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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 30 juillet 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 1325) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l’analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Plusieurs habitants de Saint-Willebrord et de Borgerhout déclarent protester contre la pétition d'habitants de Borgerhout qui se prononcent contre le projet d'agrandissement général de la ville d'Anvers et demandent la démolition de l'enceinte actuelle de cette ville. »

M. Loos. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Noville demande que la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg construise l'embranchement sur Bastogne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Marche demandent la construction d'un embranchement de chemin de fer sur cette ville. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition, qui est fondée sur de justes motifs. Comme elle a un caractère d’urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, qui sera invitée à faire un prompt rapport.

-Cette proposition est adoptée.


« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale présente des observations en faveur de la proposition du gouvernement relative à l'établissement d'une écluse et d'un port de refuge à Blankenberghe. »

M. Coppieters. - Messieurs, cette nouvelle pétition prouve toute l'importance que la province entière de la Flandre occidentale attache aux travaux qui sont projetés à Blankenberghe. Je demanderai donc que la Chambre applique à cette pétition la décision qu'elle a prise sur celle du conseil communal de cette dernière ville, c’est-à-dire qu'elle en ordonne le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique.

- Cette proposition est adoptée.


« Les dames Heyvaert réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement d'arrérages d’une rente viagère. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Verwilghen. - Les réclamations qui font l’objet de cette pétition sont déjà assez anciennes. Elles ont été plusieurs lois reproduites, sans qu'une solution soit intervenue ; c'est pourquoi je les recommande spécialement à l'attention de la commission des pétitions, et je demande qu'il en soit fait un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projets de loi de naturalisation

M. H. de Brouckere. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre 22 projets de lui de naturalisation ordinaire.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique (fortifications d’Anvers)

Discussion générale

La discussion continue sur le paragraphe premier de l'article premier.

M. le ministre de la guerre (M. Berten). - Je prierai la Chambre de me permettre de répondre brièvement à quelques points du discours que l'honorable général Goblet a prononcé, hier, à la fin de la séance.

L'honorable rapporteur a prétendu « que le système, préconisé par la section centrale, exige encore, pour une défense vigoureuse, moins de troupes que le système du gouvernement. »

Confiante dans la parole du général Goblet, la Chambre n'a pu douter de l'incontestabilité de ce fait.

Je dois cependant la prier de vouloir bien remarquer que je ne sais sur quelles bases l’honorable rapporteur a fondé cette appréciation ; car il résulte de calculs très développés et très consciencieux, auxquels s'est livré le comité de 1856, que la garnison de sûreté exige 2,385 hommes de plus dans l'hypothèse de l'agrandissement général et que la garnison de siège en exige 2,645 de plus dans la même hypothèse de la grande enceinte.

On voit donc que, sous le rapport du personnel des garnisons, l'avantage est tout en faveur du projet présenté par le gouvernement.

Dans une autre partie de son discours, l'honorable général a fait observer que j'ai envisagé d'une manière trop absolue le système de concentration de nos forces militaires, indiqué par la section centrale.

Cependant en lisant dans son rapport, page 7 :

« L'agrandissement général de l'enceinte n'est possible qu'à des conditions compatibles avec nos ressources financières, et, par suite, en entrant franchement dans un système de concentration qui permette qu'Anvers soit défendu par l'armée entière, qui à son tour, serait parfaitement protégée par la forteresse elle-même.

« On a parfois mis en doute que nous eussions des forces suffisantes pour défendre une aussi vaste enceinte que celle d'Anvers, généralement agrandie. C'est qu'on oubliait alors que l'armée active, qui doit se trouver dans le camp, serait elle-même la garnison de la place, qui jamais n'exigerait, pour sa défense, des forces actives aussi considérables.

« En ne se ralliant pas à de telles idées, le gouvernement s'exagère, aujourd'hui comme en 1857, les nécessités de détail d'une enceinte de la nature de celle que l'on établirait à Anvers, à moins cependant qu'on n'aille jusqu'à admettre que cette forteresse puisse être abandonnée à elle-même. Or, il n'est pas possible de penser qu'après avoir adopté un système de concentration, réalisé à si grands frais, on délaisse sa base d'opération pour lancer l'armée dans des mouvements où, privée d'appui, elle serait exposée à n'éprouver que des revers. »

J'avais cru pouvoir conclure de ces passages ainsi que d'autres encore qui ont déjà été cités dans cette enceinte, et l'honorable général commissaire du Roi, l'avait compris comme moi, que le système de la section centrale conduirait inévitablement à raser nos forteresses et à concentrer l'armée active dans le camp.

L'honorable général Goblet n'accorde pas ce sens aux passages littéraux de son rapport que je viens de citer ; il a déclaré hier qu'il ne désire voir démolir que les forteresses inutiles et qu'il comprend que dans certaines circonstances l'armée nationale pourra sortir du camp d'Anvers et manœuvrer en rase campagne.

Je me félicite, messieurs, d'avoir provoqué cette réponse : je pense qu'elle était nécessaire pour détruire le fâcheux effet que la lecture de rapport peu explicite de la section centrale a pu produire.

Cette réponse conduit à un sensible rapprochement d'idées, et je serais véritablement heureux si je pouvais amener l'honorable général à reconnaître que la place d'Anvers doit, en tout état de choses, pouvoir être livrée à elle-même et se défendre, en l'absence de l'armée, au moyen de sa garnison spéciale.

S'il n'en était pas ainsi, messieurs, la place d'Anvers, loin de nous être toujours utile, ne deviendrait pour nous, dans plus d'une hypothèse, qu'un sérieux embarras.

Je pense que l'armée doit s'attacher à rester en communication avec Anvers ; mais j'ai dit et je le répète, qu'elle ne doit pas le faire de manière à entraver ses opérations et à paralyser ses mouvements.

Or, si la place est mal constituée, si elle est insuffisamment gardée, il est de toute évidence qu'elle sera pour le commandant en chef de l'armée une source de préoccupations continuelles, qu'il n'osera s'aventurer à quelques marches du camp retranché de crainte d'en être coupé et de le voir tomber aux mains de l'ennemi, après une résistance de peu de durée.

Anvers bien fortifié et bien gardé procure à l'armée une indépendance complète de mouvements favorables à ses succès.

Anvers mal fortifiée et non suffisamment gardée rend l'armée immobile et indécise, et la met dans l'impossibilité de tenter les moindres coups de vigueur.

C'est parce que le gouvernement croit qu'Anvers devra être pourvu d'une garnison de défense assez considérable qu'il a reconnu l'utilité de la démolition de quelques forteresses, afin de ne pas affaiblir l'effectif de l'armée en campagne.

Et en réalité, le gouvernement n'est-il pas entré dans cet ordre d'idées, en faisant démolir Marienbourg, Philippeville, Ath, Menin et Ypres ?

Au reste, messieurs, la question qui nous occupe était trop importante pour n'avoir pas été examinée sérieusement.

En 1856, elle a été soumise à un comité spécial, indépendant des comités qui se sont occupés de la comparaison des projets d'Anvers.

Ce comité, composé de 9 généraux de toutes armes, a déclaré, à la majorité de 7 voix contre 2, a qu' « il y a lieu de mettre, en temps de guerre, des garnisons de siège dans les forts de première ligne du camp retranché, afin d'empêcher la position d'être occupée par l'ennemi, dans le cas où, par suite d'événements de force majeure, l'armée nationale ne se trouverait pins en communication avec la place d'Anvers. »

Pour arriver à cette conclusion, le comité de 1856 s'est basé sur les considérations suivantes, émises par le comité de défense de 1848.

« L'armée belge, dit le comité de défense de 1848, doit chercher, avant tout, à opérer sa jonction avec ses alliés, dût-elle découvrir momentanément la capitale et ses lignes de retraite par le Demer. »

(page 1326) Ce comité dit en outre :

« Il ne faut établir aucune hypothèse sur les opérations stratégiques de l'armée, après l'arrivée des secours, parce qu'il est impossible de raisonner sur des éventualités qui ne dépendent plus de la volonté isolée du chef de l'armée nationale. »

M'appuyant sur ces principes émis par un comité de 1856, principes admis déjà par tous les membres du comité de défense de 1848, le reproche de m'être servi de paradoxes, « d'aphorismes pour la cause, » que me fait mon honorable contradicteur, l'ai-je mérité ? Non, messieurs ; je dirai même que ce reproche est d'autant moins fondé que c'est à l'opinion même du général Goblet, que les membres de ce comité, dont il avait la présidence, se sont unanimement ralliés.

J'ai cru de mon devoir de répondre aussi catégoriquement à l'honorable rapporteur, parce qu'il importe que le pays sache que l'armée ne l'abandonnera pas, sans coup férir, aux malheurs et aux désastres d'une invasion.

M. de Perceval. - Messieurs, depuis hier la discussion a fait un grand pas ; les erreurs sur lesquelles le ministère a fait pivoter toute son argumentation se sont évanouies.

M. le commissaire du Roi et l'honorable ministre des finances, pour livrer les idées de la section centrale à la risée de l'Europe, n'avaient rien trouvé de plus ingénieux, que ce thème banal et faux : « La section centrale veut tout raser, tout abandonner pour concentrer l'ensemble de nos forces sur un seul point ; elle fait plus : non seulement elle livre tout le pays à l'invasion, mais elle enferme toute l'armée dans une boîte pour la soustraire à l'ennemi. »

« Le projet de la secton centrale, dit textuellement M. le général Renard, consiste à avoir une armée, puis à construire une forteresse pour que cette armée s'y trouve constamment ; on ne peut les séparer, elles font corps ensemble. »

Et dans la séance d’hier l'honorable ministre des finances (cela va de soi) a dénoncé à l'armée et au pays ce système que, fort heureusement pour la Belgique, personne n'a préconisé.

En effet, notre honorable collègue M. le général Goblet, vous a prouvé, dans la séance d'hier, que la section centrale n'a rien voulu, n'a rien dit qui ressemble à un pareil système, système qui serait inepte et honteux.

Notre honorable rapporteur s'est étonné même, et avec raison, qu'un général belge lui prêtât gratuitement des idées que la science de la guerre condamne.

Il ne veut, aucun membre de la section centrale ne veut, ni abandonner le pays, ni attacher toujours et fatalement l'armée à sa place de refuge.

J'ai donc raison de dire : l'erreur capitale qui a défrayé pendant trois séances les orateurs du gouvernement (et ces orateurs sont jusqu’ici MM. les ministres ), cette erreur s'est évanouie.

Une autre erreur reste à détruire, c'est celle qui a servi de base à toute l'argumentation de l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre a constamment raisonné comme si l'agrandissement général était réclamé dans le seul intérêt d'Anvers.

Affirmer cela, c'est nier l'évidence.

Que soutient, en effet, M. le général Greindl en 1857 ? Ce qu'avait déclaré M. le général Anoul dans une dépêche du 11 août 1854, dépêche que vous a lue notre honorable collègue M. Vervoort, à savoir : que l'agrandissement général est seul de nature à satisfaire tous les intérêts.

Qu'a écrit l’honorable ministre de la guerre général Berten, dans ses lettres à la section centrale ? Que l'agrandissement général possède, au point de vue militaire, la même valeur que le système du gouvernement.

Enfin, l'honorable M. Rogier lui-même a voté, en 1856, avec tous les membres de la section centrale pour l'agrandissement général qui était réclamé alors, comme il l'est aujourd’hui, dans l'intérêt de la défense nationale.

Cette opinion est conforme, du reste, à celle de nos principales autorités militaires parmi lesquelles je place les trois seuls généraux du génie que nous possédions : MM. Goblet, de Lannoy, Eyckholt.

Vainement ou nous objecte le vote défavorable des militaires appelés à juger le projet Keller (alors incomplet), dans une commission mixte réunie en 1856 ; car, dans cette même commission, le projet actuel du gouvernement a été rejeté par tous les membres civils et par tous les membres militaires, à l’exception de MM. de Lannoy et Poswick, c'est-à-dire les auteurs mêmes du projet. Voilà ce qu'on a oublié d'ajouter.

Depuis, l'inspecteur général du génie, vaincu par l’évidence, a abandonné son œuvre première pour voter, dans une autre commission, en faveur de l'agrandissement général.

Il a justifié ce revirement dans une notice que l'on dit remarquable, et dont on refuse obstinément de nous donner communication.

Le système du gouvernement n'a pour lui aucune autorité décisive. Je défie qu'on prouve le contraire.

On a voulu le mettre sous le patronage de Vauban ; mais l'honorable général Goblet a fait, dans la séance d'hier, justice de cette étrange assimilation. Le système de Vauban a été souvent invoqué, mais toujours en faveur de ceux qui voulurent une grande enceinte et une ligue de forts. M. Thiers s'est justement appuyé sur cette grande autorité pour les fortifications actuelles de Paris.

Dans le but de faire valoir son projet condamné par les faits et par les règles de l'art, le ministère et M. le commissaire du Roi ont dû prêter aux adversaires de ce projet des idées qu'ils n'ont pas et qu'ils repoussent. Les généraux, les ingénieurs illustres que l'on a consultés, Tottleben et autres, se prononcent pour une grande enceinte. Et cependant on veut nous imposer le système défectueux et désastreux de l'enceinte actuelle, système provisoire de l'aveu même du gouvernement et qui, suivant la précieuse déclaration faite dans la séance d'avant-hier par l'honorable ministre de l'intérieur, deviendra de jour en jour plus mauvaise ou plus faible, grâce aux bâtisses que l'on autorise d'établir en avant de l'enceinte.

Et vous voulez que l'armée, en présence d'une pareille déclaration, ait confiance dans votre système, qu'elle l'accueille sans arrière-pensée, qu'elle rende hommage à votre génie, à votre prévoyance militaire !

Une cause secrète doit peser sur le ministère pour qu'il s'opiniâtre dans une pareille voie et pour que l'honorable chef du cabinet renonce à un système qu'il a soutenu, pour que le ministère jette dans l'opposition une ville dévouée à ses convictions politiques, une ville qui est la mère nourricière du pays.

Et c'est cependant, messieurs, veuillez-le remarquer en passant, sur le dévouement absolu de cette cité que tous nos pouvoirs publics, que notre dynastie doivent pouvoir compter au jour suprême où les destinées du pays se décideront sous ses murs !

Cette cause secrète, cette sorte d'influence mystérieuse est d'autant plus fâcheuse, que personne dans le gouvernement ne conteste l'impérieuse nécessité de faire la grande enceinte dans un avenir prochain.

Pourquoi, dès lors, se traîner dans le provisoire, au risque de froisser tout le monde, de fouler aux pieds les plus graves intérêts et de dépenser inutilement des sommes importantes ?

La question de l'enceinte n'est-elle pas étudiée ? Mais celle du projet de M. le général de Lannoy qu'il ne faut pas confondre avec celle de M. Keller, et qu'on nous a présentée comme acceptable au point de vue militaire, qu'est-ce qui empêche de l'exécuter ? Si elle présente quelques défauts, n'aura-t-on pas le temps de les corriger d'ici au mois d'avril, époque à laquelle les travaux commenceront ?

