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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 30 mars 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1193) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance du 28 mars.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des propriétaires, industriels, exploitants de minerais et commerçants d'Acoz prient la Chambre de donner une application temporaire aux nouveaux droits sur la fonte et le fer ; d'autoriser le gouvernement à augmenter ces droits dans certaines limites, et de permettre la sortie de tous les minerais de fer, moyennant certain droits de douane. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des propriétaires, industriels et exploitants de minerais à Ermeton-sur-Biert prient la Chambre de rapporter la loi qui autorise la libre sortie des minerais oligistes. »

« Même demande des propriétaires, industriels et exploitants de minerais à Sosoye. »

- Même renvoi.

« Quelques greffiers de justices de paix dans l'arrondissement de Huy demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'organisation judiciaire.


« Plusieurs instituteurs primaires dans le canton d'Erezée demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Tellin prient la Chambre d'allouer au budget des travaux publics les fonds nécessaires pour la construction d'une route de Halma à Grupont. »

« Même demande d'habitants de Grupont. »

M. de Moor. - La Chambre a déjà ordonné le renvoi de semblables pétitions, conçues à peu près dans les mêmes termes, à M. le ministre des travaux publics. Je désire que celle-ci lui soit aussi renvoyée le plus tôt possible. Je demande donc que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale de Herstal demandent que le gouvernement soit autorisé à concéder à la compagnie de Bruyne-Houtain un chemin de fer de Bilsen à Achel avec station à Herstal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La dame Déporter prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir un subside en sa qualité de veuve de légionnaire. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Wavre présente des observations à l'appui de la pétition du conseil communal contre l'établissement à Ottignies d'une station commune des chemins de fer concédés du Luxembourg, de Manage à Wavre et de Charleroi à Wavre. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce de l'arrondissement de Nivelles demande que la compagnie eu chemin de fer du Luxembourg soit mise en demeure d'exécuter la loi de concession du 18 juin 1846 et la convention du 30 avril 1852 ou du moins un embranchement qui relie Wavre à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce de l'arrondissement de Nivelles demande que le cautionnement déposé par la compagnie du Luxembourg, en qualité de concessionnaire des chemins de fer de Nivelles à Groenendael et de Tamines à Landen reste acquis au gouvernement et prie la Chambre d'en autoriser la remise à la compagnie qui se présentera pour reprendre la concession de ces péages. »

- Même renvoi.


Par message du 28 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le budget des travaux publics pour l'exercice 1857.

- Pris pour notification.


M. de Liedekerke, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours.


M. Osy, retenu à Anvers pour affaires de famille, demande un congé d'un jour.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi révisant les titres I et II du livre II du Code pénal

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Nothomb) - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant révision des titres Ier et IIe du livre II du Code pénal.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen de la commission qui a examiné le projet de loi portant révision du livre Ier du Code pénal. Cette commission sera complétée par le bureau s'il y a lieu.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. Wasseige. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant des crédits supplémentaires au département des finances.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et figurera à la suite des objets à l'ordre du jour.

Motion d’ordre

Entraves au droit constitutionnel de réunion

M. Verhaegen (pour une motion d’ordre). - Messieurs, des faits graves, auxquels la Belgique n'était pas habituée, ont eu lieu, samedi dernier, dans une des principales villes du Hainaut, à Tournai ; et ces faits ont eu pour résultat d'entraver l'exercice d'un droit constitutionnel, du droit de réunion et de libre discussion.

Il est à regretter que l'administration communale ait eu la faiblesse de transiger avec l'émeute en retirant à la société constituée pour la réforme douanière la concession qu'elle lui avait faite précédemment à titre de location d'un local à Tournai.

Je comprends que la population ouvrière ait conçu des craintes et se soit trouvée surexcitée à la suite des discussions sur le libre-échange ; mais quand une cause est bonne, on se borne à répondre par des arguments aux arguments de ses adversaires, et les voies de fait ne peuvent que compromettre la thèse qu'on défend.

Je ne suis certes pas partisan de la liberté commerciale quand même et dans la discussion qui est à peine close j'en ai fait apprécier tous les dangers ; mais je suis encore bien moins partisan de l'émeute. Je condamné le désordre et les voies de fait partout où ils se produisent.

Je viens donc demander au gouvernement s'il a pris les mesures nécessaires pour éviter le retour des excès que j'ai signalés et pour protéger l'exercice du droit de réunion et de libre discussion. Je demanderai spécialement à M. le ministre de la justice s'il a ordonné une enquête judiciaire peur rechercher non seulement les auteurs mais encore les complices et les fauteurs du désordre que nous avons à déplorer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, le gouvernement partage le regret que font éprouver à l'honorable préopinant les scènes qui viennent d'avoir lieu dans la ville de Tournai. Le gouvernement pense aussi qu'il est fort à regretter que dans un pays de libre discussion, il n'y ait plus de liberté pour une discussion qui, restant dans les bornes d'une discussion, peut être essentiellement utile au pays.

Sans accepter la solidarité de l'une ou de l'autre des opinions en présence, le gouvernement doit désirer que chacune de ces opinions puisse librement se manifester et discuter ses intérêts.

Quant aux faits mêmes, le gouvernement n'est pas encore officiellement renseigné ; il ne les connaît que par la voie des journaux, comme l’honorable membre. Mais lorsque d'ici à peu de temps il les connaîtra par une voie officielle, il examinera ce qu'il lui reste à faire.

M. Rogier. - Aurez-vous la bonté de faire un rapporta la Chambre sur ces faits ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). -Si la Chambre le désire, je ferai ce rapport.

Je ne connais pas officiellement les faits. C'est pour cela que je n'ai pas encore voulu émettre d'opinion.

M. Rogier. - Les faits qui ont été signalés et sur lesquels je ne suis pas renseigné pas plus que M. le ministre de l'intérieur, paraissent avoir un certain degré de gravité. Je pense que toutes les opinions dans cette Chambre seront d'accord pour que protection soit assurée à la libre manifestation des opinions constitutionnelles.

Nous sommes tous intéresses au maintien de ces libertés précieuses Je ne mets pas en doute que le gouvernement n'ait vu avec un vif regret les violences qui paraissent avoir eu lieu dans une de nos villes industrielles.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur, et particulièrement M. le ministre de la justice, prendront les mesures nécessaires pour empêcher de pareils excès.

En attendant, nous demandons que M. le ministre de l'intérieur veuille bien, vu la gravité de l'affaire, présenter un rapport à la Chambre le plus tôt possible.

- L'incident est clos.

Ordre des travaux de la chambre

(page 1194) >M. Vander Donckt. - Parmi les projets que nous annonce le discours du Trône, comme devant être prochainement soumis à nos délibérations, se trouve celui sur la révision du cadastre.

La session est déjà très avancée, nous sommes à la veille de nous séparer à l'occasion des approches de Pâques. Je demandée M. le ministre des finances pour quelle époque nous pouvons espérer la présentation de ce projet de loi.

Le discours du Trône lui-même donne les motifs d'urgence qui militent en faveur de la révision prompte de cette loi : c'est la répartition inégale, injuste de la contribution foncière ; il faut que l'on établisse des bases nouvelles proportionnées au perfectionnement et aux progrès qu'a faits l'agriculture dans le pays.

Je demande à M. le ministre des finances à quelle époque il compte nous présenter ce projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le gouvernement s'est occupé du projet de révision des opérations cadastrales, qui a été annoncé par le discours du Trône. J'ai tout lieu de croire que, dès notre rentrée après les vacances de Pâques, il pourra être présenté à la Chambre.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire pour augmenter de manière permanente les traitements des employés inférieurs de l’État

Discussion générale

M. de Naeyer. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Oui, M. le président.

M. de Naeyer. - En conséquence la discussion est ouverte sur le projet de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, je crois, avant tout devoir témoigner ma reconnaissance à la section centrale pour la bienveillance qu'elle a montrée envers les employés de l'Etat, peu rétribuer et désignés par leurs travaux et leur dévouement à toute la sollicitude des Chambres et du gouvernement. Je partage le regret qu'éprouve la section centrale de ne pas pouvoir étendre à d'autres catégories de fonctionnaires, l'augmentation de traitement proposée pour les agents dont le traitement est inférieur à 1,600 francs.

L'idée de comprendre dans cette mesure les employés dont le traitement est de 1,600 à 2,000 fr. a été émise ; le gouvernement n'a pu s'y rallier, non pas que la charge supplémentaire qui serait résultée de cette disposition, dût s'élever à un ou deux millions comme on l'a dit, mais il suffit qu'il y eût aggravation de quelque importance, en l'appliquant à tous les fonctionnaires civils et militaires, pour que nous ne puissions pas grever le trésor de cette nouvelle charge ; nous devons donc nous borner, quant à ces derniers, à les dispenser de la retenue de 1 p. c. qui depuis quelques années est opérée.

Je me rallie, messieurs, à l'amendement de la section centrale, en ce qui concerne le mode de répartition du crédit demandé, bien entendu que le gouvernement, en adoptant le principe, conserve le droit d'établir par des arrêtés d'organisation les règles de la répartition.

Une disposition du projet de loi devra être modifiée, celle qui forme le dernier paragraphe de l'article 5 du projet. Il faut que les mesures à décréter aient un effet rétroactif jusqu'au 1er janvier 1857 ; mais cette rétroactivité ne peut être appliquée aux personnes qui auront cessé d'exercer leurs fonctions au moment de la publication de la loi. On évitera ainsi de nombreuses difficultés ; en effet, des retenues ont été faites sur les traitements de janvier, février et mars, en vertu de la loi du 17 février 1849 ; des pensions peuvent même avoir déjà été liquidées, dans cet intervalle ; les employés qui se trouvent dans ce cas sont toutefois peu nombreux.

M. de Renesse. - Messieurs, pour améliorer la position des employés inférieurs de 1 Etat, le gouvernement a cru devoir demander aux Chambres un crédit supplémentaire pour augmenter d'une manière permanente leurs traitements. Si je ne prenais en considération que le sort pénible de la plupart de ces petits fonctionnaires et la bienveillance naturelle que je leur porte, je donnerais de grand cœur un voie favorable à la proposition du gouvernement, je voudrais même qu'elle pût être étendue à un plus grand nombre de fonctionnaires civils, militaires et ecclésiastiques.

Mais, avant d'accorder une augmentation permanente de charges pour le trésor public, je crois que les membres de la législature ont aussi la mission spéciale d'examiner la situation financière du pays, et de voir s'il y a possibilité d'augmenter nos budgets de dépenses, se montant déjà actuellement, pour les dépenses ordinaires de l'exercice courant, à environ 134,000,000 de fr. non compris 4 à 5 millions à allouer pour les crédits supplémentaires, qui, chaque année, de l'aveu même de l'honorable ministre des finances, sont toujours postulés par les différents départements ministériels ; on peut donc affirmer que les budgets ordinaires et supplémentaires des dépenses de l’Etat se montent à environ 140,000,000 de fr., et, si pour le moment, ils n'ont pas encore atteint ce chiffre, ils y seront bientôt par la marche toujours ascendante des dépenses de l'Etat.

