Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14 janvier 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 439) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Baugniet, juge de paix du canton de Perwez, présente des observations sur le projet de loi relatif à l'organisation judiciaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Les sieurs Leclercq, Koene et autres membres du conseil administratif de la société centrale d'agriculture, présentent des observations sur la situation que font à l'agriculture les droits qui pèsent sur les houilles et les fontes. »

« Mêmes observations des habitants de Jurbise, Couture-Saint-Germain, Grand-Leez, Quevy-le-Grand, Strée, Bruxelles, Grand-Hallet, Lichtervelde, Sivry, Bierset, Barbançon, Poncet, Herquegnies, Athès, Heusies, Hacquegnies, Haine-Saint-Pierre, Puissant, Hcnnuyères, Braine-l'Alleud, Geest-Gerompont-Petit-Rosière, Féluy, Lens-sur-Geer, Fontenelle-lez-Walcourt, Grosage, Lens, Tervueren, Wamont, Rhode-Saint-Genèse, Steenhuysen et Nivelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Des négociants en tourteaux et agriculteurs dans les Flandres demandent que le nouveau tarif des douanes déclare les tourteaux de -graines oléagineuses de toute espèce libre à l'entrée. »

- Même renvoi.


« Le sieur Sloots, ancien brigadier des douanes, prie la Chambre de statuer sur sa demande relative à la révision de la pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des entrepreneurs de messageries et de voitures publiques à Gand demandent l'abolition des lois sur la poste aux chevaux. »

- Même renvoi.


« Des veuves de blessés de septembre, décorés de la croix de Fer, demandent une augmentation de pension. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Debruy prie la Chambre d'allouer au département des.finances l'allocation nécessaire pour couvrir les frais d'impression des lois et des arrêtés qui en règlent l'exécution, ainsi que des instructions formant le Recueil administratif pour les employés des contributions directes, douanes et accises, et demande que l'abonnement à ce recueil se soit plus obligatoire pour ces employés ou du moins pour ceux dont le traitement ne dépasse pas 2,000 francs. »

- Même renvoi.


« Des habitants de communes dans le canton de Louvegné demandent que le ressort des notaires soit étendu à l'arrondissement judiciaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Winand demande qu'il soit mis plus de célérité dans l'expédition des affaires relatives aux pensions. »

- Même renvoi.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le ministre de l'intérieur, de 110 exemplaires de l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, pour 1857.

« 2° Par le sieur Jamar, de 110 exemplaires d'un compte rendu illustré des fêtes de juillet 1856. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Composition des bureaux des sections

Composition des bureaux du mois de janvier

Première section

Président : M. de La Coste

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Crombez

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Deuxième section

Président : M. Osy

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. de Perceval

Rapporteur de pétitions : M. de T’Serclaes


Troisième section

Président : M. Le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Lesoinne

Secrétaire : M. de Steenhault

Rapporteur de pétitions : M. Vanden Branden de Reeth


Quatrième section

Président : M. Moreau

Vice-président : M. Van Cromphaut

Secrétaire : M. de Moor

Rapporteur de pétitions : M. de Paul


Cinquième section

Président : M. Laubry

Vice-président : M. Mascart

Secrétaire : M. Van Renynghe

Rapporteur de pétitions : M. de Ruddere de Te Lokeren


Sixième section

Président : M. Rousselle

Vice-président : M. Matthieu

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Vander Donckt. - Messieurs, d'après la tournure qu'a prise hier la discussion générale sur le projet de loi qui est soumis à nos délibérations, je me suis décidé à soumettre, à mon tour, quelques observations à la Chambre.

On vous a parlé d'abord de l'examen d'élève universitaire et l'honorable M. Lelièvre propose de le rétablir.

Messieurs, j'ose espérer que la Chambre, après la discussion approfondie qui a eu lieu à ce sujet, ne reviendra plus sur une décision prise après mûre délibération. Car en présence des inconvénients graves que soulève cet examen, je crois qu'il ne convient pas de le rétablir dans le programme des études universitaires.

Un second point, messieurs, ce sont les bourses. Je ne suis pas adversaire des bourses. Je crois, pour ma part, qu'il est bon, qu'il est du devoir même du gouvernement de soutenir par des encouragements pécuniaires les élèves qui ont réellement des dispositions heureuses pour se distinguer dans les sciences et les arts. Mais ce que je n'entends pas, c'est qu'on accorde ces bourses à des établissements déterminés.

C'est à l'élève qu'il faut accorder la bourse ; c'est l'élève qu'il faut encourager et non pas l'établissement. Je crois que c'est réellement dévier de la bonne voie, que de les accorder à des institutions spéciales, car c'est là une sorte de partialité que l'on témoigne pour telles institutions au préjudice des autres institutions du pays.

Il est vrai que le gouvernement a son enseignement à lui. Mais il ne faut pas oublier d'un autre côté que toutes les institutions de l’enseignement supérieur puisent leur force et leur source dans la Constitution et font partie intégrale de l'enseignement national. Par conséquent, il n'est pas juste de favoriser telle institution au préjudice de telle autre, au moyen des deniers des contribuables.

Comme je l'ai dit, je comprends qu'on accorde des encouragements à des élèves qui se distinguent dans leurs études humanitaires. Mais je ne comprends pas que l'on favorise telle institution au préjudice d'une autre.

La section centrale propose de supprimer toute espèce de distinction honorifique. C'est là encore une mesure que je ne puis approuver. Messieurs, si vous supprimez toute espèce de distinction, vous supprimez en même temps toute espèce d'émulation, de moyens d'encouragement. Car quand on considère les efforts que fout les bons élèves, à quelles études longues et pénibles ils se livrent pour se distinguer et pour obtenir la palme sur leurs égaux.

Eh bien, niveler tous les examens, n'accorder aucune distinction honorifique à ceux qui réellement en méritent et font preuve de connaissances transcendantes dans les sciences et dans les arts, je suis fondé à dire, permettez-moi l'expression, que c'est un véritable coup d'éteignoir donné aux sciences. Ce n'est pas de cette manière qu'il faut encourager les études sérieuses universitaires ; j'ai vu de tout temps que ces distinctions données avec discernement et avec justice, étaient un puissant stimulant pour relever le niveau des études. Or, aujourd'hui, on se plaint en général de ce que le niveau des études baisse. Eh bien, en supprimant toute espèce d'émulation, tout principe d'émulation, évidemment vous faites en sorte que l'élève n'a plus d'autre intérêt, n'a plus d'autre but que d'obtenir son diplôme. Quand il a ce diplôme, tout est dit. Il n'y a plus d'amour-propre, il n'y a plus d'émulation, il n'y a plus aucun motif qui doit le pousser à faire des études sérieuses au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour obtenir son diplôme.

Je ne partage donc nullement cette manière de voir de la section centrale, et je voterai contre la proposition.

On a beaucoup parlé, messieurs, de la simplification des matières. En ce qui concerne le droit, je parle ici devant un très grand nombre d'hommes très compétents et qui eux-mêmes appartiennent au droit, appartiennent même au professorat en droit. Je n'examinerai donc pas les simplifications qu'on a proposées, quant à l'étude du droit. Mais pour la médecine il y a aussi quelque chose à redire, et là encore il y a à simplifier. On a dit : En ce qui concerne les hommes de l'art médical, il faut qu'ils aient des connaissances fort étendues et des connaissances générales, des connaissances approfondies de leur art. J'en conviens, mais vous tombez ici dans les mêmes défauts que pour le droit. En surchargeant leur mémoire d'objets nécessaires aux études, qui ne sont pas rigoureusement nécessaires pour être bons docteurs en médecine, vous empêchez ces élèves d'approfondir les points essentiels de leur art. Lorsqu'ils se présentent à l'examen, ils ont la mémoire surchargée de matières accessoires, ils passent un examen superficiel, ils obtiennent leur diplôme, et comme on l'a dit hier pour le droit, trois ou quatre mois après ils ont oublié tout ce qui n'est pas strictement nécessaire pour les études de l'art.

Je crois que c'est encore là un grand défaut et que si l'on fait la révision des matières du programme pour le droit, il est de toute nécessité d'en faire autant pour la médecine.

Mais on me dira : Cette révision a été faite en section centrale ; celle-ci a déjà simplifié le programme pour la médecine. Elle a supprimé l'hygiène, la logique.

Messieurs, je dois le dire, on a précisément choisi les matières les plus essentielles pour les supprimer. Comment ! vous supprimez l'hygiène ! Mais l'hygiène fait si strictement et si rigoureusement partie intégrante (page 440) des connaissances médicales, que le docteur qui ne l’a pas étudiée ne mérite pas le nom de docteur. L'hygiène doit faire essentiellement partie du programme sur lequel le récipiendaire est interrogé et examiné et l’on ne doit pas se contenter d'un simple certificat.

