(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 207) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
Il communique ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Buls, marchand de sables, à Bruxelles, se plaint de ce que l'administration communale d'Hever a vendu une maison qui était sa propriété. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur François Barth, régisseur d'usine à Andenne, né en Belgique, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des membres du conseil communal et des cultivateurs de Hakelgem demandent l'établissement d'un droit d'entrée sur le houblon venant de l'Angleterre. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Des habitants de Deynze prient la Chambre d'inscrire dans la loi sur l'instruction primaire le principe de l'instruction gratuite et obligatoire et l'exclusion du clergé à titre d'autorité dans l'enseignement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande en naturalisation du sieur Remacle, maréchal des logis au 2ème d'artillerie. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. d'Hoffschmidt, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Accordé.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre le rapport relatif à la langue flamande et différentes pièces concernant le même objet pour être déposés sur le bureau et soumis à l'inspection des membres. »
M. Sabatier (pour une motion d’ordre). - La Chambre a renvoyé à la commission une pétition de bateliers qui demandaient une réduction du droit de patente ; le gouvernement ayant présenté un projet de loi sur cet objet, je demande que la pétition des bateliers soit déposée sur le bureau pendant la discussion.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La Chambre en était restée à l'article Douanes et accises.
M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai peu de chose à ajouter à ce que j'avais l'honneur de dire l'autre jour. J'ai exprimé une pensée que les journaux qui défendent le cabinet ont indiquée les premiers et qui, suivant moi, est le nœud de la difficulté, savoir, que la suppression des droits différentiels a été la principale cause du désastre actuel du port d'Anvers ; mais dans l’improvisation, j'ai négligé une observation qu'une je voulais communiquer à la Chambre.
Celte observation est très simple, elle se rattache aux faveurs dont le commerce étranger jouit au détriment du commerce national.
Autrefois nous avions des droits différentiels à l'avantage de nos ports de mer ; vous reconnaîtrez que c'est le port d'Anvers qui avait en quelque sorte le monopole de cet avantage. C'est à partir du mois de janvier dernier, époque à laquelle les droits différentiels ont été abolis, c'est-à-dire onze mois après cette abolition que le commerce d'Anvers élève les plus vives réclamations, qu'il proclame la décadence de son port.
Mais je me trompe quand je dis que tous les droits différentiels sont abolis ; c'est une erreur, il en existe encore, seulement ils existent au désavantage de notre commerce. Autrefois nous avions des droits différentiels à l'avantage de notre commerce, maintenant nous en avons contre notre industrie ; vous en avez vu l'énumération dans le travail de la chambre de commerce d'Anvers, l'honorable M. de Boe les a reproduits lui-même.
N'est-ce pas une chose insensée que de voir que les marchandises qui ne font que traverser notre pays payent des droits moins élevés que celles qui proviennent de nos manufactures et s'exportent par nos ports de mer ? L'année dernière, j'ai entretenu la Chambre de cette étrange anomalie, j'ai dit que des cotons filés, venant d'Angleterre et traversant le pays pour se rendre en Allemagne, payaient beaucoup moins que les cotons filés venant de Gand et allant vers l'Allemagne, bien que la distance soit moindre d'un tiers ; la même chose se présente pour les denrées coloniales. C'est un privilège qu'on accorde à l'étranger.
Vous ne voulez pas de privilège pour l'industrie nationale ; faites-en l'expérience un mois seulement et vous en verrez le résultat ; mais si vous ne voulez pas de privilège pour notre industrie, n'en donnez pas à l'industrie étrangère. C'est tomber dans l'absurde. Je demande que les réclamations des fabricants de Gand soient examinées et qu'on fasse cesser les abus dont ils se plaignent si ces abus existent encore.
Je trouve inique que 100 kilos de calicot expédiés de Gand vers l'Allemagne payent plus que 100 kilos de calicot arrivant d'Angleterre à Ostende et expédiés vers l'Allemagne. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question.
J'attendrai les projets de loi qu'annonce le gouvernement ; je verrai s'ils n'ont pas pour but d'échelonner les avantages en donnant toujours la préférence au cabotage sur la grande navigation, ce qui ne ferait que diminuer les ressources du trésor sans apporter de remède au malaise dont se plaint le commerce d'Anvers ; ce qu'il faut réduire, c'est le cabotage ; ce qu'il faut augmenter, c'est la grande navigation.
Mais la navigation transatlantique est notre véritable, notre grand intérêt national, en ce qu'elle amène pour résultat l'exportation des fabricats de notre pays.
Un autre point maintenant sur lequel j'appelle l'attention du gouvernement, c'est la situation fâcheuse dans laquelle se trouve notre marine marchande, l'un des objets les plus dignes de notre sollicitude. On veut ici encore faire admettre les principes qui ont été consacrés en Angleterre. Eh bien, voyons ce qu'a produit l'application de ces principes.
Hier encore les journaux anglais étaient remplis de réclamations d'armateurs anglais pour demander le rappel des lois qui ont assimilé tous les pavillons.
Et nous, encore une fois, nous qui n'avons qu'un port dont l'existence ne date que de 20 à 25 ans, un port dans l'enfance, nous voulons nous mettre au niveau de cette grande nation, nous voulons faire plus, nous voulons livrer la Belgique à toute sorte d'expériences comme ces corps dont on disait fiat experimentum in corpore vili.
En Angleterre, je le répète, un grand mouvement s'opère en faveur du rétablissement des droits différentiels et de navigation ; des écrits très nombreux et très importants ont été répandus pour faire voir les dangers de la législation actuelle.
Eh bien, si l'Angleterre, ce pays si riche, doté de la plus belle marine, ne résiste point à cette expérience, pensez-vous que la ville d'Anvers, qui ne fait que naître, puisse y résister ? Il y a 50 ans l'Escaut nous était encore fermé ; nous avions alors la navigation par cabotage, car on pouvait arriver dans le port d'Anvers, mais par la Hollande seulement.
L'Escaut était fermé pour la grande navigation vers les colonies à l'époque de la réunion assez malencontreuse de la Belgique au royaume des Pays-Bas.
Plus tard nous avons obtenu l'ouverture de l'Escaut ; mais remarquez-le bien, pendant les 15 années qu'a duré notre réunion au royaume des Pays Bas le port d'Anvers n'a fait d'affaires qu'avec les colonies des Pays-Bas.
La révolution est arrivée et le commerce d'Anvers a nécessairement éprouvé la perte de ses relations et un moment de stagnation, comme toutes les industries du pays ; et ce n'est guère qu'à partir de 1839 qu'Anvers a créé ses relations transatlantiques, a pu recommencer ses opérations en grand.
Voilà donc vingt ans que le port d'Anvers existe. Or, avons-nous conquis pendant ce laps de temps une situation comparable à celle, je ne dirai pas de l'Angleterre, mais à celle de Hambourg, par exemple, qui est un port séculaire, dont la réputation commerciale est établie de temps immémorial, qui a des relations avec toutes les colonies et dont la marine compte 1,600 navires, tandis que nous n'en possédons que 160 !
Il faut donc bien reconnaître que la place d'Anvers est loin d'avoir acquis l'importance d'Amsterdam, de Rotterdam, de Londres, de Liverpool et de Hambourg ; mais il y a une chose qui lui manque surtout et qui est d'une importance extrême, je veux parler des comptoirs. La Belgique n'a pas de comptoirs ; et d'où cela provient-il ? De ce que l'esprit flamand n'est nullement porté à l'émigration. Les populations wallonnes éprouvent moins de répugnance à s'expatrier ; il serait donc possible de tirer de leurs dispositions un parti fort avantageux pour le port d'Anvers. Pour cela que faudrait-il ? Deux choses : il faut que le gouvernement encourage l'établissement de comptoirs dans les colonies ; il faut qu'il l'encourage par des subventions sérieuses.
Pour mon compte, je fais fort peu de cas d'un consul qui nous coûte peut-être 50,000 ou 30,000 francs dans les colonies, où il ne passe par année que trois ou quatre vaisseaux portant pavillon belge. Je crois que ces subsides seraient infiniment mieux employés si l'on répartissait nos subventions en encouragements à la création de comptoirs, afin de faire connaître le port d'Anvers et notre industrie dans les colonies.
En second lieu, je désirerais vivement que l'école maritime dont il va être question, s'occupât de former des jeunes gens propres à créer des comptoirs au dehors. Et ici, la première de toutes les choses c'est la connaissance des langues. Il est impossible de devenir propre à former un comptoir si l'on ne possède pas la langue anglaise et la langue flamande qui est sœur de l'allemande.
(page 208) Il est donc très nécessaire, messieurs, que nous ayons des comptoirs. Le port de Hambourg, dont on a parlé, a des comptoirs dans tous les ports de mer de l'Amérique et de l'Asie. Partout vous trouverez des Allemands en correspondance avec le port de Hambourg. Ici nous en sommes complétement dépourvus.
C'est là ce qui rend les exportations de nos fabricats si difficiles. Comme vous n'avez pas de comptoirs à l’étranger, les négociants anversois se bornent à faire le transit, c'est-à-dire, à percevoir une commission sur les marchandises qui passent sans chercher à exporter les produits de nos manufactures.
