ?

Mais, dit l'honorable M. Lelièvre, vous faites dans l'article 257 une distinction qui est toute personnelle au fonctionnaire public à propos des actes qui sont déposés chez lui en cette qualité ; il est évident que le commis ne peut pas être tenu, lui, par cette distinction.

Messieurs, c'est là une erreur : dès l'instant où l'on admet que je suis forcé de laisser les actes que je possède chez un notaire, à la disposition de ses employés comme du notaire lui-même, je ne comprends pas qu'on établisse entre eux une distinction quelconque quant à la peine.

La distinction de l'article 257 ne porte pas sur la qualité du dépositaire, sur la circonstance que le dépôt est plus ou moins forcé : la peine est plus forte quand les parties ont pu moins se dispenser de l'effectuer, mais dans les deux cas de l'article il s'agit de remise de titres ou de fonds faits à un fonctionnaire au moins en raison de ses fonctions.

C'est donc une distinction qui n'est pas personnelle, mais réelle, qui ne porte pas sur la qualité même du fonctionnaire mais sur la nature du dépôt qui lui est confié et qui par conséquent ne concerne pas exclusivement l'officier public.

La commission a paru plus inconséquente encore à propos de l'article 259 où elle admet, dit-on, la distinction qu'elle repousse dans l'article 258.

Mais M. le rapporteur de la commission a parfaitement justifié la différence des dispositions.

Dans le cas de concussion, en effet, il n'y a pas de versement forcé entre les mains du commis du fonctionnaire ; personne ne peut être tenu d'effectuer un payement quelconque entre les mains du commis.

Chacun peut recourir au chef même qui, en fait comme en droit, est la seule personne à laquelle on doive se rapporter.

Il n'y a donc aucune espèce d'analogie entre les cas invoqués par l'honorable M. Lelièvre et celui qui nous occupe.

Telles sont, messieurs, les observations que j'ai cru devoir vous présenter sur les deux systèmes qui sont en présence.

Il en résulte que, d'un côté, il y a. à part le fond même du débat, deux vices radicaux, la transformation d'une circonstance aggravante en une circonstance atténuante, et la distinction tout à fait inadmissible entre les commis salariés par le gouvernement et ceux qui le sont par des personnes chargées d'un service public ; de l'autre côté, il y a des conséquences très justes d'un principe qui est la raison d'être de tout notre chapitre et que reconnaît le système opposé.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Pirmez pour combattre mon amendement fait valoir des considérations qui me semblent peu fondées. Je ne propose, dit-on, qu'un emprisonnement de trois mois à trois ans dans une partie de mon amendement, tandis que la peine du vol peut s'élever jusqu'à cinq années. D'abord la Chambre n'a pas encore voté les dispositions relatives au vol. On ne peut donc préjuger la décision qui sera portée à cet égard.

Au surplus, pour prévoir toutes les éventualités possibles, je consens à élever la peine à cinq années. Cela est très peu important et je ne conçois pas qu'on s'arrête à semblable circonstance si insignifiante lorsqu'il s'agit de trancher une grande question de principe. Du reste la commission elle-même a suivi le même système, puisque en cas de concussion elle ne prononce contre le commis qu'un emprisonnement de deux ans. Or, c'est bien là une soustraction de deniers appartenant à autrui.

On dit aussi que les commis et préposés du gouvernement ne sont pas fonctionnaires publics et que cependant nous les frappons de la même peine que celle comminée contre les officiers publics. Je n'ai pas besoin d'examiner cette question, parce qu'en cela notre système est fondé sur le motif que les commis et préposés du gouvernement sont liés par des obligations spéciales envers ce dernier ; qu'ils soient ou non fonctionnaires, il existe au moins entre eux et l'Etat un lien plus étroit qui justifie une aggravation de peine. Quant aux commis des fonctionnaires, rien ne les oblige envers l'Etat ; par conséquent ils ne sont pas sur la même ligne que les agents du gouvernement.

Quant à la question même en litige, je ne conçois pas comment il est possible d'étendre aux commis des fonctionnaires publics la distinction énoncée à l'article 257.

D'après cet article, on distingue le cas où l'acte se trouve en mains du fonctionnaire en vertu de sa qualité, et celui où l'acte lui a été simplement communiqué.

Je conçois cette distinction vis-à-vis de l'officier public, mais comment peut-on la faire vis-à-vis du commis et aggraver la peine selon que l'acte a été simplement communiqué au patron ou se trouve en mains de ce dernier en vertu de ses fonctions ?

Cette circonstance est personnelle au fonctionnaire et ne peut rejaillir sur le commis qui, lui, a commis un fait identique.

Pour justifier le système de la commission, l'honorable M Pirmez ne déduit qu'un argument, il dit que le commis a la même facilité pour commettre les crimes ; je suppose qu'il en soit ainsi, que cette circonstance serait sans aucune valeur dans l'espèce.

En effet, il existe toujours une différence notable fondée sur la qualité du délinquant. Celui-ci est bien plus coupable lorsqu'il trahit la confiance de la loi, lorsqu'il méconnaît ses devoirs de fonctionnaire que quand il s'agit d'un particulier. Le fonctionnaire public foule aux pieds les devoirs de sa charge, le commis ne commet qu'un abus de confiance privée.

Au surplus, lorsqu'il s'agit de concussion, cette différence existe.

Or, les mêmes motifs militent dans l'espèce, parce que le principe en matière de concussion est fondé sur la qualité d'officier public, qui ne se rencontre pas dans la personne du commis.

Dans toutes les parties de la législation, la qualité de fonctionnaire influe sur la quotité de la peine. Pourquoi, dans l'espèce, ne pas maintenir le même principe fondé sur la nature même des choses ?

Jamais un simple particulier n'est assimilé à celui qui abuse des fonctions publiques qui lui ont confiées. Je combats donc encore la disposition de l'article 258, comme contraire à l'économie de la législation en général.

M. Tack. - A mon avis, l'amendement de M. Lelièvre ne doit point être adopté et la Chambre ferait bien de s'en tenir au texte de l'article tel qu'il est proposé par la commission et par le gouvernement.

