(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
()page 797) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)
M. Crombez fait l'appel nominal à 2 heures.
M. de Moor lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« La veuve du sieur Vandenhoeck, ancien cantonnier sur la route de Tervueren, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension ou une gratification. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Mazy demande la construction d'un chemin de fer de Louvain à Jemeppe, avec station principale à proximité de Mazy. »
M. Lelièvre. - J'appelle sur cette pétition l'attention particulière du gouvernement et celle de la commission. La demande est fondée sur les plus justes motifs, et il s'agit d'une œuvre d'utilité publique, vivement réclamée par de nombreuses populations.
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Resteigne demande la réforme de la loi sur la milice. »
- Même renvoi.
« Le sieur Scipion-Vincent Lorent, sous-officier au régiment des grenadiers, né à Lennick (grand-duché de Luxembourg), demande la grande naturalisation, si déjà la qualité de Belge ne lui est acquise. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Souverain-Wandre demandent la construction, dans le lit de la Meuse, d'une digue destinée à garantir leurs propriétés contre les envahissements de ce fleuve. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Savart et M. Thienpont présentent divers rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion du projet de loi sur les conseils de prud'hommes ; mais la section centrale n'ayant pas encore terminé l'examen de l'amendement de M. Muller, je vous propose, messieurs, d'entendre des rapports sur des pétitions.
— Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 9 mars 1888, le sieur Vergoeten demande une augmentation de pension ou un secours.
Le pétitionnaire est un militaire pensionné, veuf ayant trois enfants en bas âge ; sa pension s'élève à 250 francs ; il se plaint de ce qu'étant sans ouvrage en hiver, l'état de maçon qu'il exerce ne suffit pas pour lui procurer, ainsi qu'à sa famille, dus moyens d'existence ; c'est pourquoi il sollicite une augmentation de pension ou un secours.
Votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Mons, le 9 mars 1858, le sieur Vanaart, milicien de la classe de 1855, en congé jusqu'au 1er mai 1858, demande une prolongation de congé, s'il ne peut être libéré du service militaire.
Votre commission vous propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée d'Ixelles le 9 mars 1858, le sieur Baillieu, enseigne de vaisseau pensionné, demande la révision de sa pension. Le pétitionnaire jouit d'une pension de six cents francs qui lui a été accordée par arrêté royal du 21 novembre 1852, il invoque, à l'appui de sa demande en révision de pension, 25 années de service dans la marine, ses infirmités et l'impossibilité dans laquelle il se trouve de pourvoir à sa subsistance à l'aide de sa pension.
La Chambre n'étant pas appelée ni à même de juger du mérite de pareille demande, votre commission vous propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de St-Josse-ten-Noode, le 8 mars 1858, le sieur Gauret, ancien surveillant au chemin de fer de l'Etat et combattant de la révolution, demande à jouir des bénéfices de la loi du 27 mai 1856.
Le pétitionnaire, s'appuie, pour réclamer le bénéfice de la loi du 27 mai 1856 sur ce qu'il avait droit à l'obtention de la croix de Fer qui ne lui a pas été accordée par suite d'erreur et sur ce qu'il se trouve dans le même cas que plusieurs fonctionnaires du département des finances auxquels il a été fait application de la loi précitée ; il demande que la règle qui est suivie dans ce département le soit aussi au département des travaux publics.
Votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Lokeren, le 5 mars 1858, le sieur Verhaegen, ancien militaire, demande une augmentation de pension.
Le pétitionnaire fait connaître à la Chambre qu'il a été sous les drapeaux depuis 1814 jusqu'en 1856, époque où il a été atteint d'une ophtalmie, à la suite de laquelle il a perdu un œil et obtenu une pension de 283 francs ; que depuis lors il est atteint de cécité complète ; c'est à raison de cette aggravation survenue dans son état et ne pouvant subsister à l'aide de si modique pension, qu'il en sollicite la révision.
Votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition sans date, la dame Vandevelde, veuve du sieur Wouters, décoré de la croix de Fer, demande une augmentation de pension.
La pétitionnaire expose qu'elle jouit d'une pension annuelle de 75 fr., insuffisante pour l'aider à pourvoir à son existence, vu surtout son grand âge et ses infirmités ; elle sollicite par conséquent une augmentation de secours, qu’elle a vainement demandée jusqu'à ce jour au département de l'intérieur.
Votre commission, convaincue que M. le ministre de l'intérieur est mieux qu'elle en position pour apprécier le mérite de cette demande, vous propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée d'Hever, le 14 mars 1858, la dame Van Gysel prie la Chambre de maintenir la loi sur la milice et d'y introduire une disposition qui exempte pour un an le milicien dont le père est incapable de travailler et qui doit pourvoir à la subsistance de ses parents.
Votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Tournai, le 13 mars 1858, le sieur Dupont, ancien capitaine, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision de sa pension.
Le pétitionnaire expose que, par arrêté royal du 20 février 1855, sa pension fut liquidée conformément à l'article 20 de la loi du 24 mai 1838 et portée à 1,800 fr. ; le bénéfice de l'article 18 de la loi ne put alors lui être appliqué par le motif que l'affection dont il était atteint n'allait pas jusqu'à la cécité complète. Aujourd'hui son état s'est aggravé au point qu'il a perdu complétement l'usage de la vue.
Au lieu de réclamer il y a un an, alors qu'il se trouvait encore dans le délai voulu par l'article 42 de l'arrête royal du 19 août 1838, le pétitionnaire, ignorant qu'il existait un délai fatal pour cette sorte de réclamations et se berçant de l'espoir de voir améliorer son état, avait, par un sentiment de délicatesse, négligé de s'adresser au département de la guerre, qui actuellement lui oppose la déchéance encourue, en vertu des dispositions de l'arrêté royal prérappelé.
Votre commission comprend tout ce qu'il peut y avoir de pénible, pour l'intéressé, dans l'hypothèse que la forclusion qui le prive, en vertu de la loi, de l'augmentation de la pension à laquelle il croit avoir droit, l'a réellement atteint.
D'autre part, il lui semble difficile d'établir actuellement que la cécité complète dont est affecté le capitaine Dupont lui soit survenue dans les deux années soit à partir de sa mise à la retraite, terme exigé par la loi de 1838, pour que le bénéfice invoqué puisse applicable.
Toutefois, votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre de la guerre, afin qu'au besoin, la demande puisse être soumise à une nouvelle instruction.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée du 14 mars 1888, les sieurs Vandepitte, anciens militaires, demandent une pension.
Les pétitionnaires exposent qu'ils ont fait partie des corps francs qui ont combattu pour la cause de la révolution, et ont exposé leur vie pour la conquête de l'indépendance nationale ; ils joignent à leur demande plusieurs pièces qui établissent la vérité des faits sur lesquels ils se basent à l'effet de postuler une pension.
M. le ministre de l'intérieur ayant fait connaître à la Chambre son intention de s'occuper incessamment de la position des combattants de la révolution, vous propose de lui renvoyer la demande dont s'agît.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Lovendeghem, le 14 mars 1858,1e sieur Wiemé, ancien capitaine, demande une augmentation de pension.
Il se borne à dire qu'il a été officier de volontaires et combattant de 1830, et invoque, en outre, 36 années de service, campagnes comprises.
(page 798) Votre commission fait remarquer que le pétitionnaire jouit de la pension que la loi lui accorde et propose l’ordre du jour.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, 15 mars 1858, le sieur Van Oughem soumet à la Chambre un projet de règlement sur l'institution d'une caisse générale de secours en faveur des militaires qui servent pour un milicien.
Votre commission vous propose le dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
M. Tack, rapporteur. - Par pétition datée du 15 mars 18S8, le sieur Stiénon prie la Chambre d'apporter au paragraphe de l'article premier de la loi du 17 février 1849, sur les pensions civiles, une modification en faveur de ceux qui ont droit aux dix années de service accordées par la loi du 27 mai 1856.
Il résulte, d'après le pétitionnaire, de la combinaison du paragraphe 4 de l'article premier de la loi du 17 février 1849, avec les dispositions de la loi du 27 mai 1856, que celles-ci ne peuvent recevoir leur application entière, attendu qu'il n'a pas été dérogé par la loi nouvelle au maximum fixé par la loi de 1849.
Déjà Je sieur Stiénon s'est adressé à M. le ministre de l'intérieur, qui a déclaré qu'en présence des termes de la loi il ne pouvait accueillir sa demande.
