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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 6 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1463) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Tack lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Accarain, directeur-gérant de la société anonyme des hauts fourneaux et fonderies de Dolhain, présente des observations sur la pétition des propriétaires de la province de Liège, ayant pour objet, la libre sortie des minerais de fer par la frontière de Prusse, et demande l'établissement d'un droit de sortie protecteur si la prohibition à la sortie ne pouvait être maintenue. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Les membres du conseil communal de Lanaeken demandent l'établissement d'un bureau de poste dans cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. de Renesse demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Proposition de loi augmentant le personnel du tribunal de première instance de Namur

Lecture, développements et prise en considération

M. de Naeyer. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi qui a été déposée sur le bureau et qui est ainsi conçue :

« Article unique. Le personnel du tribunal de première instance de. Namur, tel qu'il a été fixé, en dernier lieu, par la loi du 18 juin 1849, est augmenté d'un juge.

« Bruxelles, le 5 mai 1857.

« X. Lelièvre. »

- La Chambre décide qu'elle entendra immédiatement les développements de cette proposition de loi.

M. Lelièvre. - Messieurs, la bonne administration de la justice touche aux intérêts les plus sacrés de la société. Pour l'assurer convenablement il est indispensable que le personnel des tribunaux soit suffisant pour expédier régulièrement les affaires qui leur sont déférées.

Or, l'expérience a démontré que la loi du 15 juin 1849 ne satisfait, pas, sous ce rapport, à des nécessités impérieuses. Dans plusieurs localités, l'administration régulière de la justice est entravée, et cet état de choses donne lieu à de graves inconvénients qu'il importe de faire disparaître.

Tout récemment M. le ministre de la justice a déposé des projets de loi ayant pour objet l'augmentation du personnel de la cour de Liège et de celui du tribunal de première instance d'Anvers.

Le tribunal de Namur se trouve dans la même situation. Ci-devant composé de neuf juges, le personnel de ce corps fut fixé à sept membres par la loi du 30 avril 1842 es ce nombre était absolument indispensable.

Lorsque, en 1849, le gouvernement proposa da le réduire à six juges, je signalai d'avance les inconvénients sérieux que devait produire cette mesure.

La Chambre n'ayant pas partagé mon opinion, je crus ne pouvoir voter un projet dont je ne me dissimulais pas les conséquences fâcheuses. Mes provisions se sont réalisées. Le tribunal de Namur, placé au chef-lieu de la province où se tiennent les assises, est composé de deux chambres.

Or le juge d'instruction ne pouvant siéger, puisqu'il lui reste à peine le temps d'expédier les affaires de son ressort, il s'ensuit que l'une des chambres cesse d'être complète et qu'en conséquence la justice ne peut plus être administrée qu'avec l'adjonction de juges suppléants, avocats, etc. Cet ordre de choses est contraire à l'esprit de nos institutions. Le service de juge suppléant doit être accidentel et momentané. Devenu permanent, il peut donner lieu à de graves abus, et d'ailleurs il n'offre pas les garanties sur lesquelles les justiciables ont droit de compter.

Du reste le régime que nous proposons d'établir est celui qui a été introduit en connaissance de cause par la loi du 30 avril 1842 Il convient d'y revenir puisque l'état de choses créé par la loi de 1849, et dû à des circonstances exceptionnelles, n'est pas compatible avec le bien-être du service.

Tels sont les motifs qui m'ont porté à déposer la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à vos délibérations. Je suis convaincu que le gouvernement n'hésitera pas à lui donner son assentiment parce qu'il s'agit de sauvegarder des intérêts dont on ne peut méconnaître l'importance.


La Chambre, consultée, prend la proposition de loi en considération.

M. Lelièvre. - Je demande que ma proposition soit renvoyée à la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation du personnel du tribunal de première instance d'Anvers, à raison de la connexité qui existe entre les projets.

M. de Brouckere. - Messieurs, si l'honorable M. Lelièvre avait présenté sa proposition comme un amendement au projet de loi qui ai été soumis récemment par M. le ministre de la justice, je concevrais qu'on se bornât à renvoyer l'amendement à la section centrale ; mais du moment où l’honorable M. Lelièvre a la prétention de faire de son projet une loi spéciale, il faut que le projet suive la filière ordinaire et soit renvoyé aux sections.

Je demande donc le renvoi de la proposition de loi à l'examen des sections.

M. Lelièvre. - Messieurs, je pense que la marche naturelle qui doit être suivie, c'est le renvoi de ma proposition à la section centrale, déjà chargée de l'examen d'un projet analogue en ce qui concerne le tribunal d'Anvers.

Le motif est sensible ; il s'agît de s'assurer des nécessités du service ; (page 1464) or, la section qui examine cette question, en ce qui concerne certains corps judiciaires, se trouve en position convenable pour se livrer au même examen en ce qui concerne le tribunal de Namur. Cela est si vrai qu'avant de prendre un parti sur le projet déposé par le gouvernement, la section centrale dont je parle a demandé à M. le ministre de la justice s'il ne convenait pas d'étendre la disposition concernant le tribunal d'Anvers et d'autres tribunaux dont le personnel doit également être considéré comme insuffisant.

Il est donc évident que ma proposition a des rapports intimes avec les questions dont s'occupe la section centrale qui a déjà commencé ses délibérations. En cet état de choses il convient, sous tous les rapports, de renvoyer ma proposition à une section déjà saisie d'un projet connexe. Cette marche, du reste, est de nature à simplifier la discussion, parce qu'en réalité le projet que je dépose n'est qu'une disposition d'une nature analogue à celle émanée du gouvernement, un véritable article additionnel qui doit être discuté simultanément.

M. Wautelet. - Messieurs, plusieurs pétitions demandant l'augmentation du personnel du tribunal de Charleroi, ont été renvoyées à la commission chargée d'examiner la loi sur l'organisation judiciaire. Pourquoi les pétitions lui ont-elles été renvoyées ? Parce qu'elle est formée et qu'on a cru que, par sa composition, elle est plus compétente que d'autres pour apprécier ces pétitions. La Chambre a demandé un prompt rapport. Celle affaire est extrêmement urgente. Je demande si la commission sera prochainement en mesure de présenter un rapport sur ces pétitions.

M. de Brouckere. - Messieurs, malgré ce que vient de dire l'honorable M. Lelièvre, je dois persister dans l'opinion que j'ai émise tout à l'heure. Si le projet de l'honorable membre a avec le projet de M. le ministre de la justice une connexité aussi grande qu'il le dit, c'était par voie d'amendement qu'il aurait dû saisir la Chambre de sa proposition. Il n'a pas jugé à propos d'agir ainsi ; il a voulu avoir les honneurs d'une proposition de loi ; eh bien, le projet doit suivre les diverses filières auxquelles sont soumis tous les autres projets.

J'insiste pour que la proposition de loi, déposée par l'honorable M. Lelièvre, soit renvoyée à l'examen des sections.

M. Osy. - Messieurs, la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation du personnel du tribunal d'Anvers, a demandé à M. le ministre de la justice s'il n'y a pas d'autres tribunaux dont le personnel doive être augmenté ; nous attendons la réponse de M. le ministre de la justice. Il me semble donc qu'il y a lieu de renvoyer la proposition de l’honorable M. Lelièvre à la section centrale.

M. Lelièvre. - Le motif qui m'a engagé à déposer une proposition spéciale se justifie parfaitement ; lors de la discussion du projet concernant le tribunal d'Anvers, je m'étais borné à proposer un amendement, on m'aurait répondu que c'était là une proposition principale qui devait être soumise à une instruction particulière.

Or, dans la vue d'appeler cette instruction nécessaire pour apprécier ma proposition, j'ai cru devoir déposer un projet de loi spécial qu'on pourra ainsi examiner en connaissance de cause.

Il nous reste donc avoir quelle est la voie la plus convenable pour constater les nécessités sur lesquelles est fondée ma proposition.

Or, je persiste à croire que, dans l'intérêt de nos délibérations et pour ne pas scinder la discussion de questions analogues, il convient que leur examen soit soumis à la même section qui recevra du gouvernement les renseignements propres à les apprécier.

M. de Naeyer. - Nous sommes en présence de deux propositions, l'une de M. de Brouckere, qui propose le renvoi aux sections ; l'autre de M. Lelièvre, qui propose le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi présenté par M. le ministre de la justice.

Je mets aux voix la proposition de M. Lelièvre qui s'écarte le plus du règlement.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! Aux voix la proposition de M. de Brouckere.

- Le renvoi aux sections, proposé par M. de Brouckere, est mis aux voix et adopté.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant demande d'un crédit de 500,000 fr. au département des travaux publics pour travaux à exécuter à l'Yser et à la Nèthe.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

La parole est continuée à M. Verhaegen.

(page 1465) M. Verhaegen. - Le projet de loi, il faut le reconnaître, est formulé avec beaucoup d'habileté ; les hommes les plus considérables de l'opinion cléricale ont apporté en commun leurs efforts d'imagination pour construire cette vaste et ingénieuse fabrique de couvents.

Le but est certain pour quiconque examine ; mais ce but il fallait le cacher sous le masque trompeur de la charité, masque qu'on n'a pas toujours su conserver pendant la discussion ; dans tout parti il se rencontre des esprits naïfs et indiscrets...

Il fallait même éloigner toute idée de charité purement ecclésiastique en accolant le bureau de bienfaisance, pour la forme seulement, au clergé ; car la charité ecclésiastique a été jugée et condamnée par l'histoire, par la philosophie et par la législation de 1789. C'est une marchandise avariée dont nos pères ne voulaient plus, parce qu'ils en avaient un profond dégoût ; et cette marchandise on vient l'offrir à la génération nouvelle ! et pour la faire passer on la couvre d'une étiquette libérale et chrétienne !

Le ministère précédent avait présenté aux Chambres deux projets de loi distincts répondant à deux ordres de choses qui se rattachent sans doute au même but, mais dont la nature réclamait une législation particulière. L'un de ces projets concernait la réorganisation des administrations de bienfaisance, l'autre établissait les règles qui devaient présider à la constitution de fondations charitables provenant de dons et legs.

En présentant son projet, le cabinet actuel a retiré simultanément les deux projets Faider ; et cependant tout le titre premier de ses propositions n'est que la reproduction, sauf quelques détails, du projet de son prédécesseur relatif à la réorganisation des hospices et bureaux de bienfaisance. L'entrée du curé, comme curé, dans les bureaux de bienfaisance n'était aussi qu'un détail en présence du principe de l'absorption. Pourquoi l’honorable M. Nothomb a-t-il enlevé au curé le droit que lui donnait le projet Faider ? Ce n'est certes pas par un esprit de défiance contre le clergé ou pour donner une satisfaction à l'opinion libérale ; il n'oserait pas le dire ; c'est parce que le clergé obtenait beaucoup plus par le projet nouveau qu'une simple intervention ; que ce projet lui accordait le monopole de la charité et tuait ainsi la charité laïque tout entière.

Le cabinet, comme nous l'avons dit, avait un but : il voulait donner une enseigne de bienfaisance à la reconstruction des couvents. S'il avait maintenu le premier projet Faider, toute l'attention se serait portée sur un projet de loi nouveau, avant exclusivement pour objet les fondations, il fallait donner le change, il fallait tout confondre, présenter sous une rubrique commune les dispositions embrassant réellement l'intérêt des pauvres et celles qui n'avaient d'autre but que l'intérêt des couvents.

Le procédé est habile ; toutefois il a été impossible aux rédacteurs du projet de se soustraire aux conséquences inhérentes à un semblable amalgame, et on est tombé dans les plus étranges contradictions : ainsi d'un côté les dispositions empruntées au projet de loi Faider sont destinées, d'après la déclaration même du cabinet actuel, à établir un principe d'unité dans l'administration de la bienfaisance par la confusion des hospices et des bureaux de bienfaisance ; et en même temps au titre deuxième du projet de loi, on brise ce principe dont on vient de proclamer l'excellence en ouvrant la porte à deux battants à une multitude d'administrations spéciales. Mais laissons là l'enseigne fallacieuse du projet dans son deuxième titre et examinons les dispositions mêmes.

