(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 465 (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Vander Stichelen communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des cafetiers-restaurants, à Namur, réclament l'intervention de la Chambre pour que le buffet-restaurant de la station de Namur soit mis en adjudication publique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Stienon prie la Chambre d'apporter au paragraphe 4 de l'article premier de la loi du 17 février 1849, sur les pensions civiles, une modification en faveur de ceux qui ont droit aux dix années de service accordées par la loi du 27 mai 1856. »
- Même renvoi.
« Le sieur Maurice Arendt, fabricant d'armes, à Liège, né à Grimberg (Prusse),'demande la naturalisation ordinaire.
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Van Aughem soumet à la Chambre un projet de règlement sur l'institution d'une caisse générale de secours en faveur des militaires qui servent pour un milicien. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Lessines demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires. »
« Par 3 pétitions des habitants de Chaumont-Gistoux, Duffel et les membres du conseil communal de Waleffe font la même demande. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« M. le directeur de la Banque de Belgique adresse à la Chambre 120 exemplaires du compte rendu des opérations de la Banque pendant l'exercice 1857. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. de Boe dépose des rapports sur diverses demandes en naturalisation ordinaire.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. Coomans dépose le rapport de la commission des pétitions sur les requêtes par lesquelles on demande des changements au mode de recrutement de l'armée.
M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, je n'avais pas demandé la parole dans la séance d'hier pour m'occuper de la question postale ; mais comme l'honorable M. Rodenbach d'abord, ensuite mon honorable ami M. Vandenpeereboom ont soulevé cette question, j'en dirai quelques mots aujourd'hui, sans prétendre, cependant, l'avoir approfondie, l'avoir étudiée aussi bien que mon honorable ami M. Vandenpeereboom.
Je suis, messieurs, aussi partisan que les honorables préopinants de l'abaissement de la taxe des lettres.
Je considère cette mesure comme une œuvre de progrès et de civilisation, et je crois que ce progrès doit être accordé à la Belgique tôt ou tard. D'abord, il y a une espèce de droit acquis dans la loi de 1849 ; ensuite, messieurs, je crois que la Belgique ne voudrait pas rester en arrière du progrès que font les autres nations. Mais je crois aussi qu'il y a, avant tout, une question d'opportunité. Est-ce le moment d'accorder à la Belgique la taxe uniforme à 10 centimes, ou doit-on attendre encore ?
A cet égard je désire, quant à moi, marcher d'accord avec le ministère, avec un ministère qui, comme le disait l'honorable M. Vandenpeereboom, a toute notre confiance, toutes nos sympathies. D'ailleurs, le gouvernement est infiniment mieux placé que nous ne pouvons l'être pour apprécier les conséquences financières d'une semblable mesure. Il pourra mieux, quand il prendra l’initiative, concilier l'intérêt, que j'appellerai postal, avec l'intérêt financier.
Il y aura aussi des mesures à prendre pour augmenter le nombre des employés. Il est évident que si l'on abaisse la taxe des lettres, il y aura accroissement dans la circulation des lettres, et dès lors il y aura augmentation dans les frais d'administration. Je ne doute pas que quand le gouvernement jugera le moment opportun, au point de vue financier surtout, il s'empressera d'adopter la mesure qu'on lui conseille.
Le côté financier, comme on l'a reconnu hier, mérite toute la considération de la Chambre. Pendant plusieurs années, il y aura une réduction assez considérable dans le revenu de la poste, réduction qu'on a évaluée hier de 500,000 à 600,000 francs.
Je conçois dès lors la prudente hésitation que met M. le ministre des finances à adopter la mesure. Le cabinet est en présence de plusieurs propositions qui tendent toutes à réduire les revenus du trésor. Nous avons notamment la proposition qui a pour objet de réduire de 75 p. c. le péage sur le canal de Charleroi qui occasionnerait probablement un déficit de 700,000 à 800,000 fr.
Parallèlement à ces réductions dans les revenus du trésor, nous sommes en présence de nouveaux travaux nécessaires à exécuter, au chemin de fer, par exemple. Ainsi, les stations du chemin de fer laissent encore énormément à désirer. Je citerai particulièrement la station du Midi, à Bruxelles, station qui est dans un état véritablement mesquin, celles de Charleroi, de Namur ; je pourrais en citer bien d'autres encore.
La station du Nord, à Bruxelles, n'est pas même achevée. Nous sommes, sous le rapport des stations, dans un état d'infériorité réellement humiliant. Quand on arrive des belles stations de France et qu'on débarque à la station du Midi, on est quelque peu surpris de l'état vraiment mesquin de cette station. Il est donc probable que dans un très bref délai il y aura des dépenses assez considérables à faire de ce chef.
Hier, vous avez entendu encore réclamer, dans cette enceinte, des chemins de fer et des routes. D'un autre côté, il paraît qu'il faudra augmenter les traitements d'un certain nombre de fonctionnaires.
Je comprends dès lors, je le répète, la prudente réserve que met M. le ministre des finances à accepter des propositions qui ont un côté extrêmement séduisant, mais qui, pour avoir un plein succès, doivent ne pas déranger l'équilibre des finances du pays.
Si le gouvernement se laissât entraîner trop facilement dans cette voie, il pourrait arriver que, dans un avenir plus ou moins prochain, on fût forcé de recourir à de nouveaux impôts. Or, ce serait là une mesure extrêmement fâcheuse pour le pays, pour le ministère et pour la majorité qui l'appuie.
Je crois donc qu'il est de l'intérêt de la majorité de laisser le gouvernement juge du moment où il pourra prendre sans inconvénient les mesures qu'on provoque.
Nous reconnaissons, tous, les idées libérales qui animent nos amis, assis au banc ministériel ; nous pouvons avoir entièrement confiance en eux sous ce rapport. Je suis convaincu que le ministère s'occupera sérieusement de trouver les moyens de concilier l'intérêt qui a été développé hier avec l'intérêt financier, afin d'arriver au résultat désiré, dans un bref délai.
L'honorable Vandenpeereboom prétend qu'il y a là un engagement contracté par le gouvernement en 1849, une obligation formelle.
M. A. Vandenpeereboom. - Une obligation morale !
M. d'Hoffschmidt. - Cette obligation ne se trouve pas dans les termes de la loi, qui porte seulement que le gouvernement est autorisé à appliquer cette réforme ; par conséquent c'est à lui à apprécier le moment où il devra faire usage de l'autorisation que la loi lui donne. C'est une précaution très sage. La législature a toujours désiré que l'abaissement de la taxe à un taux uniforme eût lieu aussitôt que l'intérêt du trésor le permettrait ; mais en autorisant le gouvernement à prendre (page 466) directement cette mesure sans qu'il soit nécessaire de présenter un projet de loi, elle lui a abandonné l'appréciation de l'opportunité.
M. Rodenbach. - Lisez la discussion.
M. d'Hoffschmidt. - Le texte de la loi passe avant la discussion ; si la législature avait entendu imposer une obligation au gouvernement, elle l'eût fait d'une manière formelle ; la loi au lieu de dire : Le gouvernement est autorisé, aurait porté : le gouvernement fera.
Je crois donc que la législature a voulu laisser au gouvernement l'appréciation, le choix du moment où il conviendrait d'opérer la réfère e.
J’applaudis, du reste, aux efforts de l'honorable M. Vandenpeereboom pour autant qu'il se borne à engager le gouvernement à prendre la mesure en question le plus tôt possible. Mais il y a d'autres améliorations à introduire dans le service des postes, par exemple l'augmentation des perceptions et des distributions, mesures qui se traduisant en certaines dépenses. J'ai vu que le gouvernement annonçait qu'il allait augmenter le nombre des perceptions et des distributions, et créer 130 places de facteurs de plus. Ce sont là des améliorations aussi essentielles que l'abaissement de la taxe des lettres. La réforme postale, nous l'avons opérée en 1849 ; il ne s'agit que de la compléter.
Je suis d'avis qu'on le fasse aussitôt que la possibilité en sera constatée ; mais, je le répète, la réforme, nous l'avons faite en 1849. La moyenne de la taxe des lettres était alors d'environ 40 à 42 centimes ; on a opéré une réforme très large, très essentielle ; en attendant un an ou deux pour arriver à la taxe uniforme de dix centimes, personne ne peut dire que ce soit là un temps d'arrêt bien nuisible au pays.
Dans les autres pays, sauf l'Angleterre, la taxe est plus élevée qu'en Belgique.
En France, c'est 10, 20 et 40 centimes, il en est de même en Prusse ; en Sardaigne, pays qui n'est pas en arrière en fait de progrès et de liberté, la taxe est plus élevée qu'ici. Nous pouvons donc encore attendre que le gouvernement juge le moment arrivé de réduire de nouveau la taxe des lettres, sans avoir la moindre crainte de nous trouver en arrière des autres pays.
Messieurs, hier j'avais demandé la parole quand l'honorable M. de Luesemans a fait mention d'en passage du rapport de la section centrale qui exprime le vœu de voir bientôt exécuter le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. L'honorable membre a si bien justifié le vœu de la section centrale que j'ai bien peu de chose à ajouter à cet égard. Il est d'une extrême urgence de faire disparaître de notre réseau une lacune que tout le monde a pu remarquer. Elle consiste dans ce petit chemin de fer de Bruxelles à Louvain.
Il n’est pas possible qu'on laisse subsister cette lacune ; on ne peut pas prétendre qu'il faille obliger à perpétuité, en quelque sorte, le voyageur qui va de Bruxelles à Louvain à passer par Malines. C'est là une anomalie évidente qu'il faut nécessairement faire disparaître. Le ministère précédent l'avait déjà reconnu et il avait même présenté un projet de loi qu'il a cependant jugé convenable, je ne sais pour quel motif, d'ajourner ensuite,. Il avait reconnu que, dans l'intérêt de la concurrence que nous avons à soutenir avec les chemins de fer concédés, il importait à un très haut degré d'établir ce chemin de fer, parce que, sans cela, les produits transportés vers Liège, par exemple, pourraient suivre le chemin de fer de Bruxelles à Namur et de Namur à Liège.
