(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1647) M. Tack procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Crombez donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est approuvée.
M. Tack communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« L'administration communale et des habitants de Sohit-Tinlot prient la Chambre d'allouer au département des travaux publics un crédit pour améliorer le service de la poste dans l'arrondissement de Huy, et demandent l'établissement d'un bureau de perception dans l'une des communes sur la route de Huy à Hamoir et un bureau de distribution dans cette commune. »
« Même demande d'habitants de Strée et de Tihange. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Delstanche demande la concession d'un chemin de fer de Luttre à Maestricht. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires à Flémalle haute demandent que les candidats notaires en stage soient nommés notaires suivant l'ordre d'ancienneté, à l'exclusion de tous autres. »
- Même renvoi.
« Les membres de la commission des hospices civils de Roulers jusqu'au 31 décembre 1855 déclarent que les sommes mandatées pendant la dernière année de leur gestion n'atteignent que le chiffre de 9,986 fr. 11 c. pour l'entretien de 105 à 110 indigents. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux établissements dc bienfaisance.
« Le conseil communal d'Alost prie la Chambre de voter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
M. Wasseige. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission des naturalisations sur la demande en grande naturalisation de M. le comte de Villermont.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Osy. - Je vois figurer à notre ordre du jour deux autres demandes de grande naturalisation ; je propose d'y joindre celle sur laquelle un rapport vient d'être présenté à la Chambre.
M. Tesch. - Je demande que le rapport qui vient d'être fait soit mis à la suite de l'ordre du jour comme tous les autres. La demande en grande naturalisation qui en fait l'objet doit donner lieu à une discussion sérieuse, il ne faut pas qu'on puisse l'escamoter.
M. Osy. - Je demande seulement qu'on s'occupe de cette demande en grande naturalisation en même temps que deux des autres.
- La Chambre décide que les trois demandes en grande naturalisation seront mises à la suite de l'ordre du jour.
M. Malou, rapporteur. - La Chambre a renvoyé à l'examen de la section centrale diverses pétitions qui se rattachent au projet de loi en discussion.
Voici l'indication des pétitions et les votes auxquels elles ont été soumises en section centrale. (Ce rapport, repris à la page 1656 des Annales parlementaires, n’est pas inséré dans la présente version numérisée.)
M. le président. - Nous reprenons la discussion des articles 71 et 78.
M. Rogier. - Je demande l'impression et la distribution du rapport qui vient d'être fait.
M. de Mérode-Westerloo. - C'est inutile ; il sera aux Annales parlementaires, cela suffit.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! l’impression comme document parlementaire.
- La Chambre ordonne l’impression et la distribution du rapport comme document parlementaire.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ai eu l'honneur de remettre à M. le président le résumé dont j'ai parlé concernant les législations étrangères ; il est déposé sur le bureau.
Messieurs, je désire présenter à la Chambre quelques observations par lesquelles le gouvernement combat les amendements présentés dans les séances précédentes.
Je m'attacherai principalement à celui que je considère comme dominant tous les autres, celui qu'a présenté d'abord l'honorable M. de Steenhault, et qu'a reproduit hier l'honorable M. Tesch. Il consiste à insérer dans le projet une déclaration portant qu'une loi spéciale pourra autoriser une administration spéciale pour l'établissement de bienfaisance que la charité privée aura complètement fondé et aura suffisamment doté.
Je m’efforcerai de circonscrire mes observations, quoique le sujet prête à certains développements.
Je dis, messieurs, que cette proposition n'a aucune portée législative. Tout le monde sait bien que, sauf les grands principes constitutionnels qui sont la règle du législateur comme des citoyens, la loi peut tout faire. La loi peut changer toutes les administrations charitables ; elle peut substituer à toutes celles qui existent des administrations nouvelles ; elle peut en créer de générales ; elle peut en créer de spéciales ; elle pourrait, sans inconstitutionnalité, et dans un intérêt suprême, les supprimer toutes. Cela ressort de la nature même du pouvoir législatif et de l'étendue du mandat que la Constitution lui confère. Donc, quand une loi, qui ne permet pas un fait, dit qu'une autre loi pourra le permettre, cette loi ne fait rien, absolument rien ; elle ne dit même rien ; car c'est ne rien dire que de dire inutilement une chose que le plus simple bon sens sous-entend nécessairement.
Ce serait insérer dans la loi une disposition qui n'en serait pas une, qui ne ferait rien, qui ne dirait rien, qui ne signifierait rien, qui n'obligerait à rien, qui n'aboutirait à rien !
On veut que la loi proscrive les administrateurs spéciaux : et quand cette proscription aura été écrite dans la loi, établie par la loi, on veut ajouter que des lois postérieures peuvent y déroger pour des cas particuliers !
Ainsi, on commence par prohiber, par proscrire. Le législateur d'aujourd'hui frappe les administrateurs spéciaux. Il proclame qu'il n'en veut jamais. Mais il ajouterait qu'il sera permis au législateur de demain d'en autoriser quelquefois, d'en admettre dans quelques cas particuliers !
Eh ! messieurs, le législateur de demain les admettra toujours, si bon lui semble ; il les admettra dans tous les cas ou dans beaucoup de cas : il n'a pas besoin de permission pour cela. Vous n'avez pas besoin d'écrire en grandes lettres sur vos lois qu'elles dureront jusqu'à ce que vos successeurs les modifient ou les brisent. On sait bien que la perpétuité n'est pas de l'essence des œuvres législatives et qu'elles ne doivent leur durée qu'à la seule force de leur sagesse et de leurs bienfaits.
Donc, une formule creuse, un simulacre de disposition légale, un fantôme de système, une chose sans réalité, voilà ce que serait cette disposition.
On a beaucoup parlé de sincérité dans cette longue discussion. On a souvent mis en question celle du projet de loi : qu'on nous permette d'interroger à notre tour celle de la proposition.
On dit qu'elle serait une transaction. L'honorable M. Rogier l'a appelée de ce nom. Il l'a appuyée à ce titre, la proposition doit donc, comme transaction, constituer une concession faite à la liberté dc la charité et au sentiment religieux ; elle doit être la compensation, offerte au sentiment religieux, de la proscription que la loi décréterait des administrateurs spéciaux. Oui, ce doit-être cela.
D'une part, on repousse les administrateurs spéciaux : la loi nouvelle les exclurait ; la loi nouvelle remonterait à 1847 ; elle imposerait le système du cabinet du 12 août ; elle effacerait d'un trait de plume cinquante années d'une pratique administrative qui a passé dans les mœurs du pays, elle donnerait tort à la cour de cassation contre les circulaires de 1849 ; de fait, la loi nouvelle pourrait alors se résumer en ces mots : la glorification du système de M.de Haussy ! Voilà ce que la loi nouvelle ferait pour satisfaire aux exigences de nos adversaires ! Voilà la part que la loi nouvelle devrait faire à nos adversaires.... par forme de transaction.
Mais le cabinet du 12 août n'eût pas osé en faire autant ! Il n'eût pas osé en faire autant. Il a bien interprété et exécuté les lois du Directoire, d'après ces données ; mais il avait pour excuse de dire que ces lois n'étaient pas son œuvre et qu'il avait le devoir de les appliquer comme il les comprenait : dura lex sed lex !
Cela est si vrai, que l'honorable M. Tesch qui est entré comme il nous l'a dit, dans le ministère du 12 août sans qu'il eût d'opinion faite sur la question de la charité, nous avait annoncé qu'il s'occuperait de réviser la législation charitable.
Or, il ne l'eût pas fait pour maintenir les lois du Directoire ; il l'eût (page 1648) fait moins encore pour renchérir sur l'interprétation, déjà si rigoureuse, de ces lois : il ne l'eût fait que pour adoucir le système alors triomphant. Or, on nous demande à nous de consacrer notre loi à la résurrection du système de 1847 aujourd'hui condamné par un arrêt de la cour suprême ! Nous devrions faire pour ce système dans sa défaite, ce que le cabinet du 12 août n'eût pas fait pour lui dans son éclat !
Je crois donc, messieurs, avoir le droit de dire aux adversaires du projet ceci : Quand vous offrez de transiger, vous exigez tout et vous n'accordez rien. Ce que vous voulez, c’est la restauration du système de 1847. Vous voulez tout, vous prenez tout.
Voilà la part que se font nos adversaires, et en échange, que nous offre-t-on ? Quel est le langage qu'on tient à la majorité ? On lui dit : Quand vous serez majorité, vous pourrez faire des lois spéciales pour déroger à une loi générale qui vous refuse tout !
Voilà le sens vrai du langage tenu à la majorité. En d'autres termes on nous convie à accepter une loi générale qui nous refuse tout, sauf, plus tard, à faire des lois spéciales qui pourront nous accorder quelque chose. Or, messieurs, dire cela, c'est, je ne puis m'empêcher de le déclarer, c'est ne rien dire du tout. C'est accorder ce qu'il est absolument impossible de refuser.
Telle est la transaction. La Chambre jugera si elle est sérieuse, si elle est acceptable.
On nous a menacés déjà, dans cette discussion, d'une réaction future du principe libéral contre la loi en discussion et on nous dit que le cri de ralliement des élections, sera le retrait de cette loi. Eh bien, messieurs, qu'est-ce que la réaction pourrait faire de plus que ce qu'on nous demande aujourd'hui ? Que pourrait-elle faire de plus ? Mais absolument rien. La réaction, quelque violence qu'on la suppose, ne pourrait, en définitive, que consacrer le système de 1847.
La réaction ne pourrait pas aller au- delà. Or, le système de 1847, en supposant qu'on y revienne, sera toujours discutable ; il ne sera jamais élevé à la hauteur d'un principe constitutionnel immuable ; il laissera toujours aux législatures qui suivront le droit de le modifier, même de |le détruire, si telle est leur volonté.
Ainsi, le lendemain de la réaction accomplie, la position serait celle qu'on nous offre : nous aurions le système de 1847, remis en vigueur par une loi nouvelle, avec l'espoir d'obtenir des exceptions ou des modifications par des lois futures !
Voyons maintenant quelle serait, au point de vue pratique, la portée de l'amendement que nous examinons ; sous ce rapport, la proposition n'est pas plus admissible.
L'honorable M. de La Coste a le premier montré avec l'autorité d'une raison élevée et de sa longue expérience des affaires que subordonner l'érection de fondations nouvelles à un vote de lois spéciales, individuelles en quelque sorte, est une entreprise impraticable ; il a dit avec raison que ce serait perpétuer les hostilités entre les partis sur le terrain de la charité, ce serait entretenir, fomenter les discussions et les conflits sur la question des fondations.
Les partisans de la centralisation absolue en matière de charité, et les partisans de la liberté de cette charité, c'est-à-dire de la coexistence de la charité libre et de la charité officielle, seraient toujours en présence dans cette enceinte. A chaque fondation, on verrait se renouveler ici ces débats qui datent de 1847, qui ont tant passionné les partis, et dont depuis plus d'un mois le parlement retentit.
