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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 31 juillet 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session1857-1858)

(page 1339) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bastogne demandent que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg construise l'embranchement sur Bastogne. »

« Même demande des conseils communaux de Hollange et de Sibret. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants et des membres des conseils communaux de Daverdisse, Porcheresse et Graide demandent la construction d'une route partant des environs de Bouillon et passant par Graide, Porcheresse, Daverdisse, Chanly, Resteigne, Tellin, Bure, pour arriver à Grupont. »

M. de Moor. - Je prie la Chambre d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.

M. Wala. - J'appuie la proposition de M. de Moor, vu l'extrême importance de la route et l'utilité qui doit en résulter.

- La proposition de M. de Moor est mise aux voix et adoptée.


« Les membres du conseil communal de Berchem présentent des observations contre le projet du gouvernement relatif aux fortifications d'Anvers et demandent pour les habitants de cette commune une indemnité préalable à l'exécution de ces travaux de défense, si ces travaux sont décidés. »

M. Veydt. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi dont nous nous occupons. Cette requête est en sens inverse de celle de Borgerhout dont il a été donné lecture il y a quelques jours.

- La proposition de M. Veydt est adoptée.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique (fortifications d’Anvers)

Discussion générale

M. Malou. - Je demande à rectifier un fait. Je tiens beaucoup à contrôler exactement les faits que je cite à la Chambre. Hier, j'ai dit que la distance entre l'un des forts et les bassins était de 2,600 mètres ; elle est de 4,000 mètres d'après la carte que j'ai sous les yeux, c'est-à-dire qu'au lieu d'une portée excellente, c'est une portée suffisante. Mon argument se trouve affaibli, mais non détruit.

M. Allard. - Messieurs, avant de commencer cette discussion, on avait décidé qu'on entendrait successivement un orateur pour, un orateur sur et un orateur contre ; dans la séance d'hier nous n'avons eu que des orateurs pour et contre ; je me suis fait inscrire sur et je demande à pouvoir prendre la parole.

M. le président. - La parole est à M. Allard.

M. Allard. - Vous avez vu, messieurs, les contradictions qui existent entre deux honorables généraux qui se trouvent dans cette enceinte ; l'un défend le projet du gouvernement, l'autre le repousse et veut une grande enceinte. Eh bien, moi, messieurs, je ne veux ni la grande enceinte ni la petite, et c'est pour cela que j'ai demandé la parole.

Que vois-je d'après le plan qui nous a été remis ? Des forts en avant de ceux qu'on appelle les forts de Lannoy ; l'avancement de l'enceinte au nord. Voilà le projet du gouvernement. D'après le projet que paraît appuyer la section centrale, on exécuterait une grande enceinte et les forts proposés par le gouvernement.

Quant à moi, messieurs, je ne comprends pas comment, avec deux lignes de forts, il serait encore nécessaire de construire une enceinte. Je ne comprends pas qu'une armée puisse jamais traverser ces deux lignes de forts et arriver au cœur de la place ; mais, si cela était possible, l'enceinte actuelle ne pourrait pas donner un nouveau moyen de défense aux assiégés.

Pour moi, l'enceinte actuelle n'a plus aucune valeur. Il est impossible que dans notre siècle on fasse encore la guerre comme on la faisait du temps des Goths et des Vandales. Quand une fois les deux lignes de forts seront prises, la ville d'Anvers devra se rendre.

Mais, dit-on, l'enceinte actuelle doit servir de réduit. Non, messieurs, le réduit ce n'est pas l'enceinte, c'est la citadelle ; c'est la que le drapeau national devra flotter jusqu'au dernier moment.

Je ne veux pas faire ici de la stratégie. Ce n'est pas mon affaire. L'amendement que j'ai l'honneur de proposer a pour but d'autoriser le gouvernement à construire des forts détachés et, aussitôt que ces forts seront construits, à démolir l'enceinte actuelle.

Ce ne serait pas une très grande dépense. Une somme de 13 millions suffirait pour construire les forts, et la vente des terrains actuels en rapporterait 15 à 16.

Je ne comprends pas, disais-je tout à l'heure, comment il faudrait une enceinte reliant les forts dits de Lannoy. En effet, nous avons vers le nord des inondations naturelles très considérables.

On pourrait en arrière des forts dits de Lannoy creuser un large fossé qui serait toujours plein d'eau. Ce fossé serait creusé à certaine distance de ces forts pour laisser un espace assez large pour former les colonnes d'attaque. Les terres du fossé seraient jetées vers la ville pour établir un chemin couvert et autres ouvrages de campagne.

Les travaux de campagne ont été préconisés hier par l'honorable général Renard.

Et en effet voici ce qu'il disait des travaux de campagne : « Vous parlerai-je de notre camp retranché actuel, de ces fortins dont on considère la défense comme pour ainsi dire impossible ! Dans la crainte qu'on ne m'accuse encore de faire des théories pour la cause, je me permettrai tout à l'heure une citation. En attendant j'atteste que dans l'esprit de bien des militaires, non pas dans l'esprit des ingénieurs, mais dans l'esprit de beaucoup d'officiers qui ont fait la guerre de campagne, assisté à des sièges, il est souvent plus facile de faire un siège ordinaire que d'attaquer un camp fortement défendu. Ils considèrent l'attaque de ces positions comme une des opérations les plus meurtrières.

« Pendant longtemps, dit un officier général allemand de grand renom, le général Clausewitz, pendant longtemps il a été de mode de s'exprimer avec dédain sur le compte des retranchements et de leurs effets ; mais mille exemples tirés de l'expérience prouvent qu'un ouvrage de campagne bien disposé, bien garni, bien défendu, doit être considéré en général comme un point inexpugnable et que l'agresseur le considère, en effet, comme tel. L'attaque d'un camp retranché est une entreprise très difficile pour l'agresseur et le plus souvent désespérée. »

« Si vous considérez que notre camp de fortins sera relié par plusieurs lignes d'ouvrages de campagne, vous vous convaincrez que l'ennemi ne le franchira pas impunément, ni aussi facilement qu'on le prétend. »

Messieurs, je pense que le gouvernement devrait accepter mon amendement. Lorsque ces travaux seront terminés, il pourra venir proposer la construction, soit d'une citadelle au nord, soit de quelques ouvrages d'agrandissement aux forts dits de Lannoy, et je pense qu'alors la Chambre sera très disposée à voter cette nouvelle dépense. J'ai donc l'honneur de proposer un amendement ainsi conçu : « Pour ouvrages à exécuter pour compléter le camp retranché sous Anvers, fr. 5.890,000.

« Lorsque ces ouvrages seront terminés, l'enceinte actuelle de la ville d'Anvers sera démolie. »

- L'amendement est appuyé ; il fera partie de la discussion.

(page 1345) M. Loos. - Messieurs, je ne comptais plus devoir prendre la parole dans cette discussion qui, chacun doit le comprendre, est pour moi plus pénible que pour aucun d'entre vous ; j'aurais d'autant plus volontiers renoncé à la parole, que je crois avoir exposé d'une manière irréfutable, dans mon premier discours, les raisons qui militent en faveur de la cause que je défends ; mais je ne puis m'empêcher de rentrer dans le débat après avoir entendu M. le ministre des finances, dans une de nos dernières séances, formuler un long acte d'accusation contre l'administration communale d'Anvers, contre une partie notable des habitants et contre moi personnellement.

Dans une pareille situation, je ne crois pas pouvoir garder le silence. La ville d'Anvers est accusée d'avoir eu des prétentions toujours croissantes, des exigences nouvelles, en raison des concessions qui lui étaient faites et sans que jamais Anvers eût offert au gouvernement de concourir en quoi que ce soit aux travaux qu'elle réclamait. On a perdu de vue seulement que ces travaux étaient nécessaires dans l'intérêt de la défense du pays ; que la ville demandait seulement qu'on tînt compte de ses propres intérêts.

Aux yeux du ministre, cette prétention avait le tort de n'être pas appuyée d'une offre de concours pécuniaire.

je ne me sens pas de force à lutter avec l'honorable ministre des finances, je ne le suivrai donc pas sur tous les points de l'acte d'accusation qu'il a formulé, mais j'ai la conviction que si vous voulez bien vous dégager des préventions que son discours peut avoir amenées dans vos esprits, vous reconnaîtrez que les prétentions d'Anvers étaient des plus naturelles et ne méritaient pas les récriminations dont elles ont été l'objet. Voici, du reste, messieurs, l'explication simple et vraie de ces prétentions.

Quelle a été la règle de conduite de l'administration communale et de la population d'Anvers ?

Les événements de 1830, qui eurent pour résultat la conquête de notre indépendance, furent pour Anvers la cause d'une épouvantable catastrophe qui, à cette époque, souleva, en faveur d'Anvers, toutes les sympathies du pays. Dans toutes les provinces, on n'entendit qu'un cri : Il faut mettre Anvers à l'abri de semblables calamités.

.Le gouvernement d'alors, qui était le gouvernement provisoire, voulant témoigner des sentiments que lui inspirait le désastre que venait d'éprouver la métropole du commerce, décréta que la citadelle serait rasée, afin que la ville d'Anvers n'eût plus à l'avenir à souffrir les calamités qu'elle venait de subir. Vous savez que ce décret resta une lettre morte, il ne reçut aucune exécution, quoiqu'il eût été affiché à Anvers à tous les coins de rue. Au nombre des membres du gouvernement provisoire était M. le ministre de l'intérieur actuel.

Ce décret ne reçut donc aucune exécution. Plus tard, on nous dit, et on se plut à nous répéter, dans des circonstances solennelles, qu'Anvers devait à tout prix être soustrait au retour de semblables désastres ; qu'à cet effet, la défense de la ville devait être reportée au loin ; que des forts détachés, bien établis et à des distances telles, que tout bombardement deviendrait impossible, devaient suffire à la défense de la ville ; qu'Anvers ne devait pas conserver son enceinte actuelle qui pour elle serait toujours une menace de destruction ; que, dans l'opinion d'hommes de guerre les plus compétents de l'Europe, Anvers pouvait être défendue par des forts détachés.

Nous avons cru, messieurs, à ces assurances.et quelles que soient les circonstances du moment, nous y croyons encore. Cette confiance a été la règle de notre conduite. Nous avons fait concourir tous les faits qui se sont produits à la réalisation de cette promesse.

Je dis, messieurs, que ces promesses ou ces assurances ont été sa règle de conduite. Anvers a vu, dans tous les faits qui se sont produits depuis lors un acheminement vers leur réalisation. Et en effet, messieurs, Anvers avait raison d'y croire. Car c'est depuis 1830, qu'une large tolérance a été octroyée à la ville, pour s'étendre au-delà de son enceinte. Toutes les maisons qu'Anvers voyait s'élever devant les murs de la place étaient autant de jalons qui devaient conduire à la démolition de son enceinte. Aussi dans des conditions semblables qu'est-il arrivé ?

La population extra muros, qui ne s'élevait en 1830 qu'à 4,000 âmes, nous l'avons vue s'accroître annuellement à tel point, qu'aujourd'hui la population appartenant à la ville et demeurant hors des murs s'élève 17,000 âmes.

Depuis cette époque et dans les derniers temps nous avons vu s'élever dans les faubourgs d'Anvers, parallèlement aux murs des fortifications, au moins 300 maisons par année.

Que devait conclure la population d'Anvers de pareils actes de tolérance ? Tous les ministères qui se sont succédé depuis 1830, à l'exception de 1854, où une velléité d'interdiction s'est produite, ont donné la main à ce qu'on construisit autour d'Anvers autant de maisons qu'on voulait.

Ne pensez-vous donc pas que la population avait raison de croire que ces vieilles murailles étaient condamnées, qu'on ne comptait plus en faire usage pour la défense de la forteresse ? Vous l'admettrez comme moi. Déjà plusieurs orateurs vous ont signalé combien ces maisons, dont le nombre augmente chaque année, faisaient obstacle à la défense.

Nous avons donc cru que ces faits accusaient d'une manière pertinente l'intention du gouvernement, dans un temps donné, de démolir les fortifications d'Anvers.

Quelle devait donc être notre règle de conduite ? C'était de contribuer par nos actes, par toutes nos démarches, à la réalisation de cette démolition. Nous présentait-on un plan ? Pourvu qu'il ne gênât pas le projet que nous supposions devoir se réaliser un jour, nous avons pu y donner la main.

Les forts qui ont été construits dans les derniers temps, comment les avons-nous envisagés ? Comme les jalons évidents de la future enceinte nouvelle. Et je dirai qu'à cette époque, faisant, comme pour le projet actuel, partie de la section centrale, le ministère d'alors assurait que c'étaient, en effet, les premiers jalons d'une grande enceinte. La population d'Anvers ne les a pas envisagés d'une autre manière.

La construction de ces forts répondait parfaitement à toutes les promesses faites depuis 1830 et devait amener la démolition de la forteresse.

Mais, nous dit-on, en 1856 il ne s'agissait pas d'une nouvelle enceinte à construire, ou plutôt il s'agissait d'une enceinte partielle ; vous n'avez pas demandée alors un agrandissement général, vous auriez craint qu'on n'exécutât point celle qui était proposée au nord et dont vous constatiez le besoin pour votre commerce.

Messieurs, l'enceinte qui nous était proposée au nord ne compromettait en aucune manière la grande enceinte.

Elle concourait, au contraire à la réalisation de nos vœux comme les forts détachés ; seulement quand il s'est agi devant la Chambre (et on m'en a fait un reproche l'autre jour), quand il s'est agi de voter les propositions faites dans cette intention par la section centrale, j'ai voté l'ajournement de la discussion. Pourquoi ? Parce que le ministre de la guerre n'admettait pas les propositions de la section centrale, qui étaient formulées comme suit :

« Considérant que les intérêts de la défense militaire, de la population et du commerce d'Anvers réclament l'agrandissement général de cette ville ;

« Considérant que les études ne sont pas assez avancées pour apprécier la portée financière de l'ensemble des travaux nécessaires à cet effet ;

« Considérant, néanmoins, qu'il y a lieu de décréter, dès maintenant, l'exécution des ouvrages qui peuvent se combiner avec les différents projets.

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit extraordinaire de cinq millions, pour la construction de nouvelles fortifications projetées au nord de la ville d'Anvers, depuis le bastion indiqué au plan sous le litt. F jusqu'à Austruweel, et en face de ce village sur la rive gauche de l’Escaut.

