(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Orts, second vice-président.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Huart, directeur-gérant du charbonnage de Falnuée, de-amande qu'on établisse un péage moyen uniforme pour tous les charbons de la vallée du Piéton expédiés vers Charleroi, ou bien que les péages sur le canal de Charleroi soient perçus dans la proportion des distances parcourues, après avoir été mis en rapport avec ceux des autres voies navigables. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal d'Oye prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Paternoslre, Van Cranenbrocck et Van Zan réclament l'intervention de la Chambre pour que le conseil de fabrique de l'église de la Hulpe ne soit pas autorisé à accepter le legs qui lui a été fait par testament de leur parente, la dame Henriette Van Cranenbrocck, en date du 22 mars dernier. »
M. Thiéfry. - Cette pétition a beaucoup de rapports avec la loi dont nous nous occupons. J'en demande non seulement le renvoi à la commission des pétitions, mais le dépôt sur le bureau pendant la discussion actuelle.
- Cette proposition est adoptée.
« Des propriétaires et industriels de Samart demandent qu'il soit donné une application temporaire aux nouveaux droits de douane sur la fonte brute et le fer ; que le gouvernement ait la faculté d'augmenter ces droits et que la sortie des minerais puisse avoir lieu par toutes les frontières moyennant certains droits de douane. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Dubois, ancien examinateur permanent à l'école militaire, demande une loi pour régler sa pension. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de la pétition de M. le professeur Dubois, ancien examinateur permanent à l'école militaire, h la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. Pareille requête a été appuyée au Sénat.
Le pétitionnaire sollicite une mesure législative pour régulariser sa pension ; je suis d'avis, messieurs, que la question est digne d'être examinée sérieusement.
- La proposition de M. Rodenbach est adoptée.
La discussion générale continue.
M. Prévinaire. - Messieurs, je m'étais d'abord proposé de traiter la grande question sociale qui nous occupe, en me plaçant exclusivement au point de vue de l'intérêt social, en en excluant l'intérêt religieux, l'intérêt oblique qui donnent à la loi le caractère d'une loi de parti.
Je vous aurais rappelé les grands principes à sauvegarder en pareille matière, afin de ne point déserter les voies de la civilisation moderne, tout en travaillant à l'amélioration morale et matérielle des classes inférieures ; j'aurais rappelé à vos esprits la doctrine de Malthus sur les principe de population et toutes les fatales conséquences qui en découlent pour l'homme, lorsque le sentiment de sa responsabilité ne développe pas en lui le sentiment de ses devoirs envers lui-même, envers sa famille, envers la société.
J'aurais cité les économistes éminents qui avaient adopté, enseigné, expliqué la doctrine de Malthus et réhabilité ce grand esprit 'condamné par ceux qui n'avaient pas su le comprendre. J'aurais exposé devant vous les opinions des économistes sur la question des fondations, opinions qui se résument ainsi :
Les fondations charitables détourneront, chaque année, des capitaux considérables de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, et en diminuant ainsi, dans une proportion plus ou moins forte, le travail national, elles ajoutent à la misère qu'elles se proposent cependant de diminuer. Elles sont encore critiquables en. ce sens que les secours distribués par les établissements aumôniers, en s'adressant tout autant à l'indigence fictive, au fruit du désordre, qu'à l'indigence réelle et imméritée, ne sont que trop souvent des primes à l'oisiveté et au vagabondage. En retirant du mouvement des transactions des valeurs immobilières considérables, elles causent un préjudice notable à l'Etat.
Elles sont également contraires aux intérêts de l'agriculture, l'expérience ayant prouvé en France, en Angleterre, en Italie et en Espagne, que les biens de la mainmorte sont moins productifs, que les autres, et la raison disant, d'ailleurs, que de simples administrateurs ne peuvent avoir à poursuivre l'amélioration de la fortune immobilière d'un établissement hospitalier, le même intérêt qu'un propriétaire. Les fondations perpétuelles ont cette autre conséquence, quand on y affecte des capitaux mobiliers, que, par suite de la diminution graduelle de la valeur de l'argent, elles cessent, à une époque donnée, de pouvoir être exécutées, et dès lors elles ne profitent plus qu'aux titulaires ou aux administrateurs salariés.
L'Angleterre offre, en ce moment, de nombreux exemples de ce fait. Ce n'est pas tout : utiles à l'époque de leur institution, elles perdent souvent ce caractère par suite des progrès de la civilisation et des modifications profondes dans les institutions, dans les mœurs, dans les idées qui en sont la suite ; quelquefois même elles peuvent devenir dangereuses ou contraires aux lois.
Je vous aurais cité l'opinion des économistes sur les inconvénients que présentent les institutions permanentes de charité, qu'elles aient un caractère public ou privé, sur les inconvénients de la décentralisation, tant au point de vue de la morale que du soulagement des vrais pauvres, sur la nécessité de poser à l'exercice de la charité privée des conditions différentes de celles applicables à la bienfaisance publique. Je vous aurais prouvé que tous repoussent la bienfaisance comme une obligation sociale, mais que tous la considèrent comme un devoir individuel. J’aurais appelé, à l'appui de mon opinion, celle d'un homme pratique, de M. le baron de Gérando, pair de France, membre du conseil général des hospices de Paris, qui a traité toutes les questions qui se rattachent au paupérisme et à la bienfaisance dans un magnifique ouvrage que vous pourrez consulter.
J'aurais évoqué devant vous ces opinions, malgré l'espèce d'anathème dont M. le ministre de la justice a frappé les économistes en les qualifiant de théoriciens. Il est vrai que M. le ministre de la justice ne pouvait faire moins après la décision récente de la sacrée congrégation de l’index qui a mis à l'index le Dictionnaire des économistes. Et cependant voyez l'ingratitude, le seul bon ministre que les Etats pontificaux aient eu, dans les temps modernes du moins, M. Rossi était un économiste.
J'avais bien réfléchi, messieurs, que, traitée de cette manière, avec calme, sérieusement, sans déclamation, mon opinion vous intéresserait peu ; j'avais bien pensé que tous nous sommes plus ou moins atteints d'impénitence finale, mais le pays est attentif au grand procès qui se débat devant lui, et pour lui mes paroles peuvent ne pas être inutiles.
Il comprendra que la société ne remplit son devoir qu'à demi quand elle ne fait que l'aumône et que les mesures destinées à prévenir la misère, à exciter l'esprit de prévoyance, à faire, en un mot, des citoyens doivent avoir le pas sur ce régime qui détend le ressort de la responsabilité individuelle et ne crée que des misérables.
Il comprendra la grande pensée qui dominait cette assemblée de philanthropes, réunis à Bruxelles, au mois de septembre dernier, pour étudier en commun les moyens les plus propres à remédier au paupérisme, et proclamant l'association des ouvriers dans un but d'épargne solidaire, la société de secours mutuels, la plus grande, la plus salutaire de toutes les mesures.
Ce qui m'a fait renoncer à mon idée première, c'est le discours prononcé, dans la séance du 28 avril, par l'honorable M. Malou qui s'est appuyé sur la législation décrétée en Hollande en 1854. Il m'a paru plus intéressant pour la Chambre et très intéressant pour le public d'examiner avec vous l’origine de cette législation, les causes qui ont rendu la réforme nécessaire, les principes qui ont été invoqués et l'influence sous laquelle la lui a été faite.
Le premier projet fut présenté par M. Thorbeke en 1851 ; puis vint le projet de M. Rheenen, en 1852, et en 1853 le nouveau projet Thorbeke.
D'après les motifs du gouvernement, le but de la loi était d'imprimer une marche régulière aux différentes institutions de bienfaisance, question qu'il considérait comme étant d'ordre public.
Cette régularité, était difficile à obtenir, surtout en Hollande où il existe : un grand nombre d'institutions de nature très différente, aussi longtemps qu'en l'absence de dispositions légales efficaces, la marche de ces établissements dépendra exclusivement des vues et de la conduite de leurs innombrables administrateurs spéciaux.