Il y a la logique. La section centrale a supprimé la logique, pour les hommes de l'art ! Il ne faut plus que le docteur en médecine sache raisonner logiquement ; il ne doit plus étudier la logique ; il doit tout simplement produire, à son examen de candidat, un certificat de logique. Je comprends que l'on dise que la logique n'entre pas strictement dans les matières de l'examen de candidat en médecine, mais ce qu'il ne fallait pas faire, c'est de supprimer, comme l'a fait la section centrale, de supprimer la logique pour l'examen préparatoire. De tout temps et à l'ancienne université de Louvain même, la logique faisait partie de l'examen en philosophie, de l'examen préparatoire aux études médicales, de même que le docteur en droit était obligé d'avoir fait des études de logique. Ici encore vous voyez combien grave est la lacune. J'admets qu'on supprime la logique pour l'examen de candidat en médecine, mais je n'admettrai jamais qu'on la supprime pour l'examen préparatoire aux études universitaires.

J'ai une dernière observation à faire, au sujet des certificats. Je ne suis pas très enthousiaste des certificats ; si je les accepte c'est comme vu pis-aller ; comme un mal nécessaire ; mais le certificat, messieurs, pour beaucoup de matières accessoires, je le déclare franchement, il vaudrait beaucoup mieux effacer les matières du programme tout en les enseignant, si on le veut, que d'exiger un certificat de fréquentation, car en définitive, cela se réduit à une question d'argent : il s'agit de payer le cours et à la fin du cours, de demander au professeur un certificat. Je crois, messieurs, que c'est là une affaire qui doit être révisée.

Je me réserve, messieurs, de présenter d'autres observations lorsque nous en serons arrivés aux articles.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Transmission du projet amendé par le sénat

M. le président. - Nous venons de recevoir du Sénat le projet de loi sur les denrées alimentaires qui a été amendé. Nous pourrions le renvoyer à la section centrale qui a examiné le projet de loi primitif.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion générale

M. Frère-Orban. - Messieurs, nous recommençons pour la vingtième fois une même discussion sur les jurys d'examen, et ce qui n'est pas moins sérieux, c'est que pour avoir été recommencée si souvent, cette discussion est encore loin d'être épuisée.

Cependant, lorsque après de longues études et des débats solennels, ou était arrivé, il y a vingt ans, à constituer ce que l’on nommait un grand jury national, ou se persuadait qu'on était arrivé à une solution assez satisfaisante des difficultés qu'on avait rencontrées, et surtout qu'on avait eu le bonheur de créer une institution unique dans le monde.

Je ne me fais pas une position à part dans cette appréciation ; j'ai, comme les autres, admire l'institution du jury ; j'ai été plein d'admiration quand je l'ai vu siéger majestueusement dans la capitale, chargé d'examiner toute la jeunesse. J’ai été encore plus ravi lorsque ce jury, pour la commodité du plus grand nombre, a été divisé et après avoir reçu, des mains du Roi, des présidents, est allé se promener de ville en ville pour apprécier, juger, classer, mesurer la capacité de tous les jeunes étudiants.

On les a examinés à tous les âges et à tous les degrés d'instruction.

Messieurs, je dois vous dire que récemment j'ai été très profondément humilié et déçu ; je croyais encore que nous avions fait, pour une situation qui semblait exceptionnelle, une découverte magnifique dans la création de ces jurys ; et savez-vous où j'ai trouvé que notre système était mis en pratique et fonctionnait depuis un millier d'années ? C'est en Chine.

J'ai trouvé dans votre bibliothèque, un livre non ancien, mais récent sur l'enseignement eu Chine, et j'y ai remarqué des choses qui méritent d'être signalées. Vous y reconnaîtrez, peut-être, ce que nous avons si heureusement découvert.

Il y a en Chine des jurys d'examen ; l'Empereur en nomme les présidents, et voici ce que l'auteur raconte :

« Les deux examinateurs choisis par l'empereur pour présider les concours de chaque capitale de province, partent de la capitale impériale cinq jours après leur nomination et voyagent aux frais de l’Etat (c'est comme chez nous) ; ceux qui se rendent à Canton reçoivent 600 onces (4 200 fr.) pour frais de route. Ils sont secondés par dix examinateurs assistants et par un grand nombre d'inspecteurs, gardes ou employés. Ces officiers et candidats se rassemblent au palais des concours.

« Ceux qui n'ont pas été rejetés à l'examen préliminaire, se réunissent à la huitième lune et entrent dans la salle du concours, après s'être fait inscrire au bureau du directeur de l'enseignement de la province. La liste de ce directeur doit indiquer l'âge, la figure (nous n'y avons pas pensé) le domicile et la famille de chaque candidat. Une copie de cette liste est déposée au bureau du sous-gouverneur. »

Mais bientôt ou déserte les cours, comme il est arrivé chez nous, parce qu'ils suffit de s'occuper de l'examen.

« Les Ming, continue notre auteur, ont promulgué des décrets pour maintenir l'ordre dans les collèges de province et obliger les élèves titulaires a en suivre régulièrement les cours ; mais leurs efforts ont été inutiles. Depuis que l'expérience a prouvé aux élèves que leur sort dépendait uniquement du résultat de l'examen du directeur de l'enseignement, ils ne viennent régulièrement au collège qu'à l'époque de sa tournée et travaillent chez eux avec des manuels. »

Les examens étant ainsi établis, il est donc arrivé que les Chinois ne se sont plus occupés que de l'examen, et qu'ils désertaient les classes. Mais ce n'est pas tout ; ils ont scandaleusement abusé de l'examen écrit, et on trouve, à ce sujet, dans la Gazette de Pékin un rapport identique à ; ceux qui ont été adressés au gouvernement belge et qui nous obligent aujourd'hui à nous occuper de cette affaire.

Voici ce qu'écrit le censeur impérial :

« Depuis plusieurs années, dit le censeur, les étudiants examinés sont très médiocres et peu familiarisés avec les textes classiques. Ils apportent avec eux certaines éditions des King, imprimées dans un format très petit et en copient des passages. Le débit facile de ces éditions les a multipliées chez les libraires. Les candidats les cachent dans leurs grandes manches, entrent en foule dans la salle et refusent, de se laisser visiter au bureau de l'enregistrement des noms. » Le censeur demande « que les officiers de la capitale publient des défenses-sévères contre l'impression de ces éditions et forcent les libraires à brûler toutes les exemplaires dans un temps déterminé. »

Mais l'empereur répond très sagement qu'il a déjà entendu parler de ces fraudes ; que toutefois s'il ordonnait la destruction de ces livres, il ne serait pas certain que ses édits fussent parfaitement exécutés.

Le gouvernement belge propose de couper le mal dans sa racine et de supprimer l'examen par écrit.

Je suis fort porté à croire que c'est parce que la Chine a été soumise à ce régime depuis un millier d'années, que ce peuple est rentré dans l'enfance.

Eh bien, nous sommes exposés, non pas précisément à rentrer dans, l'enfance, mais à nuire beaucoup aux études, si nous persévérons dans notre système de jury d'examen, car j'entends proclamer depuis un grand nombre d'années que les études sont dans un état déplorable. Mais heureusement pour nous le bon sens réagit ; on reconnaît qu'on ne peut maintenir un état de choses pareil ; qu'il faut absolument une réforme. Cependant, les choses sont arrivées à ce point, qu'on ne sait véritablement à quoi s'arrêter. Il y a unanimité pour proclamer que ce qui est est mauvais. Des remèdes, c'est parce qu'on ne sait pas en indiquer qui réunissent une majorité, qu'on emploie des expédients, qu'on fait de l'empirisme, qu'on déclare qu'on fera encore des expériences, pendant quelques années en modifiant quelque peu ce qui s'est pratiqué jusqu'à présent.

Nous avons, messieurs, une préoccupation qui me paraît beaucoup, trop grande ; nous craignons singulièrement les conséquences de la liberté, et nous croyons très peu au bon sens du public.

Si nous croyions un peu plus au bon sens du public, et si nous avions un peu plus de foi dans la liberté, est-ce que nous entourerions la délivrance des diplômes de cette série d'examens que vous connaissez, et pour arriver en définitive à ce résultat de ne rien faire pour les études et de ne donner à la société que des garanties complètement illusoires ?

On dirait que l'absence de précautions minutieuses doit exposer gravement la société, que si l'on n'intervenait pas pour lui garantir officiellement des avocats de premier ordre, des médecins savants, de très bons docteurs en philosophie et lettres, de très bons docteurs en sciences physiques et mathématiques, ce n'est pas encore assez, de très bons docteurs en sciences administratives et politiques, la société serait en péril.