Déjà, à différentes reprises, plusieurs de nos honorables collègues et moi nous avons insisté pour que le gouvernement s'efforce à introduire de sérieuses économies dans les dépenses du trésor public. Il me semble qui sur un budget général d'environ 140,000,000 de francs l'on aurait pu trouver le moyen de faire face à la dépense nouvelle pour laquelle le crédit supplémentaire est demandé sans devoir augmenter les chiffres de nos budgets.

Mais pour parvenir à introduire des économies réelles d'une certaine importance dans les dépenses ordinaires de l’Etat, il faudrait une volonté ferme de les réaliser ; il faudrait que tous les chefs des départements ministériels y travaillassent avec ensemble, et alors l'on y parviendrait. Sans cela, l'on ajournera toujours les économies jusqu'à ce que l'on y soit forcé plus tard par l'opinion publique qui, partout, est opposée à l'augmentation des charges publiques ; l'on ne veut plus d'aggravation des contributions, mais bien une meilleure et plus équitable répartition.

Maintenant que le gouvernement a planté le premier jalon de l'augmentation permanente des traitements, chaque jour nous arrivent des pétitions de différentes catégories de fonctionnaires qui demandent pareillement à leur tour de pouvoir prendre part à la curée des budgets de l'Etat ; pourra-t-on résistera cette insistance des fonctionnaires publics, qui, par tous les moyens dont ils disposent, chercheront soit à influencer les membres des chambres législatives, soit à peser sur le gouvernement pour parvenir à la réalisation de leur désir : l'augmentation de leur traitement.

Si le gouvernement avait demandé un nouveau secours, comme les deux années antérieures, pour les employés inférieurs, par suite de la continuation de la cherté des denrées alimentaires, j'eusse été porté à voter encore une pareille allocation ; mais, dans la situation actuelle de nos finances, où il y a un déficit de près de 22 millions dans le trésor public, je ne puis consentir à une augmentation de dépenses permanente, pour les divers budgets de l'Etat, ne voulant pas m'engager à voter, par après, un accroissement aux charges déjà trop nombreuses des contribuables, et, en effet, la masse des contribuables n'est elle-même pas trop à son aise ; elle a aussi eu de fortes épreuves à passer, pendant ces quelques années de cherté ; elle mérite donc que l'on prenne en considération sa position actuelle, et que l'on ne l'atteigne plus par un supplément de contributions.

J'ai déjà, à plusieurs reprises, insisté pour que le gouvernement cherche à faire une meilleure et surtout une plus équitable répartition des charges publiques ; d'un côté, l'on voit toujours les mêmes contribuables qui doivent supporter presque toutes les charges de l'Etat, tandis que les rentiers, capitalistes et leurs nombreux capitaux, ne contribuent pour presque rien dans les revenus du trésor ; les sociétés anonymes et leurs gros états-majors ne procurent pareillement que peu de ressources au budget des recettes ; c'est ainsi que beaucoup des hauts fonctionnaires de ces sociétés oui une organisation si heureuse, si multiple, qu'ils peuvent être, à la fois, directeurs, administrateurs et commissaires de plusieurs de ces sociétés anonymes, et en retirer des revenus très-notables, sans cependant devoir contribuer pour une juste et une plus grande part dans les voies et moyens de l'Etat.

En Angleterre, ils auraient payé jusqu'ici 6 p. c. sur les revenus de leurs fonctions par l’income-tax.

Les sociétés anonymes elles-mêmes payent à l'Etat à peine un impôt de 1 2/3 p. c. sur leurs bénéfices, et s'il n'y eu a pas, elles ne contribuent rien, tandis que les cultivateurs, fermiers et propriétaires doivent toujours, bon an mal an, payer leurs contributions foncières, s'il y a bénéfice ou non.

Voilà donc l'équitable répartition des charges publiques : d'un côté, presque toujours exemption d'impôts ou une trop minime imposition, tandis que, de l'autre côté, le petit cultivateur ou propriétaire doit payer annuellement au moins 10 p. c. sur le revenu net de sa propriété immobilière, sans y comprendre les charges communales et provinciales.

D'après la déclaration faite par l'honorable ministre des finances à la séance du 14 décembre 1856 lors de la discussion du budget des voies et moyens de l'exercice courant, le nombre des fonctionnaires et employés de l'Etat est de 14,997, non compris ceux du clergé, ni le corps des officiers de l'armée ; la somme totale de leurs traitements s'élèverait à 21,361,310 fr. ; si l'on y ajoute les pensions de toute nature portées au budget de la dette publique à un chiffre de 5,986,737- 76, l'on aura un total assez important de 27,348,047-76 seulement pour le payement des traitements actuels des fonctionnaires civils, et la rémunération des anciens services, et si l'on y adjoint en outre les traitements et secours aux ministres des différents cultes, se montant à 3,760,447 francs, ainsi que la solde des officiers de l'armée qui est de 8,663,808 francs, nous trouvons que les budgets des dépenses de l'Etat sont déjà annuellement grevés, de ces différents chefs, d'une somme de 39,772,303-76, sans le crédit supplémentaire de 1,158,280 fr., pour les employés inférieurs.

Voilà donc une somme de 40,930,583 fr. à payer pour traitements et pensions, si la Chambre allouait le crédit supplémentaire.

Si l'on admet actuellement, soit d'une manière permanente ou soit même pour deux années, l'augmentation des petits traitements, l'on sera entraîné fatalement à en subir toutes les conséquences, et dans un avenir rapproché, l'on se verra forcé d'augmenter indistinctement tous les traitements, puisque les mêmes raisons existent aussi bien pour les hauts fonctionnaires que pour les petits ; la dépréciation monétaire et le renchérissement de la vie ayant une importance relative aussi bien pour les uns que pour les autres.

La section centrale, tout en convenant que les contributions sont déjà si fortes, qu'il serait imprudent, inopportun, peut-être injuste, de (page 1195) les augmenter encore, donne, néanmoins, son adhésion au projet de loi ; mais elle émet le vœu unanime que l'amélioration du sort des employés inférieurs soit réalisée, sans charges nouvelles pour le trésor, et au moyen d'économies à pratiquer dans l'organisation des services publics, et pour mettre le gouvernement en demeure d'y procéder, elle a cru devoir restreindre la portée du projet de loi, et en réduire la durée à deux ans.

Il ne résulte nullement du nouveau texte du projet de loi, amendé par la section centrale, que la durée de l'augmentation des traitements ne serait accordée que pour deux années ; si vous voulez que ce vœu, formellement exprimé par la section centrale, devienne une obligation pour le gouvernement, il faudrait que l'on insérât dans l'article premier que le crédit de 1,158,280 fr. est ouvert aux budgets des dépenses des exercices 1857 et 1858, afin qu'avant la présentation du budget des dépenses de 1859, le gouvernement fasse une réorganisation complète de toutes les administrations ressortissant aux différents ministres dans le sens économique indiqué par la section centrale et principalement dans le but de restreindre la bureaucratie, poussée actuellement outre mesure de la simplification et de la décentralisation des différentes branches du service public.

En attendant que cette nouvelle réorganisation puisse avoir lieu, je crois qu'il eût été préférable de n'accorder au gouvernement qu'un crédit provisoire comme en 1855 et 1856, surtout si la cherté des objets de première nécessité continuait à peser sur les petits fonctionnaires.

D’après les considérations que j'ai fait valoir, non seulement sous le rapport de la situation peu prospère des finances de l'Etat, qui me parait ne pas permettre actuellement une nouvelle aggravation des charges publiques, déjà assez lourdes, pour la masse des contribuables ; mais encore parce que je désire avec beaucoup de membres de la législature et avec la section centrale, une nouvelle réorganisation générale de toutes nos administrations publiques dans l'intérêt d'introduire, le plus tôt possible, une plus sage et plus large économie dans les dépenses de l'Etat, je me vois forcé, avec un certain regret, de ne pouvoir donner un vote favorable au projet de loi.

M. de Moor. - Messieurs, dans la discussion des crédits extraordinaires de 400,000 et de 800,000 francs, d'honorables collègues et moi réclamions du gouvernement la révision permanente des traitements des employés inférieurs de l'Etat.

Je disais, messieurs, que des motifs d'humanité et d'intérêt public, tout à la fois, militaient en faveur de cette révision immédiate. Le gouvernement a compris que la Chambre demandait autre chose qu'un secours pour les employés inférieurs, et aujourd'hui, nous discutons un projet de loi que les sections ont accueilli avec la plus grande sympathie.

Je crois, messieurs, que le gouvernement eût pu aller plus loin, sans se montrer prodigue. La section centrale, dont j'avais l'honneur défaire partie, avait admis pour dernière limite le traitement au chiffre de 2,000 francs exclusivement au lieu de 1,600 ; je crois que ce n'était pas exagéré. Les fonctionnaires qui touchent un traitement d'environ 2,000 fr. ont déjà rendu de longs et loyaux services à l'Etat et le plus grand nombre d'entre eux ont des charges de famille ; mais la section centrale s'est trouvée arrêtée par un obstacle qui lui a paru invincible ; cet obstacle nous est venu du département de la guerre.

Nous demandions que l'augmentation fût accordée aux employés civils jouissant d'un traitement de 1,600 à 2,000 fr. exclusivement.

M. le ministre de la guerre a cru devoir demander la même faveur pour les officiers inférieurs dont les traitements varient de 1,600 fr. à 2,000 francs ; il en serait résulté une augmentation de 3,800,000 fr., si je ne me trompe...

M. le ministre des finances (M. Mercier). - C'est une erreur.

M. de Moor. - On nous a dit en section centrale que le chiffre était de 3,800,000 francs ; qu'on le tenait d'un très haut fonctionnaire du département des finances. Voilà ce que je puis affirmer...

- Un membre. - C'est une erreur.

M. de Moor. - Si c'est une erreur, je passe outre et je laisse à l'honorable M. Coomans, rapporteur de la section centrale, le soin de vous éclairer.

Ce que la législature doit vouloir, c'est que les fonctionnaires qui donnent à l'Etat leur intelligence, leur temps et leurs forces, puissent matériellement vivre et faire vivre leurs familles ; or, le renchérissement de toutes les choses nécessaires et indispensables à la vie n'est plus en rapport avec le traitement de ces agents de l'Etat.