D'un autre côté, l'honorable M. Allard a démontré également qu'il était pour nous d'un haut intérêt à ce point de vue de la concurrence, d'avoir une ligne plus directe vers Lille, pour le transport des produits qui transitent de l'Allemagne vers cette partie de la France.
Il y a donc là, messieurs, non seulement une anomalie à faire disparaître, mais encore un intérêt réel pour le chemin de fer à sauvegarder.
Les mêmes considérations s'appliquent aussi au raccordement des stations de la ville de Bruxelles.
La section centrale a également émis le vœu que ce raccordement soit exécuté le plus tôt possible. Il y a là encore une lacune à faire disparaître. Cette solution de continuité, établie sous le ministère de l'honorable M Nothomb, a été déterminée, paraît-il, par cette considération, d'un ordre bien peu élevé, qu'il était de l'intérêt de la capitale d'obliger les voyageurs étrangers à s'y arrêter. De pareilles raisons ne peuvent évidemment plus être invoquées aujourd'hui. Les chemins de fer concédés nous font maintenant une concurrence énorme, contre laquelle le gouvernement doit concentrer tous ses efforts. La grande compagnie du Nord, par exemple, fait à notre chemin de fer une concurrence extrêmement sérieuse, pour les transports dirigés vers l'Allemagne en passant par Namur et par Liège.
Nous sommes donc vivement intéressés à abréger autant que possible toutes les distances susceptibles de réduction. On comprend, par exemple, que le voyageur, venant de France, qui doit se rendre à Liège, n'est guère tenté de prendre la voie de Bruxelles qui l'oblige d'abord à mettre pied à terre dans cette ville et à faire ensuite un détour considérable par Malines.
D'un autre côté, le raccordement qui existe actuellement sur une partie des boulevards de Bruxelles, soulève les plus vives réclamations à raison des dangers permanents qu'il offre à la circulation.
De nombreuses réclamations ont été adressées au conseil communal et à cette Chambre même, au sujet de cette voie qui relie les deux stations du Nord et du Midi.
Ce raccordement ne pourra évidemment pas subsister toujours ; force sera bien de le faire disparaître tôt ou tard, quelle que soit d'ailleurs la dépense qui doive en résulter.
Messieurs, les trois questions dont je viens de m'occuper méritent de fixer toute l'attention du gouvernement et doivent provoquer une décision d'ici à un délai assez rapproché. J'espère que, pour la session prochaine, il pourra nous présenter une solution sur ces questions.
M. Julliot. - Messieurs, j'ai pris la parole pour démontrer une fois de plus que, quand un gouvernement veut fournir des services industriels et commerciaux, il s'expose involontairement à créer une foule d'inégalités dans les conditions du travail et qu'avec la meilleure intention du monde, il aboutit à une quantité de petites injustices qui s'accumulent dans les proportions de son activité.
Mais quand un gouvernement est lancé sur cette pente, il faut bien qu'il y glisse jusqu'au bout. C'est donc au point de vue du système pratique que j'exposerai nos positions respectives et que je conclurai sous toute réserve des principes sur la matière que je crois les meilleurs.
Messieurs, l'honorable M. de Luesemans vous l'a dit hier, et je le remercie de sa bienveillance, il vous a dit qu'il est des parties du pays que le voyageur doit croire étrangères à la Belgique, tellement elles ont été négligées jusqu'à ce jour.
L'honorable membre a cité en première ligne le périmètre qui se trouve entre Landen, Maestricht et Liège où il vous a désigné comme victime principale de cet abandon le chef-lieu judiciaire de la province de Limbourg.
Je développerai en peu de mots l'idée de mon honorable et bienveillant collègue et voici comment. Le gouvernement ayant pris à tâche de développer directement les intérêts matériels de la Belgique, tous les ministères qui se sont succédé, se préoccupant, avant tout, de leur maintien, ont porté toute leur force sur les points les plus remuants du pays, c'est-à-dire que les provinces qui comptent de nombreuses députations ont obtenu, par la pression qu'elles ont exercée sur le pouvoir, tout ce qu'elles ont demandé, et demandent toujours, tandis que les petites provinces ayant un nombre restreint de députés sont impuissantes à faire compter avec elles et sont froidement sacrifiées.
Ce résultat ne peut être autre quand on considère que les propositions parlementaires se décident à coup de majorité et que la voix la plus molle compte à l'appel nominal autant qu'une voix énergique. Oh ! si ces questions pouvaient être décidées de l'un à l'autre en tirant les combattants au sort, je ne me plaindrais pas, je n'en aurais pas le droit, mais nous sommes débordés par le nombre, ce dont je me plains.
Je me propose donc de faire ressortir dans un langage humble et respectueux, le seul qui sied à ceux qui ont à se plaindre, la différence dans les traitements respectifs qu'on nous administre.
Messieurs, le Moniteur annonce que le 22 du mois, le chemin de fer de l’État transportera les électeurs pour Liège à 50 p. c. de réduction sur le prix du tarif.
C'est donc une diminution de recette de 50 p. c. que l’État subit volontairement pour se rendre agréable à une groupe quelconque d'électeurs, sauf à s'adresser au contribuable pour remplir le vide que laissera cette opération.
Je sais qu'il existe une loi où l'on a intercalé la faculté administrative de réduire, dans certains cas, le prix de transport des personnes ; mais cela ne peut avoir eu d'autre but que celui d'attirer des voyageurs qui ne voyageraient pas sans cette réduction dans les prix.
Mais, messieurs, tel ne peut être le but dans le cas présent, car si l'électeur ne paye pas les frais, l'élu est là pour y satisfaire Non, dans l'espèce, c'est un cadeau que l’État fait à des individus qu'il ne connaît pas.
On renonce donc volontairement à une recette assurée au profit de quelques Belges en abandonnant beaucoup d'autres électeurs à leur sort, quelques difficultés qu'ils éprouvent pour se faire transporter.
Si, à l'avenir, le gouvernement veut éviter une accusation d'injustice criante, il ne doit pas se borner à si peu de chose, mais il doit prendre à sa charge la moitié des frais de déplacement de tous les électeurs, en subsidiant les compagnies concessionnaires des chemins de fer et les entrepreneurs de voitures par pavé, et il pourra alors s'appuyer sur un principe qui, maintenant, lui fait défaut. Ce principe sera détestable, mais au moins ce sera un principe.
Le régime actuel a deux poids et deux mesures, et quand on dit qu'en Belgique tous sont égaux devant la loi, on se trompe de moitié.
Cette intervention pécuniaire, spéciale pour quelques-uns, est donc encore une malheureuse conception, parce qu'elle froisse le sentiment élémentaire de la justice, qui doit dominer toutes les convenances.
Quand on compare l'ensemble des avantages qu'ont les localités desservies par le chemin de fer de l’État à la position des contrées qui n'ont ni chemins de fer, ni canaux, l'inégalité devant le travail, provenant du fait du gouvernement, est bien plus choquante encore.
Je prends pour exemple la route pavée de Saint-Trond à Liège, un parcours de sept lieues avec une population très dense. Sous le régime des Pays-Bas, cette route était fréquentée par douze diligences par jour ; il ne lui en est pas restée une seule ; quel est le sort de ces habitants comparés à ceux qui ont des chemins de fer ? Ils ont subi le déplacement de tous les intérêts et, comme conséquence, l'appauvrissement relatif.
Il en est de même de la ville de Tongres, qui, sous Guillaume Ier, était traversée journellement par trente-deux voitures publiques dont elle conserve une seule.
Eh bien, je n'hésite pas à le dire, on nous laisse dans cette situation amoindrie par le fait du gouvernement, parce que l'on sait combien (page 467) notre patriotisme est ardent, car si l’on en doutait, on nous aurait aidés afin de nous garantir contre les réminiscences de ce passé.
Selon moi, le gouvernement a tort de méconnaître si longtemps nos intérêts légitimes, ayant contribué de notre bourse à tout ce qui s'est fait, il n'a pas trop de toutes les sympathies constitutionnelles, et il n'est pas politique de les décourager.
L'histoire nous apprend qu'il ne faut pas un bien grand nombre de mécontents pour rendre parfois les pouvoirs publics perplexes, alors surtout que d'autres ont le moral abattu par le découragement.
Ce n'est pas tout, quand dans ces localités d'où on a enlevé tout mouvement et toute vie possible on demande à faire au moins le service de la poste par voiture comme légère compensation à tous les services publies supprimés par le fait de l’Etat, on y trouve de grandes difficultés et on recule devant une dépense d'un millier de francs par an quand d'un autre côté l’État paye une rente annuelle de 300,000 francs à des chemins de fer concédés que l’on savait d'avance n'avoir que peu d'avenir.
Quand tout autour de nous prospère, et que nous seuls, malgré nos efforts, nous voyons chaque année diminuer le nombre de nos affaires ;
Quand nous nous rappelons les nombreux moyens de transport que nous offrait l'industrie voiturière alors qu'elle était abandonnée à la liberté, et que nous savons tous que l’État, tuteur de tous, agissant avec les capitaux de tous, s'est servi de ces derniers pour nous abaisser au profit d'autres localités, et que l’État, depuis vingt ans, nous maintient élans cette position, il n'est pas difficile de deviner quoi est le sentiment au point de vue des intérêts matériels qui nous anime envers ces bienfaiteurs d'une nouvelle espèce, envers ce régime modèle pour tous ceux qui s'en trouvent bien.
Messieurs, l'adversité fait réfléchir, et nous avons trouvé qu'il y a deux manières différentes de punir les hommes : celui de les chasser de chez eux et celui de leur enlever leurs affaires en les obligeant au repos forcé et condamnés à dépenser jusqu'au dernier sou du fruit de leur travail antérieur. C'est ce dernier procédé qu'on nous a appliqué, et nous avons été exécutés par le corps des ponts et chaussées faisant office de gendarmes.
J'ai assisté à beaucoup de fêtes publiques où on célébrait la prospérité de la Belgique, et chaque fois j'ai dû faire appel à mon sentiment conservateur de la veille comme du lendemain, pour pouvoir m'y associer et y faire bonne contenance.