On nous accuse de semer l'irritation dans les esprits par ce projet de loi ; que sais-je ? De diviser pour régner ! Mon Dieu ! si le système que je combats était adopté, ce serait perpétuer l'irritation. On ne pourrait pas inventer une combinaison plus ingénieuse que celle qu'on propose pour attiser l'irritation dont tout le monde doit désirer la fin.
A côté de ce motif, il y a d'autres inconvénients ; je signalerai surtout ceux qui se rapportent plus particulièrement à l'intérêt même de la charité, c'est-à-dire à l'intérêt des pauvres.
Dire à un fondateur, à un bienfaiteur des pauvres : Vous pourrez fonder un établissement, vous pourrez instituer des administrateurs spéciaux, pourvu qu'une loi future vous y autorise. Dans ce langage n'y a-t-il pas quelque chose de dérisoire ? Ce serait un étrange encouragement à la charité ! Un testateur aura consacré une partie de sa fortune à créer un établissement, il se sera complu dans cette pensée, l'aura organisé suivant ses intentions et il ne saura pas si sa fondation sera autorisée, comment elle sera autorisée !
Il ne saura pas si sa fondation sera autorisée, pourquoi ? Parce que tout dépendra d'une loi, d'une loi à faire, d'une résolution qui est dans le domaine de la législature, d'une majorité qui pourra accorder ou refuser l'autorisation. Il ne saura pas davantage comment, sous quelle forme sa fondation sera autorisée ; la loi sera toute-puissante ; le législateur pourra modifier, restreindre, mutiler les conditions de la fondation, il pourra tout bouleverser, il pourra n'en rien rester du tout ; toute la volonté du fondateur disparaîtra devant le vote de la majorité ! c'est le despotisme législatif exercé vis-à-vis d'un homme qui lui-même n'existe plus.
Je le demande, est-ce là un régime libéral ? Est-ce un régime qui encouragera des testateurs à consacrer une partie de leur fortune au soulagement des malheureux !
Je n'hésite pas à dire que devant des incertitudes aussi grandes, aussi hasardeuses, il n'y a guère de testateur qui sera disposé à confier la réalisation de ses projets aux fluctuations des partis, aux oscillations de la politique. Il n'est pas un de ces hommes, dont il faut cependant encourager les efforts, qui puisse quitter cette vie avec quelque sécurité sur le sort de la pensée la plus chère de son existence.
Savez-vous ce qu'il fera dans cette position ? Il renoncera à faire le bien, ou il emploiera pour faire le bien des moyens obliques, des voies tortueuses qu'il est de l'intérêt de tout le monde d'éviter, qu'il est surtout de l'intérêt des pauvres de faire disparaître.
C’est dans l'hypothèse d'un testateur. Voyons quelques-unes de ces conséquences en ce qui concerne les fondations érigées par donation. Il y a là des inconvénients d'une autre nature.
Quelqu'un aura fondé par donation un établissement avec administration spéciale ; ses dispositions seront débattues devant la législature. Une loi peut intervenir qui modifiera, restreindra, détruira les intentions du donateur. Est-ce que le donateur devra accepter cette loi, s'y soumettre ? devra-t-il accepter une fondation dont on aura dénaturé l'esprit par les modifications apportées à ses intentions ? Je ne crois pas qu'on puisse aller jusqu'à imposer un pareil joug à un donateur.
D'après les principes de liberté et du droit civil, on laissera bien, je suppose, au donateur le droit de répudier une loi qui aurait bouleversé son œuvre.
Et alors à quel singulier spectacle assisterions-nous ? Que deviendrait le rôle du législateur ? Est-ce là le caractère, et est-ce là la nature des lois de pouvoir être répudiées, réduites à l'état de lettre morte, annulées et abrogées par un simple refus individuel, par la volonté d'un simple citoyen ? Quoi ! la législature, les deux Chambres, le Roi auront délibéré, auront statué ; une loi aura été faite et il suffira de la volonté, du veto d'un seul homme pour réduire tout cela au néant ! Je dis que cette position n'est pas acceptable.
Dans des discussions de ce genre qui surgiraient inévitablement devant la législature, que d'inconvénients encore ! déjà mon honorable ami M. Malou dans son rapport vient d'en signaler quelques-uns ; c'est le secret, c'est la vie entière des familles qui se déroulerait devant le pays. Il est très peu de libéralités qui ne donnent lieu à des demandes de réduction de la part des héritiers ; c'est alors que les secrets de famille, les récriminations se font jour et que naît le scandale. Et tout cela se produirait à la barre de l'assemblée du pays !
Parfois il est nécessaire d'aller très vite, lorsque le donateur est malade, car il faut que la donation soit acceptée de son vivant. Comment voulez-vous qu'une marche expéditive, indispensable pour assurer le bienfait, soit compatible avec les lenteurs du régime parlementaire ? Nous avons eu récemment une donation considérable faite à la ville de Tournai par la demoiselle Vifquain ; toutes ces autorités, tout le monde s'est empressé de joindre tous les efforts pour assurer la réalisation du bienfait. Eh bien, s'il avait fallu passer par toutes les formalités d'une loi : présentation d'un projet de loi ; examen en sections et en section centrale ; rapport de la section centrale ; discussion à la Chambre : renvoi au Sénat, cette magnifique dotation, qui assure à la classe indigente de Tournai un revenu de plus de 70,000 francs, eût été perdue, car Mlle Vifquain n'a survécu que quelques jours à la signature de l'arrêté royal qui a validé ses dispositions. De pareils cas se présenteraient fréquemment.
Il y a d'autres inconvénients dans ce système.
Il arrive souvent que le gouvernement doit négocier avec le donateur, lui proposer de modifier les conditions, de les mettre en harmonie avec la loi ou avec les témoins de la.société. Comment la chambre pourrait-elle entrer en pourparler avec un particulier ; à coup sûr, ce ne serait pas digne d'elle.
Ceci me ramène à une autre hypothèse que j'ai oublié de mentionner tantôt quand je parlais de libéralités testamentaires : un testateur dispose de sa fortune en vue d'un établissement charitable. Il est propriétaire apparent des biens, tout le monde le croit tel ; il est de bonne foi ; il meurt. La fondation est autorisée par une loi. Survient le véritable héritier, l'héritier légitime avant que la prescription soit acquise, qu'adviendra-t-il de cette fondation ? Ou bien, la loi tombera à l’état de lettre morte parce qu'un particulier sera intervenu ou elle subsistera. Dans le premier cas, c'est la majesté des lois compromise, dans le second c'est l'expropriation, la spoliation de l'héritier légitime.
Voilà une conséquence pratique du système. J'entends dire à mes côtés eue cette conséquence peut se présenter lorsque les fondations sont autorisées par arrêté royal : je le reconnais, mais elle n'a pas alors la même gravité.
Les tribunaux sont précisément institués pour apprécier si un acte du pouvoir exécutif est conforme aux lois. Il n'y a là rien de compromettant pour aucune institution, c'est essentiellement du régime constitutionnel.
On a invoqué, en faveur du principe que je combats, le précédent suivi pour les naturalisations.
La situation n'est pas exactement la même. En matière de naturalisations ordinaires, on ne présente pas de projets de loi au nom du gouvernement, il n'y a pas de discussion parlementaire ; on vote par un oui ou par un non... (Interruption.)
Je n'ai jamais entendu que l'on ait usé de ce droit de discussion.
(page 1649) M. de Brouckere. — Vous êtes si nouveau ici.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Chacun commence par être nouveau ici : dans tous les cas, il est très rare de voir des discussions en matière de naturalisation. Mais il reste toujours vrai, que pour les naturalisations, il n'y a pas de projet de loi présenté au nom du gouvernement.
M. de Brouckere. - Mais on a le droit de discuter.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je ne conteste pas le droit.
M. de Brouckere. - Vous l'avez contesté.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Non. J'ai constaté le fait : je l'ai constaté pour établir qu'il n'y a pas d'assimilation entre les naturalisations et l'autorisation des fondations, point dont nous nous occupons.
M. Frère-Orban. - Rien ne prouve qu'on ne discutera pas de telles lois.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je continue et vais au fond des choses.
Exiger, comme le font nos adversaires, une loi spéciale pour chaque fondation, qu’est-ce à dire ? N'est-ce pas admettre que le principe de la spécialité, en matière dc fondations charitables, n'est pas mauvais, et c'est en même temps lui refuser les moyens de se produire. C'est rendre hommage au principe, mais en le stérilisant. On reconnaît par là que notre principe est bon, mais on l'accepte par des moyens qui le neutralisent.
Ici une nouvelle contradiction des adversaires de la loi.
Dans ce long débat vous les avez entendus placer le principe de la centralisation au-dessus de tout, condamner avec véhémence le principe de la spécialité, repousser de toute leur énergie la multiplication des personnes civiles qu'ils s'obstinent à voir dans un projet de loi qui les prescrit à chaque article.
Eh bien, messieurs, savez-vous ce qu'il y a dans la proposition des honorables M.M. de Steenhault et Tesch, que l'honorable M. Rogier appelle une transaction et qu'il appuie comme une transaction ? Il y a tout, oui, tout ce que les adversaires du projet ont condamné, ont foudroyé : il y a la destruction du principe de la centralisation qu'ils ne cessent dc préconiser !
Je le prouve.
En effet, que la centralisation soit détruite par des lois spéciales, par les lois d'expédient (je raisonne dans une pure hypothèse : j'ai établi tantôt que les fondateurs reculeraient devant l'obligation de s'y soumettre), ou par des arrêtés royaux, est-ce que le principe ne serait pas moins entamé par les unes que par les autres ? Y aurait-il encore cette centralisation une et indivisible, comme la qualifiait l'honorable M. Vermeire, en la repoussant cette centralisation, qui charme nos adversaires, quand une série dc lois spéciales, qu'un instant je suppose faites, aura brisé l’unité et y aura substitué la diversité, la pluralité, voire même la multiplicité ? Non, assurément, donc, je puis dire à nos adversaires : Vous désertez, vous sacrifiez votre principe ; le mode de désertion, la forme du sacrifice n'y font rien.
Non seulement vous admettez que la centralisation peut et doit se concilier, pour le bien général, avec la coexistence d'établissements spéciaux ; mais vous reconnaissez que la spécialité, que depuis un mois vous proclamez pernicieuse, est un principe fécond, nécessaire, d'une haute importance.
Encore une fois, messieurs, nos adversaires se réfutent eux-mêmes. Ce qu'ils proclament vouloir faire est contradictoire avec ce que leur opposition ardente se donne la mission de combattre et d'empêcher. Il est vrai que nos adversaires exigent des lois spéciales, au lieu d'arrêtés royaux ; mais le mode ne fait rien au principe. La spécialité est bonne ou détestable. Elle sera bonne ou elle sera détestable, qu'elle procède d'une série dc lois spéciales, ou qu'elle procède d'une loi générale. La nature des choses ne change pas d'après la forme des lois. Le caractère des établissements charitables, leur rôle économique, leur action sur les faits sérieux seront les mêmes, quelle que soit la forme législative donnée à leur fondation.
Se rejettera-t-on peut-être sur les difficultés, les lenteurs, les entraves et même les rigueurs que suppose l'octroi d'une loi spéciale ?