On ne peut rien objecter à ces considérations, si ce n'est la question financière. Eh bien, ici encore, dans mon opinion, l'avantage est pour l'exécution immédiate de la grande enceinte.

On nous demande aujourd'hui fr. 20,200,000 pour un agrandissement partiel et une ligne de forts. Dans cette somme, la nouvelle enceinte au nord figure pour environ 7 millions.

Bientôt, d'après les déclarations mêmes du gouvernement, on sera obligé de construire une grande enceinte.

Alors, d’après les devis de M. l'inspecteur général du génie, on nous demandera un nouveau crédit de fr. 34,139,000 dont i1 faudra déduire seulement le coût de la partie nord qui sera exécutée immédiatement, savoir 7 millions. Restera donc à payer 27 millions. On payera même davantage, car plus on attendra, plus la valeur des terres et des bâtisses à exproprier pour la nouvelle enceinte augmentera.

Il n’y a donc, au point de vue politique, militaire, financier et économique, aucun avantage à reculer l'époque de la construction de la grande enceinte.

De quelque manière que j'envisage cette question, je ne vois rien, absolument rien qui milite en faveur du système mesquin et provisoire du gouvernement.

Je puis me tromper, mais jusqu'à preuve du contraire, je crois que le cabinet, malgré tout ce qu'il a pu nous dire, ne veut à aucun prix consentir à la démolition de l'enceinte actuelle. C'est ce qui explique son obstination à rejeter les offres de la ville d'Anvers.

Je sais qu'on explique aussi cette étrange conduite d'une autre manière, en disant : « les offres d'Anvers, allons donc ! ce n'est pas sérieux... Anvers n'offre pas assez. »

Mais si c'est là le vrai motif, je mettrai la sincérité du gouvernement à une épreuve décisive, en lui demandant catégoriquement s'il admettrait l'exécution de la grande enceinte, pour le cas où la ville d'Anvers consentirait à y contribuer pour la somme que le gouvernement lui-même aurait jugé équitable de lui faire payer.

Que le gouvernement réponde oui, et je croirai alors à la sincérité de ses déclarations. Mais s'il répond négativement, ou s’il élude de nouveau la question, j'aurai acquis la conviction qu'il subit une influence qui paralyse sa volonté et jusqu'à ses bonnes intentions pour notre métropole commerciale, et, messieurs, ne le perdez jamais de vue pour le seul port de commerce que nous ayons en Belgique ; pour ce port de commerce dont la richesse et la prospérité forment la richesse et la prospérité de la patrie.

M. le général major Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, je viens répondre, en ce qui me concerne, au discours de l’honorable rapporteur de la section centrale.

C'est une rude tâche pour moi. L'habileté et les connaissances du général sont depuis longtemps appréciées par vous, et il était inutile que l'honorable M. Vervoort, dans un passage, du reste très éloquent et très sympathique, vînt vous les rappeler.

Peut-être a-t-il voulu mettre l'expérience et les services du général en parallèle avec l'inexpérience d'un homme qui n'a consacré jusqu’aujourd’hui que 34 années de sa vie au service de son pays. Mais, cette position ne m'effraye pas.

(page 1327) La guerre, c'est à la fois une science et un art. C'est une science,, parce que ses principes ne s'acquièrent que par l'étude et la méditation ; c'est un art dans l'application, mais le génie seul sait en faire un grand usage.

La science, on l'acquiert par l'étude et la méditation, et sous ce rapport chacun est forcé de puiser aux sources où j'ai puisé moi-même.

C'est dans les enseignements des grands hommes, dans leurs commentaires, c'est en méditant sur leurs actes, en recherchant les causes de leurs succès et de leurs revers qu'on apprend la science de la guerre.

Je ne suis pas un homme à théories creuses ; je fais peu de cas de l'imagination lorsqu'il s'agit de choses sérieuses. J'ai assez écrit dans ma vie, pour que ceux qui m'ont lu puissent me rendre cette justice. Lorsque j'ai reçu le périlleux honneur de défendre devant vous le projet du gouvernement, j'ai cherché à n'émettre que des idées reconnues vraies par les grands homme de guerre.

De plus, je me suis efforcé de m'éclairer près des hommes de notre époque, capables de me donner des conseils. J'ai la conscience de ne pas avoir énoncé une idée, avancé un fait qui ne m'aient été complètement confirmes par les hommes les plus compétents. On ne peut attraire à la barre de cette chambre des noms propres. A mon sens, c'est là faire une chose inconvenante ; je conçois qu'on les invoque quand on n'a pas puisé des idées ou des opinions dans leurs écrits. Il n'en est pas de même quand il s'agit de conversations particulières.

S'il m’avait été permis de le faire, j'aurais accolé un nom à chacun de mes arguments. Maintenant que je vais vous entretenir encore de discussions techniques, je tâcherai d'être le plus court possible ; la Chambre doit être fatiguée d'en entendre. Je ne répondrais du reste qu'à la partie qui me concerne dans le discours de 1'honorable général.

Le premier point qui nous divise est relatif à la définition du camp retranché.

L'honorable général Goblet m'accuse d'avoir mal compris sa pensée en appliquant sa définition aux camps ordinaires de Vauban, il dit que pour les camps comme ceux de Vérone, d'Ulm Rastadt, Anvers, il est indispensable que les forts de la ligne reçoivent une protection efficace de l'enceinte. Je répondrai que le camp d'Anvers ne ressemble en aucune façon à ceux qu'il indique. Ce ne sont que des camps de passage, des têtes de pont, des champs de bataille, où la plupart des forts s'élèvent ordinairement à six ou sept cents mètres des glacis.

La gorge ordinairement en est défendue par des murs crénelés et des réduits en maçonnerie comme aux fortins actuels d'Anvers.

Dans les villes d'Ulm et de Rastadt ils sont constitués de cette façon, mais le camp d'Anvers est élevé dans un tout autre but et dans un tout autre système. De ce qu'on a constitué un camp dans telle ou telle place, pour tel ou tel but, ce n'est pas une raison pour que nous appliquions les mêmes principes au camp d'Anvers. Notre camp servira au séjour, au campement de l'armée, qui s’y établira peut-être pour plusieurs mois. Dès lors, la prudence nous impose l'obligation d’établir les troupes de manière qu'elles puissent y séjourner en sûreté, à l'abri des coups de l'ennemi lorsqu'elles ne sont pas en action.

Il existe une différence radicale entre le système proposé par le gouvernement et celui présenté par la section centrale. Dana le premier, nous avons une première ligne de défense, c'est la ligne de forts ; en arrière se trouve la ligne des fortins, c'est le front du camp ; en arrière encore, comme réduit, s'élève la forteresse.

Dans le système de la section centrale, tel que l'interprète aujourd'hui M. le général Goblet, la ligne des forts sert à la fois de ligne de défense et de front du camp. Nos hommes seront obligés de camper dans l'espace de 1,500 mètres, situé entre la ligne des forts et l'enceinte.

Dans le système du gouvernement le champ de bataille est séparé des lieux de campement par la ligne des fortins ; d'après le système de la section centrale, on devrait camper sur le champ de bataille lui-même. Chacun peut toucher du doigt tous les défauts de ces propositions, et il ne faut pas être militaire pour en apprécier le danger.

Messieurs, avant que M. Keller se fût établi constructeur de grandes enceintes, il proposait au gouvernement des camps retranchés pour Anvers. Il discutait dans des mémoires les conditions auxquelles devaient satisfaire les positions militaires de ce genre. Il est curieux de savoir quel était son avis.

J'ai entre les mains une brochure de 1854. Eh bien, voici comment s'exprime M. Keller au sujet des grandes enceintes et surtout au sujet de la grande enceinte préconisée par la cinquième section et qu'on veut reporter à l'extrémité de Berchem et de Borgerhout :

« Dans la première édition de ce mémoire, nous avons cru devoir établir une comparaison entre notre projet d'agrandissement et celui qui a pour base l’enceinte décrétée en 1580. Ce n'était point, comme on l'a supposé, dans le but de nous donner un facile avantage que nous avons fait entrer en ligne de compte cet ancien et défectueux projet. D'autres que nous l'ont exhumé et présenté au public. La commission des faubourgs a exprimé au Roi le désir qu'il fût réalise. M. le notaire Gheysens en a fait mention dans une séance du conseil provincial, et l'on a mis en circulation des plans où le trace de 1580 se trouve indiqué, afin sans doute d'appeler la discussion sur ce tracé. Il nous a paru qu'une vieille idée à laquelle on faisait tant d'honneur méritait bien de notre part quelque attention.

« Nous savions, au surplus, que, toute appréciation militaire réservée, on est assez d'accord sur ce point que l'agrandissement de 1580 répond aux besoins et aux vœux actuels de la population anversoise. C'était une raison de plus pour mettre ce projet en parallèle avec le nôtre, qui sans offrir les mêmes inconvénients, repose sur le même principe, à savoir l'extension de la ville jusqu'à la limite extrême de Saint-Laurent, de Berchem et de Borgerhout. »

M. Keller examine alors la valeur de ce projet de grande enceinte et voici une de ses appréciations :

« Ce n'est pas l'Etat qui dans un intérêt militaire demande l'agrandissement d’Anvers ; c'est la ville, ce sont les particuliers qui réclament cet agrandissement dans un intérêt local ou civil. Dès lors il faudra bien qu'on fasse une exception à la jurisprudence qui a constamment dénié jusqu'ici aux propriétaires le droit de se faire rembourser par l'Etat les moins-values résultant des servitudes militaires. »

Quant à la comparaison entre un camp retranché comme celui que nous proposons et le projet de grande enceinte, M. Keller s'en est occupé, voici comment il s'exprime :

« Nous laissons au gouvernement le soin de décider si Anvers, dans certaines éventualités de guerre, ne pourrait pas être exposée à un coup de main, pendant que l'armée belge serait engagée ailleurs, et si, dès lors, le développement considérable de l'enceinte n'exigerait pas une plus forte garnison, au détriment de l'effectif en campagne.

« Le camp retranché actuel comporte 7 forts et une lunette. Il embrasse toute l'étendue comprise entre les deux inondations d'aval et d'amont, et il a une profondeur en rapport avec son front de bataille. Nous insistons sur ce dernier-point, parce qu'à notre avis c'est un des plus importants à considérer. On en demeurera d'accord si l'on songe qu'un camp retranché doit être avant tout un champ de bataille, c'est-à-dire un terrain offrant les divers avantages qui constituent une bonne position tactique, à savoir des flancs appuyés, un front défendu par des postes résistants, en arrière comme en avant de la ligne de bataille un terrain propre à l'action des diverses armes, assez de routes pour favoriser la retraite et une profondeur en rapport avec l'étendue du front. Sans cette dernière condition, les manœuvres successives deviendraient impossibles et le camp retranché perdrait toute sa valeur. »

Voilà, messieurs, qu’elle était l'opinion de M. Keller en 1854 avant qu'il présentât son projet de 1855. En 1854 la grande enceinte est une utopie, une absurdité irréalisable ; en 1858 c'est la grande enceinte qui seule est acceptable.

Pour soutenir son système, M. le général Goblet a soutenu que les troupes placées dans le camp qu'il leur assigne, entre la ligne des forts et la ville, y seraient en sûreté (car je vous prie de remarquer qu'il abandonne la malheureuse idée de les placer dans la ville). A cet effet, l'honorable général avance que les projectiles ennemis, n'ayant qu'une portée de 2,000 à 2,400 mètres, n'arriveraient que jusqu'aux glacis de la nouvelle place. Cet aveu me suffit, dans l'intérêt de ma réfutation. Des camps d'infanterie et de cavalerie ne constituent pas une simple ligne.

Un camp a de la profondeur, et cette profondeur est de quelques centaines de mètres. Il est donc évident, en supposant même que le principe énoncé par le général Goblet fût vrai, que le campement sera compromis.

Mais la portée que l'honorable général Goblet assigne aux bombes est tout autre. En France, je me suis enquis auprès d'officiers d'artillerie qui ont été à Sebastopol, de la distance à laquelle le bombardement était encore efficace. Ils m'ont répondu : A 3,500 mètres. J'ai voulu m'en assurer et j'ai vu dans le Mémorial de l’artillerie de France, que les mortiers de 32 peuvent être considérés comme portant à 4,000 mètres.

Je vous le demande, est-il possible d'adopter un système qui conduit à de pareilles conséquences ? On avoue qu'il n'est pas admissible de placer les troupes dans la ville ; on reconnaît que la défense doit être toute militaire, que les troupes doivent être campées hors des murs et on les place à demeure sur un terrain constamment exposé aux projectiles ennemis. Je dis qu'une semblable situation n'est pas admissible.

J'aborde la question des réduits de Vauban.

L'honorable général me dit : Votre comparaison est fausse ; il ne comprend pas que j'ai pu comparer Anvers comme réduit aux citadelles de Vauban.

Quelle comparaison ai-je faite ? J'ai avancé que le camp retranché de Vauban, que le système adopté par lui pouvait se comparer au nôtre ; qu'il voulait deux enceintes, comme nous voulons une première et une seconde ligne de forts, et enfin des citadelles dans l'intérieur auxquelles je comparais notre réduit d'Anvers.

M. le général Goblet vous a lu une phrase de l'écrit de Vauban pour en tirer la conséquence, que c'était contre les habitants seuls que ces citadelles avaient été construites, et non pas pour jouer le rôle que nous assignons à Anvers.

Eh bien, je vais vous lire le passage entier de Vauban et je vous demande si des citadelles établies comme je vais vous le dire sont faites contre une population. Pour maintenir une population, il suffit de bonnes casernes défensives, avec des ouvrages de peu de valeur, et il n'est pas besoin pour cela d'ouvrages constitués comme ceux que je vais vous faire connaître.

Dans l'intérieur de sa seconde ligne, Vauban voulait « deux citadelles à cinq bastions chacune dans la deuxième enceinte, savoir l'une sur le bord de la Seine au-dessus de la ville, et l'autre au-dessous dans (page 1328) l'endroit le plus propice ; l'une tenant au bord de la rivière d'un côté et l'autre de l'autre, toutes deux très bien revêtues et accompagnées de tous les dehors convenables, comme aussi de tous les magasins, arsenaux, souterrains et autres bâtiments nécessaires : on pourrait même ajouter un réduit ou deux dans les endroits de la même enceinte les plus éloignés des citadelles ; ces places bâties à profit et splendidement, sans rien épargner qui pût nuire à leur solidité, par les suites bien garnies de canons. »

Voilà les citadelles de Vauban. Je demande s'il est possible de croire qu'il établissait de puissantes villes de guerre pour maintenir seulement la population. J'ajoute que c'est un principe admis, que lorsqu'une place a une grande étendue et qu'on est décidé à la bien défendre, il faut des réduits dans l'intérieur.