Je dis donc que, quand, dans le système qui est pratiqué, l’État a été généreux envers les grands intérêts, il doit reprendre ce qu'il a perdu, et refuser tout à des intérêts moindres ; et alors pour fortifier la situation qu'il a trop entamée, il plante de mauvaises essences sur nos routes les plus étroites, il plante même devant les maisons pour empêcher les voituriers d'aborder à un cabaret, il cause des dommages considérables aux riverains, vexe et ennuie énormément le public.
En présence des sommes considérables engagées comme garantie d'intérêt, en présence d'autres contrats onéreux et inexpliqués jusqu'à ce jour, en présence du projet d'acquérir pour l’État une mauvaise petite ligne au double de sa valeur, je demande à M. le ministre des travaux publics ce qu'il se propose de faire pour effacer de ce tableau les ombres qui ne devraient plus s'y trouver. Je fais aussi appel à l'équité de l'honorable ministre des finances qui, comme voisin de Tongres, doit connaître notre situation. Cet honorable ministre possède la force d'exécution et personne ne lui contestera sa part de voix au chapitre, quand ces messieurs sont en conseil. J'attends.
M. de Theux. - Messieurs, dans cette discussion générale, plusieurs honorables membres ont traité avec beaucoup de zèle toutes les questions qui intéressent les arrondissements qu'ils ont l'honneur de représenter. On a fait valoir d'une part le principe de la plus courte distance qui est déjà appliqué sur l'échelle la plus large en Belgique et presque sans exception en ce qui concerne la frontière du Sud. On a invoqué d'autre part le principe de justice qui exige que les diverses localités importantes qui sont encore privées de chemins de fer, obtiennent aussi leur part de bienfaits.
Eu ce qui concerne le principe de la distance la plus courte, il y a, messieurs, deux questions très importantes qui me semblent corrélatives.
On s'est borné, dans la séance d'hier, à traiter la question du raccourcissement du trajet de Bruxelles à Louvain pour faciliter les communications directes de la capitale vers l'Allemagne.
Mais il y a une communication p'us courte, également importante et qui me semble évidemment connexe avec celle-là Je veux parler de l'application de ce principe au trajet d'Anvers vers l'Allemagne.
Je dis, messieurs, que ces deux projets sont connexes ; car ils devraient être exécutés l'un et l'autre, à mon avis, par le gouvernement, et ils auraient un point commun, une ligne commune. Ainsi, par exemple, le projet de communication d'Anvers vers l'Allemagne viendrait aboutir à Aerschot, où il rencontrerait la ligne de Bruxelles par Louvain à Diest. Le trajet d'Aerschot à Diest serait commun, il faudrait ensuite prolonger la route de Diest à Hasselt où se trouve le chemin de fer d'Aix la-Chapelle.
Alors on aurait la communication la plus courte tant pour Anvers que pour Bruxelles, c'est-à-dire pour presque tout l'ensemble de nos chemins de fer. Au lieu d'une ligne vers l'Allemagne, ligne difficile dont la traversée peut être dans certaines circonstances suspendue, on aurait deux lignes, ce qui serait une chose excessivement utile.
Je sais qu'on a objecté que le trésor pourrait perdre une partie du revenu de la ligne actuelle. Mais d'autre part on a remarqué que le principe de la distance la plus courte, surtout pour Anvers, deviendra probablement, dans une époque rapprochée, d'une application absolument indispensable.
J'engage donc fortement le gouvernement à faire l'étude simultanée de ces deux projets.
On pourra objecter peut-être que la compagnie du chemin de fer d'Aix-la-Chapelle à Hasselt pourrait profiter de cette construction, imprévue lorsqu'on a établi ce chemin de fer. Mais le gouvernement pourrait entrer en négociation avec cette compagnie et je suis persuadé qu'on arriverait à un arrangement satisfaisant.
Alors on aurait, en fait de communication avec l'Allemagne, tout ce qu'on peut, tout ce qu'on doit le plus désirer. On l'obtiendrait à peu de frais et je pense même que, si le gouvernement tenait compta des dépenses extraordinaires qu'il doit faire aujourd'hui pour la traversée la plus longue, et la perte que peut subir le commerce par suite d'une concurrence qui sera établie sur le territoire hollandais, le doute viendrait à disparaître.
D'honorables députés ont aussi parlé d'une ligne de Diest au camp de Beverloo, et d'une ligne de Liége traversant Tongres et le reste de la province pour se diriger sur Bois-le Duc où l'on rencontrerait une ligne hollandaise de très grande importance.
Eh bien, messieurs, si l'on se décidait à suivre le plan que j'ai indiqué, de faire passer le chemin de fer d'Anvers et de Bruxelles vers l'Allemagne, par Diest et Hasselt, il n'y aurait qu'une très courte distance à franchir de Diest au camp de Beverloo, d'une grande utilité militaire, une distance d'une ou deux lieues d'une exécution très peu coûteuse.
J'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur ces divers projets. Je sais que les circonstances ne sont pas favorables à l'exécution d'une entreprise grandiose, mais il n'est pas inutile de signaler ces questions au gouvernement et à la Chambre ; elles doivent être agitées longtemps d'avance, pour obtenir enfin une bonne solution.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment puisque ces projets n'ont pas de chance d'exécution immédiate.
M. B. Dumortier. - Messieurs, la discussion du budget des travaux publics a soulevé deux questions complètement distinctes : il y a d'abord les demandes que sont venus faire certains députés en faveur de leurs districts, demandes très légitimes et que, pour mon compte, je ne puis pas désapprouver, car rien n'est plus naturel que de défendre les intérêts de ses mandataires. Ensuite on s'est beaucoup occupé dans la séance d'hier, de l'abaissement de la taxe des lettres.
Permettez-moi, messieurs.de dire quelques mots de l'une et de l'autre de ces questions.
L'honorable M. de Luesemans est venu renouveler la demande que mes honorables amis MM. de la Coste et ses collègues n'ont cessé de produire chaque année, en faveur du redressement de la route de Louvain à Bruxelles.
Il y a pour cela, messieurs, d'excellentes et de très légitimes raisons, car vous savez tous le détour considérable qu'il faut faire pour arriver de Bruxelles à Louvain, et dans l'état actuel de la science des chemins de fer, c'est vers les points de centre, vers les grandes populations, vers les capita'ls que les voies ferrées doivent avant tout se diriger.
On a déjà redressé plusieurs erreurs commises sous ce rapport. Ainsi le chemin de fer de Gand à Bruxelles a rectifiée l'écart qui existait de ce côté. Le chemin de fer direct de Namur a opéré un redressement semblable pour cette direction qui s'étend jusqu'à Arlon.
Maintenant Louvain vient réclamer le même redressement et je crois, messieurs, sauf à examiner le mode d'opération, que cette demande est complètement fondée. Déjà depuis quelques années j'ai eu l'honneur de l'appuyer devant vous et dans les sections Remarquez, messieurs, que je ne m'occupe ici que de l’embranchement de Louvain à Bruxelles ; quant à l'embranchement vers Diest et vers le camp de Beverloo, je ne pense pas que ces questions soient tout à fait sérieuses dans le parlement ; s'il se présente des concessionnaires je serai le premier à appuyer leur demande, mais je ne pense pas que l’État doive construire des chemins de fer pour ne pas avoir de produits.
Je ne parle donc, je le répète, que de la ligne de Louvain à Bruxelles.
Il y a, messieurs, un motif excessivement sérieux pour que le gouvernement s'occupe de ce chemin de fer. Dans l'origine de nos voies ferrées nous avions le bénéfice d'une double traction internationale, nous avions, traversant la Belgique, tous les voyageurs de Paris vers l’Allemagne et nous avions aussi tous les voyageurs de l'Angleterre vers l'Allemagne, c'était là une grande source de produits.
Plus tard, des concessions ont été faites, qui ont enlevé au trésor public la rétribution des voyageurs de Paris vers l'Allemagne et vice-versa. Par le fait de la construction du chemin de fer de St-Quentin, du chemin de fer de la Meuse et puis de l'embranchement d'Erquelinnes, nous sommes arrivés à ce résultat, que nous avons complètement perdu tous les voyageurs qui se dirigeaient de Paris vers l'Allemagne et de l'Allemagne vers Paris.
Maintenant, messieurs, la question se présente sous un autre point de vue ; faut-il arriver au même résultat en ce qui concerne les voyageurs de l'Angleterre vers l'Allemagne ? C'est encore là une circulation très considérable, et dans la situation actuelle, il s'en faut de bien peu que nous perdions complètement cette catégorie de voyageurs.
(page 468) Le passage le plus court, quoi qu'on fasse, entre l'Angleterre et le continent, sera toujours le Pas-de-Calais, c'est là qu'aboutit le plus grand nombre de voyageurs. De Calais un chemin de fer se dirige vers Lille, d'où il continue vers Douai et Valenciennes ; que demain l'administration française fasse un embranchement de 4 ou 5 lieues de Valenciennes à Maubeuge et à partir de ce moment vous perdez tous les voyageurs de l'Allemagne vers l'Angleterre et de l'Angleterre vers l'Allemagne.
De cette manière, messieurs, nous aurions perdu tout à la fois et les voyageurs de Paris vers l'Allemagne et les voyageurs d'Angleterre vers l'Allemagne.
L'intérêt du trésor est donc très sérieusement engagé dans cette question, d'autant plus qu'il s'agit de voyages à longue distance et de voyageurs qui prennent presque tous des voitures de première classe. Notez de plus que les marchandises suivent presque toujours les voyageurs.
Pour porter remède à ce mal, qui ne tardera pas à arriver, il y a un moyen très simple et je l'ai déjà signalé à la Chambre, il y a plusieurs années, c'est de redresser la route de Bruxelles à Louvain, et en même temps la route de Bruxelles vers Lille. La route de Bruxelles vers Lille n'est pas réellement une route, c'est un véritable zigzag. Un honorable collègue me disait dernièrement qu'il était scandalisé de cette route, et il avait parfaitement raison.