Ces dispositions sont le résumé effrayant de toutes les prétentions les plus exorbitantes que les hommes politiques, les publicistes du parti clérical et les membres de l'épiscopat ont élevées depuis quelques années.

L'honorable M. Malou en a réclamé sa part et je ne la lui conteste pas ; il aurait pu réclamer une part aussi pour son frère l'évêque de Bruges, pour son ami l'honorable M. d'Anethan et pour beaucoup d'autres encore !

Le projet de loi, comme on le voit, a beaucoup de parrains de baptême et il aura encore plus de parrains de confirmation dans cette enceinte. C'est un exposé de tout ce que l'amour des institutions monacales et la haine envers les administrations laïques de bienfaisance ont enfanté d'exagérations.

On invoque un des plus nobles sentiments de l'homme, la charité, pour arriver à une des plaies les plus dangereuses, le couvent.

Il n'est pas une disposition du deuxième titre concernant les fondations charitables qui n'ait pour but d'admettre les communautés religieuses en masse au droit de succéder, d'acquérir, de posséder en commun. Quoique les mots congrégations religieuses n'aient été employés que dans les dispositions générales et aient été évités dans le titre deuxième lui-même, rapprochons, examinons :

« Art. 70. Les fondations peuvent avoir pour objet :

« 1° L'institution d'hospices, d'hôpitaux, de fermes-hospices.

« 2° La fondation de lits, dans les hospices et hôpitaux.

« 3° La création de maisons de refuge, de dispensaires, d'ateliers de charité, d'apprentissage, d'écoles de réforme, d'écoles gratuites pour l'enseignement primaire et l'enseignement professionnel du degré inférieur, d'écoles du soir et du dimanche, d'écoles gardiennes, de salles d'asile, de crèches et autres œuvres ayant le même caractère charitable ;

« 4° La distribution permanente ou périodique d'aumônes ou secours à domicile ;

« Il n'est pas interdit d'admettre dans les écoles indiquées ci-dessus des élèves non indigents et payant rétribution ; mais le nombre de ces élèves doit dans tous les cas rester inférieur â celui des enfants pauvres.

« Ces écoles sont d'ailleurs soumises au régime d'inspection établi par la loi du 23 septembre 1842.

Voilà certes un champ immense ouvert aux associations religieuses. Une communauté d'hommes ou de femmes se forme dans le but apparent de se livrer à une œuvre charitable ; cette communauté appartient à un ordre prêcheur, mendiant ou même contemplatif, mais elle annexe au couvent qu'elle occupe une crèche, un refuge, un atelier de charité ou d'apprentissage. Il y a dans le couvent 50, 60, 100 moines ou religieuses ; la crèche ne sera ouverte qu'à 10 enfants, le refuge ne recevra que 10 vieillards, l'atelier ne contiendra que 10 apprentis ou même moins : la crèche, le refuge, l'atelier est un accessoire dans l'établissement, c'est le masque ; eh bien, le couvent est compris, à la faveur de cet accessoire, dans les établissements qui peuvent être l'objet de fondations charitables ; des dons et legs sont acceptés, à la faveur de l'accessoire, au profit de la nombreuse population des religieux ou de» religieuses qui habitent le couvent.

Un donateur partisan de la vie monastique, voulant créer un couvent, fait une fondation charitable ; il fonde un hospice à la condition que 50 ou 60 religieux ou religieuses le desserviront et qu'ils suivront telle règle, celle de St. François, de St. Augustin, etc., il aura atteint son but. Le nombre des vieillards ou des infirmes à qui l'hospice sera ouvert n'est pas déterminé ; en fait l'hospice n'est que le prétexte du couvent : ce dernier jouira des bénéfices des dons et legs que la loi permettra d'appliquer à la fondation.

Un donateur voudra-t-il donner la personnification civile à des corporations religieuses existantes aujourd'hui, en fait il le pourra.

Par exemple un donateur voudra donner cette personnification aux capucins ; il fera une fondation dont le produit doit être distribué en aumônes permanentes ou périodiques, et il nommera les pères capucins qui remplissent certaines fonctions ecclésiastiques dans nos paroisses distributeurs de ces aumônes ; et ils auront grand soin de ne les distribuer qu'à des pauvres honteux ! !

Les congrégations enseignantes pourront tout aussi facilement se constituer en corporations privilégiées. Elles ouvriront une école où des enfants pauvres sont admis ; il leur suffira de remplir cette condition très élastique. A côté de l'école des pauvres, la congrégation pourra tenir un externat ou même un pensionnat pour des enfants riches ou aisés. Il y aura double profit, on joindra aux revenus de la fondation charitable les bénéfices de l'exploitation du pensionnat.

Vous le voyez, messieurs, toute concurrence laïque est impossible. C'est assurer à jamais le monopole de l'enseignement au profit des corporations religieuses.

Il est vrai que dans le projet de loi il y a une limite : le nombre des enfants pauvres devra dépasser le nombre des enfants riches : mais ce n'est là qu'une mystification. Quelle est la garantie de cette règle ? Quelle est la sanction ? Où est le contrôle possible ? Il n'y en a point.

Les produits de la fondation charitable serviront en grande partie au développement du pensionnat, du couvent et de ce qui en dépend ; qui l'empêchera ?

Chose extraordinaire, en ce qui concerne les écoles, le projet de loi établit une limite, illusoire, sans doute, mais qui présente au moins l'apparence d'une garantie ; mais lorsqu'il s'agit d'hospices, d'hôpitaux, de fermes-hospices, de crèches, de refuges, d'ateliers d'apprentissage, on ne rencontre aucune limite, tout est abandonné au vœu du donateur.

La loi laisse toute latitude aux fondateurs et aux administrateurs quant à la fixation du nombre des personnes qui peuvent être préposées au service de ces établissements.

L'expérience non seulement du passé mais encore du présent, démontre que les congrégations religieuses qui desservent un établissement charitable ont une tendance constante à transformer insensiblement les hospices, hôpitaux, etc., en véritables couvents. Quel obstacle le projet de loi apporte-t-il à cet abus ? que prescrit-il pour empêcher que les dons et legs qui seront faits à des établissements hospitaliers, privés, sans affectation spéciale, pour un nombre déterminé de lits, etc., soient consacrés à l'usage de la congrégation religieuse, à l’augmentation de la richesse du couvent ? Que prescrit-il pour empêcher ce qui arrive plus d'une fois, que cent religieuses soient prétendument préposées au service de vingt vieillards ? Rien.

Et à qui accorde-ton l'administration et la répartition des retenus de la myriade de congrégations religieuses que le projet de loi convie à jouir, sous le nom d'établissements charitables, des bénéfices de la personnification civile ? quelles garanties administratives assurent le bon emploi, l'application sincère et loyale des libéralités faites en faveur des pauvres ?

Examinons :

Comme il importe de conserver le masque de la charité pour arriver à la reconstitution des couvents, le projet de loi feint de poser en principe que l'administration des fondations particulières sera confiée aux (page 1466) bureaux de bienfaisance, aux administrateurs légaux offrant la garantie du contrôle permanent de l’autorité publique : mais l’énonciation de ce principe n'est qu'une dérision ; à côté de la règle on pose une exception qui absorbe la règle.

« Art 77. L'administration de toute fondation appartient au bureau de bienfaisance à moins qu'il n'en soit autrement disposé par l’acte de fondation. »

Le caractère de cette disposition devient plus saillant encore en présence de l'article suivant :

« Art 78. L'acceptation, soit d'une fondation, soit d'un don ou legs au profit d’une fondation, peut être imposée d’office au bureau de bienfaisance. »

Ainsi le projet de loi dispose que le bureau de bienfaisance qui n'a dans ses attributions que la distribution de secours à domicile, qui n'a rien de commun avec l'administration des hospices, des hôpitaux, des refuges, des écoles (ce sont loi, maîtres de pauvres d'aujourd'hui, constitués en bureau, sous le contrôle du curé !à acceptera les libéralités particulières affectées à ces objets. On a soin de ne pas attribuer ces acceptations aux administrations des hospices et surtout aux communes. La raison en est fort simple : dans un grand nombre de petites localités l'acceptation volontaire par les bureaux de bienfaisance n'est pas douteuse ; dans les autres on se réserve de vaincre les résistances éventuelles de ces commissions, en leur imposant d'office l'acceptation des libéralités.

Un testateur ou un donateur fonde un établissement qui peut nuire à l'action du bureau de bienfaisance, ce dernier élève des objections, signale des inconvénients ; silence, trêve aux raisonnements ; l'acceptation de la libéralité est imposée d'office, le bureau de bienfaisance est transformé en bureau d’enregistrement, couvrant forcément et malgré lui de son patronage moral, au nom des pauvres qu'il représente moralement, l'établissement d'un couvent qui n'a de charitable que le prétexte ! La commune dont les adversaires défendent si hautement les prérogatives en d'autres circonstance, est soigneusement écartée de la combinaison ; le cabinet n'oserait pas demander à la législature d'étouffer la voix, d'enchaîner les délibérations des conseils communaux, de leur imposer d'office l’acceptation de libéralités équivoques !

D'autre part l'opposition des conseils communaux aurait un retentissement qu'il ne faut pas redouter lorsqu'on ne met en cause que les bureaux de bienfaisance, Il a donc paru plus sûr de choisir ceux-ci comme les instruments passifs de la restauration des couvents.

Après avoir subi l'acceptation de ces sortes de legs et donations le bureau de bienfaisance aura terminé sa mission, le Code civil lui donne le droit d'administrer, mais le projet de loi fait taire le Code civil.

L'administration des fondations, aux termes de l'article 77, ne sera confiée aux bureaux de bienfaisance qu'en cas que le fondateur y consent. Or, le fondateur n'y consentira jamais ? La loi nouvelle n'est présentée que dans le but d'autoriser les fondateurs à choisir des administrateurs particuliers à leur guise, selon leur caprice. Il est évident que le bureau de bienfaisance n'administrera aucune des fondations que le projet a en vue. Il les acceptera bon gré malgré lui et les enregistrera.

Des nuées d'administrateurs particuliers de toute espèce s'abattront sur les fondations ; les couvents qui, grâce à l’enseigne d'établissements charitables, seront admis comme autrefois à accumuler des richesses immenses, auront des administrateurs spéciaux et successifs : c'est à eux que les couvents devront les avantages de la personnification civile, c'est par leur intermédiaire qu'ils auront la faculté d'acquérir, de posséder en commun, de transmettre leurs biens, sans droits de mutation, sans acquitter les impôts de génération en génération, d'accaparer, par dons ou legs, le patrimoine des familles ; c'est une belle chose, vraiment, que les administrateurs spéciaux !

La législation séculaire de nos provinces, dont on a si souvent évoqué le souvenir, repoussait impitoyablement les administrateurs spéciaux.

Au milieu même du courant de la réaction, Louis XVIII les repoussait avec la même vigueur, et des monuments de jurisprudence excluent rigoureusement ce système.

Mais l'institution d'administrateurs spéciaux et successifs est aujourd'hui le seul moyen de rétablir les corporations religieuses, la mainmorte ecclésiastique. L'honorable M. d'Anethan le comprenait parfaitement lorsque dans sa deuxième lettre anonyme sur la liberté de la charité, il reprochait à l'honorable M. de Haussy, ministre de la justice, d'empêcher par son système, c'est-à-dire par l'application légale des lois existantes, les bienfaiteurs de confier l'administration de leurs libéralités à des personnes pieuses et à des congrégations religieuses.

Le même M. d'Anethan et l'honorable M. de Theux le comprenaient parfaitement lorsque, étant ministres, ils dissimulaient illégalement à la faveur d’administrateurs spéciaux et successifs, la constitution de plusieurs administrations religieuses, nullement charitables, en personnes civiles.

Le couvent des rédemptoristes annexé à la chapelle de la Madeleine a pour administrateurs spéciaux les administrateurs du séminaire de Malines, en vertu d'un arrêté du 30 mai 1845, contresigné d'Anethan.

L'évêque de Liège est l'administrateur spécial de l'ancien couvent des capucins à Maeseyck qui lui a été donné à la charge de l'employer à quelque établissement pieux, charitable ou d’instruction publique, et cette donation a été approuvée par l'honorable M. de Theux suivant arrêté royal du 23 avril 1838.