Un homme, un militaire que le lieutenant général Goblet ne récusera pas, Gassendi dit, à ce sujet :

« Une des conséquences inévitables de la fortification d'une grande ville populeuse, c'est la nécessité d'y construire des forts et plusieurs citadelles, qui non seulement servent à en prolonger et en assurer la défense, mais encore qui commandaient la ville afin de pouvoir en disputer la possession si l'ennemi était entré. »

Dans notre pays, messieurs, nous avons une grande ville de guerre, la ville de Mons ; eh bien, voici le langage que le lieutenant général Goblet tenait, dans un des comités dont j'ai fait partie, au sujet de cette forteresse.

« Si l'on conservait Mons, il faudrait le compléter par une citadelle conformément aux principes militaires invariablement applicables aux places de grande étendue. »

Il résulte de là, messieurs, que le système de la grande enceinte de la section centrale, que ce système n'est pas complet, et qu'il y manque une chose importante.

Si l'on construit la grande enceinte, vous devrez, pour être d'accord avec vos principes, y créer un grand réduit ; et j'ajoute que ce réduit est d'autant plus indispensable que votre enceinte est plus faible.

Vous parlerai-je de notre camp retranché actuel, de ces fortins dont on considère la défense comme pour ainsi dire impossible ! Dans la crainte qu'on ne m'accuse encore de faire des théories pour la cause, je me permettrai tout à l'heure une citation. En attendant j'atteste que dans l'esprit de bien des militaires, non pas dans l'esprit des ingénieurs mais dans l'esprit de beaucoup d'officiers qui ont fait la guerre de campagne, assisté à des sièges, il est souvent plus facile de faire un siège ordinaire que d'attaquer un camp fortement défendu. Ils considèrent l'attaque de ces positions comme une des opérations les plus meurtrières.

« Pendant longtemps, dit un officier général allemand de grand renom, le général Clausewitz, pendant longtemps il a été de mode de s'exprimer avec dédain sur le compte des retranchements et de leurs effets ; mais mille exemples tirés de l’expérience prouvent qu'un ouvrage de campagne bien disposé, bien garni, bien défendu, doit être considéré en général comme un peint inexpugnable et que l'agresseur le considère en effet comme tel. L'attaque d'un camp retranché est une entreprise très difficile pour l'agresseur et le plus souvent désespéré. »

Si vous considérez que notre camp de fortins sera relié par plusieurs lignes d'ouvrages de campagne, vous vous convaincrez que l'ennemi ne le franchira pas impunément, ni aussi facilement qu'on le prétend.

J'aborderai maintenant l'enceinte Keller.

Lorsque M. Keller a présenté son enceinte, il a fait un mémoire à l'appui.

Il démontre comme quoi les murailles sont devenues inutiles, et comme quoi des massifs de terre précédés d’un fossé plein d'eau suffisent pour les places à grand développement. Du reste tous les principes énoncés dans le rapport de la section centrale se trouvent dans le mémoire de M. Keller, de 1855.

Je ne sais si l'auteur du mémoire connaissait bien la topographie des environs d'Anvers, je serais assez porté à en douter, lorsque je lis dans le mémoire la phrase suivante, relative aux fossés de la place proposée.

Il répond à l’objection qu'on avait faite, au sujet du danger que présentent des fossés pleins d'eau au temps de gelée, que « le jeu des eaux favorisé par l'action des marées suffirait pour rompre les glaces deux fois en 24 heures. »

Mais, messieurs, je vous ai dit, que la crête de partage franchie par l'enceinte, était à Berchem, à la cote 11, c'est-à-dire de 8 mètres au-dessus du jeu des marées. Comment est-il possible de prendre au sérieux des projets élaborés avec une pareille légèreté ?

L'honorable général Goblet s'occupe encore des escarpes, mais je crois, messieurs, que cette question est parfaitement résolue dans vos esprits, et je n'y reviendrai pas.

En ce qui concerne les batardeaux, on pourra les mettre à l'abri, dit l'honorable général, en établissant un blindage. Supposons que ce moyen soit efficace, il n'en est pas moins vrai que vos batardeaux seront compromis dès que l'ennemi aura atteint le chemin couvert.

Car au moment où commence d'ordinaire la partie la plus périlleuse du siège, on fera sauter le batardeau, et il n'y aura plus qu'à livrer l'assaut.

Il me reste un seul point à examiner. C'est celui de la fameuse pointe de Berchem. L'honorable M. Goblet avoue que c'est un défaut ; mais toute fortification, dit-il, présente de pareils défauts.

Je conçois bien que lorsqu'on n'a pas un grande espace devant soi, lorsqu'on m'oblige d'enceindre une ville de peu d'étendue, on soit forcé le subir une pareille situation. Mais quand on a tous les environs d'Anvers pour établir la place, pourquoi ne pas éviter une semblable pointe ?

Pour défendre le système de fortification qu'on vous présente, on donne un principe très vrai, reconnu depuis longtemps, mais qu'on examine maintenant comme une nouveauté, c'est-à-dire que la supériorité de l'artillerie de la défense est seule capable de retarder les progrès de l'attaque.

Cela est possible lorsque la fortification se développe en ligne droite. Mais il n'en est plus de même lorsque la partie attaquable présente un angle aussi prononcé que celui de Berchem ; l'ennemi l'entoure par ses travaux, l'écrase par un feu supérieur et en devient facilement le maître.

Je dis donc que la pointe de Berchem est un défaut capital, auquel il faut nécessairement parer. L'honorable M. Goblet le reconnaît bien ; aussi reconnaît-il la nécessité d'y porter remède. Nous ferons, dit-il, un retranchement en arrière, nous conserverons en arrière assez d'espace libre pour faciliter les mouvements des troupes et construire des retranchements ; de cette manière, nous rétablirons l'équilibre.

Eh bien, vous allez voir, messieurs, les conséquences de cette proposition. Il faut vous faire remarquer que la rue de rempart du projet Relier arrive jusqu'au cimetière de Berchem : ainsi sa construction a pour premier effet la destruction des maisons du village qui se trouvent entre l'église et la campagne.

En exécutant l'expédient que l'honorable général vous propose, (et c'est le seul moyen de parer au mal), en rendant libre le terrain en arrière c'est-à-dire en reculant de quelques centaines de mètres il faudra faire disparaître l'église, et le restant du village.

L'exécution du projet Keller, c'est l'anéantissement du village de Berchem.

Messieurs, je suis probablement arrivé au bout de ma tâche. Je remercie la Chambre de la bienveillance avec laquelle elle a bien voulu m'écouler. Je serais véritablement désespéré si je n'étais pas parvenu à éclairer vos consciences. Je comprends combien est grande, sous ce rapport, la responsabilité qui pèse sur moi. Dans tous les cas, je vous ai parlé en homme convaincu.

Je n'ai pas encore terminé ma carrière militaire ; peut-être, serai-je un jour appelé à me battre sur le terrain qui est maintenant l’objet de vos discussions, et c'eût été de ma part un acte de félonie et de démence, si j'étais venu soutenir devant vous une cause qui n'était pas dans ma profonde conviction.

M. Crombez. - Messieurs, comme l'honorable M. Vander Donkt, je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote.

Je me vois aussi, à regret, obligé de repousser le projet de loi, parce qu'il tend à faire jouer à la Belgique, en vue de certaines éventualités, un rôle politique est militaire que ses intérêts bien entendus ne commandent pas, un rôle qui est au-dessus de ses forces et qui n'est pas nécessaire, à mon avis, pour assurer le maintien de son indépendance.

Je repousse encore le projet de loi, parce qu'il consacre d'une manière définitive notre système d'organisation militaire, qui est hors de proportion, je trouve, avec les ressources du pays.

L'honorable général Renard vous l'a dit : les travaux projetés à Anvers ne sont que le complément de votre loi sur l'organisation de l'armée ; si donc on exécute ces grands projets de défense, il n'y a plus de réduction à espérer sur le budget de la guerre, vous arriverez fatalement à une augmentation de ce budget.

On demande aujourd'hui un camp retranché, conçu dans de vastes proportions, qui puisse servir de base à l'armée, en cas d'attaque ; on vous demandera demain d'augmenter l'armée, pour pouvoir défendre convenablement ce camp retranché et les autres forteresses du pays.

Un jour peut-être on viendra vous demander une marine militaire pour compléter votre système défensif.

Une fois que vous entrez dans cette voie, il n'y a plus de limite dans l'étendue de vos sacrifices, et vous verrez une grande partie de vos ressources absorbée par votre état militaire, alors qu'elles pourraient être employées si utilement à l'accroissement de notre richesse industrielle et commerciale.

Une armée n'est pas, à mon avis, la seule force d'une nation ; appliquons-nous, messieurs, à développer dans nos populations l'intelligence et l'amour de nos libertés ; n'augmentons pas les impôts ; tâchons, au contraire, de réduire les charges publiques, et nous aurons beaucoup fait pour empêcher un pouvoir étranger de jamais s'établir en Belgique.

Je voterai contre le projet de loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, oui, comme vient de le dire l'honorable préopinant, développons notre prospérité commerciale et industrielle, et fécondons tous les éléments de la richesse publique : oui, que le pays soit heureux et fier de son indépendance, de sa liberté ; qu'il proclame dans toutes les circonstances, (page 1329) avec un enthousiasme pardonnable à une jeune nation, qu'il proclame qu'il est un peuple libre, un peuple indépendant, un peuple heureux. Mais, messieurs, si ce même peuple ne veut pas un jour ou l'autre être signalé à la risée des autres nations comme un peuple bavard et vantard, qu'il ait aussi la force de faire des sacrifices pour maintenir et cette prospérité matérielle et ces institutions et cette indépendance.

Voilà de quelle manière des citoyens animés de véritables sentiments patriotiques doivent comprendre et défendre ces biens matériels et moraux qui nous sont si chers à tous.

Eh ! messieurs, la position qui est faite à la Belgique serait véritablement trop belle et j'ajoute qu'elle ne serait pas méritée si elle ne devait entraîner pour nous aucune espèce de sacrifice ni de nos fortunes ni de nos personnes. Je n'admets pas, quant à moi, de nation exclusivement préoccupée de sa prospérité matérielle, des seuls moyens d'augmenter la fortune privée. Une nation doit, comme un individu, posséder les qualités qui commandent l'estime d'autrui. Une nation digne de ce nom doit posséder des sentiments virils ; elle doit savoir remplir tous ses devoirs, elle doit savoir s'imposer des sacrifices dans l'intérêt public. Voilà, messieurs, les sentiments qui doivent nous animer. Un homme qui sera parvenu à une richesse considérable pourra se proclamer parfaitement heureux ; mais s'il lui manque le sentiment de sa dignité et surtout le sentiment de son honneur, vainement viendra-t-il étaler devant les autres son bien-être matériel et ses richesses, un pareil homme sera méprisé de ses semblables. Il en est de même des nations : nous ne voulons pas que la nation belge soit méprisée par les autres nations de l'Europe ; et voilà pourquoi en même temps qu'elle s'applaudit de son bien-être, de ses libertés, de son indépendance, elle doit vouloir montrer à l'Europe qu’elle a assez de force pour savoir défendre devant d'autres nations tous ces biens si précieux.

- Voix nombreuses. - Bravos !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tel est au fond, messieurs, le principe dominant de cette discussion. Tel est le but, telle est la pensée qui a inspiré le projet de loi.

Nous n'en revendiquons pas l'honneur pour nous seuls : c'est un projet en quelque sorte traditionnel, il s'est depuis dix ans successivement agrandi sous les divers ministères. Ainsi, nous espérons bien que nos prédécesseurs, que tous ceux qui se sont associés à la politique de nos prédécesseurs, verront dans cette question, non pas une question de parti, mais une grande question nationale où tous les cœurs et tous les esprits doivent se concerter et s'entendre pour obtenir un succès commun.

C'est ainsi que toutes les grandes questions nationales ont été résolues dans cette enceinte depuis que nous jouissons de l'indépendance politique. La question de l'armée n'a jamais fait parmi nous une question de parti. Sur cette question les représentants se sont unis, se sont divisés, non pas en raison de leur nuance politique, mais en raison de leurs opinions particulières. Eh bien, la question qui s'agite devant vous, on vient de le dire, est encore une question de l'armée : il s'agit pour vous de savoir si vous voulez être conséquents avec vous-mêmes ; il s'agit pour vous de décider si les sommes que vous affectez annuellement à l'entretien de l'armée doivent être dépensées utilement ou en pure perte. Mais il ne s'agit pas, messieurs, comme on vient de le dire avec exagération, de poser les bases d'une augmentation de budget dans l'avenir.

Nulle part vous ne trouvez la trace, le germe d'une pareille opinion ni surtout d'une pareille nécessite ; au contraire. Mais ce que le projet comporte c'est en effet le maintien de l'armée, c'est sa consolidation, Sa foi en elle-même, c’est la confiance, que le pays doit avoir de plus eu plus en elle, quand il saura que cette armée se trouve dans une position meilleure pour concourir à sa défense.

Or, qui met en doute dans cette enceinte la parfaite, la complète convenance des travaux comme point de concentration et de résistance de l'armée ?

J'espère, messieurs, que nous ne clorons pas ces débats sans que chacun s'explique avec une sincérité complète.

On a parlé de sincérité et j'espère que tout le monde apportera ici la même sincérité que nous. La section centrale, que vient-elle nous proposer ? On a invoqué avec raison l'intelligence, l'expérience de l'honorable rapporteur de la section centrale. Possédant dans son sein une capacité, une spécialité dont on a relevé si haut le mérite ; se trouvant en présence de ce qu'on appelle le système mesquin et provisoire du gouvernement, qu'avaient à faire la section centrale et son rapporteur ?

La section centrale avait à nous apporter un autre système, à nous formuler des propositions sur lesquelles la Chambre eût à délibérer. (Interruption.) Eh bien, messieurs, qu'est-ce que nous apporte la section centrale, qu'est-ce que l’honorable rapporteur de la section centrale a été dans la dure nécessité de venir nous exposer comme résultat des délibérations de ses collègues ? Il ne faut pas fortifier Anvers ; c'est Bruxelles qu'il faut fortifier.

Voilà la seule proposition qui soit sortie du sein des délibérations de la section centrale dont l'honorable général Goblet est rapporteur.

Je ne demande pas quelle est l'opinion de l'honorable général sur cette proposition, je présume qu'il a voté contre.

Mais il n'en est pas moins vrai que la même section centrale qui repousse le projet du gouvernement a renfermé dans son sein une majorité qui n'a pas hésité à proposer de remplacer les fortifications d'Anvers par les fortifications de Bruxelles. A-t-on pris là une délibération sérieuse ou non, sincère ou non ?