D'abord, comme l'ont fait observer MM. Moncheur et Pirmez, la facilité avec laquelle le commis peut commettre le crime est la même que pour le fonctionnaire, la difficulté de la preuve est la même dans les deux cas ; en outre il y a abus de confiance dans le chef du commis aussi bien que dans le chef du patron et il y a lieu d'ajouter que la confiance à l'égard du commis de l'agent ou du préposé est une confiance commandée, nécessaire. Ultérieurement l'amendement de M. Lelièvre a pour effet, comme l'a parfaitement démontré M. Lelièvre, d'ériger une circonstance aggravante en circonstance atténuante.

Je reconnais que l'immoralité du fonctionnaire est peut-être plus grande en ce sens que le fonctionnaire public viole son serment, trahit la confiance de la loi, comme le dit M. Lelièvre ; cela est incontestable, il y a là une nuance de culpabilité dont les juges tiendront compte dans l'application de la peine entre la limite du maximum et du minimum. Mais, messieurs, il y a une raison déterminante pour ne point admettre la distinction que l'honorable M. Lelièvre prétend introduire dans la loi et cette raison la voici, elle me frappe : c'est que le commis échappera à la responsabilité civile et morale, si le fait qu'il a perpétré n'est point prouvé, et que dans ce cas le dommage civil et moral retombera sur le fonctionnaire ; tandis qu'en sens inverse, si l'auteur du délit est le fonctionnaire lui-même, les conséquences au point de vue de la responsabilité civile et morale ne pourront pas atteindre le commis, l'agent ou le préposé ; ces conséquences, si elles se produisent, retomberont sur le fonctionnaire. Ainsi le commis pourra compromettre par son fait l'honneur, la probité, la fortune de son patron, le ruiner pécuniairement et le déshonorer aux yeux de ses concitoyens.

Il en est différemment du fonctionnaire, qui encourra lui-même toutes les suites du crime ou délit qu'il a perpétré. Pour ne citer qu'un exemple : un commis supprimera un titre, il détruira une quittance, il soustraira une somme déposée chez son patron. Qu'en résultera-t-il si la preuve du délit n'est pas fournie ? C'est que le fonctionnaire sera civilement responsable et que de plus sa moralité et sa probité seront compromises.

La disposition que nous discutons est du nombre de celles dont parlait hier l'honorable ministre de la justice ; elle a un caractère préventif, elle constitue une garantie, et pour la société en général et pour le fonctionnaire en particulier.

M. Savart. - Il y a, messieurs, un principe qui domine nos lois pénales, c'est le principe consacré par l'article 198 du Code aux termes duquel, lorsqu'un officier public ou un fonctionnaire commet des délits ou des crimes qu'il était chargé de réprimer ou de surveiller, il sera beaucoup plus puni qu'un simple particulier, qu'un homme privé.

Ainsi, quand il s'agit d'un délit, il subit toujours le maximum de la peine correctionnelle ; quand il s'agit d'un crime, il est toujours passible de la peine du degré immédiatement supérieur au degré de pénalité qui frapperait une autre personne.

Messieurs, les officiers publics comme les greffiers, les conservateurs d'hypothèques qui ont été institués pour conserver les actes, pour en prévenir la perte, se trouvent, quand ils égarent frauduleusement un de ces actes, dans une position tout à fait analogue, selon moi, à celle des officiers publics chargés de surveiller ou de réprimer les délits.

Le notaire, qui est chargé de dresser acte de la volonté des parties et de conserver cet acte, me paraît, quand il le détruit, dans une position également analogue à celle de ces mêmes officiers publics qui (page 470) commettent le délit ou le crime qu'ils étaient chargés de surveiller ou de réprimer. Eh bien, si vous allez assimiler, quant à la peine, ces fonctionnaires publics aux simples particuliers, vous vous écartez singulièrement de toutes les idées qui ont dicté l'article 198 du Code pénal.

C'est pourquoi j'ajoute cette raison à celles qu'a déjà fait valoir l'honorable M. Lelièvre, et je ne comprendrai jamais qu'on ne fasse pas de distinction entre le notaire, qui est l'homme investi par la loi, qui a prêté serment, et le commis qui n'a aucun caractère officiel ; je ne comprendrai jamais qu'on ne fasse aucune distinction entre le notaire, à qui des actes sont confiés, et son second ou son troisième commis ; en un mot, je ne puis pas comprendre qu'une même peine soit applicable pour le même fait à un notaire et à un simple commis connu sous le nom de saute-ruisseau.

On a cependant fait valoir trois raisons à l'appui de ce système d'assimilation. Ou' a dit que le commis en détruisant un acte par exemple manquait à la confiance de son maître ; c'est vrai, mais le chef qui se rend coupable du même fait manque à la confiance publique, à son serment et à la loi ; sa culpabilité est donc bien plus grande que celle du commis qui ne manque qu'à la confiance de son maître ; il faut donc appliquer à celui-ci une peine plus forte.

On est venu dire que le délit pouvait être facilement commis par des commis ; c'est la seconde raison qu'a fait valoir la commission.

Cela est vrai ; mais je dis que le délit peut être commis beaucoup plus facilement par le notaire, l'avoué ou le fonctionnaire, parce que le notaire et l'avoué peuvent surveiller leur commis et que le notaire n'est surveillé par personne, qu'il peut commettre le crime plus longtemps et plus en secret que ne le peut le commis. C'est donc là une raison encore pour comminer une peine plus grave contre le fonctionnaire que contre l'homme privé.

Enfin on est venu dire que les commis pouvaient exposer leurs patrons à la perte de la confiance publique, à la perte de leur réputation et à des dommages intérêts considérables. Cela est vrai, mais le patron expose le public tout entier, ce qui est une position bien pire que celle du commis.

Enfin on a fait une distinction pour les circonstances dans lesquelles des pièces auraient été confiées. Eh bien, voilà un commis d'avoué qui est chargé de porter des pièces en consultation à un autre avoué ; en chemin il est accosté par quelqu'un qui a intérêt à la destruction d'une de ces pièces. Le commis se laisse gagner, la pièce est déchirée, ce commis sait-il les circonstances qui ont accompagné la remise de la pièce ? Nullement, et cependant malgré son ignorance complète, il est exposé à une peine aussi grave que son patron qui connaît les circonstances de la remise des pièces.