L'évêque de Tournai a été autorisé par arrêté royal, contresigné par M. de Theux en date du 12 février 1839, à accepter la donation d'une partie de l'ancien couvent des Récollets, sous la condition que cette propriété serait désormais affectée exclusivement au logement de la communauté religieuse des sœurs clarisses colettines déjà existantes à Tournai, à la charge par la communauté d'y ouvrir une école d'instruction gratuite pour les filles pauvres.

Et l'exagération.était arrivée à ce point, qu'un jour l'honorable M. d'Anethan accorda, comme je l'ai dit hier, la personnification civile à un couvent de trappistes qu'il considéra comme sœurs hospitalières.

Tel est le rôle que sont appelés à jouer les administrateurs spéciaux et successifs autorisés par le projet dans l'article 78, ainsi conçu :

« Les fondateurs peuvent réserver pour eux-mêmes ou pour des tiers l'administration de leurs fondations, ou instituer, comme administrateurs spéciaux, les membres de leur famille à titre héréditaire, ou les titulaires qui occuperont successivement des fonctions déterminées, soit civiles, soit ecclésiastiques.

« Ils peuvent subordonner le régime intérieur de l'établissement et des œuvres de bienfaisance qu'ils fondent à des règles spéciales, mais, sans déroger aux dispositions du présent titre. »

.Mais cette disposition ne suffit pas encore aux prétentions de nos adversaires ; le cabinet autorise même, dans l'article suivant, à désigner des collateurs et distributeurs spéciaux et successifs de la même catégorie :

« Art. 79. les fondateurs peuvent également réserver pour eux-mêmes ou pour des tiers le droit de désigner les indigents pour occuper les lits dépendants de leurs fondations, ainsi que le droit de faire ou de régler les distributions permanentes ou périodiques d'aumônes ou de secours à domicile ou instituer, pour le premier objet, des collateurs spéciaux et pour le second objet des distributeurs qui seront pris soit parmi les membres de la famille à titre héréditaire, soit parmi les titulaires de fonctions civiles et ecclésiastiques, comme il est dit à l'article précédent. »

Soit dit en passant, le projet de M. Faider n'admettait pour les membres de la famille que le droit de coopération avec l'administration publique, et encore ne pouvaient-ils être qu'en minorité.

La portée de ces articles est immense, il en résulte que les fondateurs auront le droit «de désigner comme administrateurs, collateurs ou distributeurs spéciaux des dons et legs toute personne occupant une fonction ecclésiastique quelconque et après elle les titulaires de ces mêmes fonctions à perpétuité. Chacun comprend qu'il n'est question que pour la forme des administrateurs spéciaux appartenant à l'ordre civil ; on y aura recours bien rarement, si on y a recours jamais. La loi est faite au profit des administrateurs ecclésiastiques.

C'est bien là le caractère de la personnification civile, de la mainmorte et ce que le projet propose est une atteinte à la puissance publique, une violation île la Constitution, comme on l'a clairement démontré.

D'après moi, la meilleure définition du droit de fonder se trouve dans le lumineux rapport de 1854 de notre ami M. Tesch. « C'est, dit-il, le droit de disposer de ses biens de son vivant pour une époque où ou ne sera plus et de leur donner une affectation particulière qui résiste aux temps et aux modifications sociales.

Merlin, et avant lui Denisart ont appelé « gens de mainmorte » les communautés, les corps et les établissements publics dont l'existence se perpétue par la seule subrogation toujours successive des personnes qui les composent ou les administrent.

On voit que c’est tout autre chose qu'une conséquence du droit de propriété.

Dans les transmissions ordinaires ce droit passe tout entier, et sans restriction, du donateur ou donataire, du testateur au légataire ; celui-ci peut user et abuser du bien légué selon sa volonté. La volonté du testateur ne s'éternise point, une autre volonté lui succède et l'avenir reste libre d'engagement.

Mais en matière de fondations nous nous trouvons dans un ordre d'idées et de faits bien différent : ici la volonté du fondateur se perpétue ; la personne réelle n'existe plus, mais une fiction la fait revivre ; une personne morale est créée pour représenter uniquement la volonté du défunt, et une personne morale, ce corps fictif jouit d'un privilège qui n'est donné à aucun autre.

Grande est la différence entre un administrateur spécial et déterminé nommé par le testateur ou le donateur pour une gestion spéciale, et une série d'administrateurs spéciaux innomés, ce qui dans la réalité constitue une série de fidéicommis.

On comprend qu'un être moral de pure convention qui cependant jouit de droits réels et d'une personnification civile privilégiée ne puisse être produit par la volonté, par le caprice d'un individu ; la société seule est apte à lui donner naissance et cela suivant certaines formes c'est-à-dire, dans un pays constitutionnel comme le nôtre, par une loi ; car le consentement social ne peut s'exprimer que par la législature, aussi M. Merlin, dans son Répertoire, au mot Gens de mainmorte, s'exprime ainsi :

« Tous les gens de mainmorte, à la seule exception des communautés d'habitants, ont cela de commun qu'ils ne peuvent exister que par l'autorisation de la loi et que la loi peut, quand il lui plaît, les anéantir en leur retirant l'autorisation qu'elle leur avait d'abord accordée...

(page 1467) « Cette règle n'a pas toujours été observée avec le soin que commande l’intérêt de la société et il a fallu des lois sévères pour les remettre en vigueur. » (Denisart, même définition.)

N'oublions pas que parmi les privilèges exorbitants dont jouissent les personnes civiles se trouvé l'exemption d'impôts, Car les biens de mainmorte ne payent à l'Etat aucun droit de transmission ou de succession, et si pareille exception peut se justifier en présence de l'article 112 de la Constitution qui défend d'établir aucun privilège en matière d'impôts, la société a du moins bien le droit de faire ses conditions.

Dans tous les cas, cette question mérite de fixer l'attention de la Chambre puisque l'adoption du projet amènera bien certainement des déficits dans le trésor.

L'honorable M. Malou â parfaitement compris toutes ces difficultés, et il a admis les conséquences de nos raisonnements ; pour y échapper, il n'a trouvé qu'un seul moyen ; c'est de soutenir que la fondation n'a pas le moindre droit de propriété et qu'elle ne possède rien, puisque, d'après lui, le projet attribue la propriété et la saisine aux bureaux de bienfaisance. D'après l'article 84 de la loi communale, a-t-il dît, on peut distraire l'administration de la propriété et c'est ce que fait le projet de loi.

Ce sont ces subtilités qui ont servi ensuite à l'honorable M. Malou, pour expliquer ce qui est inexplicable, le rapport qu'il a fait, en 1842, comme directeur de la section de législation au ministère de la justice.

Messieurs, je dois le dire avec toute franchise : il est inconcevable que devant une Chambre qui compte dans son sein un grand nombre de jurisconsultes et en face du pays qui juge nos assertions, on ose se permettre pareilles hérésies, en oubliant même ce que c'est que le droit de propriété.

« Le droit de propriété, dit l'article 544 du Code civil, est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et règlements. »

Qui donc, d'après le projet, jouit et dispose des biens formant l'objet de la fondation ? C'est évidemment la fondation par ses administrateurs spéciaux et successifs, et le bureau de bienfaisance n'est accolé là que pour prêter son nom, car il reste complètement étranger à tous actes de propriété, de jouissance et d'administration.

C'est ce qui résulte des divers articles contenus dans le titre II du projet.

Examinons :

D'après le projet qui donc est l'être moral ? C'est la fondation, il n'y a pas de doute à cet égard.

L'article 69 porte : « Il peut être créé des établissements et des œuvres de bienfaisance à l'aide de fondations, etc. »

Ce sont donc les fondations spéciales et non les bureaux de bienfaisance que le projet a en vue.

L'article 72 parle de libéralités faites au profit d'une fondation, il en est de même des articles 73 et 74.

L'article 75 se sert de nouveau des termes : libéralités au profit d'une fondation.

L'article 87 s'occupe de la gestion des biens de la fondation. « Les administrateurs spéciaux, dit-il, sont tenus de gérer les biens de la fondation, etc. » Il ne s'agit pas là des biens du bureau de bienfaisance, des biens dont ce bureau serait propriétaire ; il s'agit des biens de la fondation.

Et ce qui est plus fort encore : ce même article 87 après avoir dit que dans les actes à passer et dans les instances judiciaires le nom du bureau de bienfaisance (auquel l'article 73 avait imposé une acceptation d'office) serait accolé au nom de la fondation, ajoute :« Toutefois la fondation sera seule obligée sur ses biens à raison de ces actes ou instances. Il n'en restera aucune charge pour le bureau de bienfaisance. » Et ce serait, d'après l'honorable M. Malou, le bureau de bienfaisance qui ferait propriétaire des biens formant l'objet de la libéralité, et la fondation n'aurait ni propriété, ni jouissance, ni administration ! Comment est-il possible de soutenir une pareille hérésie ? Qu'on m'indique donc un seul attribut de la propriété dans le chef du bureau de bienfaisance, j'en défie mon honorable contradicteur.

Je n'ai pas le courage d'entrer dans d'autres détails sur ce point, ce serait faire injure au bon sens.

Que signifie, après cela, l'échappatoire employé par l'honorable M. Malou, pour répondre à l'honorable M. Tesch ? « Les pauvres, a-t-il dit, n'ont qu'un seul représentant légal, le bureau de bienfaisance, même d'après le projet de loi en discussion ; et je répéterais encore aujourd'hui ce que j'ai écrit dans mon rapport de 1842. »

Nous venons de voir ce que propose le projet de loi et combien est fausse l'assertion de l'honorable M. Malou ; dans tous les cas son raisonnement est repoussé par la généralité des termes du rapport. Que disait-il, en effet, pour repousser l'attribution à une fabrique d'église ou à une diaconie du legs fait par un testateur ? « Vous substituerez ainsi, disait-il, l'institution religieuse à l'institution civile ; vous fractionnerez les moyens de bienfaisance qu'il faut s'attacher, au contraire, à centraliser si l'on veut que la charité légale s'exerce avec intelligence et équité. »

Est-ce clair ? M. Malou veut-il encore de cette centralisation aujourd'hui ?

Et quelle garantie est offerte par les administrateurs ecclésiastiques successifs ? Les fondateurs peuvent choisir pour administrer des établissements charitables, les évêques, les chanoines, les professeurs de séminaires, les curés, les vicaires, toutes les personnes, en un mot, qui, à quelque degré de 'a hiérarchie qu'elles soient placées, occupent un emploi ecclésiastique,

Ce ne sont pas seulement les titulaires remplissant cet emploi du vicaire du fondateur, que le fondateur peut connaître, qu’il peut apprécier, juger dignes de sa confiance, auxquels le projet accorde le droit d’administrer les fondations : ce sont leurs successeurs, ce sont des personnes inconnues ; tel ecclésiastique déterminé est notoirement moral et probe, mais celui qui occupera après lui la place d'évêque ou de curé, sera-t-il probe et moral ?

Les fastes judiciaires de tous les temps n’attestent-ils pas que le' clergé renferme, comme les diverses autres classes de citoyens, des hommes immoraux, malhonnêtes, cupides, sans délicatesse et sans honneur ? C’est entre les mains de ces hommes que le projet permet d'abandonner l'administration des fondations charitables. Et la société ne sera armée d'aucun moyen pour combattre les abus inhérents à ce système, à moins que la perversité de l'administrateur infidèle ne revête dès formes extérieures qui tombent sous l'application des lois pénales et de la rigueur des tribunaux !

Et voyez, à quelles conséquences incroyables conduit le projet de loi en cette matière. Une disposition reconnue comme, indispensable par les plus fervents catholiques est celle qui défend aux confesseurs de recevoir des legs qui leur seront faits par leurs pénitents dans le cours de leur dernière maladie. Le projet de loi enlève d'un trait de plume cette précieuse, cette suprême garantie. Les confesseurs ne peuvent pas accepter par eux-mêmes, mais ils pourront être institués, par leur pénitent moribond, administrateurs d'une libéralité, distributeurs des revenus de cette libéralité ; ils pourront, comme on le verra plus tard, distribuer ces libéralités à qui bon leur semblera, se les approprier si cela leur convient.