L'exposé des motifs pose en principe qu'il est du domaine de la loi de déterminer les rapports qui doivent exister entre ceux qui peuvent être admis à participer aux secours et les institutions affectées à cette destination. Parlant de ce principe, il considère comme nécessaire que la loi intervienne, pour préciser ces rapports, surtout dans un pays où il existe, pour ainsi dire dans chaque commune, plusieurs administrations des pauvres, n'ayant entre elles aucune liaison et travaillant isolément. Cette indication de la loi, continue M. Thorbeke, n'implique aucun droit d'être secouru, ni la négation pour l'institution charitable d'apprécier la convenance de secourir ; mais le gouvernement doit signaler la lacune qui résulte de l'absence de dispositions légales traçant des règles qui doivent présider à la distribution des secours.
Il provoque le concert entre les administrations d'institutions charitables, afin de prévenir les erreurs et les doubles emplois.
(page 1445) En ce qui concerne le domicile de secours, il s'en tient à la législation existante et conclut en faveur du principe de la revendication à exercer à charge de la commune où l'indigent a son domicile de secours.
Tout en en désapprouvant le principe des subsides alloués par les communes à des institutions charitables particulières ou religieuses, il ne pense pas qu'on puisse y renoncer facilement à cause de la position qui résulte d'un long passé. En tout cas, la loi doit renfermer dans des limites rigoureuses ce mal peut-être nécessaire. L'exposé des motifs exprime clairement que la loi a eu en vue de remplir une lacune en faisant décider légalement que la législation présentait une lacune en ce qui concernait l'exécution de l'article 195 de la loi fondamentale qui exige que le gouvernement réglemente sans distinction ni limitation toutes les institutions de bienfaisance. Le projet de loi s'applique aux institutions existantes et à celles à créer, et détermine la nature de l'intervention des pouvoirs publics dans leur administration.
Il est de l'essence d'une loi sur l'administration de la charité, dit M. Thorbeke, de prescrire des dispositions efficaces tant en ce qui concerne les relations des institutions avec l'administration publique, qu'en ce qui concerne le contrôle à exercer par celle-ci sur les actes civils posés par les institutions et cela en vue de sauvegarder le patrimoine des pauvres.
En ce qui concerne les subsides communaux, l'exposé des motifs pose en principe qu'ils ne sont pas obligatoires ; il fixe un maximum et décide qu'il sera proportionnel aux secours distribués par les institutions mixtes et d'église.
Dans certains cas extraordinaires, où une administration subsidiée ne pourrait pas faire face à ses besoins avec les ressources indiquées, l'action de l'administration charitable spéciale doit être restreinte, dit M. Thorbeke, et celle de la charité publique étendue.
Ce système est préférable à celui de l'extension illimitée des subsides.
M. Thorbeke résume la pensée du projet de loi par ces mots : Nous conservons la liberté, pour certaines personnes et associations, de participer à l'œuvre de la bienfaisance ; concurrence, mais à la condition qu'elle soit, autant que possible, dirigée dans le sens de la coopération.
Il ajoute : La loi fondamentale nous permet au besoin d'aller plus loin et de considérer comme un service public tout ce qui concerne le soin des pauvres. Aller jusque-là ne parait pour le moment ni nécessaire ni utile. Ce qu'il importe pour le moment, c'est de déterminer la liaison qui doit exister entre les différentes institutions de bienfaisance de toute nature, et entre celles-ci et l'autorité publique.
L'exposé des motifs établit, par des rapprochements statistiques, la nécessité de soumettre indistinctement toutes les institutions au régime de la loi proposée ; il montre le rôle important réservé aux diaconies, mais les efforts incessants qu'elles ont faits pour se soustraire à l'empire de la loi. Indépendantes, elles n'accepteraient aucun contrôle, et leurs allures feraient retomber sur l'administration publique la charge d'un grand nombre de pauvres, ce qui conduirait tôt ou tard à la taxe des pauvres.
Le projet, continue M. Thorbeke, autorise les diaconies à continuer à régler tout ce qui concerne leur institution ; hors le cas de subside, elles n'ont ni budgets ni compte à soumettre à l’autorité publique ; elles distribuent les secours suivant leur conscience, et statuent à cet effet, comme elles l’entendent, sur les demandes de secours qui leur sont adressées par les pauvres qui, d'après la loi, auront leur domicile de secours près d'elles et dont par conséquent elles auront charge.
En ce qui concerne les institutions administrées par des particuliers, le projet stipule, dit l'exposé des motifs :
1° La communication à l'autorité publique de leurs actes constitutifs et règlements.
2° Si l'institution ne répond plus à sa destination, l'affectation des biens et revenus à une autre institution charitable, répondant autant que possible au but du fondateur, la décision réservée au Roi, sauf le cas où le fondateur ou un de ses héritiers seront en vie.
3° Obligation pour l'autorité publique de veiller à ce que les hospices appartenant à cette catégorie d'établissements ne soient pas détournés de leur destination et que leurs administrateurs fournissent les documents et renseignements nécessaires au gouvernement pour la rédaction du rapport à faire annuellement aux états généraux en vertu de l'article 195 de la loi fondamentale.
4° Obligation de soumettre à l'approbation de l'autorité publique tons les actes d'administration se rapportant au capital ou aux revenus et de nature à exercer quelque influence sur les ressources destinées à perpétuer les institutions.
5° Obligation pour ces institutions de procéder, à l'instar des autres, i la classification des indigents secourus par elles, afin de pouvoir distinguer l'étendue des secours à distribuer à chacun d'eux.
Ce projet de loi rencontra, messieurs, une très sérieuse opposition et amena même la chute du ministère qui l'avait présenté. Néanmoins, le ministère Thorbeke, ayant repris les affaires, représenta son projet le 15 février 1853. Il y avait introduit quelques modifications importantes, résumées de la manière suivante dans le rapport de la commission de la seconde chambre :
Le nouveau projet, déposé le 15 février 1833, présente de notables améliorations comparativement au projet antérieur.
1° Une amélioration des plus importantes. c'est l'introduction dans l'article 5 d'un paragraphe d'après lequel la reconnaissance des communautés d'église qui s'érigeraient, ne s'appliquera qu'aux dispositions qui ont pour objet les soins à donner aux pauvres.
2° L'article 8 du projet primitif supprimait et faisait passer sous l'administration publique l'institution particulière de bienfaisance qui n'avait pas, dans le délai prescrit, transmis à l'autorité communale ses actes d'institution et son règlement ; on a substitué à cette disposition une stipulation moins rigoureuse comminant une amende à charge de ses administrateurs, 50 fl. à 500 fl.
3° L'article 14 du projet primitif devenu l'article 15 du nouveau projet, a été modifié en ce sens que du moment où une fondation deviendra sans objet, le roi en réglera la destination et l'assimilation, sauf en ce qui concerne les institutions administrées par des particuliers ou des associations particulières, à confier l'administration au fondateur ou à ses héritiers, s'ils sont vivants.
4° L'article 15 du projet primitif qui stipulait qu'en cas de contravention à l'une ou l'autre disposition de la loi, une institution charitable serait privée du droit d'accepter de nouvelles libéralités ou de nouveaux dons, a été supprimé.
5° L'article 17 du projet primitif, qui autorisait les bourgmestre et échevins à se faire exhiber au besoin, de vive force, les livres et pièces des institutions qui ne fourniraient pas les renseignements sur leur administration nécessaires à la rédaction du rapport que le gouvernement est tenu de présenter annuellement aux états généraux en vertu de l'article 195 de la loi fondamentale, a été supprimé et remplacé par une disposition comminant une amende de 50 fl. à 500 fl.
Voilà quels furent les changements introduits par M. Thorbeke dans son second projet de loi.
La disposition ajoutée à l'article 5 est évidemment à l'adresse des couvents ; les changements apportés aux articles 8, 15 et 17 du projet primitif et l'adoption de moyens plus doux, quoique très énergiques encore, prouvent la méfiance qu'inspiraient les établissements qu'il s'agissait de placer sous le régime de la loi.
Quoique ce soient là de grandes améliorations, disaient les rapporteurs, nous devons faire observer que le projet primitif n'a subi en réalité aucun changement dans son principe. Le gouvernement continue à prendre le point de départ de la loi dans l'article 195 de la loi fondamentale : il n'a point abandonné l'opinion que les institutions d'église de même que les institutions particulières de bienfaisance doivent, comme celles qui émanent de l'administration publique, être subordonnées à des règles à déterminer par l'autorité publique.
En représentant la loi M. Thorbeke, l'accompagna d'un nouvel exposé de motifs dans lequel il s'attacha à répondre aux principales objections formulées contre son premier projet. Il maintint énergiquement le principe que l'article 195 de la loi fondamentale n'admettait aucune distinction et s'appliquait à toutes les institutions de charité publiques ou privées aussi bien que religieuse.