J'appelle sur tous ces points l'attention du gouvernement. Quant à ce qui est du port d'Anvers, je pense, pour mon compte, qu'Anvers fera bien d'imiter les grands armateurs anglais, et qu'il faut commencer à réclamer le rappel de la loi qui a abrogé les droits différentiels, car, pour moi, la prospérité du port d'Anvers est l'un des objets les plus dignes de la sollicitude du pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Messieurs, en entendant dans la dernière séance, l'honorable M. Dumortier faire le tableau de la situation commerciale, j'ai cru entendre sonner les funérailles non pas seulement du commerce d'Anvers, mais de tout l'ensemble de nos relations commerciales et industrielles à l'étranger.
L'honorable M. Dumortier a trouvé cette situation si désastreuse dans le relevé déjà connu d'un certain nombre d'articles de nos importations pendant les dix premiers mois de 1858.
Peu importe à l'honorable membre que dans ce même intervalle les résultats aient été avantageux pour d'autres produits d'importation, peu lui importe que la situation ait été entièrement différente pendant l'année précédente, et pendant les années antérieures. Il lui suffit que, pendant les dix premiers mois de 1858, trois articles, le café, le coton, et le sucre, nous aient été importés des ports d'Europe pour une quantité en plus de trois millions et demi.
M. B. Dumortier. - Pour neuf millions de kilog. de plus, d'après le Moniteur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Soit, il lui suffit que neuf millions de kilog. aient été importés de plus des entrepôts que pendant la période correspondante de 1857, pour qu'aux yeux de l'honorable membre le commerce d'Anvers soit mort.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela, n'exagérez pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je n'exagère rien, je prie la Chambre d'en être convaincue, je vais reprendre le discours de l'honorable M. Dumortier. Voici ce que j'y lis :
« Or, il est évident que cette énorme différence dénote qu'il s'est opéré une véritable transformation dans les conditions de notre commerce maritime ; elle prouve que notre commerce est devenu aujourd'hui un commerce de cabotage ; qu'Anvers cesse d'être le grand marché qui doit alimenter tout le pays, pour devenir un port de passage, un simple port de débarquement ; c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir un commerce d'entrepôt, vous n'avez plus qu'un commerce de quai. Voilà, messieurs, où est la décadence du port d'Anvers. Et je dis que si c'est par les lois que vous avez produit ce résultat, vous avez fait de mauvaises lois, puisqu'elles ont pour effet d'amoindrir un port qui faisait la gloire du pays et qui était une des plus belles sources de la prospérité nationale. »
L'honorable M. Dumortier s'étend plus loin sur tous les désastres qui découlent de cette importation en plus pour trois articles de nos importations. Il faudrait lire tout le discours, mais je pense que la Chambre en a gardé suffisamment le souvenir pour être convaincue que je n'exagère rien en disant qu'il résulte de l'ensemble du raisonnement de l'honorable membre que le sort de notre métropole commerciale est compromis par cette augmentation de quelques articles d'importation venant des entrepôts d'Europe qu'il a trouvée dans les relevés de 1858.
D'où vient, dit l'honorable M. Dumortier, cette invasion des produits des entrepôts ? Et l'honorable membre répond : C’est que la loi qui supprime les droits différentiels a été mise à exécution au 1er janvier 1858 ; mais l'honorable membre oublie que cet édifice des droits différentiels, qu'il veut relever, s'est écroulé en très grande partie dès l'année 1852, et qu'une autre partie est tombée en 1854.
Il me semble que pour être juste, que pour apprécier sainement les effets de la loi des droits différentiels, il aurait dû, au moins, reporter ses calculs à quelques années en arrière.
Ce qui préoccupe avec raison l'honorable M. Dumortier, c'est l'influence des importations sur les exportations de nos produits.
Or, que dit à cet égard l'honorable représentant ? Il vous dit : « Ces navires qui vous arrivent de Hollande et qui vous importent du sucre et du café, ces navires qui vous importent du coton français, ces navires qui vous arrivent d'Angleterre avec du café, qu'emportent-ils de vos produits ? Rien, rien, absolument rien ! Ceci n'est pas une exagération. »
J'avais toujours pensé que la Hollande était un des pays qui présentait les plus grands avantages, au point de vue de nos exportations.
J'avais toujours pensé que la France et l'Angleterre nous présentaient des débouchés très importants. J'avais lu quelque part que nous exportions pour 126 millions (je supprime les fractions) de marchandises en Hollande, dont 70 millions à peu près de nos propres produits ; que nous expéditions en Angleterre pour environ 112 millions de marchandises dont près de 72 millions au compte du commerce spécial ; enfin que la France nous prenait pour 266 millions de marchandises, dont environ 151 millions provenant de notre industrie.
Selon l'honorable M. Dumortier, ceci n'est rien ; selon lui, les navires qui nous arrivent d'Angleterre, de France et de Hollande, avec des denrées coloniales, refusent obstinément de nous prendre des produits en retour ; tandis que les navires qui nous viennent des tropique, font toujours la navette entre les pays transatlantiques et Anvers, et s'en retournent toujours chargés. Je ne sais dans quel tableau l'honorable membre a trouvé ces renseignements ; mais quant à moi je trouve que les faits sont complétement différents de ses assertions.
L'honorable membre s'imagine que parce que ces navires viennent des tropiques, ild y retournent nécessairement, c'est une première erreur, ces navires sont, à part ceux des Etats-Unis, pour le plus grand nombre d'origine européenne ; les uns s'en retournent à leur port d'armement, d'autres se rendent dans tel ou tel point, soit en Europe, soit hors d'Europe, pour y recommencer une nouvelle opération.
Ils s'en vont quelquefois chargés sans doute, mais aussi ils quittent quelquefois sur lest. Ces navires font ce que font ceux qui nous viennent de France ou d'Angleterre ; ils font des opérations à Anvers, quand il y a des opérations avantageuses à faire ; ils sont à la disposition du commerce comme le sont les navires venant d'Europe ; voilà la vérité.
J'avais donc raison de dire que l'honorable membre sonnait les funérailles non seulement d'Anvers, mais encore de tout notre avenir industriel et commercial, puisque d'après lui les navires transatlantiques seuls exportaient, et que ceux-ci ne jouissant plus d'un régime de faveur n'arrivaient plus, et étaient remplacés par des caboteurs qui n'emportaient rien.
Heureusement, je le répète, les faits, les statistiques sont en parfaite contradiction avec les assertions de l'honorable membre.
Au surplus, la discussion, sur le terrain où l'a placée l'honorable député de Roulers, ne peut avoir aucune portée pratique ; par conséquent je ne crois pas devoir insister sur ce qu'il vient de dire quant aux conséquences, mauvaises de tous genres, qu'a eues, selon lui, l'abolition du régime des droits différentiels.
Si l'honorable membre, comme je le crois, a une conviction arrêtée en cette matière c'est un devoir pour lui de faire une motion formelle. Il ne sera pas, du reste, isolé dans sa proposition à côté de ceux qui à Anvers réclament sincèrement, mais aussi modérément, à côté de ceux qui signalent quelques parties défectueuses dans le commerce d'Anvers et qui cherchent un remède, dans certaines mesures gouvernementales ; il y en a d'autres qui se livrent à une polémique ardente, pleine d'amertume et d'injustice, et qui, espèrent arriver, par l'exagération et par l'agitation, au rétablissement de certains droits différentiels.
Je crois que ces personnes ne seront pas reconnaissantes à l'honorable M. Dumortier d'avoir déjà traité cette question devant vous ; je crois qu'elles regretteront qu'il ait, par une attaque prématurée, démasqué des batteries qui étaient destinées à rester cachées encore pendant quelque temps.
L'honorable M. Dumortier a dit aussi que non seulement on avait supprimé les droits différentiels existant à l'avantage d'Anvers, mais qu'on en avait établi contre Anvers. Mon honorable collègue des finances, qui dirige le département des travaux publics, se chargera de répondre sur ce point à l'honorable membre.
M. de Boe. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vient de soulever un débat sur la question des droits différentiels. La chambre de commerce d'Anvers n'a pas demandé le rétablissement de ces droits ; aucun journal d'Anvers ne s'est fait l'organe d'une pareille demande ; l'un d'eux il est vrai, a ouvert ses colonnes à un partisan de ce système, mais il a aussi ouvert ses colonnes à un partisan du régime actuel ; il a réservé sa propre opinion, il a fini par déclarer qu'elle serait favorable au système libéral qui règle aujourd'hui la situation du port d'Anvers.
L'honorable membre voit toute la cause de mal dans l'abolition du système dont il s'est fait le défenseur, il oublie que les réclamations de la ville d'Anvers ne datent pas de cette année au commencement de laquelle la loi abolissant les droits différentiels est entrée en vigueur.