Votre commission propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Ansiau. - L’honorable M. Jouret, dans une séance précédente, a cru devoir interpeller MM. les ministres, relativement à l'injustifiable lenteur que l'on apporte à transmettre les renseignements réclamés par la section centrale chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet le dégrèvement de péage, pour les charbons du Centre, sur le canal de Charleroi.
Il y a plus de trois semaines, messieurs, que cette interpellation a été adressée. Les choses n'ont pas fait un pas depuis lors : aucun renseignement n'a été fourni jusqu'ici, de telle sorte que les travaux de la section centrale se trouvent suspendus depuis plus de deux mois.
C'est là, me paraît-il, messieurs, un fait assez grave, et qui semblerait dénoter peu de souci et d'égards de la part du gouvernement lorsqu'il s'agit d'une mesure ou d'un projet émanant de l'initiative parlementaire.
Certes, les renseignements ne se font guère attendre et semblent devancer même les désirs que l'on exprime à ce sujet, quand il s'agit d'un projet émanant du gouvernement ou ayant seulement ses sympathies.
Serait-ce que l'on veuille temporiser et gagner du temps afin d'atteindre le terme de la session actuelle ? S'il en était ainsi, je dirais que c'est là une tactique peu loyale, peu digne de ceux qui l'auraient conçue et de ceux qui s'y prêteraient.
Au surplus, ce serait à ne pas s'y méprendre, de la part de ses adversaires eux-mêmes, un hommage indirect à la justice de la mesure proposée par nous.
J'adjure, en terminant, MM. les ministres de fournir enfin les documents réclamés, afin que la section centrale puisse reprendre ses travaux.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je viens appuyer la demande de l'honorable M. Ansiau. Il s'agit d'une question pendante devant la Chambre depuis deux ans, si je ne me trompe, et sur laquelle le gouvernement doit être d'autant plus à même de s'expliquer, qu'elle a donné lieu à un travail remarquable et très développé inséré aux Annales des travaux publics depuis plusieurs années. Je ferai remarquer, en outre, que c'est une question de justice. On se plaint d'être injustement surtaxé depuis plusieurs années. Or, il n'est pas de la dignité de la Chambre de laisser dormir en quelque sorte une question de cette nature : il faut qu'elle reçoive une solution. Je conjure donc le gouvernement de fournir le plus tôt possible à la section centrale les explications qu'elle a demandées. ,
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - L'honorable M. Ansiau vient de dire qu'il ne s'explique pas la lenteur incroyable que met le gouvernement à fournir les renseignements qui lui ont été demandés, au sujet du projet de loi dont il vous a entretenus. Cette lenteur, messieurs, n'est pas si grande, me semble-t-il, puisqu’il y a trois semaines, seulement, que l'on s'est adressé à M. le ministre des finances pour connaître son opinion sur la question. On a parlé d'un délai de deux années ; mais, messieurs, une réponse a été donnée déjà par l'administration précédente ; cette administration a fait connaître son avis sur la question de savoir s'il fallait réduire les péages sur une partie du canal de Charleroi. Quant à l'administration actuelle, elle n'est saisie de la question que depuis trois semaines environ.
M. Ansiau et M. de Naeyer. - Depuis deux mois !
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Il y a deux mois que ce projet de loi est déposé mais il n'y a que trois semaines à un mois que des renseignements ont été demandés à M. le ministre des finances, (Interruption.) Enfin, je veux bien admettre qu'il y ait un peu plus d’un mois ; toujours est-il que la question touche à des points extrêmement graves: cette affaire offre des aspects nombreux qu'il importe de considérer attentivement. Songez, messieurs, que le canal aux péages duquel on veut toucher représente une valeur considérable ; il s'agit de réduire de plus d'un million le produit de ce canal. Dans l'état des choses, faut-il appliquer la réduction d'une manière générale ou aux transports du Centre seulement ? Cette question des péages doit-elle être examinée isolément ?
Car, messieurs, ce qu'on représente comme une injustice si criante existe sur plusieurs autres voies navigables encore.
Il y a plusieurs autres rivières et canaux où les taxes ne sont pas non plus appliquées d’une manière régulière sur tout leur parcours.
Cette question, messieurs, est extrêmement compliquée ; elle touche à des intérêts très grands, très divers, et voici la marche que le gouvernement compte suivre.
Ce matin encore je m'entretenais de cette affaire dans l’intérieur de l'administration ; j'ai demandé que la question fût étudiée sous toutes ses faces, d'une manière complète, de façon à pouvoir la vider une bonne fois. Je pense, d'après ce qui m'a été dit, que les questions. auxquelles touche la proposition déposée par l'honorable M. Jouret sont tellement graves, qu’il sera difficile de pouvoir arriver à une solution sans recourir à une commission spéciale.
Pour ma part, j'avoue que je ne crois pas qu'on puisse assumer autrement la responsabilité des conséquences qu'entraîneraient les modifications qui ont été sollicitées.
Voici donc, messieurs la réponse que je puis vous faire : c'est que le gouvernement ne refuse pas du tout de continuer l'examen de cette affaire ; mais il n'est pas en positon décider dès à présent, pour satisfaire à l'impatience légitime peut-être de ceux qui désirent une réduction sur le canal. Le gouvernement n'est pas en mesure, dis-je, de se prononcer immédiatement sur ce qu'il y a à faire. Il paraît que cette question ne peut être prise isolément pour ce qui regarde le Centre, qu'elle ne peut être prise isolément pour ce qui regarde le bassin de Charleroi, qu'elle a besoin d’être envisagée dans son ensemble et dans ses rapports mêmes avec les taxes différentielles qui existent encore dans les différents péages perçus par l'Etat pour d'autres voies de communication.
M. Faignart. - Il est vraiment étrange qu'une question qui s’est présentée depuis si longtemps à la Chambre, comme vient de le dire l'honorable M. de Naeyer, n'ait pas encore reçu de solution. Je ne crains pas de dire que si le gouvernement avait voulu y mettre un peu d'empressement, il aurait, à l'heure qu'il est, les renseignements nécessaires pour que cette affaire arrive devant la chambre. Si le gouvernement n'a pu se procurer les renseignements dont il doit s'entourer, cela n'empêche pas la discussion. C'est alors que les renseignements pourront être utiles pour éclairer les membres de la Chambre Mais l’examen a eu lieu en sections ; la section centrale est composée ; celle-ci a demandé des renseignements à M. le ministre des travaux publics, peut-être à M. le ministre des finances. Ces renseignements n'arrivent pas. Cependant, vous le savez, la question n'est pas neuve. Elle a été traitée dans la session de 1856-1857 ; elle a été examinée par toutes les sections et par la section centrale ; un rapport a été fait, c'est donc dire que cette question n'est pas neuve, qu'elle a dû occuper les cabinets précédents aussi bien que le cabinet actuel.
M. le ministre des travaux publics trouve que nous sommes trop impatients. Je ne crois pas que nous puissions être accusé. d'impatience, parce que nous demandons une chose aussi juste, aussi légitime.
L'honorable ministre vient de dire qu’il s'agit d'une chose très importante, qu'il s'agit d'une recette d'un million. Mais c'est parce que la question est importante, qu'elle est grave, que nous désirons qu'elle soit vidée.
Si la chose n'en valait pas la peine, nous n'insisterions pas. Mars il s’agit d'une mesure réclamée depuis longtemps ; le gouvernerait ne doit pas ignorer que le Centre s'est toujours cru lésé, qu’il réclame et qu'il persistera à réclamer jusqu'à ce que justice lui soit rendue.
Ce serait, messieurs, faire fort peu de cas du droit d'initiative des membres de la Chambre, que d'écarter par une sorte de fin de non-recevoir les propositions qui en émanent. Que deviendrait ce droit d'initiative, si le gouvernement, par un refus de renseignements, faisait des propositions des membres de la Chambre une lettre morte ?
M. de Muelenaere. - Il faut au moins laisser au gouvernement le temps de prendre les renseignements.
M. Faignart. - L'honorable comte de Muelenaere dit qu'il faut le temps de prendre les renseignements. Sans doute, mais il ne faut pas arrêter l'examen des sections. Si le gouvernement a des renseignements ultérieurs à donner, il pourrait les donner dans la discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - L'honorable membre se plaint de ce que le gouvernement mette si peu d'empressement à donner les renseignements et qu'il entrave par-là la discussion de la loi. Ce n'est pas précisément là la situation des choses. Ce qu'on demande, ce ne sont pas des renseignements proprement dits, c'est l’avis du gouvernement. Or, cette affaire dure depuis trente ans et il faut bien que l'administration actuelle se forme une opinion. S'il s’agissait de questions de chiffres, l'administration serait certes condamnable de refuser des renseignements qu'elle serait en mesure de fournir, mais, je le répète, ce ne sont pas des renseignements de détail, ce qu'on demande c'est l'opinion du gouvernement, et la question est assez compliquée pour qu'on n'ait pas la prétention d'exiger qu’il se prononce du jour au lendemain.
