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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 mars 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 981) M. Crombez, secrétaire, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes.

« Des employés des eaux et forêts du canton de Stavelot demandent une augmentation de traitement. »

« Même demande de gardes forestiers du cantonnement de Spa. »

- Renvoi à la section centrale chargée du projet de loi concernant un crédit pour augmenter les traitements des employés inférieurs de l'Etat.


« Le sieur Barrois, brigadier des douanes à Calcine, combattant de la révolution, demande la croix de Fer ou le bénéfice des dix années de service accordés par la loi du 17 mai 1856. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Lehon, ancien brigadier de douanes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson, ancien directeur de la boulangerie militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension. »

- Même renvoi.


« Des exploitants de charbonnages, des industriels, négociants et bateliers de l'arrondissement de Charleroi prient la Chambre d’allouer au budget des travaux publics les fonds nécessaires à l'exécution pour les travaux d'approfondissement de la Sambre. »

M. Wautelet. - Messieurs, la pétition dont l'analyse vient de vous être présentée se rapporte à un objet très important, non seulement au point de vue de l'industrie, du commerce et de la navigation, mais encore au point de vue du trésor.

Le gouvernement, en effet, est propriétaire de la Sambre canalisée, et la mesure que réclament les pétitionnaires a pour but d'assurer l'activité des transports sur cette rivière ; transports pour lesquels elle se trouve en concurrence avec le chemin de fer du Nord, sur la ligne de Charleroi à Paris.

Comme la discussion du budget des travaux publics est très prochaine et que l’objet de cette pétition se lie évidemment à cette discussion, je désire que la commission des pétitions veuille bien faire un prompt rapport sur cette affaire.

- Cette proposition est adoptée.


M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur la pétition du sieur Delstanche, tendante à obtenir la fourniture des plantes nécessaires à l'établissement de haies de clôture, le long du chemin de fer de Dendre-et-Waes.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 110 exemplaires du rapport général sur la situation de la bibliothèque royale de Belgique (années 1854-1855, 1855-1S56. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


M. de T Serclaes, empêché par la mort d'une de ses filles, informe la Chambre qu'il ne peut assister à la séance.

- Pris pour information.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée d'Anvers, le 24 février 1857, le sieur Mertens prie la Chambre d'autoriser le département des finances à procéder à la vente publique des alluvions à endiguer à Santvliet. »

Messieurs, il y a eu des difficultés, des procès même qui viennent d'être aplanis. Votre commission croit qu'il n'y a plus aujourd'hui d'obstacles à ce que la vente de ces alluvions ait lieu. Elle a, en conséquence, l'honneur de vous proposer l'envoi de cette requête à M. le ministre des finances.

M. Osy. - Messieurs, cette pétition a un grand intérêt pour le trésor, pour l'agriculture et pour les populations. Il y a deux ans déjà, on vous demandait l’endiguement de ces alluvions qui sont à l'extrémité du pays et limitrophes du Brabant septentrional. Il y avait alors un procès entre des personnes de Bruxelles qui en réclamaient la propriété. Nous avons appris depuis lorsque le gouvernement avait gagné son procès et avait été décrété propriétaire de ces alluvions.

Aujourd'hui que les propriétés ont une très grande valeur, puisque le gouvernement hollandais vient de vendre en Zélande 98 hectares d’alluvions pour une somme de 110,000 florins, y, crois qu'il est temps que le gouvernement s'occupe de la vente des alluvions de Santvliet.

Je ne sais si le gouvernement belge s'est mis- d'accord à cet égard avec le gouvernement hollandais qui est propriétaire d'une partie de ces alluvions situées dans le Brabant septentrional.

J'engage M. le ministre des finances qui doit avoir maintenant sous les yeux l'enquête faite par le ministère des travaux publies, à s'occuper de cette affaire. Le trésor recevrait une somme considérable ; les propriétaires riverains auraient du travail pendant toute l'année et vous livreriez des centaines d'hectares à la culture, ce qui n'est pas à dédaigner au prix actuel des céréales et des déficits annuels de la Belgique.

Je prie donc le gouvernement de prendre le plus tôt possible une décision. Car si l’on ne s'occupait pas de cette affaire dans le mois d'avril ou de mai, une campagne tout entière serait perdue pour l'endiguement de ces alluvions qu'on pourrait livrer à la culture ; elles font partie d'une commune assez pauvre.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Les pièces relatives à l'affaire dont l'honorable M. Osy entretient la Chambre viennent de parvenir au département des finances. Elles feront l'objet d'un très prompt examen. J'espère que d'ici à peu de temps la concession des schorres dont il s'agit pourra se faire conformément à la loi du 11 janvier 1811.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Lodelinsart, le 30 janvier 1857, des industriels, négociants et commerçants, à Lodelinsart demandent qu'il soit fait journellement deux distributions de lettres dans cette commune. »

Messieurs, cette commune paraît être le siège d'un grand nombre d'industries qui attachent une grande importance à recevoir les lettres le plus promptement possible.

Cependant votre commission n'a pu se rendre un compte exact des besoins, ni de la nécessité de doubler la distribution des lettres dans cette localité. Dans cette position, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Brixhe. - Messieurs, je dois appuyer explicitement les conclusions de la commission des pétitions.

En effet la commune de Lodelinsart où l'on sollicite une seconde distribution de lettres par jour, cette commune, dis-je, est le siège de charbonnages importants, de nombreux établissements de verreries et d'une foule d'autres industries qui donnent lieu à une correspondance multipliée non seulement avec l'intérieur, mais encore avec la France, l'Angleterre, l'Orient et les deux Amériques. Une exportation considérable a lieu vers ces pays, et un retard de douze ou vingt-quatre heures dans la réception d'une lettre, d'un avis, peut causer parfois beaucoup de préjudice aux expéditeurs.

Je comprends qu'il n'est peut-être pas aisé de procéder au remède désiré par voie de mesures isolées, alors que toutes les communes limitrophes à Charleroi réclament, à bien plus forte raison encore, des améliorations dans le service de la poste.

Or, bien que nous n'ayons pas les données nécessaires pour discuter en ce moment les ressources de l'administration, je ne puis me dispenser de recommander la pétition à la sollicitude de l'honorable ministre des travaux publics, qui je n'en doute pas, fera étudier cette affaire, en attendant que son budget arrive à notre ordre du jour.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. de Paul, rapporteur. - « Par pétition en date du 29 décembre 1856, le sieur Leblanc, juge de paix à Neufchâteau, représentant la succession bénéficiaire d'un sieur Machuraz, réclame l'intervention de la Chambre pour que la fabrique de l'église de Nives (Luxembourg) soit contrainte à exécuter une condamnation judiciaire prononcée contre elle. »

Voici, messieurs, le résumé très succinct des faits qui donnent lieu à cette réclamation :

Par jugement du tribunal de Neufchâteau, du 9 mars 1845, confirmé sur appel, la fabrique de l'église de Nives fut condamnée à payer une certaine somme à la succession du sieur Machuraz, son ancien trésorier, du chef d'avances par lui faites.

En 1847, le conseil communal de Nives, alléguant l'insuffisance des ressources de la fabrique, décida que le montant de cette condamnnation, capital et accessoires, serait mis à la charge exclusive de la caisse communale. La députation permanente du Luxembourg annula cette décision, se fondant sur ce que la dépense, avant de pouvoir être imposée à la commune, devait figurer au budget de la fabrique, et sur ce que, du reste, la dette dont il s'agissait n'était pas de nature à être supportée par la commune (article 37 et 92 du décret du 30 décembre 1809 et avis du conseil d'Etat, 7 octobre 1812, n° 453).

Postérieurement, le même collège constata que la fabrique possédait des fonds libres, suffisants pour solder la créance Machuraz. La fabrique ne refusa pas moins de la faire figurer au passif de son budget.

La succession Machuraz eut alors recours à l'évêque de Namur ; mais le prélat déclara vouloir rester étranger à l'affaire, sous le prétexte qu'il avait des doutes sur la légitimité de la créance, bien qu'elle fût reconnue par arrêt de justice.

(page 982) Dans cet état de choses, le représentant de la succession crut devoir s'adresser au gouvernement.

En 1854, M. Faider, alors ministre de la justice, chargea la députation permanente du Luxembourg, d'enjoindre à la fabrique de prendre des mesures suffisantes pour que la dette fût payée sans délai. La fabrique persista dans son refus.

L'année suivante, sur nouvelles instances du sieur Leblanc, M. le ministre de la justice actuel lui fit connaître que le gouvernement n'avait aucun moyen d'action pour obliger la fabrique à s'acquitter ; qu'il ne pouvait qu'inviter (ce qu'il fit avec empressement) l'évêque diocésain à faire usage de son autorité pour vaincre l'injuste résistance de la fabrique.

L'intervention officieuse de M. le ministre n'ayant amené aucun résultat, le sieur Leblanc a aujourd'hui recours à la Chambre.il la prie de convier le gouvernement à user du pouvoir qu'il doit posséder de contraindre la fabrique de Nives à exécuter enfin des condamnations légalement et irrévocablement prononcées contre elle, ou de créer ce pouvoir, par une disposition législative nouvelle, si tant est que les lois qui nous régissent soient insuffisantes à cet égard.

Cette pétition, messieurs, envisagée au double point de vue de l'équité et de notre droit public, mérite d'autant plus de fixer l'attention de la Chambre, que les questions de principe qu'elle soulève peuvent, en se généralisant, s'appliquer à toutes les administrations, à tous les établissements publics.

En droit, le créancier d'une fabrique d'église a-t-il, par lu- même, le moyen de la contraindre à payer une dette reconnue par jugement ?

Le gouvernement peut-il, par voie d'autorité, obliger une fabriquée semblable payement ?

En général, les moyens d'exécution que la loi donne contre les diverses administrations publique, sont-ils suffisants ?

Telles sont les questions que fait naître la requête du sieur Leblanc. Plusieurs fois déjà elles ont été agitées dans cette enceinte. Votre commission, tout en se reconnaissant incompétente pour les traiter avec les développements que comporte leur solution, croit cependant pouvoir se prononcer pour la négative.

Voici, messieurs, en quelques mots les motifs sur lesquels elle fonde son opinion :

Quant à la première question :

L'indépendance respective des grands pouvoirs de l'Etat, l'intérêt général qui ne peut fléchir devant un intérêt privé, les principes de droit public professés par la doctrine et la jurisprudence et consacrés par diverses dispositions législatives, notamment par les décrets des 12 août 1807 et 24 juin 1808, refusent tout mode rigoureux d'exécution aux créanciers d'une administration publique quelconque et spécialement d'une fabrique d'église. (Voir Merlin, v° Fabrique d'église. - De Cormenin. Questions de droits prolégomènes, page 103. - Carré, n°550 et 551. - Affre, page 429. -Bioche et Goujet, Dictionnaire, v° Fabrique, n°13. - Tielemans, v° Domaine, page 354.)

Quant à la deuxième question :

Le gouvernement n'a pas d'autres pouvoirs que ceux que lui assignent la Constitution et les lois en vigueur (article 78 de la Constitution). Or, le décret de 1809, organique des fabriques d'églises, détermine avec soin les cas d'intervention de l'autorité laïque dans la gestion du temporel du culte et réserve formellement à l'évêque diocésain le droit d'approuver, de rejeter ou de modifier les budgets des fabriques ; le gouvernement ne peut donc intervenir dans la formation de ces budgets ; il ne peut, par suite, y faire d'office figurer une dépense qui n'y est pas portée, et se trouve ainsi dans l'impossibilité de venir en aide aux créanciers.

Les décrets des 24 juin 1808 et 5 décembre 1817, qui, en France, reconnaissent au préfet le droit de porter d'office aux budgets des fabriques leurs dettes obligatoires, ne paraissent pas pouvoir être invoqués en Belgique.

Le premier est antérieur au décret de 1809 qui, étant une loi générale, abroge toute disposition qui lui est contraire.

Le second décret est postérieur à la formation du royaume des Pays-Bas, il ne peut donc avoir aucune force en Belgique. Ces décrets, du reste, rendus en conseil d'Etat, ne statuent que sur des faits spéciaux ; et ce n'est que dans leurs considérants qu'ils parlent de l'intervention de l'autorité supérieure laïque dans la formation des budgets des fabriques.

Quant à la troisième question :

L'impossibilité dans laquelle se trouve le pétitionnaire de se faire payer par la fabrique de Nives, bien qu'il soit constaté administrativement qu'elle possède des fonds libres suffisants, prouve que sur ce point le décret de 1809 présente une lacune qu'il importe de combler. A l'égard des autres établissements publics, et notamment des communes, ou a depuis longtemps signalé l'insuffisance des garanties données aux créanciers en ce que, principalement, le gouvernement n'a pas le pouvoir de contraindre ces établissements à se créer des ressources nouvelles. Mais si en cela il existe une lacune dans notre législation, il faut reconnaître qu'elle ne peut être réparée qu'avec une grande prudence.

Votre commission, messieurs, croit devoir se bornera ces simples observations.

Quoique convaincu par l'inspection du dossier que le gouvernement a fait tout ce qu'il pouvait faire en faveur du pétitionnaire, elle a été cependant d'avis unanime de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

M. de Moor. - Messieurs, cette pétition offre un. caractère de gravité réelle.

Il nous a été impossible de suivre tous les développements dans lesquels vient d'entrer l'honorable rapporteur. Je prie donc la Chambre de ne pas prendre aujourd'hui de décision sur les conclusions du rapport et de vouloir ordonner que la discussion sera remise à huitaine, et que d'ici là le dossier sera déposé sur le bureau.

Je prie mes honorables collègues de bien vouloir, dans l'examen qu'ils feront, j'espère, du dossier, prêter une grande attention à une lettre de M. le ministre de la justice, prédécesseur de l'honorable M. Nothomb, et à la consultation qui se trouve également au dossier, et qui émane d'un homme distingué qui a siégé trop peu de temps dans cette enceinte, de l'éminent jurisconsulte M. Dolez.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de suivre dans cette affaire la marche que je vais indiquer. Je ferai un rapport écrit ; je conclurai et les conclusions de ce rapport seront discutées.

Je ne puis toutefois pas m'engager à soumettre ce travail dans huit jours. Mais dès maintenant je puis affirmer qui j'ai épuisé tous les moyens en mon pouvoir, et j'en ai fourni la preuve à l'honorable rapporteur, pour amener cette affaire à une solution amiable. Je suis resté convaincu que les moyens coercitifs font défaut. Au reste, je ne demande pas mieux que de discuter la question, et de saisir cette occasion de justifier les actes du gouvernement ; la discussion pourra, je l'espère, s'établir dans une quinzaine de jours.

M. de Paul, rapporteur. - Pour satisfaire au désir de M. le ministre et de mon honorable ami M. de Moor, il suffirait de modifier les conclusions du rapport et d'ordonner le renvoi à M. le ministre de la justice avec demande d'explication.

M. de Moor. - Je me rallie à la proposition faite par M. le ministre de la justice ; mais je tiens à ce que le dossier soit déposé sur le bureau pendant les huit ou quinze jours qu'il faudra à M. le ministre pour nous donner des explications sur cette pétition.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le dépôt du dossier accompagnera le dépôt du rapport.