Si cette proposition a été sérieuse et sincère, si elle ne doit pas être assimilée à une tactique parlementaire, eh bien, qu'on vienne donc déposer ici une proposition.

Je somme à mon tour les quatre membres de la section centrale qui ont voté pour les fortifications de Bruxelles, de déposer leur proposition, afin que nous ayons devant nous non plus ce système mesquin du gouvernement, mais ce grand et vaste système de l'embastillement de la capitale.

Messieurs, le système que le gouvernement propose n'est pas mesquin, il n'est pas provisoire ; si nous le comparons aux systèmes antérieurs, aux systèmes qui ont été successivement ajournés depuis cinq à six ans, ce système est trois fois plus considérable que ceux qui l'ont devancé.

En 1855, messieurs, qu'est-ce qui était trouvé acceptable, suffisant par l'honorable général Goblet lui-même ? Ce n'était pas le projet d'aujourd’hui, ce n'était pas la nouvelle ceinture de forts détachés, ce n'était pas l'agrandissement d'Anvers au nord, c'était le système du camp retranché actuel, le système des forts construits depuis 1848, mais qui auraient été renforcés et établis d'après certaines autres règles. Je fais appel à l’honorable général Goblet ; je lui demande si, dans son esprit, le système du camp retranché tel qu’il existe aujourd'hui, mais modifié selon ses propres indications, ne lui paraissait pas suffisant pour la défense du pays. Voilà une question à laquelle je voudrais bien obtenir une réponse.

M. Goblet. - C'était un tout autre système que celui d'aujourd'hui ; c'était le système qui me paraissait convenir le mieux à la Belgique dans l'opinion que j'avais des forces qu'elle pourrait mettre en mouvement. Or, je considérais alors qu'avec un nombre convenable de forteresses, ce système était suffisant pour garantir les opérations des troupes disponibles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Donc, vous trouviez le système du camp retranché de 1855 suffisant pour la défense du pays.

M. Coomans. - Et vous aussi. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas ce qui me vaut cette interruption de l'honorable M. Coomans. Je constate que notre système auquel on reproche d'être mesquin est aujourd'hui beaucoup plus considérable que celui de 1855 sur lequel l'honorable M Coomans a fait rapport et qui était jugé suffisant par l'honorable général Goblet. L'honorable M. Coomans, qui a bien voulu m'interrompre, voudra bien aussi se rappeler que ce système, alors juge suffisant pour la défense du pays, ne reçut pas un accueil favorable dans la section dont il fut le rapporteur. Ce système fut ajourné.

Ce n'est pas nous, ce n'est pas le ministère actuel qui l'avait présenté. Pourquoi a-t-il été ajourné ? Afin qu'on ne se livrât à de nouvelles études, non pas pour l'agrandissement général d'Anvers, non pas pour cette grande enceinte qu'on présente aujourd'hui comme la condition sine qua non de la défense du pays, mais pour étudier l'agrandissement partiel d'Anvers au nord, pourvu, disait M. le ministre de la guerre d'alors, « qu'il n'en coûte rien au trésor. » Ceci est extrait du rapport de l'honorable M. Coomans. Eh bien, messieurs, ces études ont été faites, l'agrandissement au nord a été étudié, il a été adopté et bien que le ministère eût déclaré que cet agrandissement se ferait, pourvu qu’il n'en coûtât rien au trésor, ou vient proposer de le faire aux frais exclusifs du trésor.

Et voilà contre quoi on proteste et voilà ce que l'ancien député de Malines, aujourd'hui député de Bruxelles, appelle un projet mesquin. Il y en a pour huit à neuf millions.

M. de Perceval. - Mesquin par ses effets, non pas par la dépense.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sous ce rapport, je ne veux pas discuter avec vous, vous êtes sans doute plus stratégiste que moi.

M. de Perceval. - Nous avons siégé pendant quatre semaines en section centrale ; nous avons donc bien eu le temps de discuter toutes ces questions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En section centrale vous n'avez conclu à rien ou plutôt à quelque chose que vous n'osez pas déposer sur le bureau de la Chambre.

M. Vervoort. - Le ministère a conclu à la grande enceinte en 1856.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà le résultat de vos longues délibérations en section centrale. On ne s'est pas borné, messieurs, à ajouter au projet primitif cet agrandissement partiel pour lequel le trésor est fortement engagé ; on a dit : Le système du camp retranché, tel que le conçoit l'honorable général Goblet, continuera d'apporter des entraves au développement d'Anvers. Il établit des servitudes sur des points trop rapprochés de la ville ; il en gêne l'expansion. Que faut-il faire ?

Il faut donner à la ville d'Anvers les moyens de se développer, et pour cela il faut transporter en avant, beaucoup plus en avant les points de défense. Il faut un travail tel que le commerce d'Anvers n'ait pas à (page 1330) craindre les conséquences d'un bombardement. Au lieu du camp retranché qui à lui seul suffisait et qui peut suffire encore pour les besoins de la défense ; au lieu de ce camp retranché, nous allons créer une ceinture de nouveaux forts, qui aura d'abord ce double but, de permettre aux habitants d'Anvers de s'étendre hors de leurs murs avec plus de liberté ; d'éloigner de la ville d'Anvers les dangers d'un bombardement.

Mais, il ne faut pas le nier, il y a sans doute dans ce projet autre chose encore que le désir de donner satisfaction à Anvers, il y avait aussi une raison d'intérêt public, de sécurité nationale ; nous trouvons que la défense du pays était mieux assurée par ce système de forts détachée, mais enfin nous avions l'immense avantage de donner satisfaction à la fois à l'intérêt général et aux intérêts locaux De là, messieurs, la nécessité où nous nous sommes trouvés de demander au trésor un sacrifice de 20 millions. Cette somme est considérable ; je conçois qu'elle rencontre certaines hésitations chez quelques-uns de nos collègues.

Mais en présence des intérêts si nombreux, si respectables qu'il est destiné à couvrir, je ne comprendrais pas comment un député de la nation pût avec une conscience tranquille repousser le crédit demandé.

Il existe, messieurs, un système que j'appellerai à outrance, qui se formulé dans ces mots si dangereux si on en vient à la pratique : tout ou rien.

Qu'on y prenne garde, j'admettrais ici comme parfaitement légitimes les hésitations de la Chambre ; je comprends qu'une Chambre disposée, dans un intérêt national, à voter une dépense de 20 millions, hésitât quand on lui proposerait tout d'un coup une dépense de 45 millions. Vous savez en outre ce que sont les devis des ingénieurs militaires et civils. Tels sont les dangers de cette formule extrême qui consiste à dire : Il faut tout ou rien. C'est la maxime de certains joueurs qui veulent pousser à bout les chances de la fortune ; et qui, en voulant avoir tout, finissent par n'avoir rien.

Mais, dit-on, par quel secret mystère le gouvernement qui est, au fond, partisan de la grande enceinte, par quelle force mystérieuse est-il empêché d'appuyer dans cette enceinte l'agrandissement général d'Anvers ? Le ministre de l'intérieur, j'en viens à l'interpellation qu'on m'a fait l'honneur de m'adresser, le ministre de l'intérieur était pour la grande enceinte en 1856, pour l'agrandissement général.

Oui, il était en 1856 pour l'agrandissement général comme il l'est encore en 1858 pour l'agrandissement général de la ville d'Anvers ; il désire qu'il se fasse. Voilà la position de 1856 et la position de 1858.

Qu'avons-nous demandé en 1856 par l'organe du général Goblet ? Nous avons dit : il est nécessaire que les travaux proposés se combinent avec l'agrandissement général de la ville ; il faut faire des études afin de savoir quels seront ces travaux et ce qu'ils coûteront. Le ministre de la guerre s'est livré à ces études.

Les devis portés d'abord à 60 millions et même plus, je crois, ont été successivement réduits à 52 et à 45 millions. En admettant ce dernier chiffre comme définitif, nous avons trouvé la somme un peu forte à dépenser tout d'un coup.

Quelque partisan que je sois de l'agrandissement général d'Anvers, j'avoue qu’il me serait impossible d'appuyer, ministre ou non, près de la législature la demande d'un crédit de 45 millions.

On n'a pas seulement étudié les dépenses, mais l'étude a porté sur les travaux eux-mêmes. Voulez-vous que je m'explique sincèrement ? Vous avez demandé qu'on soit franc. Des études ont été faites, des comités ont été institués ; eh bien, leurs procès-verbaux que j'ai consultés, et les discussions qui viennent d'avoir lieu m'ont convaincu d'une chose, c’est que les études sur la grande enceinte ne sont pas complètes et qu'il n'y a pas d'accord entre les hommes spéciaux relativement à la grande enceinte, sur sa valeur défensive et sur son tracé. Voilà le résultat auquel je suis arrivé.

En présence d'un pareil doute, j'éprouverais la plus grande hésitation à me prononcer dès maintenant sur l'exécution immédiate d'une grande enceinte.

Cette question, comme on dit, n'est pas suffisamment mûrie ; mais ce qui est suffisamment mûri, ce qui est accepté par toutes les opinions, par tous les hommes spéciaux qui ont été consultés depuis plusieurs années, c'est le système que nous avons l'honneur de proposer, c'est d'abord l'agrandissement de la ville au nord, l'agrandissement partiel, le commencement de l'agrandissement général pour l'avenir. Voilà ce qui est adopté par toutes les opinions.

En deuxième lieu, ce qui est également accepté sans contestation, c'est la ceinture des forts détachés pour mieux assurer le point de refuge de l'armée, pour garantir la ville contre un bombardement et permettre à sa population de s'épancher librement autour de ses murs actuels.

C'est là un point également accepté par tout le monde. Je le demande aux représentants d'Anvers, s'élève-t-il une seule voix pour repousser les forts détachés ?

M. Vervoort. - Non, mais à la condition qu'ils soient reliés à la grande enceinte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne crains pas de le dire, cet argument est né des circonstances.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il a été présenté en 1856.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai expliqué dans quelle position je me suis placé ; j'ai exprimé avec la section centrale d'alors le vœu que des études fussent faites sur les travaux à exécuter et les dépenses qu'ils entraîneraient. Pourquoi aurait-on ajourné si l’on n'avait pas voulu qu'on se livrât à des études ?

Ces études ont été faites et je viens de dire quels en ont les résultats. Pourquoi, si la section centrale était d'avis que la grande enceinte était nécessaire, combinée avec les forts détachés, pourquoi n'apporte-t-elle pas un projet ? Si elle lui trouvait une si grande importance qu'elle voulût y subordonner le sort de la loi, pourquoi, usant de son initiative n'a-t-elle pas proposé cette enceinte indispensable au salut du pays.

M. Thiéfry. - Il ne nous a pas convenu d'user de notre initiative.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais il vous convient de me mettre en contradiction avec moi-même et de dire : Le ministre qui avait exprimé le vœu que des études fussent faites pour arriver à l'exécution de la grande enceinte trouve maintenant des inconvénient à l'agrandissement général immédiat d'Anvers. Ah ! certes, vous aurez fait beaucoup pour Anvers et pour le pays quand vous serez parvenus à faire croire que sur un point spécial stratégique je n'ai plus en 1858 tout à fait la même opinion qu'en 1856. Je vous abandonne, si vous voulez, ce triomphe-là.

M. Vervoort. - Il y a un plan du général de Lannoy, accompagné d'une note explicative. Nous avons demandé cette note ; on nous l'a refusée. Nous demandons l'avis de la commission, on nous le refuse. Et l'un dit : Pourquoi ne faites-vous pas de proposition ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez cependant une opinion arrêtée, une conviction profonde, vous nous l'avez dit. Eh bien, cette opinion, cette conviction ont des raisons d’être. Qu'elles se formulent en une proposition. Où est le mal ? Je ne comprends pas l'abstention de la section centrale. Comment ! elle est convaincue que le projet qu'on propose ne vaut rien, que le système préconisé par l'honorable rapporteur est le seul bon, et elle ne le propose pas.

M. Loos. - Vous l'avez proposé vous-même en 1856.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne sommes pas en 1856, nous sommes à la fin de juillet 1858. Déposez votre proposition.

M. Vervoort. - Déposez d'abord l'œuvre des deux commissions, déposez l'œuvre du général de Lannoy.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Que signifie cette abstention ?

Si l'enceinte complète est la seule bonne, si elle est assez étudiée pour être proposée, déposez une proposition.

Lorsque vous l'aurez déposée, nous déposerons tous les documents que vous voudrez.

M. Vervoort. - Vous nous demandez des projets préparés par nous et vous nous reprochez de faire de la stratégie.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai été beaucoup moins fertile en reproches que vous et vos honorables amis de la section centrale. Si on avait voulu moins m'interrompre, j'aurais fini.

M. Vervoort. - Vous interpellez la section centrale à chaque instant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale me fait l'honneur de m'interrompre par ses divers membres.

M. le président. - J'invite les membres à ne plus interrompre. Si l'on veut prendre la parole, qu'on se fasse inscrire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je constate, M. le président, que je suis à chaque instant interrompu. Je combats la section centrale, cela ne m'est pas défendu, je crois ? Elle n'est pas inviolable.

Messieurs, notre système n'est pas incomplet, n'est pas mesquin, comme je pense l'avoir suffisamment démontré. Il est, dit-on, provisoire. Autre erreur. Le système que nous vous présentons n'est nullement provisoire, il est en lui-même complet. Il se suffit et il suffit au but que nous cherchons. Il serait tout au plus partiel, en ce sens qu'il consacre l'agrandissement d'une partie de la ville d'Anvers en posant la base de l'agrandissement général futur ; mais à cela près, il est parfaitement complet et il n'a rien de provisoire. Il est définitif.

L'agrandissement qui se fait aujourd'hui sur une surface égale à la ville d'Anvers, pourra se continuer successivement après de nouvelles études, lorsque les hommes spéciaux seront bien d'accord.

Messieurs, les agrandissements successifs d'Anvers sont dans ses traditions. Parcourez les cartes anciennes de la ville d'Anvers. Anvers s'est successivement agrandi ; depuis le onzième siècle, Anvers a reçu six agrandissements. Car remarquez bien que la forteresse d'Anvers n'est pas née d'hier ; elle est très vieille ; elle remonte à l'origine même d'Anvers et à aucune époque on n'a songé à l'abattre. A chaque agrandissement, qu’arrivait-il ? Ou la ville prenait l'initiative, ou les gouvernants d'alors imposaient à la ville d'Anvers, à ses frais, les nouvelles fortifications.

J'ai ici le compte de tous ces agrandissements ; ils étaient payés par le (page 1331) trésor de la ville. Il y en a eu six jusqu'à la fin du XVIème siècle, les voici marqués par différentes couleurs. Mais partout vous voyez des agrandissements partiels et successifs. A ces époques on ne faisait pas un accroissement général, tout d'un coup, en un jour, on procédait suivant les nécessités, suivant les besoins successifs, suivant, |je dirai, les lois du sens commun.

