(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 233) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)
M. Vander Stichelen procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Vander Stichelen présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Godard, marchand de chevaux à Tirlemont, demande que les adjudications pour la fourniture des chevaux de l'année se fassent par régiment et que les chevaux de remonte soient livrés dans les diverses garnisons où se trouve l'état-major des régiments et qu'il puisse être admis sur le même pied que les éleveurs à la présentation des chevaux indigènes. »
M. de Luesemans. - Messieurs, cette requête concerne les adjudications de chevaux pour l'armée. Si la section centrale du budget de la guerre n'avait pas terminé son travail, je proposerais de lui renvoyer la pétition ; mais puisque le rapport est déposé, je demanderai le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants d'Hoogstraten demandent la construction d'une nouvelle école dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques anciens sous-officiers prient la Chambre d'augmenter l'indemnité qu'ils reçoivent à titre de décorés de l'ordre de Léopold. »
- Même renvoi.
« Le sieur Duisberg demande que les maîtres spéciaux de dessin, de musique et de gymnastique des écoles moyennes de l’État reçoivent l'augmentation accordée aux employés dont le traitement est inférieur à 1,600 fr. »
- Même renvoi.
(erratum, page 253) « Des habitants de Perck demandent la réforme de la loi sur la milice dans le sens des enrôlements volontaires.
« Par vingt pétitions, des habitants de Bocholt, Hoogstraten, Boneffe, Merchten, Riezes, Avennes, Jemappe, Ham-sur-Sambre, Strée, Thielt, Anvers, Roloux, Chapelle-à-Wattinne, Vieuville, Choyron, Herent, Waterloo, Lens-sur-Geer et les membres du conseil communal de Grandmenil font la même demande ». »
-Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Dufrêne, ancien volontaire, demande la pension décrétée par la loi du 16 avril 1856 en faveur des combattants de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par dépêche en date du 8 février, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du sieur Haenen. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. J. Jouret (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance d'hier vous avez entendu l'analyse de pétitions émanées des conseils communaux de Lessines et d'Ath et vous les avez renvoyées à la commission des pétitions. Ces pétitions m'ont échappé hier ; mais, messieurs, elles sont extrêmement importantes, elles concernent la canalisation de la Dendre. Je vous proposerai de décider que la commission des pétitions sera invitée à faire un prompt rapport sur ces requêtes afin qu'elles puissent parvenir à M. le ministre des travaux publics avant la discussion de sou budget.
- La proposition de M. Jouret est adoptée.
M. le président. - La discussion continue sur l'article 37 relatif aux traitements des commissaires d'arrondissement.
M. Devaux. - Messieurs, j'avais demandé la parole dans la séance d'hier pour répondre à MM. de Theux et Malou ; je ne sais pas si l’état de ma santé me permettra aujourd'hui de vous soumettre les observations que je voulais faire hier.
Je crois cependant qu'il est utile que cette discussion reçoive encore quelques développements ; je désire, messieurs, qu'il soit démontré à tout le monde qu'il a été parfaitement libre à nos collègues du côté droit de soutenir les réformes dont ils ont parlé.
(page 234) C'est bien à tort qu'on a dit qu'ils n'ont pas eu cette faculté jusqu'à présent. Lorsque le rapport a été fait sur les pétitions, ils ont été parfaitement libres de développer leur opinion, s'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils n'étaient pas préparés peut-être et alors nous leur avons donné rendez-vous à la discussion du budget de l'intérieur. Si donc ils n'étaient pas assez préparés aujourd'hui pour donner à cette discussion le développement qu'elle comporte, ce serait par le fait de leur propre volonté.
Messieurs, on a dit que le vote à la commune existait en France. Cela est vrai ; il y existe avec le suffrage universel. Il n'entre pas dans mes intentions de discuter le mérite du suffrage universel, le vote à la commune en est peut-être un des côtés faibles, mais dans tous les cas, il en est une nécessité.
Il est mpossible, quand toute la population mâle d'une commune est appelée par la loi à voter, de songer à la déplacer tout entière en un seul jour. Le vote à la commune, dans le système du suffrage universel, qu'il soit bon ou mauvais, est donc indispensable.
II existe, a-t-on dit, en Hollande. Oui, et dans mon opinion, quelque vicieux qu'il soit, en Hollande c'est un progrès ; car vous savez d'où est partie la Hollande en matière d'élection. Nous avions le même système avant 1830. Les habitants des campagnes ne votaient ni au chef-lieu du canton, ni dans la commune. C’était l'idéal du système de M. Coomans, on votait véritablement en pantoufles ; on votait à domicile. Un agent de l'autorité venait y recueillir les bulletins, très souvent les remplissait lui-même. Vous sentez comment les votes étaient libres et comment il était difficile à l'électeur de se soustraire aux influences qui venaient l'assiéger ainsi chez lui au moment du vtie.
En Hollande donc le vote à la commune est un progrès.
Mais ce système y est-il pratiqué sans engendrer aucun inconvénient ? On a dit que oui.
Je crois pouvoir affirmer le contraire, et mes renseignements me viennent d'une des localités rurales de la Hollande. Savez-vous comment se pratique le vote à la commune ?
Dans une commune rurale, naturellement il n'y a pas beaucoup d électeurs. Il y a, un certain jour de l'année, une boîte électorale dans la maison commune : au village, cela veut dire dans un cabaret. Deux ou trois personnes influentes du lieu se trouvent dans la même pièce. Les électeurs arrivent l'un après l'autre, l'un plus tôt l'autre plus tard. Chacun d'eux commence par entrer en conversation avec les personnes qui se trouvent là pour recueillir les voles ; on lui demande naturellement à qui il donnera sa voix ; on lui donne des conseils. Le bulletin se montre et se modifie au besoin, les choses ainsi se passent comme en famille et sous le manteau de la cheminée. Mais vous voyez ce que deviennent le secret du vote et la liberté de l'électeur.
Lorsque j'ai dit hier que le secret du vote n'existait pas dans le vote à la commune, on m'a répondu que les votes n'étaient pas dépouillés à la commune, mais au chef-lieu. Messieurs, c'est là ce qui annule toutes les garanties.
Quand une multitude de petits bureaux locaux doivent envoyer leur urne électorale au chef-lieu, quelle garantie avez-vous que l'urne envoyée contiendra réellement les votes déposés par les électeurs et qu'on n'en aura pas substitué d'autres ? Vous n'avez pour garantie que la bonne foi des petits administrateurs locaux, et l'on sait avec quelle négligence se font de telles choses dans les petites localités.
Messieurs, l'argument décisif pour quelques personnes, c'est qu'il y a une injustice extrême à ce que certains électeurs aient la faculté de déposer leur bulletin en faisant quelques pas hors de chez eux, tandis que d’autres doivent faire, à cet effet, plusieurs lieues. On appelle cela de l'injustice, c'est un privilège révoltant, dit-on, en faveur du chef-lieu d'arrondissement.
Mais il est bien singulier, si c'est là un privilège, que nous ayons mis un quart de siècle à le découvrir. Il me semble que le Congrès ne s'est pas fait faute de proscrire les privilèges. Comment en a-t-il créé un de ses propres mains ?
Il y a plus, c'est que l'honorable M. de Theux, qui a été rapporteur de, la loi électorale, ne s'est pas douté du privilège et y a soutenu le vote au chef-lieu d'arrondissement.
M. de Theux. - Cela a été compensé.
M. Devaux. - Ah ! C'est un privilège compensé !
L'honorable M. de Theux a dit expressément alors que c'était pour soustraire l'électeur aux influences locales. Messieurs, si c'est là un privilège, il faut dire que le privilège se retrouve partout en Belgique, que toutes nos lois en sont hérissées. Prenons, par exemple, l'administration de la justice.
Le juge de paix siège au chef-lieu de canton ; il ne siège pas dans chaque commune ; privilège pour le chef-lieu de canton.
Le tribunal de première instance ne siège pas, que je sache, dans toutes les communes de l'arrondissement ; privilège pour le chef-lieu .d'arrondissement.
Pour les cours d'appel, c'est bien mieux encore ; elles ne siègent que dans trois villes du royaume : privilège pour Gand, Liège et Bruxelles ; Injustice pour toutes les autres communes du pays.
Quant à la cour de cassation, privilège énorme pour une seule ville, et criante injustice pour toutes les communes du royaume, une seule exceptée.
Ce que je dis de l'administration de la justice, je puis le dire de toutes' les autres administrations. Le siège du commissariat d'arrondissement est un privilège pour les communes qui avoisinent le chef-lieu d'arrondissement. Le gouvernement provincial constitue un privilège pour le chef-lieu de la province.
Voulez-vous d'autres exemples ? Les dix athénées royaux forment un privilège pour dix de nos villes. Les deux universités de l’État pour Gand et Liège. Ainsi, dans toute notre législation le privilège se trouve partout ou plutôt il n'est nulle part, parce qu'en administration il y a des choses qui ne peuvent se faire utilement que dans quelques localités et qu'il est impossible de transporter dans toutes, sans compromettre les intérêts que l'administration doit avoir en vue.
Je crois donc que cet argument ne peut pas soutenir un examen sérieux.
Aussi l'honorable M. Malou ne paraît-il nullement effrayé du privilège ; il l'ôte au chef-lieu d'arrondissement. mais pour en doter le chef-lieu de canton ; car il n'aspire pas à l'égalité des communes.
L'honorable M. Malou abandonne donc le vote à la commune. Il reconnaît aujourd'hui d'une manière expresse que ce système n'est pas praticable. Ainsi il abandonne les pétitionnaires qui l'avaient réclamé, lui qui dans l'origine avait été si sympathique à cé pétitionnement.
Il faut reconnaître qu'il y a eu quelque chose de bien léger dans ce mouvement pétitionnaire dont on déclare aujourd'hui le principal objet impossible à mettre en pratique.
Remarquez que c'est la troisième phase que parcourt cette réforme projetée de la loi électorale. La première idée, celle pour laquelleoen semblait s'enthousiasmer d'abord c'était, non pas le vote à la commune,, non pas le vote au canton, mais l'élection par circonscription de 40,000 âmes.