« Toutefois, la batterie de Kattendyck n'est pas comprise dans ces travaux. »

Cette proposition-là me convenait parfaitement. La section centrale proposait d'ouvrir un crédit au gouvernement pour construire une nouvelle enceinte au nord, à la condition de s'arrêter au bastion F, à la hauteur de la ligne de raccordement avec la vieille enceinte.

Lorsque l'honorable ministre de l'intérieur d'aujourd'hui s'efforçait de faire accepter cette proposition, certainement, ce n'est pas moi qui aurais demandé l'ajournement de la discussion, ni qui l'aurais voté. Je ne l'ai voté que lorsque M. le ministre de la guerre d'alors est venu dire qu'il ne pouvait se rallier aux propositions de la section centrale, mais qu'il avait à soumettre à la Chambre des propositions transactionnelles.

C'est alors que la situation ne convenait peu. J'ai supposé que le ministre de la guerre voulait précisément ce qu'on veut aujourd’hui, qu'il voulait joindre la nouvelle enceinte à l'enceinte existante. C'était du définitif, et l'agrandissement général était compromis.

Nous ne voulions pas du définitif parce que jusqu'alors le provisoire nous avait été favorable.

J'ai toujours pensé que l'importance d'Anvers, comme port de commerce, serait un jour bien appréciée par le pays et exciterait ses sympathies. Je crois encore que ces sympathies lui seront acquises un jour, si l’on veut se rendre compte de la position réelle d'Anvers ; je pensais donc que la question ne pouvait que gagner, au point de vue de l'intérêt d'Anvers, à un ajournement.

Nous avons donc toujours, messieurs, poursuivi la même pensée, l'agrandissement général d’Anvers par la démolition de l'ancienne fortification. Cette pensée a dirigé tous nos actes. Est-ce en vue, messieurs, comme on vous l'a dit, est-ce en vue d'un intérêt matériel ou d'intérêts particuliers que nous demandons la démolition de l'enceinte actuelle de la ville ? En aucune façon, messieurs. Si j'avais la conscience de ne défendre ici qu'un intérêt matériel, je ne prendrais certes pas la parole, je ne ferais pas du moins les efforts que je fais. Il ne s'agit point pour Anvers d'intérêts matériels, il s'agit de sa sécurité et, comme je l'ai déclaré dans mon premier discours, c'est le seul motif de mon opposition au projet de loi.

Messieurs, si on peut reprocher à Anvers de s'être montré toujours exigeant, vous devez comprendre le but qu'il poursuivait et vous devez trouver légitimes les moyens qu'elle a employés. Nous savons que sous un gouvernement constitutionnel, ce n'est pas la volonté du maître qui agit, mais que c'est la volonté de la nation que c'est la volonté de tous ; (page 1346) Il n’eût donc pas suffi que nous pussions convaincre et gagner à notre cause les ministres.

Il a fallu que, sur la question d'Anvers, la lumière se fît pour le pays. Elle ne se fait que lentement, surtout quand il s'agit de dépenses considérables pour la guerre.

La Chambre, que je sache, ne s'est jamais empressé de voter les dépenses de cette nature. Je connais beaucoup de membres de cette Chambre, quelque bons patriotes, hommes de cœur et d'honneur qu'ils soient, qui ne votent qu'avec beaucoup de répugnance ou qui ne votent même pas tous les crédits qui sont demandés pour la guerre. Nous n'avons donc pu nous faire illusion.

Nous avons pensé qu'il n'était possible d'obtenir de la Chambre les sommes qu'exigerait la défense d'Anvers, que lorsque la Chambre serait bien pénétrée que cette défense est indispensable à la défense du pays en même temps qu’à la sécurité de la métropole du commerce.

Si Anvers réclame aujourd'hui la sécurité qui doit résulter de la démolition de sa vieille enceinte, c'est parce qu'on veut lui donner aujourd'hui une destination nouvelle qui doit fatalement lui attirer les hostilités, parce qu'on désigne Anvers comme le champ de bataille où doivent se décider un jour les destinées du pays et qu'en raison de cette destination on veut y élever des travaux d'un caractère définitif qui font évanouir toutes nos espérances.

Dans la situation qui nous était faite jusqu'à présent nous pouvions parfaitement attendre.

La population s'étendait librement au-dehors. On se montrait disposé à agrandir la ville au nord afin que les établissements commerciaux qu'on ne peut pas, comme les maisons des particuliers, laisser hors des murs de la ville pussent être rendus accessibles.

Dans cette position, messieurs, nous pouvions attendre plusieurs années encore ; mais cette situation vient à cesser : Anvers reçoit comme place de guerre un caractère définitif, une positon militaire très aggravée. Nous avions pensé, et je pense encore, que c'est le moment aujourd'hui d'élever nos réclamations, parce que je suis convaincu qu'une fois qu'on croira avoir complété, quoique d'une manière inefficace et désastreuse pour Anvers, une fois que le pays aura dépensé 20 millions pour établir des fortifications autour d'Anvers, quelles que soient les sympathies qu'Anvers puisse inspirer, je n'entrevois pas la possibilité d'obtenir dans un avenir rapproché de nouveaux sacrifices de la part du pays.

Je considère donc, messieurs, comme un leurre les bonnes volontés qu'on témoigne à l'égard d'Anvers, quand on lui dit : Une fois que l'enceinte des forts sera faite, nous écouterons vos réclamations ; nous nous montrerons disposés à négocier avec Anvers, mais il faut avant tout que la loi actuelle soit votée. Eh bien, je le dis à regret, je ne considère l'expression de ce sentiment que comme un leurre, et alors même que ces promesses seraient sincères, je crois qu'on serait impuissant à les exécuter.

Messieurs, je disais tout à l'heure que ce n'est pas dans un intérêt matériel qu'Anvers élevait ses réclamations. On a pourtant cherché à vous faire croire le contraire ; on a été très heureux de voir arriver une pétition qui soulevait la question à ce point de vue, pétition de quelques habitants de Borgerhout, qui faisaient valoir que les constructions de la grande enceinte autour d'Anvers diminueraient la valeur de leurs propriétés et qu'ainsi ils éprouveraient un préjudice.

Il est évident, messieurs, que les signataires de cette pétition n'ont pas été éclairés sur la situation réelle oui leur sera faite quand les forts auront été construits et que les habitants de Berchem et de Borgerhout ne se trouveront pas dans l'enceinte.

Ces communes seront alors placées entre deux feux... Je vois sourire M. le ministre des finances, et cependant on n'a rien trouvé à me dire quand j'ai demandé ce que deviendraient ces communes et les faubourgs dans certaines circonstances données.

Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.

Je prétends que, placées, comme on le propose, en arrière des deux lignes des forts et en avant de l'enceinte de la ville, ces communes, comme les faubourgs d'Anvers, si l'enceinte doit être un jour défendue, seront entre deux feux et personne ne soutiendra le contraire.

Ils auront à souffrir de l'attaque et de la défense.

Mais, messieurs, il y d'autres habitants de la même commune de Borgerhout et de celle de Berchem qui comprennent autrement leurs intérêts.

Ces habitants nous ont également envoyé des pétitions, et comme il ne nous en a été donné qu'une simple analyse, je demanderai à M. le président de vouloir bien me passer celle de Borgerhout, pour que je puisse en donner lecture. Vous verrez ainsi, messieurs, que la position est comprise par ces habitants de la manière dont je viens de l'exposer

(M. le président transmet la pétition à l'orateur.) Voici, messieurs, cette pétition :

« Saint-Willebrord et Borgerhout, le 29 juillet 1858.

« A MM. les président et membres de la Chambre des représentants,

« Messieurs,

« Nous voyons dans le compte rendu des travaux de la Chambre, qu'une pétition vous a été adressée par quelques habitants ... »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Par 300 habitants.

M. Loos. - Eh bien, il y en a peut-être 400 ici.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela prouve que les habitants sont divisés

M. Loos. - Je reprends : « Par quelques habitants de notre commune, contre le projet d'agrandissement général de la ville d'Anvers.

« Nous venons solennellement protester contre cette pétition.

« La commune de Borgerhout connaît trop bien les dangers auxquels l'exposera sa situation entre deux feux, si l'enceinte actuelle de la ville est maintenue ; elle ts rappelle trop bien qu'elle n'a dû qu'à la générosité du général Carnot de ne pas avoir été complètement rasée dans l'intérêt de la défense de cttle enceinte, pour ne pas venir joindre sa voix à celle de ses concitoyens de la ville, afin d'en obtenir la prompte démolition.

« Nous avons l'honneur, etc. »,

Vous voyez, messieurs, que cette pétition a été rédigée et signée du jour au lendemain ; c'est à-dire que, dès que les habitants de la commune ont eu connaissance qu'en leur nom on réclamait près de nous le maintien de l'état actuel des choses, immédiatement ils se sont réunis et ont signé une pétition qui porte, je crois, 400 signatures, parmi lesquelles, il est vrai, je ne vois pas celle des bourgmestre et échevins qui ont signé l'autre pétition, cela se comprend ; mais celle de plusieurs habitants notables de la commune, dont la plupart me sont connus. J'y vois figurer aussi les noms d'habitants qui ont signé l'autre pétition (interruption) ; et l'on me dit que ces habitants ont été induits en erreur : ils ont cru signer précisément le contraire de ce que contient la pétition. (Nouvelle interruption.)

En outre, il a fallu deux mois pour recueillir les signatures qui se trouvent sur la première pétition ; il n'a pas fallu plus d'un jour pour recueillir celles-ci. Il est très facile d'obtenir des signatures de gens simples quand on les induit en erreur. 1Ilest des hommes, en effet, qui inspirent assez de confiance pour qu'on ne leur demande pas d'explications quand ils viennent réclamer une adhésion en faveur d'un projet dont ils se font les promoteurs.

Au surplus, messieurs, je n'aurais point tiré parti de cette circonstance, si je n'avais vu M. le ministre de l'intérieur se montrer si heureux, si satisfait de l'appui de quelques habitants de Borgerhout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oh ! oh !

M. Loos. - Je dois le croire, car M. le ministre a parlé au moins pendant un quart d'heure sur cette pétition en cherchant à démontrer que les intérêts de Borgerhout et de Berchem seraient compromis à tout jamais si on décrétait la grande enceinte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Moi ?

M. Loos. - Oui, vous vous êtes attaché à démontrer que le sort des habitants de ces communes serait déplorable.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit aussi : Croyez-vous que les habitants de la ville d'Anvers actuelle seraient très enchantés de voir adjoindre à la ville une superficie de 800 hectares de terrain et déprécier par-là la valeur de leurs propriétés ? Je dois à cet égard rassurer M. le ministre de l'intérieur : il existe à Anvers un sentiment moins égoïste qu'on ne le suppose ; il y a solidarité entre les habitants d'Anvers. Et, au surplus, c'est une très mauvaise tactique que de faire supposer que des terrains situés à l'intérieur de la ville vaudraient moins dans l'hypothèse où l'on se place.

Comment voulez-vous que des propriétés menacées, dans un avenir que le ciel déterminera, d'une destruction complète et que la grande enceinte mettrait à jamais à l'abri d'un bombardement, puissent, dans le dernier cas, éprouver une dépréciation ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh !

M. Loos. - Oui, M. le ministre, la grande enceinte mettrait les maisons de la ville d'Anvers actuelle à jamais à l'abri d'un bombardement. Vous pourrez me répondre qu'on inventera peut-être des armes nouvelles qui porteront à 5,000 ou 6,000 mètres ; mais le centre de la ville serait éloigné au moins de 5,000 mètres des batteries et à cette distance elle n'aurait pas, je pense, à redouter beaucoup l'effet des boulets. Du reste, si je parle des intérêts qu'on a voulu mettre en jeu, c'est parce qu'on a fait appel à de mauvais sentiments pour y trouver un appui.

Eh bien, je dois le dire, sous ce rapport, on n'a nullement réussi : Les sentiments qu'on suppose n'existent pas. Tous mes efforts ont uniquement eu pour but d'assurer à Anvers une sécurité proportionnée aux dangers qu'il est appelé à couvrir. M. le commissaire du Roi a représenté les forts de la première ligne comme étant de nature à rendre la position imprenable par l'ennemi. Il a admis cependant que, comme les forteresses du camp retranché n'étaient créées qu'en vue d'une attaque par une armée supérieure en nombre à la nôtre, un ou deux des premiers forts pourraient être pris par l'ennemi ; que l'armée dans ce cas se retirerait dans les forts en arrière et continuerait à se défendre et qu'ainsi Anvers pourrait être parfaitement tranquille, que jamais n'aurait à redouter l'effet d'une attaque.

J'ai demandé à M. le commissaire du Roi ce qui arriverait si l'armée succombât dans le camp retranché. J'avais établi, moi, qu’elle se retirerait dans l'enceinte de la ville ; qu'elle y produirait un encombrement affreux et que l'armée assiégeante aurait bientôt raison de la ville (page 1347) en y jetant des bombes et l'incendie. J'ai demandé qu'on réfutât ces prévisions et qu'on me dît ce qui adviendrait dans le cas prévu.

M. le commissaire du Roi a eu la bonté de me répondre : Je le dirai plus tard. J'attends encore sa réponse aujourd'hui. J'ai même été étonné de trouver que mon interruption ne se trouvait pas aux Annales parlementaires.

M. le commissaire du Roi. - Croyez-vous que ce soit moi qui l'ai supprimée ?

M. Loos. - Je ne dis pas cela ; mais je constate un fait et je dis qu'on a trouvé plus commode de ne point laisser subsister mon interruption.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui ?

M. Loos. - Ce sera l'effet d'une négligence, un hasard peut-être. (Interruption.) Je répète que je n'accuse personne. Au surplus, je n'attache qu'une médiocre importance à ce fait, puisque je suis toujours libre de reproduire mon interruption. Je suis donc obligé de la reproduire et de demander si l'armée vaincue dans le camp retranché devait se retirer dans les murs d'Anvers, qu'en adviendrait-il ?

L'un des honorables ministres a vainement essayé de me répondre sur ce point.

Je suppose que l'armée doive se retirer dans les murs d'Anvers ; en admettant qu’elles ne se compose que de 50,000 hommes, avec les 30,000 a 40,000 habitants qui sont dans les faubourgs, avec la cavalerie qui fait partie de l'armée, je demande qu'on réfléchisse un instant à l'effet que produira l'entrée de ces troupes dans une place déjà trop petite pour ses habitants. Je dis que ce sera désastreux et pour les habitants d’Anvers et pour l'armée. Je dis que l'ennemi aura raison de la place au bout de deux fois vingt-quatre heures. Avec le désordre provoqué par l'encombrement, je défie, je le répète, qu'on garde la place pendant deux fois vingt-quatre heures.