Si on avait une telle pensée, et je raisonne dans une simple hypothèse, ce serait reconnaître que l'on veut, par un moyen indirect, refuser maintenant ce que l'on ne veut pas accorder dans l'avenir. Ce serait avouer que la proposition est la condamnation masquée du principe. Il serait plus digne, ce me semble, de refuser avec franchise.
Je dois encore ici faire ressortir une autre inconséquence des adversaires du projet de loi.
Chaque loi spéciale ferait incontestablement une personne civile distincte.
C'est donc proposer au fond la multiplication des personnes civiles. Or que nous a-t-on reproché, bien à tort, il est vrai, depuis un mois, avec tant de véhémence ? C'est de multiplier les personnes civiles. On a voulu voir à chaque article du projet de loi des personnifications civiles. Nous avons prouvé qu'il n'y en a pas dans le projet de loi. Nous proposons de maintenir l'unité de la personne civile du bureau de bienfaisance et on nous accuse de vouloir sournoisement la multiplication des personnes civiles. Nos adversaires, en l'honneur du principe de l'unité, qui est le symbole de leur doctrine, proposent cependant, sans s'en apercevoir, cette multiplication des personnes civiles ; ils sont coupables précisément du grief le plus immérité et le plus répété à la fois qu'ils aient formulé contre notre projet.
Parmi les différentes objections articulées contre le droit accordé au gouvernement de créer des personnes civiles, j'ai entendu, et je crois même dans cette enceinte, contester la constitutionalité d'une pareille attribution. Je ne sais si elle sera reproduite ; dans tous les cas, je ne la crois pas sérieuse et je ne m'y arrête pas. Il est évident qu'une loi générale, traçant des règles fixes, peut déléguer au gouvernement la faculté de créer des personnes civiles. On l'a toujours entendu et pratiqué ainsi. Depuis le Code de commerce jusqu'à la loi récente sur les caisses de secours mutuel, le gouvernement est investi de ce droit.
En 1854, le cabinet de l'honorable M. de Brouckere vous a présenté un projet de loi autorisant l'érection des caisses de secours pour les ouvriers mineurs, véritables personnes civiles, se perpétuant, capables de recevoir des dons et legs. Eh bien, c'est le gouvernement qui, d'après le projet, est investi du droit d'autoriser ces caisses. Il y a même quelque chose de plus significatif : c'est un arrêté royal, contresigné de MM. Rogier et Frère-Orban, du 18 janvier 1849, qui établit la caisse centrale des artistes belges personne civile, capable de recevoir des dons et legs. Aucune loi n'est même visée dans cet arrêté royal.
Je pourrais multiplier ces citations, si ce n'était chose superflue.
En résumé, messieurs, l'adoption de la proposition de l'honorable M. de Steenhault et de l'honorable M. Tesch, c'est le rejet du titre II de la loi ; c'est le rejet de la loi même. La position du gouvernement, est ici la même qu'il avait devant la proposition d'enquête. Il ne saurait accepter ce rejet et je repousse la proposition au nom du gouvernement.
M. de Brouckere. - Je demande à dire quelques mots.
M. le président. - D'autres orateurs sont inscrits. Permettent-ils que M. de Brouckere prenne la parole ? (Oui ! oui !)
M. de Brouckere. - Messieurs, je ne comptais plus parler dans cette discussion. Mais le discours que vient de prononcer M. le ministre de la justice me force à présenter quelques observations à la Chambre et je remercie les honorables membres qui ont bien voulu me céder la parole.
Messieurs, parmi les amendements que l'honorable M. Tesch a soumis hier à la Chambres il s'en trouve surtout un qui est la reproduction textuelle ou à peu près textuelle d'un article qui figurait dans le projet de loi de 1854.
Cet article était ainsi conçu :
« Tout établissement indépendant régi par une administration spéciale complète, devra être autorisé par une loi. »
Lorsque j'ai entendu M. le ministre de la justice dire que cette disposition n'était pas sérieuse, qu'elle était dérisoire, qu'elle était creuse, qu'elle était la glorification, mieux encore, qu'elle était le renforcement de ce hideux système inauguré par le ministère de 1847, j'ai dit à mes voisins : M. le ministre dc la justice ne comprend pas l'amendement, et M. le ministre de la justice, qui a entendu ces paroles, n'a paru surpris. Eh bien, messieurs, j'étais autorisé et parfaitement autorisé à dire que M. le ministre de la justice ne comprenait pas la disposition qu'il combattait à outrance.
En effet, au début de la discussion, M. le ministre de la justice avait déclaré, de la manière la plus nette, la plus précise, que le projet de loi présenté par ses prédécesseurs était marqué au coin de la modération et de la conciliation ; j'en appelle à vos souvenirs, messieurs.
M. Verhaegen. - C'est au Moniteur.
M. de Brouckere. - Tous les membres de la Chambre qui ont parlé de ce projet de loi lui ont rendu la même justice. Ceux de la droite comme ceux de la gauche, chaque fois qu’ils ont parlé du projet de loi présenté en 1854, ont bien voulu reconnaître qu'il était conciliant. Comment maintenant M. le ministre dc la justice, qui parle toujours des inconséquences de la gauche, qui affecte toujours vis-à-vis de la gauche le ton le plus dédaigneux, comment M. le ministre de la justice va-t-il concilier le langage qu'il tenait au début de la discussion, qu'il a répété encore, remarquez-le bien, dans un discours postérieur, comment va-t-il concilier ce langage avec le langage qu'il tient aujourd'hui ? Est-ce que, par hasard, M. le ministre de la justice se figure que nous oublions du jour au lendemain le langage qu'il tient, comme lui-même oublie ses opinions ? Il se trompe. Je ne pense pas que pareille inconséquence se soit jamais produite dans la Chambre, et je ne me souviens pas, surtout, moi qui siège depuis si longtemps dans les assemblées nationales, je ne me souviens pas d'avoir vu devant nous un ministre aussi inconséquent.
Ah ! notre article 5 est un article dérisoire ! C'est un article qui ne (page 1650) mérite pas d'être pris au sérieux ! C’est un songe-creux ! Et, remarquez-le bien, messieurs, cet article est loin d'être l'article essentiel du projet que vous reconnaissez comme parfaitement conciliant et parfaitement modéré. Cet article est bien moins important que celui qui concerne les administrateurs -spéciaux Selon moi, j'insiste sur ce point, la question imposante n'est pas de savoir si la personnification civile devra être accordée par la loi ou pourra être autorisée par le gouvernement. La personnification civile, si la loi de l’honorable M. Nothomb est votée, et l'honorable M. Malou l'a reconnu lui-même, ce n'est plus qu'une chose très secondaire. Pur suite de la disposition relative aux administrateurs spéciaux, la personnification civile n'est, pour ainsi dire, plus qu'un luxe de prévoyance.
Il est donc vraiment incroyable qu'un ministre du Roi se souvienne aussi peu de ce qu'il a dit et de ce qu'il a répété, il y a fort peu de jours et vienne tenir aujourd'hui un langage dont j'ai le droit de me plaindre et dont je me plains hautement.
Il semblerait, messieurs, à entendre l'honorable M. Nothomb, que ceux qui désirent que la personnification civile ne puisse être accordée que par une loi n'ait ni qu'une chose en vue, c'est de rendre très fréquentes parmi nous les discussions irritantes.
Ils nous croient un goût très prononcé pour les discussions irritantes, comme si c'était nous qui les faisions naître.
Messieurs, si nous avions ce goût si prononcé, nous pourrions provoquer une discussion irritante pour chaque arrêté par lequel le gouvernement accorderait une personnification civile, car je pense que M. le ministre de la justice ne va pas jusqu’à refuser à la Chambre le droit de critique que nous exerçons sur les actes du gouvernement. Or chaque fois que nous le voudrons, quand M. le ministre de la justice aura contresigné un arrêté accordant la personnification civile, nous ferons surgir devant la Chambre une discussion sur toutes les circonstances qui concerneront cette personnification civile.
Vous voyez donc qu'abandonner au gouvernement le droit qu'on réclame pour lui, ce n'est pas éluder ni la révélation des secrets de famille, ni les explications sur les intentions du testateur, ni toutes ces choses que M. le ministre de la justice redoute tant. Je le répète, chaque fois qu'un arrêté créant une personne civile figurera au Moniteur, il dépendra de tout membre de la Chambré de porter l'affaire devant le public. Cela est de toute évidence et M. le ministre de la justice a dit lui-même que c'est là la garantie qu'il n'abusera pas du pouvoir qu'il réclame.
Mais, dit-on, et ceci est plus curieux, c'est le despotisme législatif que vous voulez créer à votre profil. M. le ministre de la justice aime mieux créer le despotisme gouvernemental à son profit. (Interruption.) Il faut bien choisir entre les deux systèmes ; si lorsque nous demandons que la personnification civile ne puisse être accordée que par une loi, c'est le despotisme législatif, il est évident que lorsque le gouvernement demande que ce soit lui qui puisse accorder les personnifications civiles, c'est le despotisme du gouvernement.
Maintenant je demanderai comment M. le ministre de la justice parviendra à s'entendre avec M. le ministre des affaires étrangères, qui veut, lui, la décentralisation la plus absolue, qui veut que le gouvernement ne soit plus aperçu en rien, que son action s'efface complètement ? Voilà donc un ministre qui veut désarmer le gouvernement et l’autre qui, pour me servir de ses propres expressions, demande, eu faveur du gouvernement, le despotisme.
M. le ministre de la justice aura autant de peine à s'entendre avec M. le ministre des affaires étrangères qu'il aura de peine à s'entendre avec lui-même.
Que nous objecte-t-on encore, messieurs ? Des raisons tout aussi solides que celles que je viens de rappeler. Après un testament, après une donation, il y a souvent lieu à négocier avec la famille du testateur ou avec le donateur ; or, la Chambre s'avilirait si elle allait négocier elle-même avec un particulier.
Comme si, en pareil cas, ce n'était pas au gouvernement à négocier avant de présenter la loi à la Chambre !
Comme si le gouvernement venait nous présenter des lois sans que l'instruction préalable soit terminée ! Comme si c'était à nous de faire les enquêtes, de faire l'instruction première !
Mais en supposant que l'article 5 de notre projet de loi soit adopté, le gouvernement fera justement ce qu'il fera, si son système prévaut ; il négociera, il s'entendra avec le donateur ou le testateur ; il présentera un projet de loi, lorsque toutes ces négociations seront terminées ; en un mot, il rédigera la loi, portant personnification civile, juste dans les mêmes termes dont il se servira pour un arrêté destine à être soumis à la signature du chef de l'Etat.
Je ne répondrai plus à cette assertion tant soit peu hasardée de M. le ministre de la justice, qu'il ne vous est pas permis, que nous n'avons pas le droit, c'est ainsi qu'il s'était exprimé d'abord, de discuter les naturalisations.
C'est une petite erreur, qui est échappée à M. le ministre de la justice ; je lui ai dit, en l'interrompant, que s'il n'a jamais vu discuter de naturalisations, c'est qu'il très nouveau dans cette Chambre. La Chambre discute les naturalisations quand elle le veut. Si elle le fait rarement, c'est qu'elle ne le juge pas nécessaire ; et si M. le ministre de la justice veut que je lui fasse une prédiction qui ne sera pas démentie par les faits, c'est que si l'article 5 du projet de loi de 1854 est adopté, la Chambre discutera très rarement les donations et les testaments ayant pour objet une fondation utile.