(page 799) Il ne s'agit donc pas de mauvaise volonté de la part du gouvernement, il ne s'agit pas de renseignement que le gouvernement doit à la section centrale ; il s'agit de savoir si le gouvernement peut être tenu à se prononcer avant qu'il ait eu le temps de s'éclairer.
M. Vermeire. - Je m'étonne des observations que vient de présenter l'honorable M. le ministre des travaux publics. La question des péages a déjà été examinée d'une manière très approfondie, à plusieurs reprises ; mais, ce qui cause surtout mon étonnement, c’est que, lors de la discussion du rapport de l’honorable M. Sabatier, relatif à cette question, M. le ministre des travaux publics nous a ajournés à la mise en discussion du projet de loi sur les péages proportionnels, à appliquer à la navigation du canal de Charleroi ; et qu’aujourd’hui il vienne nous dire : Mais tous ces questions sont tellement graves, tellement complexes, tellement difficiles que, agitées depuis 30 ans, elles n’ont pas encore reçu de solution. Est-ce à dire qu’il faudra encore attendre 30 autres années, avant de les aborder ? Je le regretterais, et, messieurs, parce qu’une question est grâce, ce n’est pas une raison pour qu’il faille en différer infiniment l’examen.
Les produits des canaux et surtout ceux du canal de Charleroi doivent nécessairement diminuer par suite de la concurrence des chemins de fer. Il importe donc, dans l'intérêt du trésor même, que l'examen de cette question soit abordé le plus tôt qu'il sera possible de le faire.
M. J. Jouret. - Messieurs, je ferai quelques observations sur ce qu'a fait M. le ministre des travaux publics. M. le ministre a parlé des explications qui ont été fournies à la Chambre par MM. les ministres des travaux publics et des finances de l’administration précédente sur la question qui est pendante devant la Chambre, et il a paru en conclure que cette question en est par cela même plus compliquée. Je trouve que la question sur laquelle MM. les ministres ont donné des renseignements à cette époque est encore la question à examiner. Ainsi donc, le rapport qui a été fait par l'administration précédente est de nature à élucider la question, et c'est une raison de plus pour qu'on puisse la discuter immédiatement.
M. le ministre des travaux publics a paru, en quelque sorte, nous opposer une fin de non-recevoir, en déclarant à la Chambre qu'il fallait examiner toutes les questions qui s’étaient produites à cette occasion. Mais remarquez, messieurs, que la proposition de loi que nous avons présentée, en vertu de l'initiative parlementaire, a un caractère tout spécial. Il s'agit de redresser une inégalité injustifiable qui existe entre le bassin du Centre et le bassin de Charleroi, sous le rapport des péages à acquitter sur le canal.
Je conçois parfaitement que d'autres prétentions aient surgi, à l'occasion de cette proposition, et tâchent, pour réussir, de compliquer les choses ; mais ce n'est pas une raison pour que la Chambre ne discute pas un projet de loi, émanant de l'initiative de vingt-deux membres, présenté depuis plus de deux ans, approuvé en 1857 par une section centrale, et qu'une nouvelle section centrale approuvera vraisemblablement, aussitôt qu'elle aura reçu les renseignements demandés au gouvernement.
M. le ministre des travaux publics paraît croire que cette mesure coûtera une somme d'un million au trésor ; l'honorable M. Faignart n'a pas contredit M. le ministre à cet égard. Messieurs, il ne s'agit pas d'un million, il s'agit tout au plus d'une somme de 400,000 fr., qui pourrait momentanément faire défaut au trésor public. (Interruption.) Ce ne serait pas un sacrifice ; en supposant que le trésor se trouvât momentanément en déficit de 400,000 fr. cette somme rentrerait successivement dans les caisses de l'Etat par un accroissement de consommation, et par tant de revenu.
Lorsqu'en 1849 on a réduit le péage de 35 p. c, les produits sur le canal de Charleroi se sont élevés immédiatement après, de manière à s'équilibrer en peu d'années, et nous aurons encore le même résultat. (Interruption.) Je reconnais que c'est le fond, cela se discutera plus tard.
Toujours est-il que nous n'avons nullement la prétention, comme le dit M. le ministre des travaux publics, de discuter et de résoudre la question séance tenante. Séance tenante !.....alors qu'il y a deux ans que la question est pendante devant la Chambre, alors qu’elle a subi deux ou trois discussions ; et qu'on peut dire qu'elle est complètement instruite ! Mais cela n'est pas sérieux !
Je ne nie pas qu'il n’y ait peut-être une certaine difficulté à produire les renseignements qui ont été réclamés par la section centrale ; mais nous demandons que le gouvernement se montre animé de bienveillance, et qu'il nous fournisse, les renseignements le plus tôt possible ; quant à nous, nous ferons tous nos efforts pour que notre proposition reste ce qu'elle est, une proposition indépendante des prétentions qu'elle a fait surgir, et destinée à réparer une injustice évidente, et soit discutée pendant la présente session.
M. de Perceval. - Messieurs, il me semble que les divers orateurs qui ont pris la parole dans ce débat ne sont point d'accord. Les uns disent qu'on a réclamé des renseignements du gouvernement ; d’autres déclarent qu'on a demandé l’avis du gouvernement. Or, il y a une différence énorme entre demander au gouvernement des renseignements qui peuvent être communiqués à la section centrale dans un bref délai, et mettre le ministère en demeure de se prononcer sur une proposition due à l'initiative de plusieurs de nos collègues. Il me paraît que dans ce dernier cas, il faut donner au cabinet le temps nécessaire pour étudier, sous toutes ses laces, la question soulevée par eux.
Je prierai l'honorable président de la section centrale de nous dire si elle s'est bornée à demander des renseignements à M. le ministre des travaux publics ou bien si elle a mis le gouvernement en demeure de se prononcer par un avis formel sur la proposition de loi.
M. le président. - Je répondrai à l'honorable M. de Perceval, en ma qualité de président de la section centrale dont il s'agit, que c'est l'avis du gouvernement qui a été demandé.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, si en demandant la parole je n'ai pas l'intention de défendre, d'appuyer le projet de loi qui nous est soumis, je proteste d'avance contre celle qu'on voudrait me prêter, de combattre ce projet. Ce que je viens faire, c'est soumettre à la Chambre quelques observations que m'a suggérées l'examen du projet et du rapport de la section centrale, lui exposer quelques doutes qui ont surgi dans mon esprit.
La pensée qui a amené l'établissement des conseils de prud'hommes est sans doute une noble pensée et nous n'y saurions trop applaudir. Je suis persuadé qu'il n'y a pas dans cette Chambre un seul membre qui ait l'idée de combattre l'institution des conseils de prud'hommes en principe. Mais si cette institution est bonne, utile, excellente même dans certaines localités et pour certaines industries, on aurait tort d'en tirer la conséquence qu'elle rencontre les mêmes sympathies partout et de la part de tout le monde. Il y a tel conseil de prud'hommes devant lequel ne sont portées que de très rares affaires, ce qui ne prouve pas qu'il inspire une confiance illimitée ; il y a telles localités dans le pays auxquelles on a offert d'établir dans leur sein des conseils de prud'hommes et qui ont refusé. J'ai sous les yeux une lettre écrite par la chambre de commerce d'une de nos principales villes manufacturières, à laquelle on avait proposé l’institution d'un conseil de prud'hommes, et qui refuse en donnant, à l'appui de son refus, des raisons très sérieuses. J'ajouterai que l'honorable rapporteur de la section centrale nous a révélé hier un fait d'où l'on peut conclure qu'en général (il y a des exceptions), les conseils de prud’hommes ne sont pas encore jugés en Belgique comme ayant toute l'importance que des orateurs semblent leur attribuer. En effet, la moyenne des électeurs qui ont répondu aux convocations qui leur avaient été adressées pour choisir les prud'hommes, la moyenne de ces électeurs dans le royaume est de huit.