Voilà la première idée sur laquelle on s'est échauffé, mais cette fois encore un peu légèrement ; car en y réfléchissant, on s'est aperçu qu'en définitive cela pourrait n'être pas aussi favorable qu'on se l'était imaginé. Dans ce système, s'est-on dit, nous gagnons quelque chose, il est vrai, dans les arrondissements où se trouvent les grandes villes en séparant d'elles les campagnes, mais d'autre part ailleurs nous émanciperions les petites villes, là où aujourd'hui dominent les campagnes. Comme on s'exposait à perdre plus qu'on ne gagnait avec le système de fractionnement par 40,000 âmes, on en est venu au vote à la commune ; maintenant voilà le vote à la commune en voie d'être abandonné ; nous voilà dans la troisième phase, c'est le vote au canton, et l'on ne voit pas qu'il mène tout droit au fractionnement, non seulement du vote, mais de l'élection. Le vote au canton mènerait directement aux circonscriptions n'élisant qu'un représentant.
Le vote au canton a les inconvénients du vote à la commune, mais mitigés ; c'est la séquestration des électeurs au canton, vous les empêchez de se rendre au chef-lieu d'arrondissement, là où se fait réellement le choix des candidats, où le plus souvent ces candidats habitent, où ils sont connus et où on peut s'éclairer sur leurs opinions et leur caractère ; si vous séquestrez les électeurs loin du chef-lieu d'arrondissement, vous ouvrez la voie à toutes les tromperies.
Par ce fractionnement on peut tromper l'électeur de toute manière ; si le candidat ne peut pas être présent lorsque les votes sont déposés, on peut accréditer tous les faux bruits que personne ne pourra démentir. Ici on annoncera que le candidat vient de mourir, ailleurs qu'il est devenu fou, qu'il s'est ruiné, qu'il vient d'être déclaré en faillite.
En cas de scrutin de ballottage on affirmera que le candidat se désiste. Comment démentir toutes ces faussetés si le candidat n'est pas sur les lieux ?
On prétend que l'électeur préférera se rendre au chef-lieu de canton. Le plus souvent c'est le contraire qui sera vrai, car le chef-lieu d’arrondissement, c'est le grand marché.
C'est là que les électeurs des campagnes ont leurs relations, leurs affaires, leurs propriétaires ; c'est là que conduisent les chemins de fer, les grandes communications et qu'on trouve les moyens de transport les plus économiques. Souvent l'électeur pour se rendre au chef-lieu de canton passerait par le chef-lieu d'arrondissement parce que t'est là qu'il prend la route pavée ou le chemin de fer et qu'il y trouve un moyen de transport plus prompt et à meilleur marché que par la voie directe.
Messieurs, le grand motif du changement qu'on réclame, ce sont, dit-on, les frais électoraux. J'ai dit hier que ces frais sont exceptionnels et j'ajoute qu'ils ne proviennent pas de l'éloignement des communes. J'essayerai de vous le prouver de deux manières, les frais n'existent pas dans toutes les localités. Hier le ministre de l'intérieur vous a dit que son élection n'avait jamais coûté cher.
Ou lui a répondu : Vous avez été élu à Anvers et à Bruxelles. Eh bien, si les frais de transport à raison de l’éloignement des lieux étaient si considérables, ils devraient l’être surtout à Anvers et à Bruxelles qui sont les chefs-lieux de deux des plus grands arrondissements du royaume.
L'honorable M. Coomans nous a dit que, quant à lui, il était tout à fait désintéressé dans la question ; qu'il n'était et ne serait jamais exposé à s'imposer des frais dans son arrondissement. Et cependant, s’il est vrai que les frais augmentent à raison de la distance des lieux, ces frais doivent être surtout considérables dans l'arrondissement de Turnhout, car il n'y a dans tout le pays que deux arrondissements, ceux de Dinant et de Neufchâteau, qui soient plus étendus.
(page 235) M. Coomans. - Les frais se font, mais ils sont supportés par les électeurs.
M. Devaux. - Vous n'avez pas parlé dans ce sens hier ; car vous disiez que les millionnaires seuls pourraient être élus à l'avenir. Si les frais de transport sont payés par les électeurs, il pourra y avoir encore d'autres personnes que des millionnaires qui seront élues.
Maintenant, qu'est-ce donc que l'étendue de nos arrondissements électoraux pour qu'il faille les scinder ?
Est-elle donc si considérable ? La Belgique a un peu plus de 1,100 lieues carrées ; et elle compte 41 arrondissements électoraux. Ainsi chaque arrondissement électoral a en moyenne une étendue d'un peu plus de 28 lieues carrées, ce qui équivaut à une superficie carrée d'un peu plus de 5 lieues de long et autant de large. Si vous supposez le chef-lieu au centre, la distance du chef-lieu à la limite de l'arrondissement sera d'un peu plus de 2 1/2 lieues. Or, messieurs, ne suffit-il pas de ce simple calcul pour répondre à l'objection tirée de l'étendue des arrondissements ?
Mais, me direz-vous, il y a des exceptions ; il y a quelques arrondissements dont l'étendue est plus considérable ; vous ne donnez là qu'une moyenne.
Cela est vrai, mais vous ne proposez pas une mesure pour quelques arrondissements, vous la voulez générale pour tous. J'ajoute que même dans les arrondissements qui s'éloignent le plus de cette moyenne s'il y a des frais excessifs, ils ne proviennent pas de l'éloignement de certaines communes. Je n'aurai pas de peine à vous le prouver. En Belgique, on peut compter qu'il y a dans nos divers arrondissements, de 700 à 800 électeurs par représentant ; ce chiffre est rarement dépassé. Prenons donc 700 votants.
Vous admettrez sans doute que, sur ces 700 votants, il y en a au moins 200 qui habitent le chef-lieu de l'arrondissement et les communes situées à proximité ; reste donc 500 électeurs pour lesquels il peut s'agir de frais de transport. Remarquez que je raisonne ici dans l'hypothèse où il n'y a qu'un représentant à élire ; s'il y en a deux, il faudra doubler les chiffres, mais aussi les frais seront partagés. Il reste dore dans l'hypothèse d'un seul représentant 500 électeurs à transporter. Mais pour qu'il soit nécessaire de payer des frais de transport il faut qu'il y ait lutte ; s'il n'y a pas de lutte, il n'y a pas lieu de payer des frais.
S'il y a deux candidats et si la lutte est sérieuse, les 500 électeurs ne sont pas transportés à la fois pour le compte de chacun des deux candidats, il y en aura 200 à 300 pour l'un et 200 à 300 pour l'autre. Ainsi, pour un représentant il y a 200 à 300 électeurs à transporter. Cela me paraît clair comme le jour.
Eh bien, messieurs, que peut coûter le transport de 200 à 300 électeurs ? Nous savons tous ce que coûte une voiture : mettez 20 fr. pour un jour et mettez 20 à 30 voitures ; vous en aurez pour 600 fr.
Voulez-vous que de ces 20 ou 30 voitures, 10 doivent être louées pour deux jours ; ce sera 200 francs à ajouter et vous arriverez à 800 francs. Ainsi les frais de transport coûteront par représentant 800 francs. En fait, dira-t-on, les frais sont cependant plus élevés ; je répondrai : C'est que les transports sont mal réglés.
Ce qui coûte, messieurs, ce sont les dîners dispendieux. Eh bien, que vous mettiez le vote au chef-lieu d'arrondissement ou au chef-lieu de canton, les dîners auront lieu également ; il faudra que l'électeur dîne au chef-lieu de canton comme il faut qu'il dîne au chef-lieu d'arrondissement.
Ce n'est donc pas l'éloignement des lieux qui occasionne les frais de l'élection, c'est l'usage, qui s'est introduit dans quelques localités, de donner des régals trop somptueux aux électeurs. Eh bien, messieurs, quel est le remède à ce mal ? Faut-il pour cela une réforme électorale ? Le remède doit s'introduire par le bon sens des candidats et des associations locales ; il faut qu'il s'opère une entente entre les deux opinions, à l'effet de restreindre les dépenses de ces dîners dans les limites nécessaires. Quand vous en serez arrivés là, vos frais d'élection n'auront plus rien d'exorbitant.
M. Rodenbach. - Des sociétés de tempérance.
M. Devaux. - Messieurs, j'ajoute que le chemin de fer, à mesure qu'il s'étend, diminue les frais de transport. Ainsi l'arrondissement de Nivelles avait à se plaindre du défaut de moyens de communication ; cet état de choses est modifié aujourd'hui. Il en est de même de l'arrondissement d'Alost. Déjà on peut dire que les arrondissements où il n'y a pas de chemins de fer sont une exception.
Je sais bien que le chemin de fer ne traverse pas toutes les communes, mais il amène toujours une diminution notable des frais de transport et si le candidat doit supporter ces frais, c'est autant de moius qu'il a à payer.
On peut encore, si on le trouve nécessaire, réduire les péages du chemin de fer ; on peut faire d'autres améliorations dans ce sens, mais je ne vois là aucune raison pour toucher au fond de la loi électorale.
Messieurs, nous devons tous attacher du prix à la stabilité de la loi électorale, surtout pour celles de ses dispositions qui ont une influence politique.
On a cru devoir y toucher une première fois ; je ne sais si on a eu raison, mais, remarquez-le, on n'y a pas touché dans l'intérêt d'un parti, mais de l'assentiment de tous. Il faut désirer que si la législation électorale subit un jour d'autres modifications, ce soit toujours de l'assentiment des deux partis.
La loi électorale, il faut se le rappeler, est très voisine de la Constitution. La stabilité de l'une importe au pays presque autant que celle de l'autre. Ce n'est pas à dire sans doute que s'il y a des abus reconnus de tous on ne puisse chercher à les faire disparaître.
Par exemple, comme on l'a dit, on abuse de certaines marques. Si le secret du vote est violé, nous pouvons, des deux côtés, nous entendre pour trouver le moyen d'y remédier ; mais, bien entendu, un moyen qui soit impartial, qui ne soit pas plutôt dans votre intérêt que dans le nôtre. Nous tâcherons de supprimer les abus, mais rien de plus.
En résumé, messieurs, ce qui importe, ce n'est pas de rendre l'exercice du droit électoral un peu plus ou un peu moins commode, car en fait, très peu d'électeurs s'abstiennent d'aller déposer leur vote ; ce que nous devons désirer avant tout, c'est que ce vote soit aussi libre et aussi éclairé qu'il est possible.
M. Savart. - Messieurs, la question qui nous occupe me paraît trop grave pour être résolue incidemment. Toutes mesures tendantes à apporter des modifications aux lois électorales doivent être mûrement et sérieusement étudiées.