Je le demande, non pas à vous, messieurs, qui êtes des hommes éclairés, mais à tout homme qui n’aurait que le plus simple bon sens, s'il pourra jamais se trouver une Chambre disposée à refuser la personnification civile à une institution vraiment utile, à une institution dont les pauvres doivent retirer des avantages réels. Ce serait une Chambre qui encourrait le mépris de l'opinion, et jamais une Chambre ne tombera aussi bas.
Enfin, car aucun reproche n'a manqué à ce malheureux article 5 qui, passé quelques jours, était si conciliant et si modéré ; enfin on a été jusqu'à nous dire que cet article 5 manquait de franchise, de sincérité, qu'il n'était que l'expression d'une pensée qu'on ne voulait pas faire connaître ; M. le ministre de la justice nous a en quelque sorte provoqués à ne plus user de semblables détours, à dire tout bonnement qu'on n'adoptait pas son système et qu'on le rejetait.... (Interruption.)
On me dit que ce n'était pas à moi que ces paroles s'adressaient ; je fais que l'intention de M. le ministre de la justice était d'adresser ces reproches à l'honorable M. Tesch ; l'honorable M. Nothomb ne s'est pas même aperçu, aussi ne devrais-je pas lui en vouloir, que le langage peu aimable et bienveillant auquel il avait recours pour réfuter l'honorable M. Tesch, s'adressait en réalité à moi et à mes collègues, que toutes ces paroles disgracieuses, dédaigneuses, retombaient directement sur moi.... (Interruption.)
J'entends des murmures ; je ne rétracte rien ; le ministre de la justice a qualifié l'article 5 de dérisoire, de peu sérieux, de creux, de fantômes, de glorification d'un système qu'il abhorre ; je dis qu'il est impossible de s'exprimer d'une manière plus disgracieuse, plus inconvenante envers un membre de cette Chambre.
Tous ces reproches tombaient donc d'aplomb moins sur moi que sur mon honorable ami, M. Faider, qui avait droit à être traité d'une manière plus convenable par son successeur.
Je borne là mes observations ; je le répète, je n'avais plus l'intention de prendre part à cette discussion, mais j'ai été trop profondément peiné pour pouvoir me taire en entendant un ministre du Roi venir parler avec cette légèreté et ce dédain d'un projet de loi rédigé par son prédécesseur et qui méritait plus d'égards.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, si j'ai loué naguère l'esprit de modération et de conciliation qui régnait dans le projet de loi présenté en 1854 par l'honorable M. de Brouckere, je n'ai pas à me louer de la modération du langage que vous venez d'entendre, langage plein d'amertume à mon égard, que je n'ai ni provoqué ni mérité.
L'honorable membre me reproche une inconséquence, en ce que, louant le projet de 1854 comme marqué au coin de la modération et de la conciliation, j'aurais traite de dérisoire un des articles de ce projet. Si j'ai reconnu de la modération au projet de 1854, c'est à cause de la part qu'il fait à l'élément religieux. Voilà quelle a été ma pensée. J'ai loué les honorables MM. de Brouckere et Faider d'avoir inscrit dans la loi l'intervention des ministres de la religion dans la bienfaisance ; là j'ai vu une marque de modération et de conciliation. Je ne crois pas que la forme de cette intervention telle que les honorables membres l'admettaient fût la bonne, mais j'ai loué l'intention..
Qu'ai-je dit tout à l'heure ? Examinant la proposition de l'honorable M. Tesch, empruntée au projet de 1854, j'ai soutenu qu'au point de vue de la pratique, cela n'était pas sérieux, que cela était illusoire...
M. Frère-Orban. - Et que cela manque de franchise.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je n'incrimine jamais les intentions. (Interruption.)
Ai-je dépassé mon droit ? Ne puis-je donc plus discuter les conséquences des principes que vous posez ? Depuis un mois, je suis l'objet de suppositions les plus blessantes ; j'ai inventé un système hypocrite et perfide ; il s'y cache une pensée ténébreuse, que sais-je encore ? Depuis un mois, je subis ces reproches et je ne serais pas en droit, quand vous émettez un principe, d'en montrer les conséquences ! La prétention est par trop forte. M. de Brouckere, je ne vous demande pas d'indulgence, je n'en veux pas de votre part, je n'en ai pas besoin ; je vous demande de la justice ; la justice, vous me la devez comme on se la doit entre loyaux adversaires.
L'honorable M. de Brouckere voit encore une inconséquence en ce que j'ai dit que vis-à-vis de l'homme qui créerait une fondation il y aurait un véritable despotisme législatif dans le système du projet de 1854 ;oui, je l'ai dit et je le maintiens : il y aurait despotisme en ce sens que cet homme se trouvera devant l'inconnu, qu'il ignorera à quelle règle il devra se conformer, qu'il n'aura pour garantie que l'omnipotence du législateur. Mais avec une loi comme la nôtre, qui à côté des droits trace des obligations, qui détermine ce que le fondateur peut faire ou ne pas faire, il n'y a pas de despotisme. Il y a la liberté dans la règle.
(page 1651) L'honorable membre me reproche encore d'avoir accusé l'honorable M. Tesch de manquer de sincérité ; l'honorable M. de Brouckere est bien mal venu à me prêter cette pensée, d'abord je n'avais rien à reprocher à l'honorable M. Tesch ; j'ai raisonné, toute la Chambre l'a entendu, dans une pure hypothèse ; j'ai employé cette précaution, et j'ai dit : Vous n'avez pas telle intention, en proposant votre amendement, mais si vous l'aviez, voilà quelles seraient les conséquences du système. Je n'ai pas non plus suspecté la sincérité de l'honorable M. de Brouckere ; je n'ai pas même pensé à lui, je n'ai donc pas eu à déguiser ma pensée ; qu'il. le sache d'ailleurs bien : quand j'ai quelque chose à dire à quelqu'un, je le lui dis à lui-même, en face, sans personne interposée.
M. Tesch. - J'avais demandé la parole hier, quand l'honorable M. Dechamps a voulu établir que c'était à tort que j'avais cité un écrivain, M. Béchard, comme partageant notre manière de voir. Je n'attache pas d'importance à cet incident, et je renonce à prendre la parole en ce moment ; je la cède à mon honorable collègue. M. de Lexhy, qui doit s'absenter lundi ; j'aurai probablement à reprendre la parole dans la discussion, et je prouverai alors à l'honorable M. Dechamps que mes citations étaient parfaitement exactes, et que si l'un de nous s'est trompé, ce n'est pas moi.
M. de Lexhy. - Messieurs, parmi les garanties destinées à assurer la bonne gestion des administrateurs spéciaux, il en est une dont on a fait grand bruit, c'est la publicité qui doit présider à toutes les opérations de ces agents. M. le ministre de la justice la considère comme la garantie par excellence.
Je me propose d'examiner brièvement quelle est la valeur réelle de cette garantie que l'on se plaît à considérer comme un remède à tous les abus. Je me circonscrirai dans le cercle étroit de l'examen de ce point spécial.
En reconnaissant l'influence utile du contrôle de l'opinion publique, on reconnaît conséquemment la nécessité d'une presse libre et indépendante qui est l'écho fidèle de l'opinion publique. On rend ainsi un hommage éclatant à ce grand instrument de progrès. En effet, la presse, c'est la pensée humaine veillant sans cesse à tout ce qui intéresse l'humanité : c'est l'incarnation de l'opinion publique prise dans son ensemble : c'est le grand levier de la civilisation moderne.
Eh bien, quelle position faites-vous à la presse qui est l'instrument de l'opinion publique, dont vous réclamez la censure et les arrêts comme un moyen de contrôle efficace ? Examinons ! Qu'il me soit permis, d'abord, d'établir qu'il y a pour le parti, soi-disant catholique, deux presses : il y a la bonne, il y a la mauvaise. La bonne, c'est la vôtre ! Eh bien, sérieusement, croyez-vous que votre presse sera un contrôle efficace, sera la manifestation vraie de l'opinion publique ? Non, messieurs, vous ne pouvez le prétendre. Loin de signaler les abus qui se présenteront dans la gestion des administrateurs spéciaux, elle aura la mission de jeter un voile sur ces abus.
Ce n'est donc pas dans votre presse qu'il faut aller chercher le contrôle de l'opinion publique.
Ce contrôle, on ne pourra le trouver que dans la mauvaise presse, que dans la presse libérale, parce qu'elle n'est pas intéressée à tolérer les abus dont il est question.
C'est donc dans notre presse que vous viendrez chercher des manifestations de l'opinion publique sur les actes de vos administrateurs spéciaux. Mais, messieurs, y avez-vous songé ? Reconnaître la censure des journaux libéraux, de la presse libre, c'est oublier l'encyclique de 1832, dont voici un extrait :
« Là se rapporte cette chose funeste et dont on ne peut avoir assez d'horreur, la liberté de la librairie, pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit et d'ardeur. »
Vous le voyez, les foudres du Vatican grondent sur la tête de cette presse. Elle est frappée d'anathème, honnie, pourchassée, égorgée traîtreusement dans le confessionnal, et cependant elle est destinée à vous contrôler. Ce contrôle sera donc illusoire, puisque vous faites tous vos efforts pour l'anéantir. Je ne crois pas que l'on puisse m'accuser d'exagération : il me suffira de citer un fait et de dire que l'on refuse l'absolution aux fidèles du diocèse de Liège qui lisent le Journal de Liège. Et cependant, ce journal, comme tous les journaux libéraux de la province de Liège, a toujours respecté le dogme catholique, il a toujours défendu le clergé inférieur, quand il sait rester dans la sphère purement religieuse.
Eh bien, on proscrit ce journal, parce qu'il signale les dangers de l'envahissement de la théocratie dans le domaine civil. Bientôt, du reste, tous les journaux libéraux du pays auront le même sort, bientôt ils seront frappés d'ostracisme.
Voilà, messieurs, ce que vous faites de la presse libre quand elle n'est pas un instrument servile dans vos mains, et vous avez encore la prétention de dire que cette presse, que vous étouffez, saura remplir l'office de publicité que vous croyez nécessaire pour garantir la bonne gestion des administrateurs spéciaux. Vous vous direz : Eh mon Dieu, il vous est parfaitement libre d’écrire, de publier, de faire mille journaux.
Mais, je vous le demande, à quoi sert de faire des journaux dont vous défendez la lecture ?
Certes, je ne conteste pas votre droit de proscrire nos journaux, mais j'ai aussi le droit de vous dire que la presse qui n'est pas accessible à tous, qui ne peut pénétrer dans toutes les couches de la société, qui ne peut surtout pénétrer au sein des familles qui ont le plus d'intérêt à connaître la vérité sur ce point, je dis que cette presse n'est plus un instrument sérieux et efficace de publicité.
Je dis qu'un contrôle vinculé, entravé de la sorte, n'est qu'un contrôle illusoire et que vous avez tort de nous l'offrir comme efficace et sérieux.