Est-ce là le but qu'on veut atteindre, après tant de millions sacrifiés pour la construction de la place d'Anvers ?

Messieurs, avec la grande enceinte, des résultats aussi déplorables ne sont pas possibles. L’armée aura derrière elle l'espace nécessaire, le désordre devient impossible dans la ville, vous êtes libres de vos mouvements, et en définitive, si vous ne pouvez plus tenir derrière la grande enceinte, vous pourrez plus facilement obtenir une capitulation honorable, capitulation que vous n'obtiendrez pas dans la place telle qu'elle est aujourd'hui ; on ne vous permettra pas de dicter les termes de capitulation quand on sait qu'avec quelques bombes on aura raison de vous.

Je disais qu'un des ministres avait essayé de répondre à ces tristes prévisions, se bornant à déclarer que nos craintes étaient exagérées et qu'il ne pouvait s'attendrir devant toutes les horreurs qui je prévoyais pour Anvers dans l'avenir.

Eh bien, je voudrais que quelqu'un trouvât un moyen de rassurer la ville d'Anvers sur le sort qui lui est fatalement réservé, si la place doit un jour servir à quelque chose.

J'avais aussi, dans un premier discours, mis au défi qu'on me citât en Europe une ville de commerce convertie en place de guerre. Aujourd'hui, en Europe, au point où est arrivée la civilisation, on ne fortifie pas les places de commerce, on y démolit les fortifications. J'avais cité comme exemple le Havre, où il n'y a plus de fortifications. On m'a répondu qu'on était occupé à y faire un fort considérable- J'ai sous les yeux le plan du Havre ; en effet on y construit des forts pour défendre la rade.

Voilà à quoi se bornent les fortifications. On a démoli l'enceinte ensuite. (Interruption.) Il y avait au Havre une enceinte semblable à celle qui existe à Anvers, enceinte dont le Havre a obtenu la démolition, parce qu'on a compris en France que, dans l'intérêt du pays, un port de commerce, comme le Havre, devait être affranchi des dangers de la guerre, pouvoir se développer en sécurité,

J’avais cité d’autres places. L’honorable commissaire du Roi a dû aller chercher des exemples en sens contraire en Amérique, n'en trouvant pas en Europe ; il a dit qu’aux Etats-Unis presque toutes les places de commerce étaient fortifiées. J'ai vérifié ce point ; j'ai sous les yeux les plans de ces places de commerce des Etats-Unis, notamment de New-York et de Boston.

Ces villes ne sont pas fortifiées à la façon dont on veut fortifier Anvers ; quelque batteries défendent la rade ; mais aucune de ces villes n'est entourée ni d'une enceinte, ni de fortifications de terre.

M. le commissaire du Roi avait cité Amsterdam. J'ai dit que cela n'était pas sérieux. En effet, tous ceux qui ont visité Amsterdam dans ces 30 dernières années savent qu'il n'existe aucune fortification autour de la ville.

Je vais parfois en Hollande ; je promets à M. le commissaire du Roi de faire des recherches pour trouver à Amsterdam un vestige de fortifications quelconques ; mais je déclare que ceux qui habitent cette ville ne s’en sont pas aperçus.

Messieurs, au tableau sinistre que j'ai dû vous tracer du sort qui était réservé à Anvers, on a répondu : « Félicitez-vous des fortifications que nous voulons faire autour de la ville ; vous seriez bien plus à plaindre, en cas d'une invasion, si vous n'aviez pas de fortifications. »

Ailleurs, a-t-on ajouté, on s'est trouvé dans la même position que vous souhaitez pour la ville d'Anvers et l'on a en à s'en repentir. Hambourg en 1813 n'était pas fortifié. Qu’est-il arrivé ? Les Français y ont élevé des fortifications en démolissant un nombre considérable de maisons, et Hambourg a été condamné à une contribution de 125 millions.

Après la guerre, la ville de Hambourg a été admise à réclamer à Paris, et elle a obtenu une indemnité de 10 millions. Voilà le sort que Hambourg non fortifie a subi.

Eh bien, messieurs, savez-vous ce que Hambourg a fait de l'indemnité qui lui a été accordée après la conclusion de la paix ? Il a employé une partie de cet argent à la démolition des fortifications dont les Français l'avaient doté.

On y avait donc autrement compris que M. le commissaire du Roi le bonheur d'être et de n'être pas fortifié ; Hambourg n'a eu rien de plus pressé que de démolir ses fortifications ; il s'est mis volontairement dans le cas de subir une seconde fois le sort qu'elle a éprouvé en 1813.

Eh bien, quoique connaissant parfaitement l'histoire de Hambourg, nous déclarons qu'Anvers préférerait courir, comme Hambourg, la chance de payer un peu d'argent que de devoir subir pendant de longues années de paix le fardeau, la gêne qu'imposent les fortifications, le discrédit dont elles frappent une place de commerce. Vous n'avez pas mesuré ce que coûte à la Belgique la position onéreuse que vous faites à Anvers.

Mais dit-on, vous avez prospéré malgré vos fortifications ; votre prospérité est peut-être due à la sécurité que vous donnent vos fortifications.

Je réponds que si Anvers n'avait pas eu de fortifications, Anvers se serait développé comme Rotterdam, comme le Havre, et serait arrivé au degré de prospérité que ces villes ont atteint.

Avant 1830, il s'était établi un commerce considérable de consignation entre les États-Unis et Anvers ; après 1830, après la destruction des marchandises américaines dans l'Entrepôt brûlé, ce commerce a cessé. Les Américains ne veulent plus courir les mêmes chances de désastre.

Ce n'est certes pas la fortification que vous voulez élever et la sécurité que vous voulez nous donner qui nous ramènera cette prospérité commerciale.

Encore, messieurs, si les travaux que vous voulez exécuter dans tous les cas, bien que contraires à ses intérêts, offraient une sécurité relative. Mais je l'ai déjà dit, il est impossible de ne pas reconnaître que ces travaux sont complètement insuffisants pour nous garantir des dangers qu'un siège nous réserve.

Messieurs, malgré tout le talent qu'aient déployé ceux qui défendent le projet du gouvernement, je déclare qu'il ne m'est pas permis d'avoir grande confiance en leurs paroles.

L’honorable général Renard, avec lequel j'ai eu l'honneur de siéger dans une commission en 1853, était alors très peu partisan du projet qu'il défend aujourd'hui.

M. le général Renard, commissaire du Roi. ) Je l'ai trouvé trop restreint ; j'ai voté pour un projet plus étendu.

M. Loos. - J'avais l’honneur de faire partie de cette commission, j'ai consulté mes notes pour me rappeler ce qui s'était passé ; à la séance du 9 octobre 1853 j'ai trouvé cette annotation : M. le général Renard donne lecture d'un mémoire en faveur de l'agrandissement d'Anvers qu'il considère comme nécessaire au point de vue militaire au moins autant que dans l’intérêt du développement commercial.

L'honorable général a donné lecture de ce mémoire immédiatement après que l'honorable auteur du plan que nous discutons eut développé le sien.

Il a voté contre, il a dit que ce n'était pas là ce qu'il fallait pour Anvers, que c'était l'espace, que l’agrandissement au nord ne suffirait pas. Il a exposé un plan qui atteignait dans une certaine mesure notre but, mais nous qui voulons l'agrandissement général, nous avons repoussé le projet du général Renard comme celui du général de Lannoy. Du reste, on l’a déjà dit, dans cette commission composée des généraux qu'on avait jugé les plus compétents, un seul plan a pu réunir deux voix ; celle du général de Lannoy et celle du général Posswick.

Quant au plan du général Renard, il n'y a que lui, je crois, qui l'ait appuyé, bien qu'il satisfît jusqu'à certain point aux besoins d'alors, mais nous nous trouvions en présence d'un projet plus grand qui n'a pas obtenu les suffrages de la majorité. Les généraux combattaient tous les projets.

Ma conviction était qu'un militaire ne trouvait un projet bon que pour autant qu'il en fût lui-même l’auteur. Le général Renard serait bien autrement éloquent s'il avait à détendre son projet. L'honorable général Renard remplit un devoir, il le fait avec beaucoup de talent. Mais que j'aie confiance dans ses paroles d'aujourd'hui, je déclare franchement que cela m'est impossible.

L'honorable général pourrait dire, comme certain orateur qui aux compliments qu'on lui adressait à raison du talent dont il avait fait preuve en soutenant certaine question, répondait qu'il aurait été bien plus éloquent s'il l'avait combattu, que si au lieu de montrer les (page 1348) mérites du projet il avait eu à en faire ressortir les défauts, sa voix eût été bien plus éloquente, qu'il eût été plus éloquent en plaidant contre qu'en le défendant. Cela prouve le dévouement du général et son grand talent.

C'est vous dire que, quant à moi, je suis fort peu séduit quand on me dit que le gouvernement accepte la responsabilité du plan qu'il vous soumet. Ministre de la guerre et commissaire du Roi en acceptent aussi toute la responsabilité. Qu'est-ce à dire ? Si plus tard on reconnaît ces projets défectueux, à quoi servira la responsabilité qu'on offre aujourd'hui ? L'honorable général chargé du portefeuille de la guerre, comme officier de cavalerie, n'a pas fait, je suppose, de profondes études de fortifications.

Je rends hommage à ses qualités comme militaire, il ne sera pas offensé de la supposition qu'il n'a pas passé sa vie à étudier les fortifications.

M. le commissaire du Roi, je ne l'ai jamais trouvé aussi éloquent que quand il a attaqué le projet qu'on nous présente aujourd'hui et défendu le sien.

M. le général Renard. - Je prouverai que j'ai toujours soutenu la même thèse devant vous.

M. Loos. - Vous avez combattu le projet de Lannoy.

M. le général Renard. - La petite enceinte au nord, mais non la grande.

M. Loos. - Vous avez préconisé votre projet, il avait un but que nous poursuivons, l'agrandissement d'Anvers.

Votre agrandissement partiel, que nous n'avons pas approuvé, allait du fort du Nord à Borgerhout et venait aboutir au fort d'Herenthals.

Ce projet était, je crois, celui que j'ai sous les yeux, et qui était présenté alors par des entrepreneurs comme M. Keller ; ces entrepreneurs s'appelaient Hertoghs frères.

On nous a reproché de ne pas contribuer efficacement aux dépenses nécessitées par la nouvelle enceinte. Je dois dire que nous avons recherché avec beaucoup de soin, avec beaucoup de bonne volonté, et j'ajouterai avec beaucoup de sincérité, le moyen de nous mettre d'accord avec le gouvernement. Quelle que soit l'opinion qu'on se fasse de la première offre que nous avons faite, qu'on l'appelle dérisoire, je prétends que cette offre était très sérieuse.

Qu'avons-nous dû faire ? Mis en demeure par les circonstances, plutôt que par le gouvernement qui nous a laissé parfaitement tranquilles, qui ne nous a jamais demandé, si ce n'est en 1857, pour quelle somme nous contribuerions dans la dépense, qu'avons-nous dû faire pour nous éclairer sur une question certainement très difficile pour une administration communale ?

Nous nous sommes éclairés par les faits qui s'étaient produits dans d'autres pays. Ainsi au Havre on fait raser les fortifications dans l'intérêt du commerce de cette place, à Lille dans l'intérêt de l'industrie. Nous avons donc examiné quels étaient les sacrifices imposés à ces localités pour contribuer dans les travaux.

Voici les conditions auxquelles la ville du Havre a souscrit par délibération du conseil municipal du 2 mai 1834 : Obligations de l’Etat.

L'Etat s'engage :

1° A permettre la suppression, dans le délai d'un an, à partir du 1er avril 1854, du corps de place, provisoirement conservé par le décret du 29 octobre 1833. (La superficie, devenue libre par cette suppression jointe à celle provenant des autres fortifications déjà supprimées, occupe une surface de 60 hectares environ). Toutefois, l'Etat consent à laisser entamer, avant l'expiration du délai ci-dessus, le corps de place, si l'ouverture du boulevard projeté rend cette mesure nécessaire.

2° A céder gratuitement sur ces terrains l'espace nécessaire à la ville pour l'ouverture du boulevard, rues, places, etc. (14 hectares environ) le tout conformément au plan qui sera arrêté par le ministre de l'intérieur.

(L'Etat se réserve la propriété du surplus du terrain.)

3° A améliorer le chenal et à ouvrir un nouvel avant-port sur les terrains occupés par les fronts ouest, conformément aux plans qui seront arrêtés par le ministre des travaux publics.

Obligations de la ville.

La ville s'engage :

1° A niveler, combler, et mettre en état de vente, dans le délai de 3 ans, à partir du 1er juillet 1854, les terrains ci-dessus désignés, à l'exception de ceux que se réservent l'administration des ponts et chaussées et l'administration de la guerre.

2° A exécuter en trois ans, tous les travaux d’édilité, tels que boulevard, rues, places, pavage, trottoirs, égouts, système complet d'éclairage, sur les terrains désignés au paragraphe précédent, conformément au plan arrêté par M. le ministre de l'intérieur.

3° A construire sur les mêmes terrains.

Un hôtel de ville évalué à 900,000 fr. dans le délai de 3 ans à partir du 1er juillet 1854.

Une église évaluée à 700,000 fr. dans le délai de.....à partir.....

Plan financier.

La dépense des travaux de nivellement, comblement, etc. évaluée à 2,200,00 francs environ, sera couverte au moyen d'un emprunt contracté par la ville.

La ville prenant à sa charge une portion des travaux que devrait supporter l'Etat, elle sera indemnisée de cette dépense, au moyen du prélèvement des premiers 1,500,000 francs produits par la vente des terrains ci-dessus énoncés. Ladite vente sera faite par les agents du domaine

Ce remboursement aura lieu au fur et à mesure des ventes effectuées par l'Etat, par fraction de 50,000 fr. au moins et devra être terminé deux ans au plus tard, après l'entier achèvement des travaux de nivellement à la charge de la ville.

Ainsi, messieurs, au Havre, la ville commence par avancer une somme de 2,200,000 francs qu'elle récupère sur les produits des premières vente de terrain. C'est donc pour 700,000 francs que la ville du Havre participait à la démolition de ses fortifications, et il s'agissait d'une dépense de 23 millions.