Mais, messieurs, l'antiquité a-t-elle péri pour avoir manqué de bons docteurs en droit, pour avoir manqué de bons médecins ? La science ne s'est-elle pas suffisamment développée dans l'antiquité ? De quoi vivons-nous encore aujourd'hui ? Mais il me semble que pour les lettres et pour la philosophie, nous vivons encore de l'héritage de la Grèce. Sous quelle influence la Grèce s'était-elle ainsi développée ? Sous l'influence de la liberté. C'est précisément parce que la Grèce était soumise à moins d'entraves que l'Inde, qu'elle est arrivée à ces résultats qui font l'admiration de la postérité. Rome ne s'est-elle pas illustrée dans la science du droit et n'a-t-elle pas eu les plus savants jurisconsultes ? ; Ces jurisconsultes se sont formés par leurs libres études, dans les écoles sans doute, et ces jurisconsultes ont constitué ce corps de droit romain qu'on a nommé la raison écrite ? N'est-ce pas sous l'influence d'une entière et complète liberté que ces admirables résultats ont été constatés dans l'antiquité ?

Et dans le moyen âge même, a-t-on vu ces entraves que nous constatons aujourd'hui et surtout ce système contre lequel je m'élève ? En aucune manière, il y a eu de grands établissements d'instruction qui se sont successivement développés. Ces établissements d'instruction ont délivré des titres qui étaient purement scientifiques, et pour l'exercice des professions on était admis par le corps dans lequel on voulait entrer. Voilà ce qui est arrivé dans la succession des temps. Mais à l'époque même où l'on n'était pas tenu de se faire admettre dans l'un ou l'autre corps pour l'exercice d'une profession, Je moyen âge n'était pas non plus en péril ni dépourvu d'une grande activité intellectuelle.

(page 441) Dans les temps modernes, à côté de nous, ne voyons-nous pas des résultats analogues ? Que se passe-t-il donc en Angleterre ? Est-ce que l'Angleterre manque de jurisconsultes, d'hommes éminents, de médecins capables ? Est-ce que la société y est menacée ?

Mais en Angleterre, sur trente chanceliers que ce pays a eus depuis 1625 jusqu'en 1838, le tiers, dix de ces chanceliers, poste où l'on n'est admis qu'après s'être fait un nom de jurisconsulte, dix de ces chanceliers n'avaient jamais mis le pied dans une université. Voilà ce qu'atteste lord Campbell, dans un livre récent sur la vie des chanceliers d'Angleterre. Et ils auraient été à l'université comme y ont été beaucoup d'autres chanceliers, comme y ont été les trois derniers depuis 1838, que cela n'eût rien prouvé du tout, attendu qu'on n'apprend pas le droit dans les universités anglaises.

Les universités d'Oxford et de Cambridge n'ont pas de chaire de médecine ni de chaire de droit. La médecine s'enseigne dans des établissements considérables, formés par la corporation des médecins et des chirurgiens, et elle s'enseigne aussi par des praticiens, par des individus tout à fait isolés qui ont le droit d'enseigner la médecine ; et pour obtenir la licence d'exercer, on est admis par le corps des médecins.

Pour le droit, on fait à peu près ce qu'on veut. L'une des conditions principales, c'est d'avoir assisté à sept dîners de inns of court qui étaient autrefois des écoles de droit.

J'ai là, sous la main, un rapport fait par un comité au parlement après enquête, qui constate cet état de l'enseignement en Angleterre et si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, je vous donnerais lecture de quelques pages pour montrer que, en fait, l'exercice de la profession d'avocat est pour ainsi dire libre.

- De toutes parts. - Lisez ! lisez !

M. Frère-Orban. - La matière renvoyée à notre comité se divise naturellement en trois points : 1. L'état présent de l'éducation légale en Angleterre et en Irlande. Il. Les effets de cet état sur la profession légale et sur le publie en général. IlI. Les moyens pour le perfectionnement et l'extension de l'éducation légale dans ces deux contrées. Ces questions doivent être envisagées dans leurs rapports avec deux classes de professeurs légales, avocats plaidants el avoués, le diplomate, le législateur, le magistrat, le gentilhomme campagnard (the country gentleman) et le bourgeois. Dans cet ordre, votre comité, autant qu'il en avait les moyens, les a considérés, et maintenant il en présente les résultats à la Chambre.

I. - Etat présent de l'éducation légale en Angleterre et en Irlande. - L'université d'Oxford a seulement deux chaires de droit ; la chaire de droit civil, occupée par M. Phillimore et la chaire de droit commun, qu'on appelle aussi vinerian professorship, occupée par le docteur Kenyon. Comparée avec les nombreuses chaires de droit qui existent dans les universités du continent et spécialement dans celle de Berlin (qui compte 32 branches et 14 professeurs), l'instruction légale pour la masse en Angleterre serait fort peu satisfaisante, même si les deux chaires étaient convenablement occupées. Cependant tel n'est pas le cas. Le professeur Phillimore, dont le témoignage ne peut être mis en doute, ayant occupé la chaire pendant 30 ans, admet que, bien que les leçons qui doivent être données sont limitées au code de Justinien, ce devoir même n'est pas rempli où il l'est incomplètement. En ce qui concerne, dit-il, l’enseignement du droit civil, il est notablement tombé en désuétude à Oxford. « Le moyen le plus convenable, ajoute-l-ii, de donner des leçons serait de faire un cours sur Justinien. » Malheureusement il est fondé à dire que le cours actuel est un cours de pure forme. Et il n'y a pas là de quoi s'étonner.

« Il n'y a aucune obligation positive pour le professeur de donner des leçons de droit civil : l’examen actuel sur le droit civil en est au même point précisément que l'étaient les autres examens avant l'amélioration qu'ils ont reçue en 1809, alors que tout était de pure forme en ce qui concerne le grade.

« On introduisit alors des changements qui exigeaient plus de travail et de zèle pour l'obtention des grades ; mais ces changements, qui peuvent avoir été avantageux à d'autres branches, ont nui à l'étude du droit. Le contraste est peu favorable. La généralité s'en tient absolument aux premiers degrés depuis ce changement, et la conséquence en est que les autres études (c'est-à-dire celle du droit) sont laissées aux individus qui ont du goût pour elles ou qui veulent en faire leur profession.

« Il devient ainsi très difficile d'avoir une classe de droit civil à Oxford. « Il y a peu ou point d'étudiants. Les encouragements mêmes donnés à cette étude sont tout à fait inopérants.

« Dans certains collèges, il est vrai, les étudiants doivent prendre leurs grades dans le droit civil pour conserver leurs bourses et une des conditions pour pratiquer dans les cours ecclésiastiques est d'avoir le grade de docteur en droit civil. Si ces grades étaient conférés comme preuve et récompense d'application et de mérite, on pourrait en attendre de bons résultats, mais la seule condition pour les obtenir actuellement est d'avoir passé un certain nombre de jours au collège, sans même avoir assisté aux leçons, d'avoir subi un examen purement formel ou, pour parler plus exactement, purement nominal et que l'on ne peut même pas renforcer pour le grade de docteur.

« Ainsi après un laps de sept ans, ce qui ne veut pas dire sept ans d'étude, pour le grade de bachelier, et 12 1/2 ans pour le grade de docteur, l'étudiant est censé avoir terminé ses études légales et peut pratiquer, avec la permission de l'archevêque de Canterbury, dans les Doctor's Commons.

« Il peut y avoir plus d'étude privée en cette branche que le public ne le suppose, mais il est tout à fait évident que l'instruction nécessaire pour l'acquisition du droit civil n'est pas donnée à Oxford en public. Le devoir du professeur a dégénéré en une pure sinécure.

« Le traitement à la vérité n'est pas élevé. La dotation est un peu en dessous de 100 livres l'an, avec une part dans les amendes, une stalle de la cathédrale de Salisbury et un salaire d'environ 56 livres l'an.

« Le docteur Phillimore, indépendamment de sa chaire de droit civil, pratique à la cour des Arches, à la cour de prérogative, à la cour d'amirauté et préside le cours consistorial d'Oxford, de Worcester et de Bristol. Sa position d'avocat à l'amirauté ne lui donne qu'un droit de préséance.

« Le département du droit commun est quelque peu mieux aménagé. La chaire Vinériane, fondée et dotée par M. Viner, à la suggestion de Blackstone, est établie pour enseigner le droit commun de l'Angleterre, Les statuts ordonnent un cours d'une année, consistant en 24 leçons d'une heure, dont la division et l'arrangement sont entièrement laissés à la discrétion du professeur. Le cours ne s'étend à aucune autre matière que le droit commun, mais ce droit commun comprend, selon le docteur Kenyon, le droit civil el le droit commun tel qu'il est pratiqué en Angleterre et dans les colonies. Le plus grand nombre des élèves à présent est d'environ 38, mais on doit se rappeler qu'il n'y a aucune obligation d'y assister, excepté pour ceux qui reçoivent un bénéfice de la fondation.

