(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 1601) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Crombez lit le procès-verbal de la séance de samedi dernier. La rédaction en est adoptée ; il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« La dame Yernaux demande que la pension de 400 fr., dont jouissait son premier mari, lui soit continuée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jamart, ancien militaire, demande une pension. »
- Même disposition.
« Le sieur Brune-Barbe demande que le gouvernement n'autorise pas l'acceptation du legs fait par son oncle et sa tante à l'église et aux pauvres d'Obais. »
- Même disposition.
« Les avoués du tribunal de première instance de Termonde demandent l'augmentation du personnel de ce tribunal. »
M. Vermeire. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant augmentation du personnel de certains tribunaux, et aussi, s'il y a lieu, pendant la discussion de la proposition de loi présentée par l'honorable M. Lelièvre, et tendante à augmenter le personnel du tribunal de Namur.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs greffiers de justices de paix dans la Flandre orientale, demandent une augmentation de traitement et l'uniformité du tarif en matière civile. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Le sieur Devleeschouwer, receveur des bureaux de bienfaisance de plusieurs communes, demande que le projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance contienne une disposition qui le maintienne dans ses fonctions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Le sieur Constant transmet des renseignements à l'appui de sa pétition ayant pour objet une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Thibaut, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé pour la séance de ce jour.
- Accordé.
« Les administrateurs de l'hôpital civil de Roulers déclarent que les faits relatifs aux hospices de cette ville, exposés à la Chambre par M. Frère-Orban, dans la séance du 12 mai, sont tous conformes à la plus rigoureuse vérité. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance.
M. de Moor. - Les administrateurs de l'hôpital civil de Roulers croient de leur devoir, en présence des démentis qui ont été donnés à M. Frère-Orban, de déclarer à la Chambre que les faits relatifs aux hospices de Roulers, exposés au parlement par l'honorable député de Liège, dans la séance du 12 mai, sont tous conformes à la vérité. Cette pétition, messieurs, est signée, : Vanghebens-Lenoir, Rodenbach-Mergaert, Verburgh, Coussement, Leclerc.
Je prie la Chambre de vouloir bien ordonner, pendant la discussion du projet de loi sur la charité, le dépôt sur le bureau de la pétition de MM. les administrateurs de l'hôpital civil de Roulers.
M. Malou. - Messieurs, je crois que personne dans cette Chambre n'a donné de démenti à l'honorable M. Frère. Pour ma part, j'ai communiqué les renseignements que j'ai reçus de très bonne source ; j'en ai reçu d'autres depuis, et je demande quelque chose de plus que le dépôt au bureau des renseignements ; je demande que ces pétitions et toutes les autres pétitions qui sont arrivées depuis le début de la discussion soient renvoyées à l'examen de la section centrale.
La première pétition qui a été analysée tout à l'heure a soulevé une gestion pratique qui se rattache à l'un des articles du projet de loi ; précédemment j'en ai déposé d'autres qui ont le même caractère ; les personnes faisant partie des administrations de bienfaisance peuvent nous adresser des observations utiles.
Je demande que toutes les pétitions soient renvoyées à la section centrale.
M. Dumortier. - Messieurs, puisqu'il s'agit ici de démentis, et que l’honorable M. de Moor vient d'invoquer une pétition qui arrive à l'instant de Roulers, la Chambre me permettra de lui donner lecture de quelques mots qui viennent de m'être adressés également de la même ville. (Interruption.) Si vous voulez connaître la vérité, entendez le pour et le contre ; il serait par trop commode de laisser parler l'une des parties et de ne pas entendre l'autre. Voici donc ce que je reçois à l'instant ; ce sera peut-être l'explication de ce qui se trouve dans la pétition dont l'analyse a été présentée tout à l'heure.
- Un membre. - Cette réponse n'émane pas de l'autorité.
M. Dumortier. - Qu'est ce que cela fait ? Ne sommes-nous pas ici une autorité... (Interruption.) L'honorable membre qui m'interrompt devrait se rappeler que c'est sur la demande de l'honorable M. Lebeau que la Chambre a écarté une protestation qui était arrivée ici... (Nouvelle interruption.) Je vois bien qu'il y a ici des membres qui ne veulent pas entendre la contrepartie ; eh bien, vous l'entendrez malgré vous. Voici donc la pièce que j'ai reçue ; c'est une déclaration qu'on fait :
« L'hôpital de Roulers n'a plus de religieuses depuis un an et demie, on les a fait partir à force de chicanes. C'est l'histoire des hospices de Bruxelles. Ce qu'a dit M. Frère est du reste entièrement inexact. Il est faux que le clergé refuse à l'hôpital les services religieux ; il y va chaque fois qu'on l'appelle et à quelque heure que ce soit. Ce qui n'a plus lieu, c'est d'y dire la messe tous les jours, le directeur des sœurs de charité s'étant retiré quand les sœurs ont été éloignées. »
M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit autre chose !
M. Dumortier. - Que résulte-t-il de ceci ? Il en résulte que quand on a eu fait sortir les sœurs de l'hospice à force de chicanes, l'aumônier des sœurs est sorti avec les sœurs. (Interruption.) L'aumônier a été renvoyé comme les sœurs.
Chasser les sœurs hospitalières d'un hospice, peut paraître chose très simple aux administrations des hospices, mais les pauvres ne pensent pas ainsi.
M. Tesch. - Allons donc !
M. Dumortier. - Il résulte donc de ces faits que quand on a chassé à force de mauvais procédés les sœurs de charité qui étaient dans l'hospice de Roulers, le directeur des sœurs est sorti avec elles. Comme il disait la messe tous les jours, quand il a été parti, il ne s'est plus trouvé personne pour dire la messe.
On vous a dit qu'on avait refusé les secours religieux aux malades. La lettre que j'ai en mains dit qu'il est faux qu'on ait refusé les secours religieux aux malades, que les vicaires se rendent à l'hospice quand on les appelle de jour et de nuit à quelque heure que ce soit. (Interruption.)
Il ne faut pas épiloguer sur les mots ; le fait est que par suite de désagréments on a amené les sœurs et l'aumônier à se retirer. (Interruption.)
Depuis quand des aumôniers sont-ils tenus d'aller dire la messe tous les jours dans les chapelles que peuvent avoir des hospices ou dos hôpitaux ? Est-ce que M. Anspach, qui vient de m'interrompre, réclame qu'on aille dire la messe à l'hôpital St-Jean ? Je crois qu'il en est administrateur ; lui qui a si fortement attaqué le clergé catholique, ne le demandera pas ; il aurait mieux fait de se taire sur ce chapitre. Il ne le demandera pas.
Quel crime, dès lors, pouvez-vous faire de ce qu'on ne dise par la messe à l'hôpital de Roulers, du moment que les secours sont administrés ? (Interruption.)
Tous les démentis ne détruiront pas les affirmations contenues dans la lettre que je tiens en main.
- Un membre. - Par qui cette lettre est-elle signée ?
M. Dumortier. - Elle est signée par M. Vanovre, professeur de rhétorique à Roulers.
M. Frère-Orban. - Professeur au séminaire de Roulers.
M. Dumortier. - M. Vanovre, professeur de rhétorique au séminaire de Roulers, est parfaitement à même de savoir ce qui s'est passé à l'hospice de Roulers.
M. Rodenbach. - Je ne me suis pas permis de donner un démenti à l'honorable M. Frère. Ce n'eût été ni poli ni parlementaire ; j'ai dit qu'il était mal informé.
Du reste, je partage l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. Dumortier que par voie indirecte on a tant fatigué les sœurs qu'elles se sont retirées. Je ne comprends pas que, de part et d'autre, on s'occupe aussi longuement de pareilles niaiseries ; le pays attend autre chose de nous.
M. de Moor. - L'honorable M. Rodenbach vient de dire qu'il n'avait pas donné de démenti à l'honorable M. Frère ; que ce mot n'avait pas été prononcé ; le fait est qu'il n'est pas au Moniteur. J'y vois qu'interrompant l'honorable M. Frère, l'honorable M. Rodenbach a dit : « On vous a induit en erreur. »
Je n'en persiste pas moins dans ma proposition ; j'appuie en outre celle qui vient d'être faite par M. Malou.
- La Chambre décide que les pétitions indiquées seront déposées sur le bureau pendant la discussion et renvoyées â la section centrale.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre aux délibérations de la Chambre un projet de loi portant prorogation de l'article premier de la loi du 12 avril 1855, concernant les péages du chemin de fer.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet (page 1602) de loi ; la Chambre on ordonne l’impression et la distribution et le renvoie à l’examen des sections.
M. Lebeau. - Il a été déposé, il y a quelques jours, sur le bureau, des pétitions en assez grand nombre signées par des habitants du canton de Nandrin, arrondissement de Huy. Elles avaient pour objet une amélioration à introduire dans le service postal, amélioration facilitée par l’établissement du chemin de fer de Namur à Liége. Ces pétitions font remarquer que le service administratif serait aussi singulièrement facilité, si M. le ministre des travaux publics pouvait reconnaître l’utilité proclamée par eux de l’établissement d’une malle-estafette et d’un bureau de distribution dans le canton.
Je me suis présenté pour appuyer ces pétitions et demander un prompt rapport. Je suis arrivé quelques minutes trop tard. Si la Chambre me le permet, je prierai M. le président de demander à la commission, vu l’époque avancée de la session, de bien vouloir faire de ces requêtes l’objet d’un prompt examen et d’un prompt rapport.
- La proposition de M. Lebeau est adoptée.
M. de Naeyer. - Avant de reprendre la discussion, je crois devoir, à l'occasion de ce qui s'est passé dans la séance de samedi dernier, rappeler au public qu'aux termes de notre règlement, il lui est défendu formellement de donner des signes d'approbation ou d'improbation. Les messagers placés dans les tribunes ont reçu des ordres très précis afin d'exercer une surveillance rigoureuse et de me signaler les personnes qui se permettraient encore de violer notre règlement ; elles seront immédiatement exclues des tribunes.
J'espère que le public comprendra le devoir que les convenances lui imposent d'écouter nos discussions en silence et de respecter notre règlement dont nous voulons tous le maintien ; car il est la sauvegarde de la liberté de la tribune et de la dignité du parlement.
- Plusieurs membres. - Très bien !
M. de Naeyer. - M. de Theux a déposé une question de principe qui serait connue comme suit :
« Le Roi pourra autoriser des fondations charitables avec des administrations spéciales dans le sens du projet de loi »
Cette proposition sera imprimée et distribuée.
M. Verhaegen. - Sans rien préjuger.
M. Delfosse. - La discussion générale continue ?
M. de Naeyer. - Sans doute. La parole est à M. de Theux.
M. de Theux. - Messieurs, on ne cesse d'entretenir la Chambre des couvents : il semble que la loi soit faite pour leur avantage ! Cependant la loi ne s'en occupe pas. Tous nous protestons que nous ne voulons pas nous en occuper davantage ; nous aurions pu, messieurs, ajouter autre chose. Non seulement les couvents ne demandent pas les avantages de la personnification civile ; mais les religieux renoncent fréquemment au droit le plus formel qui leur est garanti par la Constitution, par la loi de nature et par le Code civil, celui d'hériter de leurs pères et mères. En effet, messieurs, la plupart, on peut dire la généralité des religieux renoncent d'une manière absolue à la succession paternelle moyennant une pension alimentaire pour que la maison dans laquelle ils entrent ne soit pas grevée, ou s'ils conservent là jouissance de ces biens, ils finissent par en laisser la propriété à leur famille.
Vous voyez, messieurs, que loin de montrer un esprit d'accaparement, ils comprennent les sentiments de famille et qu'ils pratiquent le désintéressement même vis-à-vis de leur ordre.
Cependant, messieurs, ainsi que j'ai eu l’honneur de le dire, en aucun cas ou ne peut opposer à un religieux des vœux de religion, même le vœu solennel de pauvreté....
C'est ainsi que cela se pratique en Amérique, en Angleterre et en Hollande. J'ai vu plusieurs consultations de jurisconsultes de ces pays qui le décident ainsi non seulement le religieux ne perd pas ses droits civils par sa profession de vœux ; mais il lui est même interdit formellement par la loi d'y renoncer, attendu que les droits civils sont d'ordre public.
Si je fais mention de cette doctrine de jurisprudence, c'est pour répondre à une observation de l'honorable M. Orts, qui, dans une des dernières séances, a énoncé une théorie qui me semble contraire à deux articles de notre Constitution. D'après lui, un religieux qui a fait vœu de pauvreté, recevant un legs, est censé recevoir pour le couvent et peut être déclaré par les tribunaux personne interposée. Un particulier qui achète le local d'une école ou d'un hospice avec le produit d'une souscription est aussi, suivant l'opinion de l'honorable membre, une personne interposée. Eh bien, c'est là une erreur capitale.