On nous a objecté Lille et quand nous avons demandé au gouvernement qu’il voulût bien nous communiquer une proposition, comme indication, il a cité ce qui s'était fait à Lille.

Mais peut-on comparer ce qui est demandé à Lille, à ce qui doit se faire à Anvers ?

A Lille, le gouvernement n'avait en aucune façon l'intention de porter la main, pour un motif quelconque, sur les fortifications de la place. La ville de Lille trouvait que son étendue était devenue insuffisante.

Dans l'intérêt de la localité, dans ce seul intérêt, on demandait la reconstruction de l'enceinte. Le conseil municipal, après en avoir délibéré, avait déclaré que dans la dépense, évaluée à 30 millions, il pouvait concourir pour une somme de 8 millions. Le préfet du département du Nord a pensé que cette offre était raisonnable. De concert avec le maire de Lille, il s'est mis en rapport avec le gouvernement. Le gouvernement a trouvé que l'offre n'était pas suffisante. Il a demandé que la ville de Lille contribuât pour quinze millions. La vide a fait valoir l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait de contribuer pour une somme aussi considérable. Enfin les partis se sont entendues et la ville de Lille contribue pour 12 millions dans une dépense de 30 millions.

Je prie la Chambre de remarquer que pour l'agrandissement d'Anvers, pour l'enceinte nouvelle, il s'agit d'une dépense de 25 millions, qu'Anvers consentait à contribuer pour 10 millions. Elle était donc parfaitement dans les termes de la ville de Lille.

Si je reviens sur ces explications, c'est pour prouver que notre proposition n'était pas dérisoire, qu'en définitive nous avons cherché sincèrement à rencontrer une offre qui fût acceptable par le gouvernement.

Mais, messieurs, le gouvernement n'a pas agi à notre égard comme le préfet de Lille et comme le ministre en France.

M. le ministre des finances est venu vous dire que je lui avais déclaré formellement que je ne proposerais jamais au conseil communal de participer pour quoi que ce soit dans la dépense qui devait se faire à Anvers. Vous devez vous rappeler l'insistance qu'a mise l'honorable ministre à m'accuser de n'avoir jamais voulu contribuer dans la dépense. Je me suis permis de l’interrompre pour lui dire qu'il rapportât ce qui s'était dit dans nos conversations particulières. M. le ministre vous a donné l'autre jour des explications à ce sujet. Ces explications n'enlèvent rien des motifs que j'avais d'interrompre M. le ministre.

De quoi s'agissait-il ? M. le ministre semblait m'accuser d'être un obstacle personnel à ce que des arrangements pussent être pris avec Anvers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vous ai pas accusé du tout.

M. Loos. - J'ai réclamé contre la sincérité de cette accusation, parce que ne faisant envisager par la population d'Anvers et par vous comme étant personnellement un obstacle à des arrangements avec la ville d'Anvers il ne vous disait pas ce que j'avais ajouté dans ces conversations particulières, que j'étais prêt à traiter pour la question des propriétés militaires, que peu importait sous quelle forme la contribution d'Anvers pouvait se régler pourvu qu'elle fût efficace.

Eh bien, je trouvais que cette accusation de la part de M. le ministre était peu bienveillante pour moi ; car il n'avait pas besoin de rappeler ce qui s'était passé : il avait entre les mains des documents où, non pas moi, mais l'administration communale d'Anvers, ce qui est tout autre chose, déclare, comme je l'ai déclaré moi-même, que si vous vouliez embastiller Anvers dans un intérêt général et contraindre cette ville à contribuer spécialement à ces travaux, jamais je ne me prêterais à une pareille injustice, à une pareille iniquité et que je ne l'aurais certes jamais proposé à l'administration communale.

Les contributions doivent être supportées dans une égale proportion par le pays tout entier et voulait faire supporter par Auvers seule des charges qui doivent profiter, le cas échéant, au pays tout entier, je dis que ce serait commettre une véritable iniquité. Et j'ajoute que sur ce pied je ne consentirai certainement jamais à traiter avec le gouvernement. Aussi, messieurs, quand j'ai montré un mouvement d'impatience, c'est parce qu'on me représentait à vos yeux comme à ceux de mes administrés comme étant un obstacle personnel à un arrangement avec le gouvernement. Je ne pouvais pas laisser passer une telle imputation sans protestation.

(page 1349) Puisque nous en sommes à la question de la contribution d'Anvers, j'ajouterai que, notre première offre ayant été trouvée insuffisante, nous en avons fait une seconde.

Par la première, nous faisions remarquer au gouvernement que les 10 millions que nous consentions à payer lors de la mise en possession des terrains, faisaient en définitive pour Anvers 23 millions au bout de la vingt-quatrième année ; qu'ainsi l'accumulation des intérêts rendait cette contribution très onéreuse. Le cabinet a trouvé malgré cela notre offre dérisoire ; mais quand il s'agit pour lui de se constituer en avance de capitaux, oh ! alors il sait calculer les intérêts. Par la seconde offre qu'Anvers a faite au gouvernement, on garantissait 12 millions à la condition de ne pouvoir réaliser la valeur des terrains à provenir des fortifications que de concert avec la ville. M. le ministre des finances a vu là une condition très onéreuse pour l'Etat parce que, disait-il, Anvers pouvait retarder pendant 30, 40, 50 ans peut-être la réalisation des terrains.

Eh bien, si M. le ministre avait fait part de ses craintes, la ville d'Anvers se serait empressée de le rassurer par retour de courrier. Ayant garanti une valeur de douze millions, nous avons voulu nous mettre à l'abri de réalisations intempestives ou peu intelligentes ; c'était la seule garantie que nous nous étions réservée. Ne voulez-vous pas de cette clause ? Dites-le ; nous l'effacerons. Mais il ne reste pas moins établi qu'Anvers offre un concours plus élevé que le Havre, car le Havre demandât à se dédommager jusqu'à concurrence de 1,500,000 francs, et Anvers demande une compensation beaucoup moindre.

Au surplus, fatigué de faire des offres qui étaient reçues avec dédain et comme jamais proposition émanant d'une grande cité n'a été accueillie, Anvers a eu la conviction qu'il était désormais parfaitement inutile de faite d'autres instances et qu'il n'avait plus qu'à attendre les conditions que le gouvernement lui-même trouverait équitable de lui faire. C’est encore la position où nous sommes aujourd'hui. Anvers est devant un grand danger, il veut s'y soustraire à tout prix. Que le gouvernement dicte des conditions, nous les examinerons. Nous voyons les choses à Anvers autrement que vous, nous voyons dans votre projet la destruction, l'anéantissement de la ville dans un temps donné ; et dans cette situation nous sommes disposés à accepter les conditions quelque dures qu'elles soient, pour nous soustraire à ce danger. Mais, messieurs, on ne trouve pas si dérisoires qu'on le dit les propositions faites par Anvers. Nous avons acquis la conviction que, quelles que soient les offres qu'Anvers puisse faire, on ne consentira pas à agrandissement.

C'est un parti pris de la part du gouvernement et ce ne sont pas les offres d'Anvers qui pourront le faire changer de résolution. En voulez-vous la preuve ? Je vais vous la donner.

Cette preuve, messieurs, je l'ai trouvée dans une phrase du premier discours de M. le ministre de l’intérieur, qui m'avait échappé à l'audition. « Mais, messieurs, nous a dit M. le ministre de l'intérieur, il y a d'autres raisons encore que des raisons financières ou des raisons stratégiques, pour ne pas accepter aujourd'hui comme immédiatement exécutable l'établissement d'une grande enceinte. »

Ainsi, Anvers aurait beau s'évertuer à faire des offres au gouvernement, il y perdrait son temps : il y a d'autres raisons que des raisons stratégiques, notez-le bien, d'autres raisons que des raisons financières qui s'opposent à ce qu'on exécute immédiatement la grande enceinte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Immédiatement !

M. Loos. - J'ai lu la phrase telle qu'elle est.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et je la maintiens.

M. Loos. - Ce qui veut dire qu'on veut absolument exécuter avant tout le projet actuel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On maintient votre opinion de 1855.

M. Loos. - Comme je l'ai déjà dit, il y a là un mystère que je ne m'engage nullement à éclaircir.

S'il y a d'autres raisons que des raisons stratégiques et financières pour ne pas décréter, en même temps que la construction des forts du camp retranché, l'exécution d'une nouvelle enceinte pour Anvers, je n'y comprends absolument plus rien. Si ces raisons étaient telles, qu'il ne fût pas prudent de les donner publiquement, le cabinet aurait la faculté de demander le comité secret.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Du tout ! du tout ! Il faut que tout se dise eu public. Il n'y a aucun mystère dans tout ceci. On en cherche, mais il n'y eu a pas.

M. Loos. - Mais, messieurs, indépendamment des sacrifices qu'Anvers veut, qu'Anvers peut, qu'Anvers désire faire pour concourir à l'exécution de la grande enceinte, on ne peut pas perdre de vue les ressources nouvelles, les compensations qui résulteraient pour le gouvernement de l'agrandissement de la ville, des contributions de toute nature qu'il trouverait par suite des nombreuses constructions qui s'élèveraient à Anvers.

Comme, sur ce point, la contestation serait facile, attendu qu'il faudrait raisonner sur des probabilités, je ne m'engerais pas dans une pareille discussion où je rencontrerais certainement comme adversaire M. le ministre des finances.

Je crois donc, messieurs, que ce n'est pas la question d'argent, quoi qu'on en dise, qui décide le gouvernement à approuver un plan plutôt qu'un autre. Je crois aussi que les promesses qu'on nous fait ne sont pas sérieuses et que nous ne devons pas espérer d'obtenir la grande enceinte dans un avenir prochain,

La force des choses, nous dit-on, en amènera la nécessité.

Eh bien, je ne crois pas, pour ma part, à la réalisation de pareille éventualité. On veut, nous dit M. le commissaire du Roi, on veut attendre l'expérience. Si je comprends bien, cela signifie qu'on veut attendre que nos prévisions se réalisent, qu'Anvers ne soit plus qu'on monceau de ruines, pour exécuter alors le plan que nous voulons faire exécuter aujourd'hui. (Interruption.) Mais qu'est-ce donc que faire l'expérience de fortifications si ce n'est s'assurer de leur force de résistance à une attaque ! Si les fortifications ont bien résisté ; si l'armée a pu s'y maintenir sans être décimée, nous aurons acquis la preuve que ces fortifications sont bonnes et alors on les maintiendra ; si, au contraire, mes prévisions se réalisent, on aura acquis la preuve que les fortifications étaient mauvaises et alors peut être changera-t-on de système,

Mais, dit-on, le cabinet est responsable ! Oui, messieurs ; mais où seront les ministres actuels quand Anvers aura subi les revers que nous redoutons ? On compte, messieurs, et l'on a raison, sur le patriotisme d'Anvers en cas d'agression. Oui, messieurs, si Anvers était mis en position de n'avoir pas à courir des dangers inutiles et qui peuvent être évités aujourd’hui, Anvers saurait faire son devoir si la fatalité oblige ses habitants à subir un jour les attaques de l’ennemi. Voici ce qu’Anvers dit en 1856 : « Nous ne récusons pas le dangereux honneur d’être la première place forte du pays, d'être le refuge et la sauvegarde de la nationalité belge ; mais il doit être permis de rappeler au gouvernement et au pays, qu'Anvers n'est pas seulement une place de guerre comme Sébastopol dont les ruines fument encore, qu'elle est aussi et avant tout la première place de commerce de la Belgique. » Oui, messieurs, que cette première place de commerce de la Belgique soit, puisque c'est son sort, convertie en forteresse de premier ordre ; qu'on lui donne les moyens de résister sans être anéantie.

Vous avez institué beaucoup de commissions militaires. Ou vous a déjà signalé la divergence d'opinion qui s'y est manifestée.

Comment donc pouvez-vous vous appuyer sur l'opinion de certains de leurs membres quand les hommes les plus compétents condamnent votre projet ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne condamne pas ce que nous proposons d'exécuter, mais bien la grande enceinte.

M. Loos. - Nullement : dans les conditions où vous voulez exécuter votre projet, tout le monde le condamne ; tous les généraux les plus compétents le condamnent. (Interruption.) Prenez quelles pièces vous voulez.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, je vais de suite vous convaincre d'erreur.

M. Loos. - N'est-il pas vrai que nos trois généraux du génie prétendent que votre plan, comme vous voulez l'exécuter, avec l'encombrement du camp retranché par les constructions des faubourgs, est un mauvais plan ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une complète erreur.

M. Loos. - M. le général de Lannoy déclare qu'avec l'autorisation de bâtir, maintenue jusqu'à présent et qu'on promet de maintenir encore pour l'avenir, la petite enceinte n'est pas défendable et qu'il préfère la grande enceinte. L'honorable général qui siège à mes côtés vous a fait la même déclaration.

Quant au troisième général, membre de la commission, il a déclaré, lui aussi, que, par les mêmes considérations, il donne entièrement la préférence à la grande enceinte ; que l'usage de l’enceinte qu'on veut conserver, serait complètement inefficace ; et que dans les conditions où les choses se présentent, c'est la grande enceinte qu'il faut adopter. Eh bien, quand je vois de telles autorités, les plus importantes par la spécialité de leurs aptitudes, être d'accord pour préférer la grande enceinte, je dis qu'il serait téméraire de ne pas tenir compte de leur avis. Mais, dit-on, ces plans ne sont pas suffisamment étudiés.

Vos projets ne sont donc pas arrivés à maturité quand vous les avez présentés à la Chambre ?

Vous avez dit que ces deux projets avaient une égale valeur défensive, que vous n'avez donné la préférence à l'un sur l'autre qu’à cause de la question financière. Eh bien, aujourd'hui qu'il est possible de faire ce que vous considériez alors comme une impossibilité, aujourd'hui vous venez nous dire que l'un des plans n'est pas étudié. Que nous reste-t-il à faire dans de semblables conditions ? Si le projet n'est pas suffisamment étudié, qu'on le renvoie à l'étude.

Si le projet que nous préférons et qu'on a dit d'une égale valeur à celui que nous discutons n'a pas subi toutes les épreuves de l'étude, si, par cette raison, on n'est pas en état de le discuter, ajournons la discussion et donnons au gouvernement le temps de compléter son examen.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le plan que nous proposons a été parfaitement étudié.

M. Loos. - Que si, après ce nouvel examen, le gouvernement (page 1350) reconnaît que la difficulté financière a disparu, qu'il vienne alors franchement nous présenter son plan qui obtiendrait l'assentiment de tout le monde.