Il serait imprudent d'improviser eu pareille matière.
De toutes les lois, les plus importantes, par leurs résultats, ce sont les lois électorales. Voulez-vous prévoir les destinées futures d'un pays constitutionnel, fixez votre attention sur les lois électorales en vigueur dans ce pays. Souvent elles recèlent dans leurs flancs le secret de l'avenir.
La loi électorale est la graine que l'on confie à la terre.
Telle est la graine, tel sera le fruit.
Si la loi électorale est bonne, malgré une constitution imparfaite, de bons résultats seront obtenus. Si la loi électorale est mauvaise, la constitution la mieux élaborée est bientôt expliquée, interprétée, commentée de telle façon que les résultats fâcheux accourent en foule.
Si la loi électorale est mauvaise, les élus arrivent avec les vices de leur mère, ils sont entachés du péché originel, et comme les élus sont les interprétateurs, les commentateurs des principes posés dans la constitution, ils laissent en théorie vivre la lettre de la constitution, mais en pratique ils en tuent l'esprit.
Un changement dans les lois électorales peut changer le sort d'un pays. C'est une révolution pacifique qui a parfois des résultats plus importants et plus durables que ceux obtenus à l'aide d'une révolution sanglante. N'agissons donc pas sous l'impression du moment. Loin de nous engager inconsidérément, prenons le temps des longues réflexions. Méditons dans le silence du cabinet, en dehors des discussions parlementaires. Cependant sans nous engager trop avant, nous pouvons dès aujourd'hui jeter en avant quelques idées non pour les faire passer incontinent à l'état pratique, mais pour en faire l'objet de nos méditations. Permettez-moi, messieurs, de vous soumettre humblement quelques idées fraîchement écloses, idées que je ne prétends nullement vous imposer. J'avoue qu'elles ne sont pas suffisamment mûries, il s'agit de savoir si elles peuvent être prises en considération, si elles méritent de subir un examen intérieur.
Après les événements de 1830, nous nous sommes trouvés dans des moments difficiles. Les changements survenus avaient (comme il arrive toujours) brisé bien des existences, froissé bien des intérêts.
Dans certaines grandes villes, le commerce douloureusement éprouvé paraissait regarder d'un œil mécontent le nouvel ordre de choses.
Je remarque que la loi électorale primitivement formulée est agencée de manière telle, que le cens varie dans les diverses provinces et produit dix électeurs campagnards coutre un électeur citadin. M. Malou appelle cette combinaison un système d'égalité artificielle.
Moi j'ai trouvé dans cette combinaison une pensée politique, ayant pour but de grouper autour des institutions nouvelles un grand nombre de voix amies. Au fond, cette loi recèle une pensée de préservation et de conservation, une pensée patriotique, et nullement le désir de je ne sais quelle égalité artificielle. Cette loi était une loi de circonstance. Elle devait cesser, elle a cessé pour fajre place à une loi tout autre.
Aujourd'hui il n'y a plus de campagnards et de citadins, il n'y a plus que des Belges. Tous sont égaux devant la loi. Tous ceux qui payent vingt florins de contributions sont électeurs. Rien n'est plus juste.
Mais, dit-on, les électeurs qui habitent les villes chefs-lieux de districts électoraux ont, sur les habitants éloignés des campagnes, un grand avantage. Au sortir de leur demeure, ils déposent leurs bulletins dans l'urne.
Le campagnard, au contraire, doit parfois parcourir une longue route, subir un pénible voyage pour aller déposer son bulletin Il n'y a plus égalité, le devoir civique est plus difficile à remplir pour l'un que pour l'autre. Comment faire cesser le grief ? Les uns proposent le vote à la commune, les autres au chef-lieu de canton. Ni l'un ni l'autre de ces deux systèmes ne peuvent être admis. Des raisons péremptoires vous ont été présentées par les orateurs qui m'ont précédé.
Pour le vote à la commune, comment constituer les bureaux là où il n'y a qu'un électeur ? Que devient le secret du vote ?
On vous a tracé une peinture vive et chaleureuse des inconvénients que présente le vote au canton. Pour ne pas abuser de vos moments, je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit relativement à certaines influences locales, relativement aux difficultés de conserver le secret et par voie de conséquence l'indépendance du vote.
Je ferai seulement valoir une raison omise et puisée dans la topographie. Pour les habitants de nombre de communes, il est plus facile de (page 236) se rendre au chef-lieu du district-électoral qu'au chef-lieu du canton. Le chemin est quelquefois plus court pour aller au chef-lieu du district et il est souvent plus praticable.
Reste donc un troisième moyen de faire cesser le grief, ce serait, suivant moi, d'assimiler les électeurs aux jurés, de les payer à raison des distances, à tant par myriamètre ; alors toute plainte devra cesser. Du reste, ce système ne ferait pas dans le trésor un vide bien effrayant. Plus de la moitié des électeurs habitent assez près des chefs-lieux de district pour ne pas devoir être payés.
La raison principale qui une porte à l'adoption d'une indemnité aux électeurs est que les élections deviennent onéreuses aux candidats.
Nier un mal n'est pas le guérir.
Il faut chercher les moyens curatifs.
Oui, les élections coûtent des sommes considérables, nous avons d'ailleurs cela de commun avec des peuples de l'antiquité et des peuples contemporains.
Il est un ouvrage peu connu et curieux de Cicéron intitulé : De petitione consulatus. Nous y trouvons des conseils pour les élections, et" nous y trouvons, à peu de variantes près, tout ce qui se pratique aujourd’hui.
En Angleterre, il y a un proverbe qui dit qu'après trois élections on est ruiné.
Il ne faut pas laisser s'introduire chez nous les mœurs anglaises.
Lorsque le Congrès a accordé une indemnité de deux cents florins par mois aux représentants, c'était pour faciliter l'accès des Chambres au talent sans fortune. Il a été mû par une pensée toute démocratique.
Si les choses continuent comme aujourd'hui, si elles s'amplifient et elles s'amplifieront, vous pourrez écrire sur les portes du palais de la nation : Celui qui n'est pas millionnaire n’entrera pas ici.
Voilà le mal qui faut empêcher.
Il faut que la pensée du Congrès vive et ne soit pas étouffée par les mœurs.
Faisons donc aux électeurs l'octroi d'une indemnité et en même temps cherchons par des lois pénales à atteindre ceux qui donnent ou reçoivent des dîners plantureux le jour des élections dans un but électoral.
En matière civile, le témoin qui a bu et mangé aux frais de la partie peut être récusé.
En matière civile, souvent il s'agit d'un intérêt minime, d’un intérêt de quelques francs ; et alors qu'il s'agit des grands intérêts de la patrie, devons-nous garantir l'impunité de toutes les manœuvres ? J'appelle donc votre attention sur la possibilité de prendre une double mesure.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il faut maintenir notre système électoral tel qu'il est organisé par la législation en vigueur. L'expérience a d'abord démontré les avantages de ce régime. Les deux grandes opinions qui divisent le pays sont arrivées successivement au pouvoir selon les circonstances du moment et d'après la situation réelle que créait l'opinion publique.
Or, à mon avis, cet ordre de choses est éminemment conservateur et prévient toutes commotions politiques. Il est en harmonie parfaite avec les principes et l'existence du gouvernement représentatif. L'un des bienfaits du régime constitutionnel, c'est de laisser l'opinion se manifester en pleine liberté et d'appeler au gouvernement du pays le parti politique qui la représente.
Or les faits qui se sont passés depuis plusieurs années démontrent que le système électoral en vigueur présente ces avantages, et, à ce point de vue, son maintien est réclamé par les vais amis de la tranquillité du pays. Je ne vois aucun motif sérieux de changer une législation sous l'empire de laquelle la Belgique a conservé ses institutions, alors que des catastrophes de toute nature désolaient les contrées voisines.
Une autre considération qui vient appuyer ce que j'avance, c'est que le système électoral est établi, non dans l'intérêt des électeurs, mais dans celui de l'élection même. Il doit avoir pour but d'assurer la sincérité des opérations électorales et l'expression véritable de la volonté du corps électoral.
Or nul doute qu'à ce point de vue, le vote au chef-lieu de l'arrondissement ne soit préférable à tout autre mode qui favorise les fraudes et donnerait lieu fréquemment à des annulations des opérations, non moins qu'à d'autres inconvénients que personne ne peut sérieusement méconnaître.
D'ailleurs ce qui fait le principal mérite du verdict du corps électoral, c'est l'unité de vues qui doit présider à son émission. Pour atteindre ce but, tous les électeurs doivent été réunis dans la même localité ; en ce cas seulement la sentence qui est portée est empreinte d'un caractère qui lui donne une valeur réelle.
Fractionnez le corps électoral et vous n'avez plus le jugement prononcé après une délibération commune.
Vous n'avez que des verdicts partiels, dénués de l'importance politique que doit avoir la décision du pays.
Ne l'oublions pas, d'ailleurs, les villes, foyers des lumières et de la civilisation, règlent le mouvement de l'opinion. Laissez donc les autres contrées du pays venir, lors de l'élection, se mettre en contact avec les grands centres de population et s'inspirer des mêmes idées. C'est le seul moyen de prévenir les dangers sérieux que tout autre système ne manquerait pas de faire naître. Il serait imprudent de comprimer l'opinion des villes et surtout d'établir entre elles et les campagnes un antagonisme qui pourrait avoir de fâcheux résultats.
Du reste, il est certain que le meilleur système électoral est celui qui assure plus efficacement la liberté du vote et celle de l'électeur.
Or, nul doute qu'au chef-lieu de l'arrondissement, l’électeur ne jouisse d'une plus grande liberté en ce qui concerne l'émission du vote ; les influences qui pourraient peser sur lui dans l'intérieur de la commune, sont, en ce cas, notablement paralysées.
Evidemment le système qui protège plus efficacement la liberté du vote est celui qui assure le mieux la sincérité de l'élection.
Repoussons donc une innovation dangereuse qui pourrait avoir des conséquences funestes et conservons une législation qui a valu à la Belgique vingt-sept années de sécurité et de bonheur.
Quant à l'indemnité à accorder aux électeurs pour frais de voyage, je pense que ce serait là une mesure de justice qui préviendrait certains inconvénients que présente l'état actuel des choses. Ce serait donc là une question qui devrait être étudiée, et je la recommande à l'attention du gouvernement.