« Il n'y a ni grades dans le droit commun, ni honneurs, ni même examens, excepté quelques examens accidentels el seulement dans quelques collèges, Christ church par exemple, et ceux-ci sont privés et ne s'étendent pas au-delà de Blackstone. Un semblable cours qui n'a pas longue durée, qui n'est pas consécutif, qui ne s'étend pas au delà de l'enseignement d'un seul professeur, qui n'est pas renforcé par des examens,, ni par des honneurs, qui n'est suivi que par une très- etite partie des étudiants de l'université, quels que puissent être les efforts ou le mérite individuel du professeur, n'a plus le caractère d'instruction légale que le cours de droit civil.

« Votre comité ayant ainsi dûment examiné et considéré les faits, est arrivé, etc. »

Ainsi, messieurs, voilà l'état de l'enseignement du droit dans les deux universités principales de l'Angleterre. Remarquez que c'est le droit que doivent connaître ceux qui demandent à être autorisés à pratiquer dans les cours ecclésiastiques. Mais pour être autorisé à pratiquer dans les autres cours, ces choses de pure forme ne sont pas même nécessaires. Les particuliers qui se destinent au barreau s'attachent en général à quelque avocat dont la clientèle est déjà formée, étudient la pratique des affaires et obtiennent de ces écoles, dont je parlais tantôt, l'autorisation de plaider après avoir assisté à sept dîners.

Je ne prétends pas plus que le comité de la chambre des communes, du rapport duquel je viens de donner quelques extraits, que ce soit là un état de choses satisfaisant, que ce ne soit pas un état de choses qui ne doive être essentiellement réformé. Ce que je constate seulement, c'est que cet état de choses existe depuis un très grand nombre d'années en Angleterre et que, malgré tout, les intérêts des Anglais n'ont pas encore été trop compromis. Ils ont su trouver des avocats et l'on a su former en Angleterre des jurisconsultes distingués, des hommes du premier mérite. Ce que je constate, c'est que l'on s'exagère, au point de vue des garanties sociales, l'importance des brevets de capacité délivrés sous l'estampille du gouvernement.

Naturellement, comme le dit quelque part le comité dans son rapport, on n'aurait pas eu moins d'hommes remarquables, s'il y avait eu de bons établissement, où l'on pût faire de bonnes études, et nous verrons tantôt que c'est ce que je réclame pour justifier une proposition dont j'ai indiqué les bases principales dans ta section centrale.

Aux Etats-Unis, messieurs, les études sont meilleures. Il y a des établissements d'instruction qui se perfectionnent notablement pour le droit et pour la médecine, où l'on fait d'assez bonnes études, où l'on obtient des diplômes scientifiques, api es un temps, cependant, qui n'est pas bien long.

Ensuite, pour être admis à exercer la profession, on se fait admettre, en général, pour la médecine, par le corps des médecins, qui dans plusieurs Etats, ont reçu des chartes d'incorporation ; pour le droit, par les avocats ou par les coins de justice qui délèguent certains de leurs membres à l'effet d'examiner ceux qui veulent exercer la profession d'avocat. Je ne pense pas non plus que la société américaine soit en décadence, ni que l’intérêt des hommes y ail été compromis au point d'exiger des mesures aussi graves, aussi compliquées, je dirai presque aussi attentatoires à la liberté, que celles dont nous jouissons depuis un certain nombre d'années.

Messieurs, il faut reformer l'institution que nous avons, mais quels eu sont les vices ? S'est-on bien rendu compte du mal qui nous ronge et auquel il faut porter remède ? Je ne le pense pas. Je crois que l'on se trompe d'une manière absolue et que l'on ne réussira pas à corriger l'institution. Lorsque l'on considère les matières d’enseignement et que l’on compare le programme de nos universités au programme des principales universités de l’Europe, nous voyons que, quant au nombre de matières, nous sommes réduits au strict nécessaire, que le programme des matières d'enseignement n'est assurément pas surchargé.

Et cependant de quoi s'occupe-t-on ? Sous prétexte que c'est le grand nombre de matières qui nuit au développement scientifique en (page 442) Belgique, que c'est le grand nombre de matières qui donne un caractère si fâcheux aux études, on propose de réduire le nombre des matières d'examen, on propose soit des certificats pour justifier ce qu'on nomme les matières accessoires, soit le moyen plus radical indiqué par l'honorable M. Orts dans la séance d'hier, de supprimer même les cours. Et, pour le dire en passant, l'honorable membre a eu tort de s'élever si fort contre les certificats, du moment où son opinion était qu'on pouvait supprimer les cours : supprimer les cours ou exiger des certificats qui ne seront pas la preuve qu'on a fait des études, c'est absolument la même chose.

M. Orts. - Il y a la différence entre la vérité et le mensonge.

M. Frère-Orban. - La vérité sera dans les deux hypothèses à peu près la même ; mais ce que je fais remarquer c'est que le mal n'est pas là, c'est que quant aux matières d'enseignement nous n'avons rien d'extraordinaire, eu égard à ce qui existe dans les autres universités de l'Europe, et je nie qu'il y ait une seule matière dans le programme qu'on puisse utilement, convenablement supprimer.

Savez-vous, messieurs, ce qu'on propose de retrancher ? C'est toute la partie scientifique de l'enseignement universitaire. Et pourtant si l'on admet cette suppression ou si l'on admet les certificats dans les conditions du projet de loi, qu'aura-t-on fait ? Absolument rien. Il y avait un grand nombre de matières sur lesquelles les jeunes gens devaient être interrogés, ils s'absorbaient dans l'étude des manuels, des questionnaires pour ces diverses matières ; ils étaient interrogés pendant un temps plus ou moins long sur chacune d'elles. Eh bien, après votre réforme, les jeunes gens seront absorbés par l'étude des manuels, des questionnaires pour les parties qui resteront soumises aux examens et sur lesquelles ils seront examinés pendant un temps beaucoup plus long Dans le système précédent, avec toutes les matières d'examen, il y avait à coup sûr énormément d'inconvénients: mais l'élève avait encore une bonne chance, c'est qu'il était interrogé pendant si peu de temps sur chacune des matières, qu'en réalité il pouvait réussir à échapper à la nécessité de répondre à certaines questions.

Le gouvernement avoue, dans l'exposé des motifs du précédent projet de loi, qu'il y avait des matières pour lesquelles le temps accordé aux interrogateurs était de cinq minutes, et c'était le moyen de juger de la capacité des jeunes gens, le moyen de juger de leur aptitude et de leur science ! C'est vraiment à n'y pas croire.

Mais où est donc alors le vice ? Le vice est dans le jury d'examen.

Le jury d'examen, comment le composez-vous ? Sous prétexte, non par le désir de sauvegarder à la fois l'intérêt de la science et l'intérêt de la liberté d'enseignement, vous le composez de professeurs rivaux, vous le composez de professeurs, quel que soit le mode que vous adoptiez, jury combiné, jury central ou tout autre, vous arrivez toujours à faire un jury d'examen composé de professeurs rivaux et par conséquent vous arrivez à une absence complète d'impartialité, à une absence complète de justice, et par conséquent aussi, pour les jeunes gens qui doivent comparaître devant un pareil jury, qui leur est suspect à tant de titres, à un véritable effroi, à une crainte perpétuelle qui les accable, qui les empêche absolument d'étudier.

Ils n'ont plus qu'une préoccupation qui bannit toute réflexion et tout jugement : répondre littéralement aux questions qui leur sont adressées, répondre conformément aux manuels, répondre conformément à des questions posées d'avance dans les établissements d'instruction. Vous ne corrigerez jamais ce vice, aussi longtemps que le jury subsistera tel qu'il est constitué, et ce vice est celui, je le répète, qui fait tout le mal de la situation.

Le jury, tel que vous le composez, a un autre grand, immense inconvénient, c'est qu'il supprime en réalité l'enseignement supérieur ; il supprime l'enseignement supérieur et il supprime la liberté d'enseignement. L'enseignement supérieur qu'est-il devenu aujourd'hui ? C'est un cours de dictée.

Il faut à tout prix qu'on donne aux jeunes gens une quantité énorme de matières. Il faut qu'on les leur dicte pour qu'ils aient littéralement la science qu’on veut leur inculquer. Au lieu d'avoir un professeur libre dans sa chaire, ayant de l'initiative, de la spontanéité, ayant le feu sacre de la science et le communiquant à ses élèves, vous le réduisez, à sa grande affliction, au rôle d'une machine à dicter. Et cependant qu'est-ce que l'enseignement supérieur s'il n'est oral, s'il n'est entraînant, s'il n'est de nature à éveiller l'intelligence des jeunes gens et à fortifier la puissance de la pensée ?

Messieurs, la situation que nous avons est tellement dérisoire, qu'il est incontestable et qu'aucun homme compétent ne saurait nier que si l'on imprimait les manuels, les cahiers, il serait parfaitement inutile d'aller aux cours. Cela est tellement vrai, que vous l'avez vous-mêmes constaté, car tous vos efforts ont consisté naguère à chercher le moyen de retenir les élèves aux cours, et les professeurs eux-mêmes ont été les premiers à signaler la désertion.