Ainsi, par exemple, de Tournai à Lille la distance est de 4 fortes lieues et par le chemin de fer vous devez faire 8 lieues ; de Tournai à Bruxelles la distance est de 13 lieues et vous devez en faire 20 ou 21 par le chemin de fer. Comment voulez-vous, messieurs, dans un pareil état de choses, songera à conserver le transport des voyageurs d'Angleterre vers l'Allemagne ?
Vous avez entre Lille et Louvain plus de 50 kilomètres de détour.
Il est impossible d'imaginer un système qui laisse plus à désirer et qui exige plus impérieusement une réforme.
Si donc M. le ministre des travaux publics veut bien étudier la question du chemin de fer direct de Louvain à Bruxelles, et en cela je m'associe de tout cœur à mes honorables collègues, je demanderai qu'il fasse étudier simultanément la ligne directe de Calais vers l'Allemagne par la capitale.
Il est impossible qu'un pareil état de choses continue. Je sais qu'il y a des résistances dans l'administration. On invoque le privilège dont jouit l'entreprise du chemin de fer du Nord, quant à la partie internationale qui doit se faire entre la frontière française et Lille.
Mais il est à remarquer que, par son contrat, l'entreprise n'a qu'un privilège, que ce privilège n'implique pas la possibilité du refus d'exécuter. Cette affaire doit se traiter nécessairement par la voie diplomatique, puisqu'une partie doit se faire sur le territoire français. Or, il n'est pas douteux que la France ne s'empresse d'admettre en principe le travail qui doit se faire sur son territoire, Une fois te principe admis, le gouvernement français dira à l'entreprise du Nord : « En vertu de votre contrat, vous n'avez droit qu'à un privilège ; entendez-vous user de votre privilège ? Si vous n'en usez pas, d'autres se chargeront de ce travail. »
Il n'y a donc pas d'obstacle sérieux à l'exécution de cette route qui doit abréger le parcours de l'Angleterre vers l'Allemagne, de plus de 50 kilomètres.
Vous le voyez, messieurs ; ce point a une bien plus grande importance que celui qui a été signalé par l'honorable M. de Theux. Le chemin de fer dont parle l’ honorable membre aurait le grand inconvénient de supprimer complètement le transport des produits du port d'Anvers vers l'Allemagne.
Il est évident que si vous créez le second système, le premier est tué ; vous n'avez qu'à ôter vos rails et à les transporter ailleurs.
En un mot, ce sont deux lignes parallèles qu'on demande. Or, l'une a l'avantage d'être sur un terrain plat ; l'autre, dans le but de servir les intérêts de Louvain, de Liège, etc., fait un détour plus grand et traverse un pays accidenté ; elle a coûté des sommes énormes ; pour la section seule de Liège jusqu'à la frontière prussienne, nous avons dépensé 32 à 35 millions.
Eh bien, est-il désirable que l’État fasse le sacrifice total de la recette que lui procure cette ligne ? J'avoue que je ne le crois pas.
Au contraire, la direction que j'indique est complètement d'intérêt général.
Cette ligne devra bien finir par être construite. On ne peut pas, sans un déni de justice, déshériter à jamais toute une partie de la Belgique, on ne peut pas lui laisser un chemin de fer en zigzag, qui est plutôt un signe d'interrogation qu'une réalité.
Messieurs, permettez-moi de dire quelques mots sur la question qui a été soulevée hier par mon honorable ami, M. Rodenbach, puis par mon honorable et excellent collègue, M. Alph. Vandenpeereboom, et par d'autres orateurs encore. Il est utile que le pays ne s'imagine pas qu'il y ait unanimité dans cette Chambre pour réduire la taxe des lettres au taux uniforme de 10 centimes ; il est bon qu'on sache que la Chambre renferme beaucoup de membres qui ne partagent pas cette opinion.
« Le trésor, dit-on, fait un bénéfice, » et dès que le trésor public fait un petit bénéfice, on veut l'en priver.
Quant à moi, je regarde le bénéfice fait par l’État sur le transport des lettres, comme étant, sans comparaison aucune, le meilleur de tous les impôts. En transportant les lettres, l’État rend un service, mais l’État n'est pas obligé de rendre un service gratuit, pas plus que ne le ferait en pareil cas un particulier. Quel est l'individu qui peut transporter les lettres au prix auquel l’État les transporte ? Mais si l’État rend ce service à un prix tellement bas qu'il n'y en a pas d'exemple sur le continent, je trouve qu'il est bon de s’en tenir là ; et si le transport des lettres rapportait à l’État 4 à 5 millions, loin de m'en plaindre, je m'en féliciterais.
Qui serait particulièrement avantagé par la réforme ? Ce seraient les gens qui nous ressemblent, ce seraient les personnes aisées ; de manière qu'en résumé, nous plaiderions ici pour notre propre cause. Les grands négociants sont ceux qui expédient le plus de lettres ; ils retireraient le plus d'avantages de la mesure. Or, j'aime beaucoup mieux, pour ma part, un mode d'imposition dont on n'est atteint qu'autant qu'on le veut bien, je l’aime beaucoup mieux, dis-je, que tout autre impôt qui pèse sur les petits contribuables.
Messieurs, permettez-moi de vous de faire un rapprochement. Voici un riche négociant qui paie une patente de 60 à 80 francs, et c'est une patente très forte dans une ville de troisième ordre ; à côté de ce riche négociant, est établi un petit boutiquier qui peut à peine gagner sa vie et qui paye une patente de 15 à 20 fr.
Il n'y a pas là de proportion. Le grand négociant paye infiniment trop peu comparativement au petit boutiquier, ou le petit boutiquier paye infiniment trop comparativement an grand négociant.
Puisqu'il y a déjà une si grande disproportion dans la patente, est-ce un mal que quelques timbres-poste viennent augmenter la redevance du grand négociant ?
Au reste, si la situation du trésor le permettait, il faudrait songer à réduire les impôts qui pèsent sur les petits contribuables, sur les petits boutiquiers, lesquels, dans les villes de deuxième et de troisième ordre, sont dans une position extrêmement déplorable. Car, ne vous faites pas illusion : depuis l'établissement des marchés qui ont été autorisés, sur la demande des conseils provinciaux, dans une foule de bourgades, les paysans de ces bourgades ne vont plus acheter dans les villes ; les ressources des boutiquiers y diminuent et les contributions restent les mêmes.
C'est une charge très considérable pour le petit détaillant que l'impôt de patente. Je le répète, si une économie pouvait se faire, il serait bien plus juste de réduire les petites patentes que d'améliorer encore la position de ceux qui réalisent déjà de très gros bénéfices, ce dont je les félicite, mais qui peuvent très facilement supposer la taxe des lettres telle qu'elle est établie actuellement.
On a fait, quant à cette taxe, des calculs à perte de vue. On s'imagine que plus on abaissera le prix du transport de la lettre, plus l’État recevra.
Messieurs, en matière de finances deux et deux ne font pas toujours quatre et la moitié de deux n'est pas toujours un. Il y a beaucoup d'erreur dans les combinaisons qu'on a présentées sur cette matière. Ainsi on vous dit qu'en 1849 la première année de l'abaissement de la taxe à 20 et 10 centimes, il y a eu une augmentation d'un million dans le nombre des lettres, pour moi, je suis surpris que l'augmentation n'ait pas été plus grande.
L'honorable membre attribue cela uniquement à l'abaissement de la taxe, il met de côté deux considérations qui ont cependant exercé une grande influence ; ainsi, on a abaissé l'affranchissement à 10 et 20 centimes suivant les distances, mais dans le même moment on a établi les timbres-poste qui donnent une énorme facilité à ceux qui veulent écrire et ont par conséquent contribué à l'augmentation des lettres. Cela existe aujourd'hui, et un nouvel abaissement de la taxe ne changera rien à l'état des choses.
Mais une autre considération bien plus sérieuse, c'est la création de la poste rurale.
Cette création a donné lieu à un grand développement des correspondances. Avant quand un habitant d'un village devait recevoir ou envoyer une lettre, il devait la faire prendre ou porter par un commissionnaire à la ville où se trouvait le bureau de poste. La pose rurale a été organisée au même moment où l'on a abaissé la taxe et a amené un développement très considérable de l'envoi des lettres ; toutes les communes se sont trouvées en position de pouvoir envoyer et recevoir des lettres.
Il est donc vrai que quand on attribue l'augmentation signalée à l'abaissement du port d'affranchissement on omet deux considérations qui ne peuvent plus opérer sur une augmentation future en supposant qu'on abaisse la taxe au taux uniforme de 10 centimes.
On nous dit que pour l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande une lettre ne paye que 10 centimes. On voudrait établir chez nous le système de l'Angleterre. Je demanderai si c'est sérieusement qu'on demande l’établissement du penny-postage.
Dans ce cas, prenez-le dans son entier, appliquez-le aux journaux et aux imprimés. Vous envoyez un imprimé d'une extrémité à l'autre de la Belgique, d'Ostende à la frontière de Prusse pour un centime ; en Angleterre on paye cinq centimes.
Eh bien, veuillez-le remarquer, si vous voulez le système anglais, est-ce là ce que vous voulez ? (Interruption.) Alors vous voulez un système plus onéreux pour le trésor que celui de l'Angleterre. Le gouvernement ne peut pas vous suivre dans la voie où vous vous engagez, vous faites naître des espérances qui ne sont pas fondées, dans lesquelles la Chambre et le ministre quel que soit son désir, ne peut pas vous suivre, parce qu'il doit avant tout veiller aux besoins du trésor, besoin impérieux dont il sent chaque jour les nécessités.
Il faut quant à présent laisser les choses telles qu'elles sont. Nous (page 469) avons déjà fait beaucoup, ne nous livrons pas à de nouvelles expériences, ce serait nous exposer à des mécomptes. Si vous aviez une nouvelle augmentation dans le nombre des lettres, vous devriez augmenter votre personnel ; le personnel actuel suffit à peine, les porteurs ruraux sont harassés ; supposez un million de lettres de plus à porter, vous aurez à subir une augmentation de dépense considérable et vous aurez constitué le trésor en déficit considérable.