Vous comprenez qu'il y a là quelque chose qui blesse tous les sentiments de justice et qui blesse les idées générales de notre législation.

On a fait une distinction entre le préposé, l'agent du gouvernement et le commis. Je crois que cette distinction est sage, parce que ceux qui sont préposés par le gouvernement, sans être des officiers ou des fonctionnaires publics, ne sont déjà plus des hommes privés et je comprends qu'on les mette au rang des fonctionnaires publics. Mais pour celui qui est homme privé je ne le comprends plus.

C'est pourquoi j'admets la différence qui a été faite par l'honorable M. Lelièvre. On dit que c'est un pléonasme. Non, ce n'est pas un pléonasme, mais c'est une distinction ; on assimile par l'article aux fonctionnaires publics les agents, les préposés nommés par le gouvernement.

On a opposé à l'honorable M. Lelièvre qu'il punissait ce vol moins qu'il ne le serait par la loi ordinaire. C'est une omission qu'il est très facile de réparer.

Si vous croyez que la peine, telle que l’a proposée l'honorable M. Lelièvre, n'est pas assez sévère, vous pouvez, comme il l'a dit, porter l'emprisonnement à cinq ans. Vous pouvez même plus, vous avez l'amende. Vous pouvez plus encore ; vous avez la suppression, pendant cinq ans, des droits civils et politiques qui est prononcée par l'article 42 du Code pénal.

Ces trois peines cumulées sont d'une sévérité suffisante pour arrêter le délit, et en adoptant l'amendement, vous n'irez pas à rencontre de cette idée qui domine toute la législation, que l'homme privé qui commet le même fait que le fonctionnaire public doit être puni d'une peine moindre.

M. Moncheur. - Je pense qu'il n'y a pas lieu de changer, sur la matière dont nous nous occupons, le principe qui a existé jusqu’à présent relativement à la répression des crimes et délits commis par les préposés et par les agents des fonctionnaires.

La première considération qu'a fait valoir à cet égard l'honorable M. Savart ne me semble d'aucune valeur. En effet l'honorable M. Savart cite à l'appui de l'amendement de M. Lelièvre, l'article du Code qui punit plus sévèrement qu'un autre citoyen le fonctionnaire qui commet le crime ou le délit qu'il était lui-même chargé d'empêcher, mais vous sentez que cet article n'a aucune espèce de rapport avec le cas qui nous occupe.

Quant à l'honorable M. Lelièvre, il vous a dit que l'homme qui a abusé de la confiance dont il est investi envers l'Etat ou envers le gouvernement est beaucoup plus coupable que celui qui abuse envers son chef de la confiance que celui-ci a placée eu lui.

Je n'admets pas cette thèse. La loi, en fixant le degré de culpabilité d'un acte, n'a pas eu vue l'intérêt du gouvernement, mais celui de la société tout entière. Aussi tous les commentateurs de l'article du Code pénal auquel correspond notre article 258 ont-ils reconnu que l'abus de la confiance dont est investi le commis envers son chef est aussi criminel que l'abus de la confiance du fonctionnaire envers le gouvernement.

Je me permettrai de vous lire à cet égard deux lignes que je puise dans l'ouvrage de MM. Chauveau et Hélie. Raisonnant sur l'article 275 du Code actuel, qui correspond à notre article, ils disent : « Ici tous les agents secondaires qui sont placés sous les ordres des fonctionnaires publics, sont dépositaires de la même confiance et doivent supporter la même responsabilité. »

Et en effet, messieurs, si les fonctionnaires qui sont détenteurs de pièces ou de valeurs ne pouvaient avoir une pleine confiance dans leurs commis, dans leurs agents, vous sentez qu'il leur serait radicalement impossible d'accomplir leurs devoirs.

Ces fonctionnaires publics sont, en général distraits presque constamment de la manutention matérielle des valeurs ou de la garde immédiate des actes les plus précieux qui sont sous la main de leurs agents.

Par conséquent, ils ont dû placer une certaine confiance dans ceux-ci. Si ces agents en abusent, ils doivent être d'autant plus sévèrement punis, qu'ils ont la plus grande facilité de le faire, et qu'en outre il y a une immense difficulté de prouver les faits à leur charge.

Remarquez enfin, messieurs, que les commis et les préposés qui co mettent les délits dont il s'agit font peser sur leurs patrons, sur les fonctionnaires une responsabilité civile qui peut aller jusqu'à les ruiner ou les déshonorer.

Le fonctionnaire, lorsqu'il pose un acte, sait quelles peuvent en être les conséquences. Mais si c'est son commis, si c'est son agent qui commet la soustraction, il est trahi, sans avoir pu se défendre contre cette trahison, et il peut être entraîné à sa ruine sans avoir pu l'empêcher.

Vous voyez donc qu'à ce triple point de vue, le fait du commis, de l'agent, du préposé peut et doit être mis, comme il l'a du reste toujours été, sur la même ligne que le fait du fonctionnaire lui-même.

L'honorable M. Lelièvre a beaucoup insisté sur la qualité du fonctionnaire, dont tient compte l'article 258 pour faire une distinction entre les dépôts qu'on peut appeler nécessaires et les dépôts volontaires, et j'appelle dépôts nécessaires, ceux, par exemple, qui se font entre les mains du juge de la cause, ou d'un notaire commis pour faire un acte de son ministère par autorité de justice. M. Lelièvre, dis-je, pense que cette distinction ne peut être faite à l'égard des commis et des préposés ; mais vous sentez, messieurs, que le commis qui, frauduleusement et méchamment, car la loi exige ce caractère, aura détruit des actes semblables, connaissait parfaitement et la valeur de l'acte et la nature du dépôt, et que par conséquent, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, son fait participe de la nature particulièrement grave qui résulte de la circonstance aggravante de la nécessité du dépôt.

Par ces considérations, je pense qu'il y a lieu de s'en tenir au projet de la commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je disais hier que je ne pensais pas qu'il y avait lieu de modifier l'article tel qu'il est proposé. Les raisons qui ont été données aujourd'hui par les honorables MM. Lelièvre et Savart ne m'ont pas fait changer d'opinion.