Messieurs, cela est déplorable car le grand bienfait de l'enseignement supérieur, c'est précisément cette communication qui s'établit par la parole entre le professeur et les jeunes gens, et entre les jeunes gens réunis, qui les stimule et leur donne l'amour de l'étude.

Vous supprimez la libellé d'enseignement, vous disais-je tout à l'heure, et, en effet, vous avez l'ombre de la liberté, mais vous n'en avez plus la réalité. Vous avez, par la constitution de votre jury, un monopole à quatre, et tous les efforts tendent à fortifier, à accroître les effets de ce monopole. Il n'y a point de place dans votre système pour l’établissement qui voudrait s'élever, car vous exigeriez qu'il présentât les conditions d'un établissement complet ; pour garder l'harmonie de votre loi, vous le repousseriez, parce qu'il n'aurait qu'une faculté, à plus forte raison une chaire libre.

Il faut, aux établissements qui existent, une espèce de protection douanière qui les préserve de toute concurrence. Un homme du plus grand mérite se présenterait en Belgique, dans ce pays qui a proclamé de la manière la plus complète, la plus absolue, la liberté d'enseignement: il voudrait y donner un cours qui serait éminemment utile à la jeunesse, il ne le peut pas : Qui suivra ce cours ? Pourquoi ? A quoi bon ? Ce professeur serait sans titre, sans droit, sans qualité.

Si des établissements se formaient, dit-on, on leur fera une place dans ce monopole, on changera la loi, on s'arrangera pour les faire également intervenir. Mais quand donc voulez-vous qu'ils puissent se former ? Précisément la loi exige qu'ils vivent et ils ne peuvent vivre que si vous leur donnez la liberté. Ils ne sauraient se constituer à priori, avoir des élèves à priori, pour venir vous dire ensuite : Je demande à entrer dans votre monopole. Vous les empêchez précisément même de naître. Si un établissement d'instruction, parmi ceux qui vivent dans le monopole, venait à acquérir une réputation très grande, à briller d'un éclat immense par la science de ses professeurs, et s'il s'attirait à lui une foule d'élèves, il périrait dans votre système. Il ne se passerait pas deux sessions qu'on aurait appris à ce glorieux établissement qu'il a une réputation usurpée ; que, s'il attire tous les élèves, c'est une tromperie, c’est un piège ; que les résultats des examens prouvant bien qu'on n'y apprend rien, qu'on y enseigne très mal, que ces professeurs si savants et dont on proclame partout la renommée, sont absolument incapables de faire de bons élèves ! et voilà ce que vous nommez le régime de la liberté d'enseignement !

Messieurs, je crois qu'il est réellement temps de sortir d'une pareille situation, qu'il faut rentrer dans la vérité, qu'il faut accepter les conséquences des principes que nous avons proclamés.

Veuillez bien remarquer que je ne suis pas du tout hostile aux examens ; au contraire, je considère les examens comme indispensables dans tous les degrés de l'enseignement ; mais ce que j'attaque, c'est la place où vous mettez ces examens ; ce que j'attaque, ce sont ceux à qui vous confiez ces examens, et dans les conditions où vous les placez. Ce que je veux, c'est que vous ne dénaturiez pas le caractère de l'examen.

Que faites-vous de cet examen si utile et si nécessaire ? Une chose absurde, la mesure de la capacité. Mais d'abord l'examen tel que vous le faites ne peut servir à constater la capacité ; l'examen d'ailleurs est un stimulant, c'est un moyen de pousser les jeunes gens à l'étude, de s'assurer qu'ils arrivent progressivement à acquérir les connaissances qu'on veut leur inculquer.

Où donc doit être l'examen ? Dans l'école ; il faut que le professeur examine, qu'il examine fréquemment, pour pouvoir, à la fin des éludes, délivrer à l'élève le certificat, le diplôme, le titre scientifique quelconque qui atteste qu'il a fait chez lui des études ; et le professeur, dans ces conditions-là, est véritablement le juge, le boa juge, le seul juge possible, le seul juge équitable de l'élève.

On ne peut pas juger en une heure, en deux heures, de la capacité d'un élève. Mais le professeur connaît les aptitudes et l'intelligence de l'élève ; il le connaît, parce qu'il l'a suivi pendant toute l'année, seul moyen de l'apprécier. Le professeur qui les examine ainsi, tient compte aux élèves de leurs aptitudes diverses. Tel élève n'a pas la pénétration très vive, mais il est laborieux ; il le sait, il l'a constaté, il ne s'étonne pas que cet élève réponde médiocrement à l'examen ; il est certain que cet élève, quoique répondant imparfaitement à l'examen, a les conditions nécessaires pour acquérir des connaissances et pour remplir utilement son rôle dans la société. Tel autre élève a beaucoup plus d'activité intellectuelle, plus de facilité, plus de pénétration ; mais il est paresseux ; le professeur le stimule davantage par l'examen ; il lui accordera encore le diplôme, le certificat, à la fin de l'année, quoiqu'il sache bien que l'élève n'a pas beaucoup travaillé ; mais il sait aussi que ce jeune homme, arrivé à certaine heure, saura prendre son élan, reconquérir le temps perdu et occuper sa place dans le monde.

Mais avec votre jury composé d'hommes rivaux et qui ont intérêt à faire échouer l'élève, que deviennent toutes ces conditions d'appréciation ?

C'est, messieurs, pénétré de ces idées que j'avais formulé, pour le soumettre à la discussion comme avant-projet, non pas un système invariable et définitif dans cette matière délicate, mais un système qui me paraît se rapprocher autant que possible de ce que l’expérience nous enseigne et de ce qu'exigent les véritables intérêts de la science et de la liberté d'enseignement.

Ce système consiste en ceci: créer deux jurys, l'un scientifique, l'autre professionnel ; devant le jury scientifique, tous ceux qui ne voudraient faire aucune espèce de justification dont je parlerai tout à l'heure, pourraient se présenter pour subir l'examen dans les conditions actuelles.

A côté de ce jury, siégerait le jury professionnel, devant lequel on serait admis à subir un examen sur les matières pratiques de l'examen. Je demande que l'on produise à ce dernier jury les titres, pièces, diplômes, certificats n'importe de quelle nature (le jury les appréciera), propres à (page 443) établir qu'on a fait des études complètes en humanités, et ensuite qu'on a fait quatre années d'études universitaires, s'il s'agit du droit et de la médecine, et deux années d'études, s'il s'agit du notariat et de la pharmacie.

Le résultat de ce système est de reporter l'examen là où il doit être placé ; c'est-à-dire dans l'école, et de donner des garanties suffisantes à la société par l'institution du jury appelé à faire subir un examen sur les matières pratiques.

Et notez-le: dans ma pensée, ce jury fait subir un examen sommaire. C'est le contrôle des certificats ; mais du moment où le jury a la conviction que les titres, pièces, diplômes certificats, émanent de personnes compétente, notoirement vouées à l'enseignement, probes, ne délivrant pas par trafic les certificats, ce jury ne fera que soumettre à un examen en quelque sorte nominal ceux qui demanderont la licence pour exercer.

Et je dis qu'en procédant ainsi, je me rapproche beaucoup plus de la liberté absolue qu'avec un examen professionnel qui serait entouré de beaucoup de formalités pour lesquelles on montrerait de grandes exigences, parce que dans cette hypothèse on serait encore absorbé par l'enseignement professionnel, on serait trop exclusivement préoccupé des matières pratiques, on négligerait trop les matières scientifiques ; je m'approche plus de la liberté absolue, parce qu'en définitive, le jury que j'institue ne faisant que subir un contrôle aux certificats produits devant lui, exige moins qu'un jury qui fait subir un examen plus complet, plus approfondi, sur les matières professionnelles.

Ce système soulèvera naturellement des objections ; la première c'est que dans ce système le niveau des études va considérablement s'abaisser.

Je demande si nous pouvons descendre plus bas que le niveau que nous avons aujourd'hui ? Vous proclamez que nous sommes arrivés à une situation déplorable, intolérable ; depuis vingt ans ou ne fait qu'accuser la déchéance des études supérieures. Nous ne pouvons donc pas craindre d'avoir une situation pire.

Mais je vais vous dire comment nous aurons une situation beaucoup meilleure.

Dans mon système, d'où peut provenir l'abus ? De la délivrance sans trop de souci des certificats, des diplômes. Eh bien, j'entends que le gouvernement soumette ses établissements à un régime qui donne des garanties aux familles, à la société, que l'on y fait de bonnes études. Je veux qu'un système raisonnable, sensé, d'interrogations, d'examens se pratique dans l'établissement et que l'on impose ainsi la règle aux autres établissements, aux établissements libres. On dira : Mais si vous soumettez les établissements de l'Etat à un régime quelque peu sévère, on désertera ces établissements et l'on se réfugiera dans les établissements libres où l'on aura beaucoup plus de facilité pour obtenir les certificats, les diplômes.