En Angleterre depuis qu'on a établi le penny-postage, malgré l'augmentation considérable des correspondances on n'est pas encore parvenu à combler le déficit qui en est résulté pour le trésor. Nous avons eu le bonheur d'admettre un système sage, modéré, qui satisfait à tous les besoins, notre système est le plus économique qui soit en Europe, nulle part le service n'est mieux fait qu'en Belgique. N'oublions pas, messieurs, que le mieux est l'ennemi du bien, et contentons-nous du bien.
M. Vermeire. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de s'asseoir demande si c'est sérieusement que nous demandons la réforme postale à 10 centimes. Pour ce qui me concerne je réponds oui, et je prétends que cette réforme est acquise aux termes de la loi de 1849. Je ferai observer à l'honorable M. Dumortier, que d'après les renseignements que l'on vient de me fournir, les jo naux anglais se distribuent gratuitement dans les trois royaumes unis, l'Angleterre, l'Irlande, l'Ecosse, donc le timbre-poste n'y est point appliqué.
M. Coomans. - On ne paye rien du tout en Angleterre pour le transport des journaux.
M. de Perceval. - C'est encore moins qu'en Belgique.
M. Vermeire. - Les considérations qu'a fait valoir hier l’honorable M. Vandenpeereboom en faveur de la réforme postale me paraissent être concluantes.
En effet, lorsque la Chambre, en 1849, avait adopté la taxe unique de dix centimes, ce n'est que sur un amendement, introduit par le Sénat, que le système des deux taxes appliqué aux deux zones a été admis. Le rapporteur de la loi sur l'amendement du Sénat disait dans son rapport :
« L'amendement du Sénat établit d'une manière transitoire deux zones à deux taxes, suivant les distances, et proroge la mise en vigueur de la taxe uniforme pour tout le pays, jusqu’à la fin de l'exercice où le retenu net de cette branche des services publics aura, de nouveau, atteint le chiffre de deux millions qui a été obtenu, en moyenne, pendant les dernières années. »
La double taxe ainsi commentée me paraît indiquée d'une manière exacte l'époque; à laquelle la taxe unique sera acquise de droit.
Je crois que nous avons atteint le terme assigné à cette échéance. Il est vrai que le texte de la loi n'est pas aussi explicite, mais le gouvernement n'ayant fait aucune observation sur le commentaire du rapport de M. Cans, son silence doit être considéré comme un acquiescement à cette explication, et dès lors le doute que l'on pourrait conserver à cet égard doit, ce me semble, disparaître complètement.
Lors de la première réforme, on a prétendu qu'un déficit énorme en serait résulté pour le trésor : les uns l'avaient évalué à 1,500,000 fr., les autres à 2 millions. Les faits sont venus attester qu'on s'était trompé ; et même le déficit de la première année était bien au-dessous de ces évaluations exagérées, et le résultat constaté aujourd'hui est que le chiffre indiqué de 2 millions est atteint, voire même qu'il est dépassé.
L'honorable M. d'Hoffschmidt, lui aussi, dit qu'il y a droit acquis en faveur de la réforme ; mais il pense, en même temps, qu'elle ne doit être opérée que tôt ou tard. Ce tôt ou tard est un terme qu'il me serait fort difficile d'apprécier ; je me borne à constater que l'honorable membre est, en principe, favorable à la mesure.
Messieurs, la réforme postale, introduite en 1849, a été représentée comme une faveur qui aurait été accordée au commerce et à l’industrie ; mais on semble oublier que cet avantage a été amoindri par une autre mesure qui a été proposée en même temps que la réforme postale ; je veux parler de l'établissement du timbre sur les effets de commerce. Voici ce que disait à cet égard l’honorable M. Veydt, ministre des finances dans la séance du 18 mai 1848 :
« On nous rendra la justice de reconnaître, qu'en venant proposer deux lois qui sont de nature à réduire les recettes, nous avons rempli notre devoir d'apporter, en même temps, la compensation, en faisant cesser la cause des pertes que l'état actuel de la législation sur le timbre n'a pas pu prévenir. »
Je crois donc, messieurs, que le gouvernement aurait tort de ne pas compléter immédiatement la réforme postale introduite en 1849 ; c'est une mesure vivement réclamée par le pays et en faveur de laquelle il y a un véritable droit acquis.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment sur cette question.
Il me reste à présenter quelques observations sur quelques autres points qui ont été traités déjà dans cette discussion.
Mon honorable collègue, M. de Terbecq, a signalé, de nouveau, à l'attention du gouvernement, l’état fâcheux dans lequel trouve la navigation sur la Dendre et surtout sur l'Escaut en amont et en aval de Termonde. Cette observation a déjà été présentée, à plusieurs reprises, par les députés qui ont été envoyés dans cette enceinte par l'arrondissement de Termonde ; mais je ne sache pas que, jusqu'à présent, le gouvernement ait fait quelque chose pour atténuer ce fâcheux état de choses. Cependant, messieurs, il arrive fréquemment et, presque à des époques périodiques, que des navires chargés vont se briser sur les bancs de sable qui se trouvent vis-à-vis de la commune d'Appels ainsi que vis-à-vis de Baesrode-Briel.
Il me serait agréable d'obtenir à cet égard quelques explications de la part du gouvernement.
Quant à l'amélioration de la Dendre, je crois également que, dans l'intérêt de nos bassins houillers et surtout dans l'intérêt des consommateurs qui se trouvent dans ces parties du pays, encore privées des bienfaits du chemin de fer, il est nécessaire qu'on se prononce sur la question de la canalisation de la Dendre. Il y aurait, je pense, moyen de rendre la navigation permanente sur cette rivière et de faire, en même temps, écouler les eaux surabondantes qui viennent par cette voie aux époques des fortes crues.
Je désirerais connaître, également, ce que le gouvernement a l'intention de faire par rapport à cette rivière.
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - L'honorable M. Vermeire vient d'entretenir la Chambre» d'un fait assez grave, à savoir la formation de bancs de sable dans l'Escaut en amont et en aval de Termonde. Le gouvernement, messieurs, a porté son attention sur ce fait depuis longtemps déjà. Ces bancs sont le produit ou l’effet du régime naturel de la rivière, où le flux et le reflux agissent avec une certaine force. Ils ne sont même pas fixes : ils se déplacent souvent, tantôt vers l'amont, tantôt vers l'aval, d'après le plus ou moins d'intensité des courants.
M. Vermeire. - Il y en a partout maintenant.
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Le même phénomène subsiste sur différents peints du bas Escaut. Je pense, et c'est, du reste, l'opinion des hommes de l'art, qu'il ne servirait de rien de les faire disparaître parce qu'ils seraient de suite rétablis par l'action incessante on fins et du reflux.
L'expérience a démontré l'impuissance des moyens artificiels pour remédier à cet inconvénient ; et il est à craindre que la dépense qu'on y appliquerait serait faite en pure perte. Toutefois, l'administration portera son attention sur cet objet ; des études seront faites sur les lieux, et s'il y a un moyen praticable de parer à l'état de choses dont on se plaint, il sera évidemment employé.
Quant à la navigation de la Dendre, le conseil des ponts et chaussées, ainsi que j'ai eu l'occasion de le faire connaître déjà, s'est occupé tout récemment de la question. Un grand pas vient d'être fait : le conseil, à l'unanimité, y compris les ingénieurs en chef des deux provinces de Flandre orientale et de Hainaut, ont reconnu que le meilleur système à appliquer c'est le système d'écluses à sas.
Je n'ai pas encore le rapport du conseil ; mais je me hâte de faire part de ce résultat à la Chambre pour faire voir que le gouvernement s'applique sérieusement à trouver une solution de cette importante question.
Le système auquel on s'est arrêté a paru le plus favorable pour répondre aux besoins de la navigation, et en même temps pour parer aux inconvénients très sérieux résultant des inondations qui ont lieu dans les moments de grande affluence des eaux.
Il y a cependant un point qui reste encore indécis.
Quelques membres du conseil des ponts et chaussées ont pensé que, puisqu'il s'agissait d'exécuter des travaux à la Dendre, il fallait le faire d'une façon comptée, et ils ont exprimé l'avis qu'il convient de régler le système d'écluses de façon à permettre la navigation par des bateaux pouvant charger 220 tonneaux. D'autres ont pensé que la dépense qu'il y aurait à faire pour arriver à ce résultat serait trop considérable et qu'une navigation moindre satisferait aux besoins légitimes des localités intéressées ; ils sont d'avis que des écluses qui permettraient la navigation par des bateaux portant un chargement effectif de 120 tonneaux répondraient suffisamment aux. besoins actuels.
Cette question n’est donc pas complètement vidée. Il reste maintenant à examiner qu’elle serait, dans l'un et l'autre système, le montant de la dépense ; et il faudra, quand la dépense probable sera connue, la mettre en rapport avec les avantages respectifs de l'un et l'autre mode de navigation. Ce n'est qu'après avoir examiné la question à ce point de vue qu'une décision pourra être prise. Cette étude va être commencée immédiatement ; elle sera poursuivie avec une très grande activité et, dans tous les cas, il n'y a aura pas de temps perdu puisqu'il serait impossible de mettre la main à l'œuvre immédiatement, attendu qu'il est indispensable de créer d'abord les ressources qui devront pourvoir à la dépense assez considérable, trois millions environ, que coûteront les travaux à faire à la Dendre.
Je passe, messieurs, à la question qui a occupé le plus longtemps la Chambre ; c'est celle qui a été soulevée déjà et qui a été reproduite de nouveau. Je veux parler de ce qu'on appelle la réforme postale, c'est-à-dire la réduction à 10 centimes de la taxe de 20 centimes que payent actuellement les lettres transportées à plus de 30 kilomètres.
En principe, le gouvernement est partisan de la réduction. Reste, messieurs, la question d'opportunité pour l'application de cette réduction de taxe.
La loi du 22 mars porte textuellement que le gouvernement est autorisé à abaisser la taxe à 10 centimes, lorsque le produit net de la poste aura atteint le chiffre de 2 millions.