Vous parlez de publicité, vous voulez la lumière. Pouvons-nous le-croire, alors que vous avez repoussé systématiquement la proposition d'enquête faite dernièrement par l'honorable M. Frère-Orban ?
Prenons maintenant l'hypothèse inverse.
Admettons, pour un instant, que la presse libre eut accès partout, qu'elle ne soit pas proscrite, qu'enfin elle puisse donner la plus grande somme possible de publicité et puisse révéler tous les détournements et malversations qui se présenteront.
Etes-vous désarmés contre cette publicité incommode, gênante qui viendra signaler des abus réels ? Je ne parle pas des dénonciations fausses : celles-là je les repousse, autant que vous, avec le plus grand mépris.
Précisons. Un journal signale un abus, car je suis convaincu que, quels que soient les dangers, la presse aura le courage de faire son devoir, et qu'elle saura toujours remplir sa noble mission de défendre la vérité, Que ferez-vous en présence de cette dénonciation d'un abus réel, notoire ? Courberez-vous la tête et tâcherez-vous de donner satisfaction à l'opinion publique, en redressant l'abus ? Nullement.
Vous aurez recours à tout l'arsenal de vos lois pénales. Vous vous armerez des dispositions des articles 367 et 368 du Code pénal. Permettez-moi, messieurs, de vous donner lecture du texte de ces deux articles, afin de faciliter mon argumentation.
« Art. 367. Sera coupable du délit de calomnie, celui qui, soit dans les lieux ou réunions publics, soit dans un acte authentique et public, soit dans un écrit imprimé ou non qui aura été affiché, vendu et distribué, aura imputé à un individu quelconque des faits qui, s'ils existaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles, ou même l'exposeraient seulement au mépris ou à la haine des citoyens.
« La présente disposition n'est pas applicable aux faits dont la loi autorise la publicité, ni à ceux que l'auteur de l'imputation était, par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs, obligé de révéler ou de réprimer.
« Art. 368. Est réputée fausse, toute imputation à l'appui de laquelle la preuve légale n'est pas rapportée. En conséquence, l'auteur de l'imputation ne sera pas admis, pour sa défense, à demander que la preuve en soit faite ; il ne pourra pas non plus alléguer comme moyen d'excuse que les pièces ou les faits sont notoires ou que les imputations qui donnent lieu à la poursuite sont copiées ou extraites de papiers étrangers ou d'autres écrits imprimés. »
« D'après ces dispositions, le journal qui aura avancé un fait vrai, mais dont la preuve légale n'est pas admise, sera condamné aux peines comminées par les articles 371 et suivants du Code pénal. »
Ce journal invoquera probablement, comme moyen de défense, les dispositions des articles 5 et 6 du décret du 20 juillet 1831, dont voici la teneur :
« Art. 5. Le prévenu d'un délit de calomnie pour imputations dirigées, à raison des faits relatifs à leur gestion, contre les dépositaires ou agents de l'autorité, ou contre toute personne ayant agi dans un caractère public, sera admis à faire, par toutes voies ordinaires, la preuve des faits imputés, sauf la preuve contraire par les mêmes voies.
« Art. 6. La preuve des faits imputés met l'auteur de l'imputation à l'abri de toute peine, sans préjudice des peines prononcées contre toute injure qui ne serait pas nécessairement dépendante des mêmes faits. »
Mais on répondra, selon toutes les probabilités, que les administrateurs spéciaux ne sont pas des dépositaires ou agents de l'autorité, qu'ils n'ont aucun caractère public et que par conséquent on ne peut pas invoquer les dispositions du décret précité.
On ajoutera, peut-être, charitablement que ces dispositions sont excellentes pour ceux qui attaqueront les fonctionnaires publics proprement dits et notamment les administrateurs officiels des hospices et bureaux de bienfaisance.
Les administrateurs spéciaux sont-ils fonctionnaires publics, rentrent-ils dans les termes du décret ? Telle est la grave question pue je pose à M. le ministre de la justice.
Quant à moi, je ne pense pas, que d'après les dispositions combinées du projet de loi qui nous est soumis, on puisse considérer les administrateurs spéciaux comme fonctionnaires publics. D'ailleurs, en me plaçant au point de vue des principes, je ne crois pas que ces agents exercent une fonction publique proprement dite. Leur fonction ne présente pas, selon moi, les caractères constitutifs de la fonction publique ; je ne crois pas que ces agents participent, le moins du monde, à la puissance publique.
D'autres orateurs de la gauche et notamment l'honorable M. Vervoort (page 1652) pourront développer plus longuement cette thèse qui mérite de fixer toute votre attention. Il s'agit d'une question très importante : de la solution qui lui sera donnée, dépendra pour ainsi dire le sort de la presse vis-à-vis des administrateurs spéciaux.
Je le répète, messieurs, cette question est très grave. En effet, s'il est établi que les administrateurs spéciaux ne tombent pas sous l'application du décret du 20 juillet 1831, qu'arrivera-t-il ? C'est que le journal qui signalera un abus réel à charge d'un administrateur spécial ne sera pas admis à faire, par toutes les voies ordinaires, à faire la preuve des faits imputés, tandis qu'il pourra parfaitement le faire contre les administrateurs des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Cette différence entre des administrateurs qui ont la même mission, la même gestion, est-elle justifiable ? Nullement, il importe que cette question soit nettement et catégoriquement tranchée.
S'il est décidé que les administrateurs spéciaux ne rentrent pas dans les termes du décret précité, les dénonciations, par les journaux, de faits vrais et notoires à charge de ces administrateurs, entraîneront l’application des peines comminées par le Code pénal.
Quel sera donc le journal qui voudra s'exposer à ce danger, pour satisfaire un devoir de conscience ?
Tous le voyez, messieurs, la presse ainsi entravée, et côtoyant toujours l'abîme des lois pénales, ne pourra pas signaler, comme elle le voudrait, dans l'intérêt public, les malversations des administrateurs spéciaux.
Cette publicité, j'ose le dire, ne serait qu'un leurre.
Ne croyez pas que mon langage soit inspiré par la passion ; ne croyez pas que ce soient des menaces que j'invente à plaisir pour vous effrayer. Non, ces menaces, je les retrouve dans un article du journal la Patrie, qui est l'organe avoué de M. J.-B. Malou, évêque de Bruges, qui annonce que l'on est résolu à recourir aux lois pénales contre la presse libérale.
Il résulte de tout ceci, que si on n'applique pas le décret aux administrateurs spéciaux, les journaux ne pourront plus même dire la vérité et signaler des abus notoires.
Je n'ai nulle confiance dans la gestion des administrateurs spéciaux qui sont inamovibles et presque irresponsables.
L'histoire corrobore et confirme mes appréhensions à cet égard. Je crains que le patrimoine des pauvres, ne soit détourné au profit des couvents.
L'honorable ministre vous disait hier que les sentiments de probité qui animeraient les administrateurs spéciaux seraient tellement robustes, qu'ils seraient un sûr garant de la bonté de la gestion de ces agents et qu'ils s'attacheraient toujours à suivre parfaitement les intentions des fondateurs. Il me suffira de rappeler un seul fait pour prouver que la confiance de M. le ministre n'est qu'un rêve. Voici un fait qui nous a été signalé par l'honorable M. Verhaegen.
« M. le curé de Léau a été institué administrateur d'une fondation, il entend gérer à sa guise et sans contrôle.
« Des ayants droit lésés se sont adressés au ministre. Le ministrea pris un arrêté de l'avis conforme de la députation permanente par lequel il donne raison au réclamant et rejette les prétentions du curé qui soutient qu'en vertu de certaines instructions du fondateur, non insérées au testament, il ne relève de personne et donne à qui il veut.
« On croirait que le curé va se ranger de l'avis de M. Nothomb ; pas du tout, il a mis à la porte le parent du fondateur, disant que le ministre n'avait rien à y voir et qu'on avait qu'à le contraindre par la voie des tribunaux.
« Les vœux de M. le curé seront exaucés ; et si sous peu il ne s'est pas exécuté, il aura un compte sévère à rendre de ses prétentions inqualifiables. C'est partout et toujours le même système. »
Je termine, messieurs. Je crois avoir suffisamment démontré que cette publicité dont ou fait si grand étalage est complètement illusoire et n'est qu'un masque.
- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture ! (Interruption.)
M. Lelièvre. - Mais comment voulez-vous clore ? Le rapport de M. Malou n'est pas connu !
M. Malou. - Comment il n'est pas connu ! Je demande la parole.
M. Lelièvre. - Il est impossible de prononcer la clôture de la discussion.
La Chambre a ordonné l'impression et la distribution du rapport de l'honorable M. Malou ; il est donc nécessaire que cette disposition soit écartée avant que l'on puisse clore. A mon avis, la première décision de la Chambre est obstative à la mesure extraordinaire que l'on provoque aujourd'hui. C'est la rendre illusoire que de vouloir en ce moment étouffer la discussion.
M. Malou. - Il a été convenu que le renvoi à la section centrale n'interromprait pas la discussion. M. Lelièvre dit que mon rapport n'est pas connu ; s'il ne le connaît pas, c'est qu'il n'a pas voulu l'écouter ; je l'ai lu à haute et intelligible voix, je crois même avoir vu l'honorable M. Lelièvre près de la tribune pendant que je le lisais ; s'il ne m'a pas entendu, il faut que ses oreilles aient été bien paresseuses.
Faut-il éterniser la discussion ? C'est une seconde discussion générale.
- Plusieurs voix. -Non ! non !
- D'autres voix. - Si ! si !
M. Malou. - Depuis un mois la discussion roule sur les administrateurs spéciaux, nous ne discutons pas d'autre question depuis deux jours.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Malou. - Le rapport lu tout à l'heure et dont on excipe pour continuer la discussion ne contient pas autre chose que le premier rapport de la section centrale ; nous pourrions continuer encore un mois, personne n'apporterait une idée nouvelle dans la discussion.
- Un membre. - M. de Lexhy vient d'en produire une.
M. Malou. - Il est de la dignité de la Chambre de clore la discussion. Si le régime parlementaire pouvait autoriser deux discussions générales d'un mois chacune sur un projet de loi, sa dignité serait gravement compromise.
M. Frère-Orban' - Je crois que M. Malou est très peu fondé à affirmer que la dignité de la Chambre serait compromise si l'on continuait la discussion. Je crois que ce qui compromettrait la dignité de la Chambre et la majorité, ce serait de vouloir clore quand huit orateurs sont inscrits qui n'ont pas été entendus sur les questions que nous avons maintenant à discuter.
Nous avons discuté un mois, cela est vrai, les principes généraux, tout le côté politique de la question, mais il y a eu très peu de chose de dit sur le côté pratique ; sur les dispositions spéciales de la loi très peu de discours ont porté et vous demandez la clôture ; et c'est M. de de Theux qui la provoque, au moment où l'on soumet au gouvernement une question de la plus haute importance !