M. Malou. - Messieurs, la discussion paraît déjà avoir produit un résultat. Plusieurs membres, de ceux mêmes qui ne partagent pas mon opinion, reconnaissent qu'il y a quelque chose à faire.
Rendons-nous compte, messieurs, du but et de l'origine du droit politique. La loi de 1831, avec le cens différentiel, voulait-elle, comme le supposait tout à l'heure l’honorable M. Lelièvre ou l'honorable M. Savart, parquer les Belges en deux catégories hostiles : villes et campagnes ? Assurément non, une telle pensée était très éloignée de l'esprit de tous les membres du Congrès. Le congrès a voulu ce que toute législation sage en matière électorale doit vouloir, représenter à la fois les populations et les intérêts, les intérêts, en représentant aussi également que possible les populations. On aura beau dire, il y aura toujours, dans un pays comme le nôtre, des intérêts distincts dans les campagnes et d'autres dans les villes.
C'est au point de vue de cette représentation égale des populations et des intérêts que la loi électorale de l1831 avait établi un cens différentiel.
Ainsi l'origine du droit politique, c'est l'impôt. D'après notre système financier, l'impôt qui confère le droit électoral, se concentre principalement dans les villes. La Constitution ne permet pas que la contribution foncière soit déléguée.
Par conséquent. d'après notre système financier, la proportion du droit électoral conféré aux villes, si le cens était uniforme, est beaucoup plus considérable que la proportion accordée aux campagnes. D'où il ferait résulté, dans ce système, que les intérêts spéciaux aux campagnes auraient eu une représentation presque illusoire.
Examinons les faits. Je disais, hier, que le système de 1831 n'avait ou d'autre résultat que de ramener un peu vers l'égalité proportionnelle dans la représentation des intérêts et des populations.
En effet, quelle était la situation électorale avant la réforme de 1848 ? Je la trouve résumée dans l'excellente publication qui a été faite par le gouvernement et qui est intitulée : Statistique générale, 1840 à 1850.
D'après cette statistique, sous le régime de la loi de 1831, c'est-à-dire sous le régime du cens différentiel, il y avait : pour les villes 16,103 électeurs, pour les campagnes 30,360 électeurs. Ce qui donnait par mille habitants : pour les villes 14 74/100 et pour les campagnes 9 56/100.
Ainsi, malgré le cens différentiel établi en 1831, la représentation proportionnelle des villes était beaucoup plus forte que celle des campagnes. Je prends l'exercice pratique du droit, le nombre des votants relativement à la population, et je trouve que sous le régime de la loi de 1831 les villes donnent 11 23/100 sur 1,000 habitants, tandis que les campagnes en donnent 64i/100 seulement par mille habitants.
Le cens différentiel avait donc seulement pour effet de ramener jusqu'à un certain point l'égalité proportionnelle.
Voyons maintenant les faits qui se sont produits après la réforme de 1848.
C'est à bon droit qu'on pet appeler la loi de 1848 une réforme électorale, puisqu'elle a touché au fond du droit, qu'elle a confié le droit à ceux qui n'en jouissaient pas. Aujourd'hui, au contraire, il ne s'agit pas réellement d'une réforme électorale : on ne veut pas changer les éléments qui donnent naissance aux pouvoirs publics ; mais nous examinons si et par que moyen on peut faciliter l'exercice du droit.
Dès lors, je suis peu touché dos observations, d'ailleurs très judicieuses, de l'honorable M. Devaux sur la connexité qui existe entre la loi électorale et la Constitution.
Je reconnais que la question aurait une beaucoup plus grande gravité s'il s'agissait aujourd'hui de toucher au fond du droit, de le conférer à ceux qui ne l'ont pas, de déplacer les éléments, soit par des lois financières, soit par des changements dans le taux du cens ; ii s'agit exclusivement de savoir s'il n'y a pas quelques mesures à prendre, pour que le droit, tel qu'il existe, puisse être exercé d'une manière plus simple, plus commode, plus égale. Voilà toute la question. Cela ne touche nullement au droit, et par conséquent cela ne touche pas aux racines mêmes de la Constitution.
(page 237) Je reviens, messieurs, à la comparaison des résultats du système de 1831 et de ceux de la réforme opérée en 1848.
Quel déplacement s'est produit dans la répartition des électeurs ? Il y avait, comme je le disais tout à l'heure, dans les villes, sous le régime antérieur à 1848, 16,103 électeurs ; après la loi de 1848, nous trouvons 33,600 électeurs, c'est-à-dire que le nombre a plus que doublé. Dans les campagnes, il y avait, avant la réforme de 188, 30,360 électeurs, et après cette réforme, nous le trouvons porté à 43.407, c'est-à-dire que loin d'avoir doublé, il s'est accru seulement de la moitié.
La proportion par mille habitants pour les villes de 14.74 s'élève à 30.77 ; elle est encore plus que doublée. Pour les campagnes elle s'élève de 9.36 à 14,2 seulement.
Mais ce qui est plus remarquable, ce qui démontre le mieux qu'il y a quelque chose à faire pour faciliter le vote, c'est que la proportion des votants est bien plus fortement déplacée que la proportion des droits conférés.
Ainsi, nous trouvons, dans les élections faites sous le régime de la loi de 1831, qu'il y a eu dans les villes 11.23 votants par 1,000 habitants, tandis qu'il y en a eu 22 après 1848. Mais dans les campagnes où la proportion était seulement de 6.64, qu'est-il arrivé, quand on a abaissé le cens pour conférer le droit à des classes qui n'en jouissaient pas ?
C'est qu'au lieu de 6.64, on trouve une proportion de 8.87 ; il est donc démontré par les faits qu'on a conféré un droit à des classes moins aisées et qui ont trouvé l'exercice de ce droit tellement onéreux que beaucoup se sont abstenus de l'exercer.
Voilà la réforme de 1848 dans ses conséquence' pratiques, la voilà prise sur le fait, la voilà traduite en statistique officielle.
Je trouve ainsi confirmée la proposition que j'énonçais hier d'une manière générale, à savoir qu'il ne suffit pas de conférer un droit, de démocratiser nos institutions, en abaissant la limite du cens ; mais qu'il faut encore, pour que le droit ne soit pas une lettre morte, en faciliter l'exercice.
Je regrette de ne pas pouvoir étendre ma comparaison aux élections qui ont suivi 1850.
Je ne crois pas qu'il existe jusqu'à présent, pour les années postérieures à 1850i, une publication analogue à celle que j'ai citée. Mais je saisirai l'occasion de ce débat pour demander à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien publier, dans la même forme ou dans une autre forme meilleure, la statistique des élections depuis 1850 Je pense que ce travail pourra éclairer cette discussion qui ne sera pas close aujourd'hui et qui renaîtra encore.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le travail est lait.
M. Malou. - Nous pourrons voir alors si le fait qu'on pourrait considérer comme accidentel, puisqu'il a été constaté une seule fois, ne s'est pas produit avec plus d'intensité dans les élections subséquentes ; nous pourrions nous assurer si, par exemple, les saisons influent sur l'action politique ; en d'autres termes, dans un cas donné, l’état de l’opinion peut dépendre de la question de savoir si nous sommes au mois de juin ou au mois de décembre. Je tiens beaucoup à ce que la statistique officielle vienne nous aider à résoudre ce problème.
Messieurs, je dis encore que le statu quo électoral a été modifié, profondément, non seulement par la loi de 1848 sur la réforme électorale, mais aussi par l'adjonction d'une catégorie qui n'était pas admise en vertu de notre système électoral antérieur à 1851. Je veux parler de la patente des boissons distillées. C'a été une véritable réforme électorale qu'on a faite pour ainsi dire sans s'en apercevoir. (Interruption.)
Pardon ; cette réforme n'a pas été faite par une circulaire ; je dois dire, à la décharge des ministres de ce temps-là, que cette réforme, a été opérée par suite d'une abrogation tacite.
Lorsque l'impôt sur les boissons distillées a été établi, après une discussion très longue sur la question de savoir si l'impôt sur les boissons était un impôt direct ou un impôt indirect, on tomba d'accord pour admettre un paragraphe proposé par l'honorable M. Devaux, portant que cet impôt ne sera compris dans aucun cens électoral Après 1848 une loi nouvelle sur la matière fut adoptée qui ne reproduisit pas cette disposition. C'est ainsi qu'a été modifiée la loi électorale par suite d'une abrogation tacite.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La loi a été proposée à la Chambre.
M. Malou. - Je ne vous accuse pas d'avoir abrogé une loi par mesure administrative. Je dis que les éléments électoraux ont été déplacés en deux circonstances, dans l'une par l’abaissement du cens, dans l'autre par l'adjonction d'une catégorie de personnes qui n'avaient pas le droit de voter. Je constate en troisième lieu que nous discutons sur les moyens de faciliter l'exercice du droit électoral.
L'honorable M. Devaux disait tout à l'heure. Cette question a parcouru plusieurs phases ; il y a eu une grande imprudence, une grande légèreté dans ce qui a été fait : M. Malou a été partisan du vote à la commune et le promoteur d’un pétitionnement.
Il est vrai que cette question a déjà parcouru plusieurs phases ; aujourd'hui elle entre dans une phase nouvelle ; c'est la question de savoir si ou ne peut pas assimiler le droit et le devoir de l'électeur au droit et un devoir du juré. C'est là une question qu'il faut examiner.
Quant au pétitionnement, je n'ai pas reçu le rapport qu'avait fait M. Jacques, mais je me souviens que si un très grand nombre de pétitionnaires demandaient le vote à la commune, un très grand nombre aussi demandaient le vote au chef-lieu de canton. Ces pétitions qui se sont reproduites, non par suite d'une agitation factice, que prouvent-elles ? Qu'il y a une injustice sentie par une partie de la population.
Messieurs, lorsque nous discutons des questions de cet ordre qui touchent à la représentation des diverses opinions dans cette Chambre, de part et d'autre nous sommes portés à nous demander qui profitera de telle ou telle réforme, nous sommes portés à croire que les pétitions et les discours sont inspirés par le désir d'obtenir un profit politique pour telle ou telle opinion.
Je déclare très franchement qu'il me serait impossible de dire si le vote au canton profiterait plus à telle opinion qu'à telle autre ; j'ajouterai une autre chose, c'est que je ne m'en inquiète pas. C'est une question de justice non une question de parti ; vous avez pu remarquer, en effet, que plusieurs de mes honorables amis ne veulent pas du vote au canton ; ils prétendent que ce n'est pas un bon changement. Je suis d'une opinion continue et j'en explique les motifs.