En effet, ainsi qu'on vous l'a dit à plusieurs reprises, il y a pour les préposés, pour les commis, la même facilité de commettre le crime ; il y à la même difficulté de le prouver et il y a, de leur part, la même atteinte portée à la confiance du public. Il y a en outre une atteinte grave portée à la confiance que doit avoir en eux leur patron.

Messieurs, il faut tenir compte des faits. Ainsi que vous l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Pirmez, on ne saurait contester que la confiance est commandée à l'égard des commis comme elle l'est à l'égard des patrons. Il faudrait nier l'évidence pour soutenir qu'il est possible à un patron de ne pas laisser entre les mains de son commis et les valeurs et les pièces les plus importantes.

Une observation qui vient encore d'être faite par l’honorable M. Moncheur et dont la Chambre doit tenir compte, c'est que quand le fait est commis par le fonctionnaire, celui-ci peut à l'avance calculer toute la portée de l'acte qu'il pose ; il en a assumé aussi toute la responsabilité.

Quand au contraire l'acte est posé par un commis et lorsque le fait n'est pas prouvé, le fonctionnaire est dans le cas d'être déshonoré, et dans tous les cas, que le fait soit prouvé ou non, à raison de la responsabilité civile qui l'atteint, il sera dans le cas d'être assujetti à des dommages-intérêts et même d'être ruiné, sans qu'il soit coupable, sans que souvent il lui ait été possible de prévenir le fait. Théoriquement on pourra dire que le patron n'avait qu'à mettre ses deniers sous clef, qu'à enfermer ses pièces, mais pratiquement la chose est impossible.

Quant à l'argument qu'a tiré l'honorable M. Savart de l'article 198, il n'est pas fondé. Cet article n'est nullement applicable au cas qui nous occupe. L'article 198 porte : « Hors le cas où la loi règle spécialement les peines encourues pour crimes ou délits commis par les fonctionnaires ou officiers publics, ceux d'entre eux qui auront participé à d'autres crimes ou délit qu'ils étaient chargés de surveiller ou de réprimer seront punit comme suit... »

(page 471) II ne s'agit pas d'un de ces cas-là, car la loi règle spécialement les peines qu'elle commine quand il s'agit de soustraction de deniers ou de lacération de pièces.

Il ne s'agit pas non plus de fonctionnaires qui sont chargés spécialement de surveiller eux-mêmes, d'empêcher la perpétration de tel crime ou de tel délit.

Ce n'est pas ici le cas et l'article 198 est sans application possible à l'ordre de faits dont il s'agit.

Je demande donc l'adoption de l'article tel qu'il a été proposé par la commission.

- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

La rédaction proposée par la commission, est ensuite adoptée.

Article 259

« Art. 259 (projet du gouvernement). Tous fonctionnaires ou officiers publics et toutes personnes chargées d'un service public, leurs agents, préposés ou commis qui se seront rendus coupables de concussion, en ordonnant de percevoir ou en exigeant ou recevant ce qu'ils savaient n'être pas dû, ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes, contributions, deniers, revenus ou intérêts ou pour salaires ou traitements, seront punis d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et pourront être interdits du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics.

« La peine sera la réclusion, si la concussion a été commise à l'aide de violences ou menaces. »

La commission propose la rédaction suivante :

« Art. 259. Tous fonctionnaires ou officiers publics, et toutes personnes chargées d'un service public, qui se seront rendus coupables de concussion, en ordonnant de percevoir ou en exigeant ou recevant ce qu'ils savaient n'être pas dû ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes, contributions, deniers, revenus ou intérêts, ou pour salaires ou traitements seront punis d'un emprisonnement de six mois à cinq ans, et pourront être condamnés eu outre à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics.

« La peine sera la réclusion, si la concussion a été commise à l'aide de violences ou de menaces.

« Si les auteurs des délits prévus par cet article sont des agents, préposés ou commis de fonctionnaires ou officiers publics, ou de personnes chargées d’un service public, ils seront punis, dans le cas du premier paragraphe, d'un emprisonnement de deux mois a deux ans, et dans le cas du second paragraphe, d'un emprisonnement de six mois à cinq ans. »

M. Moncheur, rapporteur, a déposé l'amendement suivant :

« Rédiger comme suit, le paragraphe 3, qui deviendrait le paragraphe 2.

« Si les auteurs des délits prévus par cet article sont des agents, préposés ou commis de fonctionnaires, ou officiers publics, ou de personnes chargées d'un service public, ils seront punis d'un emprisonnement de deux mois à deux ans.

c Ensuite, le paragraphe 2 actuel deviendra le paragraphe 3 de cet article. »

La commission est d'accord avec le gouvernement sur cette nouvelle rédaction.

M. Coomans. - J'appelle en deux mots l'attention de la Chambre sur l'excessive rigueur des peines édictées par cet article. Quoi ! l'on pourra condamner à 5 années d'emprisonnement un fonctionnaire public qui aura reçu en plus quelques centimes sur les honoraires qui lui revenaient ou sur les sommes qu'il avait à percevoir au nom du gouvernement !

Cette peine me paraît énorme.

Un professeur de l'Etat demandera quelque chose en trop pour minerval, un secrétaire communal demandera quelque chose de trop ou même indûment pour délivrer une pièce officielle, d’autres fonctionnaires inférieurs se permettront ce même délit, et ils pourront être condamnés à des peines énormes !

Je dis qu'il n'y a pas de proportion entre le délit et la peine.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l’on discute toujours en prenant pour terme de comparaison, d'un côté le maximum de la peine, et de l'autre le minimum de la faute. Ainsi vous aboutirez toujours à trouver la loi draconienne. Si vous supposez que l'importance du délit est représentée par quelques centimes et que le juge appliquera, pour ce fait, le maximum de cinq ans, il est évident que votre raisonnement sera fondé.

Mais il faut admettre les choses telles qu'elles se passent et se passeront toujours. Quand le prévenu aura commis le minimum de faute, ayez assez de confiance dans les juges, pour croire qu'ils appliqueront le minimum de la peine ; si le fonctionnaire commet le maximum de la faute, les juges appliqueront le maximum de la peine, et dans ce cas celle-ci ne sera pas trop forte.