On demande, quand vous parlez de publicité, s'il sera permis à la presse de dénoncer les abus ; ce n'est pas sans raison, car qu'arrive-t-il quand nous venons ici dénoncer des faits constatés par des pièces authentiques ? Nous nous voyons traiter de la manière la plus ignominieuse par les membres de la majorité, nous sommes des indignes, des impies, des infâmes de traiter comme nous le faisons de pauvres religieuses ! Voilà comment s'exprimait l’honorable M. Dechamps.
Eh bien, on demande ce que pourra faire la presse, si elle sera admise à prouver les faits qu'elle aura avancés à la charge des administrateurs spéciaux. Vous ne répondez pas, vous vous taisez, vous demandez la clôture ; ce serait une indignité de la prononcer, vous ne la commettrez pas.
M. de Theux. - M. le ministre de la justice aura plus d'une occasion de répondre à l'interpellation de M. de Lexhy.
M. Verhaegen. - C'est le moment.
M. de Theux. - Cela n'a pas de rapport avec les articles en discussion. C'est un nouveau thème pour la discussion. J'ai protesté hier contre le renvoi des amendements à la section centrale et c'était avec raison. En effet que propose-t-on ? Le projet de loi de 1854, qui a été examiné en section centrale, sur lequel un rapport a été fait et que le gouvernement a retiré. Cela n'est pas sérieux.
M. Frère-Orban. - Certainement.
M. de Theux. - Messieurs, terminons cette discussion, si nous ne sommes pas encore éclaires après un mois de discussion, nous confessons que nous sommes des ignorants, des imbéciles, des hommes inintelligents. Vous prétendriez changer des votes ; mais quel vote pourrait être changé dans l'état actuel de la discussion ? Sommes-nous des hommes sans caractère, sans conviction ?
M. Frère-Orban. - Nous discutons pour le pays !
M. de Theux. - Je vous réponds que le pays est fatigué de vos discussions.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
- D'autres voix. - Si ! si !
M. Frère-Orban. - Vous avez peur de la discussion.
M. de Theux. - Vous voulez discuter pour passionner le pays ; mais ces moyens sont épuisés. Est-ce pour démontrer votre facilité de parler ? Le pays n'en est que trop convaincu. Nous pourrions pendant trois mois échanger, des discours comme de vains rhéteurs de la Grèce.
M. de Liedekerke. - Et faire de la mauvaise rhétorique.
M. de Theux. - Mais la vérité est que la discussion est épuisée et qu'il faut la clore ; c'est un devoir pour la majorité et elle saura le remplir ; elle ne reculera pas dans cette circonstance, quelles que soient les clameurs qu'elle puisse soulever de la part de nos adversaires ; il y va de sa dignité. Quant à moi, je n'hésite pas à dire que jamais atteinte plus grande n'aurait été portée à la considération de la Chambre si on continuait encore cette discussion.
M. Rogier. - L'honorable M. de Theux, par la violence de son langage, vient de sortir de son caractère.
Je m'applaudissais de voir que cette discussion générale qui avait duré un mois venait de se terminer, que nous allions aborder l'examen des dispositions de la loi, que nous allions arriver à une discussion pratique qui doit aboutir à un résultat pratique ; et voilà que le premier jour de la discussion des articles, quand les questions commencent à s'élucider, on vient demander la clôture au moment même où la lumière commence à se faire.
Je conçois, messieurs, que la discussion des articles ne vous convienne pas ; en examinant les articles de près, on peut, en effet, découvrir et faire ressortir les artifices et les dangers qu'ils recèlent. Nous voulons suivre ces artifices de la loi dans toutes ses dispositions, nous voulons les dénoncer à la Chambre et au pays. Est-ce pour cela que vous voulez clore ?
Cela est-il digne ? Nous ne comprenons pas la dignité parlementaire de la même façon que vous. On dit que toutes les questions sont (page 1653) épuisées. Mais la question de savoir par qui sera créée la personne civile n'a pas été directement abordée.
M. le ministre de la justice a consacré aujourd'hui un discours d'une heure à combattre notre système. L'honorable M. de Brouckere lui a répondu quelques mots plutôt à titre de défense personnelle qu'à titre de défense du système ; et puis tout serait dit. Nous n'aurions pas le droit de revendiquer pour le parlement ce principe que toute personnification civile doit être accordée par une loi et non par le pouvoir exécutif.
C'est au nom de la dignité du parlement, c'est au nom des prérogatives parlementaires que nous défendons ce principe, et l'on ne voudrait pas nous laisser parler !
Je crois que l'exemple d'une pareille violence serait sans antécédents dans la Chambre.
Messieurs, l'honorable M. de Theux a parlé des rhéteurs de la Grèce et il était fortement appuyé par l'honorable comte de Liedekerke. Je ne crois pas être un rhéteur de la Grèce ; pour ma part, je ne demanderais pas mieux que de garder le silence.
Mes convenances personnelles s'accommoderaient parfaitement d'un silence absolu dans cette discussion. Mais dans la situation où nous nous trouvons, je considère comme un devoir public de ne pas me taire, de prendre part le plus souvent possible à la discussion, de la maintenir et de la continuer jusqu'à épuisement de mes forces, s'il le faut.
Je demande donc que la discussion continue. Je demande que ce principe qui avait été introduit dans le projet de loi de l'honorable M. de Brouckere, que nous avons repris et que nous vous proposons de nouveau, fasse l'objet d'un examen sérieux et approfondi de la part de la Chambre. Je n'étais pas encore inscrit ; mais je demande à l'être.
La discussion générale a été longue. Mais ainsi que je l'ai déjà fait observer, nous avons eu des lois qui ont occupé la Chambre pendant un temps beaucoup plus long. L'honorable M. de Theux doit se rappeler lui-même que pour la loi communale, il s'est trouvé aux prises avec ses honorables amis, MM. Dumortier et Dubus, qu'il a discuté cette loi ou plutôt un titre de cette loi pendant trois années consécutives. Est-ce vrai, oui ou non ? Vous ne pouvez pas le nier, je pense.
M. de Theux. - On peut dire, dans ce cas, qu'il y a trois ans que l'on discute celle-ci.
M. Rogier. - C'est complètement inexact. Il y a un mois que la discussion réelle est commencée ; et je dis que la discussion publique de la loi communale a duré pendant trois ans. Eh bien, la loi actuelle est en grande partie la démolition de la loi communale, la démolition de l'institution de la commune, au point de vue de la bienfaisance et au point de vue de l'instruction publique. Vous frappez de déchéance morale l'institution de la commune. Vous lui retirez l'administration de la bienfaisance ; vous lui retirez l'instruction primaire. Voilà le résultat de la loi, et je dis qu'une pareille loi a assez d'importance pour occuper encore longtemps les moments de la Chambre.
Le pays d'ailleurs ne s'impatiente pas, le pays ne trouve pas nos débats trop longs. Le pays s’éclaire sur les conséquences de cette loi. Il est bon que nous lui en parlions longtemps encore, et vous avez beau faire, si aujourd'hui vous obtenez la clôture, chaque jour nous lutterons pour la continuation des débats, chaque jour nous aurons une discussion nouvelle contre vous en ce qui concerne les questions de clôture.
Pour ma part, je demande à être inscrit et à parler à mon tour. Je m'oppose à la clôture.
M. Verhaegen. - Messieurs, comme on vous l'a dit, dans les circonstances actuelles, la clôture serait un acte de violence, et j'ajoute un acte de surprise.
Vous demandez la clôture et je suis convaincu que vous n'irez pas jusqu'au bout. Vous reculerez comme vous l'avez fait avant-hier, quand vous avez fait une proposition et que vous l'avez retirée ensuite.
Ce serait un acte de violence et un acte de surprise ; dans les circonstances actuelles, il vous est impossible de clore, je vais vous le prouver.
Sur quoi discutons-nous ? Discutons-nous sur un article spécial ? Non, nous discutons sur les articles 71 et 78. Entendez-vous clore la discussion sur ces deux articles ou entendez-vous clore la discussion générale qui s'est engagée sur le chapitre II ? Vous ne vous en êtes pas expliqués.
Vous voulez clore, et si j'ai bien compris l'honorable M. de Theux, en clôturant, vous procéderez immédiatement au vote sur les articles 71 et 78. Or, on ne s'est pas encore occupé spécialement de ces deux articles ; et comme il faut une discussion et un vote spécial sur chaque article, je vous défie, d'après la Constitution, de clore et de voter à la fois sur les deux articles. Cela est impossible, ce serait un acte de violence dont il n'y a pas d'exemple.
Mais ce serait aussi un acte de surprise, de véritable surprise.
Vous avez décidé hier qu'à raison des élections provinciales qui doivent avoir lieu lundi, on ne voterait pas ce jour-là. Vous avez pour ainsi dire donné congé à ceux de nos honorables collègues qui devaient se rendre dans leur localité pour assister à des élections. Déjà plusieurs d'entre eux sont partis, les uns pour les provinces des Flandres, les -autres pour la province d'Anvers, et c'est dans un pareil moment, lorsque vous avez donné l'assurance qu'on ne voterait pas lundi, que vous voudriez clore et voté aujourd'hui ? Je dis que ce serait là, non seulement un acte de violence, mais un acte de surprise. Si la Chambre posait un pareil acte, elle se déconsidérerait aux yeux du pays ; elle perdrait toute son influence morale ; elle perdrait le respect dont elle doit être entourée.
Je le répète, je suis convaincu que vous n'irez pas jusqu'au bout» que vous ne poserez pas un pareil acte.
Messieurs, il faut nous éclairer. Croyez-vous en définitive qu'il n'y ait plus rien à dire sur les articles ? Un de nos honorables collègues vient de soulever une question toute nouvelle. Nous avons discuté pendant un mois, et cependant aucun de nous n'avait pensé à cette question qu'il vient de produire et qui est des plus sérieuses. C'est la publicité qui, dans votre système, est le pivot de la garantie contre les abus, et l'on vient de vous démontrer que ce système n'est qu'un leurre.
On vient de poser au ministre une question que le ministre trouve tellement grave, qu'il n'a pas osé y répondre avant de s'en être entendu avec ses amis. L'honorable M. de Theux dit qu'on y répondra dans une autre occasion ; mais le moment est arrivé d'y répondre. Si vous devez voter sur les articles 71 et 78, il s'agit de s'entendre sur ce point.
L'honorable M. de Theux dit : Si nous ne sommes pas éclairés, nous ne sommes que des imbéciles. Que l'honorable M. de Theux prenne cela pour lui et pour ses amis. Mais je ne le prends à coup sûr pas pour la gauche. Chacun pour soi.
Il y a d'ailleurs beaucoup de choses à dire encore. Je fais comme l'honorable M. Rogier, je prie M. le président de m'inscrire sur les articles.
Il y a ici quelque chose de vraiment extraordinaire, et lorsqu'on y réfléchit, on est convaincu que dans la demande de clôture il n'y a rien de sérieux.
Quoi ! Il y avait une proposition de l'honorable M. de Theux qui avait pour but d'échapper à la discussion des articles. C'était la question de principe, et cela prouve qu'on voulait se soustraire à la discussion des articles. (Interruption.)