Si je parle des testaments qui peuvent être faits en faveur des religieux, ce n'est pas que ce cas se présente fréquemment. Tout au contraire, ce qui se présente fréquemment, ce sont des testaments faits au détriment des religieux, c'est à-dire par lesquels leurs parents leur laissent une modique portion du patrimoine dont ils auraient dû hériter en l'absence de testament.
L'article 20 de la constitution garantit le droit d'association et interdit toute mesure préventive.
Or, messieurs, il est évident qu'il y aurait une mesure préventive, s l'on pouvait arguer de nullité une disposition testamentaire faite au profit d'un religieux, par cela seul qu'il est religieux.
Il y aurait de plus une atteinte portée à la liberté des cultes. Car les tribunaux, pour en décider ainsi, devraient apprécier, d'abord, s'il y a vœu, quelle est la portée du vœu, jusqu'où il oblige, et ils devraient rétribuera ce vœu, qui est un acte purement religieux, insaisissable par la loi, un effet préjudiciable à celui qui l'a émis.
Vous voyez, messieurs, qu'il est clair comme le jour que cette théorie est fausse.
Aux termes du Code civil, le religieux reste pleinement propriétaire de l'objet qu'il apporte dans l'ordre comme de l'objet qu'il hérite.
Personne ne peut lui contester l'usage de sa propriété. Si c'était une association, le propriétaire répondrait : Je ne vous connais pas, les tribunaux déclareraient l'association incapable d'ester en justice, attendu qu'elle n'a pas la personnification civile.
Il en est de même, messieurs, de la personne qui consent à acheter, en son nom, une propriété avec les fonds d'une souscription quelconque, pour y établir une école ou une œuvre de charité. Cette personne est bien réellement propriétaire ; la loi ne connaît qu'elle.
Il n'y a qu'une seule propriété, c'est la propriété définie par le Code civil. Le Code civil ne connaît pas d'êtres spirituels, il ne connaît que des propriétés matérielles des propriétaires jouissant des droits civils ; dès que quelqu'un réunit sur la personne les caractères de propriétaire, il est propriétaire en réalité et il n'est point personne interposée.
L'obligation morale contractée de laisser suivre aux biens une destination donnée, ne lie que sa conscience et ne concerne ni le tribunal ni la loi. En décider autrement, messieurs, ce serait dire que le Congrès, en proclamant la liberté d'association, a proclamé une chose ridicule, car l'association ne pouvant être personne civile qu'en vertu d'une loi, il s'ensuivrait qu'en l'absence de cette loi l'associé ne participerait pas aux droits d'une personne civile et aurait perdu les droits de sa propre personne, situation absurde, qui le mettrait dans l'impossibilité de posséder ni meubles ni immeubles. Ainsi, on continuerait à proclamer d'une part la liberté d'association et d'autre part les tribunaux et le législateur pourraient attacher à la pratique de ce droit des pénalités qui priveraient les associés de leurs droits civils. Il suffit de rappeler ces principes élémentaires.
L'honorable M. Orts nous a entretenus aussi d'un rapport des commissaires nommés par le ministre qui a expulsé les jésuites sous Marie-Thérèse.
D'après ce rapport, les jésuites, comme tous les autres ordres monastiques, exerçaient la captation.
Eh bien, messieurs, j'ai désiré savoir ce que le gouvernement avait gagné en expropriant les jésuites et il est résulté de mes recherches que le gouvernement n'y a rien gagné. Les revenus des jésuites étaient tellement minimes que le gouvernement n'avait pas trouvé dans ces revenus de quoi payer la petite pension alimentaire qu'il avait promise aux membres de l'ordre supprimé. Il est vrai que les jésuites possédaient certaines choses : ils possédaient de belles églises, garnies d'objets d'art précieux. Je ne pense pas qu'une personne sensée fasse d'objection à cet égard : les églises étaient à l'usage du public ; on encourageait les beaux-arts et en même temps on rehaussait l'éclat du culte.
Les jésuites possédaient de belles bibliothèques. On n'en fera pas encore un grief, surtout dans cette Chambre où l'on est ami des lumières.
Ils possédaient aussi de beaux bâtiments de collèges ; il ne peut pas encore y avoir d'objection ; c'était un honneur rendu aux études. Mais la plupart de ces bâtiments avaient été élevés avec le concours grand et généreux des villes où ils se trouvaient.
Ce n'était pas le produit de captations, mais le produit de dons généreux des villes dans lesquelles les collèges étaient établis. Telle était leur situation matérielle ; je n'ai pas besoin d'en dire davantage.
Le même rapport jette encore un blâme sur leur enseignement ; ils professaient une morale relâchée ; ils ont corrompu l'ordre des avocats.
Vous conviendrez qu'une commission de quatre membres choisis dans les magistrats par un ministre qui avait expulsé les jésuites, pouvait facilement émettre de pareilles opinions hasardées.
Je dirai même qu'il y a quelque chose de ridicule dans cette partie du rapport ; elle tend à faire croire que les avocats avaient appris les subtilités de leur profession à l'école des jésuites. Mais ces magistrats eux-mêmes n'avaient-ils pas fait leurs études clans les mêmes collèges ?
Ceux qui attaquent la morale des jésuites la trouvent en général beaucoup trop sévère pour la pratiquer eux-mêmes.
Et l'orgueil des jansénistes, qui se targuaient d'une morale trop sévère, condamnée à Rome, ne conduisait-il pas directement à un véritable relâchement de mœurs, en détournant de la religion ceux à qui elle paraissait impraticable dans cette sévérité orgueilleuse ?
On ne peut assez protester contre ces accusations banales de captation, de démoralisation, qui n'ont que trop souvent cours parmi les hommes qui ne se donnent pas la peine d'examiner sérieusement les choses.
Après avoir répondu à des considérations et à des faits qui ne se rattachaient qu'indirectement à la loi en discussion, je reviens directement à cette loi et j'aborde l'une des objections qu'on a faites. On dit : « Pourquoi n'admettez-vous pas l'établissement des fondations de charité par la loi ? Vous n'avez rien à craindre ; vous trouverez dans cette Chambra un concours pour toute œuvre utile. »
(page 1603) Messieurs, ce qui se passe dans cette discussion n'est pas encourageant pour, admettre cette proposition. Mais il est un autre motif qui me semble invincible : c'est que les fonctions du parlement sont déjà trop étendues : il peut à peine y suffire ; des intérêts importants restent en souffrance depuis des années. Les Chambres ne doivent pas s'occuper des détails d'administration.
Lorsque la loi a posé des principes clairs et précis, c'est au pouvoir exécutif à les appliquer.
C'est ainsi que cela se pratique pour les sociétés de commerce, pour les sociétés anonymes ; c'est ainsi que vous l'avez vous-même décrétée pour des sociétés de bienfaisance ; vous avez admis des principes et vous avez laissé au gouvernement le soin de les appliquer. C'est ce que nous demandons, et rien de plus.
L'honorable M. Rogier a parlé des dangers de la loi ; et cependant il ne s'est pas du tout effrayé du congrès libéral, pendant que d'autres membres de la Chambre, MM. Lebeau et Dolez, ne pensaient pas de même : ils trouvaient que la réunion de cette assemblée constituait véritablement un état anomal, une chose qui pouvait conduire au désordre.
Que l'honorable M. Rogier se rassure, en ce qui concerne la loi sur la charité : cette loi n'a rien qui doive jeter le trouble dans le pays. C'est simplement une loi de charité pour les diverses catégories d'indigents ; c'est un moyen puissant de relever le moral des classes inférieures.
Mais, dit-on encore, il y a dans cette loi un danger pour la fortune des familles, et c’est surtout pour vos familles que ce danger existera, ajoutait dernièrement l'honorable M. Verhaegen en nous désignant.
Nous prions l'honorable membre de se rassurer sur le sort de nos familles. Nous avons confiance dans un adage très ancien : c'est que la charité n'appauvrit pas les familles. Cela se comprend très facilement. La charité chrétienne est fille de la pitié. Or, ces deux vertus sont communes dans les familles auxquelles on a fait allusion ; ce n'est pas dans ces familles qu'on rencontre des sources de ruine ; si on en découvre, c'est dans les familles d'où ces deux vertus sont absentes.
L'honorable membre a aussi parlé d'ajournement, de discussions trop précipitées. Véritablement il me paraît qu'il serait presque ridicule pour le parlement de penser à un ajournement, à une enquête. Pourquoi un ajournement ? N'aurions-nous pas eu le temps d'examiner la question des fondations de bienfaisance ? Il y a quatre semaines que la discussion générale est commencée.
D'ailleurs, cette question est palpitante d'intérêt depuis 1847 : elle a été soumise à nos délibérations par le projet de loi présenté par l'honorable M. Faider en 1854. Ce projet de loi a été remplacé par un projet nouveau, il y a environ quinze mois, Tout le monde a donc pu examiner et approfondir la question de la charité. On a parlé de la loi communale, celle-ci présentée : en 1833 a été votée en 1836, elle a aussi été retirée et représentée ; la situation est donc la même.
Je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Je dirai seulement encore que nous n'imposons rien à personne ; nous accordons seulement au gouvernement le droit d'autoriser les fondations créées par la charité privée. Nous ne demandons pas même un droit nouveau ; nous nous tenons au principe de la loi communale, et nous y ajoutons des garanties pour son application.
Vous nous demandez le sacrifice du principe déposé dans la loi communale ; ce principe s'applique depuis longtemps, et je déclare formellement que nous ne vous ferons pas ce sacrifice.
Il ne s'agit pas ici de notre intérêt personnel, il s'agit de l'intérêt des classes qui méritent le plus la sollicitude de la législature ; il ne nous est pas, dès lors, permis de faire des sacrifices à leur détriment.
Comment ! le droit de fondation existe en Amérique, en Angleterre, en Prusse, en Hollande, d'une manière beaucoup plus large que le projette loi ne le propose ; et l'on se récrie contre ce projet !
Et quelle opinion se ferait-on de notre conduite soit en Belgique, soit à l'étranger ? A l'étranger on dirait la Belgique a les institutions les plus libres du monde entier, et quand il s'agit de bienfaisance, de consolider ce qui existe dans l'intérêt des pauvres, il y a de vaines appréhensions pour la paix publique.
Non, le Belge n'est pas tombé si bas qu'il ne puisse supporter une bonne loi sur les fondations. La question de bienfaisance est une question vivace qui préoccupe tous les esprits en Europe, cela nous indique qu'il est important et opportun de la résoudre dans un sens large et pratique. C'est dans ce sens que je voterai le projet de loi.
M. Frère-Orban (pour une motion d’ordre). - L'honorable M. de Theux avait annoncé qu'il déposerait et développerait dans la séance de demain une motion tendante à faire déclarer par la Chambre qu'il serait procédé à un vote de question de principe. Par convenance, il a pensé, qu'il y avait lieu d'en donner lecture des aujourd'hui,, afin de laisser à chacun le temps de l'apprécier.
Mon intention est de déposer une proposition d'enquête. Par les mêmes motifs que l'honorable M. de Theux, je crois devoir en donner lecture.
Demain ma proposition viendra à son ordre, comme question préalable à la motion de M. de Theux, si la Chambre prononce la clôture de la discussion générale.
L'idée d'une enquête a été émise par un certain nombre de membres dans cette Chambre, moi-même, j'en ai parlé, l'honorable M. Rogier en a parlé également dans la dernière séance, j'ai reçu de mes amis la mission d'en faire la proposition à la Chambre. Je vais en donner lecture :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner une enquête à l’effet de rechercher :
« 1° Quelle est la condition des classes pauvres dans le pays ;
« 2° Si les moyens employés pour, prévenir ou soulager la misère atteignent le but que l’on s'est proposé ;
« 3° Quelles sont les réformes à introduire dans les institutions publiques destinées à secourir les pauvres ;
« 4° Quelles seraient éventuellement les modifications à introduire dans la législation relative aux indigents. »
Demain cette proposition pourra être développée.
M. Verhaegen - Messieurs, plusieurs fois j'aurais pu demander, la parole pour des faits personnels. Je ne l'ai pas fait, parce que je n'ai pas voulu interrompre la discussion ; mais maintenant que mon tour de parole est arrivé, j'espère bien que, la Chambre me permettra d'entrer dans tous les détails que comportent les attaques dont j'ai été l'objet.
Messieurs, les discours que j'ai prononcés dans les séances du 5 et du 6 de ce mois contiennent des faits graves et compromettants pour le clergé, je le reconnais ; je devais dès lors m'attendre à des personnalités : en dehors de cette enceinte, j'ai été l'objet d'injures et de menaces de toute espèce et au-dedans on s'est permis à mon égard des insinuations méchantes, on a même osé m'adresser des démentis.
En ce qui concerne les injures et les menaces du dehors, j'y suis habitué, et, comme homme politique, je me borne à les mépriser ; mais il en est tout autrement pour ce qui se passe dans l'intérieur du parlement : ici je ne supporterai ni insinuations ni démentis d'aucun de mes collègues, et puisque je suis dans le cas de légitime défense, ma réponse sera complète, un peu vive peut-être, et on voudra bien m'écouter sans murmurer.