Messieurs, j'ai fait, pour ma part, tout ce que j'ai pu pour préserver la ville d'Anvers des malheurs que j'entrevois pour elle dans l'avenir. Si je n'ai pas réussi, j'en accuserai d'abord mon insuffisance. Toutefois, il est vrai aussi que dans cette circonstance on a témoigné fort peu d'égards pour l'administration d'une grande ville. Eh bien, messieurs, le peu de considération qu'a rencontré l'administration de la ville que je représente, et d'autre part mon insuffisance seront pour moi les causes déterminantes d'un parti qui permettrait à Anvers de confier ses intérêts à un homme plus capable de les défendre.

Je désire vivement, messieurs, que mes prévisions ne se réalisent pas, que la ville d'Anvers n'éprouve pas les désastres que je redoute pour elle et que dès lors les noms de ceux qui n'auront pas su nous préserver de ces malheurs, ne soient pas un jour plus maudits que le mien.

(page 1339) M. le général-major Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, les discussions, dans nos conseils militaires, sont quelquefois très passionnées, mais jamais nous ne nous permettons d'attribuer gratuitement à un de nos camarades une opinion opposée à celle qu'il énonce. Nous n'irions pas impunément lui dire : « Vous venez présenter ici des idées qui ne sont pas dans vos convictions, des idées que vous n'aviez pas à telle ou telle époque, » alors surtout qu'ayant assisté aux mêmes débats, nous aurions été à même de nous convaincre du contraire.

J'ai encore l'épiderme trop chatouilleux pour laisser passer des choses semblables.

M. Loos vient d'avancer que je savais soutenir le pour et le contre, que, dans la question qui vous occupe, je soutiendrais encore mieux le contre que le pour. Il a insinué que, dans un comité dont j'étais membre avec lui, j'avais soutenu l'opinion contraire à celle que je suis venu défendre dans cette enceinte ; eh bien, messieurs, c'est un mensonge. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - A l'ordre ! à l'ordre !

M. le général Renard. - Je retire volontiers le mot, par respect pour la Chambre ; je regrette de l'avoir laissé échapper ; mais, messieurs, d'après ce que je vais vous lire, vous verrez si je n'avais pas le droit d'être indigné. (Interruption.) Messieurs, je n'ai pas encore l'habitude des débats parlementaires. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est un soldat qu'on accuse de mensonge.

M. le général Renard. - Messieurs, j'ai soutenu devant vous le projet du gouvernement ; j'ai soutenu la grande extension nord ; j'ai (page 1340) soutenu le camp retranchée ! le rejet de l'enceinte Keller. C'est bien là le projet du gouvernement. M. Loos prétend que, dans le comité dont nous faisions partie, j'ai avancé... (Interruption.)

J'ai lu dans le sein de ce comité une note. Il s'agit, messieurs, du comité mixte de 1855. Je vais en citer un passage, et vous verrez, messieurs, qu'elle semble, au contraire, faite pour la discussion actuelle. C'est le résumé exact du discours que j'ai prononcés devant vous.

Il s'agissait alors de juger le projet Keller et de le comparer au camp retranché. Il s'agissait donc du projet de grande enceinte. Il s'agissait aussi, messieurs, de se prononcer sur un projet d'extension au nord, présenté par le génie, et qui s'arrêtait au commencement des nouveaux bassins. Eh bien, j'ai rejeté ce projet comme trop restreint, j'ai demandé la grande enceinte au nord dans l'intérêt commercial d'Anvers, enceinte qu'on lui accorde aujourd'hui et qu'elle semble repousser.

M. Loos. - Vous alliez jusqu'à Borgerhout.

M. le général Renard. - Je répète, messieurs, qu'il s'agissait, à cette époque, d'une petite enceinte au nord et j'ai combattu cette petite enceinte ; en voici les raisons :

Les grandes villes de commerce s'étendent communément et nécessairement le long des fleuves, partout où la rive est abordable ; plus elles auront de quais, plus les établissements de commerce pourront se développer à l'aise. Toutes les villes situées comme Anvers dans le rentrant d'un coude de fleuve à marée, ont l'avantage de voir le courant du flux et du reflux lécher leur rivage. Les quais ne peuvent s'établir que là où le courant creuse la rive ; car dans tout autre endroit il se forme des atterrissements. Les villes maritimes ont donc un intérêt puissant à voir tout le rivage abordable englobé dans leur enceinte, de posséder toute la partie du rentrant du fleuve, car c'est là, et là seulement qu'il est possible d'établir des débarcadères, des écluses, des bassins, des docks, des établissements maritimes.

Je voulais qu'on donnât à Anvers le coude tout entier, qu'on reportât la limite des remparts aussi loin qu'il était possible aux vaisseaux d'aborder, parce que l'avenir d'Anvers, son avenir commercial était là et non ailleurs, parce que c'est là qu'est attaché le bien-être de la population ouvrière. Refuser d'englober dans Anvers toute la partie abordable de l'Escaut, c'est-à-dire préférer, comme on le dit, le petit accroissement au nord, au grand accroissement que l'on offre préférer à cette combinaison une extension au sud, c'est donc sacrifier ce qui doit accroître la prospérité du peuple et la splendeur de la cité maritime, à la satisfaction d'englober dans la ville des maisons de campagne.

Maintenant, messieurs, quant à mes opinions de 1855, les voici. Vous avez peut-être encore présent à la mémoire ce que j'ai soutenu dans cette enceinte, et vous verrez si j'ai chanté la palinodie.

« J'examinerai maintenant si les projets qui nous sont soumis satisfont à ces deux conditions.

« Je commencerai par celui de MM. Keller et compagnie. En ce qui le concerne, je n'hésiterai pas à en demander le rejet, quoiqu'il contienne en soi un principe que j'approuve, celui de l'agrandissement de la cité. Sous ce rapport, il me paraît exagéré, car il renferme dans la nouvelle enceinte un terrain presque six fois aussi grand que la surface de la partie bâtie de la ville d'Anvers. Son défaut capital, à mes jeux, c'est de compromettre la bonne défense de cette grande position militaire du pays.

« Je me rallie aux critiques que M. le général de Launoy et M. le colonel de Man ont faites de la nouvelle enceinte. J'ajouterai à leur argumentation les observations suivantes.

« La brochure publiée en faveur du projet admet, dans le but de justifier la faiblesse du tracé, qu'Anvers sera toujours défendu par l'ensemble de nos forces actives.

« Je rejette ce principe comme dangereux, de même que l'idée de faire de cette ville, en tout état de choses, l'asile de la famille royale et du gouvernement. Les enfermerait-on par hasard dans Anvers, si nous avions pour ennemis la Hollande et l'Angleterre ?

« Quant à l'armée de campagne, je conçois qu'en cas d'isolement, elle se verra forcée de chercher un refuge sous les murs de cette place. C'est dans cette prévision que le camp retranché a été projeté, et ce sera l'éternel honneur de M. le général Chazal d'avoir mis la main à cette grande entreprise en 1847, alors que notre établissement militaire était déjà l'objet d'attaques aussi injustes qu'impolitiques. Mais cet isolement de la Belgique, il faut l'espérer, ne sera qu'exceptionnel ou momentané. Elle trouvera des alliés et des défenseurs ; dès lors l'emploi de son armée de campagne sera subordonné au plan général de guerre, à l'exécution duquel nous coopérerons. Il existe donc des circonstances où la défense de la place d'Anvers sera abandonnée aux soins de sa propre garnison.

« Le projet de camp retranché de 1847 répondait à cette double éventualité. Il ne forme pas une dépendance directe de la forteresse. Si l'armée de campagne cherche un refuge sous les murs d'Anvers, le camp retranché lui offre les moyens de défendre le terrain pied à pied, et la ville devient le réduit du système. Mais si l'armée de campagne trouve ailleurs son emploi, le camp retranché est destiné à ne pas être occupé, et l’abandon des forts n'était pas de nature à entraver la défense proprement dite de la ville.

« Dans le projet Keller le camp retranché est une annexe obligée de la forteresse, attendu que les forts qui le composent ne sont que les ouvrages détachés de celle-ci. »

Ne suis-je pas venu soutenir ici exactement la même thèse ? De plus vous m'avez entendu déclarer que je n'étais pas opposé à un agrandissement au sud, mais que je m'opposais à l'agrandissement exagéré qu'on proposait ; vous allez voir si à la même époque mes idées étaient autres.

Je disais au comité :

« A mon sens, la question doit encore être étudiée. S'il m'était permis d'exprimer mon opinion à ce sujet voici ce que je dirais :

« Abordons franchement la question de l'agrandissement d'Anvers et donnons satisfaction à ce grand intérêt national. Selon moi. il y aurait lieu d'examiner si les combinaisons du comité de 1847 ne seraient pas de nature à conduire à une solution satisfaisante. On pourrait, peut-être, reporter la ville jusqu'au canal d'Herenthals, au sud, en la limitant, vers le nord-est, par les inondations du Schyn ; c'est-à-dire en englobant dans les fortifications tout le territoire de Borgerhout. Dans cette hypothèse, Berchem resterait en dehors de l'enceinte, et les travaux du camp retranché que l'on projette seraient maintenus. »

Ce sont exactement les mêmes arguments et les mêmes conclusions que dans cette enceinte.

Oui, voilà l'opinion que j'ai soutenue et non une autre. Elle est complétement identique à celle que j'ai développée devant vous.

Voilà, messieurs, la palinodie que j'ai chantée.

Je ne suis pas opposé en principe à un agrandissement au sud, mais je repoussais de toutes mes forces la proposition Keller.

Ce qui m'avait surtout déterminé à m'opposer à ce projet, lequel est encore aujourd'hui soumis à votre appréciation, c'est que cette vaste enceinte n'était pas faite seulement pour recevoir des habitations ; M. Keller l'avouait lui-même, et voici une phrase extraite de la brochure qu'il avait publiée à cette époque :

« La nouvelle enceinte proposée par M. Keller, à l'intérieur de laquelle, il y aurait pendant des siècles encore, et peut-être à tout jamais ces larges espaces vides, offre des ressources que ne présente pas le rempart étriqué de la nouvelle enceinte. »

Vous le voyez, cette enceinte n'est pas proposée pour offrir un asile à une population qui déborde ; elle est faite pour avoir pendant de très longs siècles et peut-être à tout jamais de très grands espaces vides. Je ne pouvais donner mon approbation à une pareille combinaison.

D'autres villes en Europe demandent à s'agrandir, mais il s'en faut qu'elles élèvent de pareilles prétentions.

En ce moment Copenhague, capitale de Danemark, grande ville de commerce, demande également à s'agrandir et elle sollicite le déplacement de ses fortifications jusqu'à la limite des étangs d'eau douce qui s'étendent parallèlement à ses remparts. Savez-vous quelles eussent été les conséquences de ce déplacement, qui du reste, n'a pas été accordé ?

La ville aurait gagné 500 mètres sur la campagne, c'est-à-dire le cinquième de la distance qu'exige Anvers ; elle eût englobé dans son enceinte 1,500,000 mètres carrés, tandis qu'Anvers en demande 11 millions.

Je cherchais à concilier mes sympathies pour Anvers avec les besoins de la défense de la position. Il me semblait que c'était autour de Borgerhout qu'il fallait établir les nouveaux remparts. J'avais le ruisseau d'Herenthals qui servait de limites à l'enceinte nouvelle. J'avais mes fortifications appuyées et couvertes par des inondations. J'accordais le tiers de ce que demande Anvers. Il me semblait que ce tiers était complètement suffisant, et c'est dans ce but que j'ai fait alors la proposition d'étudier la question.

Vous connaissez maintenant, l'opinion que j'ai soutenue et les motifs qui m'ont guidé ; vous pouvez apprécier la valeur du reproche qu'on m'adresse d'être venu défendre devant la Chambre une opinion contraire à celle que j'ai énoncée dans le comité, et plaider avec la même facilité le pour et le contre.

Du reste, j'ai eu grand tort de me fâcher, et j'en demande pardon à la Chambre ; voici pourquoi : Lorsque tout à l'heure l'honorable M. Loos entretenait la Chambre de la nouvelle pétition de Borgerhout, M. le ministre de l’intérieur lui a fait observer que la première pétition lue à la Chambre par lui contenait 300 signatures. Vous avez entendu M. Loos répondra tout aussitôt que la sienne en contenait 400. Eh bien, messieurs, ce fait est complètement inexact. La pièce n'est pas couverte de 400 signatures, mais seulement de 165. Cela prouve avec quelle légèreté l’honorable membre s'exprime souvent.

M. Loos. - Je n'accepte en aucune façon la leçon que veut me donner le commissaire du Roi ; je ne m'exprime pas avec légèreté et je le prouverai.

M. le commissaire du Roi. - Quand vous voudrez.

J'aurais trompé la Chambre au sujet d'Amsterdam ; Amsterdam n'est pas destinée à devenir une ville de guerre ; on n'y voit pas de fortifications.

J'ai dit, messieurs, qu'il ne fallait pas comparer Amsterdam à Anvers sous le rapport des fortifications, j'ai parlé, des immenses inondations qui couvrent la Hollande.

Ne serait-il pas en effet ridicule de faire là ce que nous sommes obligés de faire sur les terrains qui environnent Anvers ?

J'ai énoncé l'opinion qu'en examinant les travaux de défense qu'on avait élevés en Hollande, il était très facile de voir qu'on avait l'intention de faire d'Amsterdam ce que nous faisons d'Anvers, le réduit de la Hollande.

(page 1341) Permettez-moi de vous citer un extrait d'un rapport sur le système défensif de ce pays :

« Amsterdam. - Pour couvrir cette capitale du côté diamétralement opposé à Naarden, c'est-à-dire, à l'ouest, vers Harlem, on a construit, dans ces derniers temps, trois tours défensives dans le genre de celles qui sont échelonnées sur la ligne d'inondations. Nous en avons vu une à Liburg, l'autre est à Sloten, et la troisième à Schipol ; elles sont placées sur le bord du canal creusé autour du lac de Harelem pour le dessécher, et c'est le dessèchement de ce lac, aujourd'hui terminé, qui, en dércuvrant Amsterdam vers l'ouest, a nécessité de nouveaux moyens de défense.

« Il existe encore des ouvrages que nous n'avons pas vus entre Liburg et Spaardam, sur l'Y.