C'est à tort, dit-il, que ses adversaires soutiennent qu'aujourd'hui que l'Etal est séparé de l'Eglise la loi n'a plus à intervenir dans l'administration des diaconies, en dénaturant l'histoire.
Il ne faut pas chercher l'origine du droit de réglementer l'administration des diaconies dans ces relations de l'Etat et de l'Eglise réformée qui ont été rompues constitutionnellement à la fin du siècle dernier ; sous l'ancienne république l'Etat avait porté des lois également applicables aux administrations des pauvres appartenant à d'autres sectes religieuses, la participation des associations religieuses à l'exercice de la bienfaisance n'a cessé d'être réglée comme un objet d'utilité publique.
L'Etat intervient dans l'intérêt des pauvres et d'une bonne police, en vertu du principe de haute tutelle sur les biens des pauvres ; non pour soustraire ces biens à leur destination, mais pour en assurer an contraire l'application conformément à cette destination. Il importait d'ailleurs de prescrire des règles par rapport au domicile de secours, aux rapports des institutions entre elles ; ces règles ne pouvaient être posées que par l'autorité civile.
M. Thorbeke appuie son opinion de plusieurs décisions des Etats de Frise et du haut conseil de Hollande. Les administrations charitables d'église n'avaient par conséquent pas cessé, dit-il, de se trouver soumises aux prescriptions du législateur, lorsque par les lois fondamentales de 1814 et 1815 il fut stipulé que tout ce qui se rapportait à la bienfaisance et à l'éducation des enfants constituait un intérêt d'ordre supérieur, digne des soins incessants de l'autorité publique ; la bienfaisance, quel que fût celui qui l'exerçât, et dans toute l'étendue de son acception.
Le législateur a donc appliqué son système sans hésitation ; de là les lois des 14 janvier 1815, 21 août 1816 et 31 mai 1824 et les articles 947 et 1717 du Code civil qui assujettissent aussi les institutions religieuses de charité à certaines obligations. De là la loi du 28 novembre 1818 réglant le domicile de secours des indigents, législation constamment appliquée aux diaconies.
Que fait le projet de loi ? Il se borne à ce qui existe ; il tend à introduire l'unité parmi les dispositions obligatoires, en remplissant certaines lacunes et cela dans l'intérêt de la régularité dans l'application. Il garantit à la liberté la faculté de s'exercer dans de vastes limites et fait disparaître plusieurs reproches qui pèsent actuellement sur les diaconies.
(page 1446) Ce qui prouve, continue M. Thorbeke, que la loi fondamentale a bien eu en vue la bienfaisance dans son acception générale, c'est qu'elle n'a appliqué la qualification de publique qu'elle avait appliquée à l'enseignement.
Les adversaires d« la loi objectent que l'Etat ne peut pas s'approprier l'administration et la disposition de ce qui n'appartient pas à sa sphère d'action, et ne lui appartient pas. M. Thorbeke répond que le mot « approprier » ne trouve pas son application à la loi projetée ; que prescrire, en vertu de la Constitution et dans l'intérêt de l'Etat, des règles qu'auront à suivre les administrations charitables d'église ainsi que les institutions charitables particulières, n'a rien de commun avec l'appropriation et la disposition. Cela ne change rien à la nature des institutions ; elles ne deviennent pas des institutions de l'Etat, mais sont uniquement astreintes à suivre la loi.
Les adversaires du projet de loi objectaient que le gouvernement ayant en vue de faire consacrer de la manière la plus complète, la plus étendue, le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise, le projet allait à l'encontre de ce principe. M. Thorbeke répondait : Si ce que le projet consacre par rapport aux institutions charitables d'église, est considéré comme une intervention dans le domaine sacré, on donne évidemment à cette idée une extension extraordinaire et il serait assez difficile de définir ce qui peut appartenir au domaine laïque. L'autorité publique ne peut être exclue du domaine sacré, là où l'action de l'administration de l'Eglise est nécessairement en contact avec un intérêt politique.
Nous ne vivons plus sous le régime du moyen âge ; une association religieuse est aujourd'hui une société dans l'Etat. L'indépendance absolue d'une société dans l'Etat n'est de nos jours pas plus possible que l'absolutisme d'un gouvernement.
Les administrations d'église ni les autres associations particulières ne peuvent prétendre se soustraire à l'autorité des pouvoirs publics. Le soin des pauvres en général, sans distinction de culte et sans examiner s'ils sont eu non abandonnés ou recueillis par une administration d'église, est un devoir constitutionnel du gouvernement et du législateur ; il ne peut dépendre des diaconies d'enlever arbitrairement ces garanties aux indigents.
Répondant à l'objection qu'un système soumettant à l'autorité les institutions charitables d'église et les institutions particulières, tend à décourager les administrateurs, à les effrayer, à neutraliser les dispositions charitables, M. Thorbeke répond que ces institutions conservent leur indépendance et que l'autorité n'intervient que pour contrôler d'une manière très légitime les dépenses et les recettes, l’application de la loi sur le domicile de secours ; quant à la distribution des secours l'appréciation exclusive en appartient aux administrateurs investis de par la loi du rôle de distributeurs.
Il ne redoute pas l'affaiblissement de l'esprit charitable, alors que la loi offrira de plus solides garanties pour la bonne application des dons. La loi fera cesser la guerre entre les institutions charitables, elle fera régner l’harmonie là où règne la discorde.
Comment la charité du public s'affaiblirait-elle ? Le zèle des administrateurs, leur bonne volonté, sont des choses précieuses sans doute, mais on ne peut leur sacrifier la bonne administration.
M. Thorbeke rappelle un grand nombre de faits pour prouver que c'est à tort que l'on dit que la main du bienfaiteur se ferme, dès que l'autorité civile se présente à lui.
Répondant à ceux qui se posant en promoteurs du régime du laisser faire en matière de charité, M. Thorbeke fait remarquer que la loi fondamentale a imposé au gouvernement des obligations qui sont d'accord avec la raison d'Etat.
Dans le premier exposé de motifs, M. Thorbeke avait dit que la loi fondamentale permettait, au besoin, d'aller plus loin que le projet de loi, cette observation avait provoqué une objection que le système présenté s'il n'avait pas pour conséquence immédiate, pourrait du moins avoir un jour pour conséquence de substituer l'action exclusivement civile aux administrations d'église et autres institutions particulières de charité et que l'Etat s'attribuât le droit de disposer directement de fonds qui ne lui appartenaient pas, mais bien à des églises, à des associations religieuses ou à des associations particulières.
Plaisant exposé, répond M. Thorbeke, qui lorsqu'on consulte les précédents, paraît incompréhensible. La Constitution ne distingue pas. Elle comprend toute l'administration du bien des pauvres sans distinction ni limite aucune.
Opposons à cette disposition notre projet de loi qui est d'une modération extrême, modération qui est fondée sur l'état de choses actuel. On peut encore compter sur la coopération énergique d'un grand nombre d'administrations d'institutions d'église et autres institutions particulières ; celles-ci méritent d'être ménagées et encouragées par la loi. Il veut qu'elles interviennent le plus possible, et le pouvoir civil le moins possible. Mais vienne cette coopération à lui manquer, viennent à manquer les ressources qu'elle offre et le bien des pauvres à réclamer plus de sollicitude, dans ce cas la Constitution nous trace la voie qui a été suivie en France, en Allemagne, en Angleterre et ailleurs. Quant à ce qu'on allègue par rapport au patrimoine des pauvres, eu changeant d'administration, il ne change pas de destination, et les pauvres ne peuvent articuler aucune plainte.
L'opinion de M. Thorbeke, après avoir été vivement débattue, disent les rapporteurs, fut admise par la majorité des sections.
Cette question était le point culminant du débat ; on voulait faire consacrer l'indépendance de l'église et de tout ce qui en provenait ; on invoquait la révision de la constitution en 1848, révision qui s'était faite dans un sens contraire à la centralisation ; on alla jusqu'à demander la révision de l'article 195 de la constitution.
Les défenseurs de la loi ne se laissèrent pas émouvoir, tant était grande la nécessité, reconnue dû reste par tous, d'apporter remède aux abus.