Les réclamations de la ville d'Anvers sout très anciennes ; elle demande la réduction du droit de pilotage et l'abolition du droit de tonnage depuis cinq années. Dès cette époque, elle prévoyait qu'il serait difficile au port d'Anvers de lutter avec Rotterdam si l'on ne diminuait les charges grevant la navigation de l'Escaut. Ce n'est donc pas l'abolition des droits différentiels qui est cause de ses réclamations. J'ai été étonné de voir l'honorable M. Dumortier se lever pour défendre la ville d’Anvers et combattre l'abolition du droit de tonnage. Il voit dans cette abolition et la réduction du droit de pilotage une mesure favorable au cabotage et défavorable à la grande navigation.
Les dégrèvements fiscaux que demande le commerce d'Anvers sont plus favorables à la grande navigation qu'au cabotage, j'ai établi que ces droits pèsent beaucoup plus sur la première que sur le second.
Ainsi nous avons un service de bateaux à vapeur entre Anvers et Rotterdam ; chaque navire fait, je crois, deux voyages par semaine, soit 104 voyages par an ; si nous supposons que le tonnage soit de 500 tonneaux, chiffre un peu élevé, mais qui est celui que la chambre de commerce a pris pour base de sa comparaison, chaque bateau payera donc la 104ème partie de 1,100 francs, soit 10 francs en moyenne par course.
(page 209) Un bâtiment au long cours qui n'abordera qu'une fois par an au port d'Anvers payera l'intégrité du droit, soit 1,100 franc pour ce seul voyage.
Il en résulte que ce droit grève davantage la grande navigation que le cabotage. Au point de vue de l'encouragement de la grande navigation, on doit donc l'abolir.
Le système des droits différentiels a certainement aujourd'hui des partisans à Anvers ; seulement je doute fort que ces partisans se fassent de ce système absolument la même idée que l'honorable M. Dumortier. Pour l'honorable membre leur rétablissement n'est qu'une partie d'un vaste système de protection qui devrait couvrir toute l'industrie belge, non seulement la navigation, les provenances directes, mais encore les manufactures et l'agriculture. Si je ne me trompe, l'honorable membre est partisan de l'échelle mobile et voudrait, dans certains cas, prohiber les grains à la sortie.
Je doute que dans ces conditions il trouve un seul individu à Anvers qui veuille accepter son système.
L'honorable membre veut une législation qui protège la marine belge et qui devra subsister, aussi longtemps que celle-ci ne sera pas en mesure d'entrer en lutte avec la marine anglaise et la marine hollandaise, de telle sorte qu’elle devra être perpétuelle.
Or, s'il veut consulter à Anvers les partisans du rétablissement du droit différentiel, il reconnaîtra qu'ils ne voient eux dans ce droit qu'une arme à employer pour forcer les autres puissances à désarmer, à faire abandon de leurs privilèges coloniaux ou autres.
Lors de la grande enquête de 1853 et 1855, la ville d'Anvers demanda le maintien d'une surtaxe de provenance sur certaines marchandises, uniquement dans le but de forcer nos voisins à nous admettre au traitement national chez eux et dans leurs colonies. Les partisans de ce système à Anvers et les promoteurs de la loi de 1844 n'ont jamais eu, à ma connaissance, d'autre but.
Quant à la crise qui affecte la navigation, elle ne pèse pas seulement sur les pays qui ont abandonné le système différentiel ; la France, Bréme, Hambourg, tous les ports en souffrent. Il y a en ce moment, il est vrai, des réclamations très vives eu Angleterre contre l'abolition de l'acte de Cromwell, mais elles se sont produites, parce qu'on ne s'est pas rendu compte des faits. Si nous comparons le mouvement de la navigation de ce peuple pendant les années 1850 à 1857 avec celui des pays qui ont continué à vivre sous ce régime, nous voyons que le mouvement maritime étranger s'est développé plus fortement en France et en Espagne que le mouvement maritime national, qu'il y a égalité de développement des deux sortes de pavillons dans les Pays-Bas, qu'en Angleterre la part prise dans les transports par les marines étrangères a été plus considérable que celle de la marine nationale, mais aussi celle-ci s'est accrue dans des proportions plus considérables que celle des peuples qui ont conservé tout ou partie du système différentiel. De telle sorte que si le libre accès des ports d'Angleterre a profité aux pavillons étrangers, il a profité dans une large mesure à la marine anglaise, mesure qu'on n'eût probablement pas atteint, avec le maintien des lois de 1860. Sans l'abrogation qui en fut faite, l'industrie des transports n'eut probablement pas acquis les proportions qu'elle a atteintes ces dernières années.
La ville d'Anvers ne proteste pas contre l'abolition d'un système qui vient à peine de disparaître. Elle espère encore pouvoir soutenir la lutte ; mais à une condition, c'est qu'on lui vienne sérieusement et promptement en aide, qu'on formule législativement les mesures qu'elle a soumises à l'examen du gouvernement. Tout débat sur les droits différentiels est donc inutile.
M. B. Dumortier. - Je n'aurai que peu de chose à répondre aux observations que vient de présenter M. le ministre des affaires étrangères. La manière dont il a rappelé les observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre fait assez justice des conséquences qu'il en a déduites. M. le ministre, en effet, m'a représenté comme ayant annoncé la mort d'Anvers, la mort de toutes les industries du pays.
Je vous laisse à juger, messieurs, si j'ai rien dit de semblable. J'ai dit que le commerce d'Anvers était attaqué à tort pour avoir signalé sa décadence, que le système qu'on suivait aurait pour résultat des conséquences désastreuses et pour le port d'Anvers et pour le pays tout entier ; mais ce n’est évidemment point là prononcer l'oraison funèbre d'Anvers. Loin d'avoir prononcé l'oraison funèbre du port d'Anvers, j'ai voulu, au contraire, indiquer un moyen de lui rendre cette gloire qu'il a eue pendant toute la durée des droits différentiels et qu'il n'aurait point perdue si, depuis le 1er janvier dernier, les droits différentiels n'avaient pas été supprimés. (Interruption.)
Vous n'êtes point partisans des droits différentiels, messieurs, mais vous êtes des gens du libre examen, si je ne me trompe ; permettez donc qu'on soit d'une opinion différente de la vôtre.
M. le ministre des affaires étrangères et l'honorable M. de Boe viennent nous parler des réclamations faites par la ville d'Anvers en 1853, 1854 et 1855 ; mais, messieurs, ces réclamations étaient tout à fait insignifiantes.
Est ce qu'on parlait alors de la décadence du port d'Anvers ? Pourrait-on me montrer un seul document remontant à ces époques, écrit dans le sens de celui qui nous a été récemment distribué ? Depuis quand parle-t-on de la décadence du port d'Anvers ? Depuis quelques mois seulement, depuis que les droits différentiels ont été supprimés.
Maintenant on nous dit que la presse ne s'est pas rendue l'écho de ,réclamations qui se sont produites ; M. le ministre des affaires étrangères dit, lui : « Oh ! c'est une machine de guerre à laquelle on a recours, et Anvers ne saura nul gré à M. Dumortier de l'avoir éventée. »
Je n'ai pas l'habitude, messieurs, d'employer des machines de guerre ; ; je ne me préoccupe jamais que de l'intérêt du pays et pour le défendre, il n'est pas besoin de recourir à des moyens de cette espèce. Mais où cette pensée s'est-elle trouvée exprimée ? C'est dans un journal que vous devez bien connaître, puisque, récemment encore, il publiait, dit-on, le discours du trône avant qu'il fût prononcé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est faux !
M. B. Dumortier. - Je l'ai lu dans les journaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans vos journaux sans doute, qui, tous les jours, sont remplis de mensonges.
M. Dumortier. - Alors il y a eu un miracle !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui faisons des miracles ; nous vous en laissons le monopole.
M. B. Dumortier. - Et le miracle du mois de mai ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous discuterons cela avec vous et avec vos amis, quand vous le voudrez.
M. B. Dumortier. - C'est dans le Précurseur (dans un article intitulé : Décadence du port d'Anvers), que j'ai lu pour la première fois que c'est la suppression des droits différentiels qui a été la cause de la crise dans laquelle se trouvait la ville d'Anvers, et cela a été, pour moi, un trait de lumière.
- Un membre. - Il n’en a plus parlé.
M. B. Dumortier. - Il est probable que plus tard on se sera aperçu qu'il y avait là un embarras pour le gouvernement et qu'on aura engagé la presse à ne plus s'occuper de cette question. Toujours est-il qu'il est de toute évidence qu'on ne parle de la décadence du port d'Anvers que depuis la suppression des droits différentiels.
Et, en effet, c'est depuis lors que, sur trois articles, les sucres, les cafés et les cotons. 9 millions de kilogrammes, qui devaient nous arriver directement, nous sont venus par le cabotage. Or, quel profit le port d'Anvers tire-t-il des importations que nous procure le cabotage ? Aucun ; le cabotage ne procure pas les bénéfices de l'achat et de la revente ; c'est donc comme je l'ai dit, la substitution du commerce de quai au commerce d'entrepôt ; et c'est là une chose fatale, mortelle pour un port de mer qui doit être la source la plus féconde de la richesse nationale.