« Enfin, entre la ligne d'inondations et Amsterdam, le génie militaire conserve avec soin les épaulements et les terrains des anciennes batteries qui ont servi jadis à défendre la capitale, depuis le lac de Harlem à Schipol jusqu'au Zuyderzee à Dienerbrug. »

Jugez, messieurs, si je mérite les imputations que m'a adressées M. Loos.

On vous a dit, on vous a répété à satiété que le projet présenté par le gouvernement n'était pas étudié ; il est inadmissible, il est mauvais, les généraux compétents le repoussent ; le ministère n'a pas fait suffisamment examiner la question. Messieurs, toutes les questions relatives à la défense du pays sont étudiées avec un soin extrême : pour vous le prouver, je vais vous lire une délibération du conseil de défense du pays, laquelle provoque la présentation aux Chambres du projet de loi qui fait l'objet de vos délibérations.

« Le conseil de défense,

« Après avoir mûrement examiné et discuté les projets présentés pour compléter le camp retranché d'Anvers, accorde à la ville l'extension qui lui manque pour le développement de ses bassins et de sa marine marchande, enfin, pour donner à ce grand réduit du pays une valeur défensive en rapport avec le haut degré d'importance de la position, à l'honneur de proposer à Sa Majesté le Roi, les mesures suivantes ;

« 1° Un agrandissement de la ville au nord, ayant une superficie de plus de 200 hectares, et limité par une enceinte bastionnée en terrassements s'étendant parallèlement au coude du fleuve, depuis Austruweel jusqu'au bastion Schyn.

« Cette enceinte serait précédée d'un large fossé et d'un chemin couvert, avec avant-fossé ; elle serait couverte pour une vaste inondation.

« 2° L'établissement d'une batterie casematée sur le fleuve, au point de départ de la nouvelle enceinte ;

« 3° La construction d'un pentagone en terrassements sur la rive gauche de l'Escaut, en regard du village d'Austruweel ;

« 4° L'agrandissement du fort Ste-Marie et la reconstruction des forts la Perle et St-Philippe, au moyen des fonds qui ont été votés pour la défense de l'Escaut ;

« 5° La construction de cinq nouveaux forts, solidement constitués, formant première ligne en avant du retranchement du camp actuel ;

« 6° La transformation du fort actuel n°2, en fort semblable aux précédents ;

« 7° La construction de deux forts, l'un en avant de Merxem, l'autre en avant de Deurne, afin d'empêcher que l'ennemi ne s'établisse, pour bombarder la ville, sur les langues de terre qui dépassent le niveau de l'inondation en ces endroits.

« Le conseil a reconnu à l'unanimité :

« 1° Qu'il est indispensable d'augmenter l'importance du fort projeté, en avant de l'ouvrage actuel n°5 ;

« 2° Qu'il est extrêmement urgent de compléter le système de défense d'Anvers, et qu'en conséquence, il importe, au plus haut degré, que la législature vote la totalité des crédits nécessaires pour son exécution, afin que les travaux puissent être commencés sans retard, continués sans interruption et achevés dans le plus bref délai possible.

« 3° Que l'exécution complète du système d'Anvers permettra la démolition d'un certain nombre des places fortes actuelles. »

Cette pièce est du 7 avril 1858, elle est signée de Liem, Chazal, de Lannoy et Renard.

M. de Perceval. - Il y a trois mois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - N'y eût-il que huit jours, ce serait assez pour mettre à l'abri notre responsabilité.

M. le commissaire du Roi. - Je m'arrête, messieurs, après ces explications.

J'espère, messieurs, avoir dissipé les doutes qu'on a cherché à jeter dans vos esprits ; j'espère conserver la bienveillance dont vous m'avez honoré, et que les accusations portées contre moi par M. Loos passeront comme un mauvais nuage.

()page 1350) M. Loos. - Je ne relèverai pas ce qu'il y a de peu convenable dans le démenti que m'a adressé M. le commissaire du Roi ; il l'a d'ailleurs retiré et je ne serais pas revenu sur cet incident si, quelques instants après, il ne m'avait pas taxé de légèreté. J'ai dit que je n'acceptais pas de leçon de sa part. Je ne seras pas seul de mon avis, si je disais que cette accusation doit être renvoyée à son auteur.

Qu'ai-je soutenu, après tout, pour mériter les démentis qu'on m'a donnés ? J'ai dit que, dans la commission de 1855, te général Renard avait repoussé le projet de M. de Lannoy et avait présente un autre projet d'agrandissement d'Anvers.

J'ai dit que j'avais consulté mes notes d'alors et que j'y avais trouvé un mémoire lu par le général Renard en faveur de l’agrandissement d'Anvers qu'il trouve nécessaire au point de vue militaire au moins autant qu'au point de vue du développement du commerce.

J'ai dit qu'il avait combattu le projet d'agrandissement au nord et qu'il avait fait d'autres propositions. Cela veut dire que l'agrandissement qu'il trouve si utile aujourd'hui n'était pas alors suffisant, puisqu'il proposait un plan qui enclavait la commune de Borgerhout et venait aboutir au fort d'Herenthals, ce plan partait du fort du Nord, contournait la plus grande partie de la vile et arrivait au fort d'Herenthals.

Je demande si cela a le moindre rapport avec ce qu'on nous proposa aujourd'hui.

On a donné à l'agrandissement du côté du nord une extension que jamais nous n'avions réclamée, quoi qu'on en ait dit ; nous avions demandé le plus grand développement possible du côté du fleuve, mais non cette quantité de terrain que vous ajoutez dans les polders.

Je néglige ces détails et je dis que le démenti qui m'a été adressé n'est justifié par rien. Quand le général Renard a voulu démontrer qu'il ne s'était pas contredit, il prétend qu'il a défendu l'agrandissement au nord, mais ce n'était pas celui qu'il défend aujourd'hui, il en voulait un plus considérable ; c'est en cela que je dis qu'il n’est pas conséquent avec ses opinions d’autrefois.

Autrefois l'agrandissement qu'il défend aujourd'hui n'était pas suffisant pour le développement du commerce. Aujourd'hui il soutient ce projet contre lequel il a voté en 1855.

Quant à l'accusation de légèreté, je ne l'accepte pas pour moi : ce que j'ai eu l'honneur de vous dire des changements d'opinion de l'honorable général prouverait que c'est plutôt de son côté que du mien que se trouva la légèreté.

(page 1341) M. Dolez. - Messieurs, l'honorable député d'Anvers, que vous avez entendu avec la considération qui s'attache à ses longs antécédents et à son caractère, a menacé des malédictions de l'avenir ceux d'entre nous qui donneraient un vote approbatif au projet qui nous est soumis. Pour moi, décidé à voter ce projet, je ne redoute pas les sinistres présages que l'honorable député d'Anvers a fait planer sur nos têtes.

Je suis profondément convaincu qu'en venant défendre le projet du gouvernement, qu'en lui donnant un sincère et loyal appui, je ne fais qu'accomplir un devoir de bon citoyen. Je suis profondément convaincu encore que si l'avenir, ce qu'à Dieu ne plaise, réserve ses malédictions à quelqu'un, ce ne sera qu'à ceux qui, dans une coupable imprévoyance, auraient failli à leur devoir de citoyen d'un pays libre en ne pourvoyant pas aux nécessités que l'avenir peut réserver à la sécurité de notre patrie.

En me voyant prendre la parole dans un pareil débat, vous qui connaissez mes antécédents, vous ne vous attendez pas, messieurs, à m’entendre traiter des questions militaires. Je m'en abstiendrai soigneusement, et ne vous parlerai pas même de la vertu relative de l'escarpe revêtue et de celle qui ne l'est pas. Ce sont là des questions trop étrangères à mes travaux et, permettez-moi de le dire, aux connaissances de la plupart d'entre vous pour qu'il me paraisse utile de vous en parler encore.

C'est aux hommes spéciaux, aux hommes qui ont consacré leur vie aux études militaires à traiter de pareilles questions.

Je rends hommage au zèle des membres de la section centrale qui, appelés par une mission particulière, à s'occuper des détails du projet, se sont livrés à une étude sommaire de ces questions.

Mais quelque éloquente que soit leur voix, elle ne peut pas faire autorité en pareille matière Quant à l'opinion de collègues qui ont parcouru la même carrière que moi, quelle que soit l'autorité que je reconnaisse à leur parole quand, dans une autre enceinte, elle s'applique à d'autres travaux, je ne puis l'accepter comme pouvant balancer ici l'opinion d'une autorité bien plus compétente, celle que l'on vous citait tout à l'heure, celle qu'a émise, à l'unanimité, le comité de défense, composé de généraux distingués.

Que dirions-nous si. Après avoir consacré toute notre vie à l'étude de la jurisprudence, un général se présentait au palais et prétendait qu'après quatre semaines d'étude il connaît mieux que nous la jurisprudence.

Pour moi, messieurs, les motifs qui ne déterminent à approuver le projet du gouvernement sont à la portée de tout le monde.

Ce sont des motifs de bon sens et des motifs de patriotisme. Ceux-là, j'en suis convaincu, vous les comprenez, vous les appréciez tous.

Il est, messieurs, un point fondamental dans ce débat qui lui est définitivement acquis : c'est la reconnaissance par tout le monde de la nécessité de donner à la défense du pays un point d'appui matériel assez puissant pour parer à toutes les éventualités de l'avenir. Personne n'a proclamé en termes plus énergiques et je dirai plus éloquents cette nécessité que ne l'a fait l'honorable et respecté rapporteur de la section centrale, M. le général Goblet.

Voici comment débute son rapport :

« Ce ne fut qu'à la fin de 1851 que la législature intervint, par quelques-uns de ses membres, dans l'examen de la défense nationale ; jusqu'en 1848, le gouvernement lui-même ne s'était pas sérieusement occupé de donner à la Belgique les moyens de répondre dignement à la position politique et territoriale qui lui était faite en Europe. »

Voilà, messieurs, le langage de la section centrale ; ce langage, je le répète, n'a pas trouvé de contradicteur parmi vous. A côté de cette donnée acquise au débat, il en est une autre qui m'apparaît encore comme étant entièrement hors de controverse. C'est que ce point matériel servant d'appui à notre système de défense du pays, ne peut être qu'Anvers. J'insiste sur cette proposition que ce point ne peut être qu'Anvers, parce que je réponds par là à ce qui a été dit dans une autre séance. qu'Anvers avait le périlleux honneur d'être choisi pour servir d'abri suprême à la nationalité belge.

Anvers n'est pas choisi, Anvers est indiqué non pas par le gouvernement ni par nous, mais par la nature elle-même qui lui a assigné cette mission de la même main qui l'a doté de sa grande situation commerciale, en lui donnant l'un des plus beaux ports du monde.

La section centrale, je le sais, dans une résolution qui n'a pas eu de suite bien sérieuse, avait indiqué, par quatre voix contre trois, la capitale comme devant remplir le rôle que tous maintenant reconnaissent devoir appartenir à la ville d'Anvers.

Je ne méconnais pas qu'au point de vue politique il y ait quelque chose de séduisant dans cette pensée d'établir dans la capitale le point central de la défense nationale. Mais en matière de guerre, il faut souvent sacrifier les idées politiques, il faut faire dominer avant tout les idées de stratégie et, sous ce rapport, tous les hommes compétents sont d'accord que cette idée de fortifier Bruxelles doit être abandonnée.

Voilà donc deux données qui sont définitivement acquises ; il faut un point matériel servant d'appui à la défense du pays ; ce point matériel doit être Anvers.

Faisons un pas de plus et voyons s'il est établi que le projet présenté par le gouvernement est digne de remplir sa mission. En d'autres termes, ce projet est-il bon ?

J’ai attentivement écoulé tous les orateurs qui ont été entendus pendant toute cette semaine, et si j'en excepte l'honorable M. Loos, je n'ai entendu personne dire que le projet du gouvernement fût mauvais.

M. Vervoort. - La section centrale a dit qu'il était inadmissible.

M. Dolez. - La section centrale n'a pas dit que le projet du gouvernement fût inadmissible, et je vais immédiatement le prouver.

(page 1342) Il y a, messieurs, à l’encontre du projet du gouvernement deux doctrines. Il y a la doctrine de l'honorable M. Allard qui prétend que ce projet est trop complet, en ce sens que M. Allard soutient que l'enceinte actuelle doit disparaître, quand on exécute les forts. Voilà une des critiques.

Il y a l'autre critique, celle de la section centrale qui prêtent, non pas que le projet du gouvernement est mauvais, mais qu'il est incomplet, qu'il faut le rendre plus complet qu'il n'est. et en voulez-vous la preuve ? Je lis textuellement à la page 31 du rapport :

« La section centrale, par toutes les considérations qui précèdent, est d'avis que, si c'est à Anvers que l'on entend concentrer la défense du pays, il est indispensable de démolir l'enceinte actuelle, d'en construire une nouvelle à la hauteur des fortins existants, en supprimant toutefois le n°4, et enfin, d'exécuter, en avait de l'enceinte nouvelle, les forts du camp retranché proposés par le gouvernement. »

Qu'est-ce à dire ? Les forts du camp retranché proposés par le gouvernement sont très bons, mais il faut les rendre plus complets en les reliant par une enceinte.

J'avais donc raison de dire que le projet du gouvernement est bon, que tout le monde le reconnaît.

Seulement quelques-uns prétendent qu'il faut encore y ajouter quelque chose ; et vous verrez tout à l'heure que pour les conséquences auxquelles j'aboutis, les déductions que je fais en ce moment sont irrécusables, ne prétend pas à la moindre controverse sérieuse.

Tout à l'heure l'honorable commissaire du Roi vous a lu la délibération du comité de défense du pays, délibération qui vous montre que les hommes spéciaux les plus compétents ont unanimement rendu hommage à la bonté du projet. On a objecté, il est vrai, que cette délibération datait d'avril 1858. Mais qu'est-ce que cela prouve ? C'est que cette délibération n'a pas été prise à la légère, qu'elle a été prise après toutes les études antérieures. Est-ce que vous voudriez par hasard donner la préférence à des délibérations qui ont eu lieu quand l'étude n'est pas complète, sur celles qui viennent, après que toutes les études ont été faites et vérifiées, proclamer que le projet du gouvernement est bon ?

Pour moi, je le répète, je n'ai pas la prétention de m'ériger en juge de pareilles questions. Mais lorsque je vois que, d'une part, la section centrale ne fait qu'un reproche au projet, celui de n'être pas assez complet, lorsque j'entends, d'autre part, notre comité de défense proclamer qu'il est suffisant tel qu'il est, j'ai le droit de dire : ce projet est bon, on peut l'admettre, sauf à voir plus tard s'il faut le compléter. Il est évident que les éléments proposés par le gouvernement sont bons, puisque ceux qui veulent y ajouter quelque chose maintiennent ces éléments sans y rien changer. Je ne crois pas que ces conséquences puissent être discutées.