Messieurs, la section centrale a émis le voeu unanime que l'amélioration du sort des employés ne constitue pas une nouvelle charge pour le trésor, et qu'on l'obtienne au moyen d'une réduction considérable dans le nombre des employés attachés aux différents services publics.

Si le gouvernement veut marcher franchement, ouvertement dans la voie où le pays le convie à entrer résolument, je suis convaincu que de notables économies peuvent être apportées dans les divers budgets, que de nombreuses simplifications peuvent être opérées ; que certains rouages administratifs peuvent disparaître comme parfaitement inutiles et que des sinécures doivent être supprimées. En un mot diminuez les écritures et le nombre de vos employés, payez bien ceux qui vous serviront et une partie du problème sera résolue.

Il ne faut, pour atteindre ce but, que trois choses : de l'intelligence, le gouvernement l'a ; du courage, le gouvernement doit l'avoir ; et à mon avis ; voici comment ce courage doit se traduire : d'un côté, résister aux idées d'extension administrative de la haute bureaucratie ; de l'autre, résister énergiquement aux députés qui vont demander à MM. les ministres tel ou tel emploi pour telle ou telle personne. Pour ce qui me concerne, si je pouvais jouer ce rôle de solliciteur, et que le ministre auprès de qui je solliciterais, me dît : « L'emploi est supprimé, je fais une économie, » je me retirerais très satisfait.

La troisième chose qui est nécessaire au gouvernement pour atteindre le but que j'ai indiqué, c'est une initiative énergique. Or, là je suis obligé de reconnaître que le gouvernement n'en montre pas à un haut degré.

Si la position des employés inférieurs de l'Etat est digne d'attirer toute notre attention, il est une autre classe de citoyens qui ne reposent pas toujours sur un lit de roses : j'entends parler des contribuables. Eux aussi comprennent qu'il faut que les employés inférieurs de l'Etat soient payés pour la rémunération de leur travail. Mais les contribuables, messieurs, réfléchissent sérieusement, lorsqu'ils voient des budgets aussi élevés que ceux que nous votons chaque année. Le budget de l'intérieur que vous avez adopté, il y quelques jours, était de plus d'un million supérieur à ceux que vous votiez, il y a quelques années, et qui était l'objet des plus vives et souvent des plus injustes attaques de la part des adversaires du ministre de l'intérieur de l'époque, l'honorable M. Rogier ; le budget a grossi d'année en année ; je ne sais où cela s'arrêtera.

J'espère que le gouvernement, en présence du vœu émis par la section centrale, organe des sections, vœu qui se traduit à ne donnera la loi qu'une durée de deux ans ; j'espère, dis-je, que le gouvernement comprendra la nécessité de marcher résolument dans la voie des économies ; intimement convaincu qu'il y entrera forcément à la suite de cette discussion, je donnerai un vote approbatif à la loi qui concerne l'augmentation des traitements des employés inférieurs de l'Etat.

Je le ferai avec d'autant plus de bonheur, qu'à mon avis c'est un acte de justice à poser à l'égard de laborieux serviteurs de l'Etat et de nombreux pères de famille.

En effet, n'est-il pas pénible de voir des fonctionnaires comme certains percepteurs et distributeurs de la poste, des employés de la douane, les facteurs ruraux, les commis des accises, les gardiens des prisons et bien d'autres, tous employés revêtus de fonctions de confiance, mener une existence toujours malheureuse, fatigante, presque toujours et dangereuse dans bien des circonstances. Si vous voulez qu'ils continuent à remplir consciencieusement leurs devoirs, il ne faut pas les laisser plus longtemps en présence des tentations de la misère. Ce mot de misère que je viens de prononcer m'engage à vous donner lecture d'une note que je tiens d'un haut fonctionnaire de l'Etat, note concernant une catégorie de fonctionnaires à laquelle on ne songe pas souvent. Il s'agit des pontonniers.

« Il n'est pas, que nous sachions, d'employés du gouvernement dont la position soit plus triste, la misère plus grande, que celle des préposés à la manœuvre des ponts. Qu'il nous suffise de dire que ces malheureux dont la famille, eux compris, se compose, en moyenne de cinq individus, ont pour toute ressource un traitement mensuel de 25 fr., affecté encore d'une retenue de 3 1/2 p. c., qui le réduit à environ 24 fr., ce qui équivaut pour chacun à 1 fr. 80 c. par mois, soit 15 ou 16 c. par jour. Ce simple expose rend superflu tout commentaire ; on comprend l'impossibilité de subsister avec 15 c. par jour, alors qu'avec cette somme on peut tout au plus se procurer une livre de pain, alors que les denrées, les aliments les plus grossiers, ont été jusqu'à présent d'une cherté inabordable.

« Le pontonnier, obligé par la nature de ses fonctions à rester en permanence à son poste, ne peut augmenter ses trop faibles ressources par aucun travail, par aucun moyen quelconque ; il est condamné à rester toujours impuissant en face de la misère qui le ronge ainsi que sa famille ; aucune main efficacement secourable ne se tend vers lui, il traîne, ignoré de tous, sa malheureuse existence ; personne ne s'occupe de lui et si quelques faibles aumônes lui sont parfois jetées ; pareille mesure est tout à fait insuffisante : c'est du pain pour un petit nombre de jours.

« Et qu'on ne suppose pas que nous exagérions en quoi que ce soit : qu'on aille sur les lieux, au canal de la Campine, à celui de Liège à Maestricht, par exemple, on n'acquerra que trop vite la triste conviction de ce que nous avançons et l'on se sentira tout ému, en présence de la hideuse misère, de la misère en haillons, que nous voudrions voir secourir.

« Nous disons, en haillons, et c'est malheureusement l'expression qu'il convient d'employer, car il nous est revenu, qu'au canal de Charleroi à Bruxelles, toute une famille n'avait, il y a quelque temps, qu'un seul vêtement en lambeaux, et que lorsque le chef, pour vaquer à ses fonctions était appelé au dehors, le fils grelottait à l’intérieur, demi-nu et ainsi réciproquement. »

(page 1196) J'ajouterai que je sais que beaucoup de ces malheureux reçoivent des secours des bureaux de bienfaisance.

Cette position, toute misérable qu'elle est, s'aggrave encore lorsque, et cela arrive fréquemment dans la Campine, les fièvres envahissent la demeure des pontonniers. Alors, leur misère atteint des proportions telles, qu'il faut renoncer à la décrire.

Je vous demande, messieurs, s'il est possible de laisser dans une aussi affreuse misère des fonctionnaires de l'Etat quelque infimes que soit leur position.

J'ai cherché, messieurs, une échelle permettant à la législature de faire rétribuer d'une façon plus convenable les employés touchant les plus faibles traitements. Mais, je me hâte de le dire, je n'ai pas atteint mon but. J'arrivais souvent à constater qu'avec l'indemnité que nous accordons aux fonctionnaires touchant 499 fr., par exemple dans la première catégorie que j'avais admise, de 100 à 500 fr., il en résultait que ces fonctionnaires avaient un traitement plus élevé que celui de leurs chefs, ou d'employés ayant un traitement immédiatement supérieur ; il en était de même pour les catégories de 500 à 1,000 fr. et de 1,000 à 1,600 fr.

Je suis convaincu aujourd'hui que ce système ne peut être admis et je me range à l'opinion du gouvernement adoptée par la section centrale. Bien entendu que les traitements seront réglés par catégories déterminées par arrêté royal, comme l'honorable ministre des finances vient de le déclarer.

Je me permettrai d'appeler, au moment où MM. les ministres vont avoir à s'occuper de la révision de leurs budgets, l'attention du gouvernement sur le point de savoir si, avant d'accorder des traitements maximum dans les administrations centrales, il ne faudrait pas au moins donner le minimum à ceux qui y ont droit.

Lors de la discussion du budget des travaux publics, j’ai appelé l'attention du chef de ce département sur la position des chefs de bureau des directeurs des ponts et chaussées ; aujourd'hui je le prie d'examiner si l'arrêté organique du 26 janvier 1850 ne pourrait pas être révisé. Je crois que cet arrêté organique a été fait avec énormément de précipitation, et qu'il est regrettable sous bien des rapports.

Je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien s'enquérir si les directeurs des écoles moyennes de troisième classe, qui n'ont pas le maximum de 1,600 fr. fixé par la loi du mois de juin 1852, pourront jouir du bénéfice de la loi en discussion. Il y a des directeurs d'école moyenne de troisième classe qui n'ont qu'un traitement de 1,450 fr., auxquels on ne dorme ni le logement, ni feu, ni lumière, et qui obtiennent de la commune, pour toute indemnité, une somme de cent francs, ce qui porte leur traitement à 1,550 fr. Ces fonctionnaires me paraissent être dans la catégorie de ceux qui peuvent obtenir une augmentation de traitement.

Je demanderai à M. le ministre des finances s'il est encore disposé à ne pas comprendre les agents forestiers dans les fonctionnaires pour lesquels on demande une amélioration de position. L'exposé des motifs porte :

« Les agents forestiers dont la position a déjà été légèrement améliorée à la suite de la réorganisation de cette administration, conformément à la loi du 20 décembre 1854, et dont les traitements sent d'ailleurs payés, en partie, par les communes et des établissements publics. »

Malgré l'article 20 du code forestier, je crois que le gouvernement pourrait comprendre ces fonctionnaires dans la répartition et que l'allocation ne serait pas élevée.

Si j'insiste, c'est que les agents forestiers figurent aussi parmi les employés très faiblement rétribués et s'ils ont obtenu une légère amélioration de position elle ne s'est en moyenne élevée qu'au chiffre de 40 francs. C'est là encore une catégorie de fonctionnaires qui remplit des fonctions de confiance, fonctions souvent dangereuses.

La plupart du temps, ces agents surveillent des bois qui sont situés à l'exiiêmc frontière, et d'un autre côté ils leur est interdit de tenir un commerce, soit par eux-mêmes soit par un des leurs. Ils ont droit à la sympathie du gouvernement. Je demanderai à M. le ministre des finances s’il s’opposerait à ce que ces fonctionnaires fussent compris dans la catégorie de ceux qui nous occupent, c'est-à-dire des employés qui ont des traitements inférieurs à 1,600 francs.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Bien que mon département soit resté étranger au projet de loi que l'on discute en ce moment, ce que vient d’avancer l'honorable M. de Moor me force à prendre la parole.

Le département de la guerre n'a demandé aucune allocation nouvelle pour les officiers subalternes, bien que leur situation soit aussi pénible, et peut-être encore plus difficile que celle des employés inférieurs des diverses administrations, parce que, confiant dans le patriotisme et dans le désintéressement de l'armée, le gouvernement n'a pas cru devoir, en ce moment, ajouter aux charges du trésor, en pétitionnant en sa faveur une augmentation qu'il ne demandait pas pour les autres serviteurs de l'Etat.