L'honorable M. de Boe nous a dit que les droits différentiels n'ont été établis que pour faciliter les conclusions de traités avec d'autres puissances. Il est vrai qu'à Anvers tout le monde n'a pas bien compris, dès le principe, l'importance des droits différentiels. Ceux qui ne voulaient faire purement et simplement que le commerce de commission ne l'ont point comprise. Mais les armateurs et les véritables négociants ont toujours apprécié la valeur des droits différentiels, et si l'honorable M. de Boe avait fait partie de cette Chambre à l'époque où ces droits ont été établis, il aurait pu vérifier l'exactitude de nos assertions.
« Votre système, me dit-on, se rattache à un vaste système de protection ; et il est avéré pour tout le monde qu'Anvers ne veut pas de protection ! » N'en déplaise à l'honorable M. de Boe, je lui dirai qu'il n'y pas une localité de la Belgique, pas une, qui réclame autant de protection qu'Anvers.
Le rachat du péage sur l'Escaut, n'est-ce pas une protection qu'on vous accorde et qui coûte annuellement un million et demi au trésor public ? Vous voulez la suppression du droit de tonnage, qui est une source de revenus pour l'Etat ; c'est donc encore une protection que vous demandez. Vous voulez la réduction des péages sur le chemin de fer : vous voulez plus, vous voulez la construction d'un chemin de fer direct vers l'Allemagne, sans vous inquiéter de la concurrence qu'il ferait à la ligne de l'Etat ; encore protection. Quand vous demandez la nationalisation des navires étrangers, c'est-à-dire le droit de qualifier du nom de belge et de faire entrer comme tels dans nos ports des navires construits et gréés à l'étranger, n'est-ce pas encore une protection que vous réclamez ? Vous ne vivez que de protections et vous repoussez tonte protection accordée à tout ce qui n'est pas Anvers.
Si l'industriel du pays vient demander comme fruit de son travail, oh, il trouve toujours Anvers là pour repousser sa demande. Eh bien, M. de Boe, prenez-y garde ! si c'est là votre système, savez-vous ce que vous ferez ? Vous amoncellerez toutes les colères du pays contre la ville d'Anvers. Aussi, permettez-moi de vous le dire, c'est défendre mal les intérêts du pays que de réclamer toujours la protection en faveur d'Anvers et en la combattant toutes les fois qu'elle est réclamée par le reste du pays. En fait de protection, il faut encourager surtout les industries naissantes afin de leur permettre de soutenir la concurrence avec l'étranger. L'industrie est dans ce cas, et mieux vaudrait s'entendre, s'unir, réunir tous ses efforts pour développer la richesse nationale que de se diviser pour la détruire. La richesse nationale, mais n'est-ce pas l'un des biens les plus importants du pays ? Mais pour y arriver, il faut accorder une protection raisonnable et réciproque à toutes les industries ; la réciprocité est ici la condition essentielle. Si, par impossible, Anvers voulait préparer dans un esprit d'égoïsme la ruine du pays, le pays irrité supprimerait bientôt toutes les faveurs dont elle jouit. Mais cette pensée égoïste ne sera pas celle du port d'Anvers, son intérêt le (page 210) portera à agir avec réciprocité et alors nous revenons ce beau port, l'une des gloires de la couronne belge, reconquérir bientôt sa richesse et sa prospérité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne prends la parole que pour rectifier une erreur qui a échappé dans l'improvisation à l'honorable député de Roulers. Il a dit qu'un journal d'Anvers, qui demandait le rétablissement des droits différentiels, avait eu la faveur de publier le discours du Trône, avant même qu'il eût été prononcé. Une pareille accusation ne peut s'adresser qu'au cabinet. Eh bien ! messieurs, je dis que cette accusation est complétement fausse. Le journal dont on a parlé n'a pas reçu le discours du Trône plus tôt que ses confrères.
Je dois dire cependant que l'éditeur, en faisant la demande du discours du Trône, avant qu'il eût été prononcé, invoquait des précédents pas trop éloignés de mon ministère.
Eh bien, le discours du Trône n'a pas été remis à l'éditeur du journal qu'on a cité avant qu'il eût été prononcé dans cette enceinte. L'éditeur a donné, sur ce point, le démenti le plus formel aux journaux auxquels l'honorable M. Dumortier emprunte cette assertion. L'honorable M. Dumortier a lu l'assertion ; il a rappelé l'accusation, mais le démenti lui aura échappé. L'honorable membre a appelé cela un miracle ; je lui répondrai que je ne pense pas que le journal dont il s'agit ait recours à ce procédé.
Il a parlé aussi d'un miracle du mois de mai. Messieurs, nous savons ce que l'honorable M. Dumortier veut dire avec ce miracle du mois de mai et nous sommes prêts à le discuter avec lui. Nous l'avons déjà convié, lui et ses honorable amis, à discuter avec nous ce miracle du mois de mai. Mais lorsque nous faisons un appel à la discussion, l'honorable M. Dumortier et ses amis, au lieu de nous répondre, abandonnent leurs bancs et nous laissent seuls.
M. H. de Brouckere. - L'honorable membre qui a pris le premier la parole dans cette séance a vivement engagé le gouvernement à favoriser autant qu'il le pourrait, l'établissement de comptoirs belges dans les pays lointains.
Je suis loin de vouloir le contredire sur ce point. Je reconnais avec lui la grande utilité que ces comptoirs pourraient avoir pour le commerce belge. Mais l'honorable membre m'a paru faire bien bon marché des services que rendent au pays les consuls belges. Il vous a dit, eu effet, qu'il n'attachait que peu d'importance à l'établissement de consuls soit dans les colonies, soit dans toute autre contrée étrangère.
M. B. Dumortier. - Dans les endroits où il n'y avait presque pas de navigation, où il n'arrivait que trois ou quatre navires belges par an.
M. H. de Brouckere. - Quoi qu'il en soit, vous m'avez paru ne pas avoir rendu justice aux services que le corps consulaire rend au pays, et je suis persuadé que cette justice, qui est refusée ici au corps consulaire, lui est parfaitement accordée par la ville d'Anvers et par toutes les villes commerçantes du pays. Notre corps consulaire, je n'hésite pas à le dire, est en général composé d'hommes très zélés, très éclairés et dont les services sont en quelque sorte journaliers.
Ceci m'engage à appeler un moment l'attention du gouvernement sur des faits récents qui peuvent avoir pour nous une très grande importance. Je veux parler des événements qui se sont accomplis au Japon et en Chine, et qui probablement vont donner une face nouvelle aux relations de l'Europe avec ces deux grands empires.
Déjà vous avez vu que plusieurs Etats européens sont parvenus à négocier des traités de commerce avec ces pays. Eh bien, la Belgique, dans de semblables circonstances, ne peut pas rester inactive. Je saisis ou du moins je crois savoir que le département des affaires étrangères, qui veille avec la plus grande vigilance aux intérêts du commerce belge, s'est déjà occupé de ces événements.
Je crois savoir qu'il a désigné ou qu'il est à la veille de désigner un consul à l'effet de se rendre en Chine et de tâcher d'obtenir, pour la Belgique, les avantages commerciaux qui ont été accordés à d'autres Etats. Je le loue de cette mesure, je l'en remercie. Mais je l'engage à examiner la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'envoyer soit actuellement, soit un peu plus tard, dans l'Indo-Chine, soit un agent diplomatique, soit du moins un agent consulaire d'un rang élevé qui n'aurait pas seulement pour mission d'aller tirer parti, dans un lieu déterminé, de circonstances récentes, mais auquel l'ordre serait donné de séjourner dans cette contrée aussi longtemps qu'il y restera quelque chose à faire dans l'intérêt du commerce belge.
Il est à remarquer, messieurs, que la Chine, le Japon sont des pays entièrement nouveaux pour nous. Il ne suffira pas d'y négocier des traites de commerce. Il faudra y établir des consuls ; il faudra rechercher les moyens qui peuvent le plus favoriser les relations de la Belgique avec ces pays.
Il est d'autres contrées encore dont on fera bien de s'occuper. Ainsi, par exemple, la Cochinchine où s'accomplissent aussi des événements dont on peut à peu près prévoir les conséquences. Ainsi encore le royaume de Siam, qui paraît vouloir établir des relations plus intimes avec l’Europe. Ce sont des pays dont le gouvernement doit s'occuper aussi avec activité.
Je ne fais aujourd'hui que prier le gouvernement d'examiner la question que je lui soumets, celle de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'établir une légation d'un certain rang, dans ces contrées, pour y faire tout ce qui peut être utile au commerce belge.
Dans peu de jours, nous aurons à discuter le budget des affaires étrangères, et j'espère que pour cette époque M. le ministre des affaires étrangères voudra bien donner quelques explications que la Chambre entendra, j'en suis sûr, avec le plus vif intérêt,
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière). - Je puis répondre immédiatement à l'interpellation de l'honorable M. de Brouckere.
Dès le commencement des événements qui se sont passés en Chine et en Cochinchine, le gouvernement a dirigé sa sollicitude vers ces contrées. Il a chargé son consul général dans les Indes de se rendre en Chine.