On soutenait que le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise ne devait pas entraîner nécessairement l'indifférence de l'Etat en matière religieuse : d'autre part on déclarait que personne ne songeait à revendiquer une indépendance complète pour les associations religieuses ; ou réclamait pour elles un terrain neutre.
L'exposé des motifs revendiquait pour l'Etat la tutelle supérieure sur toutes les institutions de bienfaisance, en s'appuyant sur cette considération que si la loi avait assujetti, dans l'intérêt d'un individu, l'administration d'un tuteur à des règles fixes, inflexibles, il existait infiniment plus de raisons d'appliquer ce moyen à l'administrateur du bien des pauvres.
La justesse de cette assimilation fut contestée : l'opposition objectait que le pupille, a des droits à faire valoir vis-à-vis de son tuteur, tandis que le pauvre n'en a aucun vis-à-vis de l'administration de l'institution charitable.
D'après tout ce qui a été dit dans la discussion, disent les rapporteurs, l’opinion de l'opposition peut se résumer ainsi : dans sa manière de voir, la loi devait être une loi de transition vers un régime consacrant l'abolition du système abusif de la charité légale, qui n'existe déjà que trop et qui prendra une extension inquiétante si la loi proposée est adoptée ; la loi devrait tendre à diminuer graduellement ces dangereux subsides communaux et à les faire cesser entièrement.
Enfin la loi devrait avoir pour but l'association du sentiment chrétien à l'administration des institutions charitables.
Je viens, messieurs, de vous exposer très bravement les arguments principaux et les considérations émises pour et contre le projet de loi de M. Thorbeke. Ne vous semble-t-il pas assister à l’une de nos séances ? C'est le même esprit qui anime les partis ; en Hollande, comme en Belgique, c'est le principe du pouvoir civil aux prises avec le principe de la domination religieuse.
La loi de M. Thorbeke était combattue par les protestants, acceptée comme un bienfait par les malheureux catholiques.
Voilà dans quelles conditions la discussion eut lieu. Là, comme ici, le point de vue social a fait place au point de vue politique, à la question religieuse.
Le projet de M. Thorbeke succomba et la loi de M. Van Rheenen vît le jour le 28 juillet 1854.
La classification de M. Thorbeke fut maintenue :
L'obligation pour les institutions charitables religieuses et particulières, de communiquer à l'autorité civile les actes de fondation et leur» règlements fut maintenue.
L'obligation de communiquer les modifications fut maintenue.
La qualité de personne civile fut suspendue à dater du moment où ces obligations ne seraient pas remplies, pour ne reprendre vigueur qu'au jour où il serait satisfait à la loi.
Pour les institutions mixtes, concert obligé entre l'autorité laïque et l'administration de l'Eglise, mais sous l'approbation de la députation des Etats. Comme dans le projet Thorbeke, pouvoir donné au roi de régler l'administration d'une fondation devenue sans objet lorsqu'il ne serait pas pourvu à cette administration conformément et dans les délais fixés par la loi.
Le projet Thorbeke imposait aux administrations d'institutions de bienfaisance sans distinction, l'obligation de faire un rapport sur leurs opérations et leur situation, la loi Van Rheenen précise la nature de ce rapport et les points sur lesquels il doit porter ; le relevé des secours, les dépenses d'administration, le produit des collectes, souscriptions, dons, subsides doivent y être compris.
La loi Van Rheenen subordonne les collectes, etc., tout ce qui tend à l'accumulation de capitaux, sauf les collectes dans l'église, à l'approbation de l’autorité publique. La loi prescrit un contrôle très étendu de l'autorité publique sur les actes d'administration qui ont rapport à la gestion des biens.
Les actes posés en dehors de la loi sont cassés, à la diligence du ministère public.
La loi pose le principe que les institutions d'église et particulières sont chargées de secourir les pauvres.
L'indigent ne peut être secouru qu'après s'être assuré qu'il ne peut l'être par une institution d'église ou particulière.
La loi dont je viens de résumer les dispositions les plus essentielles par rapport à la question que nous discutons n'a dérogé à aucun des principes soutenus par M. Thorbeke et son auteur reconnaît que c'est un devoir de surveiller tout ce qui se rattache à la charité et de se faire donner tous les renseignements nécessaires à la rédaction du rapport annuel que la loi fondamentale prescrit. Elle maintient des limites très absolues à l'indépendance des institutions d'église et particulières ; elle ne diffère en réalité que par l'adoucissement des moyens correctifs ; elle organise un contrôle sérieux ; le projet de M. Thorbeke procédant de cette pensée qu'il était nécessaire d'agir très énergiquement envers les institutions d'église et les institutions particulières pour réprimer les abus incontestés.
(page 1447) Voilà, messieurs, dans quel esprit s'est produite la modification introduite en 1854 à la législation sur les institutions de bienfaisance en Hollande. C'était une loi destinée à reformer les abus, c'était une loi de transition tenant compte des faites préexistants.
Les grands principes que nous défendons, et qui ont leur base dans les plus hautes considérations d'ordre public, ont été maintenus par M. Thorbeke, et si son projet n'a pas prévalu, c'est qu'il allait trop loin dans la voie de la réforme et qu'il s'est heurté au sentiment protestant.
Néanmoins le principe du contrôle de l'Etat a été maintenu dans la loi nouvelle, et ce contrôle a été évidemment renforcé. La nouvelle loi a fait plutôt un pas vers la centralisation que vers l'indépendance de la bienfaisance privée dans l'acception que vous lui donne.
Cette législation, dont on invoque une disposition, celle des administrateurs spéciaux, l’accepterait-on tout entière avec les principes proclames par l'honorable M. Thorbeke et qui ont trouvé, comme je l'ai fait remarquer, l'appui de la majorité des sections ?
Qu'on cesse donc de lui emprunter un appui contre notre opinion.
Mais cette législation nouvelle en Hollande ne confirme-t-elle pas de la manière la plus évidente tous les inconvénients attachés au régime des administrateurs spéciaux que le projet en discussion veut faire prévaloir ?
Le résumé que je viens de vous présenter prouve à l'évidence les inconvénients que la décentralisation avait produits en Hollande et qu'elle produira inévitablement chez nous.
J'aborde maintenant, messieurs, les griefs articulés contre l'administration officielle de la bienfaisance :
Les reproches les plus injustes, les plus imméritée ont été articulés ; ils révèlent une profonde ignorance des faits et ne prouvent qu'une chose, la pression que l'on apporte à la discussion d'une loi aussi importante.
Messieurs, depuis douze ans, je fais partie d'un comité de charité. C'est une position bien humble, qui exige beaucoup de dévouement et qui ne rapporte aucun bénéfice. Vous ne connaissiez probablement pas l'organisation de ces comités. Permettez-moi d'entrer dans quelques détails à cet égard.
Je tien en main un règlement qui n'a pas été fait pour, la cause ; il remonte au 3 décembre 1844. Il va vous prouver, je pense, que c'est à tort que l'on prétend que l'on veut exclure l'intervention religieuse de l'exercice de la chante officielle. C'est sous l’empire de ce règlement que le comité de charité fonctionne encore aujourd'hui.
Vous verrez qu'administrativement on a pu appliquer ce que vous voudriez voir consacrer légalement.
Je lis à l'article 3 de ce règlement :
« Le comité est présidé par le curé de la paroisse, qui en fait partie de droit. Indépendamment du cure président, chaque comité nommera dans son sein un vice-président et un secrétaire-trésorier, dont les fonctions sont annuelles, mais qui pourront être réélus. »
L'article 4 est ainsi conçu :
« Le curé pourra se faire remplacer, au besoin, par l'un de ses vicaires. En ce cas, le comité sera présidé par le vice-président.
L'article 12 autorise l'adjonction d'un comité de dames visitrices.
L'article 18 est ainsi conçu :
« Les attributions des comités de charité s'étendront à tout ce qui concerne les secours à domicile, le patronage des indigents, l'amélioration physique, morale et intellectuelle de la classe ouvrière dans leurs paroisses respectives.
« Dans la répartition des secours, il ne sera fait d'autre distinction que celle commandée par la diversité des infortunes. »
L'article 35 porte :
« Il sera tenu par chaque comité un registre des pauvres où seront inscrits tous les indigents qui pourront être assistes et dont le domicile de secours à Bruxelles aura été constaté. Les femmes y seront portées avec leurs maris, et les enfants mineurs avec leurs parents. Les indigents chefs de famille y seront inscrits sous une seule et même série de numéros ; le lieu, la date de leur naissance, leur demeure, leur âge, leur profession y seront mentionnés dans des colonnes distinctes. Un index sera établi à la fin de ce livre. »
L'article 36 porte qu'aucune inscription au livre des pauvres ne pourra avoir lieu qu'en vertu d'une décision du comité.