J'examine s'il est juste, dans l'état actuel des choses, d'exiger que les électeurs se réunissent au chef-lieu d'arrondissement.
L'honorable préopinant a fait des calculs géométriques pour établir ce que devraient être les dépenses électorales ; beaucoup de nos honorables collègues ont entendu cette démonstration, qui ont dû regretter que les réalités y répondent si peu. La situation que suppose l’honorable membre pour établir que le chiffre des dépenses est sans importance, n'existe pas. Le chef-lieu devrait être au centre de l'arrondissement, fort bien. C'est facile à dire. Comme il n'y est pas et que vous ne pouvez pas l'y mettre, il s'ensuit que la très grande majorité des électeurs est exclue s'ils ne consentent à faire une dépense qui surpasse quelquefois le montant de la contribution qui leur donne droit de voter ; c'est-à-dire que vous donnez le droit politique moyennant la contribution de 20 fl., et qu'ils doivent, en outre, s'imposer une dépense de 20 florins et plus pour exercer leur droit.
C'est un fait que je ne démontrerai pas, parce qu'on ne démontre pas la lumière en plein jour ; tout le monde le sait, tout le monde le voit, tout le monde le sent.
Maintenant, que doit-il résulter de là ? C'est que beaucoup d'abstentions ont lieu qu'on n'aurait pas à constater. Je crois qu’l est de l'honneur de tous les partis de vivre par les suffrages et non par les abstentions.
Or, si les difficultés dont on se plaint maintenant continuent à exister, vous n'empêcherez pas de constater que la majorité résulte des abstentions et non des suffrages.
J'insiste beaucoup sur ce point, je sais que vous ne pouvez pas donner le droit politique pour l'exercer à domicile, de même qu'on ne peut pas demander qu'on mette une cour d'appel à la porte de chaque justiciable ; mais je demanderai s'il y a nécessité d'obliger tous les électeurs à se rendre au chef-lieu d'arrondissement tant qu’on ne prend pas des mesures pour leur faciliter l'exercice de leur droit. Personne ne prétend qu'il n'y a pas nécessité d'astreindre à un déplacement pour se rendre au tribunal de première instance, auprès du juge de paix ou pour exercer son droit électoral.
Voici la conséquence de notre système électoral au point de vue de la représentation de l'opinion du pays quand elle est le produit d'un ballottage, quand une dissolution a lieu au mois de novembre et que le scrutin de ballottage commence à six heures, est-ce sérieusement que le système a fonctionné et que nous pouvons dire que notre opinion a triomphé ?
- Un membre. - C'est une exception !
M. Malou. - Mais est-ce qu'une majorité ne pourrait pas être fondée sur une pareille exception ? Le fait ne se produisit-il que dans une élection, c'est un vice dans notre système électoral, nous devons le faire disparaître le plus tôt possible pour que la majorité parlementaire soit l'expression h plus vraie, la plus complète possible de l’opinion du pays.
Je ne crois pas à cette objection qui s'est produite quelquefois : « Si vous voulez éteindre la vie politique dans le pays, empêchez les électeurs de communiquer entre eux, de se réunir au chef-lieu d'arrondissement et de s'entendre sur le choix des candidats. » Comment se font en réalité les élections ? Est-ce que le jour des élections à 9 heures du matin, il y a une délibération entre les électeurs qui se demandent : Qui choisirons-nous ?
Le travail électoral se fait d'avance par l'action des deux opinions rivales ; la presse, qui est maintenant répandue partout, contribue puissamment à faire ce travail, croyez-le bien ; en ordonnant le vote au chef-lieu du canton, la vie politique ne sera nullement éteinte. En voulez-vous une preuve ? Dans combien de circonstances les élections provinciales, qui n'ont certes pas la même importance et qui se font au chef-lieu du canton, n'ont-elles pas eu un caractère politique," et parfois même un caractère politique très prononcé !
L'honorable membre paraît craindre que le système du vote au chef-lieu de canton aurait pour conséquence inévitable, immédiate, le fractionnement des collèges électoraux, question qui a été à l'ordre du jour il y a bien longtemps et dont depuis longtemps aussi on ne s'occupe plus. Je dirai bien franchement mon opinion sur le fractionnement des collèges électoraux.
Si, dans notre pays, en admettait l'unité du collège électoral par (page 238) 40,000 âmes, on créerait, au lieu d’influences politiques, des influences personnelles ; et c'est là pour moi une raison décisive contre le fractionnement des collèges électoraux ; on pourrait alors être élu autrement qu'à titre de propriétaire et non à titre de représentant d'une opinion ; ce système nous rapprocherait de celui qui a été abrogé en Angleterre, où l’on était propriétaire d'une circonscription électorale.
Je repousserais à tout prix un système qui fausserait à ce point nos institutions. Mais, messieurs, je ne vois nullement en quoi une telle conséquence pourrait dériver du vote au chef-lieu du canton. Et en effet, dans quelles conditions les élections y auraient-elles lieu ? Les votes seraient recueillis par le juge de paix ; il ne pourrait donc y avoir aucun doute sur la réalité des votes ; ils seraient portés et résumés au bureau central, comme on le fait aujourd'hui dans les localités où il y plusieurs bureaux électoraux.
Ainsi, dans ce système, rien de changé à ce qui existe actuellement, si ce n'est quelques déplacements de moins et un peu plus de justice et d'égalité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et s'il y a ballottage ?
M. Coomans. - On remettra le vote à huit jours.
M. Malou. - Nous avons, dans notre histoire, un exemple qui répond à cette observation Avant la cession du Limbourg et du Luxembourg, nous avions des arrondissements qui concouraient ensemble à la nomination d'un sénateur et là était précisément prévu le cas qui paraît constituer une grande difficulté aux yeux de M. le ministre de l'intérieur. Ainsi les bureaux siégeaient le même jour et en cas de ballottage il y avait une convocation nouvelle, et alors les électeurs pouvaient émettre leur vote, non pas à huit heures du soir, mais d'une manière sérieuse et normale.
Je termine, messieurs, comme j'ai commencé. Il paraît résulter de ce débat qu'il y a quelque chose à faire pour améliorer notre législation électorale, soit en diminuant les difficultés qu'éprouvent aujourd'hui un certain nombre d'électeurs à exercer leurs droits politiques, soit en leur procurant une indemnité de déplacement par application de ce qui se fait pour les jurés. Cette discussion sera reprise un jour ; d'ici là nous verrons, par les documents que M. le ministre de l'intérieur voudra bien nous donner, si en effet les élections se sont produites après 1850 comme avant cette époque.
M. le président. - La parole est à M. de Theux.
M. de Theux. - J'y renonce, à la suite du discours que vient de prononcer l'honorable M. Malou.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'êtes cependant pas d'accord.
M. E. Vandenpeereboom. - Il paraît, d'après ce que nous venons d'entendre, qu'on ne se propose pas d'en venir aujourd'hui à une solution. On veut seulement discuter théoriquement, mais non pratiquement. Puisque nous sommes sur ce terrain, je dirai aussi quelques mots sur la question de la prétendue réforme électorale, dont on a fait trop de bruit.
Toucher aux lois électorales, est toujours une affaire très importante parce que, comme on vient de le dire, d'une application bonne ou mauvaise des lois électorales peuvent résulter des conséquences ou salutaires ou fâcheuses pour la représentation nationale elle-même. Cela est si vrai que, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Devaux, qu’on n’a jamais touché profondément à ces lois que du consentement des deux partis de la Chambre.
Les deux modifications importantes qui ont été apportées à nos lois électorales datent de 1848 ; elles sont relatives, l'une à l'abaissement du cens, l'autre aux incompatibilités ; et les deux lois qui les ont consacrées ont été votées à la presque unanimité.
La question du lieu où doivent se rendre les électeurs est une affaire si importante que le Congrès lui-même s'en est occupé. L'article 48 de la Constitution porte, en effet : « Les élections se font par telles divisions de province, et dans tels lieux que la loi déterminera. » C'est-à-dire que c'est la loi seule qui peut résoudre la question grave du lieu où s'opèrent les élections.
Mais, dans l’article tel qu'il était primitivement rédigé, les mots : « et dans tous les lieux, etc. » ne se trouvaient pas. On les a ajoutés, parce qu'on a cru qu'il ne pouvait pas appartenir au pouvoir exécutif de déterminer le lieu où devait se faire l'élection. Enfin, ce point fut encore discuté à l'occasion de la loi électorale de 1831, et voici comment s'exprima l'honorable M. de Theux, rapporteur de cette sli importante, décrétée par le Congrès :
« Quant à la réunion des électeurs, la commission a cru devoir la fixer au chef-lieu des districts administratifs ; les électeurs y trouvent plus de facilité pou s'éclairer sur leur choix, ils sont moins exposés à une influence de localité. »
Il me paraît impossible, messieurs, de dire plus de vérités en moins de mots ; pour moi, je trouve la maxime excellente et applicable aujourd’hnui comme elle l'était alors.
Mais, chose étrange, quand on a décidé que l'élection aurait lieu au chef-lieu d'arrondissement, c'était à une époque où il y avait bien moins de voies de communication qu'aujourd'hui ; nous n'avions pas de chemins de fer, et nos routes pavées n'avaient pas le dixième du développement qu'elles ont pris depuis ; et c'est au moment eu toutes ces facilités de transport ont pris presque tout leur développement possible que l'on vient crier à l'injustice, à l'iniquité.
Je ne sais vraiment à quoi attribuer un tel changement.
D'ailleurs, pourquoi avez-vous tardé à appuyer les plaintes qui ne manifestent aujourd'hui ? Vous avez été assez souvent au pouvoir ; pourquoi donc n'avez-vous pas profité de cette position, pour faire justice de ces abus ? Vous nous dites qu'il y a plus d'électeurs à la campagne que dans les villes ; cela est parfaitement vrai ; mais cela n'est-il donc vrai que depuis aujourd'hui. ? S'il y a injustice en ce moment, l'injustice existait autrefois ; pourquoi ne l’avez-vous pas détruite, quand vous étiez au pouvoir ? Ne serions-nous pas en droit de vous dire ; Vous ne touchez aux lois électorales que lorsqu'elles vous mettent en minorité ; témoin le fractionnement des villes. Vous ne trouvez les lois électorales mauvaises que lorsqu'elles vous sont contraires.