Mais lorsqu'il s'est agi d'augmenter les traitements en dessous de 2,000 francs, j'ai cru devoir faire remarquer que les lieutenants d'infanterie ont 1,900 francs, et les sous-lieutenants, seulement 1,600 fr. de traitement, soutenant à bon droit, que si l'on reconnaissait la nécessite d'augmenter la rémunération des fonctionnaires civils de cette catégorie, il devenait nécessaire, juste et indispensable de faire la même chose pour les officiers qui se trouvent dans les mêmes conditions.

La section centrale et, après elle, l'honorable M. de Moor, a évalué à plusieurs millions le surcroît de dépense qui résulterait de cette majoration.

Il n'en est rien, messieurs, la section centrale et l'honorable orateur ont été mal renseignés, le chiffre total des officiers et employés militaires dont le traitement est inférieur à 2,000 francs est de 845, qui, en supposant une moyenne d'augmentation de cent francs, conduirait à une dépense totale de 84,500 francs, ce qui ne se rapproche guère des millions dont il a été parlé.

M. Delfosse. - Dans sa réponse au discours du trône, la Chambre s'est montrée disposée à augmenter les traitements des petits employés de l'Etat. Mais, tenant compte des charges très lourdes qui pèsent sur les contribuables, elle a exprimé en même temps le vœu que cette augmentation fût compensée par des réductions de dépenses.

Le ministère n'a rien fait jusqu'ici pour se conformer au vœu de la Chambre ; il s'en borné à nous promettre, dans une lettre adressée à la section centrale, qu'il recherchera avec soin s'il y aurait moyen d'obtenir des économies, en simplifiant les rouages administratifs ; pour me servir d'une expression très usitée dans le vocabulaire ministériel, il étudiera la question. Je prévois ce qui va arriver.

Après un examen plus ou moins prolongé, plus ou moins approfondi, on viendra nous dire qu'il n'y a rien, ou qu'il y a peu de chose à faire.

Autant MM. les ministres sont, en général, portés à augmenter les dépenses, autant ils répugnent à introduire des réformes administratives. Augmenter les dépenses, rien n'est plus facile, et cela donne beaucoup d'amis. Les réformes administratives les plus utiles créent au contraire des embarras et des mécontentements.

Il y a une dizaine d'années, j'exprimais dans cette enceinte l'opinion qu'on pourrait réduire les dépenses du personnel des finances de 100,000 et même de 200,000 francs. L'honorable M. Malou, qui était alors ministre des finances, fit un signe de dénégation ; à son avis, cela était impossible.

L'économie de 100 ou de. 200 mille fr., que l'on proclamait impossible, a été réalisée plus tard ; elle a même été portée presque à un million ; mais il a fallu, pour atteindre ce but, toute l'activité, toute l'énergie, toute l'intelligence de l’honorable M. Frère, aidées par les circonstances.

Ce qu'il a fait alors pour le budget des finances reste et, je le crains bien, restera longtemps à faire pour les autres budgets.

M. le ministre des finances a trouvé, en attendant, un moyen très simple de faire face à la nouvelle dépense de 1,158,280 fr. qui nous est proposée. Elle sera, nous dit-il, couverte par les ressources ordinaires du budget. Vous sentez, messieurs, que ce sont là des ressources purement nominales, tout à fait fictives. Il n'est que trop probable que l'exercice 1857, bien loin de présenter un excédant de cette importance, viendra encore accroître le découvert laissé par les exercices antérieurs.

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un des mille exemples qui prouvent combien sont trompeuses les prévisions des budgets présentés par MM. les ministres.

Au budget des non-valeurs et remboursements pour l'exercice 1857, on n'a évalué qu'à 900,000 fr. le remboursement du péage de l'Escaut. Nous avons appris par un document qui nous a été envoyé, il y a quelques jours, par M. le ministre des affaires étrangères, que le remboursement de ce péage s'est élevé, en 1856, a très peu de chose près, à 1,500,000 fr. Voilà, sur un seul article, une aggravation de charges de 600,000 fr.

Ajoutez à cela que les recettes vont être annuellement diminuées de 240,000 fr. par suite de la suppression de la retenue d'un p. c. sur les traitements et que le budget de l'intérieur a été récemment augmenté de plusieurs centaines de mille francs.

D'autres causes encore que vous connaissez aussi bien que moi doivent vous donner la certitude qu'il n'y aura pas moyen de couvrir, à l'aide des ressources ordinaires du budget, l'accroissement de dépense de 1,158,280 fr. qui nous est demandé.

Cette dépense ne nous est demandée par le projet de loi que pour 1857 ; mais dans l'intention du gouvernement elle doit être permanente. Cette dépense permanente, cela est bien clair, ne pourra être couverte qu'au moyen de fortes réductions sur d'autres articles du budget ou à t'aide d'impôts nouveaux.

J'apprécie trop la situation intolérable, précaire que les circonstances font aux petits employés, pour refuser mon vote au projet de loi. Je n'insisterai pas non plus pour le maintien de la retenue d'un p. c. dont les traitements ont été frappés en 1849. Je reconnais que c'était une mesure essentiellement temporaire. Réduite aux traitements élevés, elle serait d'ailleurs peu productive. Mais je tiens à déclarer, en émettant un vote favorable que toute demande d'impôts nouveaux me rencontrera pour adversaire, tant qu'il y aura dans les budgets des dépenses inutiles ou exagérées ; et je range en première ligne, parmi celles-ci, les dépenses du département de la guerre, qui, selon moi, ont, depuis quelques années, dépassé toute mesure.

(page 1197) J'attendrai, pour me prononcer sur l'augmentation des traitements du clergé, les propositions qui nous sont annoncées de la part de M. le ministre de la justice.

M. de Moor. - Je n'ai jamais entendu mettre en doute le dévouement des officiers de l'armée. J'ai toujours confondu ce dévouement avec celui que les fonctionnaires publics civils ont pour le Roi, le pays et nos institutions.

J'ai dit que la position des officiers n'était pas la même que celle des employés civils. Cela est positif : la plupart des fonctionnaires qui ont de 1,600 à 2,000 fr. de traitement sont mariés ; la plupart des officiers, je pourrais dire les neuf dixièmes, ne le sont pas ; ils ne peuvent même se marier que lorsque la future apporte 1,600 fr. de pension dans le ménage.

Je vous demande si la position des officiers de l'armée est la même que celle des fonctionnaires civils.

Quant au chiffre de 3,800,000 fr., je crois que M. le rapporteur pourra donner tous les renseignements possibles. C'est lui qui nous a donné ce chiffre comme officiel, et d'ailleurs, dans le rapport de la section centrale, il en est fait mention.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le gouvernement ne négligera aucune occasion d'apporter, dans les dépenses publiques, l’économie compatible avec une bonne administration. Mes collègues sont, comme moi, animés de ce désir ; j'ai fait quelques recherches sur les réductions de dépenses qui pourraient encore être introduites au budget des finances, et j'ai l'espoir qu'elles ne resteront pas infructueuses.

Dans la circonstance actuelle, il s'agit en quelque sorte d'un acte d'humanité ; j'espère que la Chambre, y compris l'honorable membre qui a pris le premier la parole, mue par cette considération, ne refusera pas son vote au crédit qui est demandé.

Un honorable membre a demandé au gouvernement s'il avait pris la détermination de ne rien faire en cette circonstance en faveur des employés de l'administration forestière. Je crois devoir faire observer à cet honorable membre que l'amélioration de position qui a été accordée l'année dernière aux employés de cette administration est dans le même rapport que celle que nous proposons maintenant pour les autres branches de service.

La moyenne de l'augmentation de traitement a été pour eux de 20 p. c du traitement.

Je sais que beaucoup de ces employés n'ont qu'un très faible traitement.

M. de Moor. - Soixante francs.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je voudrais que le gouvernement pût faire davantage pour eux ; ils sont dignes, à tous égards, de notre sollicitude ; je dois faire remarquer cependant que beaucoup d'entre eux n'ont qu'un travail assez restreint et que plus des trois quarts de ces agents n'exercent leur surveillance que sur des bois appartenant aux communes. Il est vrai que c'est l'Etat qui paye le traitement ; mais ce n'est qu'après l'avoir reçu des communes ; de telle sorte qu'en améliorant davantage la position de ces employés, nous aggraverions de nouveau les charge des communes.

Du reste, messieurs, lorsque les budgets auront tous été établis pour l'exercice prochain, si le gouvernement reconnaît qu'il y a probabilité de déficit, il remplira son devoir et viendra proposer, indépendamment des économies qu'il pourra réaliser, les mesures nécessaires pour subvenir aux dépenses que les Chambres, après examen, auront reconnues utiles.

M. Coomans, rapporteur. - Messieurs, je donnerai d'abord à la Chambre les explications que les observations de l'honorable ministre de la guerre et de l'honorable M. de Moor semblent avoir rendues nécessaires.

Lorsque la section centrale a pris la résolution d'élever à 2 000 fr. la limite des traitements favorisés par le projet de loi, un haut fonctionnaire à qui je transmis cette résolution, déclara qu'il y avait là une grave difficulté, attendu que, le département de la guerre demanderait trois millions au moins pour mettre les traitements militaires en rapport avec les traitements civils.

S'est-il agi des lieutenants et des sous-lieutenants de l'infanterie seulement ? Evidemment non. Il est probable qu'il s'est agi aussi, d'après ce que j'ai appris ensuite, des sous-officiers.

Quoiqu'il en soit, messieurs, ce chiffre, diminué encore dans le rapport de la section centrale, a été transmis à celle-ci par une bouche en laquelle nous pouvons avoir confiance entière.

J'apprends, du reste, avec plaisir que l'intention de l'honorable ministre de la guerre n'était pas de demander plus de 100,000 fr. pour mettre les traitements militaires en rapport avec les traitements civils. Et, à ce sujet, je dois exprimer le regret que ce chiffre n'ait pas été soumis à la section centrale, car je ne crois pas me tromper en disant qu'elle n'eût pas reculé devant une somme de 100,000 fr. environ pour maintenir sa première résolution, prise à la presqu'unanimité des suffrages, à savoir la résolution d'élever à 2,000 fr. la limite du projet de loi. J'ajoute, pour mon compte, que si maintenant, une proposition était faite dans le sens du premier vote de la section centrale, j'y adhérerais volontiers.