L'article 60 porte que nul indigent ne recevra de secours s'il refuse de faire vacciner ses enfants.
Je ne pense pas que cette salutaire violence puisse être critiquée.
Le même article recommande aux visiteurs d'employer toute leur influence pour engager les pauvres qui vivent en concubinage à se marier et à reconnaître leurs enfants.
L'article 61 est ainsi conçu :
« Outre les divers genres de secours dont il vient d'être fait mention, les indigents inscrits au livre des pauvres peuvent encore obtenir, au moyen de certificats délivrés conformément à la loi et aux règlements :
« 1° Des passe-ports gratuits avec la subvention de... centimes par lieue ;
« 2° La permission d'étaler ou de vendre dans les rues, de balayer certains quartiers, etc.
« 3° La participation à certains travaux publics ;
« 4° L'exemption des droits d'enregistrement et de succession ;
« 5° La remise ou la modération des impôts et patentes ;
« 6° La délivrance gratuite d'actes de l'état-civil ;
« 7° L'inhumation gratuite pour eux et leurs enfants ;
« 8° La faculté de se présenter au bureau des avocats, séant au palais de justice, pour obtenir des consultations, et même, au besoin, une direction dans les affaires contentieuses qui leur surviennent ;
« 9° L'autorisation nécessaire pour plaider gratuitement (pro Deo).
Je vous signalerai spécialement l'article 69 ainsi conçu :
« Dans le cas où un bienfaiteur des pauvres remettrait un don entre les mains d'un membre de comité, en indiquant un emploi spécial pour sa libéralité, il en sera rendu compte au comité, qui devra se conformer strictement à l'intention du donateur. »
Les articles 76, 77, 78 et 79 déterminent la nature des rapports des comités avec les sociétés et institutions charitables particulières ; ils sont ainsi conçus :
« Art. 76. Les sociétés et les institutions charitables particulières pourront s'adresser au conseil général pour être admises, s'il y a lieu, sous son patronage.
« Dans certaines circonstances le conseil pourra leur accorder des subsides.
« Art. 77. Les sociétés et les personnes qui ont l'habitude de faire annuellement ou occasionnellement des distributions aux indigents, pourront se servir, pour ces distributions, de l'intermédiaire des comités de charité, et ce afin de prévenir les doubles emplois et comme moyen la plus certain de venir au secours des malheureux.
« Art. 78. Les associations particulières de bienfaisance, admises sous le patronage du conseil, pourront en outre être invitées à déléguer un ou plusieurs de leurs membres pour assister, avec voix consultative, aux conférences de charité dont il est fait mention au chapitre III du présent règlement.
« Art. 79. Chacun des membres des associations particulières et les personnes qui consentiront à distribuer leurs aumônes par l'intermédiaire des comités de charité, pourront s'adresser au conseil général ou aux comités de leurs paroisses respectives, qui leur remettront des cartes qu'ils pourront donner à leur tour aux indigents qu'ils croiront susceptibles d'être recommandés à la sollicitude de l'administration.
« Munis de ces cartes, les indigents pourront s'adresser, soit aux comités, soit aux visiteurs et aux dames de charité, qui, après les avoir visités à domicile, leur accorderont, s'il y a lieu, les secours dont ils auront besoin. »
Ces dernières dispositions reçoivent une application constante, depuis un grand nombre d'années, en ce qui concerne les dons que le président de notre comité juge à propos de faire distribuer aux indigents.
C'est par l'entremise des visiteurs que le président du comité fait parvenir aux indigents de la paroisse les dons personnels qu'il leur destine.
Il y met seulement une condition, et je suis loin de l'en blâmer ; agissant comme particulier, il a parfaitement le droit de la poser. Cette condition, c'est que le don devra être précédé de l’assistance à une conférence religieuse tenue à l'église.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, lorsqu'un bienfaiteur fait un don à un comité de charité, un don manuel, soit en argent soit de toute autre nature et qu'il en détermine l'affectation, cette affectation est respectée, cette affectation est réalisée avec toutes les garanties que le donateur peut désirer, puisqu'il peut réclamer des bons qu'il distribue comme il l'entend aux indigents qu'il a en vue.
Messieurs, cette disposition montre dans quel esprit l'administration des secours publics de Bruxelles a toujours fonctionné.
Les comités de charité recrutent avec la plus stricte impartialité, et si ce n'était pas une observation puérile, je dirais que, grâce à la bonne entente qui existe entre tous les membres de notre comité et le président, tous les membres sont choisis eu quelque sorte sur la proposition du curé président.
Il n'en serait pas ainsi si nous nous laissions guider par les mesquines et intolérantes considérations qu'on nous prête. Nous ne voyons dans nos collègues que des citoyens coopérant avec nous à l'accomplissement d'un devoir social et chrétien, et ne trouvons pas le moins du monde mauvais qu'ils suivent les processions un cierge à la main. Pourquoi ? Parce que nous respectons toutes les convictions, parce que chez nous l'esprit de tolérance n'a pas de limites et que pour nous la conscience de l'homme est un sanctuaire.
Je ne sais, messieurs, si je dois vous faire connaître maintenant le règlement spécial concernant les secours médicaux.
- Plusieurs membres. - Parlez, parlez.
M. Prévinaire. - Voici, messieurs, ce que porte ce règlement dans ses articles 5, 6, 7, 10, 13 et 15.
« Art. 5. Les médecins-chirurgiens donnent des consultations gratuites aux indigents inscrits au livre des pauvres et dans les maisons de secours ou autres lieux désignés par les comités ou le conseil général, tous les jours avant 9 heures du matin ou telle autre heure à déterminer de commun accord avec eux.
« Art. 6. Ils visitent à domicile les malades indigents qui les appellent ou qui leur sont indiqués par les visiteurs ou les dames de charité.
(page 1448) « Art. 7. Les médecins-chirurgiens des pauvres doivent encore gratuitement leurs soins aux indigents qui n'ont pas leur domicile de secours à Bruxelles, lorsque le malade les réclame ou lorsqu'ils leur sont demandés par le comité de charité ou par l'un de ses membres.
« Art. 10. Les médecins-chirurgiens attaches aux maisons de secours sont encore chargés de vacciner les enfants indigents : ils s'assureront avec le plus grand soin des effets de l'opération et renouvelleront fréquemment le vaccin.
« Art. 13. Les médecins porteront à la connaissance soit des comités, soit du conseil général, tous les faits qui intéressent le service sanitaire de la classe indigente.
« Art 15. Dans le courant de chaque année, les médecins feront une visite générale des pauvres de la division à laquelle ils sont spécialement attachés, afin de constater leur état de santé, celui de leurs habitations, les influences nuisibles auxquelles ils peuvent être exposés. Ils seront accompagnés, autant que possible, dans ces visites par l'un des membres du comité paroissial. A la suite de la visite, ils consigneront dans un rapport le résultat de leurs observations, en indiquant autant que possible les remèdes à apporter aux inconvénients qu'ils pourront signaler. Ce rapport sera transmis au conseil général. »
'Voilà, messieurs, bien certainement de la philanthropie si ce n'est pas de la charité. Cette philanthropie, personne ne peut la blâmer ; personne n'admettra qu'on puisse en dériver ou en tarir les sources.
Je viens de montrer quelle était la valeur de cet argument, à savoir qu'on détournait les fondations de secours publics de la volonté du fondateur. Ce reproche n'est pas plus fondé, en ce qui concerne les dons manuels et les subsides que les comités reçoivent de la charité privée qui nous a toujours généreusement aidés dans notre mission en nous confiant le soin de les distribuer. On comprend généralement que nos comités soient, mieux que personne, à même d'en faire bon emploi.
Messieurs, je ne vous ai pas cité toutes les dispositions de ce règlement qui ont rapport à la reddition des comptes. Dans nos institutions les comptes sont une chose sérieuse. Les membres du comité ne disposent d'aucuns fonds ; ils ont uniquement le droit de mandater sur la caisse du bureau où se trouvent concentrées les ressources. Ainsi, lorsqu'il s'agit de secours en argent, des formules de bons sont remises aux indigents qui mandatent dans la limite d'un crédit généralement très restreint.
Les bons indiquent le nom de la partie prenante, et comme tous les indigents sont connus au bureau de distribution, la fraude est impossible. Lorsqu'il s'agit de bons de pains ou d'autres secours, la même formalité de comptabilité est observée. Le trésorier tient un compte sérieux avec pièces à l'appui ; le compte est examiné et contrôlé par le comité et remis à l'administration centrale qui, à son tour, l'examine et le contrôle.
Une des dispositions les plus importantes de ce règlement, c'est celle qui concerne les conférences annuelles auxquelles des délégués de tous les comités doivent prendre part. Ces conférences offrent un avantage considérable. Elles servent à arrêter les bases pour l'inscription des indigents. Sans ces conférences et sans l'adoption de bases uniformes et déterminées, vous auriez des migrations continuelles de quartier à quartier, suivant que les secours seraient distribués avec plus d'abondance.
Ces conférences où l'on imprime aux comités une impulsion destinée à assurer l'unité convenable, où l'on examine en commun, et chacun avec une entière indépendance, les meilleures mesures à prendre pour remplir la mission importante et d'intérêt social qui est confiée aux comités de charité, ont donc un caractère de haute utilité. C'est là que le bienfait de la centralisation se fait sentir.
Après vous avoir dit, messieurs, ce que nous faisons, comment nous sommes organisés dans nos comités de charité, permettez-moi de vous faire connaître de quelle manière, à mon avis, devrait être exercé ce qu'on appelle la bienfaisance publique. Je désire, quant à moi, que l'autorité publique intervienne peu dans la distribution des secours. Je repousse tous les secours à domicile ayant un caractère de permanence. Je me fonde sur l'expérience que j'ai acquise par douze années de contact avec les pauvres. Ces secours à domicile, on l'a fait observer avec raison, peuvent égarer l'opinion des indigents et leur faire croire qu'ils ont droit à des secours.
Je ne veux pas que l'idée d'un droit à l'obtention d'un secours puisse se propager dans les classes inférieures. D'un autre côté, les secours à domicile, lorsqu'ils ne sont pas motivés par une situation accidentelle, donnent lieu à de bien graves abus.
Je n'entrerai pas dans de longs détails sur ces abus. Je pourrais vous citer un grand nombre d'exemples. Je me bornerai à celui-ci : Une personne jouissant d'une pension de huit cents francs, est parvenue, pendant un grand nombre d'années, malgré toutes les recherches, à se maintenir sur le registre des pauvres, en feignant une misère qu'elle n'avait pas.
Elle avait un double domicile. Pour mieux exploiter la charité, elle avait imaginé d'occuper un misérable tandis où le visiteur et d'autres bonnes âmes la rencontraient tandis qu'elle avait ailleurs un domicile plus réel où elle respirait une certaine aisance.
Et ne croyez pas que la charité officielle puisse être seule mise en défait.
J'ai été en contact avec des membres de la société de Philanthropie, avec ces excellentes dames qui s'occupent de la charité à Bruxelles ; je leur ai signalé souvent les fraudes dont elles étaient victimes. Je leur ai donné des indications qu'elles ne soupçonnaient pas. Nous nous trouvions à trois à distribuer des secours à des personnes auxquelles il aurait fallu ne rien donner.
Voilà les conséquences de cette lutte dans la voie de la charité.
Je voudrais, quant à moi, que l'intervention de la charité publique se bornât aux hôpitaux, parce que là il y a accomplissement d'un devoir social. Pour les misères accidentelles qui ne tiennent pas à l'homme, qui sont un fait indépendant de l'homme, il faut que la société intervienne.
Je voudrais aussi l'intervention de la bienfaisance officielle pour le traitement des incurables, de ceux qui, en raison de leurs maux, ne peuvent sans danger rester dans la société, qui au point de vue de l'hygiène doivent être isolés, et qui exigent les soins constants qu'on ne pourrait leur donner à domicile.
Je suis, quant à moi, formellement en opposition avec tous les systèmes qui tendent à affaiblir le sentiment de la responsabilité chez l'homme. Le sentiment de la responsabilité chez l'homme, voilà ce qu'il faut exciter ; voilà ce qu'il ne faut pas affaiblir en inspirant une fausse confiance dans la charité et surtout dans une charité organisée.
Un simple rapprochement vous démontrera combien d'efforts sont possibles quand on n'affaiblit pas, par de trop grands secours, le sentiment de la responsabilité chez l'homme.
Le prix du pain que consomme la classe ouvrière était, en 1852, de 24 c. Il s'est élevé, en 1856, à près de 50 c. Supposez un ménage composé de cinq individus et consommant en moyenne 3 kilog. Cela fait par jour pour ce ménage une différence de plus de 75 c. entre 1852 et 1856. Eh bien ces 75 c. par jour, multipliez-les par 365 jours, et vous, arrivez à la somme considérable, pour un ménage, de 275 fr. environ. Mettez cette somme en rapport avec le salaire de l'ouvrier et dites-moi si vous pensez qu'il soit possible de compenser par des secours l'insuffisance de ressources que le renchérissement des denrées de première nécessité peut produire.
Savez-vous ce que nous avons distribué en moyenne par ménage malgré la large intervention de la charité privée, en 1855 et 1856 ? En 1855 nous avons distribué 37 fr. 16 c. par ménage, et 41 francs en 1856.
En 1855 le prix du pain consommé par la classe ouvrière a été pendant longtemps de 40 centimes par kil. ; il est aujourd'hui de 32 centimes ; cette différence de huit centimes répond pour l'année à fr. 87 60 pour un ménage composé ainsi que je l'ai dit. Ce ménage serait aujourd'hui plus heureux sans secours aucun du comité du charité qu'en 1855 avec les secours.
De même les indigents qui n'auraient rien obtenu, en 1852, se seraient trouvés dans une position infiniment meilleure qu'ils ne l'ont été en 1856 avec la quotité de secours dont ils ont joui.
C'est grâce au sentiment de sa responsabilité que notre classe ouvrière peut se tirer aussi bien d'affaire dans les années calamiteuses. L'esprit d'ordre fait des progrès ; on s'ingénie à économiser, à travailler davantage, à mieux s'utiliser.
Votre loi devrait avoir les caractères d'une loi d'ordre public et d'intérêt social : elle n'est qu'une loi de parti, qu'une majorité fait, qu'une autre majorité défera.
Devant vous se dressera bientôt l'opinion publique ; les hommes calmes et réfléchis repousseront une législation qui ne se présente qu'avec le caractère de la dotation de la propagande religieuse.
C'est de la charité exclusive que vous voulez faire ; vous lancez l'anathème, l'interdit sur nos bureaux de bienfaisance, sur ces milliers de citoyens qui consacrent leurs soins gratuitement à l'administration du domaine des pauvres et rivalisent de zèle et d'abnégation avec ceux qu'une pensée religieuse pousse vers le soulagement de la misère.
Nos citoyens font le bien, vos adeptes ont en vue la béatitude éternelle : de quel côté se trouve le vrai désintéressement ? C'est ce que chacun de nous appréciera.
Périsse l'enseignement laïque, périsse la bienfaisance publique, la bienfaisance païenne ! Voilà votre cri de guerre, et votre loi n'est pas loi de parti !
L'organisation de la charité exclusivement catholique, intolérante, voilà ce que vous réclamez de nous qui avons juré d'observer cette Constitution belge qui consacre la liberté de conscience, l'égalité religieuse !
Je ne repousse pas l'action individuelle, l'action des associations s'exerçant dans cette sphère ; c'est là un droit, mais je crois que les pouvoirs publics violeraient l'esprit de la Constitution en favorisant de pareilles tendances. A mes yeux la loi devrait avoir le caractère d'une loi d'intérêt social, vous en avez fait une loi de parti.
Que s'est-il donc passé depuis le jour où un homme de cœur prenait la plume pour flétrir dans un langage magnifique cet esprit de parti qu'il considérait comme un danger pour la patrie, et comment cette plume éloquente ne se brisa-t-elle pas plutôt que de signer ce projet de loi qui sera un malheur pour le pays ?
Dominer les partis, les diriger dans un but d'utilité commune, leur (page 1449) résister, tel était son programme. N'était-ce donc que le rêve d'un honnête homme ?
Rapprochez votre loi du langage de vos prélats, de vos orateurs, de cette encyclique du pape Grégoire XVI qui condamna toutes les libertés consacrées par notre Constitution et dites-moi, la main sur votre conscience, si votre loi n'est pas un défi jeté à la civilisation moderne !
M. Malou, rapporteur. - Je compte demander à la Chambre, à la fin de la discussion, qu'elle m'accorde le privilège du rapporteur. Aussi, en ce moment, je ne veux pas rentrer dans tout le débat. Je désire seulement expliquer, en quelques mots, en réponse à l'honorable M. Tesch, quelle était mon opinion avant 1847 et quelle elle est aujourd'hui.
L'honorable M. Tesch a cité une note que j'ai faite, en 1842, non pas, comme on l'a dit au dehors, en qualité de ministre de la justice (je n'ai jamais eu cet honneur), mais en qualité de directeur de la division de législation au ministère de la justice.
L'honorable M. de Haussy, en 1848, lorsque nous avons eu pour la première fois un débat sur la question qui nous occupe aujourd'hui, a cité cette note, et il en a tiré exactement, et à peu près dans les mêmes termes, la conséquence qu'en a tirée l'honorable M. Tesch. Il soutenait que M. Malou défendait les mêmes principes que lui « et M. Malou comme aujourd'hui disait : Je vous demande pardon ! »
La réponse que je fis alors a été insérée dans le Moniteur du 22 janvier 1848. Je prie la Chambre de me dispenser d'en donner lecture. Ma note aura eu deux fois l'honneur d'être insérée au Moniteur. C'est très flatteur pour moi. Mais je ne vois pas la nécessité que mes discours y soient insérés deux fois.
Voici le fait spécial sur lequel j'ai été consulté.
Le testament portait :
« Je veux et je désire qu'après mon décès tous mes biens qui m'appartiendront alors, meubles et immeubles, aucun excepté, passent en pleine propriété aux pauvres de la communauté réformée ou protestante de Maria-Hoorebeke de sorte que ces pauvres doivent avoir tout.
« De sorte pourtant que, durant ma vie, je serai maîtresse de faire de mon bien tout ce que je veux et que si, après ma mort, il ne reste plus rien, les pauvres n'auront rien non plus. »
Telle est la clause du testament. Je copie cette phrase, elle paraît faire double emploi ; mais il n'en est pas ainsi ; elle caractérise l'intention de la testatrice, parce que là elle parle de l'institution des pauvres. La diaconie protestante demande à être autorisée à accepter ce legs, et dans les bureaux du ministère de la justice, où, quoi qu'en dise M. Tesch, l'on examinait attentivement toutes les questions, ou a soulevé d'office la question d'intervention du bureau do bienfaisance.
Voici le passage de la lettre du ministre en date du 14 juillet 1841 :
« Comme le legs n'est point fait au consistoire, mais aux pauvres de la communauté protestante et que la mission d'administrer les biens des pauvres est confiée aux bureaux de bienfaisance institués par la loi du 7 frimaire an V, je pense que c'est au bureau de bienfaisance à solliciter l'autorisation d'accepter le legs sous la condition d'en distribuer le revenu aux pauvres de la communauté protestante exclusivement, selon le vœu de la testatrice. »
Cette direction nouvelle donnée à l'affaire, on consulte la députation permanente, l'autorité communale, le consistoire, le bureau de bienfaisance. Celte affaire revenant, on la soumet a plusieurs jurisconsultes, à plusieurs administrateurs, les opinions sont extrêmement partagées ; presque tous se prononcent en faveur de la diaconie ; on le conçoit, car la clause porte : les pauvres de la communauté réformée.
Or dans l'organisation de la diaconie protestante, telle qu'elle est encore aujourd'hui, on trouve à certains égards le caractère des fabriques d'église et à certains égards le caractère des bureaux de bienfaisance. En présence de ce conflit l'affaire a été renvoyée au bureau de législation.
Le renvoi a été ordonné en ces termes :
« Lorsqu'un legs est laissé à une fabrique d'église ou à un consistoire avec charge de distribuer des aumônes aux pauvres, je pense que la fabrique ou le consistoire peut être autorisé à le recevoir en vertu de l'article 84, paragraphe 2, de la loi communale ; mais lorsqu'un legs est fait aux pauvres catholiques ou aux pauvres protestants d'une commune sans désignation d'établissement public pour l'administrer, je crois que c'est exclusivement au bureau de bienfaisance de cette commune, représentant légal des pauvres, et ainsi nullement à la fabrique de l'église ou du consistoire protestant qu'il appartient de le recevoir.
« D'après cette manière de voir, j'ai proposé la lettre ci-jointe qui fut adoptée et expédiée le 14 juillet dernier (je vous ai lu, messieurs, le passage où cette opinion était indiquée aux autorités), mais comme le consistoire de Maria-Hoorebeke réclame et trouve appui prés du gouverneur de la province de Flandre orientale, je désirerais que M. le secrétaire général voulût bien soumettre la question à l'avis de la division de législation. »
Sur ce intervint la note qui se trouve aujourd'hui textuellement au Moniteur.
J'ai relu cette note ; eh bien, si la même affaire m'était soumise aujourd'hui, je ferais la même note sans en retrancher un mot. Si l'affaire était soumise au gouvernement le lendemain du vote de la loi que nous discutons, je dirais : D'après la clause du testament, c'est au bureau de bienfaisance que le legs doit être remis, parce que quand on institue les pauvres comme légataires, c'est le bureau de bienfaisance qui doit accepter ; après le vote de la loi, quand il n'y aura pas de désignation d'administrateurs spéciaux, le bureau de bienfaisance sera seul apte à accepter le legs, parce qu'il est, à l'exclusion de tous autres, le représentant légal des pauvres à quelque religion qu'ils appartiennent.
Ainsi il n'y pas un mot dans cette note que je veuille rétracter aujourd'hui.
Messieurs, supposons au contraire que le testament de la dame Van Caubergh, au lieu de porter ces mots : « Je donne aux pauvres de Maria-Hoorebeke, » eût, comme le testament de M. Mettenius, dont j'ai parlé dans mon discours, contenu cette clause : « Je donne au consistoire protestant de Maria-Hoorebeke pour les pauvres protestants, la totalité de mes biens ; » quelle eût dû être la disposition du gouvernement ? Je vais vous expliquer ce qu'elle eût été sous la jurisprudence antérieure à 1847. On aurait dit : Le principe de la législation, c'est le maintien de l'unité de l'action de la bienfaisance officielle. L'exception doit être limitée à l'administration et elle ne peut s'étendre qu'à la distribution : spéciale.
Pour prouver que tel était le principe de la jurisprudence, je dirai que pendant les huit années que j'ai passées au ministère de la justice, examinant, quoi qu'en dise l'honorable M. Tesch, avec la plus grande attention toutes les difficultés qui se présentaient, je n'ai pas eu, d'après mes souvenirs, une seule fois l'occasion de proposer l'application de l'article 900 du Code civil, c'est-à-dire de réputer non écrites des dispositions trouvées dans un testament ou dans un acte de donation.
Que faisait-on alors ? Dans le Moniteur même que je citais tout à l'heure, répondant à l'honorable M. de Haussy en 1848, j'ai relaté trois ou quatre faits.
J'ai cité l'affaire Hecquet de Bérenger, où une dame protestante avait fait des dons spéciaux, pour des pauvres protestants et pour les pauvres catholiques de certaines paroisses de Bruxelles. Cette affaire s'est présentée sous le ministère, de M. Ernst. On a investi les hospices de la propriété, mais on a respecté le testament quant aux clauses, qui n'enfreignaient pas spécialement le principe de l'unité, sauf l'exception de l'administration.
Pour l'affaire Van Oye, qui a également été citée, le testateur instituait directement les curés de Bruges et voulait que les distributions fussent faites par eux.
L'autorisation n'a pas été donnée ainsi. Le gouvernement a voulu que la propriété fût conférée au bureau de bienfaisance de Bruges, mais en voulant cela, il a respecté la volonté du testateur quant à la distribution par les curés.