Cela semble démontrer une certaine insouciance, une certaine apathie à l'endroit des conseils de prud’hommes. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur me dit : C'est la même chose pour les tribunaux de commerce. Je rencontrerai cette objection tout à l'heure ; pour le moment donc je me contente de constater qu'il y a dans le pays une certaine apathie à l'égard des conseils de prud'hommes, cela est de toute évidence.
C'est probablement, messieurs, pour vaincre cette apathie, pour faire cesser cette regrettable insouciance, que le gouvernement a cherché les moyens d'améliorer l'institution. Je loue ses efforts, je lui prêterai mon concours et dès ce moment je tiens à déclarer que je suis tout prêt à voter le projet de loi pour peu qu'il subisse des améliorations dans le cours de la discussion.
La question que nous devons naturellement nous faire est celle de savoir si les modifications que le gouvernement présente à la législation actuelle sont véritablement de nature à améliorer les conseils de prud'hommes ; et c'est ici, messieurs, que le doute surgit dans mon esprit.
Dans quel esprit ces modifications sont-elles conçues ? On répond : Dans un esprit progressif. Mais il y a progrès et progrès. On appelle ici esprit progressif une tendance marquée à rendre la législation sur les conseils de prud'hommes beaucoup plus démocratique qu'elle ne l'était. C'est le véritable mot, car, remarquons-le bien, les modifications qu'on vous présente sont toutes dans l'intérêt exclusif de l'ouvrier, auquel on veut donner une plus grande influence, une plus grande prépondérance et pair conséquent, dans le but de diminuer l'influence et la prépondérance des fabricants.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. H. de Brouckere. - Voyons si ce que je dis est vrai.
Les principales modifications portent sur quatre points.
Aujourd'hui pour être éligible et pour être électeur, il faut être patenté. On supprime cette condition et on y substitue d’autres conditions par suite desquelles le nombre des ouvriers électeurs et éligibles sera beaucoup plus grand qu'il ne l'a été jusqu'ici ; premier point.
En second lieu, la législation actuelle n'accorde qu'une représentation inégale aux ouvriers ; les fabricants figurent dans les conseils en nombre supérieur. A l'avenir, d'après le projet de loi qui n’est soumis, la représentation sera numériquement tout à fait égale.
En troisième lieu, la nomination des prud'hommes se fait actuellement dans une assemblée électorale unique, où se réunissent les fabricants et les ouvriers.
A l'avenir, il y aura deux assemblées électorales, une pour les ouvriers, l'autre pour les fabricants ; c'est-à-dire qu'on a voulu soustraire entièrement les ouvriers à l'influence des fabricants.
M. David. - On n'a voulu que de l'impartialité.
M. H. de Brouckere. - Je ne critique pas ; j'énumère.
En quatrième lieu, enfin, les fonctions de prud'hommes jusqu'ici ont (page 800) été gratuites ; à l'avenir elles ne le seront plus : des jetons de présence sont attribués aux membres de ces conseils. Cette disposition encore une fois est toute à l'avantage de l'ouvrier, elle ne saurait intéresser les fabricants.
Ainsi, messieurs, c'est là un fait incontestable que personne ne peut nier, que les quatre modifications essentielles que le projet de loi tend à introduire dans la législation actuelle sont toutes conçues dans l'intérêt exclusif de l'ouvrier.
Il résultera de là que le nombre des ouvriers qui siégeront dans les conseils de prud'hommes sera beaucoup plus grand qu'il ne l'a été jusqu'à présent. Or, remarquez-le, messieurs, il y a bien un nombre égal de patrons et d'ouvriers qui sont appelés à siéger, mais si les ouvriers répondent à l'appel en plus grand nombre, le conseil de prud'hommes pourra être composé de plus d'ouvriers que de patron.
- Plusieurs membres. - Non ! non.
M. H. de Brouckere. - J'en demande bien pardon à ceux qui me disent : Non, non ; et j'en appelle à l'honorable rapporteur de la section centrale. Cet honorable rapporteur me fait un signe qui me prouve qu'il est du même avis. (Interruption.) Notre devoir n'est-il pas d'examiner le véritable état des choses et de réunir nos efforts pour améliorer la loi ?
Je dis donc que le cas pourra se présenter, d'après le projet de loi, où le nombre des ouvriers qui siégeront dans le conseil de prud'hommes sera supérieur au nombre des patrons.
M. Dolez. - Il pourra même arriver que le conseil sera composé exclusivement d'ouvriers.
M. H. de Brouckere. - Je vois l'honorable rapporteur confirmer cet avis ; eh bien, peut-il entrer dans les intentions du gouvernement, dans celles de la Chambre, de faire qu’un conseil, appelé à juger des contestations entre des patrons et des ouvriers, soit composé exclusivement d'ouvriers ? Je sais bien qu'on me répondra : Que les patrons se rendent aux convocations, et ils pareront au mal que vous signalez. Mais tout le monde comprendra que les fabricants peuvent bien plus difficilement se déranger de leurs affaires pour aller siéger pendant de longues heures aux conseils de prud’hommes, que les ouvriers que vous indemnisez en leur donnant des jetons de présence.
Ceci est donc un vice auquel il faut que nous remédions.
Messieurs, puisque j'ai présenté quelques observations critiques, on est en droit de me demander comment je m'y prendrais pour composer des conseils de prud’hommes qui répondissent mieux à toutes les exigences. Je m'en expliquerai très franchement. Je voudrais, moi, que les conseils de prud'hommes dussent nécessairement être composés d'un nombre égal de patrons et d'ouvriers et qu'ils fussent présidés par le juge de paix ou par son suppléant ; et si je pouvais parvenir à faire adopter cette opinion par la Chambre, je déclare que je voterais le projet de loi avec empressement et que je serais convaincu d'avoir introduit dans notre législation une loi excellente.
L'honorable rapporteur de la section centrale, dans son travail extrêmement remarquable, je n'hésite pas à le déclarer, fait cette observation que, pour juger les différends qui s'élèvent entre les patrons et les ouvriers, la première condition est d'avoir une connaissance parfaite des usages industriels, des procédés de fabrication même, des rapports des ouvriers entre eux et des ouvriers avec les patrons.
L'honorable rapporteur a parfaitement raison, mais croit-il que si, parmi les juges, il se trouvait un homme ayant quelque habitude des affaires contentieuses, quelque connaissance de notre législation, quelque idée de la procédure, croit-il que cela nuirait à l'organisation des conseils de prud'hommes ? Je ne le pense pas, quant à moi.
Remarquez bien que ce que je propose ici n'est pas une innovation dans notre législation et dans nos mœurs.
Par qui est présidé le conseil de discipline de la garde civique ? Le conseil de discipline est composé, remarquez-le bien, d’officiers, sous-officiers et gardes. Qui le préside ? C'est le juge de paix.
La haute cour militaire est composée de généraux et d'officiers de grades différents. Elle est présidée par un conseiller de la cour d’appel.
On nous parle toujours, car hier il en a été différentes fois question, des tribunaux de commerce. On veut absolument assimiler les conseils de prud'hommes aux tribunaux de commerce dont ils ne seraient même en quelque sorte qu'une fraction, un démembrement. Messieurs la comparaison n'est pas juste. Il n'y a pas d'analogie entre le tribunal de commerce et le conseil de prud'hommes.
D'abord il n'y a pas deux éléments divers, deux éléments contraires, s'il m'est permis de le dire, qui élisent le tribunal de commerce ; ce tribunal est élu tout entier par des négociants ayant les mêmes intérêts, et les causes qui sont portées devant le tribunal de commerce sont des causes entre négociants. Les négociants sont donc jugés par leurs pairs exclusivement.
Pour les prud'hommes, vous l'avez entendu, il y a deux éléments différents, et ces deux éléments prennent part dans la composition du conseil, tandis que ce sont toujours les deux éléments qui sont aux prises. Première différence que je signale.
En second lieu, les tribunaux de commerce ont des audiences publiques, des audiences qui ont un certain retentissement. Les parties y sont toujours accompagnées d'avocats et d'avocats ayant une grande habitude des affaires. Autre différence qui mérite d'être remarquée.
En troisième lieu le tribunal de commerce est assisté d'un greffier. Le greffier est un homme de loi ; et qui d'entre nous ignore que c'est le greffier du tribunal de commerce qui rédige tous les jugements ? Le greffier du tribunal de commerce, c'est l'âme du tribunal.
Les membres du tribunal, savez-vous ce qu'ils sont ? Ce sont de véritables jurés. Ils décident en fait ; ils tranchent les questions importantes et puis le greffier, homme de loi, homme habitué à ce genre d'affaires, rédige les jugements. J'en appelle à tous ceux qui ont l'expérience des affaires ; qu’ils me disent si ce n'est pas ainsi que cela se pratique partout.