M. de Moor. - La Chambre pourra fixer, lors du dépôt des explications de M. le ministre, un jour spécial pour la discussion.

Il me semble impossible, messieurs, d'admettre la proposition de l'honorable ministre, car les membres de la Chambre ne pourraient pas prendre connaissance du dossier.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, pour faire mon rapport, il me faut le dossier. On déposera le rapport et le dossier en même temps, et la Chambre fixera le jour de la discussion de manière que chacun puisse examiner l'un et l'autre.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, avec demande d'explications, est mis aux voix et adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1857

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Instruction publique. Enseignement primaire

Discussion générale

La Chambre aborde le chapitre de l'instruction primaire, auquel se rattache le rapport de la commission des pétitions sur la réclamation de quelques membres du conseil communal de Cappellen.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je viens, messieurs, donner quelques explications relativement à la question soulevée par la pétition que des membres du conseil communal de Cappellen ont adressée à la Chambre, pétition sur laquelle l'honorable M. de Paul a fait rapport dans une précédente séance.

Messieurs, j'ai à présenter la défense de l'acte posé par le gouvernement, et, par cela même, à combattre les conclusions de ce rapport.

L'honorable rapporteur de la commission des pétitions et le gouvernement partent de points de vue opposés.

L'honorable rapporteur part de cette idée, que l'organisation de l'enseignement primaire est un objet d'intérêt essentiellement communal ; le gouvernement, au contraire, sans méconnaître ce qu'il peut y avoir d'important au point de vue de la commune dans cette organisation, part de ce principe que la bonne organisation de l'enseignement primaire est un intérêt social, que le gouvernement est surtout chargé de sauvegarder, en vertu même de l'article 67 de la Constitution.

Messieurs, c'est là l'esprit de la loi organique de l'enseignement primaire de 1842. Cette loi a eu pour but d'enlever au pouvoir communal l'omnipotence qu'il possédait auparavant, en matière d'enseignement primaire, et de substituer en partie à l'action communale l'action de la députation permanente et du gouvernement.

Tel est l'esprit fondamental de la loi de 1842.

Dans le premier rapport triennal qui a été publié sur l'exécution de. la loi organique de 1842, il y a un paragraphe tout spécial, qui est consacré à démontrer quelles sont les restrictions apportées par la loi de 1842 au pouvoir communal en matière d'enseignement primaire. C'est le paragraphe 222, intitulé : « Attributions exercées par les autorités locales avant la loi de 1842, mises en parallèle avec celles que ces autorités exercent aujourd'hui ».

(page 985) Messieurs, ces différences sont nombreuses ; en voici quelques-unes.

La loi de 1842 a d'abord fait une obligation à toutes les communes d'établir au moins une école communale ; premier principe qui n'existait pas auparavant.

La loi a fait une obligation aux communes de donner gratuitement l'instruction primaire à tous les enfants pauvres dont les parents en font la demande.

Les communes avaient seulement la surveillance de l'enseignement primaire en vertu de la loi communale de 1836 ; la loi du 23 septembre 1842 a subordonné cette surveillance communale à un système d'inspection cantonale et à l'inspection provinciale.

En ce qui concerne l’enseignement même, les communes étaient parfaitement libres de le faire donner dans leurs écoles, tel qu'ils l'entendaient. Le gouvernement a imposé un programme, des livres, et jusqu'à des méthodes.

Pour la nomination, la suspension et la révocation des instituteurs, le pouvoir communal était à peu près maître absolu avant la loi de 1842 ; depuis cette loi, les instituteurs ne peuvent être nommés que parmi les aspirants diplômés, sauf une seule exception consacrée par l'article 10, disposant que les communes peuvent nommer des instituteurs non diplômés, avec l'agréation du gouvernement. La suspension doit être approuvée par le gouvernement ; quant à la révocation, c'est le gouvernement seul qui peut la prononcer.

Le gouvernement a imposé un règlement scolaire qu'on est tenu de suivre.

En ce qui concerne les dépenses, elles étaient facultatives ; aujourd'hui ces dépenses sont déterminées d'une manière positive, et le pouvoir communal ne peut se soustraire à l'obligation de fournir ces ressources.

Avant 1842, la fixation du traitement des instituteurs était encore entièrement abandonnée au pouvoir communal ; les communes sont tenues aujourd'hui de donner aux instituteurs un traitement minimum de 200 fr. et une indemnité de logement.

Autrefois il n'y avait aucune espèce de règle pour l'emploi des fonds consacrés à l'enseignement primaire ; aujourd'hui cet emploi est parfaitement réglé.

Ainsi, messieurs, pour l'organisation de l'enseignement primaire, au principe de liberté qui existait avant la loi de 1842, est venu se substituer un principe d'organisation par le pouvoir central. L'action de la commune disparaît presque complètement ; c'est le pouvoir central qui fait tout.

Pour l'administration journalière, c'est le même principe ; presque tous les articles de la loi consacrent, soit pour la députation permanente, soit pour le gouvernement, des attributions spéciales, en ce qui concerne l'administration ordinaire des écoles.

Quant aux ressources, le gouvernement comprenant qu'il s'agit d'un intérêt social, fournit des subsides considérables, qui s'élèvent aujourd'hui à près d'un million par an, rien que pour le service ordinaire, sans compter les dépenses extraordinaires pour construction de maisons d'école, etc.

Ainsi, qu'on se pénètre bien de cette pensée : c'est que la loi de 1842 a eu pour but et a eu pour effet de restreindre singulièrement l'action de la commune et de montrer, par l'organisation de l'enseignement primaire par l'Etat, que le législateur a considéré cette organisation comme un intérêt essentiellement général et social.

Dès lors, il a fallu accorder au pouvoir central une action qui, dans certains cas, a dû dominer l'action de la commune. Je dis dans certains cas ; car il est évident que personne ne voudrait faire une règle de ce qui doit rester essentiellement une exception. Aussi, les cas de la nature de celui que nous discutons aujourd'hui sont-ils et doivent-ils rester extrêmement rares.

Je partage entièrement l'avis qu'il faut respecter les franchises communales, que le pouvoir central doit marcher d'accord avec le pouvoir communal, que le gouvernement doit procéder par voie de conseil aussi longtemps que cela peut conduire au but social qu'on s'est proposé. Mais, dans certains cas, s'il est prouvé que la commune ne comprend pas cet intérêt social, le pouvoir central peut procéder d'office pour obtenir que les obligations de la commune, en ce qui concerne l’enseignement primaire, soient remplies convenablement.

Certainement, si l'on va supposer l'arbitraire dans le pouvoir, si l'on suppose que le gouvernement va créer à sa volonté autant d'écoles qu'il lui plaît et les organiser comme bon lui semble, sans consulter le conseil communal, je comprends les conclusions de l'honorable rapporteur. Mais ce n'est pas là le fait.

Il ne s'agit pas de permettre au gouvernement d'organiser l'arbitraire ; il s'agit de savoir s'il est entré dans la pensée du législateur de 1842, pour atteindre le grand but qu'il se proposait, de donner une action efficace au pouvoir central.

Voilà pour le principe général qui a présidé à la rédaction de la loi et qui doit aussi présider à son exécution.

La première question que nous ayons maintenant à examiner, c'est celle de savoir si le gouvernement peut imposer d'office plus d'une école dans une commune.

Le gouvernement possède évidemment ce droit. L'article premier dit qu'il y aura dans chaque commune au moins une école établie dans un local convenable.

L'article 5 dit que la commune est tenue de procurer l'instruction gratuite à tous les enfants pauvres dont les parents en font la demande.

Aux termes mêmes de cet article premier, l'expression « au moins » ne fait-elle pas comprendre parfaitement que ce minimum fixé pour l'ensemble des petites localités doit être mis en rapport avec la population de la commune où il s'agit d'organiser l'instruction ?

Pourrait-on soutenir qu'à Bruxelles, par exemple, le pouvoir communal remplirait ses obligations s'il ne fondait qu'une seule école communale ? Quelqu'un peut-il soutenir cette thèse ? Les termes de la loi indiquent un minimum, mais ce minimum doit être mis en rapport avec la population. Quelles ont été les instructions données à cet égard lors de la mise en vigueur ? On a dit : Pour que l'enseignement puisse se donner d'une manière convenable, un instituteur ne peut pas être chargé de l'instruction de plus de cent enfants. C'est la règle qui a été adoptée.

Or quel est le cas pour Cappellen ? Il y a 250 enfants à peu près, en âge d'école ; depuis longtemps, et toute la correspondance administrative en fait foi, l'inspecteur cantonal, l'inspecteur provincial laïque, et l'inspecteur diocésain avaient insisté sur la nécessité de ne pas conserver l'état des choses tel qu'il existait à Cappellen.

L'école était beaucoup trop petite. Au point de vue pédagogique comme au point de vue hygiénique, la situation des choses n'était pas tolérable. Vous savez que c'est pendant l'hiver que l'école est principalement fréquentée. Or, un grand nombre d'enfants ne pouvaient trouver place dans l'école, et devaient se tenir sous le porche de l'église. Aussi a-t-on compris la nécessité d'une seconde école, et l'on a saisi l'occasion du déplacement du sous-maître pour proposer la création de cette seconde école.

La députation permanente a porté au budget de la commune les ressources nécessaires pour la fondation d'une seconde école. Elle offrait de son côté de faire un sacrifice considérable aux frais de la province. Pour la commune, il ne devait en résulter q'un surcroît de dépense vraiment insignifiant.

La commune a commencé par accepter les offres de la députation permanente. Aucune observation n'a été faite. Seulement quad la députation permanente a demandé la création d'une deuxième école, le pouvoir communal s'y est opposé.

Le gouvernement, consulté par le gouverneur, a cru devoir ratifier la conduite de ce haut fonctionnaire. Celui-ci, nonobstant la décision prise par le pouvoir communal, a imposé d'office la création d'une seconde école.

La deuxième question qui se présente maintenant est celle de savoir si, en établissant cette deuxième école, le gouvernement avait le droit de dire : Cette deuxième école sera consacrée à l'instruction des filles.

Le gouvernement a-t-il le droit d'ordonner la séparation des sexes ?

Ici encore, le gouvernement s'est cru autorisé à prendre une mesure d'office. D'ordinaire, la séparation des sexes doit se faire par voie de conseil ; et toutes les circulaires émanées du département de l'intérieur, à toutes les époques, parlent de la nécessité de la séparation des sexes en général par voie de conseil.

Mais lorsque la commune s'y refuse sans motifs sérieux, le gouvernement n'a-t-il pas le droit de saisir l'occasion de la création d'une deuxième école, pour dire : Puisque l'on fonde une deuxième école, il y aura une école pour les garçons, une école pour les filles. Ainsi se trouvera rempli le vœu émis par toutes les autorités, à toutes les époques, par le pouvoir civil comme par l'autorité religieuse.

A l'époque de la mise en vigueur de la loi de 1842 et depuis, tout le monde a considéré comme un bien la séparation des sexes. Ce but a été poursuivi par des mesures administratives émanées de toutes les autorités.

Le gouvernement s'est cru autorisé à agir comme il l'a fait, parce que, à ses yeux, il y a, ici encore, un intérêt social engagé. S’il ne s'agissait que d'une affaire d'aménagement ou d'organisation intérieure, j'admettrais volontiers l'omnipotence des communes.

Mais la séparation des sexes doit être considérée comme un intérêt social, comme un intérêt de haute moralité et d'ordre public auquel se rattache le bien-être des familles et de la société.

C’est fort de cette pensée, qu'il représente ici un intérêt social, que le gouvernement a cru pouvoir imposer d'office la séparation des sexes et qu'il a forcé la commune à consacrer sa seconde école à l'instruction des filles.

Les faits prouvent que cette disposition prise par le gouvernement est parfaitement accueillie par la commune. La deuxième école créée est en pleine voie de prospérité, et l'autre école, celle pour les garçons qui est sous la direction d'un instituteur capable, continue de marcher parfaitement bien.

Ainsi, en fait, je crois pouvoir le dire, la décision du gouvernement a été heureuse.

En droit, je crois que le gouvernement a respecté la loi, en ordonnant d'office la création d'une deuxième école, et que la séparation des sexes devait en être la conséquence.

J'attendrai une discussion ultérieure pour justifier davantage la conduite du gouvernement, s'il est nécessaire.

M. le président. - Pour éviter toute confusion dans la discussion, on pourrait s'occuper d'abord de la pétition du conseil communal de Cappellen. (Adhésion générale.)

(page 984) M. Vandenpeereboom. - Les questions qui sont soulevées par les conseillers communaux de Cappellen et par les habitants de la commune d'Hoogstraeten sont, on ne peut se le dissimuler, de la plus haute importance, d'une gravité extrême ; elles touchent à la plus précieuse, à la plus vitale de nos libertés, à la liberté communale ; des questions de cette nature doivent être discutées avec calme, en dehors de toute préoccupation d'esprit de parti et de personnes. Je tâcherai donc de la traiter avec toute la modération, avec tout le calme possible.

Les faits signalés par les pétitionnaires revêtent un caractère de gravité plus grand encore, quand on considère que l'interprétation, donnée à l'article premier de la loi de 1842 autoriserait le gouvernement et l'autorité provinciale à appliquer en règle générale un système que je considère comme une violation de la loi ; je ne discute ni le fait ni l'utilité des mesures prises, mais le droit du gouvernement, j'examine la question de savoir si l'autorité administrative a le droit, sans le consentement du conseil communal et malgré lui, de créer une école dans une commune où il en existe déjà une.

Le gouvernement nous a fourni des explications, et, je le regrette, elles ne sont pas de nature à me satisfaire. La loi n'a pas été sainement interprétée par lui : c'est au contraire le rapporteur de la commission des pétitions, l'honorable M. de Paul qui, dans un travail très remarquable, a interprété la loi comme elle doit l'être si l'on veut ne pas froisser les prérogatives et les libertés communales.

Je n'accuse pas l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir porter atteinte à ces prérogatives. Je sais que plus que personne il est le défenseur des immunités communales et que, sous ce rapport, comme sous beaucoup d'autres, il a conservé ses convictions.

Mais, je crois qu'il y a ici erreur, erreur de bonne foi, et pas autre chose.

La question de droit en elle-même est expliquée, comme je l'ai dit j tout à l'heure, avec tant de clarté dans le rapport de l'honorable M. de Paul, qu'il me serait bien difficile d'y ajouter quelque chose. Je ne pourrais que répéter ce qui y est dit ; les arguments que M. le ministre de l'intérieur a fait valoir ne sont nullement de nature à modifier, cette manière de voir.

Je ne reproduirai donc pas les arguments en faveur de cette opinion. Je répondrai seulement quelques mois à M. le ministre de l'intérieur.

L'honorable ministre conteste à l’enseignement primaire le caractère essentiellement communal. Cependant, ce caractère résulte clairement de la loi. Si le gouvernement a des attributions, c'est par exception à la règle générale. Aussi la loi détermine-t-elle avec soin toutes les attributions du gouvernement, taudis qu'elle laisse l'administration générale et la direction aux communes pour tout ce qui n'est pas excepté formellement par la loi.