Je commence par déclarer que, de tout ce que j'ai dit, je n'ai pas un seul mot à rétracter.
Messieurs, j'ai principalement traité le côté pratique de la question, j'ai cité des faits qui sont à la portée du pays, et, en agissant ainsi, j'ai atteint le but que je me proposais. Toutefois, je ne me suis pas dissimulé que mes attaques contre le clergé, qui est aujourd'hui une puissance dans l'Etat, devaient m'exposer à des tracasseries dans mes relations de société et de famille, mais j'avais un devoir à remplir dans l'intérêt de mon pays, et j'eusse considéré mon abstention comme une lâcheté, alors que j'étais obligé de parler, loin donc de m'arrêter, j'ai marché résolument, et je continuerai dans la même voie.
Les faits que j'ai cités étaient nombreux et accablants et quoiqu'on ait eu dix jours pour prendre des renseignements et pour me répondre, on s'est borné à essayer d'en réfuter seulement trois. Les honorables MM. Malou et Dumortier, comme s'ils s'étaient entendus d'avance, ont gardé la même réserve et se sont renfermés dans les mêmes limites.
Je m'occuperai tantôt de ces trois faits à l'égard desquels on ose m'adresser des démentis ; mais avant tout, je veux rappeler tous les autres faits que j'ai signalés dans mon premier discours et dont on ne s'est pas occupé parce qu'il y avait impossibilité de les contester. Ce serait donner trop beau jeu à mes adversaires que de passer outre et de leur permettre de distraire l'attention du pays sur les points les plus importants du débat.
Messieurs, j'ai d'abord cité l'enquête si riche en révélations faite par le parlement anglais, révélations qui se trouvent dans l'ouvrage de mon honorable ami M. Frère. Qu'a-t-on répondu ? Rien.
J'ai emprunté à l'étranger deux faits excessivement graves entre mille autres, concernant deux hommes qui occupent dans l'Eglise une position élevée, deux prélats : j'ai cité un fait de captation préparé et accompli au profit de M. le cardinal Wiseman en 1831, alors vicaire apostolique du Saint-Siège dans la Grande-Bretagne. Il s'agissait d'une fortune considérable qu'un catholique anglais M. Caré, cédant à des obsessions de tout genre, avait léguée au prélat. Ce ne fut qu'une menace de procès qui put décider Mgr Viseman à restituer aux héritiers la plus grande partie de la succession.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
J'ai rappelé l'arrêt rendu par la cour de Paris dans la cause des héritiers Boulnoîs contre l'évoque de Calcédoine et contre l'abbé Coudrin ; il s'agissait là, entre autres, du domaine de Menevillers acquis par l'évêque pour un prix simulé de 180,000 fr., et l'évêque, interrogé sous serment devant la justice, avait été obligé d'avouer que le prix était, en effet, fictif ; qu'il n'avait rien payé, quoique l'acte portât quittance et qu'il s'agissait d'une pure libéralité ; il avait ajouté que la forme de la vente avait été adoptée pour diminuer les frais de vente et aussi pour empêcher les parents de se plaindre, ce qui lui valut une admonestation sévère de la part du magistrat interrogateur.
On a vu aussi comment la fortune entière de la demoiselle Boulnois, évaluée à un million, avait disparu.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
J'ai cité ensuite plusieurs faits de même nature qui se sont passés en Belgique. Je n'ai pu citer que les faits principaux et je vais les résumer en laissant, pour un moment, de côté les trois seuls faits que M. Malou et Dumortier ont essayé de réfuter et que je rencontrerai tantôt. Je vous ai entretenus d'abord des faits excessivement graves qui se (page 1604) passaient en 1851 dans une petite commune des Flandres, sous le titre d’ « exhérédation de Nevele », et voici en deux mots en quoi ils consistent : Isabelle Praet, vieille femme non mariée de près de 90 ans, possédait une fortune de 60,000 francs. Ses héritiers étaient pauvres, et plusieurs fois elle avait témoigné l'intention de leur faire un sort ; à son décès, on trouva un testament instituant pour son héritier unique et universel M. Haems, curé à Borsbeek, et à son défaut son frère, vicaire à Ursel. Il n'y avait rien pour l'Eglise, pas même mention d'un service funèbre J'ai narré dans quelles circonstances déplorables, indignes du caractère sacerdotal, ce testament avait été passé.
Une transaction qui a été insérée au Moniteur mit fin aux légitimes réclamations des héritiers.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
En 1854, un fait de même nature se passait à Meerhout dans la Campine.
Une demoiselle Monique M..., à peine âgée de 30ans, jouissant d'une fortune de 125,000 francs, était atteinte d'une maladie de poitrine qui faisait présager une fin prochaine. Fréquemment elle avait exprimé l'intention de léguer ses biens à sa famille, voulant ainsi dédommager plusieurs de ses parents d'injustices dont ils avaient été victimes dans d'autres successions. Les relations qu'elle entretenait avec sa famille étaient fréquentes et amicales.
Et à son décès on trouva un testament mystique fait dans les circonstances que j'ai citées et par lequel 1° elle ordonne que 10,000 messes à l fr. 1/2 par messe soient dites par les soins du curé de Meerhout et dont l'import, soit 15,000 fr., sera payé audit curé trois mois après le décès ; 2° elle lègue deux immeubles importants, terrains à bâtir, à l'église de Meerhout et 3° elle institue comme héritier universel un notaire avec lequel elle n'avait jamais eu ni relations d'amitié ni relations d'affaires, qu'elle ne connaissait même pas, mais qui était l'ami du curé de Meerhout. Immédiatement après le décès de la testatrice, tous les biens composant sa fortune furent vendus par le prétendu légataire et le prix, on le présume bien, entra dans une bourse autre que celle du vendeur.
Les héritiers spoliés réclamèrent vivement. On transigea.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
En 1855, M. Lauwereys et sa sœur avaient fait un testament qui instituait pour légataires universels M. de Viron, frère de M. le baron de Viron, ancien gouverneur du Brabant, et M. Verlinde, intendant de M. le comte de Mérode-Westerloo.
Ces deux légataires n'étaient évidemment que des personnes interposées pour faire passer plus tard la succession considérable des frère et sœur Lauwereys au couvent de Saventhem.
Des pièces trouvées dans la mortuaire, et entre autres une déclaration des membres de la famille Viron, qui reconnaissait que des propriétés situées à Saventhem et inscrites à leur nom appartenaient au couvent, et qui s'engageaient à remettre ces biens à la communauté lorsque celle-ci serait parvenue à obtenir la personnification civile, étaient certes plus que suffisantes pour donner à quiconque est de bonne foi la conviction que MM. Viron et Verlinde étaient aussi chargés de remettre les biens de la succession Lauwereys à ladite communauté ; mais ces preuves, je le reconnais, n'étaient pas suffisamment juridiques pour annuler le testament, et les pauvres héritiers durent se résigner.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
En 1851, M. Eug Sterckx, archevêque de Malines, primat de Belgique, par deux actes passés devant le notaire Annez, à Bruxelles, achète prétendument d'une demoiselle, alors âgée de 89 ans, trois immeubles, savoir : une campagne à Laeken avec 11 hectares de terre, pour une somme de 67,000 fr., et deux maisons à Bruxelles, l'une habitée par la demoiselle Segers, rue Fossér-aux-Loups, l'autre rue de la Fiancée, pour une somme de 40,000 fr.
Ainsi ensemble 107,000 francs prétendument payés comptant et avec réserve d'usufruit au profit de la venderesse, âgée de 89 ans.
Trois mois après le décès de Mlle Segers, Mgr. Sterckx revendit les deux maisons qu'il aurait achetées, on ne sait pas trop pourquoi ; il fut payé en droit d'enregistrement, transcription et sur la vente et revente comme on dirait une somme de 11,000 fr.
Mais douze ans auparavant, Mlle Segers avait fait un testament (il porte la date du 4 juin 1843), par lequel elle léguait, à quelques-uns de ses héritiers, les trois immeubles qu'elle aurait vendus en 1855 à Mgr Sterckx.
Dans les actes de vente, il y avait évidemment donation déguisée pour Monseigneur personnellement, quant à la campagne qu'il habite et qu'il fait restaurer, et pour le couvent de Saventhem, en ce qui concerne les deux maisons qui ont été revendues immédiatement après le décès.
Les présomptions étaient bien plus fortes que dans l'affaire de l'évêque de Calcédoine.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
Le testament de Mlle Segers de 1843 renferme bien d'autres dispositions curieuses.
Les services funèbres et les messes anniversaires sont institués avec me profusion remarquable.
Trente bonniers d'excellentes prairies à Weerdt sont laissés à l'église de Steenockerzeel, qui doit pourvoir à l'établissement et à l'entretien d'une école qui sera desservie par des religieuses. Et, ce par l'intermédiaire de Mgr l'éyêque de Malines et avec le concours de M. Peeters, curé à Steenockerzeel.
Enfin, elle institue comme héritier universel M. Verlinde, intendant de M. le comte de Mérode-Westerloo (le même qui figurait dans l'affaire Lauwereys), et M. Peeters, curé à Steenockerzeel ; sauf quelques legs insignifiants, sa famille a été déshéritée.
Qu'y a-t-on répondu ? Rien.
Mais ce n'est pas tout, il y a un autre testament que je ne connaissais pas lors de mon premier discours.
Il est du 25 septembre 1854, passé devant le notaire Morren, et il donne à celui de 1843 toute sa signification.
Il confirme l'institution universelle au profit de MM. Verlinde et Peeters et nomme un exécuteur testamentaire qui, au décès de la testatrice, vendra tous ses membres et immeubles et en remettra le prix aux légataires institués.
L'exécuteur testamentaire est gratifié d'un legs de 6,000 francs indépendamment de ses honoraires et débourses comme avocat. Cet exécuteur testamentaire était notre collègue, M. Van Overloop.
Que répondra-t-on ? Rien.
La veuve Bogaerts Torfs avait fait, en 1855, trois testaments dans lesquels elle ne s'occupait que de sa famille sans dire un mot de l'église.
Mais après avoir reçu les derniers sacrements, elle déshérite sa famille par deux testaments des 12 et 14 juillet ; il y a, il est vrai, quelques legs particuliers, mais ils sont insignifiants.
Parmi les libéralités de la veuve Bogaerts Torfs, il y 20,000 francs pour 10,000 messes.
17,000 francs pour 6 anniversaires.
20,000 francs pour un autel à Hoves.
La somme nécessaire pour un ostensoir en or et diamants.
Ses dentelles à l'église.
Depuis, il y a une institution universelle au profit de M. Verhaeghe, avocat de l'archevêque, on sait comment et pourquoi.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
Le ministre de la justice a autorisé les hospices à accepter le legs, mais il y avait un avis de la députation permanente d'Anvers que M. Nothomb n'a pas suivi.
M. Dumortier. - Nous n'avons pas à nous occuper ici de ces faits. Nous y sommes pour faire des lois.
M. Verhaegen. - Comment ! vous m'attaquez, et vous ne voudriez pas entendre ma défense ! Cela vous gêne ; mais j'irai jusqu'au bout.
M. Dumortier. - Cela ne me gêne pas, mais je dis que la Chambre n'est pas ici pour s'occuper de pareilles questions.
M. Verhaegen. - La Chambre est ici pour m'entendre puisque la parole m'a été accordée, et je ne vous ferai pas grâce d'une seule parole.
M. Dumortier. - Vous n'avez pas été attaqué. C'est vous qui avez attaqué.
M. de Naeyer. - N'interrompez pas ; le règlement s'y oppose. La parole est continuée â M. Verhaegen.
M. Verhaegen. - Quand j'ai parlé la première fois de l'affaire Bogaerts-Torfs, on m'a interrompu pour me dire que M. le ministre de la justice avait autorisé les hospices à accepter le legs. J'ai fait exceptionnellement mon compliment à M. le ministre de la justice à cet égard, et je n'ai rien à rétracter de ce compliment, puisque dans cette occurrence il avait suivi les errements de ses prédécesseurs ; mais comme on a parlé dans la discussion de la députation permanente, comme on nous a offert comme une garantie sérieuse l'avis de la députation permanente, je ne serais pas fâché de savoir si la députation permanente n'avait pas, dans l'espèce, donné un avis contraire à la marche qui a été adoptée par M. le ministre de la justice ? Si mes renseignements sont exacts, la députation, prenant en considération la position malheureuse des héritiers, aurait donné l'avis d'abandonner 20 p. c. de la succession à la famille.
M. de Perceval et >M. Vander Donckt. - C'est exact.
M. Verhaegen. - L'avis de la députation permanente était unanime.
M. de Perceval. - Oui !
M. Verhaegen. - Voilà une garantie que l'on fait sonner bien haut, et que d'un trait de plume on fait disparaître ! Que signifie après cela cette garantie ?