Vous voyez donc qu'il n'y a pas d'analogie à établir. Ce n'est pas tout, la plupart des bons esprits sont d'accord aujourd'hui pour demander que les tribunaux de commerce soient présidés par un jurisconsulte.
Le gouvernement lui-même dans certaine circonstance qui n'est pas éloignée de nous, a émis une opinion en harmonie avec ce que je viens de dire. Je suis bien convaincu que les tribunaux de commerce y gagneraient et que les intérêts commerciaux sont fort intéressés à ce que les tribunaux de commerce soient à l'avenir présidés par un jurisconsulte, nous en viendrons là, soyez-en certains. (Interruption.)
Comme on me le fait observer, nous avons été saisis d'un projet de loi portant que les tribunaux de commerce seraient présidés par un jurisconsulte ; c'est à cette circonstance que je faisais allusion.
Messieurs, il ne faut pas vous dissimuler que les conseils de prud'hommes, dans certaines circonstances, exercent une autorité très grande.
Je ne vous parlerai pas des trois jours d'arrêt qu'un conseil composé d'ouvriers pourra infliger à un fabricant. Mais les conseils de prud’hommes jugent les contestations entre patrons et ouvriers sans appel jusqu'à concurrence de 200 fr. Je suppose un ouvrier attaquant le fabricant ou l'exploitant chez lequel il travaille, pour une somme de 200 fr. Le conseil de prud'hommes décidera en dernier ressort. Mais la question qu'il décidera peut intéresser trois, quatre, cinq et six cents autres ouvriers, et le principe une fois établi, chaque ouvrier viendra à son tour en demander l'explication. D'où vous pouvez conclure quelle importance peut acquérir la décision d'un conseil de prud'hommes.
D'un autre côté, croyez-vous que l'influence morale, l'autorité d'un fabricant, d'un exploitant, ne sera pas atteinte jusqu'à un certain degré vis-à-vis de ses ouvriers, lorsque, par une décision du conseil des prud'hommes, il aura été condamné à trois jours d'arrêt et au payement d'une somme qu'il aura refusé de payer ? Messieurs, cela est très sérieux.
Je m'empresse de le répéter, ce que je viens de dire n'a nullement pour but de faire le procès à l'institution même des prud'hommes. Ce que j'ai dit ne démontre qu'une chose : c'est que si nous voulons que les conseils de prud'hommes aient toute la confiance, toute l'influence dont nous devons désirer qu'ils soient entourés, il faut que nous les composions avec une extrême prudence ; il faut que nous délibérions mûrement sur les moyens à employer pour que ces conseils rendent tous les services qu'ils sont susceptibles de rendre.
Je n'ai fait que soumettre à la Chambre des observations et des doutes. Je me rallierai à tous les amendements qui seront présentés dans le but d'améliorer le projet de loi, et si ces améliorations ont une certaine valeur à mes yeux, je voterai le projet de loi avec empressement.
M. le président. - Il vient de parvenir au bureau un amendement de MM. Magherman et Janssens à l'article 35. Il est ainsi conçu :
« Ajouter à l'art. 35 le paragraphe suivant :
« Ils connaissent, dans les mêmes limites, des contestations entre chefs d'industrie relatives aux obligations qui leur sont imposées par les dispositions légales en matière de livrets d'ouvriers. »
Conformément à ce que la Chambre a décidé hier sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur, je propose de renvoyer cet amendement à la section centrale.
- Cette proposition est adoptée.
M. Lelièvre. - J'ai fait parvenir à la section centrale quelques amendements relatifs au projet en discussion. Je prie la Chambre d'autoriser cette section à s'en occuper.
M. Lesoinne. - D'après le règlement, les amendements doivent être connus et appuyés avant qu'ils puissent être renvoyés à la section centrale. Je demande donc qu'il soit donné lecture des amendements de l'honorable M. Lelièvre.
M. le président. - Voici les amendements de M. Lelièvre :
« Art. 8. Substituer aux mots : « condamnés pour vol », les mots : « condamnés à l'emprisonnement pour vol, etc. »
« Art. 12 (de la section centrale). Les membres du conseil ne peuvent être parents ou alliés jusqu'au troisième degré inclusivement. Si des parents ou alliés à ce degré sont élus (le surplus comme au projet de la section centrale).
« Il en sera de même pour ceux dont les femmes seraient parents entre elles jusqu'au deuxième degré inclusivement. »
« Art. 23 (de la section centrale). Dernier alinéa :
« Le gouverneur et les intéressés peuvent, dans les huit jours qui suivront celui de la décision, prendre leur recours auprès du Roi, qui statuera dans le délai de quinzaine à dater du pourvoi. »
(page 801) « Art. 62 (de la section centrale). Après le n°3°, ajouter un n°4° ainsi conçu :
« 4° S'il y a procès civil existant entre eux et l'une des parties ou son conjoint. »
« (Le n°4° deviendra le n°5° du projet.) »
« Art. 47 du projet (52 de la section centrale). Enoncer les paragraphes 2 et 5 en ces termes :
« Lorsque le tumulte a été accompagné d'injures ou de voies de fait, donnant lieu à l'application ultérieure de peines de simple police, ces peines peuvent être prononcées séance tenante, et immédiatement après que les faits ont été constatés quand il s'agit d'un crime ou d'un délit commis à l'audience, le président, etc. » (comme au projet).
« Art. 58 du projet (70 de la section centrale). Modifier le dernier alinéa en ces termes :
« Au-dessus de deux cents francs, ces sentences peuvent être déclarées exécutoires par provision, moyennant caution. »
Voici maintenant l'amendement de MM. A. Vandenpeereboom et de Paul :
« Ajouter à l'article 35 le paragraphe suivant :
« Les conseils de prud'hommes connaissent aussi des plaintes en contrefaçon de dessins de fabrique, soit entre fabricants, soit entre fabricants et entrepreneurs, facteurs, ouvriers ou ouvrières. »
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces amendements et les renvoie à l'examen de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable député de Mons a exprimé des doutes sur la popularité de la loi, et sur les bons résultats qu'on pourrait en attendre. La loi, messieurs, ne se présente pas comme une loi populaire. La loi ne se présente pas non plus comme une loi progressiste. La loi, messieurs, a pour but, entre autres, d'établir entre les patrons et les ouvriers une égalité qui n'existe pas aujourd'hui. Aujourd'hui les patrons sont représentés en nombre supérieur dans le conseil de prud'hommes ; le projet fait disparaître cette inégalité. La loi actuelle exige que l'ouvrier soit patenté pour exercer les fonctions d'électeur ; cette condition ne sera plus requise. C'est une deuxième amélioration dans la situation des ouvriers en ce qui concerne le conseil de prud'hommes, et cette modification est nécessaire, car si l’on conservait seulement le droit électoral aux ouvriers patentés, on n'y trouverait plus, pour ainsi dire, d'électeurs, attendu que la plupart des ouvriers qui étaient patentés autrefois ne le sont plus aujourd'hui On a supprimé, au nombre de 60,000, je pense, les patentes qui frappaient l'ouvrier. Il ne faut pas que l'ouvrier souffre, comme électeur, d'avoir été dégrevé comme patentable.
Une troisième concession qui aurait été faite, à ce qu'il paraît, à l’esprit démocratique, c'est que les membres des conseils de prud'hommes seraient nommés par deux assemblées au lieu d'être nommés par une seule assemblée, c’est-à-dire que les patrons nommeraient leurs représentants au conseil de prud'hommes, et que les ouvriers nommeraient également leurs représentants, chacun de son côté.
Peut-on dire que cette innovation est introduite dans l'intérêt des ouvriers ? Je pense qu'elle est introduite bien plutôt dans l'intérêt des patrons, car il pourrait arriver que dans l'assemblée unique les ouvriers électeurs fussent bien plus nombreux que les patrons électeurs et fissent dominer exclusivement les hommes de leur choix.
Hier des observations ont été faites à cet égard et j'ai dit qu'il y aurait peut-être à examiner s'il ne faudrait pas réunir les ouvriers et les patrons dans une même assemblée, afin de faire disparaître autant que possible l'antagonisme entre deux classes de citoyens ; il peut y avoir des doutes à cet égard, mais enfin, on ne peut pas dire ici que ce soit une concession faite aux ouvriers. C'est plutôt, je le répète, une concession faite aux patrons.