Vous savez, messieurs, que notre organisation consulaire, en ce qui concerne les agents rétribués, est différente de celle des autres pays. Le gouvernement belge, voulant mettre dans ce service comme dans tous les autres une extrême économie, a créé un très petit nombre de consulats rétribués, dont les titulaires portent le titre de consuls généraux.
Ces consuls généraux ne sont pas des agents à poste fixe. On a divisé entre eux en quelque sorte tout le littoral du monde ; à chacun on a attribué une zone, et selon que le département des affaires étrangères est porté par certains faits généraux à diriger son attention plutôt sur tel pays que sur tel autre, le consul général a mission d'aller visiter ce pays, de l'explorer, de faire des rapports sur les ressources et les besoins de la contrée. C'est ainsi que plusieurs explorations ont été faites en Amérique, en Afrique et en Asie.
L'agent dont je parle a été chargé de se rendre en Chine, d'y négocier un traité, d'y faire des explorations, de nous envoyer des rapports, et de s'entourer de tous les renseignements propres à éclairer notre commerce sur ce pays encore peu connu.
Nous pourrons également diriger ce même agent, lorsque cette mission aura été remplie, ou un autre agent, vers l'Indo-Chine, qui effectivement est une contrée extrêmement intéressante pour le commerce européen.
J'examinerai avec attention les observations que l'honorable M. de Brouckere a présentées à cet égard.
L'honorable M. de Brouckere, qui a laissé dans le département des affaires étrangères l'empreinte de sa haute intelligence, a cru devoir, à l'occasion d'une partie du discours de l'honorable député de Roulers, décerner au corps consulaire belge des éloges très méritées ; qu'il me soit permis, messieurs, d'ajouter un seul mot à ses paroles.
Les services de nos consuls sont appréciés à tel point, par le commerce et l'industrie belges, que toutes les fois que j'ai songé à les reconnaître ou à les récompenser, j'ai été devancé par les sollicitations de négociants ou d'industriels qui venaient me signaler le zèle et les bons offices de certains de ces agents et me demandaient pour eux des récompenses.
Il n'y a point de jour, en quelque sorte, que je ne reçoive de pareils témoignages venant de l'un ou l'autre de nos districts industriels.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On s'est beaucoup occupé ces jours passés et aujourd'hui encore de la question des tarifs différentiels, des plaintes que le commerce d'Anvers élève à ce sujet. Je ne crois pas qu'il soit opportun de discuter cette question ; il serait impossible, en ce moment, d'entrer dans les détails d'une semblable question sans faire naître une discussion qui serait tout à fait étrangère au budget des voies et moyens.
La discussion serait surtout inopportune en l'absence de l'honorable M. Loos, qui a déposé, dans la séance du 8 décembre, un rapport sur une plainte qui a encore pour objet ces tarifs qui, prétendument, favorisent le port de Dunkerque comme d'autres sont accusés de favoriser celui de Rotterdam au préjudice du port d'Anvers.
Je me borne donc à dire dès à présent, sans entrer dans l'examen des tarifs, que ces plaintes donnent aux faits un caractère qu'ils n'ont pas. Je démontrerai à la Chambre, dans la discussion du rapport de M. Loos, que les plaintes d'Anvers reposent sur des apparences bien plus que sur des réalités.
M. Manilius. - Je dois faire observer que le rapport de l'honorable M. Loos est un rapport spécial, qui doit avoir son tour de discussion. Cela viendra probablement lundi ou mardi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'empresse de déclarer que j'ai été très loin de vouloir adresser un reproche à M. Loos de ce qu'il n'est pas présent à la séance. M. Manilius m'aura sans doute fort mal compris J'ai dit simplement qu'il ne convenait pas, en l'absence de M. Loos, de discuter une question qui est traitée dans son rapport.
M. Manilius. - J'ai très bien compris M. le ministre, mais j'ai fait remarquer le que rapport de M. Loos a un objet spécial qu'on ne peut pas discuter en ce moment.
- L'article Douanes et accises est adopté.
M. J. Jouret. - Messieurs, le rapport de la section centrale contient sur l'article : Canaux et rivières, l'observation suivante :
« La cinquième section pense que la navigation d'une commission qui a été faite dernièrement pour examiner la question générale des péages, ne (page 211 devrait pas retarder le redressement de quelques-unes des irrégularités notoires qui ont été signalées et qui sont relatives à certains péages. »
C'est relativement à ce passage que je demanderai à la Chambre la permission de faire quelques courtes observations.
A la fin de la session dernière, au moment où nous nous occupions de la question du péage différentiel sur le canal de Charleroi, je terminais les observations que j'avais présentées de la manière suivante :
« Si la Chambre, paralysée dans ses bonnes dispositions par l'attitude que le gouvernement a prise et croyant n'être pas suffisamment informée, se décide à accepter les conclusions de la section centrale, et reporte l'examen de cette importante affaire à la session prochaine, je crois devoir prévenir le gouvernement que soit qu'il ait fourni les renseignements demandés et promis, soit qu’il ne l'ait pas fait, je reviendrai à i la charge aussitôt que possible à la prochaine session, et nous continuerons, mes amis et moi, à faire tous nos efforts pour qu'il soit fait droit sur cette question de justice et de réparation. »
J'ajoutais : « J'en ai la profonde conviction, cette question finira par prévaloir, comme prévaut, à la longue, tout ce qui est juste et vrai. »
L'honorable M. de Naeyer, qui avait pris la parole dans la même discussion, s'exprimait d'une manière non moins catégorique.
Il disait « La réduction réclamée par l'honorable M. Jouret s'appuie sur des motifs tout particuliers ; elle a pour objet d'abolir une injustice d'un caractère tout spécial ; il s'agit de faire cesser une taxe différentielle, perçue à raison des lieux de provenance ; c'est là une anomalie et une iniquité dont il n'existe d'exemple sur aucune autre voie navigable faisant partie du domaine public de l'Etat. »
Et un peu plus loin répondant à l'honorable M. Sabatier, M. de Naeyer prouvait à toute évidence l'exactitude de ce qu'il venait de dire.
Au moment où l'honorable M. de Naeyer et moi, nous faisions ces observations à la Chambre, qu'était-il arrivé ?
Nous discutions une proposition d'ajournement contenue dans un rapport fait par notre premier vice-président l'honorable M. Orts, et cette proposition d'ajournement était due à cette circonstance, toute fortuite et malheureuse pour la proposition de loi, qu'un membre de la section centrale avait été empêché, par l'indisposition grave d'un de ses proches, d'assister à ses séances, et que de cette manière, au lieu d'un rapport concluant à l'adoption de la proposition, nous avions un rapport qui concluait à l'ajournement.
Je faisais observer alors et je fais observer encore que si tous les membres de la section centrale avaient été présents, nous aurions eu à discuter un rapport favorable à la proposition de loi.
Quoi qu'il en soit, l'affaire fut ajournée aux premiers jours de la présente session.
Maintenant, messieurs, n'est-il pas de toute justice, n'est-il pas même de la dignité de la Chambre qu'une proposition de loi due à l'initiative d'un grand nombre de ses membres, qui a déjà été l'objet d'un examen de la part des sections, qui a été approuvée par les sections, soit enfin examinée par la section centrale, que cette proposition fasse l'objet d'un rapport et puisse être discutée sans autre retard ?
Messieurs, lorsque je me suis décidé à faire cette demande à la Chambre j'avais prévu l'objection qu'on ne manquerait pas de me faire et que l'honorable ministre des finances m'a faite en effet dans la séance d'avant-hier.
L'honorable ministre des finances a dit que le gouvernement avait promis d'instituer une commission ; que cette commission a été constituée ; qu'elle délibère et qu'il faut attendre le résultat de ses délibérations. Je crois que c'est bien dans ce sens que M. le ministre de finances s'est exprimé !
A cette observation, il y a différentes choses à répondre. En voyant les délais apportés à la constitution de la commission, j'avais pensé que les prévisions que j'avais exprimés l'année dernière allaient se réaliser. J'ignorais les motifs qui s'étaient opposés à ce que la commission se constituât. Nous avons appris enfin que ce retard était dû à une indisposition de notre collègue l'honorable M. H. de Brouckere. Maintenant que l'honorable membre est rendu à la santé et aux travaux de la Chambre, la commission, me dira-t-on, va pouvoir commencer ses travaux et les mener à bonne fin ; jusque-là la demande que vous faites peut paraître inopportune.
Messieurs, je désire sincèrement que mes prévisions soient démenties ; mais quand je songe aux intérêts si divers qui se trouvent en présence ; quand je songe aux difficultés insurmontables qu'il y aura à concilier ces intérêts, je crains d'avoir été bien meilleur prophète que je ne le désirais l'année dernière et que je ne le désire encore, lorsque en parlant de l'annonce que l'on venait de nous faire de l'institution d'une commission, je prononçais ces paroles qui étaient peut-être un peu trop absolues :
« Le gouvernement a décidé que la question serait renvoyée à une commission. On sait ce que cela signifie. Renvoyer une question aux limbes d'une commission, c'est évidemment dire qu'on ne veut pas s'en occuper, qu'on la renvoie aux calendes grecques. »
Mais enfin, messieurs, en supposant que les travaux de la commission puissent aboutir à un résultat que tout le monde désire, ce que j'ai beaucoup de peine à espérer, combien de temps s'écoulera-t-il avant qu'on en soit arrivé là ? Que fera alors le gouvernement ?