M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, on a toujours considéré comme très grave le fait, de la part d'un fonctionnaire public, d'avoir, commis des concussions, c'est-à-dire d'avoir exercé des exactions envers les contribuables. Il faut mettre les citoyens à l'abri de la cupidité des fonctionnaires ; il faut que la loi pénale protège les gens simples qui ne peuvent pas toujours savoir jusqu'où vont leurs droits, et quelle est la somme qu'on peut exiger d'eux à titre d'impôt.

Si la concussion, genre de forfaiture qui a toujours été puni très sévèrement envers les fonctionnaires, cessait de l'être d'une manière efficace, on ouvrirait la porte à de très graves abus.

Quant à la peine que l'on a considérée comme exagérée, elle est loin de l'être, du moins en comparaison de la peine comminée par le Code pénal actuel, car celle-ci est la réclusion.

Le projet a donc réduit considérablement la peine qui, de criminelle qu'elle était, est devenue simplement correctionnelle et dont le minimum n'est que de 6 mois d'emprisonnement.

Ce n'est pas en diminuant les peines de cette manière que l'on fera un Code draconien.

- Personne ne demandant plus la parole, la rédaction de l'article 259, telle qu’elle a été proposée par la commission, d'accord avec le gouvernement, est adoptée.

Article 260

« Art. 260. Dans les cas exprimés au présent chapitre, il sera, en outre, prononcé contre les coupables, une amende de cinquante francs à trois mille francs. »

M. le président. - M. le rapporteur, d'accord avec le gouvernement, fait parvenir au bureau l'amendement suivant à cet article.

« Art. 260, Dans les cas prévus par le présent chapitre, il sera prononcé une amende de 26 francs au moins et dont le maximum sera de 500 fr. lorsque le fait est puni de l'emprisonnement ; de 1,500 fr. lorsqu'il est puni de la réclusion et de 3,000 fr. lorsqu'il est puni des travaux forcés. »

M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, dans un article déjà voté, la Chambre a jugé convenable et juste de proportionner la peine correctionnelle pécuniaire à la peine corporelle. C'est pour être conséquent avec cette disposition, déjà adoptée sous le n°229 du Code, que la commission, d'accord avec le gouvernement, vous a proposé l'amendement dont M. le président vient de donner lecture.

- Un membre. - Les deux dernières peines constituent-elles le maximum ?

M. Moncheur, rapporteur. - On est resté dans les termes de l'article 260, seulement on a établi une échelle ; on a considéré que l'écart, tel qu'il résulte de l'article 260 primitif, était trop grand et qu'il était bon de proportionner la peine pécuniaire à la peine corporelle, mais le juge se trouve refermé dans un cercle un peu plus étroit que celui qui était tracé par l'article 260.

M. Muller. - Une simple observation de forme. Il ne me semble pas résulter très clairement que les deux peines prononcées en dernier lieu constituent le maximum. C'est bien la pensée de la commission ; mais des doutes pouvaient naître à cet égard. Voilà pourquoi j'avais demandé une seconde lecture de l'amendement.

M. Moncheur, rapporteur. - C'est la pensée de la commission ainsi que du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.

- La nouvelle rédaction de l'article 260 est mise aux voix et adoptée.

Chapitre IV. De l’immixtion des fonctionnaires dans des affaires ou commerces incompatibles avec leur qualité
Intitulé du chapitre

« (projet du gouvernement). Chapitre IV. Des délits des fonctionnaires qui se sont ingérés dans des affaires ou commerces incompatibles avec leur qualité. »

« (projet de la commission) Chapitre IV. De l’immixtion des fonctionnaires dans des affaires ou commerces incompatibles avec leur qualité. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la commission a modifié l'intitulé du chap. V. Je me rallie à cette modification. Les mots ont la même valeur. Nous sommes d'accord au fond.

M. Pirmez. - Messieurs, ce changement de rédaction a une grande importance. Il résout une question controversée. Des auteurs se sont appuyés sur l'ancien intitulé du chapitre pour soutenir que lorsque des fonctionnaires font des opérations qu'il leur est interdit de faire, ils ne sont pas punissables pour ce seul fait, mais qu'ils doivent avoir commis des fraudes, abusé de leurs fonctions en faisant ces opérations.

Ils déduisaient cette proposition des termes : « Des délits des fonctionnaires qui se sont ingérés », prétendant qu'ils supposent que le fait de s’ingérer n'est pas celui que punit la loi, mais qu'elle réprime les délits auxquels il donne lieu.

En proposant la nouvelle rédaction de l'intitulé du chapitre, la commission a voulu faire décider que toujours les fonctionnaires sont punissables, lorsqu'ils auraient fait des actes qui leur sont défendus par la loi.

(page 472) Le gouvernement admettait cette doctrine, votre commission a voulu que le texte ne pût plus prêter à d'autre interprétation.

- L'intitulé du chapitre IV, tel qu'il est proposé par la commission, est adopté.

Article 261

« Art. 261 (projet du gouvernement). Tout fonctionnaire ou officier public, qui, soit ouvertement, soit par actes simulés, soit par interposition de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit, dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont il a ou avait, au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs.

« Il pourra de plus être interdit du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

« Art. 261 (projet de la commission). Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public, qui, soit ouvertement, soit par actes simulés ou par interposition de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit, dans les actes, adjudications, entreprises, ou régies dont il a ou avait, au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de cinquante à trois mille francs.

« Il pourra en outre être condamné à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie au projet de la commission.

M. de Luesemans. - Messieurs, la déclaration qui vient d'être faite par l'honorable M. Pirmez m'engage à adresser à l'honorable ministre de la justice et à la commission quelques questions qui ne sont pas sans importance.

Le changement apporté à la rubrique a pour but de trancher une difficulté qui a divisé les jurisconsultes.

Désormais il ne faudra plus que les faits matériels prévus par les articles 261 et suivants, pour qu'ils soient passibles des peines prévues par les articles.

L'intention frauduleuse, le désir de réaliser un lucre, illicite ne sera plus nécessaire pour constituer la criminalité des faits. L'acte matériel suffira pour emporter la peine.