On dit encore que les fonctions de prud'hommes ne seront plus gratuites. Sans doute, messieurs, et c'est là une amélioration ; il faut que l'ouvrier qui consacre sa journée aux affaires de ses camarades reçoive de ce chef une indemnité équivalente à la perte de son salaire.
Il y a encore une autre amélioration. Appelez-la démocratique, le mot ne me fait pas peur, la loi actuelle ne prévoit que les manquements de l'ouvrier envers le patron. Eh bien, à l'avenir les manquements des maîtres envers les ouvriers pourront également être jugés par le conseil de prud'hommes et ce n'est que justice.
Je dirai, messieurs, que ces innovations introduites dans le système actuel, on ne peut pas les accuser de se ressentir des grandes émotions des années 1848 et suivantes. Je crois que ce qui s'est passé à cette époque a fait beaucoup plutôt reculer qu'avancer dans tous les esprits sérieux les idées démocratiques et éteint dans beaucoup de cœurs la sympathie des intérêts démocratiques.
Les excès qui ont été commis alors, les stupidités qui ont été débitées au nom de la démocratie, ont fait un grand mal aux intérêts démocratiques. Mais les idées que je défends aujourd'hui j'ai eu l’honneur de les produire, dès l'année 1842, lors de la discussion de la loi qui avait pour objet d'autoriser le gouvernement d'établir un certain nombre dc conseils de prud'hommes ; j'ai dit alors qu'il fallait l’égalité entre l'ouvrier et le maître dans la représentation au sein des conseils de prud'hommes ; j'ai dit encore qu'il fallait l'égalité, quant aux manquements du maître envers l'ouvrier, comme de l'ouvrier envers le maître. J'ai signalé ces lacunes que présentait le projet de loi d'alors ; j'avais même engagé le gouvernement à introduire des modifications dans le sens de mes observations. J'étais alors dans l'opposition, et mes propositions n'ont pas été accueillies.
Ainsi, sous ce rapport, je n'ai aucun motif pour dissimuler le caractère du projet de loi. Ce projet doit avoir pour effet d'introduire plus d'égalité réelle, dans l'institution, entre le maître et l'ouvrier. Il s'agit ici d'une simple question de justice.
On dit que l'institution n'est pas populaire parce que d'abord il est une ville du pays qui a fait connaître à l'honorable député de Mons qu'on lui avait offert d'établir dans son sein un conseil de prud’hommes et qu'elle a refusé cette offre. Il est possible qu'une ville ait refusé l'offre qui lui avait été faite d'établir un conseil de prud'hommes ; mais il est d’autres villes, en plus grand nombre, qui ont demandé, au contraire, l'établissement d’un conseil de prud’hommes. D’où je conclus que le conseil de prud’hommes est considéré par la majorité du pays comme une bonne institution.
Une autre preuve que l'institution ne serait pas populaire, c'est le petit nombre d'électeurs qui se rendent aux élections.
On a déjà fait observer à l'honorable députe de Mons que ce qu'il dit des conseils de prud'hommes s'applique aussi aux tribunaux de commerce, tribunaux à la formation desquels concourent les notables, c'est-à-dire des hommes instruits, qui ont certes bien le temps de consacrer, à certaines époques, au moins une heure à leurs propres intérêts.
Or, qu'arrive-t-il pour les élections relatives aux tribunaux de commerce ? Je ne sais comment les choses se passent aujourd'hui ; mais lorsque j'avais l'honneur d'être gouverneur dans la ville la plus commerçante du pays, il fallait toutes les peines du monde pour réunir un nombre convenable d’habitants notables pour la nomination des juges du tribunal de commerce : à la première réunion, il y avait quelquefois 3 ou 4 notables, au maximum 7 ou 8.
Voilà comment se faisaient alors les élections des membres des tribunaux de commerce. Je suis porté à croire que les choses se passent encore de même aujourd'hui.
Si donc les choses se passent ainsi pour les tribunaux de commerce, il n'est pas étonnant qu'elles se passent de la même manière pour les conseils de prud'hommes.
Il y a aussi un fait qu'il ne faut pas perdre de vue ; si les électeurs ont fait défaut, c'est que par le dégrèvement de la patente, beaucoup d'ouvriers n'ont plus été appelés à exercer le mandat électoral.
Du reste, quoi que nous fassions, il ne se réunira jamais un très grand nombre d'électeurs pour désigner les prud'hommes. On continuera de s'en rapporter à quelques hommes qui sont connus pour diriger avec intelligence et dévouement les intérêts de la localité.
C'est aussi pourquoi j'engage la Chambre à ne pas attacher trop d'importance aux dispositions purement réglementaires que renferme le projet de loi. Il faut bien que la loi indique certaines règles, prenne certaines précautions ; mais n'en exagérons pas la portée.
Le tribunal ou, plus exactement, le conseil de famille qu'il s'agit d'instituer, il faut le prendre tel qu'il est et tel qu'il sera ; il ne faut pas lui attribuer l'importance d'une cour de cassation ; il ne faut non plus l'assimiler à ces commissions extraordinaires, militaires, qu'on a vu souvent instituer dans des époques d'exception, de réaction ; ce sont là des tribunaux que la constitution repousse. Il s'agit ici d'un conseil de famille, d'arbitres désignés par leurs égaux, ayant à régler des intérêts qui ne peuvent pas même être appréciés par un juge de paix.
L'honorable député de Mons a indiqué une innovation qui a un côté séduisant : ce serait de faire présider le conseil de prud'hommes par un juge de paix. Déjà on a introduit les juges de paix dans les conseils de discipline de la garde civique. Je me demande si le juge de paix, dont on a déjà beaucoup accru les attributions, sera l’homme vraiment compétent pour résoudre les questions qui sont soumises aux conseils de prud'hommes. Il ne s'agit pas là de questions de droit, il s'agit de discussions entre maîtres et ouvriers, d'un salaire insuffisant, d'une malfaçon, etc. en un mot, ce sont presque toutes questions d'ouvriers à maître ; questions qui supposent les connaissances de l'ouvrier et celles du maître, et pour lesquelles les connaissances juridiques sont parfaitement inutiles et seraient même déplacées dans certains cas.
Un des mérites de ce conseil de famille, c'est qu'on peut y paraître sans frais ; on s'y présente généralement sans avocat, sans avoué, sans le cortège ordinaire qui accompagne le plaideur, même assez souvent devant le juge de paix.
Donc à moins qu'on ne me démontre que la présence du juge de paix compensera les inconvénients que je viens de signaler, je croirai que, sous ce rapport, il faut laisser les choses comme elles existent aujourd'hui.
Cependant nous ne les laissons pas entièrement intactes ; nous approchons même quelque peu du système de l'honorable député de Mons, en ce sens que nous donnons plus d'autorité au président, en lui donnant l'investiture royale ; on lui attribue en quelque sorte, par sa nomination (page 802) émanée du Roi, le caractère de magistrat et cette autorité que l'honorable député de Mons voulait avec raison conférer au président, en chargeant le juge de paix de la présidence.
Le prud'homme président, d'après le projet, doit recevoir l'investiture royale ; c'est une magistrature morale qui lui sera attribuée. Voilà, messieurs, les observations que j'avais à présenter en réponse au discours de l'honorable membre.
Quant aux amendements nouveaux qui viennent de surgir, je demande qu'ils soient renvoyés à la section centrale, et je m'attends à voir présenter un certain nombre d'amendements encore.
Cette loi a été préparée de longue main, elle a été soumise à une commission présidée par un jurisconsulte éminent, vice-président de la cour de cassation, elle a fait l'objet d'un examen spécial de la part du ministre et de toutes les administrations ; beaucoup d'hommes compétents ont été consultés et pourtant il restera encore quelque chose à y reprendre, c'est inévitable.
Cependant j'engagerai mes collègues à être, autant que possible, sobres d'amendements ; ceux qui seront présentés seront soumis à la section centrale et tout ce qui sera acceptable nous l'accepterons.
Cette loi n'a rien de politique, nous pouvons l'examiner avec calme et impartialité.
C'est une loi utile, mais il ne faut pas en exagérer les proportions, il faut lui laisser son caractère administratif. II ne faut pas chercher à y introduire un ensemble de garanties nécessaires quand il s'agit de grands intérêts politiques, mais qui deviennent superflues appliquées à des questions comme celles que concerne le projet de loi.
M. le président. - Quatre amendements nouveaux viennent d'être présentés par MM. de Brouckere, David et Grosfils.
« Art. 33 et 25. Le conseil de prud'hommes se compose d'un nombre égal de patrons et d'ouvriers ; il est présidé par le juge de paix ou l'un de ses suppléants. Il ne peut siéger qu'au nombre de cinq membres, y compris le président.