Voici, messieurs, ce qui a dicté la résolution de la section centrale, d'élever dès sa première réunion, la limite des traitements dont s'occupe le projet de loi. Il lui a semblé que les fonctionnaires à 1,600 et à 2,000 fr. d'appointements étaient chargés d'une rude besogne, qu'ils avaient déjà des droits acquis et que, ayant, la plupart, charge de famille, ils méritaient aussi une amélioration de leur sort. Ayant été aux renseignements, la section centrale a appris que si elle élevait à 2,000 francs la limite du projet de loi (quant aux traitements civils), il n'en résulterait qu'une charge supplémentaire de 120,000 francs pour le trésor et que satisfaction serait donnée à 1,005 fonctionnaires dont nous avons eu le détail. Pour obtenir ce résultat ce n'était pas trop d'une somme de 120,000 francs ; mais, je le répète, la section centrale a fini par accepter le chiffre du gouvernement lorsqu'on l'a effrayé au moyen des réclamations évidemment exagérées du département de la guerre.

Messieurs, de longues discussions se sont élevées en section centrale sur les points de savoir à quels fonctionnaires on étendrait le bénéfice du projet de loi et quelles seraient les bases de la répartition. Après de longs débats, la section centrale a fini par adopter les chiffres et le mode de distribution proposés par le gouvernement, parce que celui-ci a pris l'engagement de formuler dans les prochains budgets, dans les six budgets, les chiffres du projet de loi avec les idées nouvelles qui pourraient lui venir d'ici là. Dès lors les débats auxquels j'ai fait allusion perdaient beaucoup de leur importance, attendu que la Chambre sera juge dès l'année prochaine, des bases adoptées par le gouvernement, qu'elle pourra soit les approuver, soit les étendre, soit les restreindre.

Par les mêmes motifs la question de la durée de la loi devenait également beaucoup moins importante. Quelle sera la durée de la loi ? Dans la pensée de la section centrale elle ne serait en réalité que d'un an, attendu que le budget de 1858 devra être basé, tant pour les traitements civils que pour les traitements ecclésiastiques sur les nouveaux chiffres à établir par le gouvernement, d'après le projet de loi actuel.

Messieurs, la section centrale est généralement animée des sentiments que l'honorable M. Delfosse vient d'exprimer.

Elle croit qu'il y a lieu de diminuer les charges publiques au moyen d'une réorganisation des services dans un but d'économie. Elle croit, en deuxième lieu, que le gouvernement ne doit pas songer à nous proposer de nouveaux impôts. L'intention formelle de la section centrale, en votant ce subside, est de réserver sa liberté d'appréciation entière en ce qui concerne les propositions éventuelles du gouvernement en matière d'impôts ; non qu'elle ne veuille pas lui fournir tous les moyens nécessaires à la marche régulière des services, mais parce que la conviction intime est qu'il est possible de réaliser de notables économies dans plusieurs budgets, (Interruption.)

Non seulement dans les écritures, au moyen d'une simplification du travail, mais aussi dans le personnel administratif au moyen d'une diminution des rouages. Il est bien entendu cependant, que la section centrale ne veut pas diminuer les appointements des fonctionnaires supérieurs ; elle croit qu'il faut peu de fonctionnaires et une juste rémunération des services qu'ils rendent. Elle est d'accord avec le gouvernement qu'il n'y a pas, en Belgique, de fonctions trop rétribuées.

On a signalé à la section centrale un grand nombre de fonctionnaires qui ne profiteront pas de la loi et qui, cependant, ont des titres à la bienveillance, à la sympathie, à la justice du législateur. On lui a signalé entre autres les employés forestiers qui, réellement, ne reçoivent qu'une rémunération très faible ; mais ici, messieurs, s'est présentée une difficulté qui, je crois, vient d'être indiquée par l'honorable ministre des finances, c'est-à-dire que les employés forestiers ne touchent pas leur traitement sur le trésor public.

M. Tesch. - C'est le gouvernement qui fixe les traitements.

M. Coomans. - C'est le gouvernement qui les fixe, mais ce n'est pas lui qui les paye, et il a paru à la section centrale que si l'on comprenait ces employés dans le projet de loi, ce serait pour ainsi dire introduite un principe nouveau, puisque le gouvernement contribuerait désormais à payer des traitements qui ne sont pas à sa charge... (Interruption.)

Si l'honorable M. Tesch peut nous démontrer que ce n'est pas introduire un principe nouveau dans nos lois, mon voit est acquis d'avance à toute proposition qui serait faite en faveur de ces intéressants fonctionnaires.

M. Tesch. - Le gouvernement a aujourd'hui le droit de fixer leurs traitements.

M. Coomans, rapporteur. - Reste à savoir jusqu'à quel point il jugerait convenable d'élever les charges des communes.

M. Tesch. - Nous pouvons y obliger les communes.

M. Coomans. - Oui, mais l'honorable membre sait que lorsque nous demandons une amélioration du sort des instituteurs communaux, qui s'ont aussi dans la gêne, on nous répond que la chose ne nous regarde point, que c'est une affaire communale (interruption)', eh bien, que l'honorable M. Tesch me vienne en aide, et je demanderai l'application aux instituteurs, du principe qu'il a invoqué en faveur des employés forestiers.

La section centrale s'est occupée également du clergé inférieur dont la situation est très gênée ; la majorité de la section centrale était de l'avis de ranger ceux des membres du clergé inférieur qui ne touchent pas un traitement de 1,200 francs au maximum (et ils sont en très grand nombre, d'après le témoignage des chefs diocésains), de les (page 1198) ranger, dis-je, sur la même ligne que les employés civils ; en d'autres termes, de leur allouer, à titre définitif, un supplément de 120 francs environ ; mais deux raisons l'ont engagée à ne pas insister sur ce point dans le projet de loi qui nous occupe.

D'abord, il lui a semblé qu'il était difficile, malgré les renseignements fournis déjà par les chefs diocésains, de discerner avec exactitude quels sont les membres du clergé inférieur qui auraient droit à l'augmentation que nous semblons disposés à voter en faveur des employés civils.

En effet, déclarer a priori, en principe, que tous les vicaires et tous les desservants recevront une augmentation équivalente à celle qui est promise aux employés civils, voilà ce que la section centrale n'a pas voulu faire, parce qu'il y a des desservants et des vicaires qui n'auraient pas droit à cette libéralité, à cause des ressources, relativement assez élevées, que leur procure le casuel, et, dans d'autres circonstances, la part contributive de la commune.

La section centrale désire donc que le gouvernement, fidèle à la promesse qu'il lui a faite à cet égard, recherche les bases à adopter pour la prochaine amélioration du sort des membres du bas clergé, et elle le charge de rédiger le prochain budget de la justice dans le sens des mesures qu'il aura cru devoir admettre.

Une seconde mesure a inspiré la motion d'ajournement d'un an que la section centrale a adoptée : c'est le silence généreux que le clergé a gardé cette année, ainsi que le désir généralement exprimé de ne pas trop augmenter les sacrifices que le gouvernement nous demande aujourd'hui. C'est, en troisième lieu, le vote de la section centrale relativement à la part que les employés militaires auraient pu réclamer dans l'application de la loi.

En somme, nous reconnaissons que la position de plus de 3,000 ecclésiastiques doit être améliorée ; qu'il y a une question de dignité, de justice et d'humanité, et que le gouvernement doit se résigner sans retard au sacrifice qui paraîtra nécessaire. La promesse formelle de l'honorable ministre de la justice a été accueillie avec une grande faveur par la section centrale.

M. le ministre des finances a présenté au début de ce débat une observation qui est juste :

« Les employés démissionnes ou décédés, a-t-il dit, ne participeront pas à la distribution du subside.» Il ne peut pas y avoir de difficulté à ce sujet. La section centrale l'a entendu ainsi que l'honorable ministre ; les mots qu'elle a insérés au paragraphe final de l'article 5 signifient seulement que la somme entière, adoptée par la Chambre, sera distribuée aux fonctionnaires, comme si elle avait été votée le 1er janvier dernier. Mais je forai à cet égard une remarque que M. le ministre des finances approuvera sans doute : il doit être entendu que les successeurs des fonctionnaires démissionnes ou décédés jouiraient du bénéfice de la loi dans une mesure à régler par arrêté royal. S'il n'en était pas ainsi, le subside serait trop élevé, attendu qu'il porte sur des chiffres fournis par le gouvernement lui-même.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Nous sommes d'accord.

M. Coomans. - Je crois pouvoir me borner à ces remarques.

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, je crois qu'il ne faut pas laisser passer sans un mot de réponse une observation que l'honorable M. Delfosse a faite tout à l’heure à la Chambre. Il vous a dit que le budget des non-valeurs et remboursements ne portait, pour l'exercice 1857, qu'une somme de 900,000 fr. pour le remboursement des péages sur l'Escaut ; que cependant, d'après un document fourni à la Chambre par moi, ce péage s'était élevé à 1,300,000 francs. Le chiffre est exact. L'honorable membre en a conclu qu'il y aurait de ce chef un déficit de 600,000 francs.

Or, c'est ce que je ne puis pas admettre ; il est vrai qu'il y a là une dépense en plus de 600,000 fr. ; mais cette dépense n'est pas sans compensation ; ce n'est pas une perte sèche.

Ainsi, si l'on a remboursé 600,000 de plus qu'on n'avait prévu au budget des non-valeurs et remboursements, d'un autre côté, les droits de tonnage, de pilotage, de douane, ainsi que les droits d'accise sur les boissons ont rapporté des sommes plus considérables au trésor public ; plus il arrive de bâtiments à Anvers, plus l'accise sur les boissons devient productive.

Il y a augmentation de la richesse publique à Anvers ; il y a eu accroissement général dans les produits indirects qui vient combler une partie de ce déficit de 600,000 francs. C'est aussi pourquoi, l'année dernière, nous avons eu, dans les produits indirects, une augmentation de 4 millions et quelques centaines de mille francs.

La Chambre ne doit donc pas s'effrayer de ce chiffre de 600,000 fr. dépensé, en plus du chef du péage de l'Escaut, parce que cette dépense a fait naître des ressources d'autre part.

M. Rogier. - Messieurs, quand un cabinet vient proposer des dépenses du genre de celles qui nous sont soumises, il est bien difficile à la Chambre de rejeter ses propositions. Il faut donc voter de pareils projets de loi, en laissant au gouvernement l'honneur et la responsabilité de l'initiative et en le chargeant aussi des conséquences financières qu'ils doivent entraîner.

Depuis quelques années, tout le monde a remarqué que les budgets prennent un accroissement successif. Autant on se montre sobre dans les moyens de fournir de nouvelles ressources au trésor, autant on se montre généreux, libéral, quand il s'agit d'introduire de nouvelles dépenses.

Mais, je le répète, les dépendes de la nature de celles qui nous sont proposées, il est bien difficile à la Chambre de les repousser ; je devrais donc aussi adopter le projet de loi.

Je ferai quelques réserves relativement à l'engagement de futures dépenses que le ministre a pris devant la section centrale. Il a annoncé au budget de 1858 un nouveau crédit tendant à augmenter le traitement des membres du clergé inférieur. Déjà ce traitement a été augmenté il y a un certain nombre d'années. Si l'on nous donne de bonnes raisons à l'appui d'une nouvelle augmentation du traitement du clergé inférieur, je voterai cette nouvelle augmentation.