Voilà donc notre projet ; il n'est nullement provisoire ; mais il est partiel. Il ne met aucun obstacle, au contraire, il est fait dans le but de permettre à la ville de pouvoir s'étendre successivement.

Est-ce que la situation d'Anvers, en supposant ce projet exécuté, est-ce que la situation d'Anvers sera aussi malheureuse qu'on le prétend ? Comparons ce que sera Anvers à ce qu'Anvers est aujourd'hui. Comparons les deux situations.

Quelle est la situation aujourd'hui ? Anvers étouffe, dit-on, dans ses murailles. Jusqu'à certain point, cela est vrai, quoiqu'il soit peu de villes dans le monde d'une aussi grande surface qu'Anvers, comparée au nombre de ses habitants.

Mais enfin, elle tend à s'épanouir au dehors. Elle rencontre la loi des servitudes qui peut d'un moment à l'autre l'empêcher de faire les constructions dont elle a besoin. Cette loi sera adoucie de beaucoup. Elle a construit de nouveaux bassins en dehors des fortifications actuelles. Ces bassins ont absolument besoin, pour n'être pas une œuvre vaine, une dépense en pure perte, de communication avec les anciens bassins. Ils sont séparés aujourd'hui par une fortification. On propose de démolir cette fortification, on réunit les bassins, on donne à Anvers un agrandissement égal à son étendue actuelle.

Est-ce là un malheur ? Est-ce là ce qu'on déplore ? Ne veut-on pas de cet agrandissement ? Croit-on que cet agrandissement, qui va coûter 9 millions est nuisible ? Eh bien, qu'on y renonce.

Supposons le cas de guerre ; Anvers, dans sa situation actuelle, sera-t-il moins place forte qu'il ne l'est ? sera-t-il moins un lieu de refuge qu'il ne l'est ? sera-t-il moins un point d'attaque qu'il ne l'est aujourd'hui ? Qu'on ose le dire. Mais Anvers devant avoir cette destinée en cas de guerre, ne lui convient-il pas d'avoir cette ceinture de forts détachés qui le garantira contre un bombardement, qui le garantira d'autant mieux que la résistance sera plus forte ?

Vous ne voulez pas de ces forts détachés non plus ? Dites donc que vous n'en voulez plus, car vous en avez voulu. C'est en grande partie pour faire droit à vos vœux que l'étude de l'établissement des forts détachés a été introduite au département de la guerre. C'est parce que vous vouliez plus de facilités pour vos constructions, plus de garantie contre les effets d'un bombardement, que l'on a fait ces forts détachés.

Mats ces forts ne sont pas seulement dans l'intérêt anversois, et j'abandonnerais, si l'on veut, l'agrandissement au nord ; mais quant aux forts détachés, nous y tenons décidément, invinciblement.

C'est là surtout, messieurs, que réside le grand intérêt dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir au commencement de mon discours. C'est là le point essentiel du projet de loi. Les autres pourraient être écartés sans danger pour le pays, mais ils le seraient au grand préjudice d'une population importante qui a droit à toute notre sollicitude. C'est pourquoi nous ne séparons pas dans le projet et l'établissement des forts détachés et l'agrandissement d'Anvers au nord.

M. Crombez (pour un fait personnel). - Messieurs, quoique M. le ministre de l'intérieur ne m'ait pas nommé, il me semble qu'il m'a accusé de ne pas vouloir d'armée, de me reposer simplement sur les traités pour la défense de notre nationalité. Je proteste contre une pareille interprétation de mes paroles ; moi aussi je veux une neutralité armée, je veux une armée comme le ministère libéral la voulait en 1847, 1848, 1849 ; ce qui nous sépare seulement, c'est la loi sur l'organisation de l'armée, à laquelle je ne puis me rallier, et que n'ont pas votée un certain nombre de mes collègues dont on ne suspectera pas le patriotisme.

M. Lelièvre. - Je me bornerai à motiver en peu de mots le vote que j'émettrai sur le projet actuellement soumis aux délibérations de la Chambre.

Les hommes compétents et les adversaires mêmes du projet de loi sont d'accord sur un point capital : c'est que, dans l'intérêt de la défense nationale, c'est la position d'Anvers qui doit être fortifiée.

L'exécution des travaux projetés est donc d'une nécessité indispensable qui ne saurait être sérieusement contestée. Par conséquent, nous devons voter les allocations nécessaires pour sauvegarder notre nationalité. Il ne peut, dès lors, être question que du point de savoir si l'on construira la grande enceinte, ou si l'on se bornera, pour le moment, à l'agrandissement proposé par le gouvernement.

Celui-ci, chargé d'assurer la défense du pays, garantit, sous sa responsabilité et d'après l'avis d'hommes compétents, la valeur et l'efficacité des travaux énoncés au projet de loi.

La section centrale soutient que ces travaux ne sont pas propres à atteindre le but qu'on a en vue et que la construction de la grande enceinte est indispensable dans l’intérêt de la défense du pays.

Mais qu'on ne se le dissimule pas, la grande enceinte occasionnera des dépenses considérables, dont il est même impossible de déterminer le chiffre, et ces dépenses, le gouvernement affirme, sous sa responsabilité, qu'elles ne sont pas nécessaires.

En cet état de choses, quel est le parti que conseille la prudence la plus vulgaire ? C'est évidemment celui qui a pour résultat de consacrer le système le moins onéreux au trésor public.

Lorsque le gouvernement, agissant d'après l'avis d'hommes capables et désintéressés, affirme que la défense nationale peut se passer de travaux extrêmement onéreux pour les finances de l'Etat, il est impossible d'engager le pays dans des dépenses que le pouvoir exécutif juge inutiles.

En pareille matière, on doit laisser quelque chose à la responsabilité du gouvernement. Il a droit à notre confiance, surtout dans une question spéciale qui ne saurait être appréciée convenablement que par des hommes spéciaux.

Peut-on, je le demande, sous la foi de théories contestables et contestées, décréter des dépenses dont la nécessité est méconnue, après mûr examen, par les hommes qui doivent répondre vis-à-vis du pays des mesures qui doivent assurer son existence et son indépendance ?

A mon avis, la négative ne saurait être douteuse.

Ce qui ne peut permettre la moindre hésitation à cet égard, c'est que les travaux énoncés au projet de loi ne sont pas un obstacle à l'établissement ultérieur de la grande enceinte, si celle-ci était reconnue nécessaire. Dès lors puisque l'adoption du système du gouvernement laisse même intacte la question qui fait l'objet du débat, il est évident que des motifs dont la justesse ne saurait être contestée doivent nous engager à donner à notre assentiment à l'ordre de choses le moins onéreux pour nos finances.

Ce sont ces considérations qui me portent à émettre un vote favorable au projet.

En émettant ce vote, je reste fidèle aux principes d'économie que j'ai constamment défendus dans cette enceinte, et je ne veux pas compromettre notre situation financière en décrétant un système exigeant des sacrifices dont il est impossible de mesurer l'étendue.

La conséquence des travaux à exécuter à Anvers est incontestablement la suppression de plusieurs forteresses construites en vertu des traités de 1815.

A cette occasion, je dois dire que nous avons droit d'attendre de la justice du gouvernement la démolition des fortifications qui entourent la ville de Namur, et qui sont devenues sans aucune utilité. Depuis l'établissement du chemin de fer, Namur ne peut plus présenter la moindre résistance. C'est donc inutilement qu'on maintient un état de choses qui est un obstacle à tout agrandissement de la cité, non moins qu'au développement de l'industrie et comprime l'essor du progrès.

Depuis plusieurs années, je ne cesse de solliciter dans cette enceinte la suppression de fortifications qui n'offrent aucun avantage et sont une cause de dépenses considérables pour le trésor public.

Je prie le gouvernement de vouloir nous dire quelles sont ses intentions à cet égard. J'espère qu'il nous donnera l'assurance que les vœux des habitants de Namur, appuyés par toutes les autorités administratives, recevront un accueil favorable.

Messieurs, la suppression que je réclame est la conséquence nécessaire du système qui tend à fortifier Anvers. Il est évident, en effet, que si la défense nationale est concentrée sur le point dont il s'agit, il devient superflu de laisser subsister des fortifications entourant les villes, devenues, d'après l'avis des hommes de l'art, d'une inutilité complète. La démolition sur laquelle j'insiste particulièrement aura, d'ailleurs, pour conséquence de réduite des dépenses qui, aujourd'hui, se font en pure perte, au grand détriment de l'intérêt public. A ce point de vue, la mesure que je sollicite mérite d'être accueillie par le gouvernement à qui je la recommande de nouveau tout particulièrement.

(page 1333) M. Malou. - Messieurs, vous ne vous attendez pas sans doute à me voir traiter d'une manière complète cette question qui est étrangère aux objets habituels de mes études ; je viens vous exposer mes doutes et les raisons de ces doutes.

Il est un point, un seul, malheureusement, sur lequel je suis parfaitement d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur, c'est que les questions qui se rattachent à la défense du pays ont le caractère de questions nationales, dans l'examen desquelles nous devons tous faire abstraction des préoccupations de parti.

La patrie d'abord, puis ensuite, puisqu'il le faut dans le mécanisme de nos institutions, puis ensuite nos luttes quand l'existence nationale n'est plus en jeu, quand la patrie est sauve.

Il ne faut pas, messieurs, remonter bien haut dans notre histoire pour reconnaître que l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir a toujours pratiqué cette politique. En 1848 lorsque de graves dangers nous menaçaient, nous nous sommes groupés autour d'un ministère qui certes avait bien peu de titres à nos sympathies. Nos intentions ont été méconnues, nos actes dénaturés le lendemain du jour du danger. Eh bien, messieurs, viennent des dangers nouveaux et le gouvernement, quels que soient les hommes qui le représentent, peut compter sur notre franc, sincère et complet appui.

Messieurs, les questions de cette nature se présentent comme des plus effrayantes pour tous et pourquoi ? Parce que nous n'avons aucune base certaine : nous discutons des hypothèses d'attaque et des hypothèses de défense. La question, pour moi, ne consiste pas à savoir si, dans tel ou tel cas donné, une défense absolue de la Belgique est possible, mais elle consiste à savoir quelle est la meilleure chance, en cas d'attaque, dans tel ou tel système défensif.

C'est une vérité acquise par l'histoire, que, dans toute lutte, comme vous aurez établi votre système de défense, ou établira l'attaque.

Elle se modifiera selon les obstacles qu'il s'agira de vaincre. Quand nous consultons l’histoire de la Belgique qui a été si souvent le théâtre de la guerre, nous voyons tous les militaires opérer à travers nos provinces à peu près de la même façon, parce que les moyens de résistance ne changeaient pas.

Je dis donc qu'une seule vérité est certaine, c'est que le choix de notre système défensif ne peut pas avoir de caractère absolu.

Les préoccupations qui nous assiègent lorsqu'il s'agit d'adopter les fortifications d'Anvers comme but principal, sinon exclusif, de la défense nationale, ces préoccupations sont bien naturelles.

Nous avions en 1830 une ligue de forteresses à la frontière du Midi de la Belgique ; les voies de communication de l'intérieur étaient dominées par des forteresses. Les Flandres, par exemple, les Flandres avaient dans le système établi une protection.

Eh bien, aujourd'hui entre Ostende et Tournai, c'est-à-dire sur toute la ligne des Flandres, il n'y a plus aucun obstacle à une invasion.

Les Flandres sont ouvertes ; il ne faut pas une armée, il ne faut qu'un régiment pour occuper les Flandres, et quand je cite un pareil fait, je dis que nos préoccupations, à nous qui représentons plus spécialement ces provinces, sout parfaitement légitimes.

La capitale est ouverte à son tour et, en effet, dans le système actuel, lorsque vous n'avez pas de points d'appui sur toute la frontière du Midi l'ennemi peut venir occuper la capitale et couper vos communications avec votre point de concentration.

Lisons en effet tout le cours des guerres les plus récentes, nous voyons la supériorité du côté où la concentration a été la plus rapide et où l'on est parvenu à empêcher la concentration du l'ennemi. C'est là, par exemple, dans la célèbre campagne d'Italie, la cause constante de la supériorité des armées françaises.

Maintenant, messieurs, au milieu de ces doutes, de ces perplexités, je me range à l'opinion qui paraît généralement admise, que le moins mauvais de nos systèmes de défense c'est de tenter la concentration sur Anvers. Fortifier Anvers, voilà, je crois, un point généralement admis.

C'est malheureusement le seul ; mais il n'est nullement indifférent ni au point de vue de l'intérêt et de l'honneur de la nation, ni au point de vue de nos finances de savoir comment.

Or sur le comment il y a la plus complète anarchie d'idées chez les hommes spéciaux, les plus notoires contradictions entre les défenseurs du projet actuel.

Je dis, messieurs, qu'il n'y a pas la moindre autorité, la moindre unanimité, la moindre raison qui puisse nous faire croire à nous, qui sommes étrangers à ces études, que tel ou tel système soit supérieur aux autres. En effet, la section centrale demande au gouvernement quelle valeur il faut attacher aux deux systèmes, le gouvernement répond que les deux systèmes ont à ses yeux une valeur défensive égale.

Pourquoi ? Parce que dans une commission les 11 membres se sont partagés en ce sens que 5 membres ont été d'un avis, 5 membres d'un avis contraire et que le onzième s'est abstenu.

Maintenant quant à savoir quels sont les motifs des deux opinions, et si les votes contraires et l'abstention du onzième membre ont été déterminés par la considération que les deux systèmes sont également bons ou par la pensée qu'ils sont également mauvais, c'est ce que nous ignorons.

Nous sommes ici un tiers arbitre appelé à départager les hommes spéciaux et nous ne connaissons ni les opinions émises, ni même les noms de ceux qui se sont prononcés dans tel ou tel sens. Ces noms seraient beaucoup pour nous, parce que dans cette affaire nous avons à déterminer ou à laisser influencer notre conviction par la raison de l'autorité presque autant que par l'autorité de la raison.

Ce serait donc quelque chose pour nous de connaître quels ont été les votes indépendamment des motifs.

Nous aurions, permettez-moi de le dire, un doute de moins si nous connaissions cela.

Maintenant le débat s'ouvre. Je m'imagine que, suivant un résultat assez ordinairement obtenu, le débat va amener une conviction dans nos esprits. Mais je regrette de le dire, plus le débat se prolonge, plus je vois mes doutes se multiplier. J'ai encore le regret d'ajouter que ce soit MM. les défenseurs du projet qui en sont la cause.

Il me suffirait de prendre les principaux arguments présentés en faveur du projet, pour prouver que d'après l'opinion de ces messieurs, l'affaire n'est pas suffisamment mûrie, qu'on n'est réellement d'accord sur rien et que s'il se fait une consommation exagérée de quelque chose dans ce débat, de la part des défenseurs du projet, ce n'est pas assurément de logique.