La section centrale nous dit et ses honorables membres, avec un talent auquel je rends bien volontiers hommage, soutiennent avec elle que le projet, pour être bon, doit recevoir le complément d'une nouvelle enceinte.

Je fais remarquer en passant, messieurs, que si la section centrale émet la pensée qu'une nouvelle enceinte rendrait le projet plus complet, meilleur, parfait même, la section centrale n'a rien proposé de positif relativement à cette nouvelle enceinte. J'ai entendu parler tantôt d’une enceinte Keller, tantôt d’une autre encore, mais immédiatement après je les entendais traiter en enfants perdus dont personne ne voulait accepter la paternité.

J'ai entendu l'honorable M. Thiéfry, dont le cœur généreux fait si facilement explosion, protester, quand on parlait de l'enceinte de la section centrale, et s'écrier : « La section centrale n'en a pas !»

Mais quand personne n'en propose, que voulez-vous que je fasse ? La grande enceinte, je ne la proscris pas, et par une raison toute simple c'est qu'on ne prescrit jamais l'inconnu.

La grande enceinte avec des conditions marquées, définies et nettement précisées, je ne la vois nulle part, et l'on voudrait que je subordonnasse mon voie sur un projet reconnu bon par tout le monde, à l'admission de la grande enceinte.

Ah ! messieurs, si je votais de la sorte c'est alors que je redouterais ces malédictions de l'avenir dont on nous menaçait tout à l'heure.

S'il faut en croire certains orateurs, à différentes reprises des officiers généraux se sont prononcés pour une grande enceinte.

C'est possible, messieurs, il peut se faire que des officiers généraux, ne se préoccupant d'aucune autre considération, ne se préoccupant que de l'idée militaire, ne redoutaient pas d'établir une immense forteresse, fût-elle bien au-dessus des ressources militaires actuelles de notre pays ; mais, ne le perdez pas de vue, messieurs, la question de la grande enceinte, si nous avons un jour à l'apprécier, soulèvera pour nous, à côté de la question militaire, une question financière, non seulement quant à la dépense de sa création, mais encore quant à l'importance de l'armée nécessaire pour la défendre.

Je suis de ceux qui adoptent et qui défendront toujours le maintien de l'organisation actuelle de l'armée ; mais je suis aussi de ceux qui ne veulent pas que l'armée devienne une charge plus lourde pour le pays.

La Belgique a fait ce qu'elle devait faire ; ce qu'elle a fait, elle doit noblement le maintenir, mais elle ne doit pas faire davantage.

Si un jour on examine de plus près la question de la grande enceinte, il faudra s'assurer si sa création ne devrait pas nécessiter des éléments militaires plus considérables que ceux que nous possédons. Si j'ai bien compris l'honorable général Berten, la défense d'Anvers demanderait dans ces conditions, et au point de vue de la garnison seulement, un accroissement de personnel de 2,600 hommes !

- Un membre. - C'est pour la garnison.

M. Dolez. - Est-ce que par hasard les garnisons ne s'empruntent pas à l'effectif de l'armée ? Si vous pouvez employer 2,600 hommes de moins pour la garnison d'Anvers, vous les aurez disponibles pour vos autres opérations.

Une troisième proposition est donc acquise, c'est qu'il ne peut pas être question pour la Chambre d'admettre la grande enceinte d'Anvers, parce que, je le répète, cette grande enceinte c'est l'inconnu.

Dans cette situation, à quelles conséquences pouvons-nous être conduits ? Il en est une, messieurs, qui ne s'est pas formulée en proposition positive, mais qui a été très habilement indiquée hier par un honorable collègue qui siège sur d'autres bancs que les nôtres. L'honorable M. Malou, sans proposer l'ajournement, l'a très habilement lancé parmi nous, et puisque cet honorable collègue, en terminant son discours, a demandé à la Chambre de reconnaître qu'il avait fait preuve d'une sincérité complète, qu'il me permette, à mon tour, d'être complétement sincère en appréciant en quelques mots l'attitude qu'il a prise.

L'honorable M. Malou n'aime pas à se prononcer contre des questions nationales, il l'a proclamé lui-même ; eh bien, M. Malou a compris, que voter contre le projet du gouvernement serait repousser un acte profondément national. (Interruption.)

Il n'a pas voulu accepter, pour lui, l'éventualité d'un tel vote. Mais, d'autre part, l'honorable M. Malou (c'est son droit) n'aime pas énormément le cabinet libéral. L'honorable M. Malou (c'est encore son droit) ne doit pas aimer davantage la majorité actuelle.

Il ne serait pas fâché que ce grand acte national... (Interruption.)

Si les honorables collègues veulent m'interrompre, je leur demanderai de le faire d'une manière intelligible pour que je leur réponde.

M. Rodenbach. - Il ne doit pas y avoir de questions de catholiques ni de libéraux dans l'embastillement d'Anvers.

M. Dolez. - L'honorable M. Rodenbach voudra bien tenir compte que je ne m'adressais pas à lui. J'appréciais la portée du discours de l'honorable M. Malou. Si l'honorable M. Rodenbach avait prononcé un discours, j'en apprécierais la portée avec la même franchise.

Pour caractériser en deux mots la pensée de M. Malou, telle que je l'ai comprise, je dirai qu'il a voulu introduire la proposition d'ajournement, sans prendre la responsabilité de la proposer, espérant probablement qu'une pareille proposition prendrait naissance sur d'autres bancs. Je désire que cette tactique parlementaire ne réussisse pas.

M. Veydt. - Je demande la parole.

M. Dolez. - La demande qui vient d'être faite par l'honorable M. Veydt indique peut être qu'il a le projet de traduire en fait les idées laissées à l'état d'abstraction par l'honorable M. Malou.

Permettez-moi donc d'apprécier dès à présent ce que vaut l'ajournement. Savez-vous ce qu'il est ? Il est le rejet, moins la franchise.

L'ajournement, c'est l'asile des timides, c'est le refuge de ceux qui reculent devant la responsabilité de leur vote et dans le présent et dans l'avenir. Voilà ce qu'est l'ajournement.

Je vous le demande, messieurs, si un danger grave venait à naître pour notre nationalité, serait-il en votre pouvoir de l'ajourner, quand il serait là imminent, menaçant nos liberté, notre indépendance ? Il est de ces choses que l'on ajourne, mais il en est d'autres que l'on n'ajourne pas, et parmi ces choses se placent au premier rang celles qui intéressent la sécurité et la défense de son pays.

J'ai entendu dire encore par un honorable collègue, dont je respecte l'opinion consciencieuse : Pourquoi donc tant de hâte de s'occuper d'Anvers. Mais depuis 1839, n'avons-nous pas vécu sur la foi des traités qui garantissent notre neutralité ?

Je le reconnais, nous avons vécu dans une sécurité qu'aucun acte d'agression étrangère n'est venu troubler. Je vais plus loin : je proclame sans hésiter, qu'habitué par mes études, par mes travaux, à respecter tout ce qui est juste, à défendre ce que je crois être le droit, j’ai une foi sérieuse dans le respect des traités.

Je ne crains pas qu'un gouvernement, dans des conditions régulières, soit tenté, quelque puissant qu’il soit, de s'exposer aux malédictions de l’humanité, aux stigmates de l’histoire, en venant porter atteinte à notre nationalité Mais je sais, d'autre part, qu'il y a de ces moments extraordinaires dans lesquels gouvernements et peuples sont placés en dehors de leur voie, et je sais qu'alors notre pays, plus que d'autres, doit être convenablement armé pour résister aux dangers qui pourraient le menacer.

Ne nous endormons donc pas dans une aveugle sécurité. Croyons à la loyauté de tous les gouvernements qui nous environnent, croyons à la puissance de ce droit, mais écoutons les conseils de la prudence qui nous disent que notre sécurité pourrait être troublée un jour et alors même que vous vous y seriez le moins attendu.

D'ailleurs l'Europe n'a-t-elle subi aucun changement dans sa situation morale et politique depuis 1839 ?

Après 1839, après la longue période de paix dont l'Europe avait joui, (page 1343) c'était une doctrine, chez un certain nombre de nos collègues, que l'Europe n'était plus destinée à revoir les jours désastreux de la guerre ; beaucoup de bons esprits, trop enclins à ne croire qu'aux bons instincts de l'humanité, pensaient que la guerre ne reparaîtrait plus. Et cependant la guerre a reparu en Europe ; toutes les agitations qui suivent la guerre, les incertitudes dans les alliances, les émotions chez les gouvernements comme chez les peuples après une grande guerre, tout cela existe autour de nous, tout cela commande des mesures de prudence et de sécurité de soi-même, non pour nous seuls, mais pour tout le monde. De pareilles mesures ne s'ajournent pas, et c'est surtout pendant qu'on jouit des bienfaits et des prospérités de la paix qu'il importe de tes prendre. Ceux qui les ajournent à d'autres temps commettent, suivant moi, la plus coupable imprudence.

Un honorable collègue, dont la parole est toujours écoutée par nous avec le respect qu'elle mérite, l'honorable M. Orts vous disait hier qu'une des considérations qui le portaient à admettre le projet du gouvernement, à en reconnaître la suffisance, c'est que ce projet était présenté sous la responsabilité du gouvernement lui-même.

Permettez-moi, messieurs, de revenir en quelques mots sur cette considération si vraie.

Le gouvernement par lui-même, par les hommes spéciaux qu'il a consultés, vous atteste que son projet est de nature à garantir la sécurité de notre défense nationale. Une telle déclaration engageant, non seulement dans le présent, mais encore dans l'avenir, la responsabilité morale de ceux qui la font, est une grande garantie pour nous. Elle acquiert un caractère plus étendu encore, pris égard aux hommes qui vous la font.

L'honorable M. Malou vous disait hier, parlant de je ne sais quel document, qu'il regrettait que les noms ne fussent pas connus, à côté des opinions, parce que ces noms et ces opinions se pèsent et ne se comptent pas. Cela est très vrai ; eh bien, c'est en vertu de cette pensée si vraie, que je vous demande à vous-mêmes, que je demande au pays, si le nom des hommes qui composent le cabinet ne doit pas nous inspirer la plus entière confiance sur le mérite de la garantie qu'ils nous donnent de la bonté, de la suffisance du projet. Ces hommes, ce n'est pas d'hier qu'ils sont connus, l’honorable M. Malou vous a rappelé avec une légitime satisfaction, ce que fut la conduite de la droite en 1848, j'ai rendu et je rends encore hommage à cette conduite patriotique.

Mais ce qu'il n'est point permis d'oublier et ce que j'aime à rappeler à mon tour, c'est quels étaient les hommes qui nous guidaient alors au milieu des graves dangers qui nous environnaient ; c'est que s'il est dû de la reconnaissance à tous les membres de la législature d'alors pour l'esprit patriotique dont ils ont fait preuve, cette reconnaissance, on la doit, avant tout et à un degré bien plus encore, d'abord à notre Roi vénéré, et ensuite aux hommes courageux qui siégeaient alors dans les conseils de la Couronne.

Eh bien, ces hommes qui nous ont guides si heureusement au milieu de la tourmente, je les trouve encore assis au banc ministériel, et je proclame sans hésiter que la présence des mêmes hommes à ce banc est une garantie de la valeur de ce qu'ils nous proposent pour écarter les dangers de l'avenir.

Je m'abandonne avec confiance à la direction qu'ils nous donnent pour conjurer ces dangers, quand je me rappelle avec quelle fermeté, avec quelle prudence et avec quel succès ils nous ont guidés dans les jours d'orage et de tempête.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ajoutez que notre honorable collègue d'alors, M. le général Chazal, partage encore aujourd'hui notre opinion.

M. Dolez. - Permettez-moi, messieurs, d'ajouter une considération toute personnelle à un des membres du cabinet, l'honorable, M. Rogier.

M. Rogier, c'est au point de vue politique, un fils adoptif de la ville d'Anvers. M. Rogier, c'est le député qui a le plus illustre la députation d'Anvers. M. Rogier, c'est le député qui, il y a quelques mois, n'écoulant que les souvenirs d'affection qui le lient à la ville d’Anvers et le profond dévouement qu'il lui porte, abdiquait le mandat des électeurs de Bruxelles et optait pour le mandat nouveau qu'Anvers lui confiait.

Pouvez-vous croire que cet homme, uni par tant de liens à la ville d'Anvers, soit venu à la légère vous proposer un projet entaché de tous les défauts, de toutes les énormités qu'on vous a signalés ?

Pouvez-vous douter que ce ne soit qu'après des méditations profondes, qu'après un examen sérieux de la question sous toutes ses faces, que cet homme au caractère respecté, est venu dans le langage noble et franc qui lui est propre, soutenir que le projet est bon pour le pays et qu'il n'est pas dangereux pour Anvers.

Je ne sais, aptes les paroles par lesquelles l'honorable M. Loos a terminé son discours, je ne sais ce qu'on peut penser aujourd'hui à Anvers de l'attitude de M. Rogier ; mais ce que je n'hésite pas à dire, ce que tous les hommes de cœur disent avec moi, c'est que M. Rogier a inscrit au livre de sa vie une de ses plus nobles pages, par la conduite qu'il a tenue dans cette grave circonstance.

Mais la ville d'Anvers est-elle bien fondée à faire entendre les doléances que vous avez entendues ? La ville d'Anvers devrait-elle voir naître cette irritation plus ou moins réelle ou factice qui s'est produite chez une partie de ses habitants ? Je ne le crois pas et si on a pu vous tenir le langage que vous avez entendu, c'est parce qu'on a pris sans cesse un point de départ radicalement inexact.

Rappelez-vous les discours de nos collègues d'Anvers, rappelez-vous les perspectives sinistres qu'ils faisaient planer sur cette cité comme devant être la conséquence de l'adoption du projet, et dites-moi si vous n'auriez pas cru entendre les appréhensions des habitants d'une ville entièrement ouverte jusque-là, exempte sous tous les rapports des dangers de la guerre, venant demander qu'on ne l'y soumette pas.