« Art. 3 (du projet du gouvernement). Paragraphe 2. Ajouter aux chefs d'industrie : les artisans travaillant pour leur propre compte. »
« Art. 4 (du projet du gouvernement). Ajouter : Les suppléants siègent à tour de rôle, en commençant par le plus âgé, parmi les chefs d'industrie en remplacement d'un chef d'industrie, et parmi les ouvriers en remplacement d'un ouvrier. »
« Art. 6 (de la section centrale). Paragraphe premier. Remplacer les administrations communales, par les conseils communaux. »
« Ajouter à la suite des mots : « du 1er au 15 août, » le paragraphe suivant :
« Elle porte 90 p. c. au moins des électeurs figurant sur les listes provisoires. »
M. Julliot. - Quand l'honorable M. de Brouckere a dit tout à l'heure que pas un membre de la Chambre ne combattrait le principe du conseil des prud'hommes, il s'est trompé au moins sur le compte d'un de ses collègues.
Ce collègue sera seul peut-être à le dire. C'est triste, mais cela ne l'empêchera pas de produire son opinion.
Du reste je connais plusieurs autres collègues qui se tiennent cois, mais n'en pensent pas moins.
D'ailleurs les critiques de l'honorable député de Mons en ce qui concerne l'application de cette loi sont si multiples et si décisives, que je ne sais par quel scrupule on en conserverait encore le principe.
Puis les nombreux amendements qui pleuvent sur le bureau prouvent assez que la Chambre n'est pas fixée sur l'indispensabilité de cette loi. J'appuie l'amendement de l'honorable M. Muller, parce que, quand même on n'approuve pas le principe d'une loi, on peut voter les amendements qui la rendent moins mauvaise, sauf à voter contre l'ensemble pour écarter finalement le principe, et c'est ce que je me propose de faire.
Je ne suis nullement édifié sur le principe du jugement par ses pairs ; la théorie en est séduisante, mais l'application laisse beaucoup à désirer ; les exemples de ce fait sont trop nombreux pour que j'en fasse l’énumération. En vertu de cette loi les ouvriers et les patrons se réuniront pour vider les différends qui leur sont soumis ; mais n'est-il pas à craindre que la jalousie de métier entre patrons n'influence que trop souvent les décisions ? Pour ma part, je le crains.
Ce sera une espèce de jury, et en général les jurys ont peur de la plus petite rumeur publique ; ils se préoccupent trop souvent de ce que l'on dira de leur verdict et cela nuit à la garantie d'un bon arrêt.
Je pense que le juge de paix seul, quand il est capable, donnera plus de sûreté de conciliation et d'impartialité que les prud'hommes les mieux choisis ; c'est donc à ce magistrat que je voudrais déférer les différends qui s'élèvent entre patrons et ouvriers.
Je ne vois nulle nécessité de grossir encore nos codes d'une loi qui, je le dis d'avance, fera à la Chambre des réapparitions fréquentes pour se faire modifier.
On dira que la création de ces conseils est facultative ; oui, mais il ne faudra dans une localité que trois hommes besogneux pour en provoquer la création. Je voterai donc les amendements qui rendent la loi moins mauvaise et rejetterai l'ensemble de la loi qui ne me semble pas nécessaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, à entendre l'honorable préopinant, on croirait que ses études économiques ont été étrangères aux faits existant dans l'ordre économique, on croirait que nous apportons ici de grandes innovations pleines de périls et d'inconnu. Cependant nous ne faisons que consacrer une institution qui existe depuis plus d'un demi-siècle et marche à la satisfaction des intéressés. Nous avons des villes qui ont des conseils de prud'hommes depuis le commencement du siècle : Gand en a un depuis 1810 et Bruges depuis 1813.
Ces institutions marchent ; on n'y voit pas les inconvénients que signale l’honorable préopinant. Il ne faut pas croire que les conseils ne rendent que des jugements ; les neuf dixièmes des affaires qui leur sont déférées se décident dans les bureaux de conciliation en présence de quatre membres, souvent de deux, sans plus de façon, sans donner lieu à ces conflits, à ces jalousies dont on vous a fait un tableau qui n'existe que dans l’imagination de son auteur.
J'engage l'honorable et savant économiste à vouloir bien se rassurer sur les conséquences de cette institution. On ne forcera la main à personne, mais le grand mal après tout si la ville de Tongres recevait un conseil de prud'hommes ? En serait-elle plus malheureuse ou plus ruinée ? les dépenses sont des plus insignifiantes ; à Anvers le conseil coûte 600 fr., à Roulers 150, à Alost 442 fr., à Lokeren 300, à Renaix 25, etc.
Mais, dit-on, ces dépenses s'accroîtront parce qu'on donnera des jetons de présence aux ouvriers ; le projet de loi met à la charge du gouvernement le payement du greffier, parce qu'il met à la charge des villes le payement des jetons de présence. Dans tous les cas, c'est une dépense qui n'a rien d'effrayant pour les villes ; le gouvernement n'a aucune espèce d'intérêt à imposer une pareille institution à une ville, l'initiative viendra des localités intéressées ; là où les localités ne demanderont rien, le gouvernement n'aura pas la folle prétention d'imposer des conseils de prud'hommes, on ne forcera personne. Mais on tâchera de donner satisfaction à ceux qui constateront le besoin d'une pareille institution et en demanderont la faveur au gouvernement et aux Chambres. Voilà comment les choses se passeront.
M. de Muelenaere. - Je désirerais savoir s'il y a des chambres de commerce dans le ressort desquelles fonctionnent des conseils de prud’hommes, qui ont été consultées sur les principales modifications apportées au projet de loi, notamment sur la disposition relative au mode électoral qui, selon moi, domine tout le projet de loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'instruction a été faite sous mon honorable prédécesseur ; je ne mets pas en doute que les chambres de commerce ont été consultées.
M. de Muelenaere. - Dans ce cas, je prierai M. le ministre de vouloir bien nous faire connaître les avis qu'elles ont formulés, notamment sur la question dont je viens de parler.
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - On a distribué aux Chambres le recueil de toutes les pièces de la commission consultative.
M. de Muelenaere. - Puisque j'ai la parole, j'ajouterai encore un seul mot. Il est quelques-unes des observations présentées par l’honorable M. de Brouckere qui m'ont semblé, avec raison, avoir exercé de l'influence sur l’assemblée. Mais, d'un autre côté, l'honorable membre n'a-t-il pas tiré des conséquences un peu forcées de quelques-unes des dispositions du projet de loi qu'il a critiquées et notamment de l'article 36 ? L'honorable membre craint que les conseils de prud'homme exclusivement composés d'ouvriers ne puissent condamner les fabricants à trois jours d'arrêt. Or, je ne pense pas que les ouvriers puissent jamais être en position de condamner un fabricant.
- Plusieurs membres. - Si ! si !
M. de Naeyer, rapporteur. - Il y a un amendement de la section centrale, qui forme l'article 39 de son projet.
M. de Muelenaere. - J'avais perdu de vue cet amendement. L'observation de l'honorable M. de Brouckere est donc fondée, et elle a une grande gravité. Pour ma part, je n'hésite pas à dire que l'article 39 (nouveau) ne saurait être maintenu sans modification. Je pense que lorsque nous en serons là, un amendement sera indispensable.
M. Vander Stichelen. - Je demande la parole, messieurs, pour rectifier une erreur commise par M. le ministre de l'intérieur. Il nous a dit que le nombre des affaires terminées à l'amiable était des 9/10. Eh bien, cette proportion est plus forte encore dans le sens de la conciliation, c'est-à-dire que les conseils de prud’hommes n'ont pas même l'importance qu'on serait tenté de leur attribuer. Cela me paraît important à constater, car il est essentiel, me semble-t-il, qu'on ne donne pas à l'institution une autre physionomie que celle qu'elle revêt.
Voici quelques chiffres qui achèveront de justifier ce que j'avance.
En 1844 neuf conseils de prud'hommes étaient en activité. Le nombre des affaires instruites, pendant cette année, s'est élevé à 849 ; indépendamment des nombreuses conciliations obtenues près des secrétariats des conseils sur ces 819 affaires, 39 seulement ont été renvoyées devant le tribunal général, 65 sont restées sans suite et 745 ont été conciliées. Ainsi, en moyenne, sur 100 contestations, 5 seulement ont été portées du bureau particulier devant lequel elles paraissent d’abord, au bureau général. Quant au nombre des jugements, il ne s’est élevé qu’à 11. Voilà pour une année. Le conseil de prud'hommes de Bruges, seul, a été dans le cas, en 1814, d'exercer ses attributions en matière disciplinaire : il a prononcé une condamnation à un jour de mise aux arrêts pour cause d'irrévérence grave à son égard.