Messieurs, nous connaissons deux espèces de villes, des villes ouvertes et des villes fermées ; mais ce que je ne connais pas, c'est une ville qui ne soit ni fermée ni ouverte.

Eh bien, la première conséquence du projet de loi, serait de mettre entre deux feux, le feu de la place et le feu de l’ennemi, une population de 30,000 âmes, plus considérable que celle de 1a plupart des villes fortifiées en Belgique.

Et voici M. le ministre de l’intérieur qui nous dit que si Anvers acceptait le projet de loi, le gouvernement se montrerait extrêmement tolérant pour les constructions à faire sur les terrains militaires et que lorsque l'enceinte actuelle sera suffisamment affaiblie pour rendre nécessaire une nouvelle enceinte, on la fera.

On invoque sérieusement cet argument en faveur de la petite enceinte ; je dis qu'il est impossible d'en produire un plus fort contre le projet de loi.

Comment ! il y a aujourd'hui des constructions considérables autour de l'enceinte, et on dresse en moyenne 500 procès-verbaux pour contraventions aux servitudes militaires. Lorsqu'il n'y aura plus de menace de procès-verbaux, il y aura 2,000 contraventions impunies, et votre grande enceinte sera complètement couverte de constructions.

De deux choses l'une : ou tous les hommes qui ont fait les lois sur les servitudes militaires, et tous les hommes qui ont construit des forteresses, sont dans leur tort, ou bien il faut admettre que les abords d'une forteresse doivent être libres.

Vous maintenez cette enceinte. Il y a une loi qui défend d'y faire des constructions et vous allez user d'une telle tolérance, que votre enceinte ne sera plus rien. Voilà la conséquence logique de votre projet de loi.

Je ne comprends pas bien si les servitudes militaires seront abolies de fait dans la zone de la grande enceinte et aussi dans la zone des nouveaux forts, ou bien si on ne tolérera l'infraction de la loi que dans la zone de la grande enceinte.... (Interruption.) Je demande qu'on m'interrompe le moins possible, car je désire rester calme. On ne les tolérera que dans la zone de la grande enceinte. Voilà maintenant un pays singulièrement gouverné. Il y a dans la Constitution un article portant que nul ne peut être dispensé de l'exécution des lois ; eh bien, dans la zone militaire de la grande enceinte d'Anvers, on pourra bâtir comme on voudra, bien qu'une loi l'interdise ; mais à 2,000 mètres plus loin, il y aura procès-verbal et condamnation. Exécuter la loi de cette manière en Belgique, froisserait tous les sentiments de justice et d'équité dont sont animées nos populations.

Lorsque vous aurez aboli les servitudes militaires dans la zone des fortifications d'Anvers, je vous défie de les faire respecter à Mons, à Namur, à Charleroi, partout où existe une charge énorme pour les propriétés qui entourent les forteresses.

Quelle est la conséquence ultérieure du raisonnement qu'on nous fait ? C'est de prouver que, dans un avenir très prochain, le déplacement de la grande enceinte est inévitable. Quel sera cet avenir ? Sera-ce 5 ou 10 ans ? Mais déjà de l'avis des hommes spéciaux, l'enceinte actuelle n'est-elle pas suffisamment affaiblie pour qu'on doive la déplacer ? Voilà la seule question.

Cette question a une portée immense. Si en effet il est démontré que sous le régime du projet de loi le déplacement de l'enceinte est inévitable, il est évident pour moi qu'en adoptant le projet, sous une apparente économie vous consacrez le principe d'une dépense dont la portée est incalculable.

En effet, quelle est la position actuelle, et quelle sera la position, le lendemain du jour de l'adoption du projet de loi ?

La position actuelle est celle-ci ; le gouvernement dit à Anvers : « Intervenez dans la dépense, puisque vous avez un intérêt. » Et le gouvernement obtient cette intervention. Car, messieurs, quand Anvers écrit : « Dites-moi combien de millions je vous dois pour que vous me protégiez contre un bombardement ! » on ne peut pas faire une offre plus large que celle-là.

(page 1134) Mais supposons maintenant que conformément à l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, on permette de bâtir autant qu'on voudra ; quand ces constructions auront complètement offusqué et stérilisé l'enceinte actuelle, la ville d'Anvers sera parfaitement désintéressée dans la question ; il sera parfaitement inutile de lui demander un concours pécuniaire quelconque. Elle dira : Je me suis étendue ; je n'ai plus d'intérêt à m'étendre par là ; c'est au point de vue de la seule défense qu'on doit déplacer l'enceinte actuelle.

Il y a autre chose encore. Si l'on doit déplacer l'enceinte actuelle, il est quasi certain pour moi qu'une grande partie de ce qu'on va faire en vertu du projet de loi, s'il est adopté, sera fait en pure perte. Je vais m’expliquer.

J'ai été gouverneur d'Anvers pendant un an ; je connais les localités ; je vais tâcher de bien établir ce point.

Ou parle toujours d'agrandissement au nord, de petite enceinte et de grande enceinte ; et bien, je dirai encore : Sauvez-vous de l'équivoque.

L'agrandissement au nord dans certaines limites est utile, mais l'agrandissement au nord dans les limites que le gouvernement lui donne, est une chose sans valeur, sans signification, si l'enceinte cet agrandie. Il s'agit de s'étendre sur un espace extrêmement étendu dans les polders.

Si les intérêts pouvaient se caser dans les autres parties du territoire d'Anvers, il ne faudrait pas faire le couronnement du fort du nord, et un développement immense des forts.

A ne voir que l'intérêt public, il suffirait de faire une enceinte qui comprît les nouveaux bassins. Pour ceux qui connaissent les lieux, je n'hésite pas à dire que ce point doit être de la dernière évidence. Au point de vue des intérêts de la population, une très grande partie de la dépense qu'on va faire là serait inutile le jour où l'on déplacerait l'enceinte.

Mais, messieurs, autre incertitude, car s'il m'est permis d'employer cette comparaison, on vous propose une équation dont toutes les données sont des inconnues.

Nous allons déterminer la construction d'une nouvelle ligne de forts qui vont coûter quelques millions ; mais je ne compte pas les millions, je ne vois que l'intérêt général de la défense, je ne m'occupe pas de l'intérêt financier. Nous allons construire des forts et les placer à certains endroits, sauf à faire plus tard la grande enceinte avec laquelle ils devront se relier, mais nous ne savons pas bien à quel endroit nous établirons cette grande enceinte, si ce sera un peu plus loin ou un peu plus près de la ville ; nous allons faire les forts en avant de l'enceinte ; mais pour déterminer l'emplacement des forts que l'on va faire, pour savoir s'ils seront bien placés, si quelques-uns ne deviendront pas inutiles, il faut savoir où sera l'enceinte.

Est-il un militaire qui puisse affirmer ne sachant pas où sera le corps de la place, où devront être établis les forts avancés ? Voilà une chose nouvelle qu'il s'agit de voter ; pour moi je ne le puis pas.

Dans la séance d'aujourd'hui, nouvelle cause de perplexité. Le commissaire du Roi nous a dit que les bombardements pouvaient se faire à 3.400 et quatre mille mètres. Je prends la carte et j'examine la distance ce qui sépare le port qu'il s'agit de construire des bassins, et je trouve 2,600 mètres. En réalité nous construisons ce fort de manière à permettre à l'ennemi de se placer à une excellente portée pour bombarder les bassins.

Voilà le fait qui ressort de la discussion d'aujourd'hui ; c'est que les forts ne sont pas placés de manière à éloigner de cette partie de la ville des chances de bombardement.

Quelques-uns d'entre nous ont pu voir de Bruxelles en 1830, selon l'expression d'un de nos meilleurs historiens, une lueur rougeâtre à l'horizon au nord, mais Anvers est la seule ville qui ait vu de notre temps ce que c'est qu'un bombardement ; elle a la connaissance pratique du bombardement.

On conçoit qu'elle vienne dire : Arrangez-vous de manière que nous ne soyons pas écrasés par les bombes.

Nous nous avons payé les dégâts faits sur notre territoire ; nous avons, je l'ai dit alors, posé un principe très encourageant pour tous les bombardements futurs. J'étais jeune alors, j'ai combattu et j'ai été battu, ce qui m’arrive encore quelquefois.

Que vais-je conclure ? qu'en établissant le système que propose le gouvernement nous n'avons pas de garantie militaire suffisante, et sous le rapport financier nous n'avons qu'une garantie négative, c'est-à-dire que si le projet est adopté je n'hésite pas à faire cette prophétie qu'avant cinq ans on viendra nous demander l'agrandissement général, soit l'enceinte Keller, soit une enceinte intermédiaire, mais le déplacement de l'enceinte actuelle, après avoir consacré beaucoup d'argent à d'autres travaux devenus inutiles.

De plus, cette grande enceinte vous la payerez seuls, parce que vous serez seuls intéressés à ce qu'elle se fasse.

J'arrive à une nouvelle cause d'incertitude. On nous parle sans cesse du projet Keller. Tout à l'heure encore M. le commissaire du Roi, dont je ne veux pas usurper les attributions en vous parlant stratégie, pourfendait le projet Keller.

Dans ma conviction, disait-il, il y a un projet intermédiaire pouvant assurer efficacement la défense d'Anvers, mais le tracé n'est pas déterminé. Malgré cela, on veut faire les forts qui doivent en défendre l'approche. Voilà la position qu'on veut nous faire.

S'il est démontré que le déplacement de l'enceinte doit avoir lieu dans un temps rapproché et qu'il se fera alors à nos frais, je demanderais à la Chambre, quand nous en serons à cet article de la loi, de ne pas employer tous les excédants des budgets des exercices 1859 à 1864, de laisser ces ressources disponibles, car cela nous coûtera extrêmement cher

On vous a fait l'historique de la transformation des projets et même l'historique des opinions ; il y a un fait qui me frappe, c'est que nous sommes, dans les dépenses militaires, continuellement dans la position d'un homme à qui on dirait : Mettez votre doigt dans l'engrenage de cette machine et ne réfléchissez pas au reste ; il en est résulté que nous y sommes passés tout entiers.

Ce fort n°4 qu'il s'agit de démolir, plusieurs soutiennent qu'il ne pouvait servir qu'à tirer sur les autres et pas sur l'ennemi ; il représente plus d'un million ; s'il était à faire on s'en abstiendrait.

Il y a ensuite les petits fortins ; quand nous avons voté cela, c'était un grand projet, magnifique, redoutable.

Aujourd'hui on trouve que ces fortins n'ont pas grande valeur. Je crois que si c'était à recommencer on les ferait autrement. J'en trouve la preuve dans les conditions dans lesquelles on veut en construire d'autres ; on les fait plus respectables, ils seront susceptibles de recevoir dix-huit cents ou deux mille hommes au lieu de 600.

Des militaires disent que de petits fortins comme ceux-là ne seraient qu'un déjeuner pour une armée.

Que conclure de tout cela ? Que dans la circonstance actuelle, avant d'engager de nouveaux millions il faut demander à bien connaître tout le système et être bien certain qu'à la suite de cette lettre il n'y aura pas un post scriptum beaucoup plus long que la lettre même.

Maintenant l'honorable ministre des finances dans la séance d'hier nous a dit : L'agrandissement de l'enceinte, c'est un système diamétralement opposé à celui que nous venons soutenir.

Nous voulons un système qui permette à l'armée de couvrir le pays, nous ne voulons pas qu'elle se retire lâchement derrière les murs d'une forteresse.

M. le commissaire du Roi nous a dit : Après de nouvelles études, on pourra construire une enceinte intermédiaire ; M. le ministre de l'intérieur a dit que les mesures étaient prises de façon que les travaux proposés fussent un acheminement prochain vers la grande enceinte.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans quinze ans.

M. Malou. - Qu'est-ce que 15 ans dans la vie d'un peuple ? Vous avez été trop loin ; vous avez dit que la valeur de l'enceinte actuelle est considérablement diminuée, eh bien, que sera-ce quand on ne fera plus 500 procès-verbaux par an contre les constructeurs, qu'ils auront pleine liberté ? Il ne se passera pas cinq années avant que tous les militaires viennent vous dire que l'enceinte actuelle n'est plus défendable un seul jour.

Et que faut-il pour qu'on vienne déclarer cela ? Il faut la rupture, entre les opinions des militaires, de l'équilibre qui existe aujourd'hui. Il faut qu'au lieu d'être 5 contre 5 et une abstention, il y en ait 6 contre 5.

Le jour où cela arrive, on vient vous demander la grande enceinte et l'on vous prouve, par l'expérience de tous les pays qui ont maintenu libres les abords de leurs places, que l'enceinte espagnole d'Anvers n'est plus défendable, qu'il faut en faire une autre. En effet, messieurs, voilà encore une logique tout à fait nouvelle. Je vous demande pourquoi vous supprimeriez les servitudes militaires, pourquoi vous laisseriez bâtir jusque sur les glacis d'Anvers, alors que vous défendriez de bâtir partout ailleurs ?

Je vous demande la raison du maintien général des servitudes militaires si ce n'est que, pour défendre une plate forte, il faut que les abords en soient libres.

Ce sont là des faits. Il ne faut pas être militaire, il ne faut pas avoir fait la grande ni la petite guerre, il ne faut pas même être caporal pour savoir cela.

Il faut voir ce qui existe dans le monde, ce qui existe partout, ce qui a sa raison d'être dans la nature des choses.

Quant à la question du concours, un honorable ami me le rappelle, mais elle a été posée hier par la lettre du conseil communal d'Anvers.

Messieurs, il y a dans notre législation deux principes, dans l'on s'accomplit et dont l'autre ne s'accomplit pas.

J'appelle encore un instant l'attention de la Chambre sur ce point. Nous avons dans notre législation la loi de 1807 en vertu de laquelle, lorsque des travaux d'utilité publique donnent une plus-value à une (page 1335) propriété, le propriétaire doit une partie de cette plus-value. Nous avons notre loi sur l'expropriation en vertu de laquelle lorsque nous donnons une moins-value à une propriété par des travaux publics, nous payons au propriétaire cette moins-value. Cette seconde loi s'exécute très bien, très convenablement, mais la première, on ne l'applique pas.

Je sais que lorsqu'on a voulu l'appliquer dans notre pays (car la contribution des propriétaires riverains du canal de la Campine n'était autre chose qu'une application de la loi de 1807) on a rencontré de grandes difficultés ; et cela se conçoit.

La plus-value donnée à ces propriétés n'était pas considérable, ce n'était pas créer immédiatement une très grande valeur. Mais à Anvers, si l'on déplaçait l'enceinte, le résultat serait complètement différent. Au lieu d'avoir dans une ceinture de 600 mètres, à partir du pied des glacis d'Anvers, des terrains où il est légalement défendu de bâtir, quoique l'on y bâtisse, lorsque vous auriez des terrains à bâtir qui acquerraient immédiatement une valeur peut-être décuple de ce qu'elle est aujourd'hui, dans un pareil cas, ne serait-il pas bon d'examiner, non pas s'il serait juste, cela n'a pas besoin d'examen, mais s'il ne serait pas possible d'obtenir un concours financier efficace, pour des travaux qui ont de tels résultats à l'égard de la propriété privée ? Je dis que cela est digne de l'attention de la Chambre, de l'attention du gouvernement.