J'espère que M. le ministre de la justice voudra bien nous donnera ce sujet quelques renseignements.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous êtes mal renseigné.
M. Verhaegen. - Deux membres de la commission des pétitions déclarent que je suis dans le vrai ; j'attendrai vos explications.
Un nommé Delsaute, de la commune de Soiron, arrondissement de Verviers, avait institué, par un premier testament, le bureau de bienfaisance son héritier universel dans les conditions que la loi prescrit.
Plus tard il changea ce testament en instituant, il est vrai, le bureau de bienfaisance, mais sans rien lui laisser et sous la condition d'établir et d'entretenir un véritable couvent de femmes ; et à défaut par le bureau de bienfaisance d'accepter cette condition il institua le curé de Soiron son légataire universel. J'ai indiqué les termes de cette institution.
Dans tous les cas le testateur avait ordonné cinq cents messes sans, indication de prix.
(page 1605) Qu'a-t-on répondu ? Rien.
J'ai parlé de la succession d'un ancien prémontré de l'abbaye d'Everbode qui possédait une fortune considérable et qui, à son décès, a laissé un déficit considérable.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
J'ai ensuite cité plusieurs détournements de valeurs au détriment des pauvres, j'ai parlé de plusieurs hôpitaux transformés en couvents, j'ai rappelé les citations de mes honorables amis Frère, Tielemans et Van Schoor.
Qu'a-t-on répondu ? Rien.
Nous venons de voir, messieurs, que les principaux faits que j'avais indiqués dans mon premier discours, les faits les plus graves n'ont pas été contestés par les honorables MM. Malou et Dumortier, et que, par conséquent, ces faits sont restés debout.
Ainsi que je l'ai dit tantôt, les honorables MM. Malou et Dumortier se sont bornés à contester l'exactitude de trois faits seulement ; deux de ces faits ont fait l'objet de pétitions adressées à la Chambre, le troisième s'est produit devant la cour d'appel de Bruxelles.
Je rappellerai ces trois faits et je rencontrerai les observations qui se rattachent à chacun d'iceux ; mais avant tout, je veux dire un mot de cette corporation puissante qui a joué un si grand rôle dans le débat.
L'honorable M. Malou et, après lui, l'honorable M. de Theux ont beaucoup parlé des jésuites et ont cherché à les justifier des accusations dont ils ont été l'objet. Quant à moi, je maintiens comme exactes les citations historiques qui les concernent et qui se trouvent dans mon premier discours.
L'honorable M. Malou a fait l'éloge de l’établissement dans lequel il a puisé son instruction. Il est dévoué corps et âme aux jésuites, cela se conçoit ; il est l'admirateur de leurs travaux, scientifiques et littéraires ; il vante les services immenses qu'ils ont rendus à la société et à la religion.
C'est là une réclame au profit des établissements des jésuites, et cette réclame, qui a pour but de saper les quelques établissements laïques qui sont encore debout, ne peut pas rester sans réponse.
On peut faire l'apologie des jésuites, mais, pour cela, il faut se mettre en opposition formelle avec l'histoire, il faut oublier complètement leurs constitutions et leurs maximes, il faut donner aux mots une signification nouvelle : jésuite et acte de jésuitisme ne seraient plus des injures, comme les comprend le vulgaire, ce seraient, d'après l'honorable M. Malou, de véritables compliments.
Puisque le gant est jeté, il faut une bonne fois des explications franches et catégoriques, il faut que l'on sache ce que vaut, au point de vue moral et social, la corporation des jésuites.
Les maximes des jésuites admettent les fraudes pieuses, justifient le faux serment et le faux témoignage quand l'intérêt de l'Eglise le commande. C'est dans les maximes des jésuites qu'on puise ce dangereux principe que le citoyen ne doit pas obéissance à la loi quand sa conviction religieuse s'y oppose, tout comme l'enfant, même mineur, ne doit pas obéissance à ses parents, quand il s'agit d'intérêts religieux.
Ce sont là, messieurs, des principes subversifs de l'ordre social et de la famille. Si l'Etat est subordonné à l'Eglise, le Roi n'est plus que le valet du prêtre ; et si l'enfant est affranchi de toute obéissance envers ses parents, que deviennent les liens de la nature ?
L'honorable M. Orts, il y a quelques jours nous a rappelé ce que le gouvernement de Marie-Thérèse avait fait en 1773 après la suppression des jésuites.
Une commission composée de quatre magistrats respectables et dignes à tous égards de la confiance du pays et du gouvernement fit, sur le vu d'un dossier qui avait été saisi dans la maison des jésuites à Ruremonde un rapport circonstancié. Des accusations nombreuses furent justifiées après des enquêtes contradictoires. Il fut reconnu que la corporation avait abusé de son influence en matière d'enseignement et qu'il n'y avait presque pas de famille belge qui n'eût eu à se plaindre de ses captations.
Des mesures furent proposées par la commission et adoptées par le gouvernement.
Ces pièces se trouvent aux archives, et M. Orts nous a dit qu'il les avait eues sous les yeux.
Ce qui se passait en 1773 en Belgique, s'était passé en France en 1761.
Puisque nous parlons histoire et que l'honorable M. Dumortier aime beaucoup l'histoire, je ne suis pas fâché de lui apprendre qu'en 1761 le parlement de Bretagne, sur un long réquisitoire du procureur général la Chalotais, condamna les maximes de la corporation des jésuites comme subversives de l'ordre social, comme dangereuses pour les rois et pour la société, et ordonna que tous les livres indiqués dans l'arrêt seraient brûlés devant la porte du parlement. Voulez-vous que je lise cet arrêt ?
M. Malou. - Les jésuites me l'ont fait lire.
- Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !
M. Verhaegen. - Je sais bien que ce sont des points historiques qui n'ont pas directement trait à la question, mais mes adversaires se ont placés sur ce terrain, et je ne puis pas me dispenser de les y suivre.
M. Dumortier. - Vous nous avez placés sur ce terrain.
M. Verhaegen. - Voici l'arrêt qui est précédé d'un compte rendu des constitutions des jésuites par M. Louis René de Caradeuc de la Chalotais, procureur général du roi au parlement de Bretagne, les 1, 3, 4 et 5 décembre 1761, compte rendu qu'il serait important de lire s’il ne formait à lui seul un volume.
« Vu par la cour, chambres assemblées, l'arrêt d'icelle du 14 août 1761, par lequel la cour a ordonné que le supérieur des soi-disant jésuites du' collège de Rennes remettrait, dans trais jours, au greffe d'icelle un exemplaire des constitutions de la société se disant de Jésus (…), la cour ayant vaqué pendant plusieurs séances à l'examen desdites constitutions et à la lecture des propositions et assertions insérées dans différents et plusieurs auteurs de la société, etc., reçoit le procureur général appelant comme d'abus.
« Notamment en ce que ledit institut de ladite société serait attentatoire s l'autorité de l'église, à celle des conciles généraux et particuliers, à. celle du saint-siège et de tous les supérieurs ecclésiastiques et à celle des souverains (…)
« En ce que, sous le nom de ladite société, un seul homme exercerait une puissance monarchique sur la société entière répandue dans tous les Etats et sur l'universalité de ses membres et des personnes vivantes sous son obéissance, même sur celles qui seraient exemptes ou pourvues de facultés quelconques, et que cette puissance s'étendrait non seulement sur l'administration des biens et sur le droit de passer tous contrats, d'annuler ceux déjà faits même en vertu de ses pouvoirs, mais seront tellement une et entière que chacun de ceux qui composent ladite société serait tenu de lui obéir aveuglément comme à Jésus-Christ lui-même, quelque chose que commande ce général sans réserve et sans exception, sans examen et sans hésiter même intérieurement ; d'apporter à l'exécution de tout ce qu'il prescrira la même plénitude de consentement et d'adhésion qu'ils ont pour la créance des dogmes et même de la foi catholique ; d'être dans ses mains comme un cadavre, ou comme un bâton dans celles d'un vieillard, ou comme Abraham sous les ordres de Dieu qui lui commandait d’immoler son fils, en se pénétrant au principe que tout ce qu'on lui commande est juste et en abdiquant tout sentiment personnel et toute volonté propre.
« En ce que ladite autorité absolue s'étendrait même sur le contrat naturel qui, liant les membres à la société doit lier la société à ses membres : que néanmoins ladite société ne serait aucunement engagée de son côté tandis que tous ses membres lui seraient définitivement liés, etc.
« En ce que, pour d'autant plus assurer l'exercice de ce pouvoir absolu, l'esprit général dudit institut suivi dans les constitutions serait de n'établir différentes règles apparentes qu'en les détruisant en même temps, soit par des règles opposées qui se trouveraient en d'autres endroits des mêmes constitutions, soit par des distinctions et exceptions de tout genre, ajoutant que, dans la pratique, les membres de ladite société ne sont obligés,, même sous peine de péché véniel, à aucuns des points contenus dans lesdites constitutions, à moins qu'il ne leur soit spécialement prescrit, en vertu de la sainte obéissance, par le supérieur qui a droit de juger de ce qui convient aux occasions et aux personnes.
« En ce qu'il serait accordé audit institut toutes sortes de privilèges,, même ceux qui seraient le plus contraires aux droits des puissances temporelle et spirituelle, à ceux des ordinaires, pasteurs, etc.
« En ce que chacune des dispositions susdites, notamment l'obligation imposée à tous les membres de la société d'une obéissance aveugle, dans l'exécution comme dans l'acquiescement envers toute volonté du général sans examen sur la justice d'un ordre émané de lui, l'étendue des prohibitions portées par lesdites constitutions, le genre de pouvoirs attribués auxdits, soi-disant conservateurs tendraient à compromettre la personne des rois ; que des articles plus précis encore desdites constitutions concourraient à porter atteinte à cette sûreté ; et que d'ailleurs chacun des membres de ladite société étant obligé de se soumettre aux définitions d'icelle dans les objets mêmes de leur doctrine sur lesquels ils auraient des opinions différentes des sentences de l'Eglise, il ne doit et ne peut y avoir qu'une créance, une doctrine et une morale uniforme, dans ladite société, savoir celles qu'elle jugerait les plus accommodées au temps, les meilleures et les plus convenables pour ladite société.
« Permet au procureur général de faire intimer le général de la société dite des jésuites sur ledit appel comme d'abus, etc.
« Ordonne que les livres intitulés Disputationes Roberti Bellamini ad societate Jesu, imprimés à Ingolstad, en 1596.
(Suit une nomenclature de livres du même genre.)
« Seront lacérés et brûlés au pied de l'escalier vis-à-vis la grande porte du palais par l'exécuteur de haute justice comme séditieux, destructifs de tous principes de la morale chrétienne, enseignant une doctrine meurtrière et abominable non seulement contre la vie des citoyens, mais même contre celle des personnes sacrées des souverains ; fait très expresses inhibitions et défenses à tous libraires de réimprimer, vendre ou débiter lesdits livres, à tous colporteurs distributeurs ou arbres de les colporter ou distribuer sous peine d'être poursuivis extraordinairement conformément aux ordonnances, etc., etc. »
Le même arrêt, en attendant qu'il soit statué sur l'appel comme d'abus « enjoint provisoirement à tous étudiants, de vider les collèges de la société et à tous pères, mères, tuteurs, curateurs, ou autres ayant charges de l'éducation desdits étudiants de les en retirer ou faire retirer et de concourir, chacun à leur égard, à l'exécution du présent arrêt comme de bons et fidèles sujets du roi,-zélés pour leur conservation ; leur fait pareilles défenses d'envoyer lesdits étudiants dans aucuns collèges ou écoles de ladite société tenus hors du ressort de la cour ou (page 1606) hors du royaume, le tout à peine contre les contrevenants, d'être réputés fauteurs de ladite doctrine impie, sacrilège, homicide, attentatoire à l'autorité et sûreté de la personne des rois et comme tels poursuivis suivant la rigueur des ordonnances, etc.
L'arrêt est du 25 décembre 1761, et il a été exécuté le 29 du même mois. Les livres mentionnés dans l'arrêt ont été lacérés et brûlés au pied de l'escalier département, vis-à-vis la grande porte d'entrée, par l'exécuteur de la haute justice en présence du greffier civil en chef, assisté de deux huissiers.
Dites encore que ce sont des magistrats qui ne méritent aucune espèce de confiance, comme vous le disiez pour ceux qui ont rédigé en Belgique le rapport de 1773.
Maintenant, messieurs, dans mon premier discours, j'avais cité deux faits concernant les jésuites et qui appartiennent désormais à l'histoire ; ils se rattachent plus spécialement a l'objet dont nous nous occupons, à cette soif immodérée des richesses dans laquelle le projet de loi puise sa raison d'être ; j'avais parlé, mais d'une manière très laconique, de l'affaire d'Ambroise Guys, connue sous le nom des jésuites de Brest, et d'une autre affaire des époux de Viane, connue sous le nom des jésuites de Bruxelles, et ce que j'en avais dit était extrait d'une collection des Causes célèbres.