Pour moi, c'est évident, et ce n'est qu'après des efforts réitérés, lorsque nous vous avons fait voir que cette proposition ne pouvait être admise, que force a été à l'honorable membre d'y renoncer. Mais aujourd'hui, il y revient indirectement. C'est à la discussion des articles qu'on veut s'opposer ; car il n'y a pas eu de discussion d'articles. Par la proposition de l'honorable M. de Theux, qui a pour objet de supprimer la discussion des articles et de l'abandonner, on arrive, par voie indirecte, à effacer la discussion.
Le pays est fatigué de nos discussions, dit-on ! Non. Mais vous avez peur de la discussion ; vous avez peur du pays.
M. Lelièvre. - L'honorable M. de Lexhy a soulevé une question qui domine la discussion des articles 71 et 78 du projet que nous examinons en ce moment. L'article 78, en effet, autorise les fondateurs à instituer comme, administrateurs spéciaux les titulaires occupant des fonctions ecclésiastiques.
Eh bien, la première question qu'il s'agit de résoudre, n'est-ce pas celle qui concerne la qualité et le caractère de ces administrateurs ? Il s'agit, en effet, bien évidemment de savoir si ces derniers seront considérés comme fonctionnaires publics ou comme remplissant un service public, et par conséquent, si les dispositions du décret de 1831, permettant la preuve des faits qui leur sont imputés, par tous moyens légaux, pourront être appliquées dans l'espèce qui nous occupe.
Messieurs, cette question n'est pas un hors-d'œuvre.
En effet, elle a été soulevée devant les tribunaux en ce qui concerne les ministres du culte, et la cour de cassation, contre la plaidoirie de mon honorable ami M. Verhaegen, a décidé que les ministres de la religion ne devaient pas être considérés comme des agents dépositaires de la puissance publique ; qu'en conséquence on n'était pas recevable à prouver par témoins les faits diffamatoires qui leur étaient imputés par la voie de la presse.
Eu ce qui me concerne, messieurs, je suis convaincu qu'en l'absence de toutes dispositions du projet dérogeant en ce point au droit commun, les titulaires des fonctions ecclésiastiques ne doivent pas être considérés comme fonctionnaires publies, qu'en conséquence relativement à l'application du décret de 1831 ils doivent être réputés simples particuliers : que par suite on doit leur appliquer les principes rigoureux du Code pénal qui exigent la production d’un jugement ou de tout acte authentique.
M. le président. - Nous discutons la clôture, veuillez rentrer dans la question.
M. Lelièvre. - M. le présidera ne me semble pas comprendre la question, car il est évident que je reste complètement dans le cercle de la discussion.
En effet, je m'oppose à la clôture, parce qu'avant de voter l'article 78 du projet, il s'agit de bien définir le caractère des administrateurs spéciaux.
Je dis donc, messieurs, qu'en présence du silence du projet, la presse serait complètement désarmée pour signaler à l'opinion publique les actes des administrateurs dont il s'agit.
On ne serait pas admis à prouver par témoins des faits propres à affecter la moralité de leur gestion.
Eh bien, je désire savoir si telle est la pensée du gouvernement. Il est donc indispensable que des explications catégoriques soient (page 1654) données à cet égard, et c'est afin de les obtenir que je m'oppose à la clôture.
Il n’est pas possible de décider qu'il sera institué des administrateurs sans qu'on connaisse préalablement quels seront les droits de la presse en ce qui concerne le contrôle à exercer sur leurs actes.
C'est donc là une question importante qui doit faire l'objet d'un examen approfondi.
Dans mon opinion, le contrôle de la presse est rendu impossible d'après la teneur actuelle du projet ; il est évident que cette difficulté doit être éclairée et dès lors on ne saurait maintenir la demande de clôture.
M. Lebeau. - Si j'apportais des passions de parti dans le débat, je devrais désirer que la clôture fût prononcée ; car je ne crois pas que le parti en face duquel nous combattons se fût jamais porté un coup plus meurtrier que celui qu'il s'infligerait en prononçant la clôture dans les circonstances actuelles. Ce serait un avant-goût de ce qu'on se propose probablement de faire à la suite du triomphe, si on l'obtient par le vote de la loi actuelle.
Quoi ! d'honorables membres de cette Chambre se sont absentés, pour remplir des devoirs politiques. Ils se sont absentés avec la certitude morale (personne ne l'a dénié) qu'ils pourraient non seulement coopérer à la loi actuelle par un vote important, mais retrouveraient la discussion dans un état tel, qu'ils pussent y prendre part ; car sans cela, ils auraient sacrifié leur droit électoral. Ils avaient le droit de s'attendre à trouver la discussion ouverte.
J'ajouterai que pour ceux qui sont partis, et qui n'ont pas pris part à la discussion générale, il y aurait également surprise ; car ils ont dû croire que la Chambre, fidèle à ses antécédents, ferait ce qui s'est fait dans d'autres discussions aussi importables, qu'elle ne refuserait pas la parole à ceux qui, n'ayant pas pris part à la discussion générale, voudraient parler sur les articles.
Je suis convaincu qu'en prononçant la clôture, la majorité se ferait un tort immense. Si donc je n'écoutais que les passions de parti, je devrais, je le répète, désirer qu'elle fût prononcée. Mais pour la dignité de la Chambre qui me préoccupe plus que l'esprit de parti, j'espère que la majorité se refusera à une pareille surprise, à un pareil acte de violence.
M. Malou, rapporteur. - Cette discussion si longue, si complètement épuisée, l'on nous dit que c'est un acte de violence et de surprise d'en demander la clôture.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. Malou, rapporteur. - Sans doute, messieurs, vous le dites ; mais je vais y répondre. Un acte de violence ! On n'a jamais rien vu de semblable ! Non, l'on n'a jamais vu une discussion si prolongée et si complètement épuisée. On n'a jamais vu non plus d'honorables membres vous dire aussi ouvertement : «-Nous discuterons jusqu'à épuisement de nos forces physiques. »
M. Lebeau. - Je n'ai pas dit cela.
M. Malou, rapporteur. - Je puis répondre à d'autres qu'à vous. Ne m'interrompez donc pas, surtout pour ne rien dire.
Lorsque la minorité tient un pareil langage, on est non recevable à prétendre que la majorité, en demandant la clôture, après cinq semaines de discussion, fait un acte de violence.
Il ne faut pas remonter bien loin pour trouver des mesures très importantes, beaucoup plus importantes que celle-ci, et qui ont donné lieu à des discussions beaucoup moins longues.
On dit que le pays s'éclaire. Il est plus vrai de dire qu'il se fatigue de cette discussion, et qu'en la prolongeant ainsi, vous portez un coup terrible à nos institutions.
On ajoute que nous voulons un vote de surprise.
Pour bien expliquer les faits, rappelons ce qui s'est passé. La discussion générale a été close, lorsqu'il n'y avait plus personne qui vous à parler.
Voilà le premier acte de violence de la majorité, Il y a eu une proposition de mon honorable ami, M. de Theux. Pour abréger la discussion, il avait proposé de ne pas suivre l'ordre des articles et de résoudre une question de principe. Vous avez fait des objections ; on s'est mis d'accord sur une autre forme, et la Chambre a décidé à l'unanimité, non, comme le dit l'honorable M. Verhaegen qu'il y aurait une discussion générale sur le titre II, mais qu'il y aurait une discussion sur deux articles considérés comme connexes, et qui en réalité n'en forment qu'un, sur les articles 71 et 78.
L'honorable M. de Lexhy, et l'honorable M. Lelièvre, après lui, plaidant ou commentant un arrêt de la cour de cassation soulèvent une question nouvelle sur le caractère des administrateurs spéciaux, question qui n'est pas préjugée du tout. Il y a dix articles auxquels cette question se rattache mieux qu'aux articles connexes que nous venons de discuter. En effet, avant de savoir quel sera le caractère des administrateurs spéciaux, il faut savoir s'il y en aura.
Je suppose que les honorables membres se trouvent en majorité pour décider qu'il n'y aura pas d'administrateurs spéciaux, il sera inutile de discuter sur le caractère de ceux qui n'existeront pas.
On dit : il y a surprise ; il y a des collègues qui sont partis. En effet, il y en a qui sont partis, à la manière anglaise ; un membre favorable au projet du gouvernement s'est arrangé par convenance personnelle avec un membre de la minorité et on a fait ce qu’on appelle en Angleterre « paired of ».
Il n'y aurait de surprise, messieurs, que si l'on modifiait la résolution qui a été prise hier.
Or on n'a décidé hier qu'une seule chose, qu'il n'y aurait pas de vote lundi prochain. Il ne peut donc y avoir de surprise pour personne, et nous ne voulons aucune surprise.
Messieurs, on nous répète de nouveau que nous avons peur du pays.
Si on pouvait faire que cette discussion arrivât tout entière à la connaissance de tous les électeurs, de toutes les personnes qui s'occupent des affaires politiques dans le pays, je m'en applaudirais.
Je suis parfaitement convaincu que notre opinion n'a rien à craindre de cette discussion et que pour elle, plus la question sera connue, mieux le bon sens du pays décidera....
M. de Moor. - Que l'on prononce donc la dissolution des Chambres.
M. Malou. - Plus le bon sens du pays décidera entre nous qui voulons la liberté vraie et pratique et ceux qui ne la veulent que sur le papier, théoriquement, mais qui la détruisent en réalité.
M. Delfosse. - Mercredi, lorsque, montrant de la déférence pour le règlement, vous avez renoncé à la question de principe posée par l'honorable M. de Theux, je vous ai félicités et j'ai exprimé en même temps l'espoir que cette preuve de modération ne serait pas la seule que vous donneriez dans cette discussion. Si, aujourd'hui, vous prononciez la clôture malgré nos légitimes réclamations, je regrette de devoir le dire, j'aurais eu de vous une trop bonne opinion, la violence serait substituée à la modération. Oui, messieurs, la violence ! Car les deux articles qui sont en discussion sont les plus importants de la loi et, il faut bien le reconnaître, ils n'ont été ni suffisamment, ni spécialement discutés : nous n'avons eu sur le fond de ces articles que deux discours, celui de M. le ministre de la justice et celui de M. Tesch. Deux discours ne suffisent point lorsqu'il s'agit d'articles de cette importance qui résument en quelque sorte toute la loi.
Je vous engage, messieurs, à bien réfléchir ; la loi que nous discutons excite dans le pays une émotion profonde ; pour beaucoup de personnes elle est odieuse, ne la rendez pas plus odieuse encore en étouffant la voix de l'opposition.
M. Orts. - Messieurs, si je m'oppose à la clôture, ce n'est certainement pas dans mon intérêt personnel. Ce que j'ai dit dans mon discours doit donner sous ce rapport toute espèce de garantie. Je demande la continuation de la discussion avec le plus parfait désintéressement. Je suis convaincu aujourd'hui comme je l'étais le premier jour de ces débats que la loi sur laquelle j'avais à m'expliquer est une de ces lois que l'on ne discute pas mais contre lesquelles on proteste.
Je suis convaincu que c'est une loi de parti, par conséquent une loi faite dans le sens de la majorité, dans le sens du plus fort, et qu'il n'y a aucune espèce de désir de conciliation qui puisse permettre à un membre de la minorité de se détacher d'elle.