Eh bien, je ne crains pas ce résultat ; il est possible, je ne le redoute pas ; il se présentera à un certain degré, dans le principe, je l'admets. Mais dans ma pensée, l'Etat ayant des établissements d'enseignement, doit avoir des établissements irréprochables ; l'Etat n'a pas à se préoccuper du nombre des élèves, il a à se préoccuper de la science et de la manière dont on la communique.

Le nombre des élèves fût-il très restreint, il y aura pour cela même nécessité impérieuse, indispensable, de maintenir ces établissements d'enseignement ; ils seront en quelque sorte le dépôt de la science dans le pays. Mais ne croyez pas que je redoute beaucoup la désertion des établissements de l'Etat. J'ai foi dans le bon sens du public.

Est- ce que vous vous imaginez que la masse, le plus grand nombre, se portera vers les établissements où l'on n'apprendrait rien, où l'on donnerait des certificats, des diplômes pour de l'argent, chose qui serait notoire en très peu de temps, après les premiers certificats délivrés ?

Est-ce que vous croyez que les parents ne préféreront pas les établissements bien dirigés où l'enseignement est bien donné, bien surveillé, aux établissements où l'on ne donne pas d’instruction ?

On suppose toujours que du moment où l'on pourrait se dispenser d'étudier, on n'étudierait pas.

On part de cette supposition, généralement on l'admet ; je la tiens pour essentiellement fausse, et je le prouve. Ou a annexé à l'université de Liège une école des mines, arts et manufactures. Personne n'est obligé de s'y rendre ; on n'exige pour aucune espèce de profession ou emploi un diplôme de cette école. Eh bien, la foule y accourt, cette école regorge d'élèves ; il faut agrandir les locaux ; le gouvernement sera obligé de demander des fonds pour agrandir cette école. Personne n’est obligé d’y aller, mais on y va pour acquérir la science. Le régime y est-il commode, y est-il facile ? C’est presque un internat. Les jeunes gens sont appelés dès le matin à suivre les cours, l’après-midi ils font leurs études en commun sous des répétiteurs, ils sont soumis à des interrogations permanentes ; on accepte volontairement ce régime que personne n'est cependant tenu de subir.

Dans un établissement où un régime convenable serait adopté, où l'on serait assuré de faire de bonnes études, où l'on serait soumis à des interrogations, à des examens, pourquoi la foule n'irait-elle pas ?

Du reste le système que j'ai l'honneur de proposer n'est pas dépourvu des garanties accessoires qui ont pourtant leur importance. Ainsi j'exige que les certificats, les diplômes constatent qu'on a étudié pendant quatre années. Remarquez que c'est là une garantie très réelle, très sérieuse ; pour la supposer inefficace, il faut admettre que les familles, pendant un espace de quatre années, consentiront à voir leurs jeunes gens absolument désœuvrés, ne travaillant pas, ne suivant pas les cours des professeurs qui leur délivreront plus tard des certificats. Ce n'est guère admissible. J'ai exigé que les certificats soient signés en nom personnel, c'est-à-dire que j'ai appelé la responsabilité au moment où je donnais la liberté, Je n'admets pas le certificat donné en nom collectif qui n'entraîne aucune responsabilité et derrière lequel des hommes honorables pourraient s'abriter. Je demande une attestation signée en nom personnel, et je crois que lorsque les professeurs des divers établissements qui existent déclareront qu'un tel a fait chez eux des études, pendant un temps déterminé, ils ne déclareront pas un fait matériellement faux, et si même, sous ce rapport, des abus que je ne veux pas prévoir venaient à se révéler, il y aurait certainement des remèdes possibles à y appliquer. On pourrait stipuler des peines contre ceux qui délivreraient des attestation fausses, des certificats mensongers.

Lorsque ce système serait en pratique, ne verriez-vous pas renaître sur-le-champ la liberté d'enseignement, la liberté des études, la tranquillité, la sécurité pour les élèves et pour les familles ? On aurait la liberté d'apprendre comme on aurait la liberté d'enseigner. Aucun des inconvénients qui s'attachent au système actuellement en vigueur, ne se révéleraient dans le système dont je m'occupe.

Maintenant il faut avoir un jury. Il faut qu'il offre des garanties, de sérieuses garanties d'impartialité. Eh bien, j'indique pour le droit trois délégués de la cour de cassation, deux délégués de chaque cour d'appel pour examiner ceux qui se destinent à exercer la profession d'avocat.

Est-il possible de constituer un jury à la fois plus ferme, plus honnête, plus impartial qu'un jury ainsi composé ? Evidemment il offre des garanties à tout le monde. Je ne plaide la cause de personne, d'aucun établissement, je plaide la cause de tous et à ce jury il est impossible d'opposer un grief sérieux.

Pour la médecine il est à la vérité plus difficile d'arriver à un résultat soulevant aussi peu d'objections. Cependant, messieurs, un jury de neuf membres comprenant un délégué de chaque commission médicale provinciale, appelé à examiner ceux qui veulent exercer l'art médical ne présente-t-il pas de suffisantes garanties à la société ? Il ne s'agit pas de faire subir des examens scientifiques, je le répète. Il s'agit de déclarer à la société que l'individu qui se présente est un individu qui peut, sans de grands inconvénients, se livrer à l'exercice de la médecine.

Voilà tout ce que la société a le droit d'exiger. Elle ne peut en demander davantage ; et elle cherche inutilement à obtenir plus de garanties, lorsqu'elle organise une série d'examens comme ceux qui ont été établis jusqu'à présent. Car de l'aveu de tout le monde, ces examens, dans les concluions où ils sont faits, si nombreux, si multipliés, ne prouvent en vérité rien.

Ainsi, messieurs, ou bien il faut préserver dans le système chinois que nous avons, ou il faut se résoudre à en sortir d'une manière complète, et je pense que ce serait uniquement par une réforme d'après des bases analogues à celles que je viens d'indiquer que nous pourrions arriver à un résultat qui serait à la fois satisfaisant et pour la liberté d'enseignement et pour la liberté des études.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, l'honorable orateur que vous venez d'entendre est parti de ce point que les études universitaires se trouvent, dans notre pays, dans une situation déplorable, dans une situation telle, que le niveau n'en saurait plus baisser.

Messieurs, ce n'est pas seulement comme membre du gouvernement mais c'est comme ami de la vérité que je tiens avant tout à contester l'exactitude d'une assertion si exagérée.

Certainement, messieurs, que tous ceux qui se sont préoccupés de l'état de l'instruction en général, et de l'instruction supérieure, en particulier, dans ce pays, regrettent non pas que le nombre des connaissances ait diminué, mais que l'esprit scientifique tente à disparaître ; ce qui est une tout autre question.

La Belgique, comparée aux autres nations civilisées, n'a pas à rougir de l'état de son enseignement et des résultats généraux qu’il a produits.

Comme dans les autres pays, il y a chez nous, dans toutes les branches de la littérature et des sciences, des hommes du plus haut mérite, des hommes qui brilleraient sur de plus grands théâtres que la Belgique et qui occupent dans le monde littéraire et scientifique la place la plus éminente.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas contesté cela. J'ai rapporté ce que disent vos enquêtes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Permettez-moi d'achever.

Ces enquêtes l'ont précisément la distinction que j'établis. Mais si nous avons en général dans ce pays des professeurs et des élèves qui valent les professeurs et les élèves des autres pays, il est juste d'avouer que nous voyons malheureusement s'affaiblir et disparaître l'esprit scientifique ; l'amour de la science pour la science, le goût des études laborieuses et élevées sans arrière-pensée d'intérêt ou de calcul pour l'avenir.

(page 444) Ce résultat, hâtons-nous de le dire, n'est pas particulier à la Belgique. Il tient à d'autres causes qu'il est impossible d'énumérer et d'analyser dans ce moment. Il n'y a peut-être qu'une nation où cet esprit scientifique se soit conservé, et encore s'y plaint-on qu'il disparaisse insensiblement : c'est l'Allemagne.

M. Dumortier. - Et la France.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je n'admets pas qu'en France il y ait plus d'esprit scientifique qu'en Belgique. Je ne fais qu'une seule exception, c'est pour l'Allemagne ; cela tient au génie particulier de cette nation ; et encore, constate-t-on qu'en Allemagne même cet esprit scientifique disparaît singulièrement.

Je tenais, messieurs, à faire, au début de la discussion, cette distinction, d'après moi, essentielle.

Si l'esprit scientifique tend à disparaître, ce résultat tient-il à la forme donnée à nos examens, à la forme donnée au moyen de contrôler la science et de conférer les grades académiques ?