Je ne conteste pas que les questions d'enseignement primaire ne soient des questions d'intérêt social. Je le reconnais et je suis heureux d'entendre M. le ministre de l'intérieur le reconnaître lui-même. Mais il est des questions d'intérêt social dont la direction, si je puis parler ainsi, est laissée aux communes. L'Etat n'a pas le monopole de cette direction.

Dans un pays comme le nôtre, où la centralisation n'est pas très grande, la commune a certaines attributions ; elle aussi peut veiller à l'intérêt social ; elle peut poser, dans le cercle de ses attributions, des actes qui, groupés et réunis, constituent l'intérêt général.

Le gouvernement peut certainement, en matière d'enseignement primaire, poser certains actes ; mais il ne peut poser que ceux qui lui sont spécialement attribués par la loi. Or, l'article premier ni aucun autre aride de la loi n'attribuent au gouvernement le droit de créer une école dans une localité où il en existe une déjà.

Je dois donc persister à croire que dans cette circonstance la loi n'a pas été sainement interprétée. S'il en était autrement, qui serait juge de l'opportunité de créer ou de ne pas créer une seconde, une troisième, une quatrième école ? Le gouvernement ? Mais le gouvernement n'a pas pour attributions de régler les intérêts communaux. C'est le conseil communal qui, aux termes de la loi, règle tout ce qui est d’intérêt communal. Le conseil est, après tout, le meilleur juge des questions locales et d'opportunité, et, il se trompe, il a derrière lui, comme la fait remarquer l'honorable M. de Paul, le corps électoral qui ferait promptement justice d'une mauvaise administration.

Pour prouver que l'école de filles fondée à Cappellen est bonne, qu'elle est sympathique aux habitants, l'honorable ministre nous a dit qu'elle est fréquentée par un grand nombre d'enfants. Cette preuve n'en est pas une. L'administration communale de Cappellen a défendu à l’instituteur communal de recevoir des filles. Il n'existe qu'une seule école pour les filles à Cappellen, il est parfaitement juste que tous les enfants du sexe féminin aillent à cette école, et qu'elle soit fréquentée. Il ne pourrait en être autrement. Cette fréquentation ne prouve en aucun point les sympathies des habitants. Il faut que les enfants de la commune fréquentent cette école ou qu'ils n'en fréquentent pas du tout.

Cette question ainsi résolue présente des dangers non seulement en elle-même, elle entraîne encore l'autorité à poser une série d'actes sinon illégaux, du moins qui frisent de bien près l'illégalité.

Voici en fait ce qui s'est passé à Cappellen :

Dans cette commune existait une école communale. Elle était dirigée par un instituteur capable et dont la moralité est à l'abri de tout reproche. S'il faut en croire les pièces que nous avons sous les yeux, l'école était en progrès. Les élèves avaient, en différentes circonstances, dans les concours d'enseignement primaire, remporté des récompenses et des distinctions.

Une place de sous-instituteur vint à vaquer. Le conseil communal s'assemble, on discute la question de savoir s'il faut remplacer cet instituteur ou s'il convient de fonder une école de filles.

Après discussion, le conseil décide que le sous-instituteur sera remplacé et charge le collège des bourgmestre et échevins de faire par la voie des journaux cet appel aux candidats qui désirent remplir la place. Cette publication n'est pas faite. Voilà une première violation de la loi, car le collège doit mettre à exécution les décisions du conseil communal. L'article 90 de la loi communale est formel à cet égard. Le collège des bourgmestre et échevins doit exécuter et publier les décisions du conseil.

Non seulement cet appel n'est pas publié par la voie des journaux, mais après de nouvelles instances et de nouvelles délibérations, il est créé d'office à Cappellen une école de filles. Le conseil communal proteste. Malgré cette protestation, il est nommé d'office une institutrice. Le conseil proteste, de nouveau. L'institutrice, nommée en vertu de l'article 12 de la loi, arrive. Mais quand l'école est fondée et que l'institutrice est nommée, il faut un local. Le conseil communal se refuse à faire pareille construction. Que fait-on ? On loue, au nom de la commune, sans son consentement, une maison.

Mais il faut passer le bail. Le conseil communal refuse au collège l'autorisation nécessaire. On passe le bail sans l'autorisation du conseil communal et en son nom.

Quand le bail est passé, il faut en payer le prix. Nouvelle difficulté. Le conseil proteste toujours ; et l'autorité voulant aller en avant, voulant que force reste non pas à la loi, maïs à l'autorité, on porte d'office au budget le prix du bail de la maison, puis on fait enlever à l'école communale une partie du mobilier qui y existe et on le porte à l'école de l'institutrice.

Ce n'est pas tout. Car de difficulté en difficulté on va très-loin, et en matière d'illégalité comme en toute autre chose,

Une chute souvent entraîne une autre chute.

Il faut donc aller jusqu'au bout. Les allocations sont portées d'office au budget ; mais il faut payer. Qui mandate ? Le collège des bourgmestre et échevins. Or, le collège refuse ; et la députation, après avoir fait de nouveaux et infructueux efforts, est obligée de mandater d'office et de faire payer sous la responsabilité personnelle du trésorier communal.

Il est évident que c'est là, comme je le disais tout à l'heure, une série d'actes illégaux et arbitraires.

En somme, le bourgmestre n'a pas fait imprimer la décision du conseil faisant appel aux candidats, comme c'était son devoir, aux termes de l'article 90 de la loi communale. La nomination de l'institutrice s'est faite d'office. Je sais que l'article 12 de la loi de 1842 permet au gouvernement de nommer d'office des instituteurs. Cette mesure est très sage. La loi n'a pas voulu que les écoles fussent pendant plus de quarante jours privées d'instituteurs. Mais à qui doit-on appliquer cet article ? Aux communes de bonne volonté ? Non, aux communes récalcitrantes ou négligentes.

Or, dans la situation où se trouve Cappellen, on ne pouvait lui appliquer de bonne foi cet article, car la commune a demandé à nommer un sous-instituteur ; elle a demandé à faire un appel aux candidats, on a négligé d'exécuter cette décision, et au bout de 40 jours on en venu lui dire : Vous êtes dans votre tort ; vous n'avez pas nommé dans le délai voulu. Il me semble que par ce système on pourrait confisquer au profit du gouvernement la nomination des instituteurs communaux.

Le bail du local a été signé par le bourgmestre seul au lieu d'être signé par le collège tout entier, comme l'exige la loi.

Ce bail a été fait malgré le conseil communal ; n'est-ce pas là une violation flagrante de l'article 75 de la loi, qui porte que le conseil règle tout ce qui est d'intérêt communal ?

Messieurs, en portant d'office au budget les crédits dont il s'agit, l'autorité a encore perdu de vue l'article 133 de la loi qui exige qu'avant d'annuler une délibération d'un conseil communal ou déporter d'office au budget une allocation quelconque, on entende le conseil. Or, si mes renseignements sont exacts, le conseil communal n'a pas été entendu.

M. le ministre l'a d'ailleurs reconnu dans ses explications.

On répond, il est vrai, que le conseil communal pouvait exercer son recours légal. Cette réponse, messieurs, n'en est pas une ; il ne suffit pas pour se justifier après avoir violé la loi de dire : Réclamez. Du reste, il paraît qu'il eût été difficile au conseil communal de réclamer, car on assure que les conseillers mêmes n'ont pas toujours accès aux archives de la commune ; il est dit dans une pétition que l'armoire où se trouvent ces archives est fermée à clef et que la clef ne se trouve pas à volonté.

C'est encore là une violation de la loi, car aucune pièce ne peut être soustraite à la connaissance des membres du conseil communal.

Ainsi, messieurs, lorsqu'on part d'une fausse interprétation, on s'expose à tomber dans une suite d'actes illégaux.

Veuillez remarquer que la commune de Cappellen n'était pas de si mauvaise volonté ; elle semblait disposée à créer une deuxième école ; seulement elle faisait remarquer que cette deuxième école serait beaucoup mieux placée dans le hameau de Putte que dans l'aggloméré de la commune.

(page 985) Maintenant, en présence du dissentiment qui existe sur une question grave, que pouvons-nous faire ?

La plupart des délais dans lesquels on peut annuler les actes de l'administration, sont expirés ; il ne resterait donc qu'à provoquer ici un vote qui annulât législativement les actes dont il s'agit, conformément à l'article 87 de la loi communale. C'est la seule chose qui resterait à faire. Mais j'ai l'espoir que le gouvernement donnera des instructions pour qu'à l'avenir on ait recours aux moyens de persuasion plutôt qu'aux moyens coercitifs.

Le gouvernement peut très bien revenir sur son système erroné sans compromettre sa dignité. Errare humanum est.

Si on mettait la question aux voix la majorité de cette Chambre, j'en suis convaincu, se prononcerait en faveur de l'interprétation que j'ai cru devoir donner à la loi.

En fait, messieurs, je le déclare je suis très grand partisan de la séparation des sexes dans les écoles communales ; il est évident pour moi que quand cette séparation peut se réaliser, c'est un devoir pour les administrations communales de le faire.

Elles doivent le faire non seulement au point de vue de la morale, mais au point de vue de l’enseignement lui-même : l'enseignement des filles n'est pas le même que l'enseignement des garçons. Nous sommes donc parfaitement d'accord sur le fond. Si je pouvais être entendu des membres du conseil communal de Cappellen et des autres conseils communaux qui se trouvent dans le même cas, je les engagerais de tous mes moyens à consentir à l'érection d'écoles de filles ; je leur dirais : Vous avez le droit de refuser, mais n'usez pas de ce droit. En attendant qu'ils le fassent, il faut que force reste à la loi.

Il faut que les dispositions les plus importantes d'une de nos lois organiques soient exécutées dans le sens dans lequel elles ont été votées.

On demandera peut-être : Faut-il changer la loi ?

Je crois, messieurs, que c'est là une mesure extrême à laquelle il ne faut recourir que dans le cas de nécessité absolue. Il ne faut pas changer une loi pour quelques inconvénients de détail, alors surtout qu'il s'agirait d'enlever aux communes de précieuses prérogatives.

En résumé, messieurs, les intentions du gouvernement et de tous ceux qui se sont occupés de cette affaire ont été bonnes, j'aime à le croire, j'en suis convaincu ; mais pour atteindre un but louable on a suivi une marche peu légale ; or, je ne puis approuver cette marche car je n'admets point ce principe en toutes choses, la fin justifie les moyens.

M. de Paul. - Messieurs, l'incident qui s'est élevé lors de la lecture du rapport que j'ai présenté sur la requête des conseillers communaux de Cappellen me dispense, je crois, d'intervenir au nom de la commission des pétitions dans la discussion actuelle. Si je prends la parole ce n'est que pour un fait entièrement personnel.

Quelques-uns de nos honorables collègues ont trouvé que j'avais montré une excessive sévérité envers l'administration provinciale d'Anvers, envers le gouvernement et envers l'honorable M. Dedecker personnellement.

Je me hâte de repousser ce reproche qui n'est nullement mérité ; je prie l'honorable ministre d'être bien persuadé qu'il n'est jamais entré dans mon intention de rien dire qui pût le blesser directement ou indirectement, et en fait, je ne crois pas avoir manqué à cette intention, à cette volonté. Voyons en effet ce que j'ai dit dans mon rapport.

Il est vrai, messieurs, j'ai parlé d'illégalités, d'atteintes portées aux libertés communales, mais je ne l'ai fait qu'après avoir déclaré que je ne mettais nullement en doute les bonnes intentions du gouvernement et spécialement de l'honorable M. Dedecker. Dès lors mes observations ne comportaient aucune idée de blâme, elles ne pouvaient plus entraîner que l'idée d'une erreur commise de bonne foi.

On a trouvé que j'exagérais quand je disais que ce qui se passe à Cappellen est le résultat d'un système général adopté par le gouvernement et qui paraissait tendre à se répandre sur tout le pays. Si je me suis exprimé ainsi, c'est parce que l'honorable M. Dedecker nous avait dit que toujours et partout le gouvernement a agi comme il l'a fait à Cappellen et à titre de droit ; c'était donc un système que j'avais à combattre, et non pas un fait isolé à apprécier.

J'ai aussi, dit-on, critiqué au point de vue de la logique, avec assez peu de ménagement, les arguments que l'honorable M. Dedecker a invoqués dans ces notes. J'ai critiqué, c'est vrai, mais je ne pouvais pas repousser les conclusions, sans chercher à prouver que les raisonnements étaient illogiques. Je l'ai fait, du reste, en termes très mesurés ; il ne m'est jamais venu dans l'idée de contester la rectitude de jugement non plus que les hautes capacités dont ne cesse de faire preuve l'honorable ministre de l'intérieur.

Enfin j'ai taxé d'illégaux ou d'irréguliers les faits administratifs qui ont amené et suivi la création d'office d'une seconde école à Cappellen. Cette qualification leur convient parfaitement. Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'exposé des motifs qui se trouve consigné dans les pétitions adressées à la Chambré sur cette affaire. Chacun de nous en a reçu un exemplaire.

Je ne reviendrai pas sur ces pétitions qui sont déjà d'une date assez ancienne. Au surplus, l'honorable orateur qui vient de se rasseoir a suffisamment prouvé que les faits dont il s'agit sont réellement illégaux.

J'ajouterai une seule observation : C'est que les conseillers communaux qui se sont adressés trois ou quatre fois à la Chambre nous ont signalé la marche irrégulière que l'administration centrale suivait dans leur commune ; la Chambre a pris ces pétitions en considération, elle a demandé des explications au ministre de l'intérieur, qui en a donné : ces explications ont été insérées au Moniteur ; la Chambre a fixé le jour pour l'examen de cette affaire ; eh bien, les mesures incriminées ont été mises à exécution, et avec une rigueur extraordinaire, depuis que la Chambre est saisie de la question. Si cette manière de faire ne blesse aucune loi, il me semble qu'elle pourrait bien blesser un peu les convenances. Mais enfin, quelle que soit la qualification qu'il faille donner à tous ces faits, pour moi ils disparaissent devant la gravité de la question de droit. Le gouvernement a-t-il le droit de créer d'office et contrairement à la volonté légalement exprimée par le conseil communal, de créer, dis-je, une deuxième, une troisième ou une quatrième école communale là où il en existe déjà une régulièrement et légalement établie ?

Je ne reviendrai pas sur les motifs qui ont été développés par mon honorable ami M. Vandenpeereboom, pour établir la non-existence du droit revendiqué par le gouvernement ; cela serait parfaitement inutile. Je constaterai seulement que l'honorable ministre de l'intérieur n'a apporté aujourd'hui aucun argument nouveau à ceux qu'il a fait valoir antérieurement dans les notes publiées. Ainsi, M. le ministre continue d'invoquer la loi de 1842, loi qui, selon moi, ne dit pas un mot du droit que le gouvernement réclame, et dont le silence prouve que ce droit n'existe pas.