L'honorable M. Dumortier m'a accusé d'inexactitude, et pour prouver son accusation il a invoqué une lettre de Voltaire à M. Marin, datée de Ferney le 27 avril 1772. Nous verrons tantôt.
Il y a, comme l'a dit l'honorable M. Malou, deux bibliothèques, l'une renfermant exclusivement les livres qui font l'éloge des jésuites et qui sont écrits par eux-mêmes, l'autre contenant des documents historiques et rappelant des faits qui, certes, ne sont pas a l'avantage de la société.
Eh bien, je n'ai eu recours ni à l'une à l'autre de ces bibliothèques, j'ai puisé mes renseignements dans des archives judiciaires et dans le recueil des causes célèbres.
L'honorable M. Dumortier a prétendu qu'Ambroise Guys, auquel on a attribué huit millions de fortune, était un pauvre diable, qu'il ne possédait pas une obole et qu'il est mort si pauvre, qu'il avait été enterré pour l'amour de Dieu. Ce sont, dit-il, les termes de l'extrait mortuaire qui a été produit. Puis, il a cité l'arrêt du parlement de Bretagne qui a écarté la prétention des héritiers Guys.
Or, voici les détails de cette affaire tels qu'ils sont rapportés dans le recueil des causes célèbres. Je n'avais pas été si loin dans mon premier discours, je m'étais borné à une simple énonciation.
Ambroise Guys était d'Apt, en Provence ; son père s'appelait Pierre Guys et sa mère Delphine Escoffier. Il était né le 17 novembre 1615 ; ses parents l'envoyèrent à Marseille où il se fit recevoir maître pâtissier, et il s'y maria, le 16 avril 1640, avec Anne Roux ; il eut deux filles nommées Thérèse et Catherine, cette dernière mourut en bas âge.
Ambroise Guys, qui était demeuré veuf, quitta, en 1661, après le mariage de sa fille Thérèse, son pays pour aller, avec ce qui lui restait d'effets, faire le négoce dans les îles françaises ; mais il fixa son établissement dans le Brésil, où il s'attacha pendant 10 ans à la recherche de la poudre d'or et y amassa des richesses considérables.
Après ce temps, comme il se trouvait riche infirme et âgé de 89 ans, il eut le désir de revoir sa patrie et sa famille ; il s'embarqua sur le vaisseau le Phélippeaux, commandé par M. Beauchêne, sur lequel il fit charger tous ses effets qui consistaient en plus de dix-neuf cent mille livres en or, une somme considérable en argent, huit coffres pleins de pierreries et quantité d'autres marchandises précieuses avec lesquels il aborda le 6 août 1701 à la rade de la Rochelle.
Comme son dessein était d'aller à Paris pour y négocier ses effets et de là retourner en Provence, il s'embarqua sur un petit bâtiment qui allait au Havre de grâce ; mais les vents contraires obligèrent le maître de ce bâtiment de relâcher à Brest.
Ambroise Guys était malade, et comme il avait de la peine à se soutenir, il fut conduit, appuyé sur deux personnes, chez le nommé Guimar, aubergiste sur le quai de la Recouvrance, où ses effets furent aussi transportés.
Il n'y fut pas plutôt arrivé qu'il sentit tout son mal, et se voyant en danger, il crut devoir mettre ordre aux affaires de sa conscience. Comme depuis quarante ans qu'il était dans les îles il ne connaissait plus d'autre sorte de prêtres que les jésuites et envoya chez ceux de Brest pour recevoir d'eux les secours spirituels dont il avait besoin.
On lui dépêcha le père Chauvel, procureur de la maison, homme actif et expert. Celui-ci n'eut pas plutôt connu ce que valait Ambroise Guys qu'il jugea qu'il y avait là un excellent coup à faire et qu'il mit tout en œuvre pour attirer le malade dans la maison de la société.
L'histoire rapporte les mille et un moyens qui furent employés à cet effet ; inutile d'entrer dans des détails sur ce point. Il suffit de savoir qu'Ambroise Guys fut transporté clans la maison des jésuites où il mourut le 15 août 1701.
Les héritiers d'Ambroise Guys, informés des faits et circonstances de l'arrivée et du décès de leur parent à Brest, demandèrent aux jésuites la restitution des valeurs dont leur parent était en possession au moment de sa mort, mais les jésuites allèrent jusqu'à dénier d'avoir jamais eu le moindre rapport avec Ambroise Guys, et cependant plus tard, ils offrirent 150,000 livres pour mettre fin au procès dont ils étaient menacés.
Les héritiers n'acceptèrent pas de transaction et le parlement de Bretagne fut saisi de leur demande en restitution.
Le procès dura plusieurs années.
Les jésuites produisirent à M. le chancelier d'Aguesseau un prétendu extrait mortuaire daté du 6 juillet 1719, qu'ils avaient fait venir d'Alicante et par lequel il paraissait qu'Ambroise était mort le 6 novembre 1665, et « mort si pauvre, qu'il avait été enterré pour l'amour de Dieu ». Ce sont les termes de l'extrait mortuaire.
Ce fut cette pièce qui fut le pivot de la défense des jésuites et du mémoire qu'ils firent imprimera profusion. Ce fut aussi cette pièce qui servit de base à l'arrêt du parlement de Bretagne dont vous a entretenus l'honorable M. Dumortier, et par lequel la demande des héritiers Guys fut écartée.
Mais les héritiers Guys ne s'en tinrent pas là ; ils firent de nombreuses recherches et ils prouvèrent que l'acte de décès qui avait été produit était un acte faux, qu'il ne figurait pas sur les registres d'Alicante d'où l'on soutenait qu'il avait été extrait ; qu'Ambroise Guys était mort, non à Alicante le 6 novembre 1665, mais à Brest le 15.août 1701, 36 ans plus tard ; enfin, que d'après les pièces qui avaient été confiées par le père Chauvel, à son lit de mort, à un de ses amis, lequel les avait fait passer entre les mains de M. le maréchal d'Estrées, il était établi que les valeurs dont Ambroise Guys était eu possession lors de son décès et telles que le père Chauve les avait inventoriées, se montaient au-delà de huit millions.
Ce fut à la suite de la production de toutes ces preuves irréfragables que le 11 février 1736, le roi, bien informé du vol des effets d’Ambroise Guys, commis par les jésuites de Brest, rendit proprio motu, en son conseil privé, un arrêt par lequel Sa Majesté condamna tous les jésuites de son royaume à restituer aux héritiers dudit Ambroise Guys tous les effets en nature de la succession, sinon de leur payer la somme de huit millions par forme de restitution.
Quels que soient les efforts qu'on ait pu faire et qu'on fasse encore aujourd'hui pour nier l'existence de cet arrêt, on n'effacera jamais les déclarations officielles qui la constatent.
M. Dumortier. - Ce n'est pas exact.
M. Verhaegen. - Je ne veux pas m'étendre sur ce point ; ce serait abuser des moments de la Chambre. (Interruption.) C'est de l'histoire.
Il en est de même de l'affaire des jésuites de Bruxelles. (Nouvelle interruption.) Je ne sais où l'honorable M. Dumortier, qui m'a contredit, a puisé ses renseignements, moi j'ai puisé les miens, encore une fois, dans les causes célèbres. Je sais que les fausses pièces, les faux témoignages et l'or aidant, on est parvenu à induire en erreur la justice qui a jugé le pour et le contre ; c'est ce que nous apprend une petite brochure iniT pritn. c en 1845, chez YYoutcrs et compagnie, et dont l'honorable M. Dumortier n'a lu qu'une partie. Je voudrais que, pour l'édification du publie, cette brochure eût une seconde édition et qu'elle fût jetée dans le public à quelques milliers d'exemplaires.
Le procès des époux de Viane a duré plusieurs années. Il y a eu des enquêtes et des contre-enquêtes. Eh bien, six des principaux témoins de la société de Jésus, convaincus d'avoir faussement et calomnieusement déposé en leur faveur, ont été condamnés, par arrêt du conseil de Brabant en date du 1er juin 1743, aux peines communiées contre les faux témoins. Les nommés Koninfloë et Van Brant ont été condamnés à être publiquement fouettés jusqu'au sang et marqués d'un fer rouge, en outre a dix années de prison, et, après l'expiration de la peine, au bannissement perpétuel ; Van Helschen et Dehaes, aussi à être fouettés, marqués et banni, et deux autres, moins criminels, à être exposés à la honte. Versin, le secrétaire du procureur général, qui s'était laissé corrompre, devait subir le même sort, mais il y avait échappé par la fuite.
Cet arrêt se trouve dans les archives de la cour d'appel de Bruxelles ; je l'ai lu et j’en ai pris une copie que je tiens en mains. L'arrêt a reçu son exécution sur la grande place de Bruxelles, le 14 juin 1743. (Interruption ;)
Il est vrai que deux ans après (en 1745), les jésuites prétendirent que de Viane et quatre de ses témoins avaient aussi, de leur côté, attesté des faits faux et que, par sentence du 23 juillet 1745, ils furent condamnés non pas à être fouettés, marqués et bannis, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, mais à des peines moins sévères, savoir : De Viane et le témoin. Cauwe qui étaient en prison furent mis en liberté et ne furent condamnés qu'aux frais de justice ; les témoins Develder et Roose furent condamnés au bannissement et à la confiscation de leurs biens.
M. Dumortier. - On les a condamnés à être fouettés sur l'échafaud, à être bannis, et à avoir leurs biens confisqués au profit de Sa Majesté.
M. Verhaegen. - J'ai ici l'arrêt. C'est une erreur de votre part.
Maintenant voyons ce qu'a dit Voltaire. Ceci est fort curieux. Voltaire n'était pas au courant de l'affaire Viane, il en avait entendu parler vaguement ; il ne connaissait pas même les noms des parties. D'après lui il se serait agi d'une dame Genep et non d'une dame de Viane, il donne aussi un tout autre nom au jésuite Janssens.
Voltaire en écrivant à M. Marin, le 17 avril 1772, à peu près trente ans après les arrêts rendus par le conseil de Brabant, lui parle du procès qu'a à soutenir M. de Morangies, le fils d'un de ses amis, qui demandait la restitution d'une somme de cent mille écus contre des dépositaires infidèles. Il blâme Linguet qui plaide pour les adversaires de M. Morangies et il compare les clients de M. Linguet non pas aux Viane, mais aux jésuites, et il fait à cet égard une de ces piquantes satires, comme il en savait si bien faire.
Certes, Voltaire ne se serait pas posé comme le défenseur des jésuites et s'il y avait eu des jansénistes en présence, ce n'eût pas été à eux que se fussent adressés ses sarcasmes.
(page 1607) L'honorable M. Dumortier, en citant la lettre de Voltaire, a été l'objet d'une mystification.
Maintenant, messieurs, j'arrive aux trois faits auxquels on a cherché à donner une réponse, en laissant de côté les nombreux faits que j'ai indiqués dans mon premier discours et qui sont restés complètement debout.
M. Coomans. - Et l'affaire de la forêt de Soignes ?
M. Verhaegen. - Je n'ai pas à vous répondre dans ce moment ; je vous prie de croire que je ne tiens pas compte de vos interruptions,. et que si on se permet à mon égard de méchantes insinuations, je ne les souffrirai pas. Je réponds en ce moment aux honorables MM. Dumortier et Malou.
M. Coomans. - Je dis que l'affaire de la forêt de Soignes, telle que vous l'avez contée, est un tissu d'inexactitudes d'un bout à l'autre.
M. Verhaegen. - Je dis que c'est de l'impertinence, et je ne réponds pas. Je réponds aux honorables MM. Dumortier et Malou, et j’espère qu'on ne m'interrompra plus.
Il s'agit de trois affaires, celle de Neute, celle d'Asper et celle de la Hulpe sur lesquelles j'ai à m'expliquer.
J'ai dit que dans l'affaire de Neute, comme dans beaucoup d'autres, il y avait eu des personnes interposées pour faire passer les biens à des corporations religieuses ; que ces personnes étaient des membres du haut clergé, et que m'a-t-on répondu ? On m'a dit que Neute était un ancien moine de l'abbaye de Floreffe et que c'était avec des bons ecclésiastiques qu'il avait acheté une grande partie des biens de l'abbaye qui constituaient exclusivement sa fortune ; qu'il était naturel dès lors que ces biens retournassent là d'où ils étaient venus. Erreur complète, messieurs, de la part de mes honorables contradicteurs ! Je tiens ici un mémoire qui a servi dans le procès devant la cour de Bruxelles et il établit par chiffres que Neute possédait, en biens patrimoniaux, une valeur de 220,000 fr. ; que c'est avec ces valeurs qu'il a acheté une grande partie des biens provenant de l'abbaye de Floreffe.