L'honorable M. Frère prétend que tout le mal est là. L'honorable membre a voulu par quelques spirituelles plaisanteries jeter la défaveur sur le mode d'examens universitaires qui a été suivi jusqu'à ce jour en Belgique. Il a découvert que ce système, que nous prétendons particulier à la Belgique et tout nouveau, est tout bonnement un système qui existe en Chine depuis mille ans. Messieurs, je crois que si l'on pouvait connaître à fond l'histoire de toutes les nations et de tous les temps, nous aurions à constater bien peu d'innovations, bien peu d'inventions.

Nous dirions avec Salomon, qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Nous dirions avec un écrivain moderne qu'il n'y a de nouveau que ce qui a eu le temps de vieillir.

Cette plaisanterie ne prouve donc rien contre le système en lui-même. Tout ce que je sais, c'est que ce n'est pas la Belgique seule qui établit un système d'examen à la fin des études ; tout ce que je sais, c'est que l'Europe intellectuelle tout entière a grandi sous ce régime ; c'est que depuis le moyen âge jusqu'à présent on a eu constamment sous une forme ou sous une autre des moyens de contrôle et d'émulation, des stimulants qu'on appelait examens.

Si donc on parle d'une expérience que le gouvernement propose de faire encore, je puis rétorquer l'argument contre l'honorable orateur et dire que le gouvernement qui fait une expérience. L'expérience existe ; elle est faite autour de nous. Mais si quelqu'un fait de l'expérience, c'est l'honorable M. Frère-Orban qui sort des voies habituelles et qui avec un système nouveau.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur. Mon système est ancien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'examinerai tout à l'heure en quoi il est nouveau, en quoi il s'écarte de ce qui existe aujourd'hui.

Le système préconisé par l'honorable M. Frère-Orban se présente, je l'avoue, sous une forme très séduisante. J'ai été moi-même jusqu'à un certain point partisan de ce système.

Il me semblait aussi qu'il offrait un moyen de résoudre, au nom de la liberté, le problème difficile des examens universitaires et que, sous le rapport de la science, il tendait à accorder en même temps plus de libellé aux professeurs et à l’élève. Mais, tout bien considéré, je me suis dit qu'un bon système d'examen doit être fait pour une moyenne de professeurs et d'élèves.

Le système préconisé par l'honorable M. Frère-Orban pourrait être excellent dans la supposition que nous n'ayons que des professeurs hommes de génie et des élèves distingués.

Donnez-moi un corps de professeurs de cette espèce, de jeunes gens comme ceux dont je vous parle, et j'admets le système de l'honorable M. Frère-Orban. Mais, messieurs, nous avons à établir un système conforme aux faits qui existent sous nos yeux, basé sur les réalités qui sont autour de nous.

Ainsi l'honorable M. Frère vous a cité toutes ces gloires de la civilisation ancienne, les grands orateurs, les grands littérateurs, les grands jurisconsultes de la Grèce et de Rome, du moyen âge et des temps actuels et il a constaté que tous ces hommes n'avaient pas de diplômes, n'avaient pas passé par nos examens, n'avaient pas même passé par un enseignement.

Messieurs l'honorable M. Frère a beaucoup trop prouvé. La conséquence de sa thèse, c'est qu'il ne faut plus d'examens du tout, ni plus de diplômes, c'est que, quoique l'on fasse sous le rapport des examens et des diplômes, on aura toujours des hommes distingués dans toutes les carrières ; c'est qu'il ne faut plus même d'enseignement, puisqu'on a eu dans tous les temps, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, des hommes supérieurs qui n'ont jamais suivi d'enseignement.

Sans doute, les hommes de génie, marqués du sceau divin, ne se forment pas petit à petit sur les bancs de l'école ; ils naissent avec les qualités extraordinaires que la Providence leur a départies ; et, quoi que vous fassiez, quel que soit d'ailleurs l'état intellectuel d'un pays, vous aurez toujours de ces hommes supérieurs.

L'honorable M. Guizot a remarqué quelque part, qu'au XIIIème siècle, il y avait une somme intelligence égale à celle dont nous nous glorifions aujourd'hui, seulement elle était autrement répartie. On a constaté qu'aujourd'hui même, en France, ce sont les deux provinces qui certainement ne sont pas citées généralement comme les premières dans l'ordre de la civilisation intellectuelle, que ce sont la Champagne et la Bretagne qui fournissent proportionnellement le plus grand nombre d'hommes de génie.

Ainsi, l'argumentation de l’honorable M. Frère-Orban n'est en rien concluante, des hommes supérieurs, vous en aurez sous tous les régimes, et quelle que soit l'organisation de l'enseignement et la forme des examens.

Je disais, messieurs, que le système de l'honorable M. Frère-Orban irait jusqu'à prouver qu'il ne faut plus de diplômes, opinion qu'a du reste spirituellement soutenue autrefois un de nos anciens collègues. Il va plus loin : il tend à prouver qu'il ne faudrait plus même d'enseignement, pour avoir des hommes remarquables, puisqu'il a rappelé ce fait historique que sur trente chanceliers d'Angleterre dix n'ont jamais fréquenté d'université.

Il faut donc, dit l'honorable membre, réformer ce qui existe.

Je suis aussi d'avis, messieurs, qu'il faut réformer ce qui existe. C'est ce que nous cherchons tous à faire. Mais l'honorable membre fait plus que réformer, il innove. Il sort des voies battues, il se lance dans un système nouveau dont il attend des résultats merveilleux (interruption) mais dont d'autres personnes très compétentes en matière d'enseignement redoutent les conséquences.

Le système de l'honorable M. Frère n'est pas nouveau cependant, en ce sens que l'idée n'est pas nouvelle dans cette Chambre. Depuis 1835, il a été souvent question de ce système. Dans la discussion des différentes lois sur l'enseignement supérieur, il y a eu chaque fois des orateurs qui ont plus ou moins directement produit l'idée fondamentale de ce système, mais jamais cette idée n'a été nettement formulée par aucun membre des assemblées qui se sont succédé depuis vingt ans.

Ce fait, messieurs, prouve déjà quelque peu contre cette idée ; car si elle devait réellement concilier les intérêts de la liberté avec ceux de la science, on ne serait pas resté vingt ans sans en faire l'essai ; d'autant plus que c'étaient toujours des hommes distingués qui la soutenaient et qui auraient pu très bien la traduire en articles de loi.

Mais, messieurs, on en a toujours eu peur et on a eu peur au point de vue de la science. Certainement, au point de vue de la liberté, ce système semble offrir de grands avantages. Il simplifierait beaucoup la question. Pour l'apprécier dans ses conséquences, il s'agit de savoir quel doit être le caractère, le but de l'enseignement supérieur. Voulez-vous ne faire de nos universités qu'une fabrique de médecins et d'avocats ?

Alors tout est dit. Alors réellement tous les examens intermédiaires deviennent parfaitement inutiles. Je dirai même que l'Etat n'a pas le droit d'examiner comment vous êtes arrivés à réunir la somme de connaissances qu'il exige de vous, il n'a que le droit de vérifier si, entrant dans l'exercice d'une profession libérale, vous possédez des connaissances suffisantes pour offrir toute garantie à la société.

Mais, messieurs, ce serait là ne voir que le petit côté de la question. Il a toujours été entendu que les examens exerçant la plus grande influence sur l'enseignement même, le gouvernement et les Chambres ont pour mission de chercher par le système même adopté pour les examens, à élever le niveau des études ; que les universités ne sont pas seulement un moyen d'acquérir les connaissances nécessaires pour exercer telle ou telle profession libérale, mais que les universités doivent être des foyers de science, des lieux destinés par la culture des intelligences à favoriser le mouvement ascendant de notre civilisation.

Eh bien, c'est à ce point de vue-là qu'on a toujours redouté et que, pour ma part, je redouterais encore l'introduction du système défendu par l'honorable M. Frère.

Je sais bien que dans la pensée de l'honorable membre, ce système serait tout à fait favorable à la science, mais que la Chambre me permette d'examiner en peu de mots les motifs que l'honorable M. Frère a donnés à l'appui de cette opinion.

L'honorable membre croit que le système qu'il préconise donnerait aux professeurs beaucoup plus de liberté et beaucoup plus de spontanéité.

Qu'est-ce, de nos jours, que l'enseignement supérieur ? dit l'honorable M. Frère ; qu'est-ce qu'un professeur ? C'est une machine à dicter !

Messieurs, je ne voudrais pas, pour ma part, accepter la responsabilité d'une pareille définition. Tout ce que je sais, c'est que depuis longtemps déjà, on a compris les conséquences fâcheuses, au point de vue de l'enseignement, de cette habitude qui s'est emparée de nos professeurs de faire des dictées.

Pour ma part, dès le moment où j'ai eu à m'occuper de la question de l'enseignement supérieur, j'ai cherché, autant qu'il était en moi, à prévenir ce mal. Le professeur fait, en effet, une dictée, en ce sens ; qu'au commencement de chaque leçon il place certains jalons, et il pose certains principes auxquels il donne les développements nécessaires dans la suite de la leçon.