M. le ministre continue aussi à s'appuyer sur l'article 67 de la Constitution, qui donne au gouvernement le droit de faire les règlements et les arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, mais qui lui refuse expressément le pouvoir de modifier, de compléter et même d'interpréter les lois.

M. le ministre persiste à appeler à son aide l'intérêt général. Si cet intérêt peut, dans certains cas, autoriser le gouvernement à suppléer à l'absence d'une loi, il ne peut jamais l'autoriser à commettre des infractions aux lois existantes.

Je crois avoir rencontré tous les arguments de M. le ministre de l'intérieur dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre ; ce serait abuser des moments de la Chambre que d'y revenir.

Je ferai seulement remarquer que si ces arguments sont d'excellentes raisons pour démontrer la nécessité ou la grande utilité des écoles de filles, surtout dans les communes populeuses ; s'ils tendent même à prouver que le gouvernement devrait avoir le droit de créer d'office des écoles de cette espèce dans les grandes communes qui en sont encore dépourvues, évidemment ils ne prouvent pas que ce droit existe maintenant. Ce droit ne peut résulter que d'une disposition législative formelle.

Doit-on faire une pareille loi ? C'est extrêmement délicat ; car il s'agirait d'enlever aux communes une de leurs attributions les plus importantes, pour la donner au pouvoir central.

Ce serait porter atteinte aux libertés et aux franchises communales. Or, ces libertés et ces franchises communales sont une chose excessivement précieuse ; c'est à elles que nous devons notamment la conservation de l'esprit belge, de l'esprit de nationalité qui a résisté à toutes les occupations étrangères ; c'est à elles que nous devons notre existence, notre indépendance.

Au surplus, la centralisation n'a jamais été avantageuse chez nous ni au pays, ni à l'enseignement. Toutes les fois que le gouvernement a voulu s'emparer de l'enseignement, nous avons eu des catastrophes. Je ne veux pas en évoquer le souvenir ; veuillez seulement me permettre, à l'occasion de ce mot de centralisation, de vous lire un passage d'une des dernières pétitions des conseillers communaux de Cappellen.

« Qu'on ne se méprenne pas sur la portée du débat. Il ne s'agit pas seulement des prérogatives méconnues d'une seule commune, qui, après tout, seraient aussi dignes de respect que les droits du premier pouvoir de l'Etat. Il s'agit d'apprécier un système général que le gouvernement provincial d'Anvers applique partout, en dépit de toutes les résistances. De Turnhout, d'Hoogstraeten, d'Esschen, de Stabrocck, de Kiel, d'une foule de communes importantes, s'élèvent des réclamations contre cet absolutisme administratif, qui ne tend à rien moins qu'à la confiscation de nos plus précieuses et de nos plus antiques franchises : les franchises de la municipalité. Il s'agit de savoir si, dans les matières qui sont de la compétence des conseils communaux, il sera permis à un gouverneur, à l'aide de quelques prétextes spécieux, d'éluder ou de braver leurs résolutions et de substituer sa volonté à la leur.

« Une circulaire adressée aux préfets, le 20 décembre dernier, par le ministre de l'intérieur de France, pays qui est loin de posséder des institutions communales comparables aux nôtres, s'exprime sur la question ainsi posée en termes que nous croyons utile de reproduire : « Je ne saurais trop vous recommander, dit M. Billault, de t laisser aux conseils municipaux la plus grande latitude en ce qui touche la discussion des intérêts communaux.... Si ces assemblées donnent aux affaires qui leur sont soumises une solution inintelligente ou mauvaise, la population saura à qui en rapporter la responsabilité. Ce résultat offre, en définitive, moins d'inconvénients qu'un système qui tend à faire sentir partout l'action de l'autorité supérieure... Les administrateurs se laissent trop facilement entraîner au désir de briser d'incommodes résistances, plutôt que d'employer à (page 986) les vaincre leur influence personnelle qui ne s'aveugle jamais longtemps sur ces véritables intérêts. »

« A quoi bon, en effet, dit le Journal des Débats, en commentant cette circulaire, des élections municipales et des municipalités électives, si les conseillers communaux, élus par leurs concitoyens, ne doivent, en toute occasion, faire autre chose que voter complaisamment ce que propose l'autorité ? Certainement l’autorité préfectorale est en général bien avisée sur les intérêts des communes. Cependant elle peut se tromper, et la loi a supposé que les habitants d'une commune sont fort capables aussi de connaître ses intérêts, puisqu'elle leur a donné le droit de nommer des conseillers municipaux, c'est-à-dire des hommes chargés de représenter et de défendre les intérêts de la commune. Non seulement l'autorité préfectorale peut se tromper ; elle peut aussi être trompée. Les passions et les influences locales peuvent l'égarer... Le mal n'est pas grand quand l'opinion des conseils municipaux vient tempérer l'opinion du salon de préfecture. Mais si à la première résistance et au premier dissentiment que rencontre l'avis du préfet, du sous-préfet ou du maire, il faut que le préfet bien ou mal informé, bien ou mal avisé, ait raison ; si on fait de la dictature à tout bout de champ, il y a à cela je ne sais combien d'inconvénients que la circulaire du ministre de l'intérieur signale avec beaucoup de force et de justice.

« Eh bien, n'est-il pas étrange que le gouvernement quasi-autocratique de l'empereur Napoléon III professe des principes de libéralisme administratif plus larges que le ministère belge et nos gouverneurs de province ? Le cabinet des Tuileries serait-il appelé à faire, sous ce rapport, la leçon aux députés qui siègent au palais de la Nation belge ? »

Je m'arrête ici, j'attendrai les nouvelles explications de M. le ministre de l'intérieur, pour voir si je dois reprendre la parole.

M. Osy. - Messieurs, en ce qui concerne le fait qui a été posé par M. le ministre de l'intérieur, je suis d'accord en fait avec ce haut fonctionnaire qu'il serait à désirer que dans les grandes communes il y eût plusieurs écoles et, autant que possible, des écoles pour les garçons et des écoles pour les filles ; mais pour ce qui est du droit, je partage entièrement l'opinion de l'honorable M. Vandenpeereboom.

Cet honorable membre vous a expliqué d'une manière très claire le droit incontestable de la commune. Aussi, pour ma part, je regrette le conflit qui a eu lieu. D'après moi, les intentions de M. le gouverneur et de la députation permanente sont excellentes.

Ils ont parfaitement bien fait de tâcher de trouver le moyen d'établir une seconde école, surtout une école de garçons et une école de filles ; mais la loi de 1842 n'oblige les communes qu'à établir au moins une école. Donc l'obligation n'est pas d'en établir deux ou trois. Si une commune refusait d'établir une école comme le veut la loi, le gouvernement est armé par la loi du pouvoir de l'établir d'office, mais il n'est pas armé du pouvoir de forcer les communes à en établir plusieurs. Voilà ce qui s'est passé pour la commune de Cappellen.

Je pense que les intentions du gouvernement et de la députation ont été excellentes ; je regrette beaucoup le désaccord qui s'est manifesté, mais la loi communale doit tout primer, et il est évident qu'il n'y avait pas obligation pour la commune d'établir une seconde école. Mais maintenant qu'y a-t-il à faire ?

La seconde école existe, le conflit continue ; ce qui a été fait est avantageux à la commune ; je suis sûr que les habitants sont charmés d'avoir une deuxième école, le nombre des enfants étant considérable ; il y a lieu d'espérer que le gouverneur aura assez d'influence pour régulariser l'affaire.

Par la suite, j'engage M. le ministre à tenir la main à l'exécution de la loi communale. Quand le gouvernement désire l'établissement d'une deuxième ou d'une troisième école, qu'il le demande, rien de mieux ; mais quand la commune s'y refuse, il faut que la loi communale soit respectée.

Je dis donc que j'approuve les intentions du gouverneur et de la députation, mais je regrette les irrégularités qui ont eu lieu ; le gouvernement doit user de son influence pour arranger l'affaire de Cappellen à l'amiable, mais avant tout respecter la loi communale.

M. de Theux. - Messieurs, il y a à distinguer le strict droit et l'usage du droit. Quant au strict droit, je crois que le gouvernement peut prescrire l'établissement de plus d'une école dans une commune. Le sens de l'article premier peut paraître douteux ; mais celui de l'article 5 est clair et lève le doute que laissait l'article premier.

Cet article porte :

« Art. 5. Les enfants pauvres reçoivent l'instruction gratuitement.

« La commune est tenue de la procurer à tous les enfants pauvres dont les parents en font la demande, soit dans son école communale, soit dans celle qui en tient lieu, ou dans toute autre école spécialement désignée à cet effet par elle, en conformité des articles 3 et 4.

« Le conseil communal, après avoir entendu le bureau de bienfaisance, fixe tous les ans, le nombre d'enfants indigents qui, dans chaque commune, doivent recevoir l'instruction gratuite, ainsi que la subvention à payer de ce chef, ou, s'il y a lieu, la rétribution due par élève. Cette liste, ainsi que le montant de la subvention ou la quotité de la rétribution est approuvée par la députation permanente, sauf recours au Roi.

« La députation permanente détermine aussi, sauf recours au Roi, la part contributive qui incombe au bureau de bienfaisance dans les frais d'instruction des enfants pauvres ; la part assignée au bureau de bienfaisance sera portée à son budget. »

Aux termes de l'article 5 il est donc clair que si une école ne suffit pas pour donner l'instruction à tous les enfants pauvres qui la demandent, la commune doit y suppléer d'une manière quelconque. Ce qui est dit pour les enfants pauvres, on peut l'admettre pour tous les enfants, en général.

Aux termes de l'article premier, la commune doit créer au moins une école primaire ; mais je dis que pour faire l'application de la loi, il faut qu'il y ait nécessité bien constatée ; par exemple si dans une commune il est pourvu aux besoins de l'enseignement au moyen d'écoles libres, ce n'est pas le cas de faire usage soit de l'article premier, soit de l'article 5.

Ensuite quand la nécessité de l'établissement d'une école est reconnue, il faut apporter dans l'application des mesures d'office la plus grande circonspection.

On comprend que l'enseignement primaire, quoique élevé par la loi à la hauteur d'un intérêt général, est cependant par son essence, d'intérêt communal. Ainsi tout ce qui a rapport à l'enseignement primaire se trouve dans les attributions communales, ce n'est que par exception que les autorités supérieures peuvent intervenir, quand la commune se montre négligente ou récalcitrante.

A cette question d'établir des écoles d'office, se rattachent des questions d'une très grande importance : la question des dépenses et la question du personnel. La question des dépenses est très grave ; d'abord il faut savoir si la commune a le moyen de payer ; le choix de l'emplacement est aussi une question d'intérêt purement communal ; c'est à elle à désigner un emplacement, soit pour construire un bâtiment, soit pour prendre un local à loyer, car il faut que l'école soit placée le plus convenablement possible pour le plus grand nombre.

Vient ensuite le choix de l'instituteur et de l'institutrice.

C'est encore une chose qui appartient en premier lieu et avant tout à l'autorité communale. Ce n'est qu'à défaut par les communes de remplir les obligations que la loi leur impose que l'autorité supérieure doit intervenir ; il faut donc, dans toute circonstance, consulter l'autorité communale, c'est le vœu de la loi communale et de la loi sur l'enseignement primaire. Toutes ces choses ont-elles été observées dans l'affaire dont il s'agit ? N'ayant lu ni la pétition, ni les pièces qui ont été produites, je ne suis pas à même de me prononcer à cet égard.

J'indique les précautions à suivre en toute circonstance quand un conflit s'élève entre l'autorité centrale et l'autorité communale.

On a parlé du danger des écoles de filles tenues par un instituteur. En effet, plusieurs faits à ma connaissance comme à la connaissance de plusieurs membres de cette Chambre, justifient ce qu'on vous en a dit ; on a vu des scandales qui ont compromis l'honneur des familles ; dans quelques cas les faits ont été déférés à l'autorité supérieure et même à l'autorité judiciaire ; dans d'autres, on a jeté un voile dessus, et on a été forcé de se débarrasser de l'instituteur.

En cherchant à obvier à un mal qui s'est présenté dans plusieurs communes, il faut prendre garde de se jeter dans un autre inconvénient. Pour qu'une institutrice remplisse bien la mission qu'on veut lui confier, il faut que ce soit une personne à l'abri de tout soupçon, il faut ou qu'elle soit mariée ou qu'elle habite avec ses parents, qu'on ne laisse pas dans une commune une institutrice abandonnée à elle-même, exposée à des dangers ; ce serait remplacer un mal par un autre. Des faits de cette nature se sont révélés.

J'appelle l'attention de M. le ministre, quand il s'occupera de questions de ce genre, sur la nécessité d'observer ces règles que la plus simple prudence et le plus simple bon sens indiquent, pour que la présence d'une institutrice dans une commune ne devienne pas une cause de scandale. Il y a ici des questions de fait, des questions de droit et des questions de convenance à observer.

Cela doit dépendre de l'autorité supérieure qui intervient dans cette matière.

Je ne puis qu'appeler de nouveau l'attention la plus sérieuse de M. le ministre de l'intérieur sur l'application des articles 1 et 5 de la loi sur l'enseignement primaire.

M. Dumortier. - J'ai demandé la parole, parce qu'il m'est impossible de me rallier à l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, qui me semble faire extrêmement petite la part de la commune dans l'enseignement primaire et extrêmement grande la part du gouvernement.

A en croire l'honorable ministre de l'intérieur, la loi de 1842 a eu pour résultat de changer en quelque sorte la situation de l'enseignement primaire, de communal qu'il était précédemment, de le faire gouvernemental, parce qu'il y a là un intérêt social.

L'honorable M. Vandenpeereboom lui a déjà parfaitement répondu sur ce point. Je me range complètement à son avis. Ainsi que l'honorable membre l'a dit, il y a bien des points d'intérêt général qui sont confiés aux communes. Par exemple, la police est certainement un objet d'intérêt général. Elle est cependant confiée exclusivement aux communes.

Nous avons dans notre organisation communale le principe de la décentralisation et un régime tout différent de celui des gouvernements, basés sur le système de la centralisation.

Nous avons (c'est la Constitution qui l'a voulu) donné aux communes (page 987) une part considérable de l'action gouvernementale dans le pays. En cela, nous avons fait une chose excellente, parce que nous avons rendu beaucoup plus douce l'action du pouvoir en Belgique.

En serait-il autrement dans la loi sur l'instruction primaire ? Serait-il vrai que six ans après avoir fait la loi communale qui donne tant de libertés à la commune, nous serions venus enlever toutes ces libertés communales en matière d'enseignement primaire pour les donner au gouvernement ?

Voilà la question.

Cette question, je dois le dire, a été résolue par l'honorable M. Vandenpeereboom et par l'honorable M. de Paul dans le rapport extrêmement bien fait qu'il a présenté à la Chambre.

Que porte la loi communale ? Cette loi, qui est notre deuxième Code constitutionnel, a jeté les bases de l'action des communes en matière d'enseignement primaire.