Du reste, il ne s'est pas borné à laisser au séminaire de Tournai ses biens situés dans l'arrondissement de Tournai et au séminaire de Namur les biens situés dans l'arrondissement de Namur ; mais il a institué comme héritier universel, pour le restant de ses biens, monseigneur Labis, évêque de Tournai, et à son défaut, M. Voisin, vicaire général de l'évêché. C'est sur cette institution universelle que frappaient principalement mes observations, et à ces observations on n'a rien répondu. En voilà assez, je pense, pour le premier fait qu'on a osé contester ; je passe au second.
Il ne me faudra que quelques mots pour répondre aux objections que l'honorable M. Dumortier m'a faites au sujet de l'affaire d'Asper, dont la Chambre est actuellement saisie par suite d'une pétition adressée à la Chambre par les intéressés et au sujet de laquelle un rapport nous a été fait le 17 février par M. Tack.
Les faits que j'ai rappelés dans mon premier discours sont ceux qui avaient été narrés par les pétitionnaires, et chose remarquable, on est aujourd'hui en aveu sur les faits principaux. Sabine Degroot est décédée à Asper en 1836.
Par son testament elle a laissé le sixième de sa fortune pour l'érection d'un hospice, sous la surveillance de M. le curé. Ce legs peut être évalué à 40,000 fr.
Jusqu'à présent (1857) il n'y a pas d'hospice à Asper.
M. le curé, qui se considère comme administrateur, n'a pas pu ou n'a pas voulu se mettre d'accord avec les hospices sur l'exécution de la volonté de la testatrice.
L'administration des hospices s'était éventuellement assurée de l'acquisition d'une propriété pouvant servir à un hospice. Depuis quatre ans la demande d'approbation est adressée au gouvernement et nonobstant diverses lettres de rappel, il n'y a pas jusqu'à présent de réponse.
Le curé avoue qu'il a établi à Asper une communauté religieuse ; mais il prétend que c'est à ses frais qu'il a fait cet établissement.
Voilà où on n'est plus d'accord.
On n'est pas d'accord non plus sur l'emploi des revenus de la fondation. Les intéressés prétendent qu'une partie de ces revenus a servi au couvent érigé par M. le curé ; celui-ci dénie le fait, et il s'agit de savoir de quel côté est la vérité.
M. le ministre de la justice, auquel la Chambre a ordonné le renvoi de la pétition, nous donnera, sans doute, sous peu des explications à cet égard.
Ce sont ces explications que j'ai demandées dans mon premier discours et, en narrant les faits exposés dans la requête, j'ai usé d'un droit. (Interruption.)
Parce qu'un homme est revêtu d'une soutane et porte un chapeau différent du nôtre, ce n'est pas une raison pour qu'il faille ajouter foi à ses paroles plutôt qu'aux paroles de ceux qui se plaignent de lui ; ce serait à la fois une injustice et une absurdité !
Mais des faits de même nature se passent, ailleurs et ont partout le même degré de gravité.
Voici un fait qui s'est passé dans l'arrondissement de Louvain et qui va vous prouver combien les administrateurs spéciaux conviennent à la gestion des biens des fondateurs.
M. le curé de Léau a été institué administrateur d'une fondation, il entend gérer à sa guise et sans contrôle.
Des ayants droit lésés se sont adressés au ministre. Le ministre a pris un arrêté de l'avis conforme de la députation permanente par lequel il donne raison au réclamant et rejette les prétentions du curé qui soutient qu'en vertu de certaines instructions du fondateur, non insérées au testament, il ne relève de personne et donne à qui il veut.
On croirait que le curé va se ranger de l'avis de M. Nothomb ; pas du tout, il a mis le parent du fondateur à la porte, disant que le ministre n'avait rien à y voir et qu'on n'avait qu'à le contraindre par la voie des tribunaux.
Les vœux de M. le curé seront énoncés ; et si dans la quinzaine il ne s'est pas exécuté, il aura un compte sévère à rendre de ses prétentions inqualifiables. C'est partout et toujours le même système.
Autre fait :
Un arrêté royal du 24 août 1845, contresigné d'Anethan, a approuvé les statuts d'une congrégation de sœurs hospitalières à Alveringhem arrondissement de Furnes, pour desservir un hospice et une école, le tout gratuitement.
L'article 1, n°3, détermine pour but de l'association : « à tenir une école purement gratuite pour tous les enfants pauvres des deux sexes de la commune. »
L'hospice étant encore à construire, on en a fait les fonds par une liste de souscription avec l'aide de la commune, de la province et de l'Etat.
Cette liste de souscription porte en tête littéralement que les fonds sont demandés pour une école gratuite.
Or, entre autres écarts des statuts, voici comment cette condition est exécuté aujourd'hui.
Destinés aux vieillards comme aux enfants « des deux sexes », les bâtiments ont été faits en double et notamment les locaux pour les deux écoles étaient parfaitement séparés. Mais sous prétexte d'une séparation qui existait de fait, on a commencé par envoyer les petits garçons pauvres à l'école communale primaire pour rendre ainsi vacant le local destiné à ces petits garçons.
Puis ayant le local on a bientôt admis les petites filles payant rétribution. Il y en a aujourd'hui plus de vingt. C'est au point que deux braves filles tenant école depuis nombre d'années pour les petites filles au hameau de Verthem (même commune), ne pourront bientôt plus soutenir la concurrence.
Ce n'est pas tout : la supérieure, à la fin de 1855, a lancé un prospectus où elle annonce que l’établissement ouvrira un pensionnat aussitôt qu'un nombre suffisant de pensionnaires se seront présentées.
Et ce prospectus est signé : « La supérieure du couvent des sœurs de charité à Alveringhem » ; il place l'établissement sous la direction des sœurs et sous la protection de saint Vincent de Paul avec l’aide des autorités ecclésiastiques, mais de l'autorité communale ni de la commission civile des hospices pas un mot !
Ainsi le couvent arbore publiquement son enseigne, et l'institution date de dix ans !
Le notaire Decae, echevin (ancien bourgmestre), avait signé pour 600 francs. Quand il a vu cet abus et d'autres, il a refusé de payer, faisant dépendre son concours pécuniaire de l'exécution des statuts et des conditions de la souscription. De h procès, et le notaire Decoe a gagné son procès devant le tribunal de Furnes.
Vous voyez, messieurs, comment dans certains rangs on respecte les contrats, comment on obéit à la loi, et il en a toujours été ainsi.
J'ai souvent demandé au gouvernement si les sœurs de charité, pour jouir de la personnification civile, rendaient annuellement les comptes auxquels elles sont tenues aux termes du décret de 1809, et jamais on n'a voulu me répondre. Aujourd'hui j'irai plus loin et je ferai une interpellation formelle à M. le ministre de la justice. Si mes renseignements sont exacts, l'archevêque de Malines aurait écrit au gouvernement que les sœurs de charité, plutôt que de devoir fournir des comptes annuels, renonceraient aux avantages de la personnification civile.
Je n'affirme rien ; c'est un renseignement sur lequel je demande des explications et M. le ministre voudra bien nous dire ce qui en est.
L'affaire de la Hulpe, la troisième et la dernière à laquelle j'ai à répondre, est encore une affaire dont nous sommes saisis par suite d'une requête adressée à la Chambre. Il semble vraiment, à en croire nos honorables adversaires, que le droit de pétition soit devenu illusoire !
Qu'ai-je dit dans mon premier discours ? Rien de plus que ce qui se trouvait mentionné dans la pétition et dans les deux testaments invoqués à l'appui.
Voici du reste les faits que M. le curé de la Hulpe n'ose pas désavouer dans leur ensemble :
Quelques jours avant sa mort, Henriette Van Cranenbroeck communiquait à plusieurs personnes le projet qu'elle avait de faire un legs à sa cousine germaine et filleule A. Van Cranenbroeck, fille mineure de Pierre Van Cranenbroeck et de Thérèse Larcier et de récompenser les services que sa servante Thérèse Couter lui avait rendus.
On pouvait d'autant moins attribuer à Henriette Van Cranenbroeck l'intention de léguer à l'église de la Hulpe une somme quelconque, que son mari et elle-même étaient en mauvaises relations avec M. Chevalier curé actuel de la Hulpe, et que depuis plusieurs années M. le curé avait cessé de fréquenter la maison.
Du reste, Henriette Van Cranenbroeck déclarait encore, le 21 mars 1857 à six heures du soir, qu'elle avait fait appeler le notaire Dery pour (page 1608) recevoir son testament et elle citait, à l’exclusion de toute autre disposition testamentaire, les deux legs dont elle parlait depuis quelque temps.
Depuis le commencement du mois de mars le curé visitait journellement Henriette Van Cranenbroeck et le 21 du même mois à 8 heures du matin, il entendait sa confession et lui administrait le viatique.
Vers le milieu de la journée du 22 mars, la malade chargea le sieur Simonart d'appeler maître Dery, notaire à Ohain, pour recevoir son testament, mais le notaire Dery, retenu chez lui par une indisposition, se trouva dans l'impossibilité de se rendre à la Hulpe.
Le même jour, à 8 heures du soir, le prédit Eugène Simonart fut chargé par Henriette Van Cranenbroeck de se rendre à Wavre pour appeler un notaire ; Me Bette, de résidence dans cette ville, arriva à la Hulpe vers minuit et demi ; il fut immédiatement introduit chez la malade. Eugène Simonart convoqua les sieurs Thirion, Goffiaux et Geef qui devaient être avec lui témoins au testament.
Tous arrivèrent au domicile de la testatrice à une heure et quart du matin et le testament fut immédiatement reçu dans une chambre au premier étage. Cet acte concerne les deux legs dont Henriette Van Cranenbroeck avait parlé dans le cours de sa maladie.
Le testament étant reçu maître Bette descendit avec les témoins. Thérèse Coutere resta auprès de la malade.
Quelques instants après Thérèse Contere, appela Eugène Simonart auprès d'Henriette Van Cranenbroeck qui avait des faiblesses répétées. On se souvint alors que la malade n'avait pas reçu l'extrême-onction ; ou chargea le sieur Simonart d'aller quérir M. le curé pour administrer ce sacrement.
M. le curé était à peine sorti du presbytère qu'il demandait au sieur Simonart si Henriette Van Cranenbroeck avait fait son testament : Simonart répondit affirmativement. M. le curé lui demanda ensuite si elle avait fait quelque chose à l'église : la réponse du sieur Simonart à cette question fut négative. M. le curé insista, il demanda à plusieurs reprises au sieur Simonart s'il était bien certain que la malade n'eût rien fait en faveur de l'église ; la réponse de Simonart à cette question ne varia point, il répéta que la malade n'avait fait aucun legs en faveur de l'église.
M. le curé s'empressa d'administrer l'extrême-onction et il profita de la courte absence de Thérèse Coutere qu'il avait chargée d'aller chercher une assiette, pour dire à la malade que si elle ne faisait pas un legs à l'église on ne prierait pas pour elle.
Henriette Van Cranenbroeck céda aux instances de M. le curé et consentit à léguer à l'église une somme de mille francs.
M. le notaire Bette et les témoins se trouvaient encore dans la maison,. ils furent rappelés à l'instigation de M. le curé et un second testament par lequel la fabrique de l'église de la Hulpe obtint un legs de mille francs, fut passé immédiatement.
M. Malou, rapporteur. - Et vingt ares de terre à une pauvre parente.
M. Verhaegen. - Parce qu'on ne voulait pas que, dans le second testament, il n'y eût que le legs fait à l'église, ; toutefois le legs à l'église figure en première ligne.
M. Osy. - C'est expliqué dans la lettre du curé.
M. Verhaegen. - La lettre du curé, on l'a lue et on y aura tel égard que de raison. Du reste dans cette lettre M. le curé avoue que c'est lui qui, le premier en arrivant, a parlé à Henriette Van Cranenbroeck du legs dont il s'agit, mais il faut joindre à cette lettre les renseignements que j'ai reçus d'une personne respectable occupant une position civile importante dans une commune voisine, renseignements qui se résument dans les faits que j'ai narrés et qui sont conformes à l'exposé présenté à la Chambre par les pétitionnaires.
Les deux testaments portent la même date, mais les numéros du répertoire du notaire démontrent que celui qui lègue mille francs à l'église est postérieur à celui qui ne renferme que deux legs au profit des héritiers ; le premier porte le n° 36, le second le n° 37.
Il est vrai que le legs de 1,000 francs au profit de l'église est grevé de la charge, non pas de cinq obits annuels, comme l'ont prétendu les honorables MM. Malou et Dumortier, mais de cinq simples messes qui, dans le testament de Sabine Degroote sont évaluées à 1 francs 50 centimes par messe et dans le testament de la veuve Bogaerts Torfs à 2 fr.
En définitive ce sont de malheureux ouvriers gagnant 1 fr. 25 c. par jour qui se voient enlever par l'Eglise, n'importe quel soit le prétexte, la petite fortune de leur parente ; car tout est relatif : le second testament qui les dépouille a été fait une demi-heure après le premier, et-une demi-heure avant le décès de la testatrice ; on voit que M. le curé n'a pas perdu de temps et qu'il a su profiter des circonstances.