Eh bien, messieurs, je désire que tout le monde soit autant que possible prévenu. Ainsi par exemple un fonctionnaire de l'ordre administratif, communal ou provincial pourra-t-il, sans commettre de délit, participer à un emprunt ouvert par la province ou la commune qu'il administre ? Il pose un acte duquel il retire des intérêts quelconques, tels sont les termes du projet. Je demande que ce point soit éclairci.

Pourra-t-il donner, sans commettre le délit prévu par l'article 261, une propriété à bail au corps moral qu'il administre ? (Interruption.)

On me dit que cela n'est pas défendu par la loi civile ; non, mais cela sera-t-il défendu par la loi pénale ? Mais voici quelque chose qui est défendu par la loi civile, c'est l'acquisition par l'administrateur d'un corps moral d'une propriété appartenant à ce corps ; l'acte sera nul, ainsi le veut l'article 1596 du Code civil, mais sera-ce un délit ?

Supposons encore que dans une adjudication publique, un administrateur ignorant la loi, quoique tout le monde soit censé la connaître, vienne mettre une enchère. Il peut le faire, dans l'intérêt même de l'administration ; serait-il atteint par l'article que nous discutons ? et dans le cas d'affirmative, la peine de trois mois d'emprisonnement à deux ans, d'une amende de cinquante francs à trois mille francs, et jusqu'à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, est-elle proportionnée à un tel délit ?

Les prêts faits par un semblable administrateur à des conditions meilleures que celles qu'on aurait pu obtenir ailleurs peuvent-ils être des délits ? Je demanderai ensuite ce que l'on entend par personnes interposées. Je crois que nous sommes parfaitement d'accord, mais il faut s'expliquer parce que des commentateurs ont élevé des doutes à cet égard ; il ne peut, d'après moi, s'agir ici des personnes interposées dont il est question dans l'article 911 du Code civil.

Je demande néanmoins une explication sur cette question, elle a été considérée, je le répète, comme assez sérieuse pour être traitée par des commentateurs du Code pénal de 1810.

Elle l'est assez pour qu'elle soit résolue par une explication de M. le ministre de la justice.

M. Moncheur, rapporteur. - La loi a voulu qu'un administrateur ne mît pas son intérêt en contact avec l'intérêt qu'il est chargé, par son devoir, de surveiller ou d'administrer. Tel est le caractère fondamental du délit que punit l'article qui nous occupe.

Il serait difficile de donner une solution pour tous les cas que l'on pourrait citer, ou qui pourraient se présenter dans une matière semblable.

Quand les caractères du délit sont bien déterminés, il faut laisser aux tribunaux le soin de prononcer si le fait qui se présente tombe sous l'application de la loi. Si on donnait une solution sur un fait spécial qui peut-être ne serait pas parfaitement défini, cette solution pourrait avoir des conséquences qui jetteraient du doute sur la volonté du législateur lui-même. Il s'agit ici, je le répète, d'une sanction qui a pour but d'empêcher un fonctionnaire de mettre son intérêt privé en opposition avec l'intérêt public. Les termes de l'article 261 me paraissent clairs.

Il punit les fonctionnaires ou officiers publics qui, soit ouvertement, soit par actes simulés ou par interposition de personnes, auront pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont ils ont ou avaient au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance.

Il est vrai que les commentateurs ne sont pas tous d'accord sur la question de savoir s'il faut que l'acte du fonctionnaire ait causé un préjudice à qui que ce soit pour constituer le délit prévu par cet article. C'est pourquoi la commission a tranché la question.

Elle l'a fait dans ce sens qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu dol de la part du fonctionnaire ni préjudice causé par lui pour que le fait soit punissable.

Et en effet, messieurs, remarquez que ceux-là mêmes qui soutiennent qu'il faut qu'il y ait dol et préjudice causé pour tomber sous le coup de la loi pénale avouent que l'infraction à la prescription formelle de la loi fait présumer le dol, et autorise les poursuites de manière que c'est au fonctionnaire inculpé à prouver sa bonne foi et la pureté de son intention.

Or, ce serait le renversement de tous les principes eu matière de droit pénal, puisque c'est à l'accusation à prouver le fait du délit. Mais cela prouve, me semble-t-il, que même dans la pensée des auteurs auxquels je fais allusion, le fait matériel d'avoir pris un intérêt dans des actes ou adjudications que l'on doit surveiller ou administrer, suffit pour constituer le fait incriminé.

La loi a tracé autour du fonctionnaire un cercle de prohibitions qu'il ne peut franchir.

Elle lui a dit : Voilà les conditions auxquelles vous pouvez être fonctionnaire public : vous ne pouvez, en aucun cas, mettre votre intérêt en contact, en opposition avec celui que vous devez surveiller.

Quant au cas d'un emprunt que l'honorable M. de Luesemans a cité, je crois que si un emprunt était décidé, s'il était offert à tout le monde à des conditions déterminées par une commune, on ne pourrait guère voir dans le fait de l'administrateur qui souscrirait à cet emprunt le cas prévu par les dispositions que nous discutons ; mais je ne donne pas cette opinion comme une vérité, et c'est là une de ces questions que, comme juge, je pourrais résoudre négativement si elle m'était soumise ; mais, comme je l'ai déjà dit à l'instant, il suffit de tracer les caractères du délit, sauf à abandonner à la décision des tribunaux la solution des cas divers qui peuvent se présenter.

M. de Luesemans. - Je crois que la question a une grande gravité et qu'elle demande un examen sérieux.

Je ne veux pas faire résoudre les différents cas qui peuvent se présenter dans la pratique, je crois que cela est impossible, mais il importe que ceux qui ont mission de rédiger la loi le fassent avec la plus grande clarté possible ; ils peuvent d'après moi, se préoccuper très légitimement des cas qu'on leur soumet dans le cours de la discussion qui précède l'adoption d'une loi, les résoudre même, en décidant s'ils tombent ou ne tombent pas sous l'application des peines qu'ils édictent, cela se voit tous les jours.

Partant de là je ne crois pas qu'il faille se soustraire à tous éclaircissements pendant la discussion, sur l'applicabilité de la peine à certains cas déterminés, ni repousser toute interprétation par la seule raison qu'on ne peut tout prévoir.