(page 470) Remarquons, en passant, que l'abaissement de la taxe n'est pas une prescription impérative, que c'est simplement une prescription facultative. Le gouvernement est autorisé à abaisser la taxe. Mais cet abaissement ne lui est pas imposé, quand la recette sera de 2 millions. Je dirai plus, c'est que si on lit attentivement les discussions qui ont eu lieu au Sénat, il est évident que cette assemblée s'est ralliée à une proposition en forme de transaction, sachant bien que le gouvernement n'oublierait jamais quels sont les devoirs qu'il a à remplir comme gouvernement et qu'il ne consentirait à l’abaissement de la taxe que lorsqu'elle serait praticable et compatible avec les besoins du trésor public.
On a prétendu qu'il y avait engagement moral. Je crois que cela n'est pas absolument exact. Il n'y a aucune espèce d'engagement. Du reste, il en serait autrement que la législature actuelle ne pourrait être liée par un vœu émis précédemment. Il me semble que, quant à ce point, la Chambre reste dans une liberté complète, et que le gouvernement lui-même peut tenir compte en 1858 des conditions dans lesquelles il se trouve, conditions qui pouvaient n'être pas les mêmes lorsqu'on a voté la loi avec la pensée que la taxe pourrait être réduite à 10 centimes. Il s'est passé depuis lors beaucoup d'événements. Et puis il y a la question financière d'après laquelle on doit se guider pour savoir s'il faut appliquer la détaxe.
La question d'opportunité reste donc tout entière, et le gouvernement, tout en admettant le principe de l'utilité de la réduction du port, ne croit pas que le moment soit venu de le mettre à exécution en 1858.
D'abord la recette nette est-elle bien en réalité de deux millions ? D'honorables membres prétendent que oui et se livrent à de profonds calculs. L'administration soutient le contraire.
M. Rodenbach. - Vous l'avez reconnu vous-même.
M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Jamais je n'ai reconnu cela. Un document a été distribué aux membres de 1a législature. Ce document contient les renseignements recueillis par le département des travaux publics, pour l'année 1856, et fait connaître la vérité, autant qu'on la connaît au département, sur toutes les branches de l'administration. Vous trouverez à la page 34 de ce document le produit et la dépense des postes. Vous y trouverez que la recette totale des postes est de 4,600,000 fr. La dépense des postes y est portée à 2 millions.
Il y aurait donc une différence de 600,000 fr. Mais on ne décompte pas les 270,000 fr. de timbres-poste vendus dans l'année, et qui ne sont pas rentrés. (Interruption ) Cette somme dot évidemment être décomptée. Les timbres-poste sont de l'argent au moyen duquel on affranchira plus tard les lettres que vous devez transporter.
Il faut aussi décompter les remboursements aux offices étrangers ; c'est une somme de 143,000 fr.
Il y a les transports gratuits effectues par le chemin de fer de l’État, et qui ont remplacé les dépenses que ferait l’État pour le transport par les messagistes. Je crois que cela doit être décompté, c'est une somme de 200,000 fr.
Nous avons encore la dépense pour les bureaux ambulants. C'est bien là une dépense postale ; c'est la poste roulante.
Fn comptant tout cela, nous avons une somme de près de 3 millions à défalquer de la rente brute de 4,000,000 francs ; en sorte que vous n'atteignez pas les 2 millions.
Je ne compte pas la dépense des paquebots vers l'Angleterre. Or il est évident qu'elle se fait surtout par la poste ; c'est réellement un service postal et dans toutes les administrations qui emploient des paquebots dans ces conditions on porte la dépense au compte de la poste. Cependant dans les calculs qui précèdent j'ai laissé cette dépense hors ligne.
Ainsi je dis que les chiffres qui sont présentés sont tout au moins sujets à contestation, et que l'on est loin d'être d'accord. Je ne pousserai pas plus loin l'étude des chiffres ; cela fatiguerait la Chambre.
Mais je me place dans l'hypothèse la plus défavorable et j'admets un instant que les honorables membres qui demandent la réduction aient raison contre l'administration, et que le revenu net de la poste ait atteint, comme ils le prétendent, le chiffre de 2 millions.
Restera toujours la question d'opportunité.
Vous transportez 8 millions de lettres. Réduisez le port de moitié, vous avez une perte de 800,000 fr. Ajoutez 12 ou 14 p. c. pour les lettres de poids, comme on dit en style de poste, c'est-à-dire pour les lettres qui pèsent plus de 10 grammes, et vous arriverez à une perte d'environ un million. Comment remplacerez-vous ce million ? Car vous en avez besoin. Vous le remplacerez donc par d'autres impôts ? C'est une question qui ne me regarde pas. Elle concerne M. le ministre des finances.
Mais je crois que s'il arrivait avec une proposition pour créer un million d'impôts, vous trouveriez qu'elle n'est pas compensée par les avantages qu'on pourrait retirer d'une réduction de la taxe des lettres. Je crois surtout que le pays accepterait cette mesure avec peu de faveur.
A cela les honorables membres répondent que cette réduction serait couverte presque immédiatement par un accroissement de recette. C'est là une simple appréciation, et pour moi qui ai étudié la question de très près, pas seulement maintenant, mais depuis longtemps, je regarde cette prévision comme le fait d'un véritable optimisme. Je prends des exemples dans ce qui s'est passé dans les autres pays et dans ce qui s'est passé chez nous, et nulle part je ne vois que la progression ait atteint les proportions que nous annoncent les honorables membres.
Voyez ce qui s'est passé lorsqu'on a réduit la taxe en Belgique. Le port de la lettre était précédemment en moyenne de 43 1/2 centimes. Il y avait des ports de 80, de 60 c., selon les distances. Il y a donc eu une réduction très considérable de la taxe. Avez-vous eu un mouvement de lettres beaucoup plus considérable ? Nullement.
En Angleterre on a fait une réduction extrêmement forte. Qu'a-t-elle produit ? De très bons esprits en Angleterre reconnaissent aujourd'hui qu'on a été beaucoup trop loin. Il y a même presque unanimité à cet égard.
Eh bien, si en allant si loin vous n'arrivez pas à votre résultat, c'est évidemment que votre système ne peut pas être appliqué d'une manière générale.
Ainsi, messieurs, en Angleterre, à l'heure qu'il est, malgré les grands perfectionnements qui ont été introduits, malgré les nombreuses franchises qui ont été supprimées, il a y encore une différence de plus de 10 millions en moins sur la recette qu'on effectuait avant la réforme ; cependant on a appliqué la taxe à tous les imprimés et les lettres de faire-part, les avis de toute espèce, tout ce qui chez nous paye un centime coûte en Angleterre 10 centimes, et c'est ainsi, pour le dire en passant, qu'on arrive à calculer des moyennes de lettres par individu, qui constituent une si grande différence au désavantage de la Belgique.
Maintenant, messieurs, je pense qu'il y a autre chose à faire. Nous avons déjà en Belgique un système postal que nous pouvons citer comme le plus parfait qui existe. La taxe n'est nulle part à moindre prix qu'en Belgique. (Interruption.)
Elle n'est pas moindre en Angleterre si vous considérez que dans notre pays de liberté, dans notre pays à institutions si libérales, les plus grandes dépenses ont été faites en vue des campagnes, si vous considérez que chez nous les lettres se distribuent dans les moindres villages tandis qu'en Angleterre on ne les distribue que dans les grands centres de population. En Angleterre, dans les campagnes, on ne vient pas vous porter vos lettres à domicile, il faut les aller chercher au bureau. Je dis donc que nous avons un prix moindre qu'en Angleterre.
Voyez, messieurs, quels perfectionnements : dans les plus petites localités, tous les jours, des facteurs viennent apporter les correspondances et cela à un prix excessivement minime. Ainsi, moyennant un centime, les journaux sont portés sur tous les points du royaume, et même dans les localités le- plus éloignées. Eh bien, je crois qu'il y a encore des améliorations à introduire et que cela est bien plus indispensable que l'abaissement de la taxe.
Il faut commencer par faire toutes les dépenses nécessaires pour perfectionner la poste autant que possible, car la plupart de ces dépenses seront productives et vous arriverez ainsi à une situation qui vous permettra d'abaisser la taxe sans compromettre l'état de nos finances.
Aujourd’hui, messieurs, ce qui détourne les lettres de la poste, ce n'est pas la taxe de 10 ou 20 centimes, mais c'est qu'on n'a pas toujours l’occasion de faire parvenir les lettres dans le délai le plus court. C'est à cela qu'il faut d'abord pourvoir. On a perfectionné le service de la poste rurale et on a dû le faire d'abord avec une très grande économie.
Ainsi, on a restreint, dans les limites les plus étroites, le nombre des facteurs ; on a fixé leurs traitements à un taux très minime. On a reconnu qu'ils étaient trop peu rétribués ; aujourd'hui, grâce aux libéralités des Chambres, leur rémunération est suffisante, mais il faut augmenter un peu le nombre de ces agents, car il y a des tournées qui sont au-dessus de la force humaine.
Dans les environs de Charleroi, il y a une foule de communes qu'on ne peut pas traiter comme des communes rurales, car il y a là une activité extraordinaire. Il faut créer des bureaux nouveaux.
Il y a aussi un régime nouveau à introduire pour les articles d'argent. Cela intéresse fortement les petites transactions. Aujourd'hui le tarif est beaucoup trop élevé. Il est possible qu'il y ait là, pour la première année, une légère perte à subir, mais comme la réduction sera faite prudemment et à mesure des indications de l'expérience, la compensation ne tardera pas à s'établir.
Il y a certains traitements de percepteurs qui sont au-dessous de ce qui est absolument nécessaire, ces traitements il faudrait les compléter.
Je pense aussi, messieurs, que le pays ne retire peut-être pas de la poste tous les avantages qu'il peut en attendre ; peut-être pourrait-on ajouter quelque chose au transport des lettres : il y a de légers paquets qu'il est très difficile d'envoyer d'un point à un autre ; il ne serait peut-être pas impossible d'ajouter cela au service de la poste sans le trop surcharger. Il en résulterait évidemment un très grand bien pour le public. De ce chef il y aurait encore quelques légères dépenses à faire.