M. Frère-Orban. - Voilà le fait grave. Il révoltera toutes les consciences.
M. Verhaegen. - Encore une fois, faut-il s'en rapporter aveuglément à ce que dit M. le curé, par cela seul qu'il est revêtu d'un caractère sacré ? S'il en est ainsi, nous devons désormais renoncer à dévoiler des abus et que sera-ce, grand Dieu ! pour les abus qu'amènera sur une large échelle la loi que vous allez voter !
J'ai signalé dernièrement des faits très graves qui s'étaient passés à l'école vétérinaire et j'ai demandé une enquête à laquelle on s'est obstinément refusé parce qu'il s'agissait d'un ecclésiastique, de l'aumônier ; et quand j'ai insisté on â fini par faire amende honorable et par promettre que l'abus signalé ne se répéterait plus.
D'après des renseignements puisés à une source sûre, un fait très grave se serait passé à Mons au service funèbre de notre ancien collègue M. Lecreps ; une distribution de pains se serait faite par M. le curé de la paroisse, et certains pauvres auraient été exclus de cette distribution parce qu'ils ne pouvaient pas rapporter de billets de confession !
Si je signale ce fait à la Chambre, on me repoussera par une dénégation de M. le curé, et si je demande une enquête, on s'y opposera. Voilà la marche suivie pour étouffe la vérité. Cependant le fait est certain.
M. de Moor. - C'est positif.
M. Verhaegen. - Voilà ce que c'est qu'un curé exerçant comme administrateur spécial ! Voilà les garanties qu'on offre aux pauvres !
Messieurs, vous venez d'entendre la protestation de l’administration communale de Roulers, c'est encore la même chose !
On a donné dans cette enceinte un démenti formel à mon honorable ami M. Frère, sur les abus qu'il avait signalés, et lorsque ces faits sont déclarés en tous points conformes à la vérité par une administration publique, composée de citoyens respectables, on se permet encore de répéter le démenti, parce qu'il s'agit de religieuses et d'un aumônier, et qu'eux seuls méritent croyance.
S'il en est ainsi, nous devons renoncer à discuter : Tous les abus qui seront commis à la suite de la loi reçoivent d'avance l'absolution, surtout que les administrateurs spéciaux seront presque toujours pris parmi les membres du clergé et que ceux-ci sont à l'abri de toute suspicion pour l'opinion qui gouverne, et que nous, qui les attaquerions nous serions signalés comme des athées, des voltairiens. des ennemis de la religion !
Messieurs, on en revient aujourd'hui aux anciennes maximes et il en est qui sont bien dangereuses, entre autres ; on paraît rappeler cette maxime surannée que les évêques introduisirent après la fameuse loi de Constantin dans l’intérêt du clergé, à savoir qu'il faut rapporter tout à Dieu afin de donner tout à ses ministres. En d'autres termes, qu'un chrétien ne doit pas mourir sans donner à l'Eglise, qui est sa mère, un témoignage de sa piété filiale.
Voici une note écrite par le judicieux Delaurière au mot Exécuteur testamentaire du glossaire de Rageau.
« Les legs pieux, dit-il, furent de si grande obligation que dans les XIIème, XIIIème et XIVème siècles on refusait l'absolution, le viatique et la sépulture à ceux qui en mourant n'avaient pas laissé une partie de leurs biens à l’Eglise. S'il arrivait que quelqu'un mourût subitement sans avoir eu le temps de faire un don à l'Eglise, cette mort était regardée comme un châtiment de Dieu.... on employait les biens meubles du défunt en œuvres pies comme il aurait dû faire lui-même... on feignait qu'il avait remis sa dernière volonté à la disposition de ses proches et de son évêque ; et sur ce fondement les évêques commettaient ordinairement des ecclésiastiques pour faire le testament du défunt, conjointement avec quelques-uns de ses héritiers. Quand les héritiers ne voulaient rien donner, le défunt était privé de sépulture, ce qui leur attirait une indignation tellement universelle, qu'ils étaient obligés de souscrire aux testaments que l'évêque avait faits.
Voici le texte d'un de ces testaments faits loco defuncti, comme on disait alors ; il est en latin et se trouve dans la Thomassière, coutume de Berri, partie V, chap. XVIII, nous traduisons : « A tous ceux qui le présent acte liront, nous Alain de Nouella, soldat, et Gautier, chanoine de Reims, salut : que l'on sache que nous avons eu charge de faire le testament de notre frère Pierre ; en conséquence nous léguons aux moines de Nouella pour le salut de son âme trois mesures de vin par an afin qu'il célèbre son anniversaire et deux mesures au curé de Nouella et nous voulons que les cinq mesures prédites seront prises sur sa vigne de Nouella jusqn'à ce qu'on ait pu acheter une terre donnant un revenu de 20 livres parisis. Sur le produit de cette terre les moines auront quatre parts et le curé la cinquième. »
Vous le voyez, messieurs, on ne refaisait pas les testaments à cette époque, mais on en faisait aux lieu et place des testateurs.
M. Dumortier. - C'est complètement inexact ; l'histoire est là.
M. Verhaegen. - Je vous cite la source.
M. Dumortier. - Votre source est inexacte.
M. de Naeyer. - Conformons-nous au règlement et n'interrompons pas.
M. Dumortier. - Mais il faut, M. le président, qu'on nous dise des faits certains et qu'on ne vienne pas nous lire des histoires pareilles.
M. Verhaegen. - Je n'ai acté que des faits qui sont constatés par des documents irrécusables.
M. Dumortier. - Prenez Guizot et tous les écrivains sérieux ; vous ne trouverez pas un mot de cela. C'est une contre-vérité historique que vous nous débitez ici.
M. Verhaegen. - Après avoir répondu aux reproches d'inexactitude quant aux trois seuls faits signalés par nos honorables contradicteurs, je pourrais encore citer des faits nouveaux.
M. Rodenbach. - En voilà bien assez !
M. Verhaegen. - Je pourrais vous citer l'affaire de la famille Carols qui se rattache au couvent de la Visitation, rue des Sols. Cette affaire est connue de toute la ville de Bruxelles et je m'abstiens de détails.
Mais je tiens surtout à vous dire un mot de l'affaire de feu le notaire Beckers de Vilvorde, qui a laissé une fortune de sept à huit cent mille (page 1609) francs. M. Beckers avait fait en 1846 un testament par lequel ii laissait toute sa fortune à M. Peeters, curé à Steenockerzeel, le même qui fut institué légataire universel par la demoiselle Segers.
C'était évidemment encore une personne interposée dans l'intérêt de leur couvent ; les héritiers légaux de M. le notaire Beckers étaient un curé du nom de Terwecoren, et un jésuite du même nom. Ces messieurs furent indignés de l'exhérédation dont ils étaient les victimes, ils crièrent bien haut ; et intentèrent un procès au curé Peeters.
Notre honorable collègue M. Van Overloop, que je regrette de ne pas voir à son banc, se chargea de la défense des héritiers exclus. Lui aussi, à cette époque, criait à la spoliation, à l'intrigue, et il fit si bien qu'à l'intervention de quelques gros bonnets du clergé, désireux d'éviter un grand scandale, ses clients obtinrent, à titre de transaction, le tiers de l’hérédité.
Le curé qui avait été exclu par son parent en fit une maladie, et si mes renseignements sont exacts, il mourut dans une maison de santé à Louvain. Le jésuite dut se contenter de ce qu'on voulut bien lui abandonner, et cela prouve une fois de plus, comme je l'ai dit, que ce ne seront pas les libéraux qui seront les seules victimes.
Je pourrais multiplier ces citations. Mais c'en est assez. Néanmoins, avant déterminer, je dois rencontrer ce qui a été dit quant à la circulaire de l'évêque de Gand.
Messieurs, on m'a adressé des reproches amers pour ce que j'ai dit de cette circulaire. Eh bien, nonobstant la prétendue justification de Monseigneur, je maintiens tout ce que j'ai avancé sans en retrancher un seul mot.
La circulaire a pour but de rechercher les faits qui tiennent à l'histoire ; je le veux bien, je l'ai dit, mais au beau milieu de toutes les phrases entassées les unes sur les autres, il y a quelque chose qui est plus ou moins caché et qui est bien grave. Ce quelque chose ; je l'ai mis à nu, et j'en ai fait apprécier les conséquences ; c'est alors qu'on s'est fâché.
Messieurs, quelle que soit la colère de mes honorables adversaires je répète ce que j'ai dit dans mon discours : l'évêque, après avoir demandé des renseignements historiques sur l'état du clergé belge dans les temps anciens, désire savoir ce que sont devenus les bâtiments des anciens monastères et abbayes ; qui en a été le premier acquéreur et en quelles mains en a plus tard passé la possession. Il fixe surtout l'attention, et pour cause, sur ce qui se passa sous Joseph II. Voici les termes de la circulaire :
« Les documents à rechercher se rapportent, les uns à la domination autrichienne de Joseph II, l'autre à la république française, d'autres enfin à des temps plus rapprochés de nous, c'est-à-dire, depuis le commencement du XIXème siècle jusqu'à nos jours.
« On sait que, par ses décrets insensés et arbitraires, Joseph II ne cessa de molester les évêques et le clergé, et de jeter le trouble dans toute la discipline ecclésiastique. Il changea et défit toutes les lois de l'Eglise relatives au mariage, aux vœux monastiques, aux jours de fête, au culte des reliques, aux pèlerinages, etc. Il ferma les séminaires épiscopaux et l'université de Louvain ; il érigea un séminaire général où la tâche de former le clergé fut confiée par lui à des maîtres de son choix.
« Il supprima en outre plusieurs monastères, abbayes et autres asiles pieux ; il s'empara de leurs biens et n'épargna pas même leurs églises ; le plus souvent il les fit servir à des usages profanes, ou bien elles furent démolies ou vendues.
« Pour ce qui regarde le temps de Joseph II, les recherches doivent avoir pour objet d'abord la manière dont chaque maison religieuse a été supprimée : puis les personnes, dans le but de connaître, par exemple, si au nombre des religieux et religieuses expulsés il en est qui ont fait preuve d'un courage remarquable, ou si on compte dans leurs rangs des hommes distingues par leur zèle apostolique ou par leur science, leurs écrits, etc. Il sera bon aussi de dire ce qu'on a fait des reliques qu'on y conserverait, des bibliothèques et d'autres monuments de piété.
« Il ne sera pas non plus inutile de rechercher ce que sont devenus les bâtiments des monastères et abbayes, qui en a été le premier acquéreur, en quelles mains en a passé plus tard la possession, à quoi servent maintenant ces édifices, ou ce qui existe actuellement sur le sol où ils se trouvaient autrefois ; enfin et surtout, « si l'on a conservé les églises de ces maisons supprimées, » si on les a démolies ou profanées.
« Après Joseph II, dont le règne déplorable ne fut que le commencement de nos douleurs, éclata, sous la république française, une tempête beaucoup plus violente, et telle, comme le dit Pie VI, que, de mémoire d'homme, l'enfer n'en suscita jamais aussi furieuse contre l'Eglise.
« On vit alors supprimer tous les monastères et abbayes, fermer et profaner tous les temples, et le clergé forcé de prêter des serments illicites ou de subir la peine de l'exil sur les plages de l'Amérique. »
Vous le voyez, messieurs, la circulaire s'attache surtout à l'époque de Joseph II, elle fait une distinction entre les biens nationalisés à cette époque et ceux nationalisés sous la république française, et cela, parce que, comme le font remarquer certains journaux catholiques, l'article 13 du concordat n'a approuvé les ventes des biens du clergé que pour autant que ces ventes eussent été faites conformément aux lois qui étaient alors en vigueur, réserve qui paraît exclure de l'approbation les biens nationalises sous Joseph II.
Il y avait une autre réserve dans le concordat, c'était celle qui concerne les charges financières affectant ces biens.
Et après la demande de renseignements suit une véritable intimidation laissée à la prudence des curés, c'est-à-dire des directeurs de conscience exerçant une influence suprême au lit de mort.
Ecoutez :
« Bien qu'il vaille mieux, dit la circulaire, montrer au peuple l'exemple des vertus que celui des vices, cependant il ne faut point cacher les scandales ni les actions injustes ou infâmes, pourvu toutefois qu'elles aient été rendues publiques jadis, soit juridiquement, soit par le fait. Et qu'on ne soit pas détourné de confier ces choses au papier par la crainte que tous ces documents ne soient divulgués sur-le-champ, inconsidérément et indistinctement, au détriment de la réputation des personnes survivantes et des familles. Car si quelque chose est mis au jour, ce ne sera qu'après un prudent examen. Les pièces qu'il ne sera pas expédient de publier seront conservées discrètement dans nos archives jusqu'à ce que la prudence permette de les mettre en lumière. »
Je défie tout homme impartial, en lisant cette circulaire, de ne pas y trouver ce que j'ai signalé, dans mon premier discours.