Quelle garantie avons-nous, en supposant que la commission présente des conclusions favorables aux demandes tendantes à obtenir un dégrèvement de péages ; quelle garantie avons-nous que le gouvernement consentira à marcher dans cette voie ? J'avoue que l'attitude prise par le gouvernement dans des circonstances analogues me fait craindre qu'alors même les travaux de la commission ne soient inutiles.
Une seconde observation, très importante selon moi, que l'on peut faire relativement à l'objection que l'on fait de l'institution de cette commission, c'est que celle-ci a pour mandat de s'occuper de la question des péages d'une manière tout à fait générale. Elle a à s'occuper d'une sorte d'équilibre, de pondération des péages, non seulement entre eux, mais encore eu égard aux autres moyens de communication et de transport qui existent dans le pays. Eh bien, c'est là une question immense, compliquée, et on ne peut certes m'accuser d'exagération lorsque j'exprime d'une manière sérieuse la crainte que cette question ne soit réellement insoluble.
Qu'avons-nous, au contraire, dans la proposition que nous avons soumise à la Chambre ? Nous avons une question toute spéciale, complétement indépendante des questions générales que la commission doit examiner, (L'honorable M. Pirmez me fait un signe négatif ; c'est là un fait positif qui est maintenant compris de tout le monde.) Une question qui concerne uniquement un péage différentiel entre deux centres parfaitement isolés de tous les autres sous ce rapport, comme l'a fait observer l'honorable M. de Naeyer dans les paroles que j'ai rapportées tantôt ; l'honorable membre a démontré que c'est là une anomalie et une iniquité dont il n'existe d'exemple sur aucune autre voie navigable faisant partie du domaine public de l'Etat.
Pour en revenir à notre proposition et pour réduire la question à sa plus simple expression, il s'agit de savoir si on continuera à faire payer au Centre deux francs pour un parcours de 9 lieues, sur le canal de Charleroi, tandis qu'on ne fait payer que la même somme pour un parcours de quinze lieues, entre Charleroi et Bruxelles.
Je vous le demande, messieurs, à quoi peuvent servir, pour décider une question aussi claire et aussi simple, les méditations profondes, les vastes recherches auxquelles devra se livrer la commission ?
Je ne veux en aucune manière toucher au fond de la question. L'honorable M. Prévinaire qui s'était placé à un point de vue plus large que nous, a produit des observations fort judicieuses et, à mon sens, irréfutables. D'autres observations seront produites encore et parviendront, je l'espère, à former d'une manière plus complète la conviction de la Chambre.
Mais l'honorable M. Prévinaire a prouvé que le principe de pondération, invoqué jadis pour établir le péage différentiel, ne pouvait plus l'être actuellement ; que cette pondération avait été rompue et qu'on ne pouvait plus faire valoir les raisons sur lesquelles on s'appuyait autrefois.
Messieurs, qu'il me soit permis de compléter cette démonstration, sans vouloir cependant rien dire au fond et en me plaçant au point de vue où s'est mis l'honorable M. Prévinaire.
Les chiffres que je vais citer ont déjà été produits l'année dernière, dans cette enceinte par l'honorable M.de Renesse. Je ne me rappelle plus à quelle occasion. Le rédacteur des Annales des travaux publics a dressé un tableau de la production, de l'exploitation charbonnière des trois bassins de Mous, du Centre et de Charleroi depuis 1834 jusqu'à 1855.
En 1834, le bassin de Mons produisait déjà 1,182,005 tonnes de Charleroi, celui du Centre n'en produisait que 330,740, celui de Charleroi, moins encore, 305,808.
En 1855,1e bassin de Mons produisait 3,000,000 de tonnes ; le Centre, seulement 1,094,878, et le bassin de Charleroi 2,263,015.
Le rédacteur des Annales des travaux publics fait sur ces chiffres l'observation suivante :
« Pendant cet intervalle de 21 années, l'exploitation charbonnière du couchant de Mons s'est accrue dans la proportion de 100 à 254, celle du Centre, de 100 à 332 et celle de Charleroi, de 100 à 774 ?
Il est évident que la conséquence, tirée de ces chiffres par l'auteur des Annales des travaux publics, est peu fondée. Il dit en effet :
« Du rapprochement de ces chiffres, on doit conclure que toute mesure qui tendrait à améliorer encore la situation des bassins du Centre et de Charleroi, par rapport à celui du Couchant de Mons, ne serait rien moins que motivée par la prospérité relative de ces trois centres industriels. »
Pour que ces conclusions fussent fondées, il aurait fallu que le point de départ n'établît pas une si grande différence entre les trois centres ; car le Centre de Mons produisait déjà, en 1854, 1,182,005 tonnes de charbon, tandis que le Centre et le bassin de Charleroi n'en produisaient respectivement que 330,740 et 305,808.
Le point de départ étant différent, il est évident que la conclusion du rédacteur des Annales des travaux publics s'appuie sur une base inexacte.
(page 212) Mais ce qui est vrai et frappant pour tout le monde, c'est que quand on considère les chiffres qui concernent le Centre et Charleroi, on est convaincu qu'à leur égard l'observation du rédacteur de ce travail est complétement fondée.
Vous allez en juger :
En 1834, l'exploitation était de 330 mille tonnes pour le Centre et de 305 mille pour Charleroi (j'omets les fractions), tandis qu'en 1855, elle est de 1,094,000 tonnes seulement, tandis qu'elle est, pour Charleroi, de 2,363,000 tonnes.
Certainement, si l'auteur des Annales des travaux publics avait dû prendre une conclusion, en se mettant au point de vue comparé des deux bassins en opposition, il aurait tiré une tout autre conclusion ; il aurait dit, pour me servir de ses paroles : On doit conclure que toute mesure qui tendrait à améliorer la situation du bassin du Centre serait complétement motivée, en présence de ces chiffres établissant la prospérité relative du centre de Charleroi.
Mais ces mesures qui tendraient à améliorer sa situation, le Centre ne les demande pas, il ne veut que justice, il demande qu'on fasse disparaître une iniquité qui le prive avec la plus grande injustice des avantages naturels de sa position topographique.
Remarquez, messieurs, qu'il s'agit ici bien moins de l'intérêt des extracteurs que de l'intérêt des consommateurs ; est-il besoin d'en faire la démonstration quand vous voyez, au bas du projet de loi que nous avons eu l'honneur de présenter à la Chambre, les noms de MM. Thiéfry, Prévinaire, Jacquemyns, Manilius, de Naeyer, Saeyman, de Boe, de Bast, cela ne vous dit-il pas assez qu'il s'agit des intérêts d'une masse de consommateurs appartenant aux Flandres et à la capitale ?
Si les signataires de ce projet ne vous disaient pas à quelles souffrances il faut subvenir, vous auriez à vous demander quel est l'intérêt public, quelle est la raison d'Etat qu'il est de notre devoir de consulter dans cette occasion ?
L'intérêt public qu'il faut consulter, ce n'est plus, comme jadis, celui qui vient en aide aux producteurs, mais celui qui vient en aide aux consommateurs, et cet intérêt-là nous convie à faire disparaître au plus tôt un péage différentiel, que rien ne justifie désormais.
Mais laissons cette digression ; je l'ai faite parce que je désirais compléter la démonstration faite par M. Prévinaire. Je n'ai voulu que l'appuyer par des chiffres ; les raisons de pondération qui ont fait établir cette taxe différentielle n'existent plus ; il ne s'agit plus que de l'intérêt du consommateur et non de l'intérêt d'un centre de production qui n'a plus besoin de protection.
Cette question toute spéciale est, du reste, connue de la Chambre, elle l'a entendu débattre à différentes reprises, elle a entendu les développements de la proposition Steenhault ; la Chambre n’a pas oublié le rapport lumineux de cet honorable ancien membre.
En présentant mon projet de loi, j'ai reproduit ces développements, et j'y ai joint des considérations nouvelles motivées par les faits nouveaux qui s'étaient produits dans cette question. La Chambre est à même de se prononcer sur cette intéressante question, et je le dis en toute conviction la commission, toute composée qu'elle puisse être d'hommes compétents, ne pourra fournir de nouvelles lumières sur cette question.
Quel que soit son travail, quelle que soit l'étendue qu'elle lui donne, quelles que soient les limites dans lesquelles elle veuille le circonscrire, la question ne peut perdre son caractère de simplicité et de clarté, la Chambre est en mesure de faire droit si elle le veut.
Et remarquez bien, messieurs, qu'il n'y a aucun inconvénient à le faire sous le rapport des intérêts rivaux en présence, parce que, bien loin de nous opposer à ce qu'il soit fait droit aux demandes de dégrèvement plus larges qui ont surgi à côté de la nôtre, nous les appuyons dans ce qu'elles ont de juste et de fondé. La Chambre se rappellera que l'année dernière je l'ai dit en répondant à M. le ministre des finances, qui nous avait accusé de vouloir compromettre des intérêts rivaux.