Eh bien, messieurs, je pense qu'avant de toucher au revenu de la poste il faut mettre ce service à même de satisfaire à tous les besoins et y introduire les différentes améliorations que je viens d'avoir l'honneur d'indiquer. Je compte suivre cette voie et je ne pense pas que pour l'exercice 18c58 on puisse toucher à la taxe des lettres.
Je le répète, messieurs, le gouvernement est, en principe, partisan de la réduction, et il ne manquera pas de la proposer aussitôt qu'il pourra le faire sans déranger l'équilibre financier.
M. B. Dumortier. - Messieurs, tout à l'heure un honorable collègue niait ce que j'avais annoncé, qu'en Angleterre les journaux sont chargés d'un droit de transport de 5 ou 10 centimes ; pour convaincre l'honorable membre qu'il était dans l'erreur, je viens de faire chercher à la poste un numéro du Globe, qui vient d'arriver, et il porte en effet un timbre de 10 centimes sur la bande.
(page 471) M. Coomans (pour un fait personnel). - Messieurs, je crois que je suis pour moitié ou pour un tiers au moins dans l'observation que vient de vous soumettre mon honorable ami, M. Dumortier. J'ai dit qu'un journal anglais, pour être transporté d'un bout des trois royaumes à l'autre, ne paye rien à la poste. Ceci est un fait. Le journal anglais est frappé d'un timbre obligatoire pour le citoyen qui demeure dans les bureaux mêmes du journal, autant que pour le citoyen qui demeure au bout du royaume.
Que ce journal circule ou ne circule pas, il est frappé du même droit. Ainsi, il est fort inexact de dire qu'il y a un droit de circulation sur les journaux en Angleterre.
Le système admis en Angleterre a été préconisé plusieurs fois dans cette Chambre et dans d'autres assemblées délibérantes. (Interruption.) Il ne s'agit que de s'entendre. L'honorable M. Dumortier nous exhibe un journal qui nous est expédié d'Angleterre et qui a payé un port de 5 centimes. Soit, nous savons parfaitement bien que la poste anglaise, pas plus que la poste belge, n'expédie gratuitement des journaux à l'étranger. Mais, je maintiens que sur le sol anglais la poste transmet les journaux sans autres frais que celui du timbre, appliqué à tous les journaux mis en circulation.
M. le président. - La parole est à M. de Moor.
M. de Moor. - Comme mon intention n'est pas de parler sur la réforme postale, je cède mon tour de parole à l'honorable M. Orts qui désire présenter quelques observations à cet égard.
M. Orts. - Messieurs, j'ai été un des signataires de la proposition que la Chambre avait adoptée en 1849 et qui avait pour but d'établir une taxe uniforme pour le transport des lettres à l'intérieur.
j'étais convaincu, à cette époque, de deux choses ; j'étais convaincu d'abord que la réforme ne serait pas obtenue sans résistance de la part des défenseurs légitimes du trésor ; j'étais convaincu ensuite que la résistance une fois vaincue, le temps me donnerait raison, ainsi qu'aux partisans de la réforme, quant aux appréhensions des défenseurs de l'intérêt du trésor.
Aujourd'hui qu'il s'agit de compléter ce qui a été fait en 1849, j'ai encore exactement les mêmes convictions, je suis encore persuadé qu'une réforme nouvelle ne sera obtenue qu'après une grande résistance de la part des défenseurs du trésor et qu'une nouvelle victoire des partisans de la réforme amènera la confirmation des faits, nous donnera complètement raison, en démontrant le peu de fondement des nouvelles appréhensions qu'on a exprimées.
Pour moi, je suis déterminé, en 1858 comme en 1849, à insister pour que l'engagement moral pris à cette époque soit tenu.
La dette que le gouvernement et les Chambres ont contractée en 1849 envers le pays est venue aujourd'hui à échéance, et il est de l'honneur du gouvernement et des Chambres de l'acquitter.
Du reste, la question a fait aujourd'hui un très grand pas. Elle n'est pas neuve. Je n'ai pas la prétention de produire des arguments nouveaux à l'appui de l'opinion que je viens défendre ; je constate cependant un changement, au moins dans la position de la question.
Depuis que nous demandons dans cette Chambre que la réforme, opérée en 1849, soit complétée, on nous a opposé constamment l'argumentation que voici : « La condition inscrite dans la loi n'est pas réalisée ; le terme que vous indiquez n'est pas atteint. On a promis de compléter la réforme postale par l'établissement de la taxe uniforme de 10 centimes, lorsque le revenu net serait après la réforme ce qu'il était avant. Or, cette éventualité n'est pas encore réalisée. »
Voilà ce qu'on soutenait. Mais aujourd'hui la question a fait un grand pas.
M. le ministre des travaux publics a reproduit les calculs de ses prédécesseurs ; mais il a déclaré qu'il ne tenait pas un compte très sérieux de cette objection-là ; qu'il admettait que l'hypothèse, prévue en 1849, est réalisée aujourd'hui. (Interruption.)
M. le ministre a dit : « Je me place dans cette situation-ci ; le revenu, net de 2 millions est atteint ; mais dans ce cas se présente une autre question : le trésor perçoit maintenant une somme de 2 millions ; doit-il l'abandonner ? Ce n'est pas là une question purement postale ; c'est une question qui intéresse autant et plus le ministre des finances que le ministre des travaux publics ; la Chambre doit se préoccuper de ce côté de la question. Il s'agit de voir si le revenu net de 2 millions, que produit la poste doit être préféré ou non à d'autres impôts. »
M. le ministre des travaux publics a parfaitement raison de placer la question sur ce terrain, et nous l'y suivrons, parce qu'à mon avis, la question qu'on discute depuis deux jours est devenue en réalité une question de finances, une question de voies et moyens. Mais comme il n'est pas possible d'arriver aujourd'hui à une conclusion pratique, dans le budget des travaux publics, je déclare, pour ma part, que j'ajourne tout débat jusqu'à la discussion du prochain budget des voies et moyens ; mais comme alors une solution devra intervenir, j'annonce en même temps que la Chambre sera consultée une bonne fois, à cette époque, sur le point de savoir si le pays peut enfin espérer de voir se compléter la réforme faite en 1849.
La question sera là discutée avec opportunité ; nous aurons à en examiner le côté financier et la Chambre pourra se prononcer en parfaite connaissance de cause.
Je dirai cependant à M. le ministre des travaux publics que je lui sais gré des améliorations qu'il a apportées dans le service de la poste ; je vois que ce service doit être amélioré dans le sens qu'il a indiqué.
Mais je pense, et ici je m'écarte un peu de sa manière de voir, je pense qu'il convient de faire les deux choses à la fois, parce que les améliorations dans le service de la poste et l'abaissement de la taxe des lettres sont deux moyens pour atteindre le même but, c'est-à-dire le développement des correspondances sur lesquelles nous comptons, nous partisans de la réforme, pour arriver à balancer un jour le déficit qui laissera peut-être dans les caisses du trésor la première application de la réforme.
Maintenant je dirai à M. le ministre des travaux publics que l'exemple d'autres pays ne vient pas démentir nos espérances, comme il le prétendait tout à l'heure.
On nous reproche quelquefois de comparer, d'une manière trop servile, l'Angleterre à la Belgique. Quand M. le ministre a dit qu'en Angleterre de beaux esprits croyaient qu'on avait été trop loin dans la réforme postale et que l'administration, malgré l'immense développement des correspondances n'avait pas encore retrouvé les bénéfices qu'elle réalisait auparavant, M. le ministre a trop comparé la Belgique à l'Angleterre ; il a oublié qu'en Angleterre le développement des correspondances avait amené des distributions de lettres sur toute la surface d'un pays où les communications sont inférieures au système général des communication de la Belgique.
L'Angleterre entre les grands centres de population possède des communications faciles et rapides ; mais il n'en est pas de même dans le nord de l'Ecosse et en Irlande ; aussi les dépenses de la poste dans ces pays se sont augmentées dans une proportion qui ne sera jamais atteinte en Belgique, parce que chez nous la population est plus dense et les communications sont plus faciles.
M. le ministre a oublié encore qu'en Angleterre le service est complet et que la poste transporte les lettres dans les villages les plus sauvages de l'Irlande et du pays de Galles. Le transport implique une correspondance maritime entre l'Angleterre et l'Irlande, dont les dépenses sont énormes.
M. le ministre a oublié une autre chose, c'est que les chemins de fer anglais ne transportent pas les dépêches dans les mêmes conditions qu'en Belgique. En Belgique le gouvernement, dans les concessions, a stipulé le respect des droits de la poste et il a obtenu comme compensation de la concession des conditions favorables pour le transport de ses dépêches. En Angleterre on n'a pas eu cette prudence ; au début des concessions on n'a rien stipulé et le gouvernement a été obligé, en présence des exigences des compagnies contre lesquelles il ne s'était pas mis en garde de continuer le transport des dépêches par voiture, de telle sorte que le voyageur comptait les dépêches que la poste ne transportait pas par ses voitures.
En Angleterre, il n'y a pas de chemin de fer de l’État ; tout transport doit être payé aux compagnies concessionnaires. Je ne veux pas aller plus loin dans ces explications ; je les développerai plus au long avec beaucoup d'autres à une époque où nous pourrons arriver à une solution. pratique.
Mais j'ai voulu rectifier dès à présent ce qu'il y avait d'erroné dans la comparaison faite entre les dépenses que la réforme a entraînées en Angleterre et celles qu'elle devrait entraîner en Belgique.
Je termine en disant que si, en 1849, nous avons demandé la réforme postale, c'est qu'elle était désirée depuis longtemps par le pays, et que nous étions certains de ne pas faire une chose mauvaise pour les finances de l’État.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne me propose pas d'entrer fort avant dans la discussion de la question postale qui nous occupe. J'accepte l'ajournement que vient de proposer mon honorable ami. Le véritable terrain du débat n'est pas celui que l'on a choisi. En effet, ce n'est pas autre chose qu'une question financière que nous devons examiner ; nous la discuterons donc au budget des voies et moyens.