Ce n'est pas tout : ils pourront, comme administrateurs spéciaux, recevoir des appointements et ainsi se créer de véritables bénéfices ecclésiastiques.

Ainsi, que des ecclésiastiques animés d'un zèle ardent pour la prospérité des couvents, deviennent ou tâchent de devenir les directeurs spirituels de la conscience de particuliers riches, qu'ils assistent leurs pénitents au lit de mort, qu'ils emploient les influences religieuses, les promesses de félicité éternelle, les menaces d'éternelles souffrances pour impressionner l'imagination du moribond, frapper son esprit déjà affaibli par l'épuisement physique, pour obtenir enfin des legs prétendument charitables, qui grâce à la coloration que le projet de loi permet de leur donner, iront grossir les revenus des congrégations, et le but sera atteint !

Les voilà donc toutes baissées ces barrières protectrices de l'intérêt social que la législation civile avait opposées au zèle intempéré et irréfléchi des uns pour de vieilles institutions incompatibles avec les idées de l'époque, à l'avidité, aux passions sordides des autres.

A côté des 950 corporations religieuses existantes que l'on érige, de fait, en corporations par l'intermédiaire d'administrateurs spéciaux et successifs, on prépare le terrain pour une foule de corporations nouvelles qu'il sera loisible au premier venu de constituer par le même intermédiaire, moyennant une clause quelconque dans laquelle le mot charité sera inscrit.

Mais en proposant des mesures aussi graves, le gouvernement aura du moins donné des garanties réelles, efficaces contre les abus ? Il les avait promises avec beaucoup d'emphase ! Rien. Il ne pouvait pas tenir ses promesses. Son parti voulait une loi de réaction et il la lui a donnée. Il fallait obtenir la mainmorte ; les garanties auraient contrarié le but, on les a écartées.

Voyons, du reste :

Pourquoi pas toutes les garanties qu'on a aujourd'hui contre les administrateurs officiels ? C'est qu'alors le but serait manqué.

Deux modes de contrôles sont proposés dans le projet : l'inspection et la reddition des comptes.

Il y aura un inspecteur qui visitera tous les établissements et qui sera accompagné du bourgmestre.

Un inspecteur ! qui sera-t-il ? Sans doute un partisan zélé de la loi. Il ne peut pas en être autrement.

H est vrai que le premier magistrat de la commune l'accompagnera, et on fait sonner bien haut l'intervention de l'autorité communale.

Mais quel sera le rôle du bourgmestre, quelle sera son action ?

Il y aura peu ou point de conflit ; car les bourgmestres, sauf ceux de trois ou quatre grandes villes, n'oseront pas faire de l'opposition à des hommes puissants du clergé, ainsi que l'a dit mon honorable ami M. Rogier. On les ferait passer pour voltairiens, et on les excommunierait au besoin.

On ne rencontre pas toujours des hommes courageux, comme on en a rencontré anciennement dans la principauté de Liège, lorsque les magistrats, luttant énergiquement contre le clergé qui voulait s'emparer du bien des pauvres, s'inquiétaient fort peu des excommunications qu'on lançait contre eux.

Je crois utile de rappeler ici le conflit entre les magistrats de Liège et de hauts prélats au sujet de la fondation dite de Cornillon, conflit rapporté dans le livre de mon honorable ami M. Frère en ces termes : « Dans la principauté de Liège les magistrats maintenaient leurs prérogatives sur les fondations ; ils furent excommuniés plusieurs fois par (page 1468) l’official pour avoir repoussé les prétentions de quelque clerc sur une ancienne léproserie nommée maison de Cornillon.

Les bourgmestres, en qualité de surintendants supérieurs et protecteurs de Cornillon, protestèrent souvent contre tout recours adressé contre eux à l'autorité ecclésiastique, en démontrant que « la disposition, supériorité, visitation et correction de la maison, couvents et biens de Cornillon avaient de tous temps appartenu à la cité et magistrat d'icelle. »

Le 27 avril 1621, par exemple, le conseil de la cité proteste contre « la prétendue visitation de Cornillon que fait le suffragant et autres communes de S. A. ; et les officiers des 32 bons métiers de cette cité constituant la généralité et université d'icelle, assemblés en conseil le 24 juillet 1621, donnèrent commission auxdits seigneurs bourgmestres, jurés et consul d'ensemblement avec les successeurs futurs, tenir la bonne main à la manutention des droits, prérogatives et prééminences, tant à l’encontre des prébendes, mandements du susdit official de Liège qu'autres empêchements qui pourraient intervenir par toute telle voie que de droit, loi, statuts et anciens usages peuvent compéter à ladite cité. »

L'official lance l'excommunication, mais il est obligé de la lever en ladite mars 1622.

Les discussions continuent, mais le conseil a soin de ne pas laisser envahir l'établissement par les religieux.

Il existe à cet égard une résolution curieuse du 3 février 1712.

« Le conseil ayant vu les différents mémoires lui présentés au sujet de la prébende de Cornillon vacante à la chambre Saint-Michel par la mort du prieur Coradin et réfléchissant que les raisons y contenues touchant l'exclusion des prêtres méritent beaucoup d'attention, considéré que si cette maison venait peu à peu à se remplir de gens pareils, l'intention des fondateurs se trouverait altérée et l'autorité des magistrats sur icelle plus facile à éluder ; le premier parce qu'il ne semble pas que l'intention desdits fondateurs puisse avoir été que des gens revêtus de la dignité sacerdotale fussent employés aux œuvres, services envers les lépreux.....et le second parce que l'expérience journalière fait assez connaître que les prêtres et autres gens d'église sont naturellement plus portés à éluder et contester la juridiction d'un magistrat séculier, ce qui donnerait une atteinte irréparable aux droits du peuple et à l'autorité magistrale de cette cité, autre qu'il parait être plus conforme à l'intention des fondateurs de conférer ces pains à des gens pauvres ou mal accommodés des biens de la fortune, plutôt qu'à des prêtres qui doivent être d'ailleurs pourvus suffisamment soit par leurs bénéfices soit par titres de patrimoine...

« A ces causes, a été recessé de faire assembler les 16 chambres afin que leurs résolutions puissent servir dorénavant de règle sur ce point ; leur mettant de plus en considération si pour le bien des pauvres et le repos des consciences, il ne serait pas à propos, en ce qui concerne la collation des pains de Cornillon, de faire exactement observer le règlement de 1603, verset commençant quant aux prébendes de Cornillon, p. 24, où il est défendu de faire aucune collation a prix d'argent sous peine au pourvu d'être privé ou destitué, incontinent le fait connu de la provision ainsi briguée et pratiquée et que la collation sera dévolue immédiatement en termes suivants, outre l’action criminelle compétente à l'officier et mambour de cette cité, aux termes dudit règlement de 1603 ; déclarant qu'il ne sera pas permis à la dite chambre de St-Michel de s'assembler à l'effet de choisir un autre à la place du défunt jusqu'à ce que les 16 chambres aient donné leur résolution sur le premier. »

Voilà comment agissaient les magistrats de Liège et comment ils osaient braver l'excommunication de l'official.

Quelles autorités communales suivraient encore aujourd'hui cet exemple ?

Les administrateurs les plus mauvais sont ceux qui appartiennent à un corps puissant, fortement organisé et qui n'entend relever que de ses propres lois.

A l'aide de la superstition des masses, le clergé a une telle force, qu'il mène l'Etat et la société entière à un abîme.

Mais si par exception il y avait un jour conflit entre les administrateurs spéciaux et les éléments de l'autorité civile, qui jugera ?

L’article 102 attribue au Roi, c'est-à-dire au gouvernement, au ministre de la justice, à l'auteur du projet de loi, en première ligne, la décision souveraine dans ces conflits.

La présence du bourgmestre n'est donc pas une garantie, c'est une fausse enseigne destitue à tromper les esprits simples et naïfs.

D'ailleurs, le bourgmestre, eût-il une mission sérieuse, fût-il réellement appelé pour s'opposer aux abus qu'il pourrait découvrir dans ses visites avec l'inspecteur, cette mission serait encore illusoire, car on a eu soin d'inscrire dans l'article qui consacre le principe des administrateurs spéciaux le droit pour le fondateur de placer le régime de l’établissement sous des règles spéciales.

Si l'acte de fondation d'un hospice, par exemple, ne détermine pas, et ce sera le cas qui se présentera le plus souvent, le nombre des religieux ou des religieuses qui desserviront l'établissement, ni le nombre des malheureux qui y seront admis, et si la population des moines ou des sœurs dépasse notablement celle des pauvres, des vieillards, des infirmes, que fera l'inspecteur, que fera le bourgmestre ?

Il n'entre pas dans leurs attributions de rechercher si l'établissement est bien ou mal organisé, s'il n'est au fond qu’un couvent sous le nom d'établissement charitable ; leur mandat consiste à examiner si l'administration est conforme à l'acte de fondation. Or cet acte, le fondateur l'a formulé à son gré d’après son caprice, bien entendu d'après les suggestions dont il a été l'objet, car la charité est libre. Une inspection fût-elle sérieuse autant que nous avons démontré qu'elle était illusoire, serait donc impuissante puisqu'elle serait sans objet.

Voilà le premier contrôle sérieux et efficace, selon nos adversaires !

Le deuxième mode de contrôle est écrit dans le premier paragraphe de l’article 88 ainsi conçu :

« Les budgets et les comptes des fondations sont soumis à l'approbation du conseil communal ou de la députation permanente selon les distinctions établies par l'article 57. Ils sont déposés à la maison commune et reçoivent la publicité prescrite par l'article 59 pour les budgets et comptes de bureaux de bienfaisance. »

Voilà encore une garantie présentée avec des mots très sonores qui n'est au fond qu'apparente. C'est encore une enseigne trompeuse.

En ce qui concerne les administrations légales de bienfaisance, le dépôt et la publicité des budgets et des comptes offrent une garantie réelle, incontestable, parce que ces budgets, ces comptes sont établis d'après des règles fixes, uniformes, prescrites par l'autorité.

La loi détermine d'une manière claire et précise les principes d'après lesquels les libéralités doivent être employées. Pour les fondations particulières, au contraire, la loi n'établit pas ces bases, elle en laisse la fixation à l'arbitraire du fondateur. Il y aura autant de régimes spéciaux appliqués aux établissements, que le projet de loi a en vue, qu'il plaira aux fondateurs d'en instituer.

Les budgets et les comptes des administrations particulières n'auront qu'un résultat : c'est de constater que les dépenses ont été faites selon les prescriptions de l'acte de fondation, or cet acte stipule tout ce qui convient au fondateur, ainsi si l'acte a pour but de fonder, sous le prétexte de charité, un véritable couvent d’hommes ou de femmes, les comptes établiront tout simplement que les dépenses ont été faites conformément à la volonté du fondateur.

Voilà un contrôle vraiment sérieux et efficace !

Les administrateurs particuliers d'un hospice, d'une ferme hospice, d'un refuge, d'une école, d'une fondation quelconque, dont le revenu doit être distribué en aumônes périodiques ou permanentes, établiront par leurs comptes que les dépenses ont été faites régulièrement : que rien n'a été détourné de la destination de l'établissement ou de l'œuvre, soit ; mais encore une fois si le fondateur a organisé le régime des établissements de manière que l'œuvre charitable ne soit que l'accessoire, le couvent le principal, les budgets et les comptes fixés sur la base de ce régime seront réguliers, inattaquables, et cependant ce but charitable sera-t-il rempli ? Les pauvres seront-ils réellement secourus ? La constitution du couvent privilégié sera-t-elle moins un fait ? En sera-t-elle moins le produit le plus net de la loi ?

Les administrateurs nomment pour les écoles objet de fondations des maîtres peu moraux ou capables, la dépense a lieu régulièrement ; les comptes le constateront et tout est dit. Mais l'intérêt social est-il sauvegardé ? Et quand l'abus sera flagrant quelle disposition de la loi permettra de le réprimer ? Aucune.