L'article 84 de la loi communale porte :

« Le conseil nomme les professeurs et instituteurs attachés aux établissements communaux d'instruction publique. »

L'art. 131 de la même loi porte :

« Le conseil communal est tenu de porter annuellement au budget les dépenses toutes celles que les lois mettent à la charge des communes et spécialement les suivantes : … 10° Les frais que la loi sur l'instruction publique met à la charge des communes. »

Voilà les bases de la matière dont il s'agit posées par la loi pour l'organisation de l'enseignement primaire en Belgique. Est-il vrai que la loi sur l'enseignement primaire faite six ans après soit venue bouleverser tout cela, enlever tout aux communes, faire de l'enseignement primaire un objet gouvernemental ? Je dis que non.

Ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Vandenpeereboom, ce qui prouve que l'esprit de la loi est que l'enseignement primaire conserve son caractère communal, c'est que la loi a limité l'action non de la commune, mais du gouvernement. On donne au gouvernement une part déterminée d'action ; mais la loi communale existe comme par le passé. Voilà la vérité.

Je tiens beaucoup à cette discussion, parce que, depuis longtemps, il y a dans l'administration de l'instruction publique à tous les degrés une tendance de la bureaucratie à usurper les prérogatives communales en matière d'enseignement. Cette tendance est l'une des plus fatales à nos libertés publiques, au bien-être du pays.

À chaque instant, il y a des conflits. On veut empêcher les communes de diriger l'enseignement comme elles l'entendent. Cette prétention, comme l’a dit l'honorable M. de Paul, est illégale. C'est méconnaître l'esprit de la loi communale et de l'enseignement primaire. En voulez-vous la preuve ?

Le gouvernement crée une école, nomme un instituteur. Que dit la loi communale ? Le conseil communal nomme l'instituteur. Ainsi d'après la loi communale, c'est le conseil communal qui doit nommer, et c'est le gouvernement qui nomme. C'est le conseil communal qui doit voter les dépenses. Eh bien, c'est le gouvernement qui les porte d'office au budget. Ceci est illégal. C'est même inconstitutionnel ; car le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution.

Si vous laissez le gouvernement entrer dans cette voie, supprimez vos communes, admettez le système de la France ; ayez des maires qui gouvernent le pays ; supprimez la loi communale.

La question a encore un côté sérieux. De quoi s'agit-il ? D'une école de filles. Sans doute il est à désirer que l'école des filles soit séparée de l'école des garçons.

Je ne trouve pas cette opinion mal fondée. Mais remarquez cependant que quand nous avons fait la loi sur l'enseignement primaire, nous n'avons pris aucune disposition pour les écoles de filles.

Le mot d' « école de filles » ne se trouve pas dans la loi sur l'instruction primaire. El pourquoi ? Parce que nous comprenions tous que c'était une chose excessivement délicate et qu'il était préférable de laisser en celle matière une très grande action à la commune, qui sait mieux que tous les gouvernements possibles, les personnes qui conviennent pour donner l'instruction. Nous sentions tous qu'il valait mieux laisser aux communes le soin de l'instruction des petits enfants du sexe et de la désignation de la personne à laquelle il faut confier cette instruction, que de laisser ce soin à des administrations et à des bureaux éloignés des localités.

Voilà pourquoi le mot d'école communale de filles ne se trouve pas dans la loi d'instruction primaire.

Comme vous l'a parfaitement dit mon honorable collègue et ami M. de Theux, c'est une matière très délicate qui a déjà donné lieu à beaucoup d'abus et peut encore donner lieu à d'autres. Tandis que le bourgmestre, les échevins, les conseillers communaux, ces hommes honorables auxquels les habitants confient la gestion de leurs intérêts, savent mieux que la bureaucratie, ce qui convient en pareille matière à leur localité.

Messieurs, c'est une tendance, c'est une disposition.

Je ne sais si l'on n'a pas même créé une école normale de filles. Et l'on va répandre ces jeunes personnes loin de leur famille et les jeter dans tel et tel village pour en faire un cortège d'institutrices.

Messieurs, cela est très sérieux, nous avons vu plus d'une fois des abus très graves en pareille matière, et pour mon compte je ne saurais engager le gouvernement à trop de prudence. J'aime beaucoup mieux, encore une fois, l'action de la commune.

Les bourgmestres, les échevins, les conseillers communaux feront des choix beaucoup meilleurs en pareille matière que le gouvernement n'en pourrait faire. Ils trouveront dans leur commune des personnes âgées connaissant parfaitement l'instruction primaire et qui se chargeront de cette instruction pour le bien des enfants de la commune, sans qu'il puisse en résulter le moindre inconvénient. Je maintiens donc qu'en pareille matière il faut laisser faire beaucoup et se mêler très peu de l'action de la commune sur l'instruction des filles et c'est ce qu'a voulu la loi de 1842 lorsqu'elle n'a pas même prononcé le mot d'école de filles.

Quant à la commune de Cappellen, elle était évidemment dans son droit, et ce que je trouve étrange, c'est que dans la province d'Anvers, cette manière de forcer les communes à avoir des écoles semble tourner à l'état de système. Or la loi ne donne pas ce droit.

Lorsque la loi a dit qu'il y aurait au moins une école primaire dans chaque commune, elle n'a pas entendu dire que le gouvernement ou la province pourraient en créer autant qu'ils voudraient. Elle a seulement voulu faire entendre que dans certaines communes une école ne pouvait suffire. Ainsi, comme on l'a dit, on comprend que dans une localité comme Bruxelles, on ne pouvait se contenter d'une seule école ; mais il a toujours été entendu que la commune devait avoir son action libre.

Le système que l'on met en avant et d'après lequel le caractère de la loi disparaîtrait pour prendre le caractère gouvernemental, est un système détestable que je ne puis assez désapprouver, parce qu'il est contraire à tous nos précédents, parce que tous les membres qui siégeaient dans cette enceinte, lorsqu'on a discuté la loi communale et la loi provinciale, vous diront, la main sur la conscience, que telle n'a jamais été l'intention de la législature.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Les questions soulevées dans la discussion actuelle sont certainement très graves, et ce n'est pas moi qui en dissimulerai la gravité. Mais il me semble que c'est un motif de plus pour ne pas en exagérer la portée, pour ne pas exagérer surtout les principes qui ont été posés et qui sont défendus par le gouvernement.

Ainsi, parce que le gouvernement croit, au point de vue de la stricte interprétation de la loi, qu'il a agi légalement, on en infère que le gouvernement va faire et a déjà fait de cette application un système général. Or, j'ai été le premier à dire qu'évidemment le système général, c'est que le gouvernement tienne compte, dans toute l’organisation de l'enseignement primaire, de la volonté de la commune. C'est le système de la loi et c'est aussi la pensée du gouvernement.

L'honorable M. Dumortier m'accuse de faire fi des libertés communales, mais chaque fois que l'honorable membre s'est posé le défenseur de ces libertés, il m'a trouvé à côté de lui. Dans toutes les occasions je les ai défendues et je les défendrai toujours. Je ne veux pas la centralisation dans le sens absolu et exagéré de ce mot ; mais je crois aussi que, tout en respectant les libertés communales si glorieuses pour le pays dans le passé et qui peuvent lui être si utiles dans l'avenir, il ne faut pas décentraliser complètement. Il y a un lien national à former ; il y a un intérêt gouvernemental à sauvegarder ; et cela est parfaitement conciliable avec le respect des franchises communales.

C'est la position que le gouvernement a cru devoir prendre dans cette circonstance ; c'est la pensée qu'il croit devoir défendre.

Nous sommes donc d'accord sur ce point, il faut respecter les franchises communales. Mais je demande si dans telle circonstance donnée il faut désarmer complètement le gouvernement, en présence d'un intérêt social qui n'est pas garanti ? La règle, c'est le respect de la liberté de la commune ; je suis d'accord avec l’honorable M. Dumortier et cela a toujours été entendu ainsi par mes honorables prédécesseurs comme par moi. Mais faut-il dans certains cas, qui se présentent du reste fort rarement, désarmer complètement le gouvernement ?

Vous êtes tous d'accord qu'il y a pour les communes une obligation sacrée d'organiser l'enseignement primaire d'une manière convenable. Or, si une commune ne le fait pas, faut-il que le gouvernement reste spectateur impassible de cette négligence d'un intérêt social ?

Vous reconnaissez tous qu'il y a un intérêt de haute moralité et d'ordre public à ce que les sexes soient séparés. A toutes les époques on a demandé cette séparation ; si une occasion se présente de réaliser ce bienfait, sans que pour cela la position financière de la commune en soit affectée, faut-il que le gouvernement reste impuissant, et que, devant le mauvais vouloir ou la négligence d'un conseil communal, il abandonne la défense d'un grand intérêt social ?

Voilà la question. C'est dans ces termes que le gouvernement la pose. Eh bien, je soutiens que, agissant dans ces limites, le gouvernement applique les saines doctrines. C'est un devoir pour lui de garantir les intérêts sociaux dont la défense lui est confiée ; par conséquent il doit en avoir les moyens.

Messieurs, cela a toujours été compris ainsi. Il existe des actes de cette nature dans les archives de l'administration. Certainement ils ne sont pas nombreux ; ces cas ont toujours été et doivent rester exceptionnels ; mais, sous tous les ministères, on a appliqué la loi de cette manière.

Qu'on se rassure toutefois. Il n'y a peut-être pas quatre exemples de ce genre dans les rétroactes de l'administration. Cela prouve, d'une (page 988) part, qu'on a toujours été très sobre de l'application du principe que je défends ; mais cela prouve aussi qu'on a toujours senti la nécessité de le maintenir pour des cas exceptionnels.

Messieurs, je ne veux pas justifier un à un tous les actes qui ont été posés à l'occasion de ce conflit. Nous savons, par expérience que, une fois qu'un conflit de cette nature existe, de part et d'autre on est exposé à oublier d'apporter de la régularité dans les actes ou de la convenance dans les procédés.

Cela n'est que trop le cas dans la plupart de ces affaires au fond desquelles il y a souvent des questions de personnes. Aussi, je le répète, je ne viens pas défendre un à un tous les actes qui ont été posés par l'administration communale et par l'autorité provinciale. Ce que je puis dire, et ce que je proclame hautement, c'est que le but poursuivi par elles était excellent, et que leurs intentions étaient irréprochables. Mais sachons dégager de ces faits les grands principes dont l'application doit nous préoccuper dans ces débats.

Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, vous êtes ici en présence d'une opposition qui se forme à l'action du gouvernement quant à l'enseignement primaire. Le noyau de cette opposition existe dans la province d'Anvers. On comprend facilement que les instituteurs ne sont pas, en général, fort enchantés de se voir enlever la moitié de leurs élèves par l'établissement d'écoles séparées pour les filles ; et, à leur point de vue personnel, j'avoue que cela peut paraître pénible. Aussi, l'action occulte de ces instituteurs n'est-elle pas étrangère aux difficultés que rencontre aujourd'hui le gouvernement dans certaines localités de la province d'Anvers.

Il s'agit donc, une fois pour toutes, de savoir si vous voulez donner gain de cause à cette opposition qui cherchera, de plus en plus, à entraver, par tous les moyens dont elle dispose, la séparation des sexes dans l'enseignement.

Ce fait, messieurs, va se généraliser ; vous verrez bientôt se reproduire, dans d'autres communes, cette coalition entre les instituteurs et des conseillers communaux, dans le but d'empêcher la création d'écoles séparées pour les filles. Il me suffira de vous avoir avertis.

Je dois, messieurs, appeler votre attention sur une autre face de la question. Vous allez décider de l'existence des écoles normales pour les filles. Il ne faut pas se le dissimuler, si vous désarmez le gouvernement, si vous laissez la commune maîtresse absolue de séparer ou de ne pas séparer les sexes, par cela même vous allez rendre impossible, dans la plupart des communes, le placement des jeunes institutrices sorties de vos écoles normales.

L'honorable M. Dumortier critique l'organisation de ces écoles. Je pense, messieurs, que cette création peut être fort utile quand elle est dirigée avec prudence. Quand le placement des institutrices qui s'y sont formées a lieu dans de bonnes conditions, leurs écoles sont de nature à produire d'heureux résultats. Or, en ce qui concerne le dernier point, puisqu'on a tant de confiance dans les administrations communales, je pense qu'on peut s'en rapporter à elles. Vous savez, du reste, messieurs, que les cours normaux pour les institutrices sont organisés avec soin et qu'ils offrent toutes les garanties désirables, au point de vue de la religion et de la morale.

L'honorable comte de Theux recommande la circonspection dans le placement des jeunes institutrices. Le gouvernement comprend parfaitement la nécessité de cette circonspection. Quand il lui arrive d'appuyer auprès d'une administration communale la candidature d'une aspirante-institutrice, il le fait à bon escient. Ordinairement, on place les institutrices là où se trouvent leurs parents, et c'est précisément ce qu'on a fait à Cappellen ; l'institutrice diplômée qui a été nommée est une fille de Cappellen.

On conseille aussi aux administrations communales de prendre de préférence pour institutrice la fille ou la sœur de l'instituteur, afin de ne pas abandonner une jeune fille à elle-même, sans direction et sans relations de famille.

L'honorable M. Dumortier dit que l'organisation des écoles de filles n'a pas été prévue par la loi, et que rien n'autorise le gouvernement à la poursuivre.

Voici les faits. A la fin de la discussion de la loi organique de l'enseignement primaire, il a été constaté que la loi présentait une lacune.

Après une interpellation de M. Rogier, il a été convenu qu'on organiserait administrativement l'enseignement primaire des filles, dans le sens de l'organisation de l'enseignement primaire des garçons.

Les actes posés par mes honorables prédécesseurs de toutes les opinions révèlent cette tendance constante du gouvernement. L'inspection des écoles de filles est due à l'honorable M. de Theux.

L'organisation des cours normaux pour les institutrices est due à l'honorable M. Rogier. Moi-même, j'ai organisé l'inspection sur de nouvelles bases. Ainsi, tous les ministères qui se sont succédé, depuis 1842, ont contribué à l'organisation d'un enseignement distinct pour les filles. L'intérêt social exigeait que ces écoles fussent établies et bien organisées.

Le gouvernement a donc le droit et le devoir d'organiser cet enseignement.

Vous allez aujourd'hui décider si vous voulez entraver ou seconder l'action salutaire du gouvernement tout en respectant les prérogatives communales.

M. de Kerchove. - Il me semble, messieurs, que la question qui nous occupe est tout à fait pratique. Notre intention n'est pas de désarmer le gouvernement ; au contraire, comme l'a prouvé l'honorable comte de Theux, l'action gouvernementale est indispensable. Mais cette action doit-elle exister aux dépens de la liberté communale ? Là est la question. Nous pensons qu'il y a, en fait d'administration, deux moyens d'action : l'autorité et l'influence ; l'autorité, le gouvernement ne peut pas la prendre sans l'enlever à la commune. Les considérations développées par les honorables MM. Dumortier et Vandenpeereboom, ainsi que par l'honorable rapporteur, prouvent que les libertés communales doivent demeurer entières. D'un autre côté, le gouvernement doit, dans quelques cas, pouvoir opposer son veto, et là doit s'arrêter son autorité ; mais il faut qu'il exerce son influence par ses inspecteurs civils et par les inspecteurs ecclésiastiques. Il doit, dans certains cas, comme celui de Cappellen, se faire instruire à temps des difficultés qui surgissent, et alors, au lieu d'agir par voie d'autorité, il faut qu'il agisse par voie d'influence.