Une autre raison encore me fait redouter un changement à nos lois électorales quant au lieu d'élection. C'est que les partisans de la réforme ne sont pas d'accord entre eux : les uns veulent le vote à la commune pour que chaque électeur puisse aller au scrutin eu pantoufles, comme le dit l'honorable M. Coomans.
Quoi qu'il en soit de la comparaison, je ne sais vraiment pas comment on peut soutenir le vote à la commune, d'une manière sérieuse. Aussi, l'honorable M. Malou combat ce mode de réforme comme impossible. Je m'attends à ce qu'un autre membre de la droite viendra combattrel'e vote au canton, préconisé par le député d'Ypres. En attendant, je viens m'opposer à l'un et à l'autre système.
Il y a beaucoup de communes qui n'ont pas six électeurs. Je connais des communes dans de grands arrondissements (j'en ai le nom sous les yeux) qui n'ont qu'un électeur.
M. Coomans. - On peut faire des agglomérations.
M. E. Vandenpeereboom. - Mais, avec les agglomérations, vous n'avez plus le vote à la commune. Vous avez beaucoup de communes où il n'y a que deux, trois ou quatre électeurs. Faites donc dans ces communes des bureaux donnant des garanties suffisantes ! Cela est impossible. Aussi, je ne pense pas qu'on insiste à cet égard.
Reste le vote au canton. C'est une autre manière d'empêcher beaucoup d'iniquités, d'empêcher beaucoup de déplacements écrasants, ruineux.
Quant à moi, je ne sais véritablement pas quelle est cette rude tâche qui est imposée aux habitants des campagnes. Tous les quatre ans, on invite les électeurs ruraux à remplir un devoir sérieux et précieux qui est celui de participer à la formation de la législature. Ces mêmes hommes vont quarante lois par an à la ville pour vendre quatre ou dix hectolitres de blé ; leurs femmes font souvent la même route pour vendre une dizaine de kilogrammes de beurre. Et l'on parle des sacrifices imposés à ces rudes marcheurs, qui font tous les ans des pèlerinages lointains, qui font de longues excursions pour se rendre à des foires, à des expositions agricoles, à des kermesses. A entendre certains orateurs, on craint qu'on ne les épuise à l'occasion des élections. Cela devient ridicule.
J'ai autant de respect que qui que ce soit pour les électeurs campagnards ; mais je crois qu'on fait plus de jérémiades sur leur compte qu'ils ne soulèvent de plaintes eux-mêmes.
Je me suis donc demandé, puisqu'on voulait sauver tant de gens malheureux et victimes, combien on en sauverait, et j'ai cherché à faire la statistique de ce que pourrait produire le vote au chef-lieu de justice de paix dans un arrondissement, celui de Courtrai.
Je demande pardon aux représentants actuels de Courtrai, si je m'occupe encore de cette localité, mais comme je la connaissais bien, je l'ai prise pour exemple. Quand j'aurai étudié dans toutes ses parties le nouvel arrondissement que j'ai l'honneur de représenter en ce moment, je ne m'occuperai plus que de celui-là.
L'arrondissement de Courtrai comprend 44 communes rurales. Il y a en tout 2,417 électeurs. Je parle d'une statistique officielle de 1855. Je trouve les chiffres dans le dernier volume que nous a distribué le département de l'intérieur. Avec le chef-lieu au canton, je trouve que des 44 communes, 22 voteraient comme elles votent aujourd'hui ; elles voteraient à Courtrai même. Les 22 autres, au lieu d'aller à Courtrai, iraient à droite, à gauche et de travers ; les électeurs de ces 11 dernières communes devraient se déplacer comme ils le font aujourd'hui, un peu plus un peu moins.
Les 22 communes qui voteraient comme aujourd'hui possèdent 1,461 électeurs ; il y en aurait 950 environ qui iraient de droite et de gauche.
Ainsi en voulant sauver beaucoup de monde, vous ne sauveriez pas la moitié des communes et vous ne sauveriez pas la moitié des électeurs.
C'est un petit résultat, pour un changeaient, paré du nom de grande réforme.
Mais j'ai trouvé une autre difficulté, c'est celle-ci ; dans certaines justices de paix, se trouvent des communes de plusieurs districts électoraux différents.
Vous devriez avoir là deux et même trois scrutins, et au lieu de simplifier, vous arriveriez à des complications. L'une réforme en entraînerait plusieurs autres.
Enfin un autre point important (car il faut prendre pour base ce qui est la règle), c'est que les élections ont lieu en général au mois de juin et que quand il y a ballottage, ce ballotage peut avoir lieu le même jour, sans inconvénient ; avec le vote à la commune ou au canton, ce ballottage ne pourrait jamais se faire le même jour ; il faudrait une seconde convocation. Et remarquez-le, on a parlé des élections en Hollande ; on a oublié de dire qu'en Hollande, avec le système d'élection à la commune, il y a très souvent des ballottages, par ce motif que trois ou quatre candidats à la fois n'obtiennent pas la majorité, et pourquoi ? Parce que (page 259) personne n’est fixé sur les choix, que chacun veut faire prévaloir sa petite localité, sa petite influence.
Messieurs, je ne suis donc pas effrayé des menaces de réforme qu'on nous a faites. Je crois que si quelque chose est à faire, on pourrait abaisser les péages sur les chemins de fer, si pas les annuler tout à fait, c'est-à-dire donner le transport gratuit pour ce jour-là.
Quant à payer les électeurs, pour remplir leur devoir, comme on paye les jurés, je ne m'y oppose pas, quoique je ne voie pas là une très grande nécessité. Au reste, quelles que soient les mesures que l'on puisse proposer pour faciliter l'accès au scrutin et assurer la sincérité du vote, je veux bien les examiner ; mais dès à présent, je me déclare formellement opposé à la commune comme impossible ; au vote au canton, comme ne donnant pas de résultats sérieux. Je crois qu'en élevant l'esprit public à la hauteur qu'exige l'exercice sérieux et patriotique du mandat électoral, on éviterait bien des petites misères dont on se plaint trop hautement aujourd'hui.
M. de Theux. - Messieurs, quand j'ai quitté l'école de droit, j'avais pris pour épigraphe de ma thèse la maxime : Incivile est, nisi tota lege perspecta dijudicare vel respondere, empruntée à un ancien jurisconsulte romain. Appliquant cette maxime à la politique, je dirai qu'il est injuste de citer l'opinion de quelqu'un, en ne le citant que partiellement. Eh bien, c'est cette injustice qui a été commise envers moi, lorsqu'on s'est borné à citer un passage du rapport que j'ai eu l'honneur de faire au Congrès sur la loi électorale.
Il est vrai que j'ai dit que la réunion des électeurs au chef-lieu d'arrondissement présentait des facilités aux électeurs pour se fixer sur leurs choix ; qu'elle semblait aussi les mettre plus à l'abri des influences locales. Mais, messieurs, notez bien qu'en même temps je disais qu'il fallait compenser et je proposais de compenser cette inégalité de position pour les électeurs ruraux avec les électeurs qui habitent le chef-lieu d'arrondissement, par un cens différentiel, et le Congrès national avait trouvé ce système très juste ; il l'avait consacré par la loi.
Cette compensation que j'avais proposée, et que le Congrès avait adoptée, a été détruite par la loi de 1848.
On nous objecte que cette loi de 1848, nous l'avons adoptée presque unanimement, que c'est une preuve que nos convictions étaient favorables à cette loi. En aucune manière, messieurs ; je l'ai déjà déclaré plusieurs fois, cette loi était tout à fait contraire à mon opinion personnelle.
Mais j'ai dit enfin et je répète que dans des circonstances aussi grave qu'en 1848, lorsqu'un gouvernement vient apporter au parlement des mesures qu'il semble considérer comme des mesures de sûreté publique, alors un parlement prudent les accepte et ne les discute pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On y a applaudi, M. Dechamps a trouvé la réforme admirable, et M. Malou aussi.
M. de Theux. - Je dois déclarer que l'opinion de l'honorable M. Dechamps n'était en aucune manière ; la mienne, je rappellerai aussi que l'honorable M. de Tornaco, entre autres, s'est abstenu sur cette loi, qu'il a dit qu'elle n'avait pas ses sympathies ; et c'était l'opinion d'une grande partie de la Chambre.
Il en a été de même de plusieurs autres lois politiques apportées à cette époque.
J'ai dit, en 1831, qu'il me semblait que les électeurs auraient plus de facilités pour se concerter sur leurs choix, étant tous réunis au chef-lieu d'arrondissement. Mais en tenant ce langage, je me trouvais sous l'impression de faits qui s'étai'ent passés lors des élections pour le Congrès national. En effet, les collèges électoraux pour les élections au Congrès national avaient été convoqués à assez court intervalle. La situation était tout à fait exceptionnelle. Dans plusieurs districts on s'est concerté sur le choix des candidats, au moment même des élections. Moi-même je n'ai été élu que de cette manière par un concert au moment de l'élection.
Ainsi j'admets la vérité de cette citation en ce point. Mais est-ce à dire qu'il ne soit pas produit des faits depuis lors qui autorisent une modification d'opinion ?
Aujourd'hui, au moyen de la presse beaucoup plus répandue, au moyen de l'organisation d'associations électorales, de réunions électorales, les choix des candidats se concertent et se discutent d'avance. On n'attend pas la réunion des électeurs au chef-lieu d'arrondissement. Le candidat qui se présenterait dans cette circonstance serait certain d’être reconduit. On lui dirait : Les électeurs se sont concertés, ne venez pas déranger nos combinaisons.
Du reste, le Congrès a fait plusieurs lois qui ont été modifiées, parce que l'expérience a prouvé que des améliorations utiles pouvaient y être apportées. Nous ne sommes pas immobiles ; nous ne repoussons pas le progrès sage et raisonnable.
Messieurs, il est une chose qu'aucun raisonnement ne peut détruire ; c'est ce que nous appelons la notoriété publique Or, il est de notoriété publique que la situation actuelle produit des inconvénients très graves, soit par rapport aux électeurs, soit par rapport aux candidats.
Le système actuel peut, dans certaines circonstances, produire, une abstention considérable de la part des électeurs, et il produit déjà une abstention très considérable de candidats à la représentation nationale.