‘page 803 Les résultats obtenus par les conseils de prud'hommes de Brugcs et de Gand sont plus remarquables encore.
Ainsi, à Bruges il y a eu 225 affaires, sur lesquelles 219 ont été conciliées et 6 sont restées sans suite. A Gand, il y en a eu 222 ; 196 ont été conciliées et 26 n'ont pas eu de suite par l'abandon qui en a été fait à l'amiable. Calculez d'après cela, messieurs, ce qui reste à faire aux conseils de prud'hommes, en dehors de leur mission conciliatrice.
Mon honorable collègue, M. Coppieters, me remet à l'instant la note des opérations du conseil de prud'hommes, à Bruges, en 1856. Pendant cette année, 660 causes ont été soumises à ce conseil ; 659 ont été conciliées par le bureau particulier et la dernière par le bureau général ; il n'y a donc pas eu un seul jugement. Je le demande encore, messieurs, en présence de ces faits, de ces données statistiques, à quoi se réduit le rôle des conseils de prud'hommes ? Il est réellement nul, comme pouvoir judiciaire proprement dit.
Je dis qu’il est nul, et nous arrivons ainsi à examiner la valeur de la proposition et des critiques faites par l'honorable M. de Brouckere. L'honorable membre voudrait que les conseils de prud'hommes fussent présidés par un juge de paix. Remarquez, messieurs, qu'il y a déjà dans l'organisation actuelle un greffier.
Eh bien, messieurs, la critique se réfute par la comparaison que chacun peut faire. Les conseils de prud'hommes n'ont pas véritablement des attributions judiciaires, tandis que les tribunaux de commerce sont des tribunaux dans toute la force de l'expression.
Je comprends très bien que le tribunal de commerce qui a à juger des questions extrêmement graves, même au point de vue du droit, sente le besoin d'avoir à sa tête un jurisconsulte. Mais un jurisconsulte, dans un conseil de prud'hommes, serait parfaitement déplacé, ainsi que l'a dit l'honorable ministre de l'intérieur. Les conseils de prud'hommes n'ont à statuer que sur des faits d'une grande simplicité et de plus ils ne sont appelés qu'à concilier. Un jurisconsulte, un juge de paix n'aurait qu'y faire.
Puisque je m'occupe de cette observation de l'honorable M. de Brouckere, qu'il me soit permis de dire deux mots de quelques autres reproches qu'il a adressés au projet de loi.
Il a jugé de l'utilité des conseils de prud'hommes par le nombre des membres qui se rendent à l'élection.
Il a été répondu sur ce point d'une manière péremptoire que le même fait se présentait pour une autre juridiction dont on ne contestera pas l'importance.
L'honorable M. de Brouckere a fait à la loi une querelle de mots. Il a dit que la loi était démocratique. Je m'empresse de dire en ce qui me concerne, et je pense que la grande majorité de la Chambre, y compris l'honorable M. de Brouckere, sera d'accord sur ce point avec moi, qu'il y a deux espèces de démocraties, dont l'une est complétement bonne et avouable.
C'est dans cette démocratie que rentre le projet de loi et certainement si ce projet est équitable cette qualification ne peut rien lui ôter de son mérité.
II n'est pas vrai du reste, M. le ministre de l'intérieur l'a déjà fait ressortir, qu'on se soit proposé, dans les modifications introduites au système actuel, d'améliorer exclusivement la position des ouvriers.
Si, messieurs, le projet de loi aboutit à ce résultat de favoriser surtout l'élément ouvrier, c'est que dans l'organisation actuelle il y avait des vices nombreux qui mettaient les ouvriers dans une position tout à fait inférieure et qu'en redressant ces vices on arrive forcément à faire aux ouvriers, dans les consuls de prud'hommes, une place plus avantageuse que celle qu'ils occupaient jusqu'ici. On a recherché la justice sans se préoccuper du reste, et plutôt avec la conviction que c'était le meilleur moyen de faire quelque chose d'utile
Ainsi on fait disparaître la condition du payement de la patente. Mais aujourd'hui il y a fort peu d'ouvriers qui payent patente ; par conséquent la loi actuelle ne pouvait être maintenue. On trouve si peu d'ouvriers qui payent patente, qu'il ne vaut pas la peine d'en tenir compte. La loi de 1849 a fait disparaîtra la catégorie des ouvriers patentés.
La loi ancienne accordait la prédominance à l'élément patron. Cela n'est pas justifié. Puisqu'il se présente devant les conseils de prud'hommes des parties qui appartiennent aux patrons et des parties qui appartiennent aux ouvriers, qu'il s'agit d'intérêts également respectables, il faut que ces intérêts soient également défendus.
Quant à la troisième modification portant sur la séparation des assemblées électorales, elle est nécessitée par la première qui augmente considérablement le nombre des ouvriers électeurs, et elle est une garantie, ainsi qu'on l'a fait observer, non pas en faveur des ouvriers, mais en faveur des patrons. Dès l'instant où, par une modification dans les conditions électorales, vous augmentiez le nombre des électeurs ouvriers d'une manière considérable, vous arrivez à absorber l'élément patron par l'élément ouvrier, à moins que, dans les assemblées électorales, vous n'établissiez une séparation complète. C'est ce que fait la modification en question.
Enfin la dernière réforme importante consiste dans l'introduction du système du jeton de présence. Cette disposition n'a pas été critiquée et elle n'est pas susceptible de l'être. C'est une nécessité de fait qui encore ici motive la réforme.
On ne trouve pas toujours des ouvriers qui consentent à exercer leurs fonctions gratuitement. Il faut cependant, pour que les conseils de prud'hommes soient régulièrement composés, que les ouvriers y entrent. Il faut donc leur ouvrir la porte d'une manière convenable.
L'honorable M. de Brouckere a critiqué cette disposition de la loi qui dit que les conseils de prud'hommes pourront siéger et rendre des jugements, quels que soient le nombre et la qualité des membres présents. A cet égard il suffit de répondre que pour obvier aux inconvénients que l'on signale, les membres patrons des conseils de prud'hommes n'ont en définitive qu'à faire acte de présence et de zèle pour leurs propres intérêts. Si les conseils de prud'hommes ne sont pas convenablement composés à raison de l'absence de quelques-uns de ses membres, c'est la faute de ces membres et non celle de la loi.
Mais il y a plus, c'est que sur ce point il n'y a pas d'innovation dans notre projet ; c'est le système actuel ; c'est le système en vigueur que ce projet consacre. Par conséquent, toutes les accusations qu'on pourrait diriger sur ce point contre notre loi, retombent d'aplomb sur la loi existante.
L'honorable M. de Brouckere a aussi critiqué le droit qu'accorde le projet de loi aux conseils de prud'hommes de prononcer un emprisonnement dans certains cas. A cet égard il peut se manifester des divergences assez grandes, et il y aura lieu d'examiner de très près les amendements qui seront proposés. Je n'y manquerai pas en ce qui me concerne, et il est vrai de dire que la matière mérite d'être approfondie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est encore la loi de 1842.
M. Vander Stichelen. - C'est la loi de 1842, mais étendue. La Chambre a pu voir, par les quelques renseignements statistiques que je lui ai donnés, combien, en fait, ce droit entraînait à peu d'inconvénients. Mais, encore une fois, c'est un point de détail que nous aurons à discuter en particulier au sujet de l'article qui s'y rapporte. Pour le moment, c'est un point réservé.
M. David. - J'ai demandé la parole pour faire une simple réserve. On nous a engagés à déposer nos amendements pendant la discussion générale, afin que la section centrale pût les examiner. J'ai déposé trois amendements ; j'attends le sort qu'ils auront avant d'en déposer d'autres. Si mes amendements étaient adoptés, il est certain qu'il faudrait apporter des modifications à d'autres articles pour le mettre en concordance avec les modifications que je propose d'introduire à trois articles. Je veux me réserver le droit de proposer d'autres amendements après la décision de la Chambre sur les premiers.
- Plusieurs membres. - C'est de droit.
M. le président. - La section centrale devant s'occuper demain des nombreux amendements qui ont été déposés, je propose de fixer ta séance publique à trots heures.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée.