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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 avril 1857

(

page 1684) rectification.— Séance du Î6 mai. Discours de M. Orts, pare 1(69, 2* colonne, 7* alinéa, 2'ligne. Remplacer la ligne de points par le mot : mixte t.

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1299) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Philippe Schwind, commis à Anvers, né à Francfort-sur-Mein, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des industriels, négociants, fermiers et propriétaires dans le canton de Merbes-le-Château demandent la création d'une troisième chambre au tribunal de première instance de Charleroi. »

M. de Paul. - Je prie la Chambre de bien vouloir renvoyer cette pétition, comme les précédentes, à la commission chargée de l'examen du projet de loi de réorganisation judiciaire, avec demande d'un rapport spécial, et prompt, s'il est possible.

M. Lelièvre. - J'appuie les observations de M. de Paul. J'ajoute que non seulement à Charleroi le personnel du tribunal est insuffisant, mais qu'il en est de même dans d'autres localités. C'est ainsi qu'à la cour de Liège l'insuffisance du personnel est incontestable, et cet état de choses donne ; lieu aux plus graves inconvénients sur lesquels j'appelle l'attention du gouvernement. Il est évident qu'il y a lieu de prendre à cet égard de promptes mesures.

- La proposition de M. de Paul est adoptée.


« Des propriétaires dans le canton du Rœulx demandent la révision de la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Roulers prient la Chambre d'examiner si la loi ne devrait pas exiger la preuve, par acte authentique, que le tiers de la contribution foncière, attribué au locataire pour faire le cens électoral, est payé par lui à la décharge du propriétaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Langneaux, préposé des douanes, combattant de la révolution, demande qu'on lui accorde les dix années de services dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Monstreux prie la Chambre d'accorder aux sieurs Waring la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. »

« Même demande du conseil communal de Thines. »

- Même renvoi.


« La veuve Walckiers réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement d'une créance à charge du département de la guerre. »

- Même renvoi.


« Plusieurs instituteurs communaux dans le canton de Fauvillers demandent que le traitement des instituteurs leur soit régulièrement payé à la fin du trimestre. »

- Même renvoi.


« Des instituteurs communaux dans le canton de Sibret demandent que leur position soit améliorée. »

« Même demande d'instituteurs communaux dans le canton de Bastogne. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Liefferinghen demandent que les élections aux Chambres et au conseil provincial aient lieu dans la commune. »

- Même renvoi.


« Le sieur Poivre demande.exemption de l'impôt sur deux chiens servant à son commerce. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Fafchamps demande une récompense nationale pour son invention de la machine à vapeur à traction directe. »

- Même renvoi. "


« Le sieur Sacré, directeur de ventes, prie la Chambre de faire annuler une condamnation prononcée à sa charge du chef de la publication de son journal le Bibliophile. »

- Même renvoi.


« Des industriels et habitants de Feluy prient la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer projeté de Luttre à Denderleeuw. »

- Même renvoi.


« La veuve Donay demande que son quatrième fils soit exempté du service militaire »

- Même renvoi.


« Le sieur Constant, combattant de la révolution, demande s'il peut réclamer la décoration de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« La dame Wafflard demande qu'il soit donné suite à la plainte dont elle a saisi la justice. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Weris prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet par la vallée de l'Ourthe. »

« Même demande des conseils communaux de Comblain-au-Pont, Hamoir, Filot, Bomal, Izier, Villers-Sainte-Gertrude, Heyd, Soi, Hampteau, Hotton, Durbuy, Grand-Han, Tohogne, Ferrières et d'habitants de Martouzin-Neuville, Dour, Pondrome, Beauraing, Wiesme, Focant, Wanlin, Hazonville, Dions, Honnay et Wancenne. »

- Même renvoi.


« Le sieur Reul, directeur-gérant des charbonnages de Courcelles-Nord, demande qu'on établisse un péage moyen uniforme pour tous les charbons de la vallée du Piéton expédiés vers Charleroi ou que les péages, après qu'ils auraient été mis en rapport avec ceux des autres voies navigables, soient perçus dans la proportion des distances parcourues. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi concernant les péages sur le canal de Charleroi.


« Des propriétaires, industriels et commerçants à Charleroi prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer, d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites et de permettre la sortie de tous les minerais de fer moyennant certains droits de douane. »

« Même demande de propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants à Marcinelle. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


Par dépêche du 4 avril, M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur la pétition du sieur Legrand, tendante à faire prolonger, en faveur des produits du sieur Raimbeaux, le délai accordé pour l'accomplissement des formalités donnant droit à la prime d'exportation.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, huit demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Il est fait hommage à la Chambre :

1° Par M. Jules Gondon, de son ouvrage intitulé : l'Etat de la question napolitaine.

- Dépôt à la bibliothèque.

2° Par M. Crépin, juge de paix à Rochefort, de 100 exemplaires d'une pétition concernant les fondations Jacquet, de Rochefort.

- Distribution aux membres de la Chambre.


Par messages du 4 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de loi :

1° Qui modifie l'article 16 de la loi sur la comptabilité de l'Etat ;

2° Qui autorise le ministre de la guerre à faire régulariser définitivement divers articles en litige de la comptabilité des corps de troupe ;

3° Qui approuve le traité général et la convention particulière du 14 mars 1857, concernant l'abolition des péages du Sund et des Belts ;

4° Qui alloue au département des finances des crédits supplémentaires s'élevant ensemble à 271,709 fr. 26 c.

5° Qui ouvre au budget du département des affaires étrangères, pour l'exercice 1857, un crédit supplémentaire de 90,305 francs.

6° Concernant un crédit de 1,149,000 francs pour augmenter le traitement des employés inférieurs de l'Etat ;

7° Sur les jurys d'examen pour la collation des grades académiques.

- Pris pour notification.


M. de Naeyer, retenu chez lui à cause de la maladie grave de sa fille, demande un congé de huit jours.

- Ce congé est accordé.


M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau les études qui ont été faites en vue d'obtempérer au vœu exprimé par la section centrale, dans la dernière session, relativement à l'agrandissement général de la ville d'Anvers.

- Plusieurs membres. - Le renvoi aux sections !

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je pense qu'il conviendrait de soumettre l'ensemble du travail à la section centrale, qui pourrait l'examiner immédiatement. Cela me semble plus rationnel et de nature à accélérer davantage la solution de cette question.

M. Thiéfry. - Je ne pense pas que la marche indiquée par M. le ministre de la guerre puisse être suivie.

La section centrale n'existe plus ; elle a terminé son travail.

- Plusieurs membres. - Non ! Non !

(page 1300) M. Thiéfry. - Du reste, quand même cela ne serait pas, je crois que l'objet est trop important pour qu'il ne soit pas examiné par toutes les sections. Il s'agit d'une affaire excessivement grave dans l'intérêt de la défense du pays.

M. Goblet. - Dans l'incertitude où l'on est si l'on renverra ce projet à la section centrale, je crois devoir faire remarquer qu'il ne suffit pas qu'une section centrale soit l'émanation matérielle de la Chambre. Il faut qu'elle soit pénétrée de l'esprit de cette Chambre, et par conséquent, il faut que les propositions relatives à une question aussi importante soient renvoyées à toutes les sections pour que la section centrale soit initiée aux volontés de la Chambre.

M. Coomans. - Il s'agit de savoir si la section centrale de l'année dernière existe encore, oui ou non ; car si elle existe encore, quoique je désire beaucoup qu'elle soit renforcée par de nouvelles opinions à émettre par les sections, je dois faire remarquer que le travail de celles-ci n'aboutira pas. En effet, si l'ancienne section centrale existe encore, il ne s'agira pas pour les sections de nommer de nouveaux rapporteurs. Or, si elles ne nomment pas de nouveaux rapporteurs, je demande à l'honorable M. Thiéfry de quelle façon les sections d'aujourd'hui manifesteront leur opinion ? Les sections n'ont qu'une manière de manifester leur opinion : c'est de charger leurs rapporteurs de l'exprimer. Or, si les sections du mois d'avril nomment des rapporteurs, il y en aura douze au lieu de six, à moins qu'on ne supprime l'ancienne section centrale, ce que je désire de tout mon cœur, attendu que j'en suis membre.

M. Dumortier. - Il me paraît évident qu'il faudra nommer une nouvelle section centrale. C'est un projet de loi nouveau.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je ferai observer qu'il ne s'agit ni de propositions nouvelles, ni d'un nouveau projet de loi. La section centrale a émis le vœu qu'on étudiât la question de savoir dans quelle proportion on imposerait des sacrifices à l'Etat, en procédant à l'agrandissement général de la ville d'Anvers, au lieu de procéder à l'agrandissement partiel proposé par le gouvernement. Ce que j'ai l'honneur de déposer, ce sont ces études demandées par la section centrale. Elles ne répondent donc qu'au vœu exprimé par cette section. Il n'y a pas de proposition nouvelle. Il me paraît, dès lors, rationnel de confier à la section centrale la continuation de son travail.

M. de Theux. - Il me semble que nous ne devons pas statuer immédiatement sur la suite à donner aux documents déposés par M. le ministre de la guerre.

Il conviendrait de prendre connaissance de ce document avant de statuer sur le renvoi ; nous l'examinerons en regard du rapport fait par la section centrale et nous pourrons voir s'il y a lieu de le renvoyer à la section centrale ou aux sections.

- La Chambre décide que le document déposé par M. le ministre de la guerre sera imprimé et distribué et qu'elle statuera ultérieurement sur le renvoi.

Proposition de loi autorisant le ministre de la guerre à liquider une créance par voie transactionnelle

Lecture

M. le président. - Dans une des dernières séances, plusieurs membres ont déposé une proposition de loi ; les sections en ont pris connaissance et en ont autorisé la lecture. Elle est ainsi conçue :

Art. 1er. Le ministre de la guerre est autorisé à liquider par voie transactionnelle au moyen d'une somme de douze mille francs la créance due à feu Dollin du Frenel, Frédéric, du chef de dépenses et avances faites par lui en 1830 et 1831 dans l'intérêt de l'Etat.

Art. 2. Le crédit nécessaire à ce payement sera couvert au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1857.

Art, 3, La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.

(Signé) Alph. Vandenpeereboom, Armand de Perceval, B.-C. Dumortier, P. Tack, E.J.-Isidore Van Overloop, X. Lelièvre, Brixhe, Wautelet, de Paul, T. Vander Donckt, Aug. Orts, Moncheur, Th. Janssens, Coomans, G. Van Cromphaut.

- La Chambre décide qu'elle entendra demain les développements de cette proposition.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le projet de la section centrale laissant intact le projet du gouvernement, ne le modifiant qu'en quelques points accessoires, nous ne faisons aucune difficulté de nous rallier à ce projet.

M. le président. - Le gouvernement se ralliant au projet delà section centrale, la discussion s'établit sur ce projet.

La parole est à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Rarement un projet de loi a été discuté en dehors du parlement avec tant de persistance et sous des formes aussi diverses. Livres, brochures, journaux, élections, il a traversé toutes les épreuves et certes s'il n'a pas succombé sous tant d'attaques, c'est qu'il a pour lui la force d'une œuvre de bonne foi et de modération.

Mais, comme dans toutes les luttes longues et vives, ce dont on se préoccupe le moins, c'est de présenter dans toute sa simplicité et dans toute sa vérité la loi qui fait l'objet du débat, il ne sera donc pas inutile de vous rappeler quel est exactement le système que le gouvernement a cru devoir adopter dans le projet de loi qu'il a soumis à cette Chambre ; en justifiant ce système je pourrai déjà répondre aux critiques, sinon les plus violentes, au moins les plus saillantes dirigées jusqu'ici contre lui.

Que ce fût un devoir pour le gouvernement d'apporter à cette tribune le projet d'une législation nouvelle sur les établissements de bienfaisance, c'est ce que personne ne pourrait contester avec quelque justice. Les faits posés par nos honorables prédécesseurs nous imposaient cette tâche difficile. Les controverses soulevées par une circulaire très connue, datant du ministère de MM. Rogier et Frère, les projets présentés sous le ministère de M. Henri de Brouckere, suffisent à démontrer l'impossibilité de laisser la législation charitable dans le statu quo.

L'arrêt récent de la cour de cassation, en brisant, au point de vue de la légalité même, le système de 1847, n'a point modifié la situation que cette grave question fait au cabinet. Il n'en reste pas moins beaucoup à faire dans l'intérêt de la bienfaisance publique et privée : et le projet, loin de perdre son caractère de nécessité, en acquiert une opportunité nouvelle. Aussi le gouvernement entend le maintenir avec la ferme conviction de servir en cela l'intérêt le plus sacré, celui de l'infortune.

La séparation profonde qui existe entre les adversaires et les partisans du projet de loi n'a rien qui doive nous surprendre. En effet, ils n'ont pas le même point de départ ; ils placent la question sur un terrain différent ; ils procèdent d'après les principes d'une politique opposée.

Permettez-moi, messieurs, d'appeler toute votre attention sur cette position prise par ceux qui combattent le projet de loi, et sur la position qu'ils font ainsi à ceux qui appuient le projet de loi. Il jaillit de là beaucoup de lumière pour la discussion.

Au point de vue de certains adversaires du projet, la charité fait trop et par conséquent elle possède, sinon trop, au moins assez.

D'après nous, la charité ne fait pas assez, parce qu'elle possède trop peu de ressources. C'est pourquoi ces adversaires du projet excluent le concours de la charité privée et veulent investir les administrations officielles d'une sorte de monopole pour toutes les œuvres charitables dont l'action s'étend au-delà du présent. Liberté, disent-ils, à chacun de faire l'aumône et de faire le bien de son vivant comme il l'entend, mais défense aux hommes charitables de continuer leur volonté en même temps que leurs bienfaits sur l'avenir.

Nous, nous admettons qu'en face de tant de misères que la société moderne porte en elle, il faut faire accueil et il faut faire appel à tous les dévouements, à tous les sentiments religieux, à toutes les combinaisons qui peuvent accroître le patrimoine des pauvres, tout en maintenant, en fortifiant, en multipliant les garanties dont ce patrimoine sacré doit être entouré pour sa conservation comme pour son emploi.

Nos adversaires disent à la charité privée ; « Le présent est à vous, mais l'avenir vous est interdit. »

Nous, nous disons à la charité privée : « Vous avez l'avenir comme vous avez le présent, vos œuvres auront aussi le temps pour elles au lieu de mourir avec vous, mais en vous inclinant devant la loi et en subissant le contrôle continu des pouvoirs publics et de la publicité elle-même, qu'on a appelée, à juste titre, un quatrième pouvoir dans l'Etat. »

Cette divergence dans le point de départ, qui engendre la divergence radicale de la solution que poursuivent les adversaires et les partisans du projet de loi, cette divergence, d'où provient-elle ?

Elle vient de ce que nos adversaires placent la question sur le terrain de la théorie et que nous le plaçons, comme il convient à tout gouvernement, sur le terrain des faits, c'est-à-dire de la réalité.

Nos adversaires, qu'ils le disent ou qu'ils ne le disent pas, qu'ils le veuillent ou qu'ils ne le veuillent pas, se fient à une doctrine économique. Ils croient, ils professent, ils écrivent que la charité multiplie les pauvres, accroît l'indigence, développe le paupérisme.

C'est la doctrine de Malthus.... Mais c'est la doctrine de Malthus dans ce qu'elle a le moins vrai. Car Malthus, au moins, dirige ses reproches les plus ardents contre la charité légale. C'est celle-ci qu'il condamne et veut faire proscrire, taudis que chez nous, messieurs, on répète bien avec Malthus que la charité développe l'indigence, on répète bien avec Malthus : « pas de charité légale, » mais en même temps on veut qu'il n'y ait rien que la charité officielle.

Or, la contradiction est flagrante. C'est la charité officielle qui mène fatalement à la charité légale. Toute charité officielle devient charité légale aux yeux des masses. Un mot le prouve : c'est que les pouvoirs publics, qui sont les dispensateurs de la charité officielle, peuvent et doivent puiser dans l'impôt ce qui manque aux ressources des biens charitables. La charité officielle est donc dans une voie au bout de laquelle il y a nécessairement l'impôt, c'est-à-dire la taxe des pauvres, Et ta taxe des pauvres qu'est-ce que c'est ? Précisément la charité légale que Malthus poursuit de ses anathèmes !

Mais à part leur inconséquence, c'est donc bien sur le terrain de ces théories, d'une théorie économique, que les adversaires du projet de loi placent le débat.

A cet égard, la distance entre nous est immense : car nous nous (page 1301) plaçons, nous le disons bien haut, et nous le répéterons souvent, sur le terrain des faits. Nous ne faisons pas des lois dans le vide, en l'honneur des économistes. Nous prenons pour base la réalité, nous nous menons en face des besoins réels du pays : c'est pour répondre à ces besoins que la loi est faite.

Or, on voudra bien convenir que les établissements de bienfaisance ont pour objet le soulagement des malheureux. C'est pour le malheur, c'est pour l'indigence, c'est pour adoucir, dans la limite du possible, tant de misères qui affligent la société, qu'une législation charitable doit être combinée. Notre loi, messieurs, est donc faite dans l'intérêt de ces milliers de pauvres à l'assistance desquels les ressources actuelles de la charité publique ne suffisent pas dans plusieurs parties du pays. Loin que la charité fasse trop, loin qu'elle ait assez, partout où le paupérisme existe en Belgique, nous affirmons hautement que la charité est réduite à faire trop peu, parce qu'elle n'a pas assez de ressources. Les faits donc nous donnent raison ; les faits démentent la doctrine des adversaires du projet.

Ce n'est pas le seul démenti que les faits donnent au système, des adversaires du projet. Ils veulent, comme nous l'avons dit, inaugurer le régime d'un véritable monopole communal en matière de bienfaisance.

Ils trouvent que les communes n'ont point assez du fardeau que la misère fait peser sur elles ; ils entendent que, loin de soulager les communes, en reportant sur la charité privée une grande partie des obligations et des charges que la charité leur impose, il faut laisser aux communes de plus en plus le fardeau tout entier. Point de fondations, point d'immixtion des particuliers dans la gestion de la charité, plutôt restreindre l'accroissement des ressources de la charité en augmentant les charges des communes, mais en décrétant le monopole des administrations officielles.

Voilà ce que prétendent les adversaires du projet !

Eh bien, si l'on consulte la position et le sentiment des communes de la Belgique, que voit-on ?

On voit, d'une part, toutes les communes où l'indigence existe, littéralement écrasées déjà sous le poids des sacrifices que l'indigence leur impose. On les voit toutes se prononcer avec énergie contre les doctrines et les vues des adversaires du projet, on les voit toutes appeler de leurs vœux l'adoption du projet de loi du gouvernement.

Oui, tels sont les faits.

Partout où la question de la charité est une question vitale pour les populations, elles sont pour nous !

Partout où la loi doit agir, où elle doit se traduire en fait, elle répond aux besoins comme au vœu des populations !

Et où la loi compte-t-elle ses adversaires principaux et les plus nombreux ? N'est-ce pas là où le paupérisme est moins intense, où l'indigence est rare et où la question de la charité est dès lors une question politique, une question de parti ?

Oh ! voici les faits, voici les chiffres. C'est la statistique officielle, dont on a rendu hommage à ma candeur qui les fournira.

Toutes les communes du pays payent en subsides aux hospices civils et aux bureaux de bienfaisance une somme de fr. 2,000,000 ; les Flandres seules fr. 1,329,000, Anvers fr. 388,000. Pour toutes les autres provinces reste fr. 300,000 dans lesquels figure le Brabant pour 246,000 fr., dont Bruxelles seul pour 232,000 fr.

Or, ce n'est pas dans les Flandres et à Anvers que le système de 1847 a reçu une consécration électorale.

M. Frère-Orban. - Et à Thuin ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je n'ai ni l'honneur ni la prétention d'être un système : je suis une simple individualité, et, si l’on veut, un accident dans la politique générale ; je ne suis donc pas touché de l'interruption.

Du reste, messieurs, quand je parle de ce qui s'est passé à Anvers, à Dieu ne plaise que je veuille faire allusion aux honorables membres qui se sont trouvés mêlés dans ces élections ; j'ai vu, comme tout le monde, à regret frapper de l'ostracisme électoral un membre éminent de cette assemblée dont le nom est une des gloires du pays.

Mais que signifie ce fait ? Pour qu'un homme de cette valeur ait succombé par l'urne électorale, il faut que le système auquel il s'est associé ait froissé profondément le sentiment des populations. Qu'on ne me fasse pas dire autre chose ; j'ai simplement constaté des faits.

Et à Bruxelles, on le sait, l'homme éminent qui est à la tête de l'administration communale, est l'adversaire le plus déclaré du monopole officiel de la charité.

Voilà la statistique des provinces où le paupérisme s'est le plus développé.

Voici la statistique des autres provinces : Liège paye 58,000 fr., le Hainaut, 57,000, Namur 9,000, le Luxembourg, 1,100.

Voyons les arrondissements : Celui de Bruges paye 333,996 fr., Anvers 263,861, celui de Gand paye 258,680, Courtrai 255.021, Termonde 225,524, Ypres 162,339, Furnes 78,221, Turnhout, 64,792, Malines, 60,200.

Maintenant voyons encore : Charleroi qui paye fr. 17,000, Liège 4,708, Namur 5,517, Arlon 0.

Ces chiffres ont leur éloquence. Ils disent quel est l'intérêt véritable, et où est l'intérêt véritable de la question. On comprend qu'il soit facile de faire de la charité théoriquement, politiquement dans les arrondissements où l'indigence n'est pas un intérêt grave et douloureux. On peut faire là de la charité une machine de guerre à l'usage des partis.

Mais où l'indigence existe, c'est la question en elle-même qui préoccupe les esprits, qui détermine les opinions. Ce sont les communes qui déjà fléchissent sous le poids des charges que la bienfaisance publique leur impose, qui répudient le monopole que les adversaires du projet veulent leur attribuer, et qui réclament que toutes les sources de la charité, et le sentiment religieux, qui est la source la plus féconde, soient largement ouvertes aux œuvres de la bienfaisance individuelle. Un fait entre mille.

On a cité la ville de Nivelles, qui compte 8,000 habitants et dont les hospices civils ont 200,000 francs de revenu.

Savez-vous, messieurs, combien il faudra de revenus aux hospices des Flandres, par exemple, avant que l'argument puisse avoir un sens pour les provinces ?

Il leur faudra 37 millions de revenu, ni plus, ni moins. Vous voyez que l'auteur de l'argument a le temps d'attendre.

Ainsi, nos adversaires partent d'un autre point de vue que nous, et ils posent la question sur un autre terrain que nous. Pour eux, il s'agit de théorie et l'extension de la charité serait regrettable. Pour nous il s'agit de faits réels que révèle la situation de l'indigence dans le pays, et l'extension de la charité est nécessaire.

Par politique, ensuite, nos adversaires ne peuvent procéder d'après le même principe. Pour eux, il faut un système absolu qui ne cède devant rien, qui ne se plie à rien.

Il semble que les faits sociaux puissent être jetés dans un moule inflexible. Les nécessités sociales, les exemples du passé, les besoins du présent, la sollicitude pour l'avenir, tout cela doit être sacrifié à l'unité d'une théorie qui n'est pas dans les mœurs du pays.

Eh bien, il en est autrement pour nous.

Expression d'une politique modérée, nous croyons qu'il faut tenir compte des idées de modération et de transaction en cette matière comme partout. Nous n'avons pas hésité à faire la part des réclamations qui nous ont paru justifiées. Nous n'avons pas hésité à aller au-devant des objections, en prenant l'initiative de mesures préventives et répressives qui nous ont paru rentrer dans les exigences d'une bonne législation de la bienfaisance.

Le besoin d'une transaction a été reconnu avant l'administration actuelle.

Déjà sous le ministère de l'honorable M. Henri de Brouckere un premier essai de transaction a été tenté par la présentation des projets de loi sur la réorganisation des établissements de bienfaisance et sur les libéralités charitables. Poursuivant la pensée qui l'avait conduit à résoudre le grave problème de l'introduction de l'instruction religieuse dans l'enseignement moyen, le cabinet de l'honorable M. de Brouckere n'hésita pas à proposer pour la législation charitable des concessions au sentiment religieux comme à l'esprit de famille.

Trois dispositions essentielles caractérisaient à ce point de vue les propositions du précédent ministère :

1° Il introduisait de droit et toujours le curé de la paroisse dans le bureau de bienfaisance : c'était donner place de plein droit au ministre du culte dans l'administration tout entière de la bienfaisance publique ; c'était décréter en principe qu'il n'y aurait plus d'administration exclusivement laïque en matière de charité publique. Certes, la prépondérance du nombre restait à l’élément laïque des administrations charitables ; je ne songe pas à le contester ; mais l'élément religieux, inamovible et perpétuel, pouvait dans un grand nombre de localités acquérir une véritable prépondérance légale. C'était sortir du droit commun ; c'était créer une exception au système électif, dans le sein même de chaque administration publique de la bienfaisance.

Telle était la première concession proposée par mon honorable et savant prédécesseur.

Voici la seconde :

L'article 900 du Code civil dispose que les conditions apposées aux libéralités doivent être considérées comme non écrites, quand elles sont impossibles, contraires aux bonnes mœurs ou aux lois.

Cela veut dire que lorsque l'auteur d’une libéralité y ajoute quelque condition dont la nature, la moralité publique ou les lois défendent l’exécution, on ne doit pas s'arrêter à des conditions de ce genre. On ne suppose pas que l'auteur de la libéralité a voulu se jouer, soit de la raison en ordonnant l'impossible, soit de la conscience publique en ordonnant quelque choie d'immoral, soit de la majesté des lois en (page 1302) ordonnant quelque chose d'illégal, On a fait prévaloir la « préemption du bienfait » ; on a donc maintenu le bienfait en laissant tomber la condition matériellement, moralement ou légalement inexécutable. Voilà l'article 900 du Code civil.

Or, la question a été souvent agitée, si l'article 900 était juste et rationnel en matière de libéralités charitables. Un respect exagéré pour les volontés des bienfaiteurs des pauvres a fait soutenir la négative. On soutenait que le bienfait devait s'évanouir quand la condition était de celles qui ne peuvent s'exécuter ; en d'autres termes, quc.la présomption du bienfait ne devait pas prévaloir quand il s'agissait de libéralités faites aux malheureux, tandis que la présomption du bienfait prévaut au profit de tout le monde.

Mon honorable prédécesseur adopta cet avis. Il enleva les libéralités charitables à l'application de l'article 900 du Code civil.

Ainsi, d'une part, il sortait du droit commun au point de vue administratif et politique pour la composition des administrations charitables ; d'autre part, il sortait du droit commun pour les libéralités charitables au point de vue du droit civil.

Telle était la seconde concession, la seconde disposition transactionnelle des projets présentés par le cabinet de l'honorable.M. de Brouckere.

Chacun de vous, messieurs, se rappelle la troisième : elle maintenait aux membres de la famille de l'auteur d'une libéralité, le droit de participation à l'administration des établissements fondés et à la distribution des aumônes fondées. La participation administrative restait toutefois dans cette limite, que les membres électifs devaient former la moitié plus un du personnel de l'administration. Mais dans la distribution des aumônes ou des secours, la famille et l'administration officielle avaient égalité de pouvoir : il fallait leur commun accord.

Je ne veux pas insister davantage sur les projets présentés par mon honorable prédécesseur, projets d'ailleurs empreints, je le reconnais volontiers, d'un désir de transaction qui est dans les vœux des hommes modérés de toutes les nuances politiques.

Telle est aussi la pensée du cabinet actuel. Tel est aussi son but. Tel est le caractère du projet qu'il a cru pouvoir soumettre à la législature.

Il ne l'a pas dissimulé : c'est un second essai de transaction et de conciliation.

C'est une loi de conciliation sincère que le gouvernement a voulu faire, et qu'il a faite. En voici la preuve, la preuve que je me bornerai à indiquer pour le moment, mais que je discuterai tout à l'heure :

C'est que le gouvernement a non seulement fait droit à toutes les objections que les projets de l'honorable M. Faider avaient soulevées, mais qu'il a de plus tenu compte des autres griefs que faisaient sonner bien haut les partisans du monopole charitable des administrations officielles. Oui, objections et griefs nous avons tenu compte de tout... et il y avait quelque mérite, puisque nous savions bien que l'opposition ne nous tiendrait compte de rien :

Nous avons tenu compte de tout ; je me borne à énumérer :

1° Nous écartons la présence de droit du curé au sein du bureau de bienfaisance : cette grande objection contre les projets de M. Faider.

2° Nous laissons les libéralités charitables dans le droit commun, c'est-à-dire sous le coup de l'article 900 du Code civil : cette seconde objection contre les projets de M. Faider.

3* Nous interdisons l'amortisation des immeubles, c'est-à-dire que nous écartons la mainmorte : grief anticipé contre la loi.

4° Nous interdisons la création de nouvelles personnes civiles dont la multiplication prévue était un autre grief contre nous...

Je m'arrête à ces quatre points.

Qu'en ressort-il déjà ?

C'est que le projet actuel peut être caractérisé comme suit :

Il laisse les administrations et les dispositions charitables dans le droit commun. Les lois du Directoire, devenues depuis quelque temps en Belgique l’objet d'un culte dont on ne les honora jamais en France, leur patrie, restent entières. On améliore le régime actuel des établissements de bienfaisance publique sans l'altérer. Je me trompe, nous y introduisons un élément nouveau, une garantie nouvelle : c'est la publicité, cette sauvegarde puissante assurément contre les abus, et qui relève d'un principe bien digne à coup sûr de nos institutions.

Il semblerait que les admirateurs de la législation du Directoire devraient se tenir pour satisfaits, On laisse leur système dans toute sa pureté, dans toute sa force, dans toute son étendue. On n'y touche que pour le fortifier encore, en l'améliorant dans des détails et en le complétant par le principe de la publicité obligatoire qui domine dans notre admirable régime communal.

Que veut-on de plus ?

Ce qu'on veut de plus ? C'est mon devoir de le dire : on veut pour les administrations officielles créées par les lois du Directoire, un véritable monopole en matière de charité quand il s'agit d'œuvres ou d'institutions dont l'action se prolonge dans l'avenir. Oui, messieurs, dès qu'il s'agit de quelque chose de durable, de quelque création charitable qui s'étend au-delà du présent, qui doit survivre à son auteur, en un mot, on veut que tout se fasse par les administrations officielles, que rien ne puisse se faire sans les administrations officielles ; on veut les imposer, de par la loi, à la confiance des personnes charitables !

C'est là ce que le gouvernement ne peut ni ne veut accepter. Comme il veut associer de plus en plus la charité privée à faction de la charité publique ; comme il veut un système qui donne des auxiliaires aux administrations officielles, bien loin de placer ces administrations dans un isolement qui réduit, à la fois, les chances d'accroissement de leurs ressources et étend le cercle de leurs charges, comme le gouvernement, dis-je, croit que la solution du problème est là, dans l'association de plus en plus intime de la charité publique et privée, dans la conciliation d'une liberté sage et réglée avec l'action des pouvoirs publics, il doit prendre une autre voie ; il devait adopter une autre solution que les adversaires du projet.

C'est ici que se place la seule concession faite par le projet du gouvernement aux partisans de la charité libre.

Cette concession, c'est-à-dire cette solution, la voici :

Le projet renferme la reconnaissance du droit pour les fondateurs d'institutions et d'œuvres charitables, de désigner des administrateurs et distributeurs spéciaux 1° parmi les membres de leur famille, 2° parmi les titulaires de fonctions déterminées, soit civiles, soit ecclésiastiques.

Oui, le projet reconnaît ce droit. Mais comment ? Mais à quelles conditions ? Il le reconnaît en l'entourant d'un cercle de précautions et de garanties telles, que si des abus restent possibles, l'impunité et la prolongation des abus sont impossibles.

Ici est, pour moi, le véritable terrain de la discussion. Je m'efforcerai de ne pas le quitter.

Je dis qu'il y a, dans le projet, reconnaissance du droit pour les fondateurs de désigner des administrateurs et distributeurs spéciaux, mais que ce droit entouré de garanties préventives et répressives.

La position est donc celle-ci :

Nous, nous admettons les administrateurs spéciaux.

Les adversaires du projet veulent proscrire les administrateurs spéciaux.

Voilà ce qui nous sépare :

Or, le système qui proscrit les administrateurs spéciaux a un nom bien connu : c'est le système de l'honorable M. de Haussy.

Seulement, je l'admets volontiers, M. de Haussy croyait ce système établi par les lois du Directoire et par la loi communale, il croyait que ce système était celui de la législation en vigueur, en un mot, il croyait à la légalité de ce système comme à sa bonté. Eh bien, messieurs, la cour de cassation vient de nous rejeter bien loin de ces doctrines ; elle a frappé le système dans sa légalité, comme les élections l'avaient frappé dans sa portée politique.

Ceci est une face de la situation que je signale à toute l'attention de la Chambre : à l'heure qu'il est, le système de l'honorable M. de Haussy c'est-à-dire la proscription des administrateurs spéciaux n'existe plus qu'en théorie ; c'est un système renversé par la base, un système qui n'a plus d'assiette légale ! Le rejet du projet de loi, notez-le bien, ne suffit plus aux partisans du système exclusif. Pour faire revivre ce système, il faut une loi nouvelle. Sinon, le système, même avec le rejet du notre projet, restera à l'état de lettre morte. Voilà où nous en sommes !

Dès lors, il n'y a que trois choses possibles :

Ou les administrateurs spéciaux sans notre loi, c'est-à-dire sans les garanties de notre loi ; c'est le statu quo.

Ou les administrateurs spéciaux avec notre loi, c'est-à-dire avec les garanties de notre loi : c'est l'adoption du projet du gouvernement.

Ou la résurrection du système de M. de Haussy, c'est-à-dire la proscription des administrateurs spéciaux par une loi nouvelle.

Une loi nouvelle entamant les lois de l'an V et la loi communale !

Cette loi nouvelle, c'est aux adversaires du projet à en prendre l'initiative, c'est à eux qu'en revient l'honneur. Nous n'avons pas la mission d'opérer cette résurrection du système de 1847 ; un cabinet à qui ne manquaient certes ni les grands talents ni une forte majorité, a succombé à la tâche, pour avoir inventé et soutenu ce système, ce système, messieurs, que le sentiment du pays avait condamné deux fois, politiquement, avant que la cour suprême l'eût condamné judiciairement.

Si quelque chose pouvait mettre en relief le côté conciliant de notre projet, c'est cette situation de la législation charitable en vigueur. Pourquoi ? Parce que le projet n'admet pas de liberté sans garanties, sans contrôle, sans limites légalement et nettement définies, parce que le projet concilie la liberté avec les mesures nécessaires pour assurer la fidèle conservation et le bon emploi des biens des pauvres ; parce que ce projet, s'il reconnaît le droit pour les fondateurs d'établir les administrateurs spéciaux, complète l'œuvre du législateur, comble aujourd'hui une lacune, en plaçant ces administrateurs spéciaux sous un régime de précautions et de garanties qui ne le cède en rien à celui des administrations officielles.

J'ai essayé, messieurs, de justifier l'opportunité et la nécessité de la loi. J'ai tâché de préciser les faits qui se rapportent à l'état de l'indigence dans le pays, aux besoins des populations au point de vue de la bienfaisance. Enfin, je me suis efforcé de déterminer avec netteté et franchise le véritable état de la question qui domine le débat sur la charité, c'est-à-dire celle des administrateurs spéciaux.

Je vais maintenant examiner le fond même de cette question des administrateurs spéciaux. Je rencontrerai en même temps les objections que leur institution a soulevées.

Le principe des administrateurs et distributeurs spéciaux est en soi légitime et rationnel. C'est la volonté des fondateurs qui se prolonge dans l'avenir avec ses bienfaits. Fondation et administration spéciale, sont (page 1303) deux termes procédant de la même origine : le respect dû à la volonté des fondateurs.

Aussi le principe des administrateurs spéciaux, le voyons-nous admis sans difficulté en ce qui concerne la famille du fondateur. C'est là un sentiment toujours respecté. Il ne faut pas craindre d'ailleurs de voir grandir cette aristocratie de la bienfaisance et de la générosité.

Le projet de l'honorable M. Faider a admis la famille.

La section centrale de 1854 a même élargi le principe.

Ici je suis amené à signaler une inconséquence chez certains adversaires du projet.

Que de critiques n'a-t-on pas dirigées contre les administrateurs spéciaux : inconnus du fondateur, a-t-on dit, ils seront souvent incapables, ignorants, et toujours le produit du hasard.

En parlant ainsi on n'a pas pris garde que les mêmes reproches peuvent s'appliquer aux administrateurs pris dans la famille.

Quel est leur titre ? La naissance, voilà le hasard. La capacité n'est pas héréditaire ; rien ne la garantit : et le fondateur ne les connaît pas non plus.

Cependant les administrateurs de hasard, on les admet.

Nous avons cru pouvoir aller au-delà et ne pas laisser à la famille du fondateur une position aussi subordonnée que celle que leur faisait le projet de l'honorable M. Faider.

Nous avons voulu faire à la famille une part d'action plus large en lui traçant des règles précises et rigoureuses, en lui imposant des conditions et une responsabilité bien définies, sous l'œil et sous la main des pouvoirs publics, administration et justice.

Est-ce aller trop loin ?

Oh ! je le sais, les fondations peuvent être administrées avec plus ou moins de talent, cela est partout, cela est en tout ; mais qu'elles puissent être mal gérées, contrairement à leur destination, voilà ce que le projet de loi rend impossible. Je le prouve :

Dans le mécanisme de nos institutions, il y a deux grands ressorts qui sont comme les régulateurs de la bonne gestion des intérêts publics : c'est le vote du budget et c'est la vérification des comptes par les Chambres ; le budget qui fixe les recettes et les dépenses à faire, les comptes qui établissent les recettes et les dépenses faites. Cela suffit à assurer aux Chambres la prépondérance pour régler l'emploi des deniers de l'Etat ! Eh bien, le projet de loi donne cette double attribution à deux corps électifs : au conseil communal et à la députation permanente pour les budgets et les comptes des fondations !

Et cela ne serait rien ? Comment ! pour la gestion de l'Etat, des provinces, des communes, le vote du budget et le contrôle des comptes sont des armes toutes puissantes, et pour les fondations ce ne serait rien !

Bien plus, il y a pour les Chambres le principe de la responsabilité ministérielle, c'est-à-dire l'intervention du pouvoir judiciaire. Et cette garantie envers le projet s'applique aux fondations. Les administrateurs spéciaux sont sous la main du pouvoir judiciaire, qui pourra les contraindre à remplir leurs obligations et même les destituer.

Je conclus de là que ce qui est une garantie aussi efficace dans l'ordre politique, dans l'ordre civil ordinaire, doit l'être également dans l'ordre de la bienfaisance.

Nous admettons, messieurs, parmi les administrateurs spéciaux, en première ligne les fonctionnaires civils. Pourquoi les écarterait-on ? Leur capacité, mais elle est garantie par une présomption dont on ne peut nier la force.

Par cela seul qu'une personne sera investie de certaines fonctions publiques, il y aura présomption de capacité, d'honorabilité, de moralité. Le choix même de la fonction que le fondateur aura désignée sera encore une chose essentielle dont le gouvernement reste toujours juge, ne l'oublions pas. Si le choix tombe sur des fonctions peu compatibles avec la mission que le fondateur voudrait y rattacher ; si le choix n'offre aucune garantie, si, en un mot, c'est un choix ridicule, comme je l'ai lu quelque part ; eh bien, qu'arrivera-t-il ? Il arrivera tout simplement que l'autorisation royale sera refusée à la fondation. Autre chose, messieurs, est le droit et autre chose est l'abus du droit.

Ne raisonnons donc pas, quand nous faisons des lois, comme s'il devait toujours y avoir abus du droit qu'elles confèrent. Le pouvoir reste d'ailleurs juge, il est juge préalable et jamais il n'abdiquera sa prérogative.

Quand donc, messieurs, j'entends dire que toutes les fondations que le caprice pourra inventer, seront encouragées, que les fondations pernicieuses, funestes comme les bonnes seront encouragées ; quand on dit cela, ou ne discute pas le projet, on le calomnie.

Quand on dit encore qu'il y a folie à supposer capables à toujours les successeurs d'un institué, on fait plutôt le procès aux héritiers qu'on admet qu'aux fonctionnaires qu'on repousse. Inutile d'insister davantage pour les fonctions civiles : pas plus qu'à la famille ce n'est pas à ces fonctions que les adversaires du projet en veulent sérieusement.

J'arrive, messieurs, aux fonctions ecclésiastiques. Tout est là.

Ici, messieurs, de même que dans le projet de l'honorable M. Faider, est la part faite à l'élément et au sentiment religieux.

Supposons qu'il s'agisse de ministres du culte réformé ou de quelque autre culte dissident ; de quel droit empêcherait-on, par exemple, un protestant de fonder une œuvre de charité en faveur de ses coreligionnaires en chargeant un ministre de sa religion d'en tire l'administrateur ? Quoi ! on voudrait qu'il s'en rapportât à des administrateurs officiels, peut-être tous catholiques, professant un autre culte, un culte hostile au sien ? Donc, lui imposer ces administrateurs de par la loi, ce serait là professer un singulier respect de la liberté de conscience. Eh bien, messieurs, ce qu'on ne peut pas refuser aux dissidents, aux protestants, laissons-le aux catholiques ; laissons aux catholiques ce qu'on ne peut refuser sans injustice à aucun culte, permettons aux catholiques, comme à tous les autres cultes, d'allier le sentiment religieux à l'exercice de la bienfaisance.

Laissez à leur pensée, à la fois charitable et religieuse, ce double caractère dans l'avenir comme dans le présent, laissez faire le bien, au nom de la religion, après la mort comme pendant la vie, à l'homme pieux qui consacre sa fortune aux malheureux ; laissez faire le bien ; la mission de la loi ne peut être que de prévenir et de réprimer le mal, c'est-à-dire les abus.

Est-ce que les fonctions ecclésiastiques n'offriraient aucune espèce de garanties chez ceux qui les exercent ? N'y a-t-il pas pour le fonctionnaire ecclésiastique la même présomption de capacité, d'honorabilité, de loyauté, d'honneur que pour le fonctionnaire civil ? N'existe-t-il pas pour le premier la même présomption de lumières et d'aptitude ? Pourquoi déclarer à priori que le fonctionnaire ecclésiastique sera nécessairement incapable, infidèle, ignorant ?

Enfin pour le fonctionnaire ecclésiastique comme pour le fonctionnaire civil, le choix de la fonction sera encore un point essentiel. Le gouvernement sera toujours le maître de refuser l'autorisation.

L'élément religieux sans le prêtre n'est pas plus possible dans la bienfaisance que dans l'enseignement. L'écarter, c'est affaiblir la charité de son principe le plus vivifiant.

De deux choses l'une : ou moins de bienfaits, parce que vous froisserez le sentiment religieux ; ou des bienfaits précaires, parce qu'ils se feront en dehors des lois et sans les garanties des lois.

Ecarter l'élément religieux, je vous le demande, messieurs, n'est-ce pas méconnaître les faits ? n'est-ce pas s'inscrire en faux contre l'histoire entière ? Où est l'indigent, vous trouvez le prêtre. Et dans les derniers temps, le clergé des Flandres, par exemple, quand ces malheureuses provinces étaient décimées par les fléaux conjurés, le clergé des Flandres, dis-je, a compté plus d'un martyr. Justice lui a été rendue dans une pièce officielle que j'aime à citer ici.

Voici comment en 1848 s'exprimait une circulaire émanée d'un membre éminent de cette Chambre, et adressée aux gouverneurs des Flandres au sujet des maladies épidémiques et de la distribution des secours que cet honorable ministre d'alors allouait à ces malheureuses populations :

« Bruxelles, le 29 janvier 1848.

« Monsieur le gouverneur,

« Dans sa sollicitude pour les Flandres, le gouvernement s'est vivement ému de l'intensité et du développement des fièvres contagieuses qui se sont déclarées au sein d'un assez grand nombre de communes.

« La misère, cause première de ces malades elles-mêmes, a aussi la plus grande part dans la mortalité qu'elles produisent.

« Pour assurer l'emploi le plus intelligent et le plus utile des subsides, il conviendra d'instituer, dans chaque commune où sévit la maladie, une commission locale, composée du bourgmestre, du curé, du médecin, et de deux personnes désignées par le conseil communal.

« Par cette combinaison, on s'assurera, d'une part, que les subsides accordés sur le crédit spécial ne seront pas détournés de leur destination exclusive ; et, d'autre part, que ces subsides seront employés avec intelligence et sollicitude au soulagement des malheureux atteints de la contagion.

« La crise actuelle, M. le gouverneur, en imposant de nouveaux sacrifices à l'Etat, commande de nouveaux efforts à la charité privée, trace aux communes de nouveaux devoirs.

« J'aime à croire que chacun comprendra cette situation et s'appliquera, dans le cercle de son action, à remplir les obligations qu'elle fait naître.

« J'en ai pour garant le dévouement que les membres du clergé et du corps médical déploient dans ces tristes circonstances, et le courage avec lequel ils bravent chaque jour la mort pour payer leur dette à l’humanité et à leur pays. De tels exemples ne sauraient être stériles... »

C'est l'honorable M. Rogier qui parle ainsi. On ne saurait mieux penser, on ne saurait mieux dire. J'ai cité cette circulaire de l'honorable ancien ministre, pour prouver combien le clergé est dévoué à l'œuvre de la charité, qu'il sert au prix de sa vie.

M. Rogier. - Il ne fallait pas d'administrateurs spéciaux pour faire cela.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous en aviez fait des distributeurs spéciaux avec deux autres habitants de la commune.

Je dis donc qu'écarter le clergé de la bienfaisance n'est pas possible, ce serait mettre le prêtre en quelque sorte hors la charité. C'est là une entreprise que les penseurs et les hommes d'Etat ont combattue dans tous les temps.

Je pourrais ici multiplier les citations, Je pourrais rappeler les (page 1304) paroles si connues de l'illustre Portalis, qui a aidé le premier consul à rétablir la société chrétienne sur sa base ; mais je ne puis résister au désir de rappeler ces paroles d'une des plus grandes illustrations de notre époque, d'un homme qu'on ne peut accuser de tendances cléricales :

« Ne disputez pas aigrement à la religion son influence naturelle, n'ayez pas l'air de l'accepter par simple tolérance dans vos établissements ; ne l'y faites pas entrer par une porte dérobée. Puisque vous trouvez qu'elle est utile, permettez-lui d'étendre son utilité non seulement sur les maux que veut soulager la bienfaisance laïque, mais encore sur ceux qui échappent à la vigilance et à la sollicitude de celle-ci ; permettez donc à la religion de prêter son concours aux personnes pieuses, pour les aider à fonder et à perpétuer les œuvres de charité. »

Vous l'avez nommé, messieurs, c'est M. Guizot qui s'exprima ainsi.

M. Rogier. - Il est à l'index !

M. Coomans. - L'argument est d'autant plus fort !

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - On peut, je crois, citer les paroles de M. Guizot sans exciter des murmures.

En admettant en principe l'élément religieux dans les fondations charitables, il faut, comme pour les titulaires civils et les héritiers des fondateurs, lui imposer le contrôle incessant des pouvoirs publics, et au besoin la répression du pouvoir judiciaire ; il faut que les fondations soient entourées non seulement des mêmes garanties et de toutes les garanties de l'administration publique de la charité, mais de garanties plus multipliées et plus énergiques ; or, c'est ce que fait le projet de loi.

Voyons ! quel est ce cercle de garanties, de précautions que contient le projet de loi ? Il suffit d'énumérer.

Un premier point, ce sera la fondation elle-même. Vous savez quels seront les droits et les devoirs de l'Etat. Je ne veux pas anticiper sur la discussion des détails. Je signalerai à grands traits ce qui se passera. Le gouvernement fera une enquête, il prendra des renseignements, il consultera le conseil communal, il consultera le bureau de bienfaisance, il consultera la députation permanente, il consultera le gouverneur, il consultera le commissaire d'arrondissement, et alors, complètement éclairé, il statuera dans toute la plénitude de son droit.

Il en sera de même pour les libéralités qui seront faites à une fondation déjà autorisée ; mêmes obligations pour le gouvernement ; mêmes avis à prendre ; mêmes investigations minutieuses ; mêmes garanties en un mot.

Les conditions d'âge, de domicile, d'indigénat, de capacité civile, de responsabilité personnelle, ces conditions que nous mettons dans la loi pour les membres des administrations officielles seront les mêmes pour les administrateurs spéciaux.

IL faudra l'âge, le domicile ; il faudra être Belge, il faudra avoir la capacité civile et présenter une responsabilité personnelle.

La conservation des biens, dans notre système, est assurée. Il n'y a pas de détournement possible, parce que toute tentative échouera devant un contrôle permanent, une surveillance incessante, un frein toujours prêt.

Il n'y a pas d'aliénation directe ou indirecte possible, parce que l'administrateur spécial ne peut rien aliéner sans l'avis du conseil communal sans l'avis du bureau de bienfaisance, sans l'autorisation de la députation permanente ou du gouvernement.

Enfin il n'y a pas de dissimulation ni de recel possible, parce que les comptes sont publics, parce qu'ils sont produits en séance publique du bureau de bienfaisance, des conseils communaux, des députations permanentes, parce qu'ils sont déposés dans la maison commune à l'inspection de tous les habitants.

L'administration des biens, proprement dite, est soumise au même contrôle. Les administrations spéciales seront soumises aux mêmes dispositions, aux mêmes règles que les administrations officielles. Elles ne pourront pas faire plus que celles-ci.

Au contraire, elles auront des liens, elles auront des servitudes de plus. Elles seront moins maîtresses, elles seront moins libres que les administrations publiques.

L'emploi des revenus, c'est une grande chose, c'est le point capital. Eh bien, je crois que nous avons établi des moyens aussi efficaces qu'il est possible d'en trouver pour faire justifier du bon emploi des revenus. Comment cet emploi sera-t-il justifié ?

Par les budgets qui comprennent les recettes à faire et les dépenses à faire, budgets soumis à la commune, à la province, au gouvernement.

Par les comptes qui comprennent les recettes faites et les dépenses faites, même surveillance.

Quand on a les budgets et quand on a les comptes à voir, à réviser, à approuver, on est maître d'une administration, car on l'empêche au besoin d'abuser, de malverser.

Nous avons encore l'inspection qu'organise la loi, c'est quelque chose de très sérieux ; l'inspection qui se fait par l'Etat, par un fonctionnaire de l'Etat, par la commune, puisque le bourgmestre accompagne le fonctionnaire de l'Etat, et par la province, par la députation permanente qui a le droit d'envoyer, quand bon lui semble, un commissaire spécial pour mettre à l'ordre les administrateurs spéciaux qui s'écarteraient d'une bonne gestion.

Voilà ce que c’est que notre inspection.

Enfin, nous avons la publicité, force considérable dans notre pays.

Nous avons, en outre, le dépôt des comptes à l'inspection de tous les intéressés, de tout le pays. Car il sera permis à un citoyen de Hasselt d'aller vérifier à Furnes les comptes d'une administration charitable qui fonctionnerait dans cette dernière ville. Ces comptes sont affichés.

Et enfin nous avons la surveillance de la presse. S'il y a des abus, la presse sera là pour les administrations spéciales comme pour toutes les autres.

Il n'y a pas jusqu'à la liste des pauvres honteux, dont, je l'avoue, j'avais d'abord voulu empêcher la publicité trop grande, par ménagement pour ces infortunes. Dans mon projet, cette publicité était plus restreinte ; mais la section centrale, par un scrupule que je respecte, que j'approuve et auquel je me rallie, a voulu que la liste même des pauvres honteux fût communiquée au bureau de bienfaisance.

Ainsi il n'y aura pas de double emploi possible et il n'y aura rien de secret, absolument rien, rien.

Voilà notre mécanisme.

Mais ce n'est pas tout. Après avoir assuré de cette manière et la constitution de la personne civile, et l'administration des biens, et l'aliénation des biens, et l'emploi des revenus, nous avons par-dessus tout, pour couronner l'édifice, la répression des abus. Et comment les réprimons-nous ? Par un pouvoir dont personne ne peut se défier, par les tribunaux. Le défaut de rendre compte, de la part d'un administrateur spécial, l'exposera à des dommages-intérêts, c'est-à-dire à une condamnation. S'il détourne les biens de leur destination, il encourra la destitution.

Ne sont-ce pas là, je le demande, des précautions aussi fortes qu'on peut en imaginer ?

Mais, me dira-t-on, vous n'avez pas la garantie de l'élection ; l'élection fait bonne justice des administrateurs officiels qui gèrent mal ; elle les écarte. Nous n'avons pas, messieurs, l'élection ; mais nous avons la coaction, nous avons la répression par le pouvoir judiciaire, et c'est quelque chose.

On peut donc affirmer que la garantie que je puise dans le pouvoir judiciaire est une garantie suprême de la bonne gestion des administrations charitables.

Voilà ce qu'une publication répandue sous un pseudonyme appelle avec insistance :

Des administrations occultes : où tout est publicité !

Irresponsables : où tout est responsabilité !

Qui sont créées sous l'inspiration de conseils cupides : où toute cupidité est sans aliment possible.

Qui seront fatalement comme l'organisation de la paresse et de la mendicité : tandis que c'est contre la mendicité qu'elles sont faites par la substitution du travail à la paresse !

Et voilà comment on écrit l'histoire - pardon ! comme on écrit les pamphlets !

On avait annoncé, avec la même vérité, que le projet de loi est la résurrection de la mainmorte. Mais ici le courage a failli ; on n'a pas insisté et je doute réellement qu'on insiste beaucoup.

Vous savez, messieurs, ce que le projet statue quant aux immeubles ; il les restreint au strict nécessaire ; il n'y aura d'immeubles que ce qui est absolument nécessaire pour l'existence de la fondation.

Il s'agit donc d'une loi contre la mainmorte. Et cette loi nous la voyons combattue par qui ? Par les partisans trop exclusifs des bureaux de bienfaisance et des hospices civils, établissements qui constituent une mainmorte de plus de 70,000 hectares évalués à plus de 190 millions de francs, c'est-à-dire une mainmorte plus considérable que celles de l'Etat, des provinces et des communes réunies.

Oui, messieurs, je le répète, notre loi est une loi contre la mainmorte, la première et la seule loi que l'on ait faite contre la mainmorte, et ceux qui écrivent pour étendre les attributions et les biens des bureaux de bienfaisance écrivent en faveur de la mainmorte.

Donc, j'ai le droit de le proclamer très haut, nos administrations spéciales ne sont :

Ni occultes,

Ni irresponsables,

Ni cupides,

Ni favorables à la paresse et à la mendicité ;

Elles ne sont pas la résurrection de la mainmorte.

La loi ne sera pas davantage la résurrection des couvents, relevés à l'état de personne civile. Les fondations ne sont jamais personnes civiles elles-mêmes. Le bureau de bienfaisance seul existe et seul il est titulaire des biens ; non seulement il administre et il gère quand il n'y a pas volonté contraire du fondateur, ou que cette volonté ne peut pas ou ne peut plus être exécutée, mais il est toujours seul titulaire de la propriété. Ceci est un point capital.

Vous croyez peut-être, messieurs, que ceux qui craignent la multiplication des personnes civiles se tiendront pour satisfaits ? Erreur. D'après certains adversaires, le projet, qui introduit la publicité partout et pour tout, constitue une administration occulte ; pour ces mêmes personnes, le projet qui impose la responsabilité en tout et pour tout crée l'irresponsabilité ; ce projet, qui ne laisse possible ni détournement, (page 1305) ni gaspillage, enfante la cupidité ; ce projet, qui est fait contre la mendicité et contre la paresse, est l'organisation de la mendicité ; ce projet fait contre la mainmorte, c'est la mainmorte ; enfin ce projet qui refuse la personnification civile, engendre des myriades de personnes civiles.

On a également critiqué, messieurs, et on critiquera encore le système que nous avons adopté, de rattacher, d'affilier les institutions charitables privées aux établissements publics, et on a même, si je ne me trompe, traité cela de conception ridicule. Pas si ridicule, cependant car c'est ce qui existe à Bruxelles, à Malines et dans d'autres localités A Bruxelles, nous avons plusieurs établissements libres qui sont ainsi affiliés ; nous avons les hospices de Sainte-Gertrude, des Ursulines, de la Philanthropie qui ont des administrations spéciales et qui sont rattachés à l'administration publique du bureau de bienfaisance ; ce système fonctionne bien et c'est précisément ce qui m'a inspiré l'idée de l'appliquer dans la loi nouvelle. Nous aurons, du reste, l'occasion de revenir plus tard, sur ce point.

A cette occasion, on a prévu l'hypothèse d'un conflit judiciaire entre le bureau de bienfaisance et l'administration spéciale, et on en a pris texte pour tracer un tableau folâtre, montrant le bureau de bienfaisance, plaidant de ci, plaidant de là, à droite, à gauche et au milieu.

L'auteur de l'objection est arrêté et demande qu'on le tire de peine.

C'est, mon Dieu ! chose bien simple et bien facile.

La réponse est dans les articles 148 et 149 de la loi communale qui prévoient qu'une section de communes ait à plaider soit contre le chef-lieu, soit contre une autre section ; c'est aussi une fraction qui plaide contre une autre fraction ou contre le tout, c'est le membre qui plaide contre le corps ; eh bien, dans ce cas on désigne une commission ad hoc. Dans notre projet cela n'est pas même nécessaire, car cette commission ad hoc existe, c'est la commission spéciale qui remplira ici exactement le même rôle que l'article 149 de la loi communale a déféré à la commission ad hoc. Chose étrange ! on a vu la difficulté où elle n'est pas on ne l'a pas vue là où réellement elle peut exister : elle n'est pas pour les fondations qui ont une administration spéciale, c'est à-dire une commission ad hoc ; selon la loi communale elle peut surgir peut-être en cas de conflit entre les hospices civils et le bureau de bienfaisance qui seront désormais fusionnés en une seule commission administrative ; là vous pourrez avoir cette bizarrerie d'une partie de la commission devant plaider contre l'autre partie. Voilà où la difficulté peut exister. La Chambre appréciera de quel côté est la confusion d'idées et l'erreur juridique.

Faudra-t-il, messieurs, partager les appréhensions manifestées par quelques personnes sur le danger de voir des fidéicommissaires détenir des biens comme prête-noms des couvents ? C'est là un danger chimérique. Qu'est-ce qu'un fidéicommissaire ? C'est celui qui détient une chose à charge de la transmettre à un autre. Ici la propriété reposera sur le bureau de bienfaisance.

Si la propriété ne peut appartenir qu'au bureau de bienfaisance, est-il au moins possible que les revenus soient employés au profit d'un couvent ? Certainement non, messieurs, puisque cette jouissance est attribuée à une administration spéciale déterminée, qui est tenue d'en rendre compte.

L'hypothèse prévue ne peut donc se présenter.

Aa surplus, messieurs, j'ai répondu plus amplement sur ce point, à la section centrale qui m'avait posé cette question ; voici ma réponse :

« Une fondation faite en instituant, par exemple, un évêque comme administrateur spécial et sous la condition que l'immeuble donné servira désormais de logement aux clarisses, aux ursulines, aux capucins ou aux récollets, sous la charge d'y ouvrir un refuge ou une école, serait-elle valable ? »

Réponse. « Je n'hésite pas à répondre que la libéralité, telle qu'elle est définie et caractérisée par la question posée, ne rentrerait pas dans les termes des fondations que le projet de loi autorise.

« Le projet de loi autorise : « la création d'établissements et d'œuvres de bienfaisance à l'aide de fondations dues à la charité privée. » (Article 69.)

« Il faut donc que l'objet direct de la fondation et que son but essentiel soient l'établissement ou l'œuvre de bienfaisance. Les conditions du personnel religieux ou laïque, ainsi que les autres conditions déterminée par les fondateurs, ne peuvent être que les moyens de réaliser l'objet et d'atteindre le but charitable de la fondation. Dans la question posée, on suppose, au contraire, que l'établissement ou l'œuvre de bienfaisance ne serait que l'accessoire, ou plutôt ne serait que le prête-nom ou le prétexte d'un couvent ; ceci n'est ni le système, ni la pensée du projet de loi.

« Lorsque la libéralité, qui crée ou qui gratifie une fondation, comprend des immeubles, l'article 75 du projet en prescrit la vente et limite rigoureusement les immeubles conservés « aux bâtiments, cours, jardins et terres formant l'établissement même qui fait l'objet de la fondation, sans que ces immeubles puissent excéder les besoins de l'institution, d'après sa destination charitable. » C'est donc la destination charitable qui règle exclusivement la nature et l'importance des immeubles qu'il est permis de conserver. Dans la question posée on suppose, au contraire, que l'immeuble conservé, au lieu d'être strictement limité à la destination charitable du refuge ou de l'école, pourrait être étendu ou exagéré au point de servir de logement à un personnel de religieuses ou de religieux qui ne serait nullement en proportion avec les besoins du refuge ou de l'école, d'après la population d'élèves indigents ou de filles repenties.

« L'auteur de la question perd de vue une autre règle, vraiment fondamentale et essentielle du projet de loi, et à laquelle un grand nombre de dispositions, les unes préventives, les autres répressives, servent de sanction : c'est que si, d'une part, l'établissement même érigé en fondation, doit être strictement borné à sa destination charitable, d'autre part, les revenus de la fondation ne peuvent être détournés de cette destination. L'intervention du pouvoir administratif pour approuver les budgets et les comptes, l'intervention du pouvoir judiciaire pour réprimer le détournement des revenus de la fondation, présentent, à cet égard, des garanties sérieuses, que beaucoup d'autres concourent à compléter dans le projet de loi. Si donc (pour rentrer dans l'exemple que la question suppose), l'administration du refuge ou de l'école, au lieu d'appliquer les ressources de la fondation aux besoins de l'établissement, d'après sa destination charitable, c'est-à-dire à l'école et aux élèves indigents ou au refuge et aux filles repenties, le consacrait à l'entretien de religieuses en plus grand nombre que ne l'exigerait la population indigente de l'école ou du refuge, danses cas, il arriverait que l'approbation du budget et des comptes serait refusée par l'autorité administrative et, si l'abus se prolongeait, que la gestion de la fondation serait remise au bureau de bienfaisance, par une décision de l'autorité judiciaire.

« La sanction serait d'autant plus énergique, d'ailleurs, dans l'hypothèse posée, que l'honorable auteur de la question suppose qu'un évêque serait nommé administrateur spécial. La fondation devrait dès lors être établie dans la ville où l'évêque a son domicile (article 80), c'est-à-dire immédiatement sous l'œil du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire, sous le contrôle de la publicité la plus vigilante.

« Telles ne sont pas les seules observations auxquelles donne lieu la question posée. On suppose encore que l'auteur de la libéralité aura imposé comme condition que l'établissement, érigé en fondation, serve de logement aux clarisses, aux ursulines, aux capucins ou aux récollets. Mais il importe de remarquer que, d'après nos lois, les associations religieuses dont les membres portent ces divers titres n'existent pas à l'état de corporations reconnues ou de personnes civiles. Ces associations religieuses, dès lors, ne peuvent être, comme telles, l'objet de libéralités directes ou indirectes. La condition du concours de l'une d'elles à l'œuvre charitable, érigée en fondation, ne lui conférerait donc ni droit ni action.

« Le projet n'introduit sous ce rapport aucun principe nouveau, et, de même que si la libéralité était faite directement au bureau de bienfaisance, sous une pareille condition, on resterait dans les termes du droit commun, c'est-à-dire qu'il y aurait pour l'administration supérieure une question de fait, de convenance et d'utilité à apprécier, à l'égard de laquelle l'avenir ne resterait pas moins libre et dégagé. Ainsi, s'il arrive que, sous la forme d'une fondation spéciale, on érige soit un hospice de sourds-muets, soit un hospice d'aveugles ou d'orphelins, soit un hôpital d'enfants valétudinaires, soit une école de réforme pour les jeunes condamnés libérés, l'administration supérieure admettra, pour faire le service de l’établissement, le nombre nécessaire de religieux ou de religieuses appartenant aux associations qui se dévouent spécialement à cette mission charitable. Mais il en sera, à cet égard, des établissements érigés en fondations spéciales, comme il en est pour le service des hôpitaux et des hospices qui relèvent exclusivement du bureau de bienfaisance et comme il en est pour le service des prisons qui relèvent directement du gouvernement. »

Ainsi, messieurs, la destination charitable limitera l'immeuble comme la destination charitable limitera l'emploi des revenus. Je dis donc que le détournement n'est pas possible et si le détournement pouvait être tenté, la loi y mettrait obstacle puisque, je ne saurais trop le répéter, la loi confie la garde du patrimoine des pauvres à l'autorité administrative et au pouvoir judiciaire.

Aussi, messieurs, nos adversaires sont forcément, fatalement conduits à supposer de la part de tous les pouvoirs que nous mettons en mouvement, ou bien l'impuissance, ce qui est impossible, ou la complicité, ce qui est absurde, sinon odieux.

Le bureau de bienfaisance, l'administration communale, la députation permanente, le fonctionnaire qui inspecte et le gouvernement devraient donc prêter la main aux manœuvres frauduleuses. Il faut commencer par supposer que les administrateurs spéciaux seront nécessairement de malhonnêtes gens.

Je dis, messieurs, qu'une semblable supposition, basée sur la suspicion universelle, est une supposition que rien ne peut légitimer.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, la loi multiplie les garanties les plus énergiques ; elle fait appel à la vigilance de tous, à toutes les forces réunies de la publicité, de l'administration et de la justice.

Et cependant, messieurs, pour certains esprits rien n'y fait, notre projet n'est qu'illusion et déception. Mais pour ces mêmes esprits, quand on passe la frontière tout change. Ainsi, par exemple, quand on se trouve en face de la loi hollandaise tout devient parfait.

La loi des Pays-Bas, loi récente, loi de 1854, dont le mécanisme est bien relâché à côté du nôtre, cette loi obtient l'approbation ; on la (page 1306) signale comme une loi de contrôle, de méfiance, comme une loi qui prévient les doubles emplois.

Eh bien, messieurs, savez-vous ce que c'est que la loi hollandaise à côté de la nôtre ? C'est une toile d'araignée, c'est un fil de soie à côté des liens sérieux que nous imposons à la gestion des biens charitables.

Je ne veux pas, messieurs, insister sur ce point, mais un mot suffira pour prouver ce que j'avance ; les comptes et les budgets des administrations charitables privées ne sont soumis en Hollande à aucune espèce d'approbation ni de conseils communaux, ni de députations permanentes, ni de personne ; ils échappent à toute espèce de contrôle. Cela montre qu'il n'y a pas d'analogie entre ces deux lois.

Il en est de même quant à l'Angleterre. Là on trouve que l'inspection créée en 1853 met les fondations sous la main du gouvernement, et cette même inspection, telle que nous l'organisons chez nous, on trouve que ce n'est rien.

Quoi ! nous avons une inspection où figurent l'Etat par son délégué, la commune par son chef, et la députation permanente, et tout cela ne serait rien ! Ce qui est représenté comme une véritable garantie en Angleterre, devient une illusion quand nous sommes en Belgique.

On a critiqué, en section centrale, le système d'inspection que nous avons organisé. On y a vu une injure à l'élément communal, un défaut de franchise, que sais-je ? J'ai déjà répondu à cette objection et je n'ai rien à ajouter à ma réponse insérée au rapport de votre section centrale. Nous le disons nettement : Nous avons cru qu'il était convenable de placer les fondations en dehors de l'esprit de parti qui, dans les limites de la commune, pourrait quelquefois dégénérer en vexations étroites, persistantes et continues. Or, nous ne voulons pas faire une loi qui vexe les bienfaiteurs des pauvres, mais nous voulons faire une loi pour la charité et rien que pour la charité.

Je résume, messieurs, la loi en quelques mots :

La tutelle administrative dans toute sa vigueur,

L'inspection efficace et permanente,

L'approbation préalable de toutes les recettes et dépenses,

La publicité la plus complète,

La répression judiciaire des négligences et des abus,

La dilapidation et la perte des biens impossibles,

Pas de personnification civile,

Pas de mainmorte,

Voilà la loi.

Et c'est cette loi dont on a dit et dont on redira qu'elle est imprégnée d'un détestable esprit de réaction, qu'elle doit inaugurer un régime de gaspillages, de dilapidations, de détournements.

Les considérations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre ont fait justice de ces accusations imméritées.

La loi entière est faite dans une pensée de transaction ; la loi entière est faite pour prévenir tout gaspillage, toute dilapidation, tout détournement ; les adversaires du projet le savent bien.

La loi se résume en un double but : Augmenter le patrimoine des pauvres : Le conserver.

Pour l'augmenter, la loi fait appel au sentiment religieux : pour le conserver, la loi accumule toutes les garanties administratives, politiques, judiciaires, qu'on a pu puiser dans nos institutions.

Voilà notre but, voilà nos moyens : à vous, messieurs, de dire si notre but répond aux vrais besoins des populations : si nos moyens ont l'énergie et la loyauté que le gouvernement a eu à cœur de leur imprimer.

Le débat qui s'ouvre est là tout entier. Nous l'attendons avec confiance.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.