C'est là, je crois, sa véritable action ; il doit agir par voie d'influence et avec le désir bien arrêté de ne pas porter atteinte aux libertés communales. Il me semble qu'il est suffisant que le gouvernement soit averti d'avance, par les inspecteurs civils et diocésains, des difficultés qui peuvent se présenter ; il doit chercher à les aplanir par voie d'influence ; il doit en définitive, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, laisser beaucoup faire, et faire peu soi-même.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne suis pas d'une rigidité de principes telle, que je dirai : Périssent les colonies plutôt qu'un principe. Je ne voudrais pas, comme semble le craindre M. le ministre de l'intérieur, remettre en question toute l'organisation de l'enseignement primaire dans les communes ; mais je crois que M. le ministre de l'intérieur exagère un peu les inconvénients de l'interprétation que nous donnons à la loi.

En effet, combien y a-t-il eu jusqu'ici de conflits de ce genre dans le pays ? Une douzaine au plus. (Interruption.) 5 ou 6, me dit M. le ministre de l'intérieur. Or, s'il n'y a qu'un nombre si restreint de conflits, je demande pourquoi il faut ériger ici en principe une interprétation qui je pense, dans l'opinion de l'immense majorité de cette Chambre, n'est pas exacte.

Maintenant, je crois avec l'honorable M. de Kerchove que le gouvernement doit agir, dans ces circonstances exceptionnelles, par voie d'influence ; tâcher de nommer toujours aux fonctions d'inspecteurs des hommes conciliants, capables, élevés dans la carrière de l’enseignement et connaissant parfaitement cette matière. Les commissaires d'arrondissement, par l'influence qu'ils ont sur leurs subordonnés, les inspecteurs par l'ascendant qu'ils exercent sur les instituteurs, peuvent, à mon avis, prévenir beaucoup de conflits.

Quoi qu'il en soit, il y a évidemment entre le gouvernement et une partie de la Chambre un dissentiment. Le gouvernement persiste dans son opinion, et nous persistons dans la nôtre. Dans cette position, que faut-il faire ? Nous ne pouvons pas avoir raison tous les deux. Il faut que la loi soit appliquée dans son vrai sens.

Selon moi, il reste trois partis à prendre pour arriver à une conclusion. D'abord, on peut proposer un ordre au jour motivé, et par un vote émis par un appel nominal, décider quel est le vrai sens de la loi. Ensuite, on peut, aux termes de la loi communale, provoquer une mesure législative qui annule les actes posés par la députation permanente du conseil provincial.

Je crois que jusqu'ici la Chambre n'a jamais eu recours à ce moyen extrême ; je recule devant ce moyen qui aurait quelque chose de trop rigoureux. Reste donc le troisième parti que je propose à la Chambre d'adopter.

Je demande que toutes les pétitions qui ont été adressées à la Chambre sur cette affaire soient renvoyées à une commission spéciale qui examinera la question sous toutes ses faces et qui fera son rapport à la Chambre. Alors l'assemblée pourra se prononcer sur la véritable interprétation à donner à l'article premier de la lot du 25 septembre 1842.

Je ne pense pas que ma proposition rencontre des adversaires sur aucun banc de cette Chambre ; il importe, en effet, qu'aucun doute ne reste sur un point aussi important.

M. Rogier. - Messieurs, je ne viens pas défendre les faits qui se sont passés à Cappellen ; je crois qu'il y a eu là des faits regrettables et irréguliers ; mais au point de vue du principe, je dois dire qu'il m'est impossible de partager, quant à présent, l'opinion qui a été soutenue par quelques honorables préopinants. J'incline au contraire pour celle de M. le ministre de l'intérieur. La question est importante ; elle se rattache à la liberté communale que tous nous aimons et respectons et à l'instruction primaire qui n'est pas moins digne de notre intérêt. Elle mérite donc de faire l'objet d'un examen approfondi de la part d'une commission spéciale.

A mon sens on va trop loin quand on refuse au gouvernement le droit de faire établir dans une commune plus d'une école suivant les besoins de l'instruction primaire ; on va trop loin, en soutenant que lorsqu'une commune a organisé une école quelconque, elle a satisfait aux prescriptions de la loi.

Quel est le but de la loi de l'enseignement primaire ? et quel est son esprit ? C'est qu'il soit pourvu aux besoins de l’enseignement primaire (page 989) dans toutes les communes et qu'il y soit pourvu d'une manière suffisante.

Or, dira-t-on qu'il est pourvu d'une manière suffisante à l'enseignement primaire par la création d'une école quelconque, établie dans un local quelconque ? Evidemment non. Dira-t-on que dans des communes de 10,000 à 15,000 âmes, comme il y en a dans les Flandres, il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement primaire lorsque la commune aura établi une seule école ? Evidemment non.

Qu'arriverait-il avec l'interprétation donnée à la loi par quelques membres de cette Chambre ? C'est que dans beaucoup de communes importantes on pourrait se contenter d'une école quelconque et d'un local quelconque en abandonnant tout le reste aux institutions privées, c'est à-dire, pour les filles, aux religieuses, et pour les garçons, aux ignorantins.

On le voit, si la question a de l'importance au point de vue de la liberté communale, elle n'en a pas moins au point de vue de l'instruction primaire ; et en me ralliant à la proposition de renvoyer la question à l'examen d'une commission spéciale, je réserve entièrement mon opinion au sujet de l'interprétation que divers membres ont donnée à la loi.

M. de Kerchove. - Messieurs, il me semble qu'il est inutile de nommer une commission ; la question a été suffisamment discutée, je dirai même jusqu'à épuisement. Tous nous reconnaissons qu'il y a eu des faits plus ou moins illégaux. Quelles lumières nouvelles pourra nous fournir une commission ? Le mal est fait ; il faut tâcher de le réparer. C'est un incident qui aura son utilité pratique ; le gouvernement sait quelle est l'opinion de la Chambre (interruption) ; elle s'est suffisamment manifestée ; nous sommes tous d'avis que la loi a été exécutée d'une manière irrégulière.

Maintenant il me semble qu'il suffirait de renvoyer l'affaire au gouvernement, pour qu'il régularise cet état de choses par voie d'influence. C'est une question d'influence. Je le répète, le mal est fait ; il faut le réparer, mais notre action législative est épuisée.

Nous ne pouvons que défaire le mal, et le défaire autrement que par l'influence serait très dangereux.

M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu dire qu'on était unanime. On considère notre silence comme un acquiescement ; nous n'avons pas d'opinion arrêtée, il n'y a donc pas unanimité, comme on le disait tout à l'heure ; je serais plutôt disposé à me ranger de l'avis de M. le ministre de l'intérieur que d'un autre.

- La proposition de M. Vandenpeereboom de renvoyer l'examen de l'affaire de Cappellen à une commission spéciale chargée de faire un rapport à la Chambre est mise aux voix et adoptée.

Discussion générale sur le chapitre XVII

La discussion est ouverte sur le chapitre XVII, Enseignement primaire.

M. T'Kint de Naeyer. - J'ai remarqué dans le rapport de la section centrale que, répondant à une interpellation de la deuxième section, M. le ministre de l'intérieur a annoncé qu'il ferait connaître ultérieurement les observations que l'examen de la loi interprétative de l'article 25 de la loi sur l'instruction primaire lui aurait suggérées.

J'ai déjà eu occasion de démontrer que si ce projet de loi n'était pas profondément modifié, il consacrerait pour l'avenir une injustice plus grande encore que celle dont les Flandres ont été victimes depuis tant d'années.

Je n'ai pas l'intention, messieurs, d'ouvrir un débat prématuré sur cette importante question, mais j'engage, dès à présent, M. le ministre de l'intérieur, afin de faciliter la discussion, à faire traduire en chiffres les résultats de l'interprétation nouvelle. D'après les calculs partiels que j'ai pu établir, il est évident qu'en fixant, sans exception, à un minimum du tiers de la dépense la part obligatoire des communes, on atteint spécialement celles qui ont peu d'importance et où il est si difficile de trouver des ressources dans la cotisation personnelle.

Les dépenses ne varient guère. Il faut en général les mêmes bâtiments, le même matériel, le même entretien. L'instituteur doit avoir des émoluments qui lui permettent de vivre. Si son sort est meilleur dans les grandes communes, cela provient principalement de la rétribution des élèves solvables.

Dans les petites communes, le produit de deux centimes additionnels aux contributions directes ne s'élève qu'à 70 à 100 francs ; lorsqu'elles n'ont pas de bien ou de rentes, et c'est le cas dans les Flandres, toutes les ressources budgétaires proviennent de la cotisation personnelle. Cet impôt devient écrasant, et il serait impossible de l'augmenter, à moins de rendre l'instituteur odieux et de faire tomber l'école.

Le niveau législatif qui ne tiendrait pas compte de la situation financière des communes, de la source de leurs revenus, bouleverserait le service et compromettrait l'avenir de l’enseignement Au lieu de créer de nouvelles entraves, il est temps que le gouvernement se préoccupe sérieusement d'élever l'enseignement primaire dans les Flandres à la hauteur des besoins.

D'après le rapport triennal, 277,000 enfants reçoivent l'instruction gratuite, dans le royaume entier. La Flandre orientale qui forme la sixième partie de la population, ne compte que 25,000 enfants instruits aux frais ces administrations publiques.

Il est vrai que nos communes n'ont guère, comme dans d'autres provinces, des biens et des rentes et nous avons toujours été très maltraités dans la répartition des subsides de l'Etat.

Je sais que cela résulte de certaines dispositions vicieuses de la loi ou d'interprétations erronées, mais il ne s'ensuit pas que l'injustice doive se perpétuer. Il est impossible, lorsqu'il s'agit d'enseignement primaire, d'un intérêt social immense, que le législateur ne tienne aucun compte de la population, du nombre des pauvres, des ressources propres des communes et de celles qu'elles doivent demander à l'impôt de cotisation.

Il faut, comme M. le ministre de l'intérieur le disait naguère, que les progrès de l'instruction puissent marcher de front dans toutes nos provinces. Il faut que la situation financière des Flandres ne soit pas un obstacle à l'application du remède destiné à combattre leur misère dans sa source.

Si l'on tient compte de la nature des ressources budgétaires, je ne crains pas de dire que dans aucune province les communes ne font des sacrifices aussi considérables pour l'enseignement primaire. J'ajouterai que la Flandre orientale paye environ le sixième des subsides de l'Etat et qu'on lui en restitue à peine la moitié. Je ne m'étendrai pas d'avantage pour le moment sur ce point, car je ne pourrais que répéter les réclamations incessantes que le conseil provinciale ! la députation permanente ont fait parvenir au gouvernement.

En attendant la révision de la loi, j'espère que le gouvernement interviendra plus largement qu'il ne l'a fait jusqu'ici dans les dépenses qui résultent de la construction d'écoles nouvelles et de l'agrandissement de celles qui existent. Il y a là un moyen indirect d'améliorer le sort si précaire d'un grand nombre d'instituteurs, en attirant dans les écoles les enfants payants qui souvent les fuient aujourd'hui.

Le quart des communes de la Flandre orientale manque de locaux, tandis que dans le Hainaut, par exemple, à 50 ou 60 communes près, il y a des écoles partout.

Je suis tenté de croire que la rigueur du règlement qui avait été adopté en 1852 pour la construction des écoles a souvent empêché les communes de mettre la main à l'œuvre. J'ai vu avec infiniment de satisfaction, dans le rapport de la section centrale, que le programme a été modifié. Les dépenses doivent avant tout être réduites aux besoins réels et je crois qu'il y a moyen de simplifier les constructions, sans nuire aux exigences de l'hygiène.

J'espère que les observations que je viens de présenter feront l'objet d'un sérieux examen de la part du gouvernement et qu'il avisera aux moyens de compléter l'organisation si longtemps retardée de l'enseignement primaire dans les Flandres.

M. de Breyne. - Messieurs, dans le libellé de l'article 102 je lis : « Encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice dans leurs fonctions. »

Je vois très volontiers figurer au budget une allocation pour cet objet, mais pourquoi, lorsque le gouvernement demande certaines sommes avec destination spéciale afin de développer l'enseignement et de stimuler l'émulation entre les instituteurs, pourquoi n'emploie-t-il pas ce qu'on lui alloue ? Si je suis bien renseigné, depuis deux ans aucun concours n'a été ouvert, aucun prix n'a été donné aux instituteurs communaux. Je demanderai à M. le ministre quels sont les motifs de cette inaction.

Je crois qu'il est indispensable, urgent d'encourager par tous les moyens possibles l'enseignement primaire dans nos écoles ; nous devons surtout travailler à stimuler, à encourager les instituteurs, fonctionnaires modestes qui se consacrent à l'enseignement de la classe la plus populeuse du pays. Nos instituteurs ne sont plus comme autrefois des magisters, des espèces de pédants ! Non. Ce sont des hommes instruits, hommes de capacité, hommes d'une conduite exemplaire, et qui méritent sous ce rapport toute notre considération, toute notre bienveillance.

Il est une autre observation que je désire présenter encore au gouvernement relativement à l'enseignement primaire ; je déplore l'état d'abandon où se trouve, surtout dans la province de Flandre occidentale, l'instruction gratuite des filles pauvres.

Depuis deux ans, toutes les administrations des villes, surtout, sont d'accord pour reconnaître que cette situation est déplorable. Plusieurs de ces administrations, dans leurs rapports annuels, ont signalé ces faits. Récemment encore, l'administration communale de Bruges a déclaré formellement que la négligence mise par les mères de famille à envoyer leurs filles aux écoles primaires est encore éminemment déplorable. En effet que fait-on ? Quelle est la conduite des parents ?

Quand les filles ont 4 ou 5 ans, on les envoie à 1 école dentellière. On leur met dans les mains un carreau ; elles font de la dentelle, et sont clouées à ce travail ; elles y consacrent toute leur vie. Mais l’enseignement intellectuel est nul dans ces établissements. On n’apprend à ces jeunes filles qu’à faire de la dentelle.

On ne leur enseigne pas même les travaux manuels dont elles auront un jour besoin dans leur ménage. Non ! La dentelle, exclusivement la dentelle.

Ainsi, pour donner un exemple de cette insouciance impardonnable, supposons deux écoles d'instruction primaire pour les jeunes filles dans une même localité Qu'on enseigne dans l'une à faire de la dentelle et par autre chose. Que dans l'autre, ou apprenne à faire de la dentelle, et qu'on emploie une heure par jour seulement à donner l'enseignement primaire : celle-ci sera abandonnée et l'autre aura tous les élèves. (page 990) Les intérêts matériels parlent malheureusement plus haut que les intérêts moraux.

Je crois que j’ai remplis un devoir en appelant l'attention du gouvernement sur cet état de choses.

Il faut qu'il fasse en sorte que cet abus disparaisse ; il y parviendrait, je pense, en adressant aux administrations communales et aux bureaux de bienfaisance des circulaires à cette fin, en accordant des encouragements à cette branche de l'enseignement primaire, en éclairant les populations sur leurs véritables intérêts.