C'est dans les débats qui précèdent l'adoption des lois qu'on trouve son esprit quand la lettre laisse à désirer sous le rapport de la clarté.

J'ai demandé, entre autres, si le fait de participer à un emprunt provincial ou communal sera punissable aux termes de l'article en discussion, dans le chef d'un administrateur de la province ou de la commune ?

On me répond que l'administrateur tombera sous l'application de la loi, si la participation à un emprunt a eu lieu sciemment ; ce qui revient à dire que toute participation à un emprunt de ce genre est interdite aux administrateurs, car il n'en est pas qui ne sachent ce qu'ils font en semblable occurrence.

Eh bien, qu'on y réfléchisse, la rigueur de la loi conduira dans ces cas à des conséquences qui peuvent devenir très funestes aux administrations publiques.

Souvent les emprunts n'ont de succès dans les communes que pour autant que les administrateurs y prennent part, figurent même en tête des listes de souscription.

Ceux qui seraient disposés à fournir des fonds s'abstiennent de le faire, si par leur non-intervention, les administrateurs semblent n'avoir pas eux-mêmes confiance dans les ressources de la commune.

Je prie donc la commission d'examiner de nouveau l'article et de tracer une règle qui serve de guide à tout le monde.

M. Lelièvre. - La question de savoir s'il faut autre chose que l'immixtion commise sciemment aux termes de notre disposition, doit (page 473) être résolue par les mêmes principes que ceux qui ont été émis sur les articles précédents ; il est évident que le délit existe du moment que le fait a été commis sciemment.

L'immixtion du fonctionnaire est illégale ; par conséquent lorsqu'elle est commise volontairement, le délit existe.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une intention méchante. L'intention criminelle résulte du fait d'immixtion commis en connaissance de cause.

Quant aux interpellations de l'honorable M. de Luesemans, elles ont leur valeur, mais en ce qui touche l'emprunt, je ne pense pas que ce fait tombe sous l'application de la loi, soit d'après ses termes, soit même en prenant égard à l'esprit qui a dicté la disposition.

M. de Theux. - Messieurs, la première condition de toute loi pénale, c'est de caractériser les délits de manière que chacun puisse savoir si, en posant tel ou tel fait, il contrevient à la loi pénale. C'est là le caractère le plus essentiel de la loi pénale.

On vient de poser plusieurs questions qui sont certainement très importantes, je viens en poser une aussi qui me semble mériter l'attention de la Chambre.

Le gouvernement nomme fréquemment des commissaires près des sociétés anonymes. Je demande si, aux termes de l'article en discussion, ces commissaires peuvent avoir un intérêt, soit avant, soit après leur nomination, dans les sociétés près desquelles ils exercent leurs fonctions. En d'autres termes, celui qui est nommé commissaire doit-il aliéner les actions qu'il possède dans la société qu'il est chargée de surveiller, et une fois nommé ne peut-il plus en acquérir î Telle est la question que je crois devoir soumettre à la commission parce qu'il s'agit d'un fait qui arrive assez fréquemment et qui a une importance réelle.

M. Pirmez. - Il est tout à fait impossible de décider à la volée, si je puis ainsi dire, toutes les questions qu'une disposition peut soulever.

Celle que l'honorable M. Luesemans a posée mérite un examen sérieux ; je crois, cependant, la résoudre en remarquant bien les termes de l'article en discussion, il n'interdit l'immixtion des fonctionnaires que dans des opérations de surveillance de l'administration.

On a supposé l'exemple d'un emprunt ; eh bien, il est incontestable que si un bourgmestre débattait, pour la commune, les conditions d'un emprunt dont il voudrait se charger il tomberait sous l'application de la disposition. Mais quand un emprunt a été décidé, les conditions stipulées, quand, en un mot, le contrat a été réglé, et qu'il ne s'agit plus que d'une simple souscription, c'est-à-dire de l'acceptation pure et simple de bases arrêtées, alors il n'y a plus ni administration ni surveillance et il ne peut plus y avoir lieu d'appliquer la pénalité comminée par l'article en discussion.

Telle est, je pense, la solution de la question présentée. L'honorable membre a supposé quelques cas qui, selon moi, présentent moins de difficulté.

Ainsi, en ce qui concerne les ventes, les biens, les acquisitions, les adjudications publiques, les fonctionnaires tombent nécessairement sous l'application de la loi ; mais la loi communale permet dans certains cas aux fonctionnaires de faire des contrats avec les communes, ils doivent alors se conformer aux garanties de la loi, sans quoi ils sont punissables.

Le cas signalé par l'honorable M. de Theux ne me semble pas pouvoir présenter de difficulté : il est incontestable qu'un commissaire du gouvernement ne peut pas prendre ou recevoir d'intérêt dans la société à laquelle il est attaché.

Remarquez bien, messieurs, que l'incrimination consiste à prendre ou à recevoir et non pas à conserver ; c'est au gouvernement à ne pas choisir comme commissaire près d'une société une personne qui serait intéressée dans cette société ; mais il n'y a pas délit, si depuis la nomination on n'a pas acquis d'actions dans la société qu'on est chargé de surveiller.

M. J. Jouret. - Comment pourrait-on constater l'acquisition d'actions après la nomination ?

M. Pirmez. - C'est là une question de fait, et nous examinons ici la question d'incrimination.

Je ne méconnais pas la difficulté de la preuve ; on recourra aux témoins, à l'agent de change, aux livres, mais cette difficulté laisse le principe intact.

Au surplus, nous ne pouvons pas, messieurs, avoir la prétention de prévoir et de trancher d'avance toutes les difficultés. Nous devons chercher à rendre la loi aussi claire que possible, mais si nous devions trouver des formules qui écartent d'avance tous les doutes, nous devrions renoncer à continuer notre œuvre.

M. Moncheur, rapporteur. - Je partage entièrement l'opinion ie l'honorable M. Pirmez ; je puis donc me dispenser d'y rien ajouter.