Nous avons eu, l'an demie, une élection au 10 décembre. Certainement, je ne prête pas au cabinet l'intention d'avoir choisi le 10 décembre dans l'espoir que les communications seraient rendues difficiles, presque impossibles pour une partie des électeurs. Cela ne peut pas être à raison des circonstances dans lesquelles il est venu au pouvoir.
Mais ce qui n'est pas arrivé dans cette circonstance peut arriver dans-une autre, même malgré les intentions loyales du cabinet qui aurait provoqué la dissolution de la Chambre. On ne prévoit pas le temps et on le dirige encore moins. Eh bien, je suppose qu'une dissolution de la Chambre ou du Sénat ayant lieu en plein hiver, il arrive un temps tellement mauvais qu'un grand nombre d'électeurs ne puisse pas se déplacer, soit d'une manière absolue, soit sans s'exposer à des inconvénients presque insurmontables Qu'arrivera-t-il ? La Chambre sera-t-elle la représentation nationale ? Evidemment non. Pendant toute la durée de son mandat, elle sera considérée comme un être inconstitutionnel.
Nous ne pouvons pas, m nous voulons rester dans l’esprit de la Constitution qui exige que les deux Chambres soient la représentation du pays, maintenir une situation qui rend ces événements possibles.
Plusieurs orateurs des deux côtés de cette Chambre, et je pense que dans le Sénat les opinions se sont également prononcées dans le même sens des deux côtés, ont indiqué qu'il y avait quelque chose à faire. Il y en a qui semblent donner la préférence à l'indemnité de déplacement payée à l'électeur. Je conviens que ce système serait satisfaisant dans les temps ordinaires pour les élections qui se font dans une saison favorable. Mais ce système ne parerait pas à cet inconvénient grave et sérieux d'une dissolution peut-être nécessaire en plein hiver.
S'il y a dissentiment entre le gouvernement et les Chambres, une dissolution peut arriver en plein hiver et dans ce cas l'on ne pare pas aux inconvénients par des frais de déplacement.
Indépendamment des frais et des fatigues (je dis ce mot à dessein, parce que l'inconvénient est réel pour des personnes âgées, pour des personnes d'une santé délicate, plusieurs ne peuvent se rendre aux comices), il y a un autre inconvénient excessivement grave aujourd'hui, c'est que les électeurs sont obligés de rester réunis au chef-lieu d'arrondissement jusqu'après la proclamation du scrutin, dans l'incertitude s'il y aura ballottage ou non.
De plus, s'il y a un ballottage, la plupart du temps, il se fait d'une manière inconvenante. Beaucoup d'électeurs ont déjà dû quitter le chef-lieu d'arrondissement, en sorte que la majorité est de fait assurée au candidat qui a pour lui l'opinion du chef-lieu d'arrondissement, alors qu'il aurait contre lui une majorité assez imposante de l'ensemble de l'arrondissement, qui cependant seul a le droit de faire la loi. Cela arrive assez facilement s'il y a trois candidats au lieu de deux pour un siège au parlement. Dans ce cas encore le ballottage n'exprime pas Fa volonté réelle du corps électoral.
On dit. messieurs, que nous devons aviser à discuter une réforme désirée à la loi électorale sans esprit de parti et dans un esprit d'équité. Je suis complétement de cet avis, et quand la Chambre se croira disposée à discuter sérieusement une réforme, nous examinerons alors tous les inconvénients que ce système peut présenter, avec le plus grand sang-froid et en recherchant uniquement ce qui est vrai, ce qui est juste.
On le peut d'autant plus facilement, messieurs, que les opinions d'un pays ne sont pas immuables.
Ainsi tel parti qui croirait trouver aujourd'hui son appui dans les campagnes, peut ne pas l'y trouver dans quelques années, et tel parti qui croirait trouver aujourd'hui son appui dans les villes, peut ne plus l'y trouver dans quelques aimées. Si l'on consulte l'histoire, on voit que les opinions ont ainsi varié dans les villes et dans les campagnes. Il n'y a rien d'immuable dans ce sens, en matière politique principalement.
Des intérêts nouveaux surgissent qui déplacent tout à fait les influences électorales et les opinions des électeurs.
On a beaucoup parlé des inconvénients du système électoral qui existe en Hollande ; je ne suis pas convaincu de la réalité de ces inconvénients. Je disais hier qu'en Hollande on a craint que l'influence des bourgmestres ne fût en général favorable au gouvernement, ne déterminât l'élection dans le sens du gouvernement ; eh bien, ceux mêmes qui manifestent cette crainte en sont revenus parce qu'ils ont reconnu que l'influence des bourgmestres ne s'est pas fait sentir et que les élections se sont faites librement, régulièrement, qu'il n'y a pas eu de fraude. Je dois ajouter que la loi a été présentée, si je ne me trompe, par un ministre qui passait pour très libéral, par M. Thorbeke.
On a cité des inconvénients, on a dit que les électeurs se présentent isolément, qu'on les influence, qu'on ouvre leurs billets ; ce inconvénients seraient très graves, mais il paraît que les choses ne se passent pas ainsi et que le caractère de la nation hollandaise s'y oppose. Dans tous les cas si de semblables abus se commettaient, on pourrait les empêcher.
Je ne dis pas du reste que ce soit là le système qu'il faille nécessairement adopter, mais je dis qu'on ne doit pas rejeter a priori une législation admise après mûr examen par un pays très raisonnable et où la liberté est depuis longtemps enracinée dans les mœurs.
Quant au fractionnement des collèges électoraux, je déclare aussi, comme mon honorable collègue M. Malou, qu'il n'est aucunement dans nos intentions ; je ne désire nullement ni agrandir la circonscription des petits collèges ni diminuer la circonscription des grands collèges ; tout ce que je désire, c’est que l'on cherche à obvier aux inconvénients qui ont été signalés.
(page 240) Ces inconvénients peuvent résulter d'une dissolution hivernale, du mauvais temps qui empêcherait les électeurs ruraux de se transporter au chef-lieu d'arrondissement. Qu'on cherche à obvier aux dépenses électorales qui grandissent d'année en année et qui s'étendront successivement à tous les districts.
En troisième lieu, qu'on assure la sincérité des ballottages, qu'une combinaison adroitement faite de trois candidatures peut facilement amener, que cette combinaison soit déjouée et que le ballottage soit quelque chose de sincère.
Voilà, messieurs, les mesures que je désire a i jour voir se réaliser ; je désire aussi voir établir une jurisprudence uniforme quant à l'application de la loi électorale ; je désire qu'on ne puisse pas dire, par exemple, dans un bureau que l'indication des prénoms ou de la profession est nécessaire et dire, dans un autre bureau, que cette indication n'est pas nécessaire.
Voilà, messieurs, les faits sur lesquels j'appelle votre sérieuse attention. Je m'abstiendrai de faire une proposition, mais je désire que le gouvernement et la Chambre, sans acception de partis, cherchent quelles sont les améliorations dont la loi est susceptible.
En agissant ainsi, messieurs, nous consoliderons de plus en plus notre édifice constitutionnel. N'en doutez point, plis il y a de justice dans la loi, plus aussi est grand l'attachement des populations pour la loi et les institutions.
M. de Decker. - Messieurs, bien que la discussion actuelle se produise d'une manière tout incidente et qu'elle ne doive point, d'après toutes les probabilités, amener de conclusion pratique, au moins pour le moment, je crois qu'il est de mon devoir d'exposer en quelques mots ma manière de voir relativement à la question qui nous préoccupe.
Ma manière de voir diffère de celle de mes honorables amis politiques en ce sens que je ne suis point, comme eux, partisan de l'une des trois réformes que l'on a préconisées, mais je tiens à dire, à l'instant même, que je suis parfaitement d'accord avec ces honorables membres sur les immenses inconvénients du régime actuel.
A la fin des observations présentées tout à l'heure par l'honorable M. Devaux, cet orateur nous a soumis une considération dont nous avons tous compris la justesse ; c'est que, pour la rédaction comme pour la modification des lois organiques, il faut autant que possible tâcher d’obtenir l'assentiment de la presque unanimité de la législature. Il faut que des lois de cette importance soient votées, non pas au point de vue exclusif de tel ou tel parti, mais sous la seule préoccupation de l'intérêt général. Il faut que ces lois, pour acquérir toute leur autorité morale et pour être durables, obtiennent immédiatement la consécration de l'opinion publique.
Y a-t-il moyen d'arriver dans la présente question à une entente ? Je le crois.
Depuis longtemps, lorsque cette question s'agitait dans les conversations particulières ou même dans les conseils du cabinet dont je faisais partie, j'ai toujours défendu le système de l’assimilation du corps électoral au jury.
Vous le voyez, messieurs, déjà des éléments se rencontrent en faveur de ce système sur divers bancs de cette Chambre, et j'ai été très heureux, pour ma part, de voir les honorables MM. Savart et Lelièvre défendre ce système, et de voir, en même temps, plusieurs de mes amis politiques ne pas s'y montrer hostiles.
Peut-on espérer, messieurs, de voir se perpétuer le régime tel qu'il est actuellement pratique ? Franchement, quand on examine ce qui se pratique, il est impossible qu'un véritable ami de nos institutions puisse vouloir le maintien de cet état de choses ; et, sur aucun des bancs de cette assemblée, on n'oserait contester les inconvénients immenses qu'il présente.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est exceptionnel.
M. de Decker. - Je dois reconnaître que l'abus n'est pas général. Ainsi, dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, on ne rencontre pas ces abus qui ont été signalés ailleurs ; mais dans plusieurs localités ces vices du régime actuel ne sont que trop réels.
En dépit des calculs présentés par l'honorable M. Devaux, en dépit des plaisanteries faites par l'honorable M. Ernest Vandenpeereboom, il est évident qu'il y a dans le système actuel de choquantes inégalités entre les électeurs. Depuis la dernière réforme électorale qui, en abaissant le cens, a appelé à l'exercice des droits politiques une foule de personnes qui ne jouissent que d'une fort médiocre fortune, l'inégalité de position entre les électeurs des chefs-lieux d'arrondissement et ceux des communes rurales est devenue plus intolérable encore.