Messieurs, j'ai hâte de terminer, je crains de faire un trop long discours ; je n'ajoute qu'un seul mot. M. le ministre de l'intérieur nous a invités à user de beaucoup de sincérité dans ce débat. J'espère qu'il sera content de moi.

M. Orts. - L'honorable M. Malou vient de terminer son discours en demandant à M. le ministre de l'intérieur un satisfecit ou un certificat de sincérité. Si M. le ministre de l'intérieur s'était levé immédiatement pour le lui donner, je dois dire à mon honorable collègue et ami M. Malou que j'y aurais fait une petite opposition et je l'aurais motivée sur ceci : L'honorable M. Malou a prononcé un discours très spirituel, comme tous ceux qu'il nous a habitués à entendre depuis que nous siégeons dans cette Chambre, et le but de ce discours, il l'a laissé entrevoir. Mais il a supprimé la conclusion de son discours qui aurait clairement dévoilé ce but à l'attention de la Chambre.

Voilà ce qui m'empêcherait d'octroyer à l'honorable membre le certificat de sincérité qu'il demandait dans sa péroraison.

M. Malou. - Mon but, c'est l'ajournement.

M. Orts. - L'honorable M. Malou me dit : Mon but c'est l'ajournement. Il ne nous l'avait pas dit, avant que je l'y eusse provoqué. Etait-ce une erreur, était-ce une omission ? Mais enfin erreur ne fait pas compte ; nous savons maintenant à quoi nous en tenir ; l'honoraire M. Malou veut l'ajournement.

A cet égard, je ferai à la Chambre une seule observation. Je me défie énormément dans cette question des ajournements, non seulement parce qu'en ajournant nous perdons du temps qui est de l'argent, mais encore parce que, outre cet argent de convention qu'on appelle le temps, je vois la question, à mesure qu'on l'ajourne, nous faire perdre un argent plus matériel et plus sensible pour tout le monde.

En effet, messieurs, la question des fortifications d'Anvers n'a fait que croître comme question financière depuis qu'il s'agit de la résoudre. L'honorable comte de Renesse vous a fourni le compte financier de la question des fortifications d'Anvers depuis la première fois qu'elle a été sérieusement introduite jusqu'aujourd'hui.

Ce compte financier, en le mettant en rapport avec les ajournements, nous dit que l'ajournement d'un premier projet en 1855 a amené une augmentation dans la dépense proposée de cinq millions, s'élevant à 17 millions ; qu'un second ajournement de ces 17 millions en 1856 amena la majoration d'aujourd'hui ; c'est-à-dire qu'au lieu de 5, puis de 17 millions on vous en demande 25. Voulez-vous un troisième, un quatrième ajournement qui nous fera arriver au projet de la grande enceinte avec 45, 50 ou 60 millions de dépense ? Voilà la question que pose M. Malou.

C'est pour éviter ce danger, messieurs, que je combats la proposition d'ajournement, et c'est pour éviter ces dépenses et d'autres, non moins insoutenables pour le pays, que je voterai très consciencieusement et avec la conviction de bien voter dans l'intérêt général, en faveur du projet du gouvernement.

L'honorable M. Malou croit qu'il faut ajourner parce que rien n'est clair, rien n'est connu, rien n'est compris. On ne voit dans cette discussion ni logique ni fermeté d'opinion. Il n'y a qu'erreurs, arguments contradictoires, même chez ceux qui prétendent défendre la même opinion. La question du concours n'est pas résolue. La question de l'utilité du système de défense à appliquer, de faire d'Anvers notre place de refuge, cette question même n'est pas suffisamment claire pour l'honorable M. Malou.

L'honorable M. Malou regrette que par ce système on exclue la défense de la capitale. Cette question n'est pas mieux éclaircie ; il ne faut pas la préjuger. Donc il faut ajourner.

L'honorable M. Malou oublie une chose en énumérant les questions qu'il a indiquées à l'attention de la Chambre au début de son discours ; mais s'il est des questions intéressant notre défense militaire, et qui sont complètement étudiées, et complétement résolues, ce sont celles-là précisément que cite l'honorable membre. Je m'étonne que l'honorable M. Malou s'aperçoive aujourd'hui pour la première fois qu'elles ne sont pas étudiées, alors qu'elles ont été en grande partie résolues avec le concours de la majorité qui avait son appui, avec le concours de l'opinion dont l'honorable M. Malou est un des chefs.

La question de la défense de la Belgique reposant sur l'idée mère de faire d'Anvers une place de refuge, d'abandonner cette ligne de forteresses dans les Flandres dont nous parlait avec regret l'honorable M. Malou, de laisser la capitale en dehors des établissements militaires du pays, cette question a été résolue depuis qu'est connu le travail de la commission mixte de 1852, depuis que ce travail a été accepté par tous les partis, depuis qu'un budget normal de la guerre a été présenté, soutenu, défendu car tous les ministères qui se sont succédé au pouvoir depuis 1850. Ce budget, cette organisation de l'armée de 1853 que l'honorable M. Malou n'a pas combattu, je crois, tout cela n'a-t-il pas été combiné avec l'idée de conserver les seules forteresses que le gouvernement conserve, de faire d'Anvers la place de refuge et de ne pas fortifier la capitale ; de supprimer les petites forteresses qui longeaient la frontière séparant la France des Flandres ? Et que l'honorable M. Malou se rassure quant à ce dernier détail. C'est après avoir mûrement réfléchi à l'intérêt des Flandres, que cette décision a été prise. Rappellerai-je à l'honorable M. Malou que, dans le système défensif où doivent venir s'encadrer les fortifications projetées d'Anvers, l'envahissement des Flandres serait la plus grande folie, la plus grande ineptie qu'un général ennemi pût commettre ?

L'envahisseur serait placé entre une ligne de forteresses conservées, la ligne de l'Escaut formée par Tournai, Audenarde, Gand et Termonde d'une part et la mer de l'autre pour aboutir, où ? A la frontière zélandaise ! Jamais la Belgique n'a été sérieusement attaquée de ce côté, si ce n'est au début des guerres de la révolution en 1792, et c'est là que l'armée française a été la seule fois battue à la fin du siècle dernier lorsqu'elle a franchi la frontière bege.

On se souvient de la retraite de Luckner.

Je conviens avec M. Malou que le système défensif du pays ne peut pas être exclusivement combiné a priori ; que la défense du pays, malgré les combinaisons les plus savantes faites a priori, sera toujours déroutée par ce qu'organisera la puissance qui nous attaque.

Cette puissance combine ses moyens d'attaque en vue de la combinaison des moyens de défense arrêtés à l'avance. Qui le nie ?

Mais si c'est là une raison pour ne plus rien organiser en matière de défense, pourquoi M. Malou ne s'est-il pas levé en 1853 pour dire au pays :

Il est inutile d'organiser une force militaire et un système défensif. Laissons tout simplement la carrière ouverte aux événements comme on nous attaquera, nous nous défendrons ? L'improvisation suffira pour sauver la patrie.

Notre système défensif a été mûrement réfléchi, il a obtenu l'assentiment de la législature, l'assentiment du pays, l'assentiment des hommes compétents ; il ne s'agit plus aujourd'hui que d'un détail pour le compléter... Examinons ce détail ; apportons la dernière pierre à l'édifice, puis reposons-nous sur le courage de l'armée, sur le patriotisme des citoyens pour maintenir et défendre une œuvre si consciencieusement établie.

Le principe de la concentration paraît aujourd'hui, dit M. Malou, généralement admis. II nous fait au moins cette concession. Je crois en effet ce principe généralement admis, puisque nous discutons aujourd'hui, du moins quant à présent, sur une seule question, celle de savoir si la place de refuge aura une étendue 4 ou 5 fois plus considérable dans un système, celui de la section centrale, ou 4 ou 5 fois moins considérable dans le système du gouvernement.

Je dis jusqu'à présent, car si j'ai entendu émettre l'opinion que l'on pouvait substituer à cette place de refuge une autre, la capitale par exemple, aucune proposition nette n'est encore formulée, le système n'est pas en discussion.

On nous demande de voter contre le système du gouvernement.

Si nous cédons à cette invitation de la section centrale, nous préjugeons peut-être un peu grâce aux motifs de son rapport, nous préjugeons peut-être un peu en faveur de la grande enceinte, mais rien ne pourrait être inféré de notre vote, en faveur des fortifications de Bruxelles.

Et qu'on ne croie pas, par parenthèse, que si j'appuie le projet du gouvernement c'est parce que j'ai grand-peur de ce projet dont nous ont menacés quatre membres de la section centrale et qui consiste à fortifier Bruxelles.

D'une semblable peur ne dépend pas mon vote. En voulez-vous la preuve ? En 1852, j'avais l'honneur de faire partie de la commission mixte. L'idée de fortifier Bruxelles fut émise, et l'un des premiers, j'attirai l'attention de la commission sur la possibilité de la réaliser.

Cette perspective ne m'effrayait pas le moins du monde, elle n'effrayait pas davantage mes concitoyens. Pour fortifier Bruxelles, place de refuge ,il faudrait construire une enceinte analogue, pour la distance qui la séparerait des agglomérations actuelles, à l'enceinte continue de Paris. Pareille ceinture n'est guère gênante.

J'avais même une espèce d'intérêt personnel, local plutôt, à l'exécution de ce projet : j'étais à cette époque partisan d'un rêve aujourd'hui dans les nuages, c'est là réunion des faubourgs, et je rêvais la réunion (page 1336) des faubourgs, réalisée gratis pour Bruxelles avec un mur d'enceinte aux frais du gouvernement.

Si maintenant je me rallie au projet du gouvernement, on le croira, j'espère, le motif de mon appui n'est pas mon mandat de député de Bruxelles, ou la crainte de voir fortifier la capitale.

Bruxelles mis de côté, on est à peu près d'accord, d'après M. Malou, pour accepter Anvers. Mais, ajoute M. Malou, d'accord sur le but, on n'est plus d'accord sur les moyens, on présente des systèmes de concentration à Anvers qui sont appuyés par 5 autorités militaires, repoussés par cinq autres et à l'égard desquels le onzième membre s'est abstenu. On cache les noms ne ceux qui ont voté ; nous voudrions nous décider d'après l'autorité des noms, les noms sont soigneusement mis sous le boisseau par le gouvernement. Les autorités dont la valeur scientifique doit déterminer nos convictions, nous ne les connaissons pas ! Le débat s'obscurcit devant la Chambre par le fait des défenseurs du projet ministériel ! Ils ne sont pas d'accord entre eux ; l'un présente des motifs contradictoires avec les raisons données par l'autre !

Je vous avoue, messieurs, que cette analyse de la préparation comme des débats de la loi, faite par M. Malou, me semble quelque peu exagérée. Je m'expliquerais difficilement comment cette exagération se concilie avec la netteté habituelle d'appréciation qui distingue l’esprit de l'honorable membre, si lui-même ne s'était chargé de fournir l'explication. Vous vous souvenez, messieurs, que précisément au moment où il caractérisait ainsi le débat, l'honorable M. Malou a exprimé le désir d'être calme à M. le ministre de l'intérieur qui l'interrompait. L'honorable M. Malou n'était probablement plus calme en ce moment-là.

M. Malou. - Je n'ai pas dit : être calme, j'ai dit : rester calme.

M. Orts. - Tout au moins votre came était bien près de vous échapper...(interruption) puisque vous éprouviez le besoin de veiller à sa conservation.

Avouez, mon honorable collègue, qu'il n'y avait pas, au bout du compte, de quoi se fâcher dans cette question-là.

Maintenant, messieurs, tous ces doutes existent-ils ? N'est-on pas d'accord sur la valeur défensive des systèmes parmi ceux qui demandent à la Chambre de voter le projet du gouvernement ? Nulle part, je ne vois de désaccord, on nous l'affirme très positivement : les combinaisons stratégiques du système sont bonnes.

Et qui l'affirme ? Précisément les hommes qui seuls parmi les défenseurs des différentes opinions engagées dans ces débats, affirment qu'ils sont prêts à prendre la responsabilité de leur opinion et à la traduire en actes.

Cette situation du gouvernement me frappe et mérite l'attention de la Chambre. On oppose quoi au projet du gouvernement ? Des doutes, des critiques. Mais on n'ose pas venir dire : ces doutes, ces critiques, je les traduis en projets contraire, et je prends la responsabilité devant le pays de l’exécution de ces projets.

Le gouvernement, lui, prend cette responsabilité ; l'homme distingué que le gouvernement est à dû prendre pour l'appuyer dans la défense de sa thèse, sera peut-être appelé un jour à maintenir l’épée à la main, les paroles qu'il prononce aujourd'hui devant la Chambre. Cette position, il l'accepte sans hésiter ; il vous l'a dit tout à l’heure dans de nobles et sympathiques paroles. La responsabilité devant laquelle personne ne recule au banc ministériel est pour moi d'une très grande importance.

Elle prouve que le projet a été sérieusement étudié, car le projet émane d'hommes que je considère comme aussi sérieux que patriotiques.

L'honorable M. Malou disait, au début de son discours, que les questions militaires sont des questions nationales, qu'elles se placent au-dessus des questions de parti ; le cabinet comprend et pratique cette vérité ; nouvelle garantie pour moi du caractère consciencieux et réfléchi de son projet.

Au point de vue du ministère, la question d'Anvers est essentiellement une question nationale, l'accomplissement d'un impérieux devoir vis à vis du pays.

En présentant son projet, le ministère n'a pas recherché la popularité ; il ne flatte, pour la conquérir, ni l'opinion publique, ni une maj rite parlementaire ; le cabinet sait qu'il a pris sur lui une tâche difficile à remplir, en attendant une tâche plus lourde, plus difficile encore, l'exécution au moment du danger.

Le système de défense propose, dit l'honorable M. .Malou, se contredit en un premier point. On veut protéger la population d'Anvers contre les dangers d'un bombardement, et le premier résultat de ce projet c'est de placer la population protégée entre deux lignes de feux, au lieu d'une.

Mais l'honorable M. Malou qui connaît, dit-il, les localités, puisqu'il a été gouverneur d'Anvers, n'a pas vu sans doute, depuis l'époque de son gouvernement, Anvers et ses fortifications ; s'il les avait revues, ne fût-ce que sur la carte, l’honorable M. Malou, aurait reconnu que le danger qu'il craint existe et que l'ajournement, le maintien du statu quo, place la population d'Anvers dans la situation déplorable qui excite si fort sa sensibilité.