Mais, messieurs, c'est là mon point de vue personnel, et puisque des membres de la Chambre veulent encore s'éclairer, je demande qu'ils en aient le moyen, car j'ai la conviction que la lumière n'est pas complètement faite sur les deux articles en discussion.
J'ai cette conviction non seulement parce que j'ai entendu poser une question grave au gouvernement et que le gouvernement n'y a pas répondu, mais parce que la solution de cette question doit influer sur le vote. Cette question que vous reconnaissez être neuve et dont vous renvoyez la discussion à un temps plus éloigné, cette question doit exercer de l'influence sur le vote de ceux qui n'ont pas un parti pris.
Moi j'ai un parti pris, mais ceux qui ne sont pas dans cette position, ceux qui veulent s'éclairer sur la question des administrateurs spéciaux, sur la question des garanties que pourra offrir la publicité de leur gestion, ceux-là demandent si la presse, quand elle aura critiqué les actes de ces administrateurs, aura le droit de faire la preuve de ses assertions devant le tribunal. Si vous ne répandez pas la garantie du contrôle de la presse et de l'opinion publique, c'est encore une fois, comme je le disais précédemment, c'est un leurre, ce n'est pas un gage.
Vous ne pouvez donc pas faire résoudre la question de savoir s'il y aura des administrateurs spéciaux avant qu'on ne sache si le contrôle de l'opinion publique et de la presse, présenté comme une garantie, est, en effet, une garantie.
D'autres questions peuvent surgir encore et si nous avions le temps de les poser il en est de bien graves que nous soumettrions à la Chambre.
Pour ma part, je demanderai à M. le ministre de la justice et j'appellerai sur ce point l'attention de mes collègues, je demanderai à M. le ministre de la justice si, les administrateurs spéciaux admis, la conséquence de l'admission de ce principe sera ou ne sera pas celle-ci : dans une foule de nos villes il existait des fondations qui avaient pour but l'instruction publique, par exemple l'instruction primaire, il y a une foule de fondations qui avaient pour but la charité, la création d'hospices pour les vieillards, pour les malades.
Tout cela existait avant l'introduction du régime français chez nous, tout cela existait avec des administrateurs spéciaux. Les lois françaises sont arrivées et on a supprimé les administrations spéciales ; les (page 1655) fondations, quand elles sont charitables, appartiennent aujourd'hui aux administrations des hospices ou aux bureaux de bienfaisance et celles qui ont pour but l'instruction appartiennent aux communes ; la loi sur l'instruction primaire, article 5, si je ne me trompe, a donné aux communes le droit de mettre la main sur ces dernières fondations.
Je demande maintenant, avant qu'on ne décide s'il y aura des administrateurs spéciaux complètement indépendants des autorités, si ces fondations retourneront à ceux qui les administraient anciennement.
M. Malou, rapporteur. - Mais non ! mais non !
M. Orts. - Mais non !
Mais non ! est fort bien, mais je demande qu'on n'aille pas si vite, car ce mais non ! mais non ! pourrait bien être retiré ultérieurement. Je ne sais pas ce que vous déciderez quand les familles diront : Nous avons le droit d'avoir des administrateurs spéciaux ; nos ancêtres ont institué des fondations, nous demandons qu'elles nous soient rendues ; vous avez fait une loi pour l'esprit de famille et pour les pauvres ; appliquez-nous donc le bénéfice de la loi.
Je demande formellement quelle est à cet égard l'opinion du gouvernement, qui sera chargé d'exécuter la loi.
Je demande cette explication et je la demande d'autant plus catégorique que ce que je viens d'indiquer a été fait sous le roi Guillaume pour les fondations de bourses d'études. Vous qui trouvez si beau ce que le roi Guillaume a fait pour les bourses d'études, je demande si vous allez l'appliquer aux fondations charitables et à celles qui concernent l'instruction primaire.
Maintenant, que M. Malou veuille bien se rassurer, ainsi que d'autres membres qui demandent la clôture, sur l'ennui que nos discussions feraient éprouver au pays.
Je crois que ces honorables membres se font complétement illusion. Il est possible que la majorité de cette Chambre soit fatiguée de cette discussion ; mais, quant au pays, c'est autre chose. Il y en a une preuve bien évidente dans un incident qui se produit. L'intérêt que prend le pays à nos débats se mesure un peu au nombre d'auditeurs. Or, je ne pense pas que, depuis 1830, il y ait eu une seule mesure discutée dans cette enceinte, qui ait attiré un public plus nombreux à nos séances. Le pays s'intéresse donc à cette discussion.
Je termine, en disant que je maintiens le mot prononcé par l'honorable M. Verhaegen ; je déclare qu'il y a surprise dans la demande de clôture.
Il est évident en effet que la promesse de ne pas voter lundi a été faite ; je demande à quel vote sérieux vous vouliez appliquer cette espèce de congé que vous avez octroyé à vos collègues, si vous voulez voter aujourd'hui le principe le plus important de la loi ? Si nous votions aujourd'hui les articles 71 et 78, nous aurons à aborder lundi l'article premier du titre II, et cet article ne peut pas donner lieu à une discussion de deux minutes ; et c'est ce vote-là qu'on remettrait à mardi ! Voilà une preuve de la sincérité de la promesse que vous avez faite.
Il y aurait donc surprise et cette surprise s'explique maintenant par un fait. Vous avez compté nos bancs ; vous savez que nous avons un chiffre compact de voix, que ce chiffre exerce de l'influence sur l'opinion publique ; vous voudriez l'avoir aussi petit que possible (interruption.) Je dirai, comme l'honorable M. Dumortier, que c'est mon appréciation.
Quand l'honorable M. de Theux a fait sa proposition, tendante à faire voter la Chambre sur une question de principe, et quand l'honorable M. Malou s'est joint à lui pour demander qu'on votât à jour fixe, pour qu'il n'y eût pas de surprise, on a indiqué huit jours d'avance, et nos honorables amis qui sont absents, usant du congé que vous leur avez accordé hier, vous les avez laissés partir, sans les avertir par une parole ni même une heure d'avance, de la portée qu'aurait la fin de la séance d'aujourd'hui.
Je maintiens ces mots il y a violence, il y a surprise.
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, de l'aveu de tout le monde, la question qui est actuellement discutée devant la Chambre, a une très haute importance ; elle résume pour ainsi dire tout le système de la loi.
Certes, on peut soutenir à bon droit que la discussion générale a porté en grande partie sur cette question fondamentale ; cependant on peut dire aussi que la discussion spéciale sur cette question n'a pas encore été épuisée ; je voudrais surtout, et c'est là, j'en suis convaincu, la pensée de mes honorables amis, qu'on ne pût pas accuser la Chambre d'avoir voté une question de cette importance par une espèce de surprise.
Je ne pense donc pas que, dans l'état actuel de la discussion, la Chambre puisse procéder à un vote d'une pareille portée.
La Chambre a décidé qu'il n'y aurait pas de vote dans la séance de lundi. Quelques orateurs pensent que l'assemblée, par cette décision même, se serait interdit de voter dans la séance d'aujourd'hui. Je ne suis pas absolument de cet avis. Il me semble cependant que, quand la Chambre a décidé dès vendredi qu'il n'y aurait pas de vote lundi, elle s'engageait par là, indirectement du moins, à ne pas procéder à des votes dans la séance de samedi.
Toujours est-il que les membres qui sont partis ont pu interpréter la décision dans ce sens.
Je pense donc qu'on pourrait continuer la discussion aujourd'hui et lundi ; et, comme nous l'avons déjà fait pour un autre vote d'une grande importance, à décider dès aujourd'hui qu'il y aura un vote sur la question actuellement en discussion, dans la séance de mardi prochain.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, du moment que quelques-uns de nos honorables collègues sont partis dans la pensée qu'il n'y aurait pas de vote, je crois qu'il faut trouver un moyen terme, dût l'honorable M. Verhaegen, alors que nous cherchons à nous concilier sur cette question, s’écrier majestueusement que nous reculons. Pour moi, je ne reculerai jamais devant des prétentions que je ne crois pas fondées.
Je n'ai pas compté les membres qui sont absents de la Chambre ; mais un honorable secrétaire m'a dit tout à l'heure qu'il les a comptés, qu'il y a plus de nos amis absents que des vôtres.
Je proteste contre toute espèce de calcul, contre toute mauvaise intention, quoique, contrairement au règlement, l'honorable M. Orts nous en ait imputé.
Cela dit, je crois qu'on pourrait recourir à ce moyen terme : clore aujourd'hui la discussion générale des articles 71 et 78 et décider en même temps, comme vient de le proposer M. le ministre de l'intérieur, que le vote aurait lieu mardi vers 3 heures.
M. Frère-Orban. - Il faut discuter.
M. Malou. - Veut-on quelque chose de plus : continuons la discussion aujourd'hui et lundi, et décidons, comme nous l'avons fait dans une autre circonstance, que mardi on voterait sur cette question.
Je cherche les moyens de rapprocher les opinions diverses. Il n'y a qu'une seule chose que je repousse : la prétention d'éterniser des discussions sans but et sans résultats.
M. Verhaegen. - Un seul mot. J'étais convaincu qu'on reculerait et on recule !
J'ajoute que nous ne pouvons pas trancher le point de savoir si l'on votera mardi. Cela dépendra de la discussion.
M. Dumortier. - Messieurs, ce qui me paraît le plus saisissant dans cette discussion, c'est que la proposition de M. le ministre de l'intérieur n'est appuyée ni à droite ni à gauche. Quand M. le ministre de l'intérieur viens proposer de laisser continuer la discussion aujourd'hui et lundi, et de décider maintenant que pour mardi, il y aura clôture, et quand on votera qu'arrivera-t-il. La gauche crie qu'elle n'accepte pas cette proposition, qu'elle veut laisser aller la discussion jusqu'à extinction de chaleur naturelle. Si on s'en réfère à la droite, elle dit, et à mon avis elle a raison : Voilà cinq semaines que vous discutez, chaque chose doit avoir une fin.
M. Rogier. - Vous n'avez pas le droit de dire cela.
M. Dumortier. - Quand M. le président m'a donné la parole, j'ai le droit d'en user comme bon me semble, et ce n'est pas l'honorable membre qui m'en empêchera.
Je dis donc : Voilà cinq semaines que nous discutons, il est permis à la majorité de demander qu'on en finisse avec cette discussion.
Un grand nombre de voix. - Eh bien, votons ! aux voix ! la clôture ! votons !
M. Dumortier. - Il n'y a qu'un système qui réunisse un grand nombre de voix.
- Plusieurs voix. - Aux voix ! la clôture !
M. Dumortier. - La clôture sur quoi ? (Interruption.) Je vais vous le dire ! (Aux voix !, aux voix !)
M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - M. le président, j'ai l'honneur de déclarer que mardi je proposerai la clôture.
M. le président. - La demande de clôture est-elle retirée ?
- Plusieurs membres. - Non ! non !
- D'autres membres . - Si ! si !
M. Vervoort. - La demande de clôture est-elle retirée ?
M. le président. - Elle est retirée.
- La séance est levée, à quatre heures et demie.
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