M. E. Vandenpeereboom. - L'honorable M. de Luesemans a soulevé, d'abord, plusieurs questions, qu'il a ensuite réduites à une seule ; mais les premières étaient relatives aux adjudications. Or, messieurs, ce point est réglé par le paragraphe 2 de l'article 68 de la loi communale, aux termes duquel : Il est interdit à tout membre du conseil et le cas échéant au bourgmestre pris en dehors du conseil, de prendre part directement ou indirectement à aucun service, perception de droits, fourniture ou adjudication quelconque pour la commune.

Voilà donc déjà beaucoup d'actes qui sont interdits aux bourgmestres. L'honorable membre a parlé aussi de baux ; eh bien, cela est également interdit, et pouvait être puni.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.

M. de Luesemans. - Mais il n'y a pas de sanction pénale.

M. E. Vandenpeereboom. - Il y avait, dans la loi actuelle, des pénalités contre ceux qui enfreignaient ces interdictions, et l'immixtion à de pareils actes tomberait sous l'application de notre article. Il y a, dans d'autres lois organiques, des interdictions pareilles ayant une sanction pénale, aux termes des lois existantes.

Pour ce qui est de la participation des administrateurs communaux à des emprunts communaux, c'est un point, je le reconnais, qui mérite examen.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous ne faisons que reproduire des dispositions du Code pénal en vigueur dans lesquelles plusieurs articles de nos lois organiques trouvent leur sanction.

La principale question qui se soit élevée quant à l'immixtion du fonctionnaire dans les affaires dont s'occupe l'article que nous discutons, est celle de savoir si cette immixtion, pour être coupable, devait avoir eu lieu dans un but de lucre, dans l'intention d'en retirer un bénéfice illégitime. La commission qui a rédigé le Code pénal et la commission de la Chambre ont été d'accord pour la résoudre négativement et pour admettre qu'il suffisait, pour que l'immixtion fût punissable, qu'elle ait eu lieu volontairement et sciemment.

Quant aux questions posées, leur solution dépendra beaucoup des faits. Ainsi, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, à propos de la question de l'emprunt, si un bourgmestre contracte, au nom d'une commune, un emprunt dans lequel il stipule à la fois comme débiteur et comme créancier, il tombe évidemment sous l'application de l'article, parce que ce qu'on veut empêcher, c'est qu'un bourgmestre ne puisse poser des actes qui lui soient profitables et qui portent préjudice à la commune qu'il administre. Mais dans le cas d'un emprunt où toutes les conditions sont arrêtées, approuvées par l'autorité supérieure, où l'emprunt se fait par souscription publique, je suis d'avis que le bourgmestre peut y prendre part comme tout le monde.

Quant à la signification des mots « personnes interposées », je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le Code civil doive servir de règle sur ce point.

Ce sera là une question de fait, une question d'appréciation, dont la solution doit être laissée à la sagacité et à la prudence des tribunaux. Il pourra y avoir des personnes interposées qui ne seront pas parentes avec le fonctionnaire ; il pourra y avoir des parents qui ne seront pas personnes interposées ; encore une fois ce sera une question de fait.

M. Ch. Lebeau. - L'honorable M. de Luesemans a soulevé des questions qui me paraissent très sérieuses. Une loi pénale surtout doit être claire ; il ne faut pas qu'elle laisse place au moindre doute dans son application, Ainsi l'honorable membre a demandé si un bourgmestre, des échevins, pourraient prendre part à un emprunt communal ; on a dit que cela dépendait des circonstances. Si l'emprunt, a-t-on dit, est fait à des conditions arrêtées d'avance, rien ne s'opposerait à ce qu'un bourgmestre ou des échevins y prissent part.

Mais, messieurs, vous tomberiez sous l'application de la loi telle qu'elle est rédigée.

Et puis, je crois que vous n'évitez pas l'inconvénient que l'on veut prévenir ; c'est que l'emprunteur et le prêteur soient la même personne. Ainsi l'article 262 porte ce qui suit : « La disposition du précédent article est applicable à tout fonctionnaire ou officier public qui aura pris un intérêt quelconque dans une affaire dont il était chargé d'ordonnancer le payement ou de faire la liquidation. » Eh bien, c'est le cas dans lequel se trouve le bourgmestre ; il est chargé d'ordonnancer le payement ou de faire la liquidation de l'emprunt, et s'il a pris un intérêt dans cet emprunt, il tombe sous l'application de la loi.

On dira : Il n'y a pas d'inconvénient à ce que le bourgmestre prenne des actions dans un emprunt, lorsque cet emprunt a été fait à des conditions arrêtées d'avance. Mais ne pourra-t-il pas arriver que le bourgmestre, sachant qu'il va prendre une part à l'emprunt, fasse arrêter des conditions très avantageuses ? II en est de même pour les baux. Ces baux se font par des actes sur recours public. Mais le bourgmestre pourra, s'il a l'intention de se rendre adjudicataire, faire arrêter des conditions très avantageuses.

Vous voyez donc qu'avec l'article, tel qu'il est rédigé, tous ces faits tombent sous l'application de la loi. Et cependant on n'est pas d'accord sur cette application. Les uns prétendent que lorsqu'un emprunt est fait à des conditions arrêtées d'avance et connues de tous, il n'y a pas d'inconvénient à ce que des administrateurs communaux y prennent part. Je dis au contraire qu'ils tomberaient sons l'application de la loi.

En présence de cette divergence d'opinion, je crois que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de renvoyer l'article à l'examen de la commission.

M. de Theux. - J'appuie aussi le renvoi à la commission. L'honorable M. Pirmez a prétendu que le commissaire du gouvernement près d'une société anonyme tomberait sous l'application de cet article, si, étant nommé, il prenait un intérêt dans la société. L'article me paraît présenter un doute sérieux à cet égard. Le commissaire du gouvernement n'est pas un fonctionnaire. Est-il officier public dans le sens légal ? (page 474) J'en doute beaucoup. Il remplit une mission de la part du gouvernement, mais une mission tonte spéciale.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est chargé d'un service public.

M. de Theux. - Messieurs, je pense qu'il est bon que la commission revoie l'article pour qu'elle soit mise à même de donner des explications complètes, et qu'il ne reste plus de doute sur les hypothèses qui ont été posées.

- L'article est renvoyé à la commission.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.