On peut le dire, c'est presque une dérision d'avoir proclamé comme un bienfait l'extension du droit électoral à un grand nombre de nos concitoyens, lorsqu'on sait d'avance que ces mêmes concitoyens sont dans l'impossibilité matérielle d'exercer ce droit. Eh bien, nous devons chercher à compléter la réforme faite en 1848, en lui donnant un caractère de vérité pratique. Nous avons abaissé le cens aux limites extrêmes indiquées par la Constitution ; faisons en sorte que ce droit nouveau, accordé à une nouvelle catégorie de citoyens, ne soit pas une chose vaine pour eux.
Le système actuel consacre une choquante inégalité, en ce qu'il oblige la majeure partie des électeurs à faire une dépense considérable de temps et d'argent pour exercer leur droit, alors que d'autres électeurs ont pour cela toutes les facilités possibles. Un pareil système ne saurait être longtemps maintenu dans un pays où règnent le bon sens et la justice.
Mais, dit-on, en fait, cette choquante inégalité n'existe point, parce que les candidats se chargent des dépenses que les électeurs ruraux ont à faire. Soit ; mais alors vous rencontrez une autre série d'inconvénients de la na lire la plus grave.
D'abord, les rapports d'intérêts entre les électeurs et les candidats sont humiliants pour l'électeur et pour l'élu...
M. Coomans. - Et pour la Chambre-
M. de Decker. - J'arriverai à ce point.
Ces rapports sont humiliants pour l'électeur. En effet, que l'électeur le veuille ou ne le veuille pas, il est certain que, par cela seul que tel ou tel candidat se charge de ses frais de transport et d’auberge, l'électeur doit se croire dans une espèce de dépendance et de sujétion politique à l'égard du candidat. Eh bien, de deux choses l'une ; ou l’électeur, ainsi transporté et nourri par un candidat, vote pour ce candidat, et alors c'est une espèce de marché indirect ; ou bien, ce qui arrive très souvent aussi, il vote contre le candidat, et alors il commet un acte de duplicité qui répugne à tout cœur honnête, si même il ne contracte pas l'habitude de l'immoralité politique.
Voilà pour l'électeur. Ces rapports d'intérêts ne sont pas moins contraires à la dignité de l'élu. Chose singulière ! Un fait qui nous frappe le plus dans l'histoire, c’est la vénalité des charges. Eh bien, ce fait se reproduirait bientôt, en plein XIXème siècle, si notre système électoral continuait à fonctionner dans la voie des abus que je signale.
Messieurs, ces rapports d'intérêts entre les candidats et les électeurs sont d'ailleurs essentiellement contraires à l'esprit démocratique de nos institutions. Comment ! le Congrès a considéré comme une mesure éminemment démocratique, dans le bon sens du mot, la disposition constitutionnelle qui accorde une indemnité aux citoyens consentant à faire le sacrifice de leurs affaires pour venir ici rédiger des lois dans l'intérêt du pays ; et aujourd'hui vous voulez forcer ces mêmes citoyens à dépenser pour leur élection une somme beaucoup plus considérable que celle que représentent les indemnités qu’ils reçoivent pendant toute la durée de leur mandat.
Il est évident que maintenir ce système, c'est accorder une prime aux personnes qui, par leur fortune, peuvent dépenser de fortes sommes dans les élections ; c'est enlever presque toute chance de succès aux hommes de talent et de caractère que leur position de fortune met dans l'impossibilité de s'imposer de pareilles dépenses. Dieu nous garde d'un pareil résultat, dans l'intérêt de nos institutions !
Mais, dit-on, si les abus continuent, qu'est-ce qui nous empêche de faire une loi contre la corruption électorale ? Certainement, la corruption doit être réprimée, et je donnerai volontiers les mains à toutes les mesures qu'on pourra prendre pour atteindre ce but.
Mais c'est une matière bien dangereuse à traiter ; une loi contre la corruption électorale est une loi des plus difficiles à faire. Où commence la corruption ? Première et immense question.
En Angleterre, d'après la dernière loi, on considère comme un fait de corruption électorale, même les frais de transport ! Eh bien, où iriez-vous, si vous attribuiez ce caractère aux frais de transport et d'auberge payés à l'électeur par le candidat ? Il ne manquerait plus que cela pour faire de l'électeur de la campagne un véritable paria dans notre société.
Je n'insiste pas davantage sur les vices du système actuel : ils sont saillants pour tout le monde.
Maintenant, pour arriver à la destruction des abus, faut-il recourir à l'une des trois réformes proposées ? Franchement, je suis d'un avis opposé à celui de quelques-uns de mes honorables amis. Je ne suis partisan ni de la nouvelle circonscription électorale par 40,000 habitants que personne, du reste, ne demande plus ; ni du vote à la commune, par les considérations qu'a fait valoir l'honorable M. Malou ; ni du vote au chef-lieu de canton, par les raisons qu'a exposées l'honorable M. Devaux. Toutefois, je crois qu'il y a un moyen de faire cesser les justes réclamations qui s'élèvent aujourd'hui, sans s'exposer, d'autre part, aux dangers politiques qui peuvent résulter de l'une des deux réformes proposées par certains membres ; en d'autres termes un moyen de faire cesser les abus, sans plus, comme le désire l'honorable M. Devaux.
A toutes les époques, l'assimilation du corps électoral au jury a été dans l'esprit de tout le monde. Depuis que je siège dans cette enceinte, je me souviens d'avoir entendu la plupart des orateurs politiques se servir de cette expression, en parlant du corps électoral : Un grand jury national, appelé à prononcer son verdict entre les diverses opinions en présence.
Une question à examiner est celle de savoir si, dans l'organisation de ce grand jury national, il y a lieu d'appliquer les deux bases de l'organisation du jury ordinaire : d'abord l'obligation de voter, puis, l'indemnité, comme compensation de l'exercice de ce droit ou plutôt de l'accomplissement de ce devoir.
Je n'oserais pas encore me prononcer définitivement à cet égard. Faut-il seulement accorder l'indemnité. ? Faut-il la combiner avec l'obligation d'aller au scrutin électoral ? C'est à examiner ultérieurement.
Pourquoi n'imposerait-on pas l'obligation de voter ? Si nous voulons la pratique vraie de nos institutions, si nous voulons arriver, au moyen des élections, à la connaissance exacte de l'opinion de la nation, nous devons vouloir que le plus grand nombre d'électeurs possible (page 241) prenne part à cette manifestation. Vous savez que dans une ancienne république de la Grèce, il y avait une loi qui comminait des peines sévères contre ceux qui n'avaient pas le courage de se prononcer, qui avaient la lâcheté de s'abstenir dans les luttes politiques du pays.
Eh bien, n'est-ce pas aussi une pensée éminemment morale que de vouloir que tout homme qui a le droit d'être électeur exerce ce droit, dans l'intérêt du pays et de ses institutions ?
En pratique, il y a d'autres motifs pour désirer que le plus grand nombre possible d'électeurs prenne part au vote. Ainsi, l'on signale très souvent dans les élections partielles et même dans les élections générales, dans les districts où il n'y a pas lutte, une abstention vraiment regrettable de la part de la majeure partie des électeurs.
Dans de grands districts comptant jusqu'à neuf mille électeurs, nous avons vu des membres de la Chambre élus par quelques centaines d'électeurs. C'est là un spectacle déplorable, propre à inspirer le dégoût de nos institutions. Nous devons tous désirer que le système électoral conserve son prestige. Il est utile, d'ailleurs, qu'on puisse constater, à toutes les époques, le véritable état de l'esprit public. C'est un symptôme dont le pays doit tenir compte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut imposer une amende de 500 francs comme pour les jurés.
M. de Decker. - Soit, une pénalité quelconque.
Il arrive encore bien souvent que les nominations de représentants ont lieu par une différence de quelques voix. L'honorable M. Malou signalait tout à l'heure cet inconvénient qui est très réel ; un candidat peut être élu par une très petite majorité, alors qu'il y a des centaines d'abstentions. Eh bien, il faut faire en sorte que des faits de cette nature ne se reproduisent pas ; il faut que l'on sache positivement quel est le vœu de la majorité du corps électoral.
M. Devaux. - Et les billets blancs ?
M. de Decker. - Les billets blancs sont la grande exception ; il faut s’occuper de ce qui se fait ordinairement.
Messieurs, je le répète : le système de l'assimilation du corps électoral au jury aurait pour effet de faire disparaître les abus qui existent actuellement sans engendrer les inconvénients qu'on a cru entrevoir avec raison, selon moi, dans les deux espèces de réformes électorales préconisées par quelques honorables membres. Avec ce système, plus d'inégalité entre les électeurs des chefs-lieux d'arrondissement et ceux des campagnes. Avec ce système, plus de rapports intéressés et humiliants entre l'électeur et l'élu, plus de privilège pour le candidat qui a de la fortune.
Avec ce système, plus de corruption possible ; car, avec ce système toute dépense deviendrait inutile et même punissable au besoin, l'électeur étant indemne des frais qu’il désirait faire pour exercer son droit électoral.
Avec cé système, plus de motif pour celui qui paye le cens électoral de ne pas se faire inscrire. Or, aujourd'hui beaucoup de personnes, payant le cens mais ne figurant pas sur la liste électorale, ne réclament pas leur inscription, soit qu'elles ne veuillent pas s'exposer à devoir faire les frais de grands déplacement nécessités pour l'exercice de leur droit électoral, soit qu'elles ne veulent pas se livrer à cette espèce de trafic de votes qui se pratique dans certaines localités.
Ainsi, tous les griefs articulés contre le régime électoral, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, viennent à disparaître. D'autre part, nul danger politique de la nature de ceux qu'on redoute.
Avec le système que j'ai eu l'honneur d'exposer, pas de déplacement, d'influences à craindre, comme cela pourrait peut-être à la longue résulter de l'une ou de l'autre des réformes proposées, bien que cela ne soi pas dans' la pensée de leurs auteurs.
Pas de fractionnement, pas d'éparpillement des forces de l'opinion publique ; le contact de tous les électeurs d'un district continue d'alimenter l'esprit public ; le contrôle des opérations électorales reste sérieux ; la vie politique est conservée. En un mot, vous avez les avantages de l'organisation actuelle et vous en évitez les inconvénients, vous en détruisez les abus sans retour.
Messieurs, j'ai tenu à développer aujourd'hui en quelques paroles mon opinion sur notre régime électoral, parce que je crois que sur le terrain des idées que j'ai émises il y aurait moyen de s'entendre. Je suis heureux de voir que ce système a chance de rallier des voix sur plusieurs bancs de cette assemblée.
- La discussion est continuée à demain à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures et trois quarts.