Les administrateurs spéciaux fournissent la liste des pauvres auxquels sont applicables les revenus d'une fondation destinée aux aumônes périodiques ou permanentes. Cette liste suffit aux exigences matérielles de la comptabilité. Mais il est démontré, par exemple, que la distribution des aumônes s'est faite sans discernement et sans équité, que l'on comble de faveurs des pauvres privilégiés, que l'on ne vient en aide qu'à ceux qui obéissent aveuglément aux exigences du clergé et surtout, qui remplissent leurs devoirs religieux comme il l'entend : la société, l'autorité sont désarmées.

Les administrateurs d'un hôpital fournissent la liste des malades et portent dans leur compte les dépenses ; mais dans l'hôpital on aura violenté les consciences, on aura fait du prosélytisme catholique, on aura repoussé des malheureux qui appartiennent à des cultes dissidents ; ces comptes seront réguliers, mais les abus subsisteront.

Quand les administrateurs commettront ces fautes, quelle disposition de la loi les contraindra de faire leur devoir ? Aucune.

Contrôle sérieux et efficace !

Ce contrôle fût-il sérieux efficace, il se briserait encore devant le deuxième paragraphe de l'article 88, dans lequel se révèle avec une hardiesse étonnante toute la pensée politique de nos adversaires politiques. Voici ce paragraphe.

« Sont toutefois dispensées du dépôt et de la publicité prévus par le présent article les listes nominatives de distributions d'aumônes faites aux pauvres honteux. »

Il est vrai que la section centrale propose de communiquer ces listes au bureau de bienfaisance.

Pourquoi pas au conseil communal ? Nous savons ce qu'est, surtout dans les communes rurales, le bureau de bienfaisance présidé par le curé.

Comment d'ailleurs les membres du bureau de bienfaisance pourront-ils, par une simple communication de la liste, contrôler des noms qu'ils ne connaîtront pas, qui pourront être des noms étrangers ? Car le projet de loi n'exclut pas les pauvres honteux étrangers ; enfin des noms pour la plupart du temps et pour cause ne seront que des pseudonymes.

Cette disposition quant aux pauvres honteux est destinée à corriger toutes celles qui ont, au moins en apparence, un caractère restrictif.

(page 1469) Elle est vraiment ingénieuse cette théorie des pauvres honteux ; et elle est singulièrement élastique.

Elle franchit d'un bond toutes les difficultés que pouvait encore présenter la reconstitution des couvents, même après les éléments infinis que le projet de loi réunit en vue de faciliter ce travail.

Les rédacteurs du projet ont pensé que ce n'était pas assez d'autoriser, sous la forme banale d'un établissement charitable, toutes les congrégations religieuses à acquérir, à succéder, à posséder en commun à titre perpétuel ; ils ont voulu offrir aux fondateurs le moyen d'aller droit au but. Pas de limite, pas de restriction ; tout fondateur a le droit de distribuer ses libéralités à perpétuité à des pauvres honteux, c'est-à-dire à les destiner, d'après le deuxième paragraphe de l'article 88, à tel usage que les administrateurs de la fondation le jugeront convenable sans que personne ait le droit de s'en occuper.

C'est effrayant !

Ainsi, à perpétuité les ecclésiastiques, évêques, chanoines, curés, vicaires, institués à titre successif administrateurs de fondations charitables faites au profit de pauvres honteux, auront la faculté d'appliquer ces libéralités, sans que personne puisse contrôler, à toutes sortes de congrégations, jésuites, capucins, récollets, carmes et carmélites, moines et religieuses qui tiennent des établissements d'instruction souvent très lucratifs, ou qui se complaisent dans la fainéantise.

Qu'un évêque vienne d'Orient demander aux bons Belges de faire les frais de la construction de sa cathédrale, on aura la ressource des fonds affectés aux pauvres honteux.

S'agira-t-il du rachat des petits Chinois, on puisera dans les fonds des pauvres honteux.

Aura-t-on besoin de doter certaines églises de beaux ornements sacerdotaux, de belles chasubles, de beaux calices, il ne faudra plus qu'on se mette soi-même en loterie, on puisera toujours et toujours dans le fonds des pauvres honteux.

Voudra-t-on créer de ces écoles du soir, qu'on appellera des écoles de moralisation et qui ne seront que des cabarets où l'on donnera la bière à prix réduits, et du tabac gratuitement, voudra-t-on trouver des ressources pour donner à chaque pauvre, à chaque militaire peut-être qui consentira à faire ses pâques 50 ou 75 c, on puisera encore dans la caisse des pauvres honteux.

Les confesseurs solliciteront des mourants livrés à leur influence, si puissante dans ces circonstances suprêmes, des libéralités au profit des pauvres honteux-, ils se feront nommer administrateurs ou distributeurs de ces libéralités, et ils auront la faculté pleine et entière de détourner ces biens pour leur usage personnel.

Les libéralités faites en faveur des pauvres honteux pourraient encore servir à alimenter le vice, à satisfaire les passions des administrateurs et des distributeurs ; pas de publicité, pas de comptes à rendre, simple communication de la liste, d'après la section centrale, au bureau de bienfaisance.

Contrôle sérieux et efficace ! !

Vient alors, d'après M. le ministre, le contrôle de la presse, cette arme puissante contre les abus.

D'abord la presse comment pourra-t-elle signaler les abus, puisqu'elle ne sera pas mise à même de les connaître ?

Ensuite toute presse qui voudrait signaler des abus serait une mauvaise presse, elle serait mise à l'index. Et puis n'y a-t-il pas défense, à peine de refus d'absolution, de lire les journaux libéraux, et quels autres journaux par hasard dévoileraient les abus du clergé ? Leur rôle n'est-il pas de les cacher, de les justifier au besoin ?

L'immobilisation de la propriété est renfermée dans d'étroites limites, a dit M. le ministre de la justice, et dès lors il n'y a rien à craindre de la mainmorte. C'est la dernière garantie qu'il nous offre.

L'article 75 porte :

« L'arrêté qu'autorise une fondation ou l'acceptation de libéralités faites au profit d'une fondation détermine en même temps les immeubles qui seront conservés et prescrit la vente, dans un délai de deux ans au plus, de tous les autres immeubles donnés ou légués.»

Le projet de la section centrale porte le délai de quatre ans. Espérerait-on que dans l'intervalle il pourrait encore y avoir des changements et que les immeubles acquis pourraient être conservés à jamais ?

« Les immeubles donnés, continue l'article 75, devront se borner aux bâtiments, cours, jardins et terres formant l'établissement même qui fait l'objet de la fondation, sans que ces immeubles puissent excéder les besoins de l'institution d'après sa destination charitable.

« Le produit des immeubles réalisés sera placé en rentes sur l'Etat, etc. »

Cet article est le renouvellement des propositions faites au congrès national par les membres du parti catholique. On demandait également en 1831 que les congrégations religieuses eussent le droit de posséder à titre de personnes civiles le local, c'est-à-dire le couvent, et des rentes. Le congrès dont on adopte toujours, en paroles bien entendu, les tendances, repoussa ces propositions. Aujourd'hui on demande beaucoup plus.

Le Congrès n'a voulu consentir qu'à la liberté d'association, et voilà que maintenant on ose demander pour les associations libres d'énormes privilèges.

Il s'agissait, dans les amendements de MM. Legrelle et de Foere, d'une rente déterminée pour chaque associé de 400 fr. ; dans le projet la rente est indéterminée et ainsi elle peut s'élever à des chiffres exorbitants. En Piémont, elle s'est élevée à plus de 100,000 fr. par tête.

Le projet de loi fait d'ailleurs une part excessivement large à l'immobilisation de la propriété territoriale.

Le local de l'établissement prête à des définitions très élastiques.

Quelle est la limite des exigences d'une ferme-hospice ? Le champ des exploitations agricoles est bien vaste Quel sera le nombre, l'étendue des bâtiments et de leurs dépendances ? Quelle quantité de terres arables pourra-t-on exploiter ?

Un hôpital est érigé par une congrégation religieuse. Quelle proportion assignera-t-on au plan ? la congrégation ne sera pas embarrassée pour trouver des prétextes à de nouveaux développements chaque fois qu'une propriété avoisinante sera en vente et pourra lui convenir. Ainsi une campagne pour les poitrinaires, les convalescents, etc.

Les congrégations religieuses qui, à l'aide d'un enseignement gratuit donné aux enfants pauvres, pourront créer un externat ou un pensionnat pour les enfants appartenant à des familles riches, et appliquer à l'enseignement salarié les produits des libéralités charitables, trouveront aussi le moyen d'acquérir des immeubles importants.

Ainsi, par exemple, le couvent de Jette avec d'énormes bâtiments valant certes plus d'un demi-million, occupe une superficie de 24 hectares outre un bois de 6 hectares.

Il en est de même de l'établissement de dames de Marie près de Malines, de l'établissement du même ordre à Ixelles, des collèges de jésuites à Bruxelles et ailleurs ; et certes les jésuites trouveront dans la loi plus d'un moyen pour obtenir la personnification civile ; il en sera de même de tous ces nombreux couvents qui sortiront de terre dès que la loi sera votée, car des capitaux énormes sont réunis d'avance, des hôtels et des terrains considérables sont acquis en vue de la mainmorte à l'heure qu'il est.

Mais, dans tous les cas, n'y aurait-il que les rentes sur l'Etat, résultat de la vente des immeubles, rentes qui s'accumulent sans cesse, ce serait la même chose.

Les propriétés mobilières, les rentes tombent en mainmorte aussi bien que les immeubles ; elles sont soustraites à l'impôt, aux droits de mutation, de transmission, tout comme les propriétés immobilières ; elles constituent le meilleur des applicats et donnent un revenu plus que double de celui des immeubles.

Aux âges précédents, les immeubles occupaient la place principale dans la fortune publique : les valeurs mobilières avaient une importance moindre, c'est pour ce motif que les conséquences désastreuses de la mainmorte ne se produisaient que dans le cercle des immeubles ; aujourd'hui, au contraire, l'organisation de la société, le développement immense du crédit ont imprimé à la fortune mobilière une extension extraordinaire. En Angleterre, la fortune mobilière s'est depuis quelques années quadruplée.

Et ici en Belgique n'a-t-on pas vu des propriétaires vendre leurs immeubles pour acheter des fonds publics, des actions industrielles ? Les congrégations religieuses feront la même chose aux termes du projet.

Le pape engage bien les congrégations, les bureaux de bienfaisance à acheter des actions de chemins de fer.

Je dirai plus : la mainmorte sur les actions mobilières, sur les fonds de l'Etat est plus dangereuse que celle exercée sur les immeubles. Car un jour les couvents, possesseurs d'énormes rentes sur l'Etat, pourraient être maîtres du crédit public, être maîtres d'un emprunt !

Voilà où nous marchons avec l'érection des corporations religieuses en personnes civiles.

Et les exagérations sont allées si loin, qu'on a voulu tout avoir, ne rien omettre ; c'est tout l'édifice de la vieille société tombée sous la cognée de 1789 qu'on a voulu reconstruire.

Ainsi les fabriques d'église, institutions qui se rapportent exclusivement au temporel du culte, ont vu leurs attributions s'élargir et absorber celles des bureaux de bienfaisance. Sous l'empire de la législation actuelle, les fabriques sont chargées de tout ce qui concerne l'administration du temporel du culte. Mais là s'arrête leur mission.

Lorsque des services pieux sont attachés à une fondation charitable, c'est la fabrique d'église qui a le soin de l'exonération de ces services ; c'est le bureau de bienfaisance qui a le soin de l'administration et de la distribution des fonds aux pauvres ; à chacun sa sphère propre.

Cependant par esprit de conciliation il y avait une concession dans le projet Faider, il avait admis la fabrique d'église à concourir avec le bureau de bienfaisance à la distribution des aumônes grevées de services religieux.

Eh bien, cela n'a pas suffi aux exigences ; il a fallu que les fabriques d'église fussent investies de tous les droits qu'exercent, les particuliers, qu'elles usurpassent les attributions des bureaux de bienfaisance, qu'elles fissent concurrence à l'enseignement public et privé.

Tel est le but de l'art. 98, portant : « Sont valables :

« 1° Les libéralités faites en faveur de fabriques d'église et ayant pour objet des distributions d'aumônes en argent ou en nature, qui grèvent les fondations de services religieux ;

« 2° Les libéralités faites en faveur des fabriques d'église ou des consistoires et ayant pour objet l'établissement d'une école dominicale, l'enseignement du catéchisme ou toute autre œuvre se rapportant aux actes du culte.