Mais ce qui se trouve dans la circulaire se trouve répété et développé dans les principaux organes de l'épiscopat.
Dans son numéro du 10 mai, le Journal de Bruxelles écrivait, et son article a été répété par l'organe de l'évêque de Bruges la Pairie, ce qui suit :
« Il est évident que l'Eglise avait le droit de posséder sous l'ancien régime. Cette assertion est fondée sur un principe de droit naturel qui a été reconnu dans tous les temps et chez tous les peuples, et qui est consigné dans nos lois civiles, lois qui, comme toutes les lois, ne sont que des applications spéciales du droit naturel. Du reste, il est impossible de nier ce principe, sans nier du même coup le droit de possession des provinces, des communes, des hospices, des bureaux de bienfaisance, etc.
« Lorsqu'il est donc arrivé qu'en 1789 l'Assemblée nationale mit à la disposition de la nation tous les biens ecclésiastiques, elle posa un acte aussi inique que si notre parlement déclarait propriétés nationales les propriétés des provinces, des communes, des hospices et des pauvres. On comprenait en 1848 que, si l'on refuse d'appeler de pareils actes des spoliations, on est désarmé vis-à-vis des socialistes. On oublie trop tôt qu'ils ont démontré qu'on n'a aucune raison de qualifier leurs principes de théorie du vol, si l'Etat a le pouvoir de nationaliser les biens des communautés.
« A quel titre les propriétés particulières seraient-elles plus respectables que les propriétés affectées à des services publics spéciaux ?
« Il n'est donc que trop certain que tous ces attentais commis par les gouvernements contre les propriétés ecclésiastiques sont de véritables spoliations. Aucun catholique ne saurait les considérer d'un autre œil.
« Mais après que ces actes déplorables ont été accomplis et surtout après que les biens ont été aliénés, que reste-t-il à faire aux prélats de l'Eglise ? Il est évident que, puisqu'ils ne sont que les administrateurs des biens ecclésiastiques, il est de leur devoir de récupérer tout ce qu'il leur est possible de recouvrer ; mais habituellement ce devoir est grandement limité par des considérations d'un ordre supérieur.
« D'ordinaires les spoliations se sont faites au milieu de commotions politiques et religieuses, et comme c'est une obligation pour les particuliers de se soumettre aux pertes, sans lesquelles il est moralement impossible de rétablir la paix, l'Eglise est aussi tenue de faire des sacrifices dans le même but. »
Puis il dit que la vente des biens nationaux a été sanctionnée par Pie VII dans l'article 13 du concordat de 1801.
Il ajoute ensuite :
« Il est très vrai qu'il a existé et qu'il existe encore une certaine répulsion à l'égard de ces biens ; que beaucoup de consciences ont été travaillées de doutes ; que les confesseurs et les évêques ont dû s'adresser souvent à la sacrée pénitencerie ou au pape lui-même pour avoir des explications ; mais il a été constamment répondu que ces biens sont dans la pleine propriété des acquéreurs, in plena acquirentium proprietate este ; de sorte qu'ils peuvent les retenir, en jouir, les aliéner sûrement et librement, adeo ut ea retinere, iis gaudere atque alienare etiam illa tuto ac libère possint ; et cela non seulement dans le for extérieur, mais encore dans le for intérieur, in foro tum interno, tum externo ; pourvu cependant que l'acquisition en ait été faite selon les lois alors en vigueur ; dummodo tamen acquisilio facta fuertl secundum lega tune vigentes.
« Dans ces réponses le Saint-Siège exorte, hortatur, quelquefois les acquéreurs à acquitter les charges pieuses qui incombaient autrefois à ces biens, mais en même temps il fait connaître que c'est un pur conseil qui n'implique aucune obligation. »
Remarquons, comme je l'ai dit, que le pape ne sanctionne que les acquisitions qui ont été faites selon les lois alors en vigueur.
Remarquons encore que dans ses réponses le saint-siège exhorte quelquefois les acquéreurs à acquitter les charges qui incombaient autrefois à ces biens.
Et c'est après tout cela que le Journal de Bruxelles crie à la calomnie et prétend que l'Eglise ne forme plus aujourd'hui aucune prétention sur ces biens.
Voilà pour la théorie.
Voyons maintenant ce qui se passe en pratique.
On pourrait citer plusieurs exemples de restitutions de biens nationaux (page 1610) qu'on appelle les biens noirs faites, sur le conseil des directeurs de conscience, surtout dans les campagnes.
Nous nous bornerons à citer deux faits récents, l'un prouve que la question qu'on dit avoir été définitivement résolue par le saint-siège ne l'est pas pour tout le monde, l'autre constate une véritable restitution.
Le Journal de Mons, dans un de ses numéros de la semaine dernière, rapporte ce qui suit :
« On se préoccupe beaucoup de la circulaire de l'évêque de Gand, relative aux biens ecclésiastiques aliénés par le gouvernement autrichien et la république française. Voici à ce sujet une anecdote qui court et dont on nous garantit l'exactitude :
« Une belle habitation est vacante en notre ville depuis quelque temps par suite du départ de son locataire, fonctionnaire public appelé à Bruxelles. M. X., un de nos hommes pieux, la convoita ; elle lui convenait sous tous les rapports : son emplacement, la distribution des appartements étaient à son gré. Bref cette maison lui parut être une bonne acquisition ; mais il se souvint que ce bâtiment, doué d'aussi brillants avantages, avait le malheur d'avoir été affecté à un couvent, qu'il avait été nationalisé sous le régime républicain.
« Se faire l'acquéreur de cette maison, n'était-ce pas consacrer le principe de la spoliation, et reconnaître au premier occupant son droit de propriété ? N'était-ce pas enfin se rendre complice des « vols » dont l'Eglise et les corporations religieuses avaient été victimes au siècle dernier ? Et puis l'Eglise sanctionne-elle la vente de ses anciennes possessions ? Ces diverses questions tourmentaient l'esprit de notre bon et pointilleux catholique : ne se fiant pas à ses propres lumières pour les résoudre, il soumit, il y a quelque temps, ses scrupules à un curé.
« L'ecclésiastique l'écouta gravement, puis il lui conseilla de s'adresser au pape.
« - Mais c'est très facile, répondit l'autre charmé.
« - Certainement ; le pape est assez accommodant ; il vous relèvera aisément de l'interdiction, pour la légitime acquisition de cette propriété. Il ne pose que de très légères conditions.
« - Ah ! il y a des conditions ? interrompit M. X. déjà un peu refroidi.
« - Peu de chose, vraiment. Moyennant une couple de milliers de francs, votre affaire sera nette et votre conscience tranquille.
« Notre honnête catholique ne partagea point l'avis du curé sur la modération des conditions exigées. Il abandonna avec regret ses projets sur le ci-devant couvent qu'il ne pouvait acquérir qu'en ajoutant au prix d'achat un supplément assez rondelet, au profit de la caisse ecclésiastique.
« Nous parions que cette propriété interdite trouvera à Mons un homme assez impie, assez révolutionnaire pour s'en faire l'acquéreur sans songer à se libérer envers l'Eglise. »
Ce fait m'a été confirmé par des hommes qui méritent toute confiance.
Le second fait, qui est une véritable restitution, se rencontre dans la succession de mademoiselle Vifquain, de Tournai.
Mlle Vifquain qui avait fait une donation de tous ses biens aux hospices civils avait réservé trois maisons ; savoir, une maison qu'elle habitait quai Quatre-Bras à Tournai, une seconde rue Haigue (ces deux maisons avaient formé autrefois un couvent), la troisième était également située à Tournai.
C'est par arrête du 31 janvier 1857 que le gouvernement a autorisé l’administration des hospices à accepter le legs de Mlle. Vifquain s'élevant à 3 ou 4 millions (preuve, soit dit en passant, que les administrations civiles méritent confiance), et le gouvernement, dans les considérants qui procèdent l'arrêté, s'appuie sur la considération que la donatrice a réservé trois immeubles pour ses héritiers.
Eh bien, le même jour 31 janvier Mlle Vifquain vendait à M. le comte de Nedonchelle les deux maisons qui avaient formé autrefois un couvent, pour une somme de..., payée comptant.
Ce comte de Nedonchelle est le même qui a été la personne interposée pour l'établissement du couvent des clarisses colettines, à Tournai. Il est évident que c'est bien là la restitution d'un bien national qui se trouvait dans la succession de Mlle Vifquain, et l'événement nous prouvera bientôt qu'il en est ainsi.
La troisième maison a été vendue aussi pour une somme prétendument payée comptant à M. Deslee, membre de la société de St-Vincent-de-Paul pour y établir une école dirigée par des religieuses.
Messieurs, encore un mot et j'ai fini.
L'honorable M. Malou, en terminant son discours, nous a jeté une terrible menace....
M. Malou. - Un avertissement.
M. Verhaegen. - Eh bien, je vous en donnerai un autre. L'honorable M. Malou a dit ; je transcris ses paroles :
« Si nous n'avions ce petit abri pour la liberté de fonder et si nous étions hostiles aux établissements officiels, nous formerions une vaste association administrant toutes les fondations qui lui seraient confiées, une société de bienfaisance, société perpétuelle, placée en dehors du contrôle de l'autorité publique, possédant des meubles et des immeubles, qui attirerait à elle toutes les donations comme elle voudrait, qui procéderait de l'idée catholique, et cette grande association qui est permise, contre laquelle vous ne pourriez rien à moins de lois spoliatrices serait avant peu d'années une grande puissance politique..... »
Je m'arrête un instant pour faire remarquer à l'honorable M. Malou, que cette vaste société qu'il médite ne pourrait pas s'établir aussi facilement qu'il le prétend ; d'abord, elle ne pourrait pas revêtir la forme anonyme, car pour la société anonyme la condition essentielle est que l'objet soit commercial ; et quant à la société civile, elle ne peut pas être perpétuelle, et elle peut comprendre que les biens présents, les biens futurs en sont exclus. La loi est formelle à cet égard et l'honorable M. Malou le sait bien.
Cela n'a pas empêché M. Malou d'ajouter :
« Quand on vous refuse la plus petite parcelle d'air et de liberté je dis : vous nous donnez le droit de demander la séparation de patrimoine.
« Vous nous avez menacés du retrait de la loi, vous avez dit que ce serait le programme de l'opinion libérale. Un autre membre a été plus loin et a dit qu'on la rappellerait avec effet rétroactif. Le jour où vous ferez cela, le jour où vous réussirez à la faire rappeler, ce que je viens de vous expliquer, je le déclare nettement, nous le ferons. »
Ah ! vous le ferez ; vous parlez au futur, et vous devriez parler du passé. Ce que vous aimeriez vouloir faire, vous l’avez fait, ou tout au moins vous l'avez tenté. Vos efforts peut-être, n'ont pas été couronnés d'un succès complet. Je tiens en mains la constitution et le compte rendu de la société du crédit de la charité ; le président de la société est M. Ferdinand Meeus et j'ai lieu de croire que quelques sociétés, sous le patronage de la Société Générale concurrent à cette œuvre, et prêtent leurs noms pour établir et entretenir des corporations religieuses. Il serait même possible que quelques caisses de secours ou de prévoyance leurs vinssent en aide.
Si je suis bien informé, on a inauguré mardi dernier, à Jemmapes, un établissement qui n'est autre chose qu'un couvent de sœurs quêtantes. La propriété, qui a une valeur de 60,000 à 80,000 fr., a été achetée au nom de M. Meeus, gouverneur de la Société Générale. Lors de cette inauguration, un père jésuite est monté sur une estrade en face de l'établissement et a fait un sermon en faveur de la loi que nous discutons en ce moment ; toutefois il a prêché dans le désert, car les populations n'avaient pas répondu à l'appel, comme on s'y était attendu.
Voilà, messieurs, pour le présent et pour le passé ; mais l'honorable M. Malou nous menace encore de quelque chose beaucoup plus formidable pour l'avenir : il nous menace d'une vaste société financière, destinée à encapuciner la Belgique....
A cette menace, toute terrible qu'elle est, je répondrai par un simple avertissement qui se rattache à un droit de légitime défense. Le jour où l'honorable M. Malou établira la vaste société financière dont il nous a fait connaître le but, nous, de notre côté, nous créerons une vaste société d'assurances mutuelles contre les suggestions et les captations du clergé.
Le pays et surtout les campagnes retireront des avantages réels d'une pareille société et l'opinion libérale aura, de son côté, un contrôle de tous les jours contre les abus.
Je dirai donc à l'honorable M. Malou tout aussi carrément qu'il l'a dit lui-même : « Cette société d'assurances mutuelles, vous l'aurez. »
Et si les forces venaient à nous manquer, nous aurons la consolation de voir notre opinion se recruter d'athlètes nouveaux, jeunes et vigoureux qui achèveront notre œuvre et nous pourrons du moins nous écrier : Non, la Belgique n'est pas morte, non, la Belgique ne mourra pas ! ! !
- La séance est levée à 5 heures.