Mais je dois dire dès à présent que c'est à tort qu'on voudrait voir dans l'abaissement du port des lettres, une réforme populaire, une réforme dont doit profiter la grande masse de la population du pays. Il ne faut pas qu'on se méprenne sur ce point.
On vous a fait remarquer que le nombre des lettres écrites en Belgique n'était pas considérable, qu'il était au plus, en moyenne, de six par an et par habitant.. Qu'est-ce que cela prouve ? C'est qu'il y a un petit nombre de personnes qui écrivent. Or, parmi les personnes qui écrivent beaucoup, vous devez compter les négociants, les industriels, les banquiers ; ils contribuent pour une large part à former cette moyenne de 5 ou 6 lettres par habitant.
A qui donc profitera principalement l'abaissement de la taxe ? Manifestement aux personnes dont nous parlons ; le reste présente une fraction tellement minime, que vous pouvez à peine la compter, d'autant moins qu'une multitude de lettres ne dépassent guère le rayon de 30 kilomètres. Le sacrifice qu'on demande au trésor, dont je ne veux pas rechercher le chiffre en ce moment, que les uns estiment à un million, d'autres à 500 mille francs et que, pour prendre une moyenne, j'évaluerai à 800 mille francs, ce sacrifice sera fait au profit d'un nombre relativement restreint de personnes, ne vous y trompez pas.
Je place en tête des bénéficiaires, la Banque Nationale ; elle ferait probablement une économie de 6 mille francs au moins. Je ne crois pas, d'après les renseignements que j'ai pris, qu'il y ait là rien d'exagéré. (Interruption.) Ce n'est pas du banquier ordinaire que je parle, car quand les banquiers sont chargés de faire des recouvrements ils portent en compte les ports de lettres qu'ils ont dû payer, mais le port des lettres (page 472) que les négociants, les industriels, la Banque Nationale écrivent ne se portent pas en compte aux correspondants, ils figurent dans les frais généraux.
Il ne serait pas difficile de faire une liste de quelques centaines de personnes qui profiteraient largement de la diminution de la taxe. Ce n'est pas à dire pour cela que la réforme postale ne doive pas avoir lieu, qu'il ne faille pas arriver à réduire la taxe à 10 centimes, mais je demande qu'on n'altère pas le caractère de cette mesure, qu'on ne la présente pas comme populaire et d'un intérêt général. Elle doit se présenter dans ces termes : Comment l'administration peut-elle rendre le plus de services possible avec un revenu équivalent ? C'est ce qu'il faut chercher.
Les espérances de ceux qui ont poursuivi l'abaissement de la taxe des lettres ont été partout déçues. On avait promis en Angleterre que le nombre des lettres serait quintuplé dès la première année et qu'il n'en résulterait qu'un préjudice momentané et insignifiant pour le trésor (interruption) ; je tiens le fait dont je parle d'un des hommes les plus compétents en cette matière, qui a étudié de la manière la plus approfondie, la plus complète, tous les documents et qui sera en mesure de justifier son assertion ; combien de temps a-t-il fallu pour voir quintupler le nombre de lettres ? Dix-sept ans. La perte pour le trésor est aujourd'hui encore de plus de quatre cents millions. La dépense ne devait pas être beaucoup plus forte qu'en 1839 ; quelles qu'en soient les causes dont vient de parler l'honorable M. Orts, et cette dépense s'est élevée de 17 millions à 40 millions. Pour nous-mêmes, on parle de la réforme opérée en 1849, comme ayant répondu aux espérances qu'on avait conçues et comme n'ayant occasionné aucune espèce de préjudice au trésor.
Il faut bien qu'on sache que la perte actuelle pour le trésor est de plus de 3 millions ; le déficit successif depuis la réforme postale jusqu'aujourd'hui est de 3,075,000 francs. Le produit des lettres taxées était de 3,342,000 fr. en 1847, et c'est en 1856 seulement que, pour la première fois, nous arrivons à un produit de 3,412,000 fr. ; soit un faible excédant de 70,000 fr.
Or, messieurs, ne pourrions-nous pas dire, pour bien faire notre compte, commençons par réintégrer dans les caisses du trésor les 3 millions de déficit ? et si nous n'en parlons pas, admettons au moins que nous avons fait là une perte sèche, sans compensation aucune. Cela me paraît incontestable.
Maïs ce n'est pas tout : le produit des lettres taxées était, en 1847, de 3,342,000 fr.
En 1856, il est, comme je viens de le dire, de 3,412,000 francs, et cependant le produit total de la poste qui n'était, en 1847, que de 3,719,000 fr. s'est élevé, en 1856, à 4,456,000 fr. C'est sur ce dernier chiffre que l'on se base pour prétendre que nous avons aujourd'hui un produit net d'au moins 2 millions, c'est-à-dire que le cas prévu par l'article 10 de la loi de 1849 est maintenant réalisé. Mais, messieurs, l'examen le plus superficiel du détail du produit de la poste suffit pour démontrer que ce n'est pas à la réforme postale qu'est due l'augmentation que je viens de signaler. Or, tout le monde reconnaîtra, je pense, que pour établir le chiffre du produit net de la poste, on ne doit baser les calculs que sur le produit des lettres taxées, abstraction faite des autres sources secondaires de revenus.
Eh bien, savez-vous, si l'on déduit de ce produit total de la poste, évalué à 4,456,000 fr., le produit des lettres taxées, soit 3,412,000 fr., ce qui reste de recettes étrangères à la réduction de la taxe ? Il reste 1,043,000 fr. Et pour combien figuraient ces recettes dans le produit total de la poste en 1847 ? Pour 421,000 fr., c'est-à-dire qu'elles représentaient 11 p. c. de la recette totale ; tandis qu'elles figurent pour 35 p. c. dans le produit actuel.
Ainsi, on veut aujourd'hui compléter la réforme postale en argumentant de faits qui sont tout à fait indépendants de cette réforme même, qui n'étaient ni dans les prévisions du gouvernement qui a proposé la mesure, ni dans celles des Chambres qui l'ont adoptée.
Il résulte, en effet, des explications données en 1849 par notre collègue M. le ministre des travaux publics de cette époque, que les calculs devaient être établis en raison de l'accroissement des correspondances ; mais quant aux journaux et imprimés, aux remboursements faits par les offices étrangers, aux droits sur les articles d'argent, tout cela restait en dehors des calculs qui devaient servir de base pour établir quel était en réalité le produit net de la poste. Rien ne paraît plus raisonnable, du moment où il s'agit de la taxe, de ne prendre pour base des calculs que les lettres taxées.
Nous aurons à discuter plus longuement cette question quand nous examinerons le budget des voies et moyens de l'exercice prochain.
Cependant je ne puis terminer avant d'avoir présenté encore une observation quant aux dépenses. J'aurai plus tard d'autres considérations à vous soumettre sur ce chapitre.
L'honorable M. Vandenpeereboom ne veut pas admettre dans le compte des dépenses, celle qui résulte du transport des lettres par le chemin de fer. On n'en a pas parlé en 1847, dit-il, je ne veux pas qu'on s'en occupe en 1856. Mais, messieurs, il était absolument sans intérêt d'en parler en 1847 ; on ne se préoccupait alors que du principe énoncé dans la loi, à savoir que quand le produit net aurait atteint deux millions, le gouvernement pourrait réduire la taxe. Voilà le principe qui dominait alors et l'on n'est pas descendu dans les détails pour rechercher tous les éléments des dépenses.
M. A. Vandenpeereboom. - Je l'ai fait, moi !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le veux bien, mais je constate que les Chambres ne l'ont pas fait et qu'elles ne se sont préoccupées que du principe que je viens de rappeler.
Quoi qu'il en soit, l'honorable membre ne veut pas admettre en compte les services rendus par le chemin de fer à la poste. Eh bien, soit ! Je veux lui faire cette concession. Mais au moins faudra-t-il bien qu'il admette la déduction des 527,000 fr. de produits provenant de remboursements des offices étrangers, qui constituent un simple transport fait par le chemin de fer, et s'il admet cette déduction, force lui sera bien de reconnaître que de ce seul chef le produit net se trouve déjà réduit à moins de 1,500,000 fr., c'est-à-dire que le cas prévu par la loi de 1849 est encore loin d'être réalisé.
L'honorable membre est donc en présence de ce dilemme : ou bien il doit admettre en compte les dépenses faites pour le service de la poste par le chemin de fer, et alors le produit net n'atteint pas 2 millions ; ou bien il faut qu'il déduise le revenu des remboursements faits par les offices étrangers, et dans ce cas également ce produit est loin d'être réalisé.
M. Prévinaire. - En 1847, nous n'avions pas de remboursement d'offices étrangers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur, ces remboursements ont produit, en 1847, la somme de 153,000 francs, et ils se sont successivement accrus jusqu'à la somme de 527,000, sans que ce résultat, je le répète, puisse être attribué à la réforme postale.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, au point de vue même où se placent les partisans les plus résolus de la réforme, la question ne peut pas être encore résolue en leur faveur.
Je crois que, quand ils se seront livrés à un examen plus approfondi de cette affaire, abstraction même des considérations très puissantes qu'a fait valoir tout à l'heure mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, sur la nécessité d'améliorer le service postal, avant de songer à diminuer les recettes, ils seront amenés à reconnaître que l'éventualité prévue par la loi de 1849 n'est pas encore réalisée. C'est nous, messieurs, qui, en 1849, avons été les promoteurs de la réforme postale ; ce n'est donc pas nous que l'on pourra accuser d'être hostiles à l'abaissement de la taxe au taux uniforme de 10 centimes. Mais aussi, nous sommes avant tout les observateurs de la loi et les conservateurs du trésor public. Nous pensons, d'ailleurs, que si nous si avions à sacrifier 800,000 fr. ou un million, mieux vaudrait consacrer cette somme à améliorer, par exemple, le sort des instituteurs primaires, de ceux qui enseignent à lire et à écrire, que de nous en priver sans profit pour cette classe nombreuse qui maintenant ne sait ni lire ni écrire et n'a, par conséquent, qu'un intérêt fort éloigné à la réforme postale.
M. de Paul dépose divers rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et les demandes portées sur un prochain feuilleton pour la prise en considération.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.