Ah ! je comprendrais les craintes de la place et des représentants d'Anvers, si tel était l'état de la ville, mais Anvers est une ville forte menacée de bombardement, suivant les tristes éventualités de la guerre, une ville menacée de ce danger aujourd'hui bien plus qu'elle ne le sera quand le projet du gouvernement sera exécuté. J'ai vu, il y a longtemps de cela, fortifier une ville jusque-là ouverte.

Quand j'interroge les souvenirs lointains de mon enfance, je revois cette ville aux accès libres et riants, entourée de boulevards, ayant tout près d'elle d'agréables promenades, je revois ses établissements industriels dans ses faubourgs, je la revois marchant vers cette grande industrie du borinage qui n'attendait que les bienfaits de la paix pour devenir une des plus grandes du monde. Mais par un jour dont j'ai gardé la mémoire, quoique je fusse bien jeune alors, une armée d'ouvriers s'empara de cette ville, envahissant les extrémités de ses plus grandes rues, les coupant, renversant les boulevards, anéantissant ses faubourgs, démolissant les établissements industriels qu'ils renfermaient, et depuis cette époque la ville de Mons, car c'est son histoire que je vous raconte, a vu toute communication avec la grande industrie qui est à son voisinage, tout espoir de se joindre à elle à jamais perdu. Depuis cette époque, Mons environné d'une ceinture de pierre étouffe dans son étroite enceinte et n'est plus en quelque sorte qu'un vaste château fort.

Voilà comment on fait d'une ville ouverte une place de guerre.

Est-ce là la position que le projet du gouvernement fait à la ville d'Anvers ? Non, mille fois non. Elle a et elle a toujours eu son enceinte ; elle n'a jamais respiré qu'entourée de fortifications, un plan qui est en ce moment sous mes yeux atteste que dès son organe elle était fortifiée.

C'était alors un château fort ; sa première enceinte elle l'a reçue en 1201, la seconde enceinte en 1300, et la troisième en 1396. Depuis elle a toujours eu une enceinte, jamais Anvers n'a été une ville ouverte, elle a toujours été une ville fortifiée.

Voilà messieurs, ce qu'il ne faut pas oublier, si on veut apprécier avec équité ce que le projet fait pour cette ville.

Quel changement lui fait-il subir ? Anvers disait, et elle avait raison, que l'air et l'espace lui manquaient, que ses établissements commerciaux, ses établissements maritimes, qui devaient s'étendre, allaient se trouver en dehors de son enceinte. Eh bien, le projet accorde à la ville d'Anvers uniquement aux frais de l'Etat, sans qu'il en coûte une obole à la ville, l'espace et l'air qui lui manquaient, il la gratifie un territoire égal à celui qu'elle possède maintenant. Est-ce là infliger à la ville d'Anvers une situation désastreuse en l'entourant d'une enceinte qu'elle n'avait pas ? Ce n'est pas tout, on établit, à une grande distance de ses murs, un vaste et puissant système défensif qui éloigne le danger du bombardement.

Je ne veux pas parler stratégie, je suis convaincu que je m'égarerais, si j'avais la témérité de le tenter, mais le simple bon sens démontre que cette ligne de forts est une garantie qu'Anvers ne sera pas bombardé. Pour qu'il soit bombardé il faudrait que l'ennemi eût anéanti cette ligne de forts.

D'après les prévisions militaires combien cette ligne de forts peut-elle résister ? On a dit 6 à 8 mois, j'entends même qu'on me crie : Indéfiniment, mais arrêtons-nous à 6 ou 8 mois ; sans trop présumer je crois pouvoir m'en tenir à cette appréciation.

Si les forts peuvent tenir pendant 6 à 8 mois, Anvers, grâce à la défense de son camp retranché, échappera au bombardement, car pendant ce temps notre destinée dans le conflit où nous aurions été engagés sera fixée.

Nous serons secourus ou nous resterons isolés ; si nous restons isolés nous aurons pour toute perspective une défense ; que le désespoir seul pourrait continuer au nom de l'honneur national. Si nous sommes secourus, les dangers s'éloigneront d'Anvers.

Notre système défensif doit avoir pour pensée fondamentale de résister assez longtemps à l'ennemi pour permettre à d'autres armées de venir à notre secours. Une défense de 6 à 8 mois permettra d'atteindre ce résultat, s'il doit se réaliser.

La ligne de forts est donc une protection pour la ville d'Anvers, c'est une ligne disposée de manière à éloigner l'ennemi de son enceinte, qui fait d'une ville exposée à un bombardement certain, une ville exposée à un bombardement très peu probable. Voilà ce qu'il faut dire aux habitants d'Anvers, voilà ce qu'il importe qu'on sache à Anvers et qu'on n'oublie point ici. Il est dangereux, dans un pays où le sentiment public est aussi actif que dans le nôtre, de laisser égarer ce sentiment.

Il ne faut pas laisser croire aux Anversois qu'on leur impose quelque chose d'odieux.

Sans doute Anvers restera une ville forts, il ne peut pas cesser de (page 1344) l'être, mais sa position sera meilleure, son territoire sera agrandi et ses dangers de bombardement diminués.

Si le projet ne donne pas tout ce qu'Anvers avait espéré, du moins on double le territoire de cette grande cité commerciale, et on lui fait une situation plus sûre, et en dehors de ces perspectives de la guerre, voyons quelle est la situation qu'on lui fait pendant la paix. Anvers est comme toutes les places fortes grevé de servitudes militaires, mais il n'en est aucune où la tolérance ait été plus large, où le relâchement quint à ces servitudes ait été plus grand. (Interruption.)

On m'interrompt pour me demander ce que donne le projet à la sécurité commerciale. Je demanderai, à mon tour, si cette sécurité a manqué jusqu'ici à Anvers. Je lui demanderai si cette sécurité est plus grande dans la situation actuelle. Qu'est-ce qui la menace ? C'est le danger du bombardement. Or, n'ai-je pas démontré qu'il est aujourd'hui plus imminent, plus dangereux, que quand la ligne des forts aura été exécutée ? Cela est clair comme le jour. Jetez un regard sur le plan qui nous a été distribué et vous en serez convaincus. Ne parlez donc pas de sécurité ; le projet du gouvernement, sous ce rapport, améliore la position actuelle.

Je vous parlais tout à l'heure, au moment de l'interruption, des servitudes militaires. Mais ici encore, si la population d'Anvers veut appuyer sainement h position que lui fait le gouvernement, elle reconnaîtra que cette position est une position de faveur. Ou continuera à appliquer avec une grande tolérance la loi d's servitudes militaires. La section centrale avait formé de ce point l'objet d'une de ses questions, permettez-moi de rappeler à la Chambre et de rappeler en même temps aux habitants d'Anvers quelle est la réponse que le gouvernement lui a donnée.

« Un membre émet l'avis de demander si la tolérance de bâtir dans les faubourgs d'Anvers, placés dans le rayon des servitudes militaires sera maintenue dans le cas d'exécution du projet soumis aux Chambres.

« La section centrale adhère à cette proposition, en exprimant le désir d'obtenir une réponse par écrit. Elle la reçut en ces termes :

« Répondant à la demande de la section centrale que vous avez bien voulu me communiquer par lettre du 28 juin écoute, j'ai l'honneur de vous faire connaître que : l'exécution du projet du gouvernement ayant pour objet de concilier les intérêts de la population avec ceux de la défense, aura pour effet de permettre le maintien de l'état des choses actuel, en ce qui concerne les servitudes militaires. »

On dit donc à Anvers : Si vous avez besoin de bâtir dans la cinquième section c'est là l'intérêt principal qui est agité à propos de cette question, eh bien, le gouvernement usera de la même tolérance qu'il a apportée jusqu'ici.

Reste la question de savoir si par l'adoption du projet, Anvers perd à jamais l'éventualité d'obtenir ce qu'on appelle la grande enceinte. Vous avez entendu, messieurs, ce qui vous a été dit par les organes du gouvernement. Cette question, on ne la préjuge pas ; on la laisse complètement au domaine de l'avenir. L'avenir dira, après étude, après examen de toutes les questions s'attachant à l'agrandissement général de la ville d'Anvers, ce qu'il faut faire.

En résumé donc, pour Anvers le projet améliore ce qui est. C'est évident, incontestable. Le projet ne lui nuit en rien. Dès lors de tous les grands intérêts qui s'agitent dans ce débat, n'est-il pas vrai qu'il n'en est aucun qui ne reçoive satisfaction ? L'intérêt principal, celui qui doit nous déterminer tous, l'intérêt de la défense de notre nationalité, cet intérêt, tout le monde proclame que le projet actuel est bon, est utile pour l'atteindre.

L'intérêt de la ville d'Anvers ?

Sa condition est améliorée dans le présent, aucune perspective d'avenir ne lui est interdite.

Laissons donc à l'avenir le soin de décider la question de la grande enceinte, la question de la démolition de l'enceinte actuelles et votons, au nom des plus chers intérêts de la patrie, le projet du gouvernement à l'égard duquel toutes les études ont été faites. Votons ce projet puisque, donnant par lui-même de précieuses garanties, il n'apporte aucun obstacle à la réalisation dans l’avenir des vœux de la ville d'Anvers et de ceux qui pensent que, même au point de vue militaire, la grande enceinte serait un progrès. Par-là, messieurs, nous ferons, je pense, une part légitime à tous les intérêts.

Je n'ai pas d'espoir, messieurs, d'avoir convaincu les adversaires déclarés du projet par les modestes considérations que j'ai cru pouvoir soumettre à la Chambre. Plus d'un d'entre vous croira que j'aurais pu me dispenser de prendre la parole, n'ayant rien de plus sérieux, rien de plus grave à vous dire.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Dolez. - Mais permettez- moi de vous l'avouer, il m'était impossible de ma borner à émettre dans cette question un vote purement silencieux. Et savez-vous pourquoi, messieurs ? Je vais sincèrement vous le dire.

Il m'est arrivé plus d'une fois dans le cours de ma vie parlementaire, d'avoir à redouter pour moi-même les difficultés, les douleurs du pouvoir.

J'ai par suite instinctivement, par équité, une reconnaissance profonde pour ceux d'entre mes amis qui acceptent, au nom de l’opinion à laquelle j'ai voué ma vie tout entière, la mission de venir réaliser et mettre en pratique ces doctrines d'ordre et de liberté qui me sont si chères. Sous l'empire de ce sentiment, je les accepte pour pilotes et pour guides ; et quand par des jours comme ceux que nous traversons en ce moment, je les vois, au milieu de graves difficultés, luttant avec courage, avec un noble patriotisme pour un grand intérêt national, je l'avoue, messieurs, ma voix sort d'elle-même de ma poitrine, pour les soutenir, et leur crier : Courage ! courage ! amis ! à côté de vous il est des cœurs qui battent à l'unisson des vôtres, des cœurs qui applaudissent à vos nobles efforts.

Voilà, messieurs le sentiment qui m'a porté à réclamer votre bienveillante attention ; j'espère qu'ils me feront trouver grâce et indulgence près de vous.

Permettez-moi un mot encore. Ce mot, c'est surtout à mes amis que je l'adresse.

Ce grave débat, je ne le tairai pas, m'a mis au cœur plus d'un sentiment douloureux. Quelques mois à peine ont vu l'opinion libérale apparaître dans cette enceinte à l'état de majorité, et voici que, sur une grande question d'intérêt national, les adversaires se trouvent justement dans le camp de cette même opinion.

Permettez-moi, mes chers collègues et amis, permettez-moi d'émettre au moins ce vœu, ce vœu profond de mon cœur, que ce jour que je regrette profondément, sous ce rapport, soit au moins un jour qui restera sans lendemain. Permettez-moi d'espérer que demain, quand cette grande question aura reçu la solution que vos conscience vous auront dictée, demain nous nous retrouverons profondément unis pour la défense de la même cause, pour la défense d'une cause sainte à laquelle vos cœurs sont dévoués autant que le mien.

M. le président. - Voici une proposition qui vient d'être transmise au bureau par M. Veydt.

« Je propose d’ajourner le paragraphe premier de l’article premier jusqu'à la première séance que la Chambre tiendra au commencement de janvier prochain. »

M. Vervoort. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

L'honorable commissaire du Roi nous a lu une décision du comité de défense. Je lui demanderai s'il existe un plan à l'appui de cette note. Si ce plan existe, j'en demanderai la communication.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce plan est celui du gouvernement ; c'est le projet qui vous est proposé.

M. Vervoort. - Il paraît qu'il existe deux plans, l'un de M. le général de Lannoy, indiquant la grande enceinte et les forts éloignés, l’autre indiquant les forts en rapport avec l'état actuel des fortifications.

M. le général Renard, commissaire du Roi. - Le plan du comité de défense est celui qui a été remis à la section centrale.

M. Vervoort. - Le plan remis à la section centrale est celui de 1856.

M. le commissaire du Roi. - Précisément. Celui qu'a approuvé en principe le comité de défense et que nous vous proposons, c'est le grand agrandissement au nord, les cinq citadelles et le fort n°2 transformé.

M. Vervoort. - Je fais cette demande pour connaître exactement la distance qui doit te trouver entre les forts que le gouvernement se propose de construire et ceux qui existent actuellement.

Cette distance est-elle celle qui te trouve indiquée sur le grand plan du général de Lannoy ?

M. le commissaire du Roi. - Certainement, mais il y a une remarque à faire. Lorsqu'il s’agit de constructions semblables, on modifie quelquefois leur emplacement au moment de l'exécution.

C'est ainsi qu'on a l'intention de reporter les forts le plus loin possible dans la campagne, et autant que le permettra la bonne défense de la position. Il est déjà arrêté que l'un d'eux sera reculé de plusieurs centaines de mètres. Ce point fera l'objet de mûres délibérations.

- Des membres : A lundi !

-D'autres membres : A mardi !

M. le président. - Je dois faire une observation. Je comptais prendre part aux débats ; mais je m'en trouve empêché, parce que les deux honorables vice-présidents, ayant pris la parole, ne peuvent plus présider l'assemblée pendant cette discussion. D'un autre côté, je dois déclarer qu'il m'est absolument impossible de siéger lundi.

- De toutes parts. - A mardi.

- La Chambre décide qu'elle se réunira mardi à 2 heures.

M. Malou. - On a beaucoup parlé des 200 hectares qui font l'objet de l’agrandissement nord ; je voudrais que le gouvernement déposât un plan ou un croquis indiquant la part des établissements particuliers et la part des établissements militaires dans ces 200 hectares, indiquant en outre quels sont ces établissements. Il y a là une mauvaise équivoque que je serais heureux de voir disparaître.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.