Vous avez entendu dans la séance d'avant-hier, M. le ministre des finances répondant à M. Prévinaire, se servir d'expressions tout autres, il a dit : il y a des intérêts en opposition en contradiction, c'est bien différent. Mais non, messieurs, il n'y a pas des intérêts en opposition en contradiction. Je crois être dans le vrai en disant qu'il n'y a que des intérêts qui s'appuient les uns sur les autres, qui veulent surgir ensemble à propos de notre réclamation, et qui veulent profiter d'une occasion qu'ils jugent favorable.
Voilà la vérité. Si nos honorables collègues de Charleroi étaient bien inspirés ils ne s'opposeraient pas à ce qu'il nous soit fait justice, et à ce qu’on puisse leur dire : « Vous demandez avec raison justice pour vous-mêmes et vous ne savez pas consentir à la faire aux autres. »
Je crois pouvoir le dire avec toute raison, il est convenable que la Chambre procède sans autre retard à l'examen de ce projet de loi ; après en avoir été saisie depuis un temps aussi long, elle ne doit pas attendre le travail de la commission qui, je le reconnais, au point de vue des péages en général, peut avoir de bons résultats.
Il convient que la section centrale saisie du projet s'en occupe et que la question puisse être discutée.
Il y a là pour la Chambre une question de dignité ; de plus, il y a véritablement urgence ; la presse tout entière se préoccupe de cet objet, l’opinion publique s'en émeut, il est temps qu'on fasse justice.
J'ai dit que la presse entière s'occupe de cet objet, qu'il me soit permis, en finissant, de citer à la Chambre un passage d'un journal, petit de forme, mais extrêmement important par l'influence qu'il exerce sur l'opinion publique et le grand nombre de lecteurs qu'il a su conquérir, l’Etoile belge. Voici ce que dit ce journal, ce numéro est récent. Je fais cette remarque pour qu'on sache que je n'ai pas été y chercher mes inspirations, étant inscrit depuis plus de huit jours sur l'article en discussion.
Mais j'ai été heureux de voir qu'il se mettait tout à fait au même point de vue et qu'il reflétait exactement l'état de l'opinion publique sur la question. Voici cet article :
« Le canal de Charleroi est dans une situation toute spéciale et que va rendre plus exceptionnelle encore le nouveau tarif du halage. Le droit qu'on y paye au profit du trésor est plus que triple, pour le bassin de Charleroi, et pour le bassin du Centre, presque six fois plus élevé que le droit prélevé sur le canal de Mons à Condé et sur le canal de Pommerœul à Antoing, et il équivaut à peu près de dix fois celui imposé sur le canal de Terneuzen.
« Il est donc urgent qu'un abaissement immédiat des péages soit décrété au profit du canal de Charleroi ; en attendant un système de concordance entre toutes les voies navigables, dont l'étude seule, actuellement en expectative encore, ne manquera pas d'entraîner à d'assez longs délais.
« De toutes parts il nous revient que c'est un bruit fort accrédité sur tout le parcours du canal de Charleroi et du canal correspondant de Willebroeck, qu'une réduction provisoire d'un franc, tout ou moins, par 1,000 kilog. sera décrétée par les Chambres avant le 1er janvier prochain. Les nombreuses populations que la question intéresse vivement sont dans la ferme conviction que le gouvernement et la représentation nationale ont résolu de leur venir en aide. Quelle déception s'il en devait être autrement, et si aucune mesure efficace n'était prise avant que la situation si précaire déjà ne vienne à s'aggraver encore !
« Ni le ministère ni les Chambres ne voudront tromper à ce point les légitimes espérances qu'ont nécessairement fait naître tant de suppliques si hautement appuyées par les autorités les plus respectables et par toute la presse, qui s'est montrée unanime à ce sujet. »
Voilà, messieurs, comment s'explique un journal qui a acquis une grande importance et qui, sur cette question, me paraît avoir bien traduit l'opinion générale.
L'honorable M. Prévinaire me fait remarquer qu'en 1849 (c'est un point que nous examinerons quand le moment sera venu) un dégrèvement considérable a été accordé et qu'alors on n'a pas cru devoir renvoyer la question à une commission. Ce dégrèvement a été accordé sans résistance et cela sous l'impression d'une circonstance dont j'ai déjà parlé l'année dernière en disant au gouvernement qu'il était prudent de ne pas se mettre une seconde fois dans le cas d'avoir à donner contre son gré ce que l'on pouvait accorder de bonne grâce et en se réservant le bénéfice du bienfait.
J'insiste donc pour que la section centrale s'occupe de l'examen de ces questions afin que la Chambre puisse les discuter immédiatement ; et, en finissant, je dirai, comme l'honorable M. Prévinaire, qu'aussi longtemps qu'il n'aura rien été fait de définitif pour parer aux souffrances que nous avons signalées, il ne sera impossible de donner un vote favorable à l'article du budget des voies et moyens maintenant en discussion.
M. Sabatier. - Dans la dernière session l'honorable M. Jouret ne se ralliant pas aux conclusions de la section centrale chargée de l'examen de son projet de loi, regrettait de ne pas le voir arriver à discussion. J'ai indiqué alors à la Chambre, par quelques exemples, que l'uniformité de péages existait ailleurs que sur le canal de Charleroi ; j'ai soumis quelques réflexions sur la nécessité qu'il y avait, selon moi, de ne pas séparer les réclamations du bassin de Charleroi de celles du Centre et j'ai posé en fait que la Chambre l'avait entendu ainsi, puisqu'elle avait renvoyé la discussion de ces réclamations à l'époque où serait discuté le projet de loi dont s'agit.
Aujourd'hui l'honorable membre revient sur cet objet, et je crois nécessaire d'entrer dans la question un peu plus avant que je ne l'ai fait précédemment, afin d'indiquer les raisons qui me font réclamer du gouvernement le dégrèvement des péages sur tout le parcours du canal de Charleroi, avant d'arriver au dégrèvement partiel demandé par l'honorable M. Jouret, avec lequel, en tout cas, je ne me déclare nullement d'accord.
On l'a dit avec raison, messieurs, la question qui nous occupe n'est pas neuve. Elle date de l'acte de du canal, c'est-à-dire de 1826. Il avait été décidé alors non pas que les bateaux servant au transport des charbons du Centre seraient surtaxés ; mais que ceux de Charleroi ne payeraient pas plus que les premiers, ainsi qu'il résulte de l'acte de concession lui-même.
Cette pensée forme la base de ce qu'on est convenu d'appeler le système de pondération, le système d'équilibre des bassins. Il a été consacré depuis par la Chambre ; notamment en 1851, lors de la discussion de la grande loi des travaux publics.
C'est en l'invoquant que le bassin de Mons obtint très habilement un dégrèvement de péages de 60 p. c. sur le canal de Pommeroeul à (page 213) Antoing et 50 p. c. sur l'Escaut, sous prétexte que le canal de Charleroi avait obtenu précédemment une réduction de péage de 35 p. c.
Messieurs, je me hâte de déclarer qu'à mon sens le système de pondération des bassins est un système essentiellement faux et comme principe et comme application ; je n'en suis donc pas le partisan, mais enfin il existe sur les voies navigables seulement, bien entendu ; car, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Prévinaire, sur les chemins de fer il n'en est nullement question ; donc ayant résisté sur les canaux à toutes les attaques bien méritées dont il a été l'objet, c'est un point de départ dont nous ne saurions nous départir, et nous n'avons, dans le cas qui nous occupe, qu'une chose à faire, c'est de poser le dilemme suivant :
Le principe de la pondération des bassins est bon ou il est mauvais. S'il est bon, il n'y faut pas toucher ; si, au contraire, il est mauvais, ce qui est le cas, ou ne peut le modifier dans une de ses parties au détriment de ce qui restera. Ou bien il doit rester entier, ou bien il doit faire place à une autre législation.
Examinons maintenant ce que vaut le système comme principe et comme application. La seule définition que l'on en puisse donner est celle-ci :
Le système de pondération consiste à créer à l'intérieur du pays des marchés spéciaux, des marchés privilégiés pour chaque bassin.
Vous voyez, messieurs, combien un pareil système est contraire à l'intérêt des consommateurs, puisque, au lieu de produire et de développer la concurrence on la restreint, on y met empêchement.
C'est en vertu de ce système que les péages sur le canal de Charleroi sont 2 1/2 plus élevés que sur les canaux de Mons.
N'est-il pas évident dès lors que, dans certaines parties du pays, les consommateurs doivent payer le charbon plus cher ? Cela n'a pas besoin de démonstration.
Plus on limite la concurrence, plus on augmente le prix de la marchandise.