Je porte intérêt aux membres du clergé, notamment aux membres du clergé inférieur, je les estime, je les respecte pour autant qu'ils ne se transforment pas, volontairement ou non, en agents politiques, pour autant que, volontairement ou non, ils n'attisent pas au sein de nos communes le feu des passions politiques ; cela dit, je réserve mon vote.

A côté des membres du clergé inférieur, il y a une autre catégorie de fonctionnaires non moins digne de notre intérêt et de notre sympathie ; je veux parler des instituteurs primaires ; ceux-là remplissent aussi une fonction sociale importante et ceux-là sont dans une position pire que les membres du clergé inférieur ; ils sont de plus dans une position spéciale ; la plupart sont mariés, et nous devons désirer qu'ils le soient ; les autres n'ont pas de famille à soutenir. A côté donc de l'augmentation du traitement des membres du clergé inférieur, je place l'augmentation du traitement des instituteurs primaires, ces deux questions sont, pour moi, indivisibles. Je ne consentirai à augmenter le traitement des uns, qu'autant que le traitement es autres serait également augmente.

Messieurs, à une époque où au lieu de proposer à tout propos, à toute occasion des augmentations de dépense, l'on réclamait de toutes parts des économies et où l'on en introduisait dans les budgets, le gouvernement avait trouvé le moyen de concilier les économies des budgets avec l'amélioration de la situation des fonctionnaires.

C'est une réforme que l'on doit à l'initiative d'un de mes honorables amis, réforme qui a eu lieu dans l'administration des finances, pour ne pas parler des autres départements. Il y a eu quelques froissements d'abord, mais quand la réforme a abouti, il s'est trouvé que les fonctionnaires avaient une situation meilleure et que le trésor faisait une économie d'un million.

Je regrette qu'on s'écarte d'un précédent aussi avantageux pour le trésor et en même temps aussi favorable aux employés de l'Etat. Je crois que dans l'administration financière, il y a encore des réformes à faire, des améliorations à introduire. Pour ne parler que d'une seule administration qui absorbe plusieurs millions ; la douane, je suppose un régime douanier plus libéralement conçu et plus libéralement exécuté, je suppose que le commerce soit affranchi de cette multitude de formalités qui, sans utilité pour le trésor, entravent ses opérations les plus importantes, je suppose qu'on fasse disparaître du tarif un grand nombre d'articles qui y figurent sans utilité pour le trésor et nécessitent des opérations très nombreuses, très minutieuses de la part des agents de la douane ; vous pourriez alors introduire une réduction du personnel douanier ; et je voudrais que toute réduction de personnel se combinât avec l'amélioration de la situation du personnel conservé. La suppression de l'emploi n'entraînerait jamais pour le titulaire la suppression de son traitement, il y aurait une transition.

Je recommande ce point à M. le ministre des finances dans l'intérêt général ; le commerce souffre d'entraves qui lui sont imposées, je le veux bien, pour sauvegarder les intérêts du trésor. Mais souvent le commerce pourrait être débarrassé de ces entraves sans qu'il en résultât de préjudice pour le fisc. Il ne faut pas supposer que les commerçants ne sont qu'une réunion de fraudeurs, toujours prêts à enlever au trésor les droits qui lui sont dus.

Le commerce fait en général de grandes opérations et ne s'occupe pas des misérables bénéfices qu'il pourrait faire sur les droits de douane.

Voilà une simplification qu'il serait désirable de voir introduire dans l'administration des finances.

Messieurs, lorsque avec raison nous témoignons notre intérêt aux employés inférieurs de l'Etat, serait-on malvenu à parler des employés supérieurs ? La même popularité ne s'attacherait certes pas à l'expression de cette opinion. Je crois pourtant, que notre réforme ne sera pas complète, efficace que quand nous aurons amélioré la position des fonctionnaires supérieurs de l'Etat.

Tout en veillant avec sympathie sur le sort des employés inférieurs, nous ne devons pas nous dissimuler la situation fâcheuse des employés supérieurs : à partir des ministres, ces fonctionnaires ne sont pas suffisamment rétribués.

Il faudrait, ce me semble, dans un pays démocratique comme le nôtre, dans un pays où, tout le monde est admissible à tous les emplois, que les emplois supérieurs offrissent une carrière assez séduisante, assez fructueuse pour y attirer les hommes les plus capables. Il ne faudrait pas que les emplois supérieurs devinssent en quelque sorte le pis-aller, la ressource des hommes qui ne trouvent pas à se faire une carrière brillante soit dans le barreau, soit dans le commerce.

(page 1199) N'avons-nous pas été souvent témoins de ce triste spectacle de voir les premières fonctions de l'Etat refusées ou abandonnées parce qu'elles n'offraient pas aux titulaires des moyens de soutenir leur existence honorablement ? N'avons-nous pas vu des avocats pressés de regagner leur cabinet, et abandonner les fonctions ministérielles parce qu'elles ne suffiraient pas à l'entretien de leur famille ?

Prenons-y garde pour l'avenir. Les plus hauts emplois de l'Etat doivent être occupés par les plus hautes capacités, et si vous voulez que les plus hautes capacités de l'Etat se consacrent au service public, il faut les rétribuer convenablement.

Il ne faudrait pas qu'un avocat, un avoué, un notaire se fît, comme il arrive, des revenus plus élevés que ceux d'un ministre.

Voilà bien nettement mon opinion, quant aux ministres.

J'en dirai autant des membres de l'ordre judiciaire. Dans un pays comme le nôtre, l'ordre judiciaire est appelé à jouer un rôle essentiel de conservation. Plus nous avons de liberté, plus nous devons trouver des garanties dans une bonne organisation judiciaire.

Eh bien, notre ordre judiciaire, nous devons en faire la triste observation, notre ordre judicaire n'est pas assez rétribué. Il pourra arriver que nous le voyions se recruter, non pas dans les rangs des hommes les plus capables du pays, mais parmi ceux qui ne croient pas trouver dans l'exercice de la profession d'avocat des ressources suffisantes pour vivre. Est-ce dans ces rangs-là que nous devons recruter notre magistrature ?

Parlerons-nous des agents des ministres, des fonctionnaires supérieurs des provinces, des diplomates ? Savez-vous où nous conduit notre système de traitements insuffisants ? Il conduit à écarter, dans l'avenir, de ces fonctions tous les hommes qui n'ont à mettre au service de l'Etat que leur capacité.

Nous sommes, dit-on, un pays d'égalité, de démocratie. Eh bien, on peut le prédire, si nous persistons dans ce système, à l'avenir les hautes fonctions de l'Etat soit dans l'ordre administratif et judiciaire, soit dans la diplomatie, deviendront le partage presque exclusif des membres qui jouissent déjà des faveurs de la fortune. Vous aurez beau avoir écrit dans votre Constitution que tous les Belges sont égaux, admissibles à tous les emplois, un grand nombre d'emplois seront nécessairement interdits à tous les Belges qui n'ont à offrir à leur pays que leurs capacités personnelles.

Ce n'est pas ainsi qu'un pays se disant démocratique doit s'organiser.

Je sais que ce que je dis ici excitera peut-être une certaine rumeur au dehors ; mais ce n'est qu'après avoir longuement et mûrement réfléchi que je me suis déterminé à présenter ces observations à la Chambre.

Je ne fais certes pas de proposition. J’appelle seulement l'attention de la Chambre sur la position qui est faite aux fonctionnaires publics en Belgique, non pas seulement dans les régions inférieures, mais dans les régions supérieures. Je crois qu'il faut que, dans l'avenir, la Belgique y avise.

Je suis convaincu, du reste, qu'on peut, sans grever le budget de sommes considérables, arriver à la réforme que je signale.

Pour l'augmentation des traitements des employés inférieurs il faut nécessairement des sommes considérables, parce qu'ils sont très nombreux. Pour les grades supérieurs, pour ce que j'appellerai les officiers de l'administration civile, il ne faudrait que des sommes beaucoup moins fortes.

Avec deux cent mille francs de plus portés au budget, je crois que nous donnerions aux fonctionnaires d'un rang élevé la position à laquelle ils ont droit, et que nous devons, dans l'intérêt du pays, leur assurer.

Il ne serait pas difficile, si l'on voulait entrer courageusement dans la voie des réformes, d'introduire des économies suffisantes pour couvrir ces augmentations de dépenses, que je considère, quant à moi, comme indispensables.

On a apporté à certains budgets des augmentations excessives. On a été d’un excès à l'autre.

Le budget de la guerre qui suffisait, en 1847, avec le chiffre de 27 millions, que ceux qui le trouvaient alors insuffisant avaient déclaré devoir suffire au chiffre de 28 ou 29 millions, le budget de la guerre se trouve aujourd'hui porté à 34 millions.

M. de Mérode-Westerloo. - 33 millions.

M. Rogier. - 34 avec les crédits supplémentaires.

Je n'hésite pas à dire que c'est la une dépense exagérée que jamais à aucune époque le pays n'a pu prévoir comme normale. Quand un budget qui a marché, pendant 20 ans, avec 27 millions entraîne quelques années plus tard une dépense de 34 millions, cette dépense est exagérée.

- Un membre. - C'est l'application de la loi organique.

M. Rogier. - Je ne suis pas du tout convaincu que les 34 millions soient l'application pure et simple de la loi organique. S'il en était autrement, il y aurait à examiner s'il ne faut pas la modifier.

Je ne suis pas suspect de peu de sympathie pour l'armée. J'ai toujours voté toutes les dépenses qu'on a demandées pour cette institution, je les voterais encore, mais je ne puis m'empêcher de dire qu'il y a là de l'exagération.

M. de Lexhy. - J'applaudis, messieurs, aux paroles si généreuses et empreintes d'un caractère si élevé que vient de prononcer l'honorable M. Rogier. Je m'associe aux sentiments de sympathie que cet honorable membre vient d'exprimer en faveur des employés inférieurs de l'Etat, et je serai heureux de leur en donner une preuve irrécusable en votant le projet de loi qui nous est soumis. Je n'ai qu'un regret, messieurs, c'est que l'augmentation qui est proposée ne soit pas plus considérable : car, il ne faut pas laisser périr dans la détresse ceux qui consacrent leur intelligence au service du pays. C'est, du reste, une exigence impérieuse des gouvernements démocratiques que de rétribuer convenablement ceux qui les servent.

La section centrale a cru devoir s'occuper également de l'amélioration du sort du bas clergé et le gouvernement a paru disposé à consentir à cette réforme.