(page 1470) « Elles sont acceptées après autorisation par les conseils de fabrique ou les consistoires intéressés. »

Ainsi les marguilliers, ce qui veut dire les curés, sont substitués aux maîtres des pauvres.

Les marguilliers dirigeront même les écoles : dira-t-on, écoles dominicales, mais l'expérience a démontré que les écoles dominicales ne tardent pas à devenir des écoles quotidiennes, à se transformer en véritables écoles primaires. Que l'on songe du reste à l'extrême latitude que le projet laisse aux fondateurs.

Et ce régime, on l'établit en présence de la loi de 1842.

C'est donner aux curés les moyens de ruiner l'enseignement primaire communal.

On a résolu de tout démolir, et on va jusqu'au bout.

Après avoir détruit le système du décret de 1809 entrant le moyen d'obtenir la personnification civile à toutes les corporations religieuses, que le décret excluait de ce privilège, on va encore bouleverser les conditions mises par le même décret à la personnification civile des congrégations hospitalières.

A cet effet, l'article 99 porte :

« Sont également valables les libéralités faites en faveur des maisons hospitalières de femmes ou de maisons dites de refuge et ayant pour objet 1° l'établissement d'un hospice ; -2* de pourvoir à l'instruction gratuite des pauvres.

« Elles sont acceptées, après autorisation, par les supérieures des maisons intéressées. »

Soit dit en passant, l'honorable M. Malou oserait-il-soutenir qu'ici la supérieure est propriétaire, parce que c'est elle qui accepte ? Il le devrait et a fortiori pour être logique, puisqu'il attribue dans d'autres circonstances la propriété au bureau de bienfaisance qui, lui, n'a rien de commun avec la fondation ; et cependant, il en conviendra lui-même, pareil soutènement serait absurde.

« Il n'est pas interdit, continue l'article 99, d'admettre dans les maisons indiquées ci-dessus, des élèves non indigents et payant une rétribution : mais le nombre de ces élèves devra, dans tous les cas, être inférieur à celui des enfants pauvres. »

Encore une fois qui contrôlera ce nombre ? Et d'ailleurs n'est-il pas facile de faire coïncider le nombre des enfants pauvres avec le nombre des enfants riches payant 1,000 à 2,000 francs par an, dût-on aller à la quête d'enfants pauvres, dût-on même leur payer une petite rétribution pour arriver à l'école et grossir ainsi le chiffre de leur catégorie.

Ainsi le projet de loi anéantit le décret de 1809, et en outre, il n'exige pas même l'acceptation des dons et legs par des administrateurs spéciaux, c'est la mère supérieure qui accepte directement et qui administre.

Toutes les garanties du décret de 1809 sont rayées d'un trait de plume. L'institution des sœurs de charité perd brusquement le caractère charitable à la faveur duquel le législateur en avait fait l'objet d'une exception.

Le projet de loi leur accorde d'ouvrir des hôpitaux aux payants, sans limite de nombre d'ouvrir des écoles. Là il est vrai, il y a une limite, mais si elle est franchie, qui sera juge ?

Le caractère de gratuité disparait complètement.

Ainsi on a vu, par un arrêté royal qui a figuré au Moniteur du 27 février 1856, quelle application le cabinet donne d'avance à la disposition du décret de 1809 relatif au service des malades pauvres à domicile.

Cet arrêté approuve les statuts de la congrégation des Sœurs-Noires à Bruges, dirigée par l’évêque, M. Malou, statuts qui, si mes renseignements sont exacts, portent :

« Art. 5. Les religieuses pourront soigner, à domicile, les malades indigents ou autres qui leur seront désignés pas la mère supérieure.

Telle est la métamorphose remarquable qui s'opère à l'égard des congrégations hospitalières. Désormais les congrégations qui ouvriront des hôpitaux aux malades payants, qui soigneront des malades riches à domicile, qui ouvriront des refuges pour des vieillards sachant payer, conserveront le titre de congrégations hospitalières et d'associations charitables ; elles conserveront le privilège d'acquérir, de succéder directement, de posséder et de transmettre des propriétés comme personnes civiles.

On a voulu éviter à l'avenir les contestations de la nature de celles qui ont surgi naguère au sujet des sœurs hospitalières de Braine-l'Alleud, qui, elles aussi, avaient ouvert un pensionnat d'élèves payants et auxquelles, par cela seul, des décisions judiciaires, entre autres un arrêt de cassation, avaient refusé le privilège du décret de 1809.

Où allons-nous, grand Dieu ?

En France, sous le plus mauvais régime de la restauration, on ne demandait pas même, beaucoup s'en faut, ce qu'osent demander nos adversaires politiques ; et ce qu'on demandait en France a été refusé.

Voyons ce qui s'est passé en France avant l'adoption de la loi du 24 mai 1823.

Dès 1823 le comte Ferrand avait soumis à la chambre des pairs une proportion en vertu de laquelle l'érection des communautés religieuses de femmes aurait pu à l'avenir être autorisée par une simple ordonnance du roi.

Le comte Ferrand reconnaissait que les congrégations d'hommes ne pourraient jamais être autorisées que par la loi.

Cette proposition fit l'objet d'un rapport du comte Portalis ; il fit apercevoir les dangers de la personnification civile tout en constatant les avantages résultant de certaines congrégations de femmes et il ne conclut à l'adoption de la proposition que sous la condition que le gouvernement ne pourrait autoriser d'autres communautés de femmes que celles qui dépendaient d'une association ou congrégation religieuse existante et reconnue par une loi.

Cet amendement était conforme aux idées déjà manifestées par la chambré des pairs qui lors de la discussion de la loi de 1817, et afin de réserver les droits du pouvoir législatif, n'avait donné la faculté de posséder des biens qu'aux établissements reconnus par la loi.

Une première discussion eut lieu. M. le baron Pasquier, examinant sous toutes ses faces la question soulevée, faisait observer qu'on ne pouvait pas se décider sur un point qui intéressait si vivement l'existence des familles et l'archevêque de Paris lui-même demanda l'ajournement de la délibération.

Dans la session de 1824, le gouvernement lui-même prit l'initiative d'un projet de loi, quant aux communautés de femmes seulement comprises dans les établissements ecclésiastiques auxquels s'appliquait la loi du 2 janvier 1817.

La chambre des pairs engagea à cet égard une discussion approfondie.

M. le comte Siméon, M. le vicomte Laisné, M. le marquis Lally Tollendal, M. le baron Pasquier en attaquaient les principes et les conséquences.

« S'il est vrai disait M. Laisné, que les associations religieuses d'hommes ont plus d'importance que les communautés de femmes, ou ne peut nier cependant que celles-ci n'en aient une considérable et par les privilèges qu'on veut leur accorder et par les charges dont elles demandent à être exemptées et par les services même qu'elles sont appelées à rendre, puisque l'éducation d'une moitié du genre humain ne saurait être une chose indifférente à la société...

« L'établissement des communautés de femmes a aussi des rapports avec les lois de la famille, avec la puissance paternelle, avec la possession et l'administration des patrimoines. Les communautés religieuses ne sont pas seulement des personnes morales créées dans l'Etat, ce sont de grandes familles jouissant de droits plus étendus et plus durables que les autres, qui peuvent acquérir toujours sans jamais aliéner, qui héritent sans laisser d'héritage, qui transmettent leurs biens à perpétuité par une substitution interdite à tous les citoyens et sans payer aucun droit de mutation. Sans doute il est utile qu'il existe dans l'Etat de pareils établissements, mais leur importance est telle, qu'il faut que la loi elle-même les reconnaisse. »

M. le baron Pasquier signala particulièrement les abus que le sentiment religieux pourrait entraîner dans la disposition des biens.

« Ces abus étaient moins graves autrefois, disait-il, à raison des grandes fortunes que possédaient les familles : aujourd'hui que l’égalité des fartages, plus enracinée encore dans nos mœurs que dans nos lois, tend à diviser sans cesse les patrimoines, et à anéantir les familles, en détruisant les fortunes, craignons de laisser trop de latitude aux dispositions qui pourraient avoir lieu dans l'intérêt des communautés et au préjudice des familles.

« En vain cherche-t-on à nous rassurer en rappelant qu'aucune donation n'est acceptée sans l'autorisation du roi.

« Cette garantie est quelque chose, mais elle ne peut atteindre que les libéralités directes : les donations par voie indirecte sont toujours possibles, tant que l'état des religieuses ne sera pas changé, tant que des restrictions ne seront pas apportées à leur capacité civile. Qu'est-ce d'ailleurs que l'autorisation dont on parle ? C'est le conseil d'Etat qui la donne, ou plutôt un comité du conseil d'Etat, qui seul est appelé à délibérer sur ces demandes..... La loi seule, il faut en convenir, peut aujourd'hui nous donner des règles fixes, et c'est pour cela que son concours est nécessaire. Tout est grave dans cette matière et en vain veut-on établir une distinction entre les communautés de femmes et les communautés d'hommes. Si celles-ci peuvent avoir en effet une influence plus grande sur l'ordre social, il n'en est pas moins vrai que les principes sont les mêmes pour les unes et pour les autres. Si l'on décide aujourd'hui que les communautés de femmes peuvent être autorisées par de simples ordonnances, la force des choses nous conduira demain à décider de même pour les communautés d'hommes... »

La chambre des pairs repoussa divers amendements ayant pour objet, soit de restreindre la loi aux communautés déjà pourvues d'une autorisation, soit d'imposer des conditions à l'obtention de l'autorisation, et le projet fut rejeté.

Sous le règne de Charles X, le 4 janvier 1825, M. de Peyronnet représenta le projet avec quelques changements ; ce projet était accompagné du projet sur les sacrilèges.

D'après ce projet, le gouvernement pouvait par simple ordonnance autoriser l'établissement de maisons religieuses de femmes qui pourraient acquérir à titre onéreux et recevoir par donation ou testament toute espèce de biens meubles ou immeubles.

Vous le savez, on veut aller plus loin, énormément plus loin en Belgique.

Le projet de loi soumis à la chambre des pairs portait que l'autorisation de loi une fois accordée ne pourrait être révoquée par ordonnance que du consentement de l'évêque diocésain.

D'après l'opinion de la section centrale, ainsi que je l'ai dit déjà, (page 1471) l'autorisation une fois accordée par le pouvoir exécutif ne pourrait plus être révoquée, pas même par la législature.

Le projet de loi prenait des précautions sévères contre les dispositions que feraient au profit des communautés les femmes qui en feraient partie. Ici rien.

Dans la discussion qui s'ouvrit le 3 février 1825 MM. Lanjuinais, Pasquier et autres flétrirent énergiquement le système du projet et mirent à nu les dangers qui devaient en résulter pour l'ordre social. M. l'évêque d'Hermopolis défendait, lui, le projet par tous ces moyens qui ont été développés par nos honorables adversaires ; comme l'honorable M. Malou, il rapetissait la question.

La chambre des pairs, quelles que fussent les tendances de l'époque, ne se laissa pas séduire par les phrases sentimentales de l'évêque d'Hermopolis. Elle adopta une proposition de M. Pasquier, exigeant l'intervention du pouvoir législatif pour celles de ces associations qui n'existaient pas au 1er janvier 1825 ; elle adopta, en outre, un amendement d'après lequel le consentement de l'évêque diocésain n'était plus nécessaire et on n'exigeait que son avis pour prononcer la suppression d'une communauté.

J'ai extrait ces détails de l'ouvrage de mon honorable ami, M. Frère, deuxième partie, pages 309 et suivantes.

Telle était la loi de 1825 en France. Est-ce une semblable loi que vous demande le clergé belge ? C'est tout autre chose.

Nous avons démontré que les garanties contrôles abus, écrites dans le projet de loi, sont complètement illusoires, et l'honorable M. Tesch vous a fait voir ce qu'il aurait fallu pour que le contrôle de l'autorité civile fût du moins sérieux et efficace ; je vais compléter la tâche en vous prouvant que la mainmorte n'est qu'une partie d'un système qui, pris dans son ensemble, quels que fussent d'ailleurs les scandaleux abus, présente certaines garanties de fond qu'on ne rencontre plus et qu'un ne peut plus rencontrer aujourd'hui.