Je dirais volontiers encore un mot sur la construction des écoles.

J'ai vu avec peine, dans le rapport, qu'une section a critiqué la construction de nouveaux locaux d'école, comme n'étant pas faite avec toute l'économie possible.

Quant à moi je dois dire que, dans mon arrondissement un grand nombre d'écoles ont été construites depuis un certain nombre d'années. Je n'ai pas de reproches à faire à ce sujet. Au contraire, je voudrais que les écoles fussent plus étendues ; que, sous tous les rapports, elles ne laissassent rien à désirer ; car lorsqu'on a besoin d'une école dans une commune, on ne doit pas perdre de vue que la population croît d'année en année.

Il faut songer, non pas seulement au présent, mais à l'avenir.

L’école doit être un véritable lieu d'agrément. Il faut charmer les yeux ; il faut un bâtiment convenable, confortable même. Il faut un local spacieux, bien aéré, une cour assez grande. Il faut en un mot rendre l'école attrayante pour les enfants.

Eh bien, au lieu de critiquer les établissements de cette espèce, je suis tout à fait d'une autre opinion, et je dirai que tout ce qui se fait sous ce rapport mérite les éloges du gouvernement et du pays, et j'ajouterai que si le gouvernement venait demander encore un million de francs pour construction d'écoles, je suis prêt à le lui accorder.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ce n'est pas la première fois que l'honorable député de Gand, M. T'Kint de Naeyer, élève la voix en faveur de l'enseignement primaire dans les Flandres. Déjà, à d'autres époques, l'honorable membre a critiqué la répartition faite par le gouvernement entre les diverses provinces, des subsides alloues dans l'intérêt de la propagation de l'enseignement primaire.

Moi-même, dans d’autres temps, j’ai soutenu les efforts qu'il a faits dans ce but.

Les critiques dont le gouvernement est l'objet sous ce rapport tiennent surtout à ce qu'on ne connaît pas bien le mécanisme de la répartition des encouragements accordés par le gouvernement en matière d'enseignement primaire.

Aussi, l'on semble faite un crime au gouvernement de ce que, dans la répartition des subsides de l'Etat, les Flandres n'ont pas une part proportionnée à celle des autres provinces. Mais la faute n'en est pas à l'administration centrale. La faute en est aux Flandres elles-mêmes. Le gouvernement n'accorde pas des subsides en vue d'une organisation à faire de l’enseignement primaire ; mais il règle les subsides sur l'organisation qui existe.

Une fois que l'on comprendra bien le système de la loi, on s'expliquera les anomalies apparentes en matière d'encouragements donnés par l’Etat à l'enseignement primaire.

Il est reconnu que, dans la Flandre orientale, l'organisation de l'enseignement primaire est moins complète que dans les autres provinces, et qu'il existe dans cette province un grand nombre d'écoles adoptées. C'est un régime qu'elle a préféré par économie et dont elle don subir les conséquences. Elle ne peut pas exiger de la part du gouvernement une intervention plus large dans les encouragements à lui donner pour sou enseignement primaire.

Voilà donc l'origine de cette apparente anomalie que l'on signale. C’est aux communes flamandes à faire en sorte que le gouvernement soit obligé d'intervenir d'une manière plus généreuse : il ne peut pas se soustraire à cette obligation.

Comment ! dit-on, 45,000 enfants reçoivent l'instruction primaire dans le Brabant et 51,000 dans le Hainaut, et il n'y en a que 25,000 qui la reçoivent dans la Flandre orientale !

Mais cela prouve précisément que d'après l'organisation qui est aujourd'hui adoptée dans la Flandre orientale, l'enseignement y est moins complet. Cela explique aussi comment le gouvernement y a contribué pour une moindre part que dans les autres provinces. Encore une fois, le gouvernement n'accorde pas à priori des subsides aux communes pour qu'elles développent l'enseignement primaire ; mais c'est ce développement qui décide de l'importance relative des subsides à accorder. Quand les communes feront plus de sacrifices, quand la province en fera davantage et insistera auprès des communes pour qu'elles fassent tout ce qu'elles peuvent faire, le gouvernement aussi contribuera pour une part plus grande.

Il en est de même, messieurs, pour les locaux d'écoles.

On a remarqué que dans la répartition des subsides pour les locaux d'écoles, la Flandre orientale obtient une part inférieure à celle accordée aux autres provinces.

C'est encore une fois le résultat de ce qui se fait dans la Flandre même.

Dans l'allocation des subsides destinés à encourager la construction de locaux d'écoles, le gouvernement prend pour point de départ ces deux considérations : d'une part, la constatation des besoins, et d'autre part, l'étendue des sacrifices faits par les provinces et les communes pour contribuer à la construction de ces locaux d'écoles.

Ce n'est pas la faute du gouvernement si la Flandre n'occupe pas le rang qu'elle devrait occupera ces deux points de vue. Ainsi lorsque dans d'autres provinces, on a constaté des besoins immédiats pour 22, pour 32, pour 16, pour 12 écoles, il n'y en a que 3 dans le Flandre orientale dont les plans aient été approuvés, et dont la nécessité urgente ait été constatée.

Les subsides du gouvernement sont proportionnels. Il faut que le gouvernement ail un point de départ dans les besoins constates et dans l'étendue des sacrifices auxquels se résignent les provinces mêmes.

Du reste, messieurs, on peut en être persuadé, je comprends, comme les honorables membres qui ont parlé, la nécessité pour le gouvernement d'encourager l'instruction primaire dans les Flandres.

Je rencontrerai en quelques mois les observations qui ont été présentées par l'honorable M. de Breyne.

Il a signalé un fait, réellement fort regrettable, sur lequel l'attention du gouvernement a déjà été appelée. Dans la dernière réunion de la commission centrale des inspecteurs provinciaux il en a été question, et pour l'année prochaine je pense que cette question fera l'objet d'une discussion approfondie avec présentation d'un plan à exécuter par le gouvernement.

Il s'agit des moyens d'introduire l'instruction primaire dans les écoles fréquentées par les filles pauvres. On constate avec peine que dans la plupart de ces écoles où vont travailler les filles pauvres, écoles très utiles d'ailleurs et qui ont été une immense ressource pour les familles dans les Flandres, on ne donne aucune espèce d'instruction.

Le gouvernement accorde à ces institutions un léger subside en vertu de l'article 25 de la loi qui dit qu'une partie du subside voté annuellement par la législature pour l'instruction primaiee aura pour destination spéciale :

« 1° D'encourager l'établissement de salles d'asile, principalement dans les cités populeuses et dans les districts manufacturiers ;

« 2° De favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes ;

« 3° De propager les écoles connues sous le nom d'ateliers de charité et d'apprentissage. »

Le gouvernement accorde donc, depuis de longues années, de légers subsides à un grand nombre de ces institutions. Mais du moment où l'on parle d'organiser dans ces institutions l'enseignement primaire, à donner sous le patronage du gouvernement, en général elles seraient disposées à abandonner le subside du gouvernement plutôt que de se prêter à cette immixtion du gouvernement. Il y a là des susceptibilités à respecter. Cependant il y a aussi à sauvegarder le grand intérêt social de l'enseignement primaire et à introduire des classes dans ces écoles.

Le gouvernement se préoccupe de cette matière. Les inspecteurs provinciaux s’en sont préoccupes depuis un certain temps et je pense que dans la prochaine réunion de ces messieurs, on arrivera à un système qui permette d'introduire l’enseignement littéraire dans ces petites institutions, qui d'ailleurs, comme j'aime à le répéter, font beaucoup de bien dans les Flandres puis qu'elles constituent le premier échelon de l'enseignement professionnel et que les enfants qui les fréquentent gagnent souvent de quoi soutenir en partie la famille à laquelle ils appartiennent.

L'honorable M. de Breyne a signalé aussi ce fait que depuis deux ans, il n'y a plus de distribution de récompenses aux instituteurs qui font preuve de zèle dans l'accomplissement de leurs fonctions. Messieurs, cela est vrai. Le gouvernement avait déjà beaucoup fait sous ce rapport, et peut-être est-il désirable que ces récompenses ne soient pas prodiguées.

D'ailleurs si le gouvernement n'a pas fait ces distributions de récompenses depuis deux ans, c'est que les autres matières qui figurent sous le même littéra ont présenté plus d'urgence et ont absorbé l'ensemble du crédit.

Le gouvernement se préoccupe des moyens de donner suite aux observations présentées par l'honorable M. de Breyne. Il y a sans doute beaucoup d'utilité à récompenser les meilleurs instituteurs. C'est une pratique à l'aide de laquelle nous avons obtenu des résultats excellents et il ne faut pas y renoncer. Telle n'est pas, du reste, l’intention de l'administration.

M. Rodenbach. - Messieurs, nous consacrons des sommes beaucoup trop considérables à l'instruction supérieure, moyenne, athénées, collèges, etc. Mais je suis d'avis que, pour l'instruction primaire le chiffre porté à notre budget n'est pas assez élevé et que l'on exige trop de sacrifices de la part de nos pauvres communes des Flandres.

On a parlé, à l'occasion de l'incident de Cappellen, des écoles normales, notamment de celle des filles. Je dois déclarer qu'avant l'institution des écoles normales, l'instruction, dans la Flandre occidentale, laissait beaucoup à désirer. Depuis qu'on a érigé des écoles normales, qu'on en a subsidié comme celle de Thourout, l'institution primaire est considérablement améliorée.

On peut en dire autant de Thielt, où il y a une école normale des filles. Depuis que cette institution existe, et elle ne date que de quelques années, nous avons, dans beaucoup de nos villages, d'excellentes institutrices.

Elles enseignent la langue française, la langue flamande, l'arithmétique, l'histoire et la géographie, et elles attachent surtout une grande importance à enseigner la religion tandis qu'avant l'institution des écoles normales, l'instruction était dans un état d'infériorité.

(page 991) Il en était de même des écoles normales de jeunes gens ; maintenant, nous avons des instituteurs qui possèdent des connaissances bien au-delà de ce qu'on pouvait espérer, quand on considère le chiffre de leurs émoluments.

L'honorable député de Dixmude a dit que les écoles de filles pauvres devraient être établies dans des bâtiments plus ou moins luxueux, de nature à attirer les enfants indigents.

Je pense, messieurs, que ce qu'il faut ce ne sont pas des locaux somptueux. Dans la commune que j'habite il y a 5 ou 6 écoles fréquentées par plus de mille enfants ; on enseigne aux jeunes filles à faire de la dentelle, ce qui leur permet de gagner quelque chose et voilà ce qui les attire.

Sous ce rapport les maîtresses et notamment les sœurs de la Charité font un bien immense dans les Flandres : elles achètent du fil à dentelle, elles font faire de la dentelle par les enfants et le bénéfice qu'elles réalisent elles le donnent aux parents ; elles font plus, elles distribuent aux enfants de la soupe et des vêtements. Aussi les élèves arrivent par centaines.

Eh bien, messieurs, le croiriez-vous ? ces sœurs de la Charité, on leur fait payer patente et des contributions.

Il n'est pas exact de dire, messieurs, que dans ces écoles, où les enfants apprennent un métier, ils ne reçoivent pas d'autre instruction. Bien au contraire, on leur apprend à lire, à écrire et à calculer.

On leur apprend aussi le catéchisme ; on leur inculque des sentiments religieux et moraux. Tout cela, messieurs, est digne des plus grands éloges et dernièrement un Anglais d'un mérite éminent a parcouru la Flandre occidentale ; il a été partout et il a été frappé de l'admirable organisation de ces écoles.

A son retour en Angleterre il a publié dans une revue un rapport sur tout ce qu'il avait vu et il nous a ainsi attiré l'admiration de ses compatriotes.

Dans l'une de nos sections un honorable membre a témoigné le désir que dans les écoles primaires on enseignât les premiers éléments de l’art d'instruire les sourds-muets et aveugles. Il existe en Belgique environ 4,000 aveugles et sourds-muets ; j'admets que sur ce nombre il n'y en ait que 500 qui soient en état de recevoir de l'instruction, mais aujourd'hui il n'y en a peut-être pas 150 qui en reçoivent. Le nombre de ceux qui sont abandonnés est donc considérable.

Il ne faut pas, messieurs, des connaissances transcendantes pour instruire ces malheureux ; il existe un manuel par le chanoine Carton, de Bruges, qui naguère a été couronné à Paris et qui est de nature à mettre parfaitement les instituteurs primaires à même de se livrer à l'instruction des sourds-muets.

Il suffirait pour les aveugles de leur donner quelques lettres en plomb, quelques tables à écrire, cartes géographiques en relief, etc. Ils pourraient ainsi développer leur intelligence et être mis à même de subvenir à leurs besoins. Car on ne gagne pas seulement sa vie avec un métier manuel.

J'appelle l'attention de M. le ministre sur le point de savoir si à l'aide d'un ouvrage sur l'instruction des aveugles et du manuel dont j'ai parlé, on ne pourrait pas mettre les instituteurs à même d'instruire les sourds-muets et les infortunés privés du sens précieux de la vue.

Il ne serait pas nécessaire pour cela, messieurs, d'augmenter les émoluments des instituteurs, car ils pourraient s'occuper de ces malheureux en même temps que des autres élèves.

M. Verhaegen. - A l'occasion du chapitre de l'enseignement primaire, j'ai deux observations essentielles à faire ; l'une est relative aux écoles normales épiscopales, l'autre concerne la suppression de certaines écoles communales.

Si j'ai été l'un des adversaires les plus prononcés de la loi de 1842, ce n'est pas une raison pour que je n'en demande pas l'exécution franche et loyale aussi longtemps qu'elle n'aura pas cessé d'exister.

Les principaux arrêtés qui régissent les écoles normales soul les suivants :

1° Arrêté de réorganisation des établissements. 28 juin 1854.

2° Arrêté prescrivant un plan d'études à suivre par les professeurs et par les élèves. 30 septembre 1854.

3° Arrêté portant répartition des points assignés aux divers examens. 6 février 1855.

Ces arrêtés sont reproduits dans le dernier rapport triennal, pp. 86, 98 et 116 des annexes.

L'arrêté du 28 juin 1854 a modifié profondément les dispositions réglementaires antérieures, notamment les règlements des 7 mars 1846 et 9 août 1847 relatifs aux examens de sortie des élèves instituteurs. Voir ces règlements aux pages 97 et 99 des annexes du troisième rapport triennal, période 1849 à 1851.

Les écoles normales épiscopales au nombre de 7 sont régies par un règlement commun, annexé à l'arrêté royal du 17 décembre 1845 (premier rapport triennal, page 407 des annexes) et par l'arrêté du 29 octobre 1846 réglant tout ce qui est relatif aux examens de sortie des élèves instituteurs (ibid. page 431).

Le ministre a exposé dans le quatrième rapport triennal, pages 55 et 56 du texte (voir entre autres les paragraphes numérotés 5 et 6), les avantages de la réorganisation des écoles normales de l'Etat opérée par l'arrêté du 28 juin 1854 rappelé ci-dessus.