Si le système d'équilibre avait eu pour but de faire arriver les charbons à peu près aux mêmes conditions de transport vers les principales contrées de consommation, on pourrait s'y arrêter un instant. Evidemment un semblable système eût été irrationnel, puisqu'il est contraire aux principes économiques les plus vulgaires qui veulent que chacun profite de sa position naturelle ; mais enfin on pourrait le discuter, parce qu'il s'agit ici d'une industrie qu'on ne déplace pas, l'industrie du charbon ; mais je le répète, le système en vigueur est le plus contraire de tous au bon marché du charbon.
Ainsi lorsque vous dites à Mons : Vous irez à Gand à meilleur compte que Charleroi et le Centre, vous irez à Anvers également à meilleur compte, pensez-vous que ce soit là le moyen de faire obtenir à Gand et à Anvers des charbons dans de bonnes conditions ? Evidemment non ; c'est que vous faites, c'est de favoriser Mons au détriment de Gand, du bas Escaut, et des bassins houillers du pays qui ne jouissent pas de cette faveur, rien de plus. Eh bien, les charbons arrivent de Mons à Gand par un fret de 3 fr. lorsque de Charleroi ou du Centre ils n'arrivent qu'à 6 à 7 fr. de transport, c'est-à-dire qu'il y a un écart de 3 à 4 fr. au moins par tonne dont jouit Mons exclusivement.
Cela est-il équitable ? D'ailleurs qu'est-ce qu'un système que l'on applique sur les voies navigables et que l'on abandonne dès qu'il s'agit de routes et de voies ferrées ? Abolissez ce système, je serai le premier à demander la libre entrée des charbons étrangers ; mais au moins, avant d'appeler la concurrence étrangère, laissez s'établir et se développer la concurrence intérieure. Vous allez voir, du reste, à quelles conséquences singulières on arriverait en maintenant le principe de la pondération.
L'année dernière le comité houiller du Couchant de Mons a demandé à la Chambre que, s'il était fait une réduction de péages sur le canal de Charleroi, il fût accordé une réduction de même importance sur les canaux de Mons à Condé, Pommerœul à Antoing et la rivière la Lys. Or si l'on décrétait sur le canal de Charleroi un abaissement de péage de 50 p. c. il faudrait abolir l'entièreté des droits sur les canaux de Mons et par conséquent en dépassant 50 p. c. il faudrait payer au bassin de Mons une prime pour le transport de ses charbons. Cela est inadmissible.
A toutes les demandes de dégrèvement de péage le gouvernement répond en invoquant, indépendamment de droits prétendument acquis, l'intérêt du trésor. Cet intérêt, il doit en être tenu compte évidemment ; nous sommes tous d'accord sur ce point, mais l'abaissement du prix de transport n'amènera-t-il pas un trafic plus considérable sur les voies navigables ? Le bon marché n'a-t-il pas pour conséquence première un accroissement de consommation, partant une augmentation de bien-être général ? Evidemment oui, nul ne le contestera. C'est l'histoire du passé cela ; c'est le fait qui s'est constamment produit lorsque d'un taux excessif de prix de transport on est descendu à un taux plus rationnel.
D'ailleurs par la force des choses vous devez arriver à un dégrèvement. Les chemins de fer concédés ne sont-ils pas une concurrence ruineuse au canal de Charleroi ? Les chiffres posés dans le rapport de la commission d'industrie en date du 11 février 1858 ne peuvent laisser aucun doute à cet égard.
Ils se résument en ceci : Le chemin de fer de Charleroi à Louvain transporte les charbons au prix de 3-42 1/2 de la première de ces ville à la seconde : à Louvain les charbons sont chargés dans des bateaux qui se rendent dans les Flandres et sur le bas Escaut.
Par le canal de Charleroi la différence en plus pour arriver aux mêmes lieux de destination est de fr. 1-91 pour Zele et Lokeren et 1-83 1/2 pour Gand. Vous vous laissez enlevez des transports tandis que vous pourriez les augmenter, d'abord en améliorant la navigation qui est détestable, et en second lieu en révisant notre péage. Cette situation va s'empirer encore par l'augmentation des frais de halage. En effet, à partir du 1er janvier 1859, ces frais majoreront le fret de 22 centimes par tonne.
Pour en revenir au Trésor et en envisageant la question seulement au point de vue actuel, voici encore une observation que je soumets à votre appréciation : Le bénéfice réalisé par l'Etat sur les voies navigables, c'est-à-dire ce qui dépasse le service rendu, peut très certainement être considéré comme un impôt qui grève la marchandise transportée, ou au moins lui être assimilé. Nous pouvons appeler cette marchandise du charbon, puisqu'il forme à lui seul plus des 9/10 des transports.
Eh bien, je dis que si cet impôt doit réellement être maintenu sur le charbon, pourquoi une catégorie d'individus, de contribuables, doit-elle en être frappée au lieu de le répartir d'une manière équitable ? Pourquoi grever, particulièrement le canal de Charleroi de presque toute la valeur de cet impôt ?
Voici, messieurs, de quelle manière sont répartis les bénéfices que font nos canaux et rivières :
Nous avons en Belgique 28 voies navigables administrées par l'Etat, 20 seulement ont des péages à acquitter, 5 ou 6 seulement réalisent un bénéfice ; toutes les autres sont en perte. Je vais à ce sujet poser quelques chiffres.
Le budget des voies et moyens indique comme recette probable des canaux et rivières une somme de 3,170,000 fr.
Les dépenses demandées par le département des travaux publics pour ces mêmes canaux et rivières s'élèvent à 1,678,743 fr.
La différence entre ces deux chiffres forme bien le bénéfice total à réaliser, c'est-à-dire 1,491,257.
Or, le canal de Charleroi, la Sambre canalisée et les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, rapportent 2,500,000 fr., et coûtent d'entretien 370,000 fr.
Le bénéfice sur ces quatre voies navigables est donc de 2,130,000 fr., et comme le bénéfice total est de 1,491,257 fr., il en résulte que les 638,743 fr., formant la différence entre ces deux chiffres, viennent combler la perte essuyée sur les autres voies navigables du pays.
Quant au canal de Charleroi, il rapporte à lui seul de 1,300,000 à 1,400,000 fr., c'est-à-dire treize à quatorze fois ce qu'il coûte d'entretien, et il ne transporte que 800,000 tonnes environ, tandis que les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, pour un transport de plus de 3 millions de tonneaux, ne rapportent à eux deux que 450,000 à 460,000 fr.
Vous voyez donc bien, messieurs, que les péages du canal de Charleroi forment un impôt qui frappe d'une manière injuste une catégorie de contribuables et qu'en invoquant mieux l'intérêt du trésor, l'équité ne réclame pas moins une modification prompte à l'état de choses actuel.
En résumé, le bassin de Charleroi qui paye 2 1/2 fois plus que les canaux de Mons, a de bonnes raisons pour demander un abaissement de péages. Le canal de Charleroi est racheté ou payé depuis longtemps ; il rapporte par un impôt injuste à peu près autant que toutes les autres voies navigables ensemble. Les conditions de navigation sont détestables.
Il subit à lui seul les conséquences fâcheuses dû système de pondération dont je viens de vous entretenir. C'est donc un devoir pour le gouvernement, comme c'est un intérêt pour les consommateurs et j'ajouterai pour le trésor, de ramener nos péages à ceux des autres canaux du Hainaut.
Quant au centre, il y a une chose évidente, c'est que la seule compensation que trouve Charleroi au système de pondération, est précisément l'uniformité de péages avec le bassin et qu'en abolissant cette uniformité sans un dégrèvement général préalable, on rendrait bien plus sensible encore pour Charleroi la situation dont je me plains avec tant de raison.
M. le ministre des travaux publics nous a fait connaître hier, dans la réponse qu'il a faite à l'honorable M. Prévinaire, que le gouvernement ne pouvait prendre de décision sur les réclamations de ce genre avant d'avoir reçu le travail de la commission de révision des péages.
Nous devions nous attendre à cette réponse et j'aurais mauvaise grâce à demander à M. le ministre des travaux publics de répéter aujourd'hui ce qu'il a dit hier.
Seulement je ferai remarquer et en cela je suis d'accord avec M. Jouret, que le meilleur moyen de remettre indéfiniment la solution de la question était précisément de la confier à une commission spéciale. Dans une commission de ce genre, les différents intérêts sont et doivent être appelés. Les représentants de ces intérêts savent parfaitement d'avance ce qu'ils ont à se dire, aucune question n'ayant été débattue autant que celle des péages.
(page 214) Chacun voudra rester sur son terrain, surtout ceux qui ne payant presque rien, trouvent tout naturel que d'autres payent beaucoup. Non pas que je conteste sous tous les rapports, l'utilité de la commission ; elle peut rendre de véritables services au point de vue de la perception des péages, mais quant à leur quotité, il n'est pas difficile de prévoir que l'on attendra longtemps encore qu'il soit fait droit à nos réclamations. Conséquemment, je réserve toute ma liberté d'action pour agir au mieux des intérêts de mes commettants, bien que j'aie accepté de faire partie de la commission de révision des péages.
M. Moreau. - Je demanderai qu'on mette à l'ordre du jour de lundi la proposition relative à un supplément de crédit pour la Chambre.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures et demie.