Que demande le gouvernement, au contraire ? Il demande qu'on reporte en avant de cette population, une ligne de défense suffisamment importante pour écarter d'elle jusqu'au danger d'un bombardement, Voilà le résultat que le gouvernement affirme ; et le gouvernement, pour l'affirmer, se fonde, non pas sur des doutes, sur des critiques qu'on ne traduit pas en propositions, mais sur l'avis des hommes compétents qu'il a consultés. L'honorable M. Malou continue :

« Le projet actuel est présenté, parce que l'enceinte défensive d'Anvers a perdu de sa valeur ; et pourquoi a-t-elle perdu de sa valeur ? Ou a bâti dans le rayon stratégique : ces bâtisses ont amoindri la force de sa défense. Et que propose le gouvernement ? De conserver ce système de tolérance, à l'égard des constructions à bâtir dans le rayon stratégique. Quelle contradiction ! »

L'honorable M. Malou aurait raison si le gouvernement ne complétait pas son œuvre en reportant en avant sa ligne de défense ; mais précisément parce que la tolérance qui règne aujourd'hui est un danger, le gouvernement avance la ligne de défense. Lorsque le projet du gouvernement sera exécuté, qu'on bâtisse un peu plus dans le rayon stratégique actuel, c'est-à-dire en arrière de la ligne de défense principale, qu'au lieu de 500 constructions, on en fasse 2,000, le danger sera évidemment moindre.

Du reste, que l'honorable Malou se rassure sur les constructions et sur la tolérance que le gouvernement a montrée et montrera encore.

Le gouvernement n'a pas dit qu'il avait laissé bâtir, en acquit de cette tolérance, d'une manière indéfinie, partout et toujours ; le gouvernement a promis une chose : c'est la continuation de ce qui se fait aujourd'hui.

Or ce qui se fait aujourd'hui consiste à tolérer les constructions là où le danger ne fait pas au gouvernement le devoir de les interdire d'une manière absolue. Le gouvernement modifie la rigueur de la loi, il ne la supprime pas ; il fait bien, car d'après les autorités les plus compétentes dans cette matière, le système des servitudes militaires n'exige plus aujourd'hui une rigueur aussi considérable que celle dont il s'agissait autrefois.

Dans les rayons stratégiques des fortifications de Paris, il est permis de bâtir, si je ne me trompe, a 250 mètres, et des sommités de la science, des ingénieurs militaires, Paixhans entre autres, ont enseigné même que pour une fortification de ce genre, il suffisait d'une interdiction de bâtir dans un rayon de 100 mètres. (Interruption.) L'honorable M. Malou a proclamé que continuer de permettre à bâtir, comme on le fait aujourd'hui, constituait un danger immense pour le pays ; qu'au lieu de 500 contraventions, dressées aujourd'hui, il y en aura 2,000 qui resteront impunies, que la valeur défensive de la place en sera singulièrement amoindrie, et qu’il ne fallait pas même être caporal de n'importe quelle arme pour se former une opinion à cet égard.

L'honorable M. Malou est allé plus loin. Il a présenté, quant au concours financier, un argument beaucoup plus adroit en faveur de sa proposition d'ajournement.

M. Malou. - Je n'ai pas fait de proposition d'ajournement.

M. Orts. - En faveur des motifs de la proposition d'ajournement qu'il n'a pas faite. (Interruption )

Que l'honorable M. Malou se rassure ; s'il ne formule pas lui-même sa proposition, il a suffisamment dû voir qu'elle était dans l'air. J'ai la conviction intime qu'après le discours de l'honorable membre, la proposition arrivera. J'ajouterai que si l’honorable M. Malou n'avait pas eu cette certitude, comme moi, il n’aurait pas pris la peine d'étudier aussi sérieusement la question des fortifications d'Anvers au point de vue de l'ajournement.

Aujourd'hui, dit encore l'honorable M. Malou, la ville d'Anvers offre son concours. Elle a un grand intérêt financier dans la question, et cet intérêt l'amènera à consentir à un sacrifice.

Si nous laissons les choses dans l'état où le gouvernement veut les laisser, si nous laissons continuer à bâtir autour de l'enceinte actuelle, Anvers va se développer entre les deux enceintes ; et dans 10 ou 15 ans, lorsque toutes les nouvelles constructions couvriront le sol, Anvers n'aura plus un grand intérêt à la chose ; Anvers ne voudra plus consentir à un sacrifice pécuniaire. Profitons du moment ; et faisons payer Anvers. Tel est le langage de l'honorable M. Malou.

Je ne sais si les représentants spéciaux des intérêts anversois sont bien de l'avis de l'honorable membre ; mais je doute que la ville d'Anvers, disposée à concourir de sa bourse, accepte la position que l'honorable M. Ma ou veut lui faire ; je doute qu'elle accepte avec empressement le rétablissement de la loi de 1807, proposé par l’honorable représentant d'Ypres a l'effet de faire payer les frais des fortifications par certains propriétaires à raison de la plus-value qu'acquerraient leur propriétés par le déplacement de l'enceinte.

Je réponds, pour ce qui me concerne, à l'honorable M. Malou : « Le danger que vous indiquez est imaginaire ; il repose sur une supposition inexacte, sur une croyance erronée. Que si la valeur défensive future de l'enceinte actuelle n'est pas amoindrie par la continuation de la tolérance que le gouvernement montrera pour les bâtisses, toute la supposition de l'honorable M. Malou vient à tomber. Or, je crois avoir démontré déjà la réalité de cette hypothèse.

Mais supposez que je me trompe, ce qui est très possible en matière stratégique, Anvers se développe librement en dehors de l'enceinte actuelle.

(page 1337) On éprouve le besoin, au point de vue de la défense nationale, de détruire cette enceinte, croyez-vous sérieusement qu'Anvers sera désintéressé à démolir ses remparts actuels ? qu'elle ne fera pas un sacrifice pécuniaire pour obtenir ce résultat ? Examinons la situation. Une nouvelle ville s'est développée devant l'enceinte actuelle. E le est séparée de l'ancienne ville, à peu près comme Vienne l'est de ses faubourgs.

On offre de faire tomber la barrière et de la convertir en terrains à bâtir, et Anvers serait sans intérêt à l'opération !

On oublie la valeur de ces terrains, l'avantage immense que donnerait la conversion des remparts et des fossés en terrains à bâtir situés maintenant au centre d'une ville de 250 mille âmes au moins. L'intérêt privé commanderait les sacrifices d'argent non seulement à la commune anversoise, mais aux particuliers riches d'Anvers, en présence d'une semblable transformation.

Anvers aura toujours intérêt à ce qu'on fasse disparaître les remparts qui gênent son expansion, parce qu'Anvers aura toujours intérêt à se développer au centre et non pas à s'étendre à la circonférence. Le centre actuel de ses affaires ne peut se déplacer par caprice ou par mode comme en d'autres villes.

Le centre nécessaire d'Anvers est l'Escaut qui est la source de sa richesse ; c'est sur les rives de l'Escaut qu'Anvers commerçant doit continuer à se développer, ni au sud ni à l'est vous ne verrez se fonder des établissements commerciaux importants.

Les forts que l'on propose d'établir, ces forts sont encore l'objet de critique, leur utilité n'est pas démontrée par les diverses opinions. On a oublié, avant de le dire, de jeter les yeux sur le plan Keller et sur le plan du gouvernement ; si l'on avait au moins pris cette légère précaution, on aurait vu que les forts étaient utiles dans l'une et l'autre supposition ; placés où ils sont, ils seront plus rapprochés de l'enceinte si le projet Keller est adopté ; ils le seront moins, si la proposition du gouvernement passe. Voilà toute la différence. Ces forts offriront, il est vrai, d'autant plus de garantie contre les projectiles ennemis, qu'ils seront plus éloignés de l'enceinte. D'où la conclusion qu'entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale, il y a, quant aux forts, une différence. Les forts présenteront une plus grande utilité pour la ville si le projet du gouvernement est adopté, mais ils auront toujours leur utilité militaire, quelle que soit la combinaison qu'on admette.

Leur disposition est calculée à ce point de vue.

Les ministres, j'en suis persuadé, seront d'accord avec moi sous ce rapport. S'emparant d'une hypothèse de M. le commissaire du Roi, on a dit : Une enceinte intermédiaire est dans les intentions de M. le général Renard, on ne la connaît pas, on ne peut conjecturer où elle serait platée. Nouvelle raison pour ajourner. Mais cette enceinte, puisqu'on l'appelle intermédiaire, on avoue qu'elle sera établie entre l'enceinte Keller et l'enceinte existant aujourd'hui, cette enceinte, puisqu’elle serait intermédiaire, serait plus éloignée des forts que l'enceinte du projet Keller et elle le serait moins que celle qui est conservée par le projet du gouvernement. Quelle influence ce fait pourrait- il exercer sur la question des forts ?

Voilà les arguments présentés par M. Malou en faveur de la proposition d'ajournement réduits, ce me semble, à leur juste valeur. La Chambre appréciera.

Maintenant deux mots sur les motifs qui, indépendamment du discours de M. Malou, lequel m'a engagé à prendre la parole, sur les motifs qui me déterminent à me prononcer en faveur du projet du gouvernement. Je voterai pour ce projet par une raison indiquée déjà par M. Lelièvre. Je ne crois pas à la possibilité du maintien du statu quo à Anvers. L'intérêt national ne permet pas de laisser en l'état où elle se trouve, la défense militaire d'Auvers, l'intérêt de son commerce, de sa population exigent qu'on fasse quelque chose.

Personne ne voudrait assumer la responsabilité du maintien du statu quo. Il faut agir. Le gouvernement, sous sa responsabilité, présente un système de défense qu'il proclame bon, et il prend la responsabilité de l'exécution ; la section centrale expose, mais ne propose pas un projet plus vaste que le gouvernement reconnaît admissible au point de vue militaire, ce qui prouve que le cabinet n'apporte dans la question ni amour-propre ni passion, le gouvernement proclame qu'il est possible que la grande enceinte satisfasse aux besoins de la défense ; il promet de l'étudier, à ce point de vue.

Ces études démontreront, j'en suis convaincu, peut être que la grande enceinte est bonne au point de vue militaire absolu, mais qu'elle constitue un système pour lequel la Belgique ne possède pas une force suffisante d'exécution. Il ne suffit pas à une nation qui entend se défendre par les armes de posséder, de réunir des machines de guerre imposantes et nombreuses, de vastes forteresses, de puissants armements. Il faut qu'au moment de se servir de cet attirail défensif le pays ne soit pas épuisé par les sacrifices faits pour le préparer et l'entretenir, épuisé au point de ne plus trouver en lui les forces nécessaires à l'usage des moyens préparés.

Dans ma conviction intime, le système défensif organisé par la loi de 1883, d'après lequel est fixé le budget de la guerre que personne de nous ne veut augmenter d'un centime, ce système ne pourra pas fonctionner régulièrement, et garantir les intérêts nationaux qu'il est destiné à sauvegarder, si l'on crée la vaste enceinte d'Anvers. Lorsque la section centrale, dont les termes prêtaient à l'équivoque, semblait nous dire que la grande enceinte devrait être défendue par toutes les forces militaires dont le pays pourrait disposer ; qu'il faudrait enfermer l'armée belge dans Anvers au premier coup de canon tiré à la frontière et ne pas l'en laisser sortir aussi longtemps qu'un ennemi serait sur notre territoire, je concevais la possibilité de défendre Anvers agrandi avec les moyens que la loi de 1853 met à la disposition du gouvernement ; mais ce rôle, peu digne de l'honneur militaire, personne ne l'a voulu pour notre armée.

La section centrale a déclaré hautement par l'organe de son honorable rapporteur, qu'elle ne voulait pas consacrer toutes les forces militaires de la Belgique à la défense de la ville d'Anvers, qu'elle ne voulait pas, après tous les sacrifices faits pour entretenir une armée, la mettre dans une boîte au moment du danger. Le système de la section centrale comporte donc le maintien d'une armée en campagne La section centrale compte faire autre chose de l'armée que de l'employer à la défense d'Anvers.

On veut la conserver mobile, à la disposition de son chef, pour opérer des retours offensifs contre l'ennemi, combiner même ses mouvements avec ceux d'une armée de secours.

Alors vous n'avez plus dans votre organisation militaire le nombre d'hommes nécessaire pour donner à la garnison de la place d'Anvers la force que son développement exige. M. le ministre de la guerre l'a reconnu au début de la séance.

La garnison permanente de la place d'Anvers, le système de la section centrale admis, exigera une augmentation d'hommes sortant des prévisions du personnel actuel de l'armée.

La loi de 1853 a été préparée de longue main, en vue d'une armée active de 60 mille hommes dont dix mille pris dans les garnisons des forteresses. La garde de ces dernières est réservée à 40,000 hommes dont 20,000 de réserve non soldée durant la paix.

Voilà comment est organisée notre défense militaire. Si les places exigent plus de monde pour leur garnison que ces prévisions, des deux choses l'une : ou vous devez enlever à l'armée active ce qui manque à la garnison d'Anvers, ce que personne ne veut ; ou il faut augmenter l'armée en temps de paix. Et cette augmentation entraîne un budget de la guerre plus considérable. Cela entre-t-il dans les intentions de qui que ce soit dans cette Chambre ?

On veut donner à l'enceinte d'Anvers cinq ou six fois plus de développement que n'en prévoit l'organisation militaire de 1853. Mais qu'est-ce que des murs et des fossés sans les hommes et même, eût-on les hommes, sans canons ? Savez-vous ce que vous devrez dépenser en achats de canons pour garnir ces remparts démesurés ? Qui oserait affirmer que votre matériel d'artillerie sera suffisant pour défendre la grande enceinte d'Anvers ? Personne.

On le dirait que je répondrais : Vous cédez à une de ces illusions si faciles chez les hommes de guerre, à une de ces illusions que nourrissent et entretiennent trop de gens qui croient que, dans un avenir plus ou moins éloigné, la Belgique pourra faire plus encore qu'elle ne fait aujourd'hui pour son état militaire. Illusion dangereuse pour le pays et que je veux détruire.

L'honorable M. Crombez, tantôt, motivait son opposition au projet de loi sur la prévision que s'il était adopté, notre état militaire devrait être maintenu.

Il ne veut pas consacrer par le vote du projet de loi du gouvernement le maintien de ce qui existe.

Moi, je veux le maintien de notre état militaire. J'ai concouru à l'établir, autant qu'il m'a été possible, pour une faible part, je le reconnais, comme membre de la commission mixte de 1852, comme membre de la Chambre ; je considère cet état comme le maximum des sacrifices que peut s'imposer le pays pour sa défense. Ce maximum, je le voterai toujours, mais je ne veux pas aller au-delà, et c'est parce que je vois derrière la grande enceinte d'Anvers un budget normal de 40 millions et une dépense extraordinaire d'armement de plus de 25 millions, que je vote le projet du gouvernement.

(page 1331) - La séance est levée à 4 heures et demie.