Le système en vigueur avant 1789 était un système de toutes pièces, et les droits féodaux étaient le corollaire des privilèges ecclésiastiques. C'est désolant à dire, ils en étaient parfois le tempérament.

Ainsi à côté de la mainmorte, venait se placer tout d'abord le droit d'aînesse. Les aînés de famille avaient du moins une garantie contre les corporations religieuses pour la conservation de leurs fiefs.

A côté de la mainmorte ou voyait ces grandes fortunes féodales résultat du droit d'aînesse et des majorats.

Les couvents étaient le refuge des cadets et la ressource des filles sans dot, qui ne trouvaient point de maris.

Aujourd'hui les privilèges d'âge et de sexe ont disparu : la propriété est morcelée et un discours que vous avez entendu au commencement de cette discussion renferme une expression de regrets à cet égard.

L'alliance du clergé et de l'aristocratie nobiliaire se présente tout naturellement et nous ne nous sommes jamais trompés sur les éléments dont se compose le parti que nous combattons.

Messieurs, quand je parle d’aristocratie nobiliaire, je me hâte de le dire, je fais une énorme différence entre cette aristocratie qui a tenu compte des leçons du passé, qui en s'instruisant des besoins du présent marche avec le progrès du siècle et qui, par ses actes et par son esprit, honore le nom de ses ancêtres comme elle honore l'opinion qui est fière de la compter dans ses rangs, et cette autre aristocratie qui n’a rien oublié ni rien appris, qui condamne 1789 parce que 1789 a sapé ce qui fait l'objet de ses regrets, en d'autres termes qui rêve le retour du moyen-âge en plaçant le manoir à côté du monastère et en confondant dans une seule et même pensée les droits féodaux et les privilèges ecclésiastiques.

Qui dit mainmorte dit féodalité ; qui dit féodalité, dit gouvernement absolu ; et d'après les efforts que l'on tente, nous craignons bien que le système constitutionnel ne courre de graves dangers !

Pour revenir à la thèse que je développais, je dis donc que le droit d'aînesse était un corolaire de la mainmorte et qu'il constituait dans certaines limites une garantie contre les abus, garantie qui n'existera plus aujourd'hui.

Il y avait bien d'autres garanties encore sous l'ancien régime.

1° C’était l'admission gratuite dans les corporations religieuses, c'est-à-dire la défense faite à ces corporations, de recevoir quoi que ce fût de ceux ou de celles qui en demandaient l'entrée. L'édit de Marie-Thérèse du 15 mai 1771 autorisait les parents à réclamer tous les biens meubles ou immeubles, argent et valeurs quelconques qui auraient été apportés ou donnés.

Cette garantie n'existera plus aujourd'hui ; les fils ou filles de famille en entrant dans une corporation reconnue comme personne civile, y apporteront tout leur patrimoine, en feront impunément donation à la corporation (on conçoit que ce sera la règle, car il y aura mille et mille moyens pour arrivera ce résultat), et le patrimoine tombé en mainmorte sera à jamais perdu pour la famille.

2° Anciennement la profession ne pouvait être faite qu'à vingt-cinq ans révolus avant de faire des vœux, il fallait informer l'autorité, la cour fiscale un mois à l'avance, à peine de 200 patacons, environ 900 fr. d'amende, ce qui est encore établi par l'édit de Marie-Thérèse, du 15 mai 1771.

Aujourd'hui il n'y aura aucune limite d'âge ; tout au plus cette limite serait-elle la majorité légale, et encore ose-t-on prétendre que lorsqu'il s'agit d'intérêts religieux, l'enfant même mineur ne doit pas obéissance à ses parents.

L'autorité ne sera pas informée : ce qui aura pour conséquence qu'une fois entrés dans un cloître, le fils ou la fille de famille ne pourront plus changer d'avis et seront jetés dans les oubliettes.

3° Celui ou celle qui entrait en religion perdait tous ses biens, lesquels étaient dévolus à ses parents les plus proches, de même que les successions, qui pouvaient lui échoir depuis son entrée, appartenaient exclusivement à ceux qui auraient été appelés à son défaut ou concurremment avec lui (article 9 de l'édit de 1771). Et les précautions étaient telles, que même pendant le noviciat, le religieux perdait la jouissance de ses biens, puisque, s'il ne faisait pas de vœux, il ne lui était dû qu’une indemnité de 150 fl. par an.

Aujourd'hui les fils ou filles de famille qui entreront dans un couvent conserveront tous leurs biens ; ils pourront recueillir la succession de leurs parents sans réserve aucune et tout cela ira s'engloutir dans le cloître ! Ainsi votre fille aura reçu son éducation au Sacré-Cœur, sa vocation comme on le prétendra, sera de se faire religieuse ; elle entrera dans l'établissement comme nonnette, elle y apportera tous ses biens présents et futurs, et on aura soin, comme de juste, qu'il n'en revienne rien à la famille ! Encore une fois, nous libéraux, nous prendrons-nos précautions, nous choisirons, pour nos filles, des établissements qui ne présentent pas ces dangers ; niais vous, promoteurs de la loi, vous partisans des congrégations, vous serez engagés, vous serez les premières victimes !

4° Les religieux autrefois ne pouvaient recevoir qu'une pension viagère de 50 florins au plus par an, non rédimible. En cas de remboursement du capital, il y avait amende de la somme remboursée par tout parent ou autre qui aurait fait le remboursement. C'étaient là des précautions minutieuses contre tout accaparement de fortune de la part des corporations religieuses à l'égard de la famille d'un de leurs membres.

Aujourd'hui on peut donner tout ce que l'on veut, et je connais des institutions de rentes viagères de plusieurs milliers de francs faites dans le but de soustraire au gouffre des fortunes considérables.

5° Il y avait défense aux corporations de mainmorte et cela d'une manière absolue de rien recevoir par donation entre-vifs. En outre, il y avait défense de rien recevoir par testament, comme aussi de faire aucune acquisition à titre onéreux sans une permission spéciale d'amortisation. Enfin, il fallait même une autorisation pour pouvoir accepter seulement une somme de 1,000 florins d'un autre que d'un religieux,, car ainsi que nous l'avons dit, celui qui entrait en religion ne pouvait rien apporter ni donner. Tout cela est prescrit par l'édit de Marie-Thérèse de 1753.

Aujourd'hui, pour la constitution des corporations ou fondations, avec administrateurs spéciaux, pour les acquisitions à titre gratuit soit par donations entre-vifs, soit par testament ou à titre onéreux de meubles ou immeubles à quelque valeur qu'ils puissent monter et les donateurs ou testateurs fussent-ils même membres des congrégations, il ne faudra que la simple autorisation du gouvernement.

Cette autorisation présente des garanties suffisantes à nos adversaires ; mais quelques-uns d'eux ont la franchise de dire que tout dépendra de l'exécution qu'on donnera à la loi.

Mais c'est la majorité qui aura fait la loi qui l'exécutera, M. le ministre de la justice ne fera que suivre son impulsion et que de dangers !

Aussi, comme on vous l'a dit, la loi ne sera jamais exécutée que par une majorité catholique pure, car le premier devoir du libéralisme arrivant au pouvoir, sera d'abolir cette loi et cela avec effet rétroactif en restituant aux familles les biens dont elles auront été dépouillées.

6° Il y avait défense autrefois aux corporations religieuses de se constituer sans la permission de l'autorité civile et même de s'établir dans une ville ou dans une commune quelconque sans la permission du magistrat, et même ces permissions du gouvernement et du magistrat étaient révocables, au point qu'ici, à Bruxelles, lors de la grande procession annuelle appelée ommegang et dans laquelle toutes les corporations religieuses étaient représentées, celles-ci, en s'arrêtant devant l'hôtel de ville à la grande place, venaient faire vis-à-vis du magistrat acte de foi et hommage.

On voit qu'on était alors bien loin de la liberté d'association, que notre pacte fondamental proclame et que nous nous engageons à respecter toujours. On ne peut néanmoins pas se dissimuler que la nécessité d'une double permission de l'Etat et du magistrat pour la constitution d'une corporation religieuse et le droit de révocation ne fussent des garanties contre les abus de la mainmorte.

Aujourd'hui il y a liberté absolue de créer telles corporations qu'on juge à propos, aucune autorisation n'est requise et, d'après le projet de loi, lorsque à des corporations aura été accordée la personnification civile, cette personnification civile ne pourra être révoquée dans aucun temps ou dans aucune circonstance. Ainsi le gouvernement qui aura accordé le privilège sera plus fort que la législature, et celle-ci, reconnût-elle les abus les plus scandaleux, ne pourra pas toucher à l'acte posé par le pouvoir exécutif ! Où donc marchons-nous ?

7° Autrefois le gouvernement savait tirer un grand parti de la mainmorte, les droits d'amortisation étaient considérables. Charles V surtout en usa largement et vint ainsi souvent en aide au trésor dont les caisses étaient vides. Aujourd'hui on ne payera rien, et le trésor restera avec des déficits considérables.

8° Enfin, et c'était la garantie la plus forte, sous l'ancien régime le clergé était loin d'être indépendant, tous ses actes étaient soumis au contrôle de l'autorité civile.

(page 1472) L'honorable M. Faider dans son excellent livre sur les anciennes constitutions, rappelle toutes les restrictions qui ont été apportées dans tous les temps, et pour toutes les provinces contre les associations religieuses et contre la mainmorte depuis Marguerite de Hainaut et son fils Guy de Dampierre jusques et y compris Marie-Thérèse.

N'a-t-on pas vu, comme nous l'avons dit, Marie-Thérèse chasser les jésuites ? Il est vrai que, deux ans après, elle les rappelait ; mais toujours est-il qu'elle avait la haute main sur les corporations, qu'elle pouvait les créer, les briser à volonté.

Avant 1789 le pouvoir civil dans notre pays avait pour ainsi dire le même contrôle sur les actes du clergé catholique que celui qui avait été donné au gouvernement français par le concordat de 18011et par les articles de la loi organique du 18 germinal an X, que certains membres de la droite ont tant vantée et ont même appelée une réparation faite au culte catholique.

Ainsi, entre autres, aucune bulle, bref, rescrit, décret, etc., émanant de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pouvaient être publiés ni exécutés, même sous le règne de Marie-Thérèse, sans son autorisation, et cette autorisation n'était jamais donnée sans l'avis préalable du conseil de Brabant.

Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante ne pouvait avoir lieu sans la même autorisation.

Il y avait un recours au conseil de Brabant pour tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres ecclésiastiques et nous avons vu plusieurs arrêts et décrets de ce conseil cassant et annulant des actes du clergé comme contraires aux lois et à la dignité de l'Etat. Je crois même qu'il y a dans ce nombre quelques décrets d'excommunication portés par des officiaux.

La nomination aux fonctions ecclésiastiques n'était pas aveuglément abandonnée au clergé, le gouvernement avait une large part d'intervention dans l'investiture.

C'étaient là du moins des garanties, non seulement contre la mainmorte et ses abus, mais contre les congrégations religieuses elles-mêmes, et on conçoit que même aujourd'hui encore, dans le pays où ces garanties existent, en vertu de concordats, comme en France, en Hollande, comme en Angleterre où la reine est papesse, il n'y ait pas de si grands dangers et on ait pu se relâcher quelquefois, quant aux dispositions de loi concernant la personnification civile.

Mais ici en Belgique, où la liberté d'association est proclamée par la Constitution et n'est attaquée par personne, où le clergé est compléteraient indépendant et tellement libre que dans le monde entier il n'existe aucun clergé aussi libre que lui ; car partout il y a des concordats, même en Italie, en Espagne, en Autriche, c'est-à-dire transaction et par suite concessions réciproques, tandis qu'ici il n'y a pas la moindre concession de la part du clergé, que deviendra le pouvoir civil ?

La position, comme on le voit, est bien différente entre le régime d'autrefois, déjà si mauvais par ses résultats, et celui qu'on nous prépare.