Je désire exprimer brièvement ma pensée sur cette grave question, qui a, peut-être, été soulevée intempestivement et prématurément. Quanta moi, je ne m'oppose pas au vœu formulé par la section centrale. Je l'ai dit tantôt, il est juste, il est libéral, il est démocratique de tâcher d'améliorer le sort de tous ceux qui rendent des services à l'Etat, quelle que soit la nature de ces services, quel que soit l'ordre auquel ils appartiennent. Les ministres des différents cultes ont pour mission de veiller, autant qu'il est en leur pouvoir, au maintien et au développement de la morale publique. Le salaire, qu'ils reçoivent de ce chef, outre qu'il est constitutionnel, est complètement juste et fondé sur la raison.

Si ce salaire est réellement insuffisant, je crois que nous ne pouvons pas nous refuser à l'augmenter. Je professe pour les idées de justice un si grand respect, que s'il nous est démontré que le bas clergé catholique est rétribué d'une manière insuffisante, je prêterai volontiers les mains à l'amélioration de la position qui lui est faite.

D'ailleurs, messieurs, et pour me placer sur un terrain plus restreint, je crois que le clergé catholique n'a jamais rencontré d'ennemis dans le parti libéral, chaque fois qu’il a compris assez sa mission sacrée, pour se tenir en dehors des luttes politiques, qui n'ont aucune communauté avec la vraie religion. Le prêtre, dans l'église, à l'autel, nous l'aimons comme un instrument de moralisation et de civilisation ; mais le prêtre, dans l’arène politique, mêlé aux passions ardentes de la politique, nous le repoussons.

La religion et la politique doivent rester distinctes et profondément séparées.

Conformément aux idées que je viens d'exposer, je viens comme l'honorable M. Coomans, recommander au gouvernement d'apporter, dans l'examen de cette question, un grand discernement et beaucoup de prudence. L'honorable rapporteur a surtout insisté pour que l'on nous fournît des bases d'appréciation complètes, de manière à pouvoir juger en pleine connaissance de cause. Je partage entièrement sa manière de voir à cet égard. Je ne suis pas de l'avis de l'honorable membre, relativement au casuel du clergé catholique : on ne peut pas dire d'une manière absolue que le casuel est minime et ne s'élève jamais à une somme quelque peu importante. MM. les évêques, consultés sur cette question par M. le ministre de la justice, ont aussi déclaré, qu'en général, le casuel des piètres était très minime.

Selon moi, il faut distinguer. Le casuel des prêtres et très variable et très différent dans les diverses paroisses. En effet, ce casuel se compose de plusieurs éléments. Faisons ensemble le bilan d'un prêtre. D'abord son traitement, ensuite le casuel proprement dit, c'est-à-dire les émoluments résultant de l'administration de certains services religieux aux fidèles. Il se compose, en outre, parfois de certaines propriétés attachées à la cure. Il existe, en outre, dans presque toutes les paroisses, des services religieux de fondations qui sont la source de bénéfices parfois considérables.

Ces deux derniers éléments que je viens d'indiquer varient beaucoup. C'est ainsi qu’à côté d'un desservant vivant dans la médiocrité, vous trouvez un autre desservant vivant dans l'opulence et pourvu de gros et riches bénéfices. Je pourrais citer tel desservant qui se fait, bon an mal an, un traitement global de 3,000 à 4,000 francs.

M. Coomans. - Il n'est pas question de ceux-là.

M. de Lexhy. - Non, certainement. Je veux prouver par là, qu'il ne faut pas dire d'une manière absolue que le casuel du clergé est minime et que si l'on veut prendre ce casuel pour base d'appréciation dans le projet d'amélioration du sort du clergé inférieur, il faut absolument savoir à quoi s'en tenir sur la valeur de ce casuel. Il y a casuel et casuel. Il est évident que si la Chambre se montre disposée à améliorer le sort des prêtres qui sont réellement dans un état voisin de la détresse, elle ne consentira jamais à donner une obole à ceux qui sont richement dotés.

On devra donc prendre le casuel, comme base pour établir les catégories de prêtres auxquels on voudra accorder une augmentation. Mais comme on ne peut pas apprécier l'importance réelle de ce casuel, sans connaître les différents éléments dont il se compose, il faudra nécessairement recourir aux documents qui constatent régulièrement son import réel. Ces éléments, vous ne les trouverez que dans les comptes des fabriques d'églises. Les fabriques n éprouveront, sans doute, aucune répugnance à exhiber leurs livres, puisqu'ils devront servir de base d'appréciation de la situation des prêtres attachés à ces églises. Il nous faut donc un relevé général, un tableau exact, fidèle et complet (page 1200) de la situation de chaque fabrique, au point de vue de l'émolument du prêtre, pour pouvoir agir avec discernement. Il faut qu'on fasse le bilan de chaque prêtre ; que l'on connaisse la moyenne de son casuel proprement dit, et en outre que l'on connaisse exactement et mathématiquement l'import réel des autres bénéfices de toute nature attachés à la cure.

Je sais que ce sera un travail assez long, mais ce sera le seul moyen de procéder avec justice et de ne pas tomber dans le faux. Si M. le ministre de la justice nous présente un projet sur cette question, comme il l'a annoncé, je désire que ce travail soit établi sur les bases vraies que je viens d'indiquer.

Si le principe de l'augmentation du traitement du bas clergé, dont la position sera reconnue mauvaise, si ce principe tend à prévaloir dans la Chambre, remarquez, messieurs, que nous ouvrons la porte à un autre principe, celui de l'amélioration du sondes instituteurs primaires communaux. Quant à moi, je déclare, comme vient de le faire l'honorable M. Rogier, que vous ne pouvez pas augmenter le traitement du prêtre, sans augmenter celui de l'instituteur.

Dans ma pensée, ces deux idées sont unies d'une manière indissoluble. Si le prêtre est le ministre de l'âme, l'instituteur est le ministre de l'intelligence. L'un et l'autre exercent un véritable sacerdoce. L'un et l'autre sont des instruments de moralisation et de civilisation. La mission de l'instituteur a une importance sociale égale à celle du prêtre. Si ces deux agents sont égaux dans la sphère morale, ils doivent être égaux dans la sphère matérielle. Il ne faut pas qu'à côté du prêtre vivant dans l'aisance, l'instituteur végète dans la misère. Ne pas augmenter le traitement de l'instituteur, alors qu'on augmente celui du prêtre, serait consacrer une flagrante inégalité et commettre une grande injustice.

Je sais que l'on m'objectera que les instituteurs sont, avant tout, des agents émanant du pouvoir communal. Soit, mais quand les communes ne peuvent pas faire face aux besoins de l'enseignement, il est du devoir impérieux de l'Etat d'intervenir et de veiller à ce que l'instruction soit donnée, d'une manière digne d'une nation civilisée, à tous les citoyens belges.

J'engage vivement M. le ministre de l'intérieur à vouloir examiner cette grave question et à nous présenter un projet qui établisse d'une manière large et généreuse, la part contributive d'intervention de l'Etat dans les dépenses de l'enseignement primaire. Pour moi, il y a une telle connexité entre les deux questions que je viens de traiter, que je ne puis admettre que l'on nous présente un projet d'amélioration du sort du bas clergé, sans que l'on nous présente en même temps, un projet sérieux d'amélioration de la situation matérielle des instituteurs primaires communaux. J'ai dit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, je ne suivrai pas les honorables membres qui ont donné à cette discussion un caractère général relativement à l'appréciation de notre situation financière, dans les considérations qu'ils ont fait valoir pour prouver au gouvernement et à la Chambre la nécessité d'une extrême circonspection dans nos dépenses. Au fond, j'approuve les observations de ces honorables membres et ensemble, avec mes honorables collègues, nous sommes décidés à en tenir compte.

Je tiens seulement à vous présenter quelques observations qui sont devenues nécessaires par suite des considérations qu'ont fait valoir d'honorables préopinants.

L'honorable M. Rogier, entre autres, vous a dit, à propos de l'annonce d'une amélioration de position pour les membres du clergé inférieur, que, quant à lui, il désire qu'une mesure analogue soit posée à l'égard des instituteurs, qu'il faut mettre les membres du bas clergé sur la même ligne que les instituteurs.

Je partage complètement la manière de voir des honorables membres ; ce sont les prêtres et les instituteurs qui sont les vrais pionniers de la civilisation et je constate avec lui l'importance des services que ces deux catégories de fonctionnaires rendent à la société.

Lorsque dans la dernière commission centrale des inspecteurs provinciaux, quelques-uns de ces honorables fonctionnaires ont appelé mon attention sur la position précaire d'un grand nombre d'instituteurs, j'ai saisi la première occasion pour engager les gouverneurs de province à s'adresser à toutes les autorités communales pour faire cesser un état de choses que je n'hésite pas à qualifier de déplorable.

Ainsi, dans beaucoup de nos provinces, il m'a été prouvé que les instituteurs, pères de famille, n'ont pas, tout compris, 500 fr. pour vivre. Il y a là un état de choses qu'il importe de faire cesser. J'ai appelé l'attention spéciale des gouverneurs sur cette situation et l'augmentation de près de 100,000 fr. que la Chambre a votée au budget de l’intérieur, pour l'instruction primaire, sera en majeure partie employée à améliorer la position des instituteurs. Si j'avais su que cette question dût se présenter aujourd'hui, j'aurais produit un travail que j'ai fait faire et d'où il résulte que les instituteurs obtiendront au moyen de ce crédit, une amélioration moyenne de 50 à 80 fr. Il est bien entendu que le concours de la province et de la commune viendra en aide à celui du gouvernement.

Ainsi, messieurs, j'ai cherché à améliorer la position des instituteurs et au moyen de l'augmentation de crédit votée au budget de l'intérieur, il sera fait droit en partie aux observations faites par les honorables membres relativement aux instituteurs.

Messieurs, dans l'exposé des motifs, mon honorable collègue des finances dit que dans le nombre des participants au crédit qui nous occupe en ce moment, ne sont pas compris les employés des administrations provinciales, parce que pour ces derniers une augmentation de crédit a été spécialement votée au budget de l'intérieur.

Il y a, messieurs, une autre catégorie de fonctionnaires pour lesquels la Chambre a voté une augmentation de crédit au budget de l'intérieur, ce sont les agents inférieurs du personnel administration de nos universités. Je tiens à le dire parce que, si je suis bien informé, il aurait pu y avoir dans certains esprits des espérances que le fait viendrait bientôt détruire. Les fonctionnaires dont je viens de parler et pour lesquels la Chambre a voté une augmentation de 5,550 fr.ne participeront plus au bénéfice de la loi actuelle.