M. Frère-Orban. - C'est une fiction.
M. Malou. - Croyez-moi, ce n'est pas une fiction ; je vais vous démontrer par un autre exemple qui n'a pas encore été produit, que c'était une réalité, et vous m'aurez fourni l'occasion de vous démontrer la vérité de ce que je disais l'autre jour ; nous demandons aujourd'hui la restauration pure et simple du système qui a toujours existé et qui a toujours été pratiqué avant 1847.
Messieurs, il y a, dans le pays, plusieurs institutions qui sont affiliées aux hospices. Il y a par exemple, et je ne m'y arrête qu'un instant, la société royale de Philanthropie (je crois que c'est le titre officiel) qui existe à Bruxelles et qui a fondé un hospice. Demandant l'autre jour au vice-président de cette société, quels étaient l'organisation, les relations avec les hospices, les droits, il m'a dit : Nous avons voulu fonder en personne civile notre hospice ; nous avons dû en abandonner la propriété aux hospices de Bruxelles et nous nous sommes soumis à leur contrôle. On vient examiner les comptes de notre hospice. Mais, ai-je-dit, pour le reste, pour les secours que vous distribuez, pour la gestion de tous les intérêts de la société ? Nous n'avons jamais admis que les hospices pussent s'en occuper.
Voilà la réponse qui m'a été faite ; je cite mes autorités, parce que, si je me suis trompé, il faudra qu'on l'on s'y prenne à l’insuffisance des renseignements que j'ai reçus.
A peu près à la même époque, en 1842 également se présentait mie affaire très délicate à Malines.
Il s'était fondé une société qui avait réuni des ressources assez considérables. Cette société libre demandait au gouvernement d'être reconnue comme institution d'utilité publique, et l'on invoquait un précèdent posé à l'égard d'une société d'Anvers qui avait été reconnue personne civile distincte sous le gouvernement des Pays-Bas.
L'honorable M. de Brouckere, alors président de la députation permanente de la province d'Anvers, et qui, lui aussi, examina les affaires, je saisis volontiers l'occasion de lui rendre cette justice, soulevait d'office la question de savoir s'il est permis au gouvernement de reconnaître de nouvelles personnes civiles ; il invoque, à l'appui de l'opinion négative, le rapport présenté par M. Dedecker au sujet de la proposition Brabant-Dubus ; l'examen s'engage naturellement sur ce point au ministère de la justice, et l'on reconnaît au ministère de la justice que l'on ne peut pas constituer, par arrête royal, une nouvelle personne civile.
L'affaire revient à la division de législation, et voici une note (page 1450) temporaire de celle qu'on a citée et pour laquelle je demande aussi l'hospitalité dans les colonnes du Moniteur.
« Quel est le sens et quel est le seul but de l'article 84, n°2 de la loi communale ? Le sens en est évidemment que des fondateurs, en donnant à des institutions légalement établies, pourront néanmoins désigner des administrateurs spéciaux.
t Le but de ce paragraphe n'est pas moins facile à saisir : l'on n'a pas voulu restreindre l'esprit de bienfaisance en n'admettant pas une pareille dérogation aux règles générales, mais, d'un autre côté ; le besoin de conserver de l'unité et de l'ordre dans l'exercice de la charité publique n'a point permis d'étendre l'exception au-delà de la création d'administrateurs spéciaux.
« Il faut donc qu'il y ait fondation, c'est-à-dire mise en mainmorte d'une partie de biens ; il faut que les biens ainsi amortis passent à une institution légalement existante ; il faut qu'il n'y ait réserve que quant à l'administration.
« Hors de ces conditions, l'article 84 est sans application possible.
« Par une conséquence ultérieure, la société établie à Malines peut bien continuer d'exister comme société particulière, libre de par la Constitution ; mais, si elle désire obtenir la garantie de durée, le privilège de la mainmorte, elle doit céder son actif au bureau de bienfaisance : l'administration peut bien être conservée aux gérants actuels et à ceux qui seraient appelés conformément aux statuts, s'ils étaient approuvés par le gouvernement ; mais la tutelle administrative, pour le contrôle de la gestion des biens et pour leur conservation, doit lui être appliquée : elle ne peut aspirer à cumuler les bénéfices de la position d'établissement libre et privé avec ceux de la position d'établissement public. Après la donation de ses biens au bureau de bienfaisance, si d'autres donations sont faites, c'est encore au bureau et non à la société qu'elles devront être faites, sauf le droit d'administration spéciale. Dans une position ainsi définie, la réserve que fait le bureau de bienfaisance, quant aux dettes que la société pourrait contracter, est véritablement un non-sens.
« Je crois donc que pour régulariser cette affaire il y a lieu, ainsi qu'on le propose, de provoquer la donation des biens de la société au bureau de bienfaisance : il me paraît évident, en présence de l'article 931 du Code, que l'acte doit être passé devant notaire.
« Mai 1842. J.M. »
Ce dossier et celui de Maria-Hoorebeke sont à la disposition de mes honorables adversaires.
Je ne supprime de cette note que le dernier passage, relatif à un article autorisant des loteries périodiques, et qui est complètement étranger à la question actuelle.
M. Frère-Orban. - Il est fâcheux que vous ne souteniez pas toujours les mêmes principes.
M. Malou. - Voilà une étrange interruption. Il est fâcheux que je ne soutienne pas toujours les mêmes principes ! Et j'invoque cette note pour prouver que la note de 1842, citée par l'honorable M. Tesch, et celles-ci sont deux paragraphes additionnels au rapport que la section centrale a fait sur le projet de l'honorable M. Nothomb ; qu'en d'autres termes, c'est la démonstration en fait du système pratiqué avant 1847 et du système du projet de loi.
Je pouvais ne pas produire cette note ; je la produis parce qu'il est impossible, suivant moi, de mieux prendre sur le fait la jurisprudence que l'on suivait à cette époque, car le gouvernement pratiquait ces principes que je soutiens aujourd'hui comme alors.
Je demande d'abord quel est le sens de l'article 84 et je dis : Le sens évident de l'article 84, c'est qu'on peut détacher l'administration de la propriété et nommer des administrateurs spéciaux. C'est ce qui avait toujours été admis et admis par des jurisconsultes qui avaient un certain nom dans le monde. Mais aujourd'hui Portalis lui-même n'est plus une autorité que l'on puisse citer. (Interruption.)
- Un membre. - En certaines matières.
M. Malou. - Lorsque nous disions, dans le temps : Votre système n'est pas fondé, vous violez la loi, cela est contraire à l'article 84, on nous répondait : Vous n'êtes pas de cet avis, plaidez, allez devant les tribunaux ; nous allons devant les tribunaux, la cour de cassation nous donne raison et on dit que la cour de cassation n'a pas su ce qu'elle faisait. Il n'y a de vrai, de fondé que ce que disent nos adversaires.
Permettez-moi, messieurs, de résumer les principes que l’on suivait alors et qui sont la base de la loi dont nous nous occupons.
Nous disions que l'article 84 ne se rapportait pas au passé, puisque la loi ne peut pas avoir d'effet rétroactif ; mais qu'il avait pour objet de maintenir l'unité et l'ordre dans la charité publique et que la seule réserve permise c'était l'administration ; ainsi, qu'il fallait rattacher, quant à la propriété, quant à la saisine légale, toutes les institutions aux institutions officielles ; que, par une conséquence ultérieure, il fallait donner la propriété au bureau de bienfaisance. Messieurs, je réclame avec une certaine justice une part dans la préparation du projet que nous discutons aujourd'hui ; je la réclame en faveur de tous les ministres qui se sont succédé jusqu'en 1847 : ils admettaient en effet, comme la loi admet, que l'on peut détacher l'administration de la propriété, et en second lieu, que la propriété, la saisine légale doit appartenir aux établissements officiels ; que, par conséquent, lorsque des fondations nouvelles sont créées, c'est toujours sur la tête des établissements publics que la propriété doit reposer.
Messieurs, je crois avoir établi que d'après la teneur du testament de la dame Van Caubergh qui concerne Maria-Hoorebeke, le principe qui a été suivi le serait aujourd'hui et le serait encore le lendemain de la publication de la loi que nous discutons. Je crois avoir démontré qu'on s'attachait avant 1847 à maintenir l'unité, sans casser le testament, mais en permettant l'existence d'une administration et d'une distribution spéciales lorsque le testateur l'avait exigé.
Je n'ai plus qu'un mot à dire ; je prie l'honorable M. Tesch d'agréer l'assurance de ma gratitude vive et sincère.
- La séance est levée à 4 heures 1/4.