Plus loin aux pages 76 et 77 du même rapport, il a donné un aperçu des dispositions qui régissent les écoles normales épiscopales.

En comparant les passages cités, on voit que les mêmes règles ne sont pas appliquées à tous les établissements. C'est d'ailleurs ce qui est reconnu par le gouvernement.

Les diplômes qu'on délivre aux diverses écoles ont la même valeur en ce sens qu'ils confèrent à tous les diplômés des droits égaux, pour l'obtention des places d'instituteurs communaux (droits certes exorbitant ) ; dès lors, ces diplômes ne devraient-ils pas être délivrés dans les mêmes conditions ? Eu d'autres termes, l'admission aux cours normaux, la durée des études, les programmes des cours et surtout les examens de sortie, tout cela ne devrait-il pas être traité de la même manière dans les divers établissements ?

Il est dit dans le quatrième rapport triennal (texte, page 77) que le ministre négocie la réorganisation des écoles normales épiscopales avec les évêques, chefs de ces établissements ; mais est-il besoin d'une semblable négociation ? Le gouvernement n'a-t-il pas le droit de déterminer lui-même les conditions auxquelles les écoles sont tenues de se soumettre pour continuer à jouir du bénéfice de l'agréation, aux termes de l'article 10 de la loi de 1842 ?

Ce droit est incontestable, le gouvernement en a déjà usé pour les écoles normales des filles. (Voir les règlements relatifs à l'enseignement normal des élèves institutrices, pages 188, 195 et 206 des annexes du quatrième rapport triennal.)

Les élèves instituteurs formés aux écoles normales primaires sous le régime de la loi de 1842 sont au nombre de 1,076 dont 483 ont été formés aux écoles normales de l'Etat et 593 aux écoles normales de l'épiscopat (quatrième rapport triennal, texte, page 58, n° 65 et 109, n° 85).

Et on permettrait à l'épiscopat de former les élèves professeurs comme il l'entend, et ces élèves jouiraient des privilèges d'enseigner dans les écoles communales ! Ce serait le moyen de faire de la Belgique un peuple de crétins.

Mais si cela était permis à l'épiscopat, cela nous serait aussi permis à nous, libéraux.

Que dirait-on, si nous annexions à l'université libre de Bruxelles des cours normaux primaires, et, si en nous soumettant seulement au régime d'inspection établi par la loi de 1842, nous réglions de notre autorité privée les conditions d'admission, la durée des études, l'étendue des programmes et les examens de sortie ? On crierait à l’absurde, à l'hérésie, que sais-je ? et cependant ne devons-nous pas, aux termes de la loi, être mis sur la même ligne que l'épiscopat ?

Un mot maintenant sur les constructions de maisons d'école.

Dans une note remise à la Chambre, il y a peu de temps, M. le ministre annonce que les projets de construction de maisons d'école, arrêtés par les communes et approuvés par les députations pour être exécutés en 1857, sont au nombre de 121 ; qu'il y aura à faire de ce chef une dépense de 1,250,252 fr. 99 c. et que pour suppléer à l'insuffisance des ressources des communes ainsi que des provinces, applicables à cet objet, l'Etat devra accorder des subsides s'élevant ensemble à fr. 305,179 70. Cependant il se borne à proposer au budget l'allocation d'un crédit de 100,000 fr. Il y aura donc un déficit de 203,179 fr. 70 c.

On n'indique pas les moyens que l'on compte employer pour combler ce déficit.

J'engage le gouvernement à donner suite au projet de loi élaboré sous l'administration de l'honorable M. Rogier, et qui a pour but de compléter en peu d'années, et à des conditions très avantageuses, l'organisation matérielle des écoles dans les diverses communes du pays, ce projet est reproduit dans le troisième rapport sur l'instruction primaire, pages 107 et 108 du texte, et pages 220 et 229 des annexes.

L'école communale doit être la règle et l'école privée adoptée ne doit être que l'exception, aux termes des articles 1 à 4 de la loi de 1842.

Et cependant il y a une tendance à remplacer les écoles communales par les écoles privées adoptées.(Voir le 4ème rapport triennal, texte, pages 134 et 135.)

Divers locaux d'école appartenant aux communes sont mis à la disposition d'instituteurs prives (4ème rapport triennal, p. 263 des annexes) et néanmoins les instituteurs privés n'ont droit qu'à une indemnité pour l'instruction des enfants pauvres (article 5 de la loi de 1842). Lorsque la commune possède un local, elle doit être tenue d'y établir une école communale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen s'est occupé d'abord des règlement qui régissent les écoles normales, contrats de la construction de maisons d'école. Je vais avoir l'honneur de présenter à la Chambre quelques observations sur ces deux points.

Il est vrai que les élèves des écoles normales primaires de l'Etat et ceux des écoles normales épiscopales ne sont pas soumises absolument aux mêmes examens de sortie.

Une différence à cet égard a, si je ne me trompe, toujours existé ; quoi qu'il en soit, la question a été examinée par la commission centrale des inspecteurs provinciaux de l'instruction primaire dans sa dernière session, et le gouvernement, pour arriver à l'uniformité, compte (page 992) dans un avenir fort rapproché, réunir dans une commission ad hoc, les directeurs des deux écoles normales de l'Etat et l'inspecteur des écoles normales primaires, ensemble avec les directeurs des écoles normales adoptées.

L'honorable membre dit que pour établir l'uniformité, le gouvernement n'a pas besoin de négocier, qu'il a le droit d'imposer cette uniformité.

Mais là n'est pas la question ; mais il s'agit de savoir ce qu'il convient d'exiger des élèves normalistes à leur sortie, en d'autres termes, comment doit être organisé un bon enseignement normal primaire. Les directeurs des diverses écoles normales n'ont pas la même manière de voir sur ce qui peut constituer un bon enseignement normal primaire. Cette question est fort controversée.

Le règlement organique de 1854, invoqué par l'honorable M. Verhaegen, a déjà beaucoup simplifié l'enseignement normal dans les écoles normales primaires de l'Etat.

Il n'en est pas moins vrai qu'aujourd'hui encore il existe une certaine différence entre l'enseignement des écoles de l'Etat et celui des écoles épiscopales ; l'enseignement de l'Etat est plus complet, surtout pour la partie scientifique.

Mais, je le répète, ce n'est pas ici une question de droit, mais une question de convenance, au point de vue de l'utilité pratique de cette partie de l'enseignement. Il y en a même qui prétendent qu'il ne faut pas donner dans les écoles normales primaires un enseignement scientifique aussi complet que celui qu'on donne ou qu'on est censé donner dans les établissements de l'Etat ; car, en fait cette différence n'est pas à beaucoup près, aussi grande qu'elle semble l'être par l'inspection du programme.

D'ailleurs, les examens de sortie ne sont pas non plus aussi différents que semble le croire l’honorable préopinant. Ces examens sont présidés par l'inspecteur des écoles normales primaires tant pour les élèves des établissements de l'Etat que pour ceux des établissements épiscopaux ; or, ce fonctionnaire peut, par la direction qu'il donne aux examens, rétablir un peu l'équilibre et faire disparaître quelques-unes des différences.

Cependant, je suis de l'avis de l'honorable préopinant, et c'est la conclusion à laquelle on est arrivé dans la commission centrale de l'instruction primaire. L'uniformité doit être établie.

Je ne sais pas cependant si l'état actuel des choses est aussi défavorable que le croit l'honorable membre, aux élèves sortants des écoles monnaies primaires de l'Etat. Dans la commission centrale des inspecteurs provinciaux, on paraît croire en général que cet état de choses n'était rien moins qu'avantageux aux écoles normales primaires épiscopales.

L'honorable préopinant dit que les diplômes obtenus par les élèves de ces dernières écoles ont la même valeur que les diplômes des élèves des établissements de l'Etat ; oui, la même valeur matérielle, si vous voulez ; mais si cet état de choses devait se perpétuer, il est évident que les diplômes délivrés aux élèves des écoles primaires de l'Etat auraient plus de valeur, aux yeux des administrations communales, que les diplômes délivrés aux élèves des écoles normales primaires épiscopales.

L'honorable préopinant recommande aussi au gouvernement les constructions des maisons d'écoles.

On a déjà fait beaucoup sous ce rapport. Il y a cinq ans, un crédit extraordinaire d'un million a été voté dans ce but. L'année dernière, on avait déjà dépensé 800,000 fr. sur ce crédit. Il restait à distribuer 200,000 fr. ; cette répartition a été faite, car chaque province a encore un reliquat assez important pour qu'on puisse y donner suite aux constructions de maisons d'école dont les plans ont été examinés.

Cette dépense est certainement très utile ; mais je ne crois pas qu'il faille précipiter les choses. D'ailleurs, en dehors ou million qui a été consacré à cet objet, le gouvernement a affecté annuellement à la même destination une somme de 75,000 fr.

Le gouvernement propose aujourd'hui d'augmenter ce crédit d'un quart ; de le porter à 100,000 fr., bien entendu comme crédit permanent.

Si nous voulions nous presser trop, en ce qui concerne les constructions de maisons d'écoles, nous pourrions être entraînés dans une dépense qui a été évaluée par une commission spéciale, nommée il y a quelques années, à 8 millions de francs ; et notez que cette commission ne tenait compte que des dépenses plus ou moins urgentes.

L'honorable membre a encore signalé la tendance qu'auraient certaines communes à renoncer à l'école communale en faveur d'écoles adoptées.

Messieurs, les communes sont jusqu'à un certain point libres d'en agir ainsi. Cependant cette tendance n'a jamais été que je sache favorisée par l'administration centrale ; bien au contraire. Quoi qu'il en soit, cette tendance est plutôt le résultat de la situation financière déplorable dans laquelle se trouvent beaucoup de communes.

Voilà la vérité ; beaucoup de nos communes reculent devant les frais de l'organisation de l’enseignement primaire. C'est pour cela que je ne donne pas suite au projet de loi présenté par M. Piercot d'interpréter d'une manière nouvelle l'article 25 de la loi de 1842. Vous savez que le but de ce projet est de forcer les communes à intervenir au moins pour un tiers dans les dépenses de l'enseignement primaire. Or, cette proportion est rarement atteinte aujourd'hui, surtout dans nos petites communes.

En présence de cette obligation, plutôt que d'organiser un enseignement dont elles devront payer au moins le tiers, les communes adopteront des écoles privées.

Je crois avoir rencontré toutes les observations de l'honorable membre.

M. Verhaegen. - Messieurs, les observations que j'ai faites, je les ai puisées, comme je l'ai dit, dans les divers rapports triennaux qui nous ont été distribués par le gouvernement ; et quant aux écoles normales j'ai été singulièrement étonné de voir que les établissements privés qui jouissent des mêmes avantages que les établissements de l'Etat ne sont pas soumis aux mêmes conditions. Il est certain que les diplômes que confèrent les établissements privés soumis à l'inspections donnent les mêmes droits que les diplômes délivrés par les établissements de l'Etat. Le nombre des élèves sortant des établissements privés est plus considérable que le nombre des élèves sortant des établissements de l'Etat, il y a donc là pour l'Etat une grande concurrence. Je ne me plains pas de la concurrence que peut rencontrer l'Etat, mais quand des établissements privés sont mis sur la même ligne, ont les mêmes avantages que les siens, on devrait leur imposer les mêmes obligations.

D'après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, les programmes des établissements de l'Etat sont sous le rapport scientifique plus complets que ceux des établissements privés, ce qui lui a fait dire, que les communes prendraient plutôt pour instituteurs des élèves des établissements de l'Etat que des élèves des établissements privés. Soyons francs et disons qu'avec certaines influences qui existent dans les communes, s'il y a une préférence à donner, ce ne sera pas à des élèves sortant des établissements de l'Etat qu'on la donnera. Je n'ai pas besoin d'en dire davantage pour faire comprendre ma pensée. C'est cette phrase du rapport qui m'a frappé ; je me suis demandé si, eu égard à cette position, il y avait lieu à négocier. Le gouvernement a le droit de faire exécuter les conditions qu'il veut mettre à l'agréation des écoles normales épiscopales. Il ne s'agit pas de négociation, cette négociation peut et doit durer longtemps et en attendant les élèves sortant des établissements épiscopaux viennent occuper les places d'instituteurs dans les écoles communales. Ce ne sont pas des négociations, que le gouvernement doit entamer, ce sont des conditions qu'il a le droit d'imposer. S'il y a plus de science dans les programmes des établissements de l'Etat, on vous dit qu'il y a dans les programmes des établissements épiscopaux quelques choses qu'il conviendrait d'y ajouter et qui se trouvent dans les programmes des établissements épiscopaux. Savez-vous ce que cela me fait craindre ? C'est que la science soit sacrifiée et que les établissements de l’Etat suivent les établissements épiscopaux, se mettent à leur niveau. Je crains que les négociations dont on nous parle aboutissent là. C'est un objet de la plus haute importance sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre. Je ne sais si les programmes des établissements épiscopaux contiennent encore la mention des matières d'enseignement que j'ai trouvées dans les premières. Voulez-vous les connaître ? J'ai vu qu'on enseignait dans ces établissements le chant grégorien et la manière de fabriquer les cierges. Si nous devons mettre les programmes de nos établissements en harmonie avec ceux des établissements épiscopaux, nous donnerons à nos populations une instruction qui aura pour résultat de faire du peuple belge un peuple de crétins.

M. Malou. - Je ne m'occuperai que d'une question. L'honorable préopinant a donné à la loi de 1842 une interprétation qu'elle ne comporte pas. Le but de la loi de 1842 n'est pas d'avoir des écoles communales partout, mais de pourvoir, dans l'intérêt des communes, à l'enseignement des enfants et notamment des enfants pauvres. Si on se place au point de vue du législateur de 1842, il ne s'agit ni de restreindre, ni d'encourager, de développer les adoptions d'écoles privées, il faut laisser les communes juges de ce qu'exigent et leur situation financière et les besoins de l'instruction.

La loi ne dit pas qu'il faut restreindre l'adoption ou l'introduire partout où cela est possible, elle a un autre but : c'est de donner l'instruction aux enfants pauvres. La loi a établi trois espèces d'écoles : les écoles exclusivement communales, les écoles adoptées, ce qui est un régime intermédiaire, et les écoles purement privées. Quand il y a des écoles privées qui suffisent aux besoins de l'enseignement, la commune est dispensée d'avoir une école à elle. (Interruption.) Elle peut être complètement dispensé, quand il est pourvu par la liberté à l’enseignement de la jeunesse.

La dispense peut être totale ou partielle ; car la commune peut avoir une école à elle, et si elle ne suffit pas, une école adoptée ; elle peut avoir une école adoptée pour donner l'enseignement aux pauvres, en abandonnant à cette école la subvention pour les enfants pauvres et en lui fournissant un local.

Dans la loi de 1842, il n'est écrit nulle part que l'adoption doit être restreinte, qu'il faut maintenir, malgré la commune, les écoles communales proprement dites.

- La discussion générale sur le chapitre est close.

La Chambre décide que la commission chargée d'examiner l'affaire de Cappellen sera composée de sept membres nommés par le bureau.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.