Il y a, messieurs, une catégorie de fonctionnaires qui a été oubliée, ce sont les fonctionnaires des conservatoires royaux de musique, de Bruxelles et de Liège. Par suite des réclamations adressées au gouvernement par ces fonctionnaires, je suis convenu avec mon honorable collègue des finances de proposer une légère augmentation pour les fonctionnaires de ces deux institutions, dont le traitement n'atteint pas 1,600 fr. et qui appartiennent à l'ordre administratif.

Nous avons cru ne pas devoir appliquer la mesure aux professeurs proprement dits, parce qu'ils ne sont pas dans la même position que les agents administratifs : les professeurs des conservatoires ne consacrent à leurs leçons que quelques heures par jour et se créent des ressources au dehors de ces établissements, par l'exercice de leur art. On peut même dire que pour les professeurs leurs fonctions au conservatoire ne sont qu'un accessoire. Il n'en est pas de même des agents administratifs qui consacrent tout leur temps au conservatoire ; ces agents sont au nombre de six ; il y en a trois à Liège et trois à Bruxelles ; nous demanderons de ce chef une augmentation de 720 francs.

M. Rogier. - Messieurs, il est divers établissements qui ont au budget eu quelque sorte un budget spécial ; il en est ainsi des bibliothèques, du musée d'histoire naturelle, du musée de l'industrie ; je demanderai si les employés inférieurs attachés à ces établissements profiteront aussi delà mesure.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ils sont compris dans les fonctionnaires du département de l'intérieur.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, j'ai vérifié l'évaluation qui a été faite pour l'exercice 1857 des dépenses à faire pour le remboursement du péage de l'Escaut ; j'ai constaté que la prévision a été établie selon les règles ordinaires, sur les payements faits pendant les années antérieures ; si les prévisions ont été dépassées c'est par suite des arrivages extraordinaires de grains qui ont eu lieu en 1857 ; du reste, je pense que l’honorable membre me rendra cette justice que dans les prévisions des recettes j'aime toujours mieux rester au-dessous que de dépasser la réalité.

M. Delfosse. - M. le ministre des affaires étrangères a reconnu la vérité de l'observation que j'avais présentée à la Chambre au sujet du remboursement du péage de l'Escaut, mais il a ajouté que l'augmentation de 600,000 francs ne constitue pas une perte pour le pays, qu'elle est compensée jusqu'à un certain point par l'accroissement du produit des droits de tonnage et de douanes et en outre par des avantages indirects.

Je ferai remarquer à l'honorable ministre des affaires étrangères que je n'ai pas soutenu qu'il y eût perte pour le pays dans l'augmentation de 600,000 francs, mais seulement que cette dépense en plus a eu pour effet de rompre l'équilibre apparent que M. le ministre des finances avait établi entre les dépenses et les recettes du budget. MM. les ministres doivent reconnaître que sur ce point j'ai eu raison.

Mon intention n'a pas, du reste, été d'accuser M. le ministre des finances de dissimulation, il a pu se tromper dans ses prévisions, j'ai invoqué un fait qui démontre qu'il s'est trompé, rien de plus.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Un crédit de un million cent cinquante-huit mille deux cent quatre-vingts francs (1,158,280 francs) est ouvert aux budgets des dépenses, de l'exercice 1857, pour augmenter les traitements des fonctionnaires et employés de l'Etat, inférieurs à 1,600 francs.

« Il ne pourra être disposé de ce crédit pour élever les traitements au-delà de 1,600 francs. »

M. le ministre des finances (M. Mercier). - D'après l'explication donnée par M. le ministre de l'intérieur, il y aura lieu d'augmenter le crédit de 720 francs. Dans l'article 2 cette somme devra être ajoutée au chiffre attribuée au ministère de l'intérieur, ce qui portera ce chiffre à 61,680 francs. Le crédit total serait de 1,590,000 francs.

M. Coomans, rapporteur. - Messieurs, il est dit dans le rapport de la section centrale que la durée de la loi a été réduite à deux ans, comme nous ne proposons qu'un chiffre pour une année, une explication devient nécessaire. D'après la section centrale, si le gouvernement ne parvient pas à rédiger les prochains budgets d'après les bases du projet de loi, il devra naturellement demander l'année (page 1201) prochaine la prorogation de cette loi-ci, et c'est dans ce sens que la section centrale entend la durée de deux ans.

Mais il y a lieu d'espérer, suivant la déclaration faite en section centrale, que les prochains budgets pourront déjà être rédigés dans le sens des chiffres que nous votons aujourd'hui. C'est ce qui est désirable, parce qu'il importe que la Chambre sache quelles sont les bases que le gouvernement, à qui nous allons donner une sorte de blanc-seing, aura adoptées pour la distribution générale du subside ; pour les crédits antérieurs, nous avons eu des rapports présentés par les divers départements ; les budgets nous tiendront lieu de ces rapports pour le crédit actuel.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le gouvernement a demandé successivement des crédits annuels pour venir au secours des employés de l'Etat qui n'ont qu'un très faible traitement. La section centrale qui a examiné le dernier projet a exprimé le vœu que des mesures définitives et permanentes fussent prises à leur égard. Ce vœu était aussi celui du gouvernement et a paru généralement partagé par la Chambre. La position digne d'intérêt d'un grand nombre d'employés de l'Etat était assez appréciée pour qu'on reconnût l'impérieuse nécessité de leur venir en aide par une augmentation définitive de traitement dans des limites modérées. C'est dans cette pensée que le gouvernement a conçu le projet de loi qui est soumis à vos délibérations.

Il ne pouvait être question de fixer par une loi les traitements de tous les employés subalternes de l'Etat ; en demandant un crédit, le gouvernement a fait connaître l'intention où il est de continuer à proposer la même allocation chaque année dans les budgets des différents départements. Les principes de la répartition sont posés dans l'exposé des motifs ; des dispositions réglementaires seront ultérieurement arrêtées, ainsi que je l'ai déjà annoncé à la Chambre ; assurément il ne peut entrer dans l'idée de personne de retirer aux employés, n'ayant qu'un faible traitement, l'augmentation qui leur aura été accordée. C'est donc un crédit permanent que nous introduisons dans nos budgets, sauf au gouvernement à chercher à réduire, dans les limites du possible, le personnel administratif, ainsi que les autres dépenses de l'Etat.

- Personne ne demandant plus la parole, l’article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Cette allocation est répartie ainsi qu'il suit :

« Budget des dotations. Sénat : fr. 840.

« Chambre des représentants : fr. 1,320.

« Traitement du personnel des bureaux de la Cour des comptes : fr. 1,920

« Budget du ministère de la justice : fr. 66,960.

« Budget du ministère des affaires étrangères : fr. 19,320.

« Budget du ministère de l'intérieur : fr. 60,960.

« Budget du ministère des travaux publics : fr. 307,200.

« Budget du ministère de la guerre : fr. 22,080.

« Budget du ministère des finances : fr. 667,680.

« Total : fr. 1,158,280. »

Par suite de l'amendement qui vient d'être présenté par M. le ministre des finances, le chiffre affecté au budget du ministère de l'intérieur doit être porté à 61,680 francs.

- L'article 2, ainsi modifié, est adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Un arrêté royal déterminera les articles des budgets ministériels auxquels les allocations qui les concernent respectivement seront rattachées.

« La distribution du crédit aura lieu par catégories de fonctionnaires, de telle sorte que ceux qui ont le même grade et le même traitement reçoivent une somme égale. »

- Adopté.


« Art. 4. La dépense sera couverte au moyen des ressources ordinaires du budget. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. L'article 5 de la loi du 17 février 1849, sur les pensions civiles et ecclésiastiques, est abrogé.

« La présent loi sera obligatoire le 1er janvier 1857. »

M. le ministre des finances propose de rédiger l'article 5 de la manière suivante :

« La présente loi recevra ses effets à partir du 1er janvier 1857.

« Toutefois elle ne sera pas applicable aux employés qui auront cessé d'exercer leurs fonctions au moment de sa publication. »

- L'article 5, ainsi modifié, est adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

60 membres ont répondu à l'appel nominal.

56 membres ont répondu oui.

4 membres (MM. de Renesse, Magherman, Vander Donckt et de Naeyer) se sont abstenus.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.

Ont adopté : MM. Anspach, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, Crombez, David, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Lexhy, Delfosse, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Grosfils, Jacques, Lambin, Lange, le Bailly de Tilleghem, Loos, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Snoy, Tack, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII et Wasseige.

Les membres qui se sont abstenus motivent leur abstention en ces termes.

M. de Renesse. - Je n'ai pu voter pour, parce que dans la situation financière du pays, avec un déficit des années antérieures de près de 22,000,000 de fr., je ne puis consentir à une augmentation permanente des charges publiques, ne voulant pas admettre par après un accroissement des contributions ; d'un autre côté, comme je reconnais qu'il y a une certaine convenance d'améliorer la position peu aisée des petits employés, je n'ai pas voulu donner un vote négatif espérant que, par une nouvelle et prompte réorganisation plus économique des différentes branches des administrations de l'Etat, l'on trouvera facilement les ressources nécessaires pour augmenter les traitements des petits employés ; j'ai donc cru devoir m'abstenir, en attendant cette nouvelle réorganisation économique.

M. Magherman. - J'ai une très grande sympathie pour les fonctionnaires inférieurs de l'Etat, leur situation est digne de toute notre sollicitude. Je n'aurais donc pas balancé de voter le projet de loi, si j'avais eu la conviction qu'on pourra faire face à la situation proposée au moyen de réformes et d'économies que le gouvernement introduira dans diverses administrations ; mais comme je n'ai pas cette conviction et que le sort des petits contribuables est tout aussi digne d'intérêt que celui des employés de l'Etat, je n'ai pas voulu améliorer la position des uns au détriment de celle des autres. Je me suis abstenu.

M. Vander Donckt. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Renesse.

M. de Naeyer, rapporteur. -Messieurs, quoique convaincu de la nécessité d'augmenter en général les traitements des fonctionnaires do l'Etat et surtout des fonctionnaires inférieurs, il m'a été impossible de donner mon adhésion au projet de loi, parce que je désapprouve complètement le moyen consistant dans une aggravation de charges publiques, qui nous est proposé dans ce but par le gouvernement. Je suis d'avis que la position des fonctionnaires doit être améliorée, et par une réduction du personnel, et par une réduction de l'intervention administrative dans le domaine de l’activité privée. Comme le gouvernement ne paraît guère disposé à adopter cette marche si conforme aux vœux et aux sentiments du pays, je me suis vu forcé de m'abstenir.

Projet de loi relatif à la réduction des péages sur le canal de Charleroi

Motion d'ordre

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je vois figurer comme un des premiers objets à l'ordre du jour la réduction des péages sur le canal de Charleroi. Je demanderai que ce projet soit retiré et qu'on ne s'occupe de sa remise à l'ordre du jour qu'après les vacances.

- Plusieurs voix. - On décidera cela demain.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.