Quand le clergé est maître de l'enseignement à tous ses degrés, quand l'Etat dans ses propres établissements ne peut rien faire sans l'assentiment des princes de l'Eglise ; quand des mandements épiscopaux signalent ses professeurs comme des impies et mettent leurs livres à l'index ;

Quand l'Etat ne peut pas même proposer une loi sans que le clergé y donne son approbation, au point que lorsqu'une proposition qui lui déplaît est sanctionnée par la Chambre des représentants, l'épiscopat comme corps se permet de venir protester au Sénat ;

Quand à la puissance morale, le clergé viendra joindre le pouvoir que donnent les richesses ; quand à côté du monopole de l'instruction il aura placé le monopole de la charité ;

Quand il sera entouré d'une foule de congrégations religieuses et de couvents et de toute l'influence de fortune qui les accompagne ;

Quand Rome donnera son impulsion et dictera ses lois dont l'Etat ne pourra pas même empêcher la publication, tellement est grande la liberté et l'indépendance du clergé ;

Que deviendra alors l'Etat, le pouvoir central qui déjà a été si amoindri, je pourrais presque dire désarmé en 1830 ?

Que restera-t-il à la royauté constitutionnelle ? Peu de chose.

Le pouvoir du clergé absorbera tous les pouvoirs ; ce sera lui qui gouvernera et il permettra de régner aussi longtemps qu'il le voudra bien.

Messieurs, j'ai dit tantôt qu'au monopole de l'instruction nos adversaires voulaient joindre le monopole de la charité ; je dois ajouter que pour arriver au but qu'ils se proposent leurs moyens seront les mêmes que ceux dont ils ont usé en d'autres circonstances.

Alors que plusieurs orateurs, avec une conviction que je crois sincère, sont venus en toute naïveté proclamer avec monseigneur Malou, évêque de Bruges, que « toute la bienfaisance publique a pour origine la foi et pour mère l'église ; que les motifs par lesquels les catholiques exercent la charité sont religieux et que c'est dans l'amour de Dieu et dans l'espérance d'une meilleure vie qu'ils les puisent ; que si l'on est obligé à confier les fondations charitables à des administrations laïques qui répudient le sentiment religieux, on empêche évidemment les catholiques d'exercer la charité par les motifs qui leur sont propres », ce qui veut bien dire, en résumé, que la charité ne peut être que religieuse et que le monopole en appartient de droit au clergé ; l'honorable M. Malou représentant vient, comme toujours, rapetisser la question.

Ne suspectez pas mes intentions ni celles de mes amis, nous dit l'honorable M. Malou, nous sommes loin de viser au monopole, nous ne demandons que la liberté, une liberté ni plus ni moins grande que celle dont on jouit en France, en Hollande, en Angleterre.

Mais l'honorable M. Malou est une vieille connaissance et je me rappelle qu'il nous tenait le même langage en 1850 pour arriver au monopole de l'instruction.

Je ne parlerai plus de toutes les protestations qui nous furent faites au sujet de l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire, alors que moi, dans le but de concilier la liberté des cultes avec la liberté d'enseignement, je venais demander qu'on envoyât les enfants pour l'instruction religieuse aux églises de leur culte respectif. Cette intervention du clergé était alors présentée comme très insignifiante, très inoffensive, et elle fut admise par la presque unanimité des membres de cette Chambre ; il n'y eut que trois opposants, les honorables MM. Savart, Delfosse et moi. Vous savez ce qui est arrivé à la suite de cette intervention si inoffensive !

On s'était formellement engagé à ne jamais demander l'application du principe de la loi de 1842 à l'enseignement moyen, bien moins encore à l'enseignement supérieur et vous vous rappelez tout ce qui s'est passé en 1850.

Nous avons invoqué en 1850 la promesse faite en 1842, mais on nous a répondu : Quoi ! Vous vous opposez à l'intervention du clergé dans l’enseignement moyen ; mais vous êtes en contradiction avec vous-mêmes ; ce que vous avez admis en 1842 vous ne pouvez pas le répudier aujourd'hui. Il ne s'agit que d'une instruction purement religieuse et le ministre du cuite qui sera chargé de cette instruction n'aura rien à dire, rien à contrôler, quant aux différents cours qui se donnent dans les établissements d'enseignement moyen, il n'aura aucun contrôle sur les livres, encore moins sur la conduite des professeurs ; et comme nous avions exprimé des craintes quant à l'enseignement supérieur, on disait : « Mais vos craintes sont chimériques, il serait absurde d'appliquer les principes dont il s'agit ici à l'enseignement supérieur, c'est de l'exagération de votre part.... »

Messieurs, vous savez encore une fois ce qui est arrivé quant à l'enseignement moyen ; le clergé est parvenu à l'absorber ; vous savez les efforts qu'il tente aujourd'hui contre l'enseignement supérieur ; vous n'avez pas oublié les mandements des évêques condamnant l'enseignement donné dans les universités de l'Etat et dans un établissement libre ? Vous connaissez par une discussion récente ce qu'il ose tenter contre l'école vétérinaire, et vous vous demanderez sans doute si bientôt les mêmes tentatives ne se produiront pas contre l'école militaire, contre l'école des mines et en général contre tous les établissements du gouvernement.

Vous vous demanderez encore ce qu'est cette liberté de la charité qu'il réclame aujourd'hui et que moi j'appelle le monopole le plus odieux ! Vous vous direz sans doute que puisqu'un jour l'épiscopat a osé lancer des mandements contre des établissements de l'Etat qu'il frappait de discrédit aux yeux des populations, il pourrait bien aussi, lorsque le moment sera propice, lancer des mandements semblables contre les hospices et les hôpitaux laïques, en signalant les administrateurs et les médecins qui les desservent comme des impies, comme des voltairiens, en condamnant les cliniques données dans ces établissements par cela seul que ce sont des professeurs impies et athées appartenant à l'université de Bruxelles qui y sont appelés, et en engageant les fidèles à s'abstenir, sous les peines commuées par l'Eglise, de tous dons ou legs au profit de ces établissements !

Si un jour à cette tribune j'avais à me plaindre de pareils mandements, on se bornerait à me répondre comme on m'a répondu naguère : Que voulez-vous que nous disions ? Nous sommes incompétents pour apprécier la conduite spirituelle de l'épiscopat ; il croit avoir un devoir à remplir et il le remplit ; lui seul est juge de l'impulsion de sa conscience. C'est ce qu'on dira sans doute aussi de la fameuse circulaire de l'évêque de Gand dont je vous ai parlé hier.

Tous les moyens sont bons pour nos adversaires quand ils ont un but à atteindre, et dans l'occurrence ils sont allés jusqu’à mêler le plaisant au sérieux.

On est ailé jusque gravir le Calvaire et à faire parler le Christ du haut de la croix.

Messieurs, le parti dont nous combattons les envahissements aime à couvrir son amour de la domination des noms les plus glorieux, des noms les plus chers à l'humanité. Le monde entier a profilé des bienfaits du christianisme, mais ce sont nos adversaires qui, à l'exclusion de tous, ont recueilli l'héritage du Christ ! A les entendre, on dirait que les sublimes vérités que le grand martyr a scellées de son sang se sont toutes réfugiées dans leur cœur et que c'est d'eux, d'eux seuls que nous devons recevoir toute direction ; que ce que nous avons de mieux à faire, c'est de suivre les exemples qu'ils veulent bien nous donner. Ils se délivrent à eux-mêmes un brevet de supériorité morale, et pour que nous le proclamions sans conteste, ils nous parlent avec onction de celui qui a fondé la charité en nous recommandant de secourir nos frères.

Ils nous disent : Aimez-vous les uns les autres, c'est-à-dire ne nous combattez pas, laissez-nous faire, laissez-nous régner, laissez-nous jeter (page 1473) à l’aise la division dans vos rangs, laissez-nous dominer, et reconnaissez notre puissance, notre supériorité !

C'est au nom du Christ qu’ils veulent établir leur monopole, lorsque le Christ a proclamé l'égalité !

C’est au nom du Christ qu'ils veulent opprimer, lorsque le Christ est mort pour la liberté du genre humain !

C'est au nom du Christ qu'ils veulent accumuler d'immenses richesses, lorsque le Christ a prêché et pratiqué la pauvreté !

Le Christ a dit : Rendez à César, c'est-à-dire à l'Etat, ce qui appartient à César, et c'est au nom du Christ qu'ils veulent dominer l'Etat, c'est-à-dire opprimer la liberté de tous au profit de leurs vues ambitieuses !

Avant de nous parler du Christ dont ils outragent la mémoire en mêlant ce nom glorieux à leur soif de puissance et de richesses, nos adversaires auraient bien dû se pénétrer de l'esprit du christianisme qui a été pour l'humanité l'aurore de son affranchissement, tandis que tous leurs faux discours n'ont d'autre but que de mener la Belgique à la servitude.

Nous aimons, nous vénérons le Christ, et c'est au nom du Christ que, nous repoussons l'oppression, la domination cléricale ?

(page 1464) M. de Kerchove (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen, dans son discours d'hier, a cru devoir citer un fait qui me concerne et qui date d'une quinzaine d'années. Quoique ce fait appartienne plutôt à la vie privée qu'à la vie publique, puisque, après tout, le fonctionnaire public, comme l'homme privé, reste juge des œuvres charitables auxquelles il lui convient de prendre part, de préférence à d'autres auxquelles il reste libre de refuser son concours ; l'orateur que vous avez entendu hier, messieurs, faisait allusion aux fonctions publiques dont j'étais investi, il y a quelques années, pour trouver l'occasion de mettre ma présente manière de voir en matière de charité, en opposition avec celle que j'avais jadis et que je suis loin d'avoir abandonnée. Sil louangeait le fonctionnaire d'autrefois, c'était pour mieux blâmer le député d'aujourd'hui. Je n'accepte ni le blâme ni la louange.

Voici le fait, messieurs, vous jugerez si les conséquences qu'en a tirées mon honorable adversaire sont exactes.

Un incendie, qui coûta la vie à une famille presque entière, engagea quelques personnes charitables à faire des collectes au profit du seul survivant qui avait échappé aux flammes : de toute part on s'empressa de venir au secours du malheureux ; au service même des victimes, pendant l'office divin, une quête extraordinaire eut lieu au profit du mineur qui avait seul échappé au désastre, et plusieurs listes circulèrent en ville à la même intention.

A la présentation qui me fut faite de l'une de ces listes, je répondis qu'un arrêté royal encore en vigueur, celui du 23 septembre 1823, prescrit l'intervention de l'autorité locale, pour régulariser et justifier la levée de fonds, et je refusais d'y prendre publiquement part, en basant mon refus sur l'omission des sages formalités exigées par loi, dans l'intérêt même de celui qui devait profiter de la collecte.

Voilà le fait, messieurs, qui me valut hier l'approbation de l'honorable M. Verhaegen ; mais qu'elle fut la conséquence qu'il en tira ?

Qu'en demandant un peu de liberté pour les dons de la charité spontanée, ma demande d'aujourd'hui est en opposition avec ma pratique d’hier. Je ne puis, messieurs, accepter cette conclusion : si mon honorable contradicteur avait mieux compris mon discours du 24 avril dernier, il n'aurait pas oublié que je suis de ceux qui, au besoin, et aujourd'hui comme jadis, ne se refuseraient pas à augmenter l'action gouvernementale, chaque fois que celle-ci a pour but une juste surveillance de l'autorité, dans l'intérêt des œuvres de la bienfaisance privée. Aussi longtemps que cette surveillance n'est que protectrice du bien, elle ne saurait être trop forte à mes yeux. Telle fut ma pensée d'autrefois ; telle elle est encore aujourd'hui ; jamais je n'en fis mystère.

Mon honorable adversaire ne peut donc logiquement me mettre en opposition avec moi-même. Une conséquence plus rationnelle qu'il aurait pu tirer du fait qu'il a rappelé, c'est que si autrefois le fonctionnaire public n'hésita point à réclamer l'exécution d'une disposition qui a force légale, il en sera encore de même à l'égard des prescriptions nouvelles que nous allons voter, pour venir en aide au véritable malheur, et que, si les mesures tutélaires qui sont en discussion trouvent des hommes pour les voter avec discernement et conscience, elles trouveront aussi des magistrats pour les exécuter ou faire exécuter de même.

- La séance est levée à 4 heures et demie.