Voilà ce qui se pratique en général. C'est, d'une part, une partie de de la leçon pour ainsi dire perdue et d'autre part, cette dictée répand sur tout l'enseignement une froideur nuisible. Car, je suis d'accord avec l'honorable membre qu'il faut avant tout l'enseignement oral ; qu'i faut cette communication électrique de la voix, du regard et du geste, entre le professeur et les élèves, qu'il faut que le professeur soit animé du feu sacré de la science et qu'il sache le communiquer à ses élèves.

(page 445) M. Frère-Orban. - C'est ce que voudrait le professeur, mais il ne le peut pas avec le système actuel d'examens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'ai fait proposer aux professeurs de faire autographier la partie de leurs cours, qu'ils ont dictée jusqu'à présent, et de faire payer par le gouvernement les frais de cette impression.

Les professeurs mettraient leurs résumés à la disposition de leurs élèves et alors l'enseignement pourrait devenir complètement oral, le professeur pourrait consacrer toute la leçon au développement de la pensée.

M. Frère-Orban. - C'est impossible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - C'est tellement possible que j'espère le faire pratiquer d'ici à très peu de temps.

Je voudrais aussi que l'enseignement fût plus entraînant, plus chaleureux qu'il ne l'est aujourd'hui ; mais, il faut bien le dire, on ne trouve pas chez tous les membres du corps professoral ce même feu sacré.

La plupart sont des hommes déjà vieillis dans l'enseignement ; pour beaucoup le cours n'est déjà plus qu'une répétition annuelle.

Tous les professeurs ne sont pas hommes à se dévouer à la science pour la science ; tous même ne peuvent pas acquérir constamment les livres nécessaires pour se tenir au courant des divers progrès opérés dans le domaine scientifique. Enfin il y a aussi l'esprit d'habitude et de routine ; tous les professeurs ne sont pas des hommes d'initiative et il ne serait pas possible de trouver un corps professoral ainsi doué de toutes les perfections.

Tenez donc compte des faits ; reconnaissez que, dans tout corps professoral, à côté de quelques hommes de progrès, d'initiative, vous aurez des hommes qui se contenteront de développer plus modestement, mais souvent tout aussi utilement les points principaux de la science. Jamais vous n'aurez un corps professoral composé entièrement d'hommes à la parole entraînante et persuasive. Tous les cours ne se prêtent d'ailleurs pas à ces mouvements de l'éloquence.

Le mal ne tient donc pas aux examens, il tient aux habitudes, au caractère du professeur.

D'ailleurs, messieurs, est-il vrai que dans le système de l'honorable M. Frère-Orban, les professeurs auraient plus de spontanéité ? Je ne vois pas en quoi le professeur qui a de l'initiative peut être retenu aujourd'hui dans le développement de ses idées.

Dans votre système, avec les certificats que vous demandez, je suppose qu'il y aurait toujours un programme d'études, et ce programme, quoi que vous fassiez, sera à peu près le même pour tous les établissements.

Eh bien, parce que telle ou telle matière doit être enseignée, parce que telle partie d'un cours est enseignée cette année et telle autre partie l'année suivante, je ne vois pas que le professeur ait moins de spontanéité.

Qu'est-ce qui empêche le moins du monde le professeur de développer toutes ses convictions ?

Dans ce cadre d'études qui lui est tracé et qu'il se verra imposé sous tous les régimes, je ne vois pas le moindre obstacle au développement des idées du professeur. Chaque professeur jouit, au point de vue des méthodes et des systèmes, de sa pleine liberté et je ne sache pas qu'en Belgique l'enseignement supérieur soit sous ce rapport le moins du monde entraîné.

Quelqu'un a-t-il jamais songé à imposer des méthodes ? Eh bien, c'est dans la liberté des méthodes, des systèmes que consiste la liberté d'enseignement ; sous ce rapport, vous n'avez pas une plus grande liberté dans le système de l'honorable M. Frère que sous le régime actuel.

Il y a plus : sous le régime actuel, les examens publics présentent un avantage qui ne se rencontre pas dans le système de l'honorable M. Frère. Je pose en fait qu'un professeur vraiment digne de ce nom, est aussi libre sous le régime actuel qu'il le serait dans le système de l'honorable M. Frère.

Mais quel est l'avantage que présentent les examens publics ? c'est le contrôle exercé par un enseignement sur un autre enseignement du même genre. C'est un bienfait immense, dans l'intérêt de la science, que de mettre en contact, comme examinateurs, quatre professeurs enseignant la même matière dans quatre établissements différents. Bienfait pour la science même, bienfait aussi pour l'élève. On n'est plus en face de la science isolée d'un professeur, mais vous avez un enseignement scientifique complet, élargi par un quadruple contrôle.

L'honorable M. Frère parlait de la responsabilité qui incombe au professeur, dans son système, le professeur devant justifier, sous sa responsabilité que l'élève a fréquenté ses leçons.

Je trouve qu'il est autrement responsable dans un examen public ; la responsabilité du professeur, qui est une grande garantie de la bonté de son enseignement, existe tout entière pour les familles et pour le public dans des examens auxquels tout le monde peut assister et dont les résultats sont publiés.

Messieurs, si comme je l'ai dit au début de mes observations, tous les élevés étaient animés du feu sacré de la science, si tous les élèves voulaient sincèrement s'instruire et se faire une position brillante dans le monde, j'admettrais le système de l'honorable M. Frère. Mais malheureusement tous les élèves ne sont pas de cette trempe ; au contraire, les élèves distingués, forment, il faut bien le dire, l'exception, du moins sur les bancs de l'université.

Souvent leur intelligence se développe plus tard ; mais il est évident que, sur les bancs de l'université il leur faut un stimulant. L'honorable M. Frère le reconnaît lui-même.

Eh bien, l'examen est stimulant ; nous ne voulons pas lui donner un autre caractère ; nous ne voulons pas mesurer les capacités d'une manière absolue ; l'examen n'est qu'une mesure de capacité relative ; c'est parce qu'il tend à classer les élèves par ordre de mérite qu'il est un stimulant aux yeux des jeune gens et des familles.

Eh bien, l'immense majorité des élèves a besoin de ce stimulant. C'est une vérité tellement reconnue que ce principe est au fond des systèmes qui sont pratiqués dans tous les pays.

Messieurs, je ne veux pas pour le moment examiner l'organisation qui est indiquée par M. Frère.

J'ai voulu seulement dans l'état actuel de la discussion, constater que le système n'est pas applicable à la généralité des professeurs et à la généralité des élèves. Or, c'est pour la moyenne des professeurs et pour la moyenne des élèves que nous avons à formuler au système.

J'ai essayé de prouver aussi que les idées de l'honorable M. Frère ne tendent pas à donner plus de liberté au professeur, et ne doivent pas sous ce rapport, être considérées comme avantageuses, au point de vue de la science.

M. le président. - La parole est à M. de Theux, rapporteur.

M. de Theux, rapporteur. - J'y renonce pour le moment ; seulement je demanderai une explication ; l'honorable M. Devaux a proposé de discuter spécialement deux questions, la question du certificat et celle de la composition des jurys ; je demande si, lorsque la discussion générale sera close, il y aura encore une discussion générale sur chacun de ces deux points.

M. Devaux. - Il me semble qu'à la tournure que prend la discussion générale, elle porte principalement sur le certificat et la composition des jurys ; il serait dès lors possible que la discussion sur ces deux points fût épuisée dans la discussion générale ; je ne demande pas mieux qu'il y ait une discussion spéciale sur les deux questions dont il s'agit ; mais alors les orateurs devraient réserver les observations qu'ils ont à faire sur ces deux questions.

M. le président. - La parole est à M. Frère dans la discussion générale.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je désire répondre quelques mots à M. le ministre de l'intérieur qui me paraît avoir assez mal saisi ma pensée. Il a supposé que le système que j'indiquais et que j'ai livré à la discussion, plus pour appeler l'attention sur quelques moyens de corriger les vices que l'on constate que dans tout autre but ; il a supposé, dis-je, que ce système était une innovation extrêmement radicale et hardie.

Je trouve, au contraire, que ce système est celui qui se rapproche le plus du système pratiqué dans la plupart des pays et de ceux qui ont été pratiqués chez nous. (Interruption.)

Autrefois, me dit-on, aviez-vous la liberté d'enseignement ? Je réponds que cette liberté existait en réalité au point de vue où nous sommes placés, en ce sens qu'on pouvait aller chercher ses diplômes dans une foule d'universités, à Louvain, à Leyde, à Bologne, et ailleurs encore, et l'on était ensuite admis à l'exercice de la profession, à part la défiance qu'inspiraient les établissements libres qui délivraient des diplômes, y aurait-il autre chose dans le système que j'indique ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Voudriez-vous à chaque établissement libre ou officiel conférer le droit de délivrer des diplômes ou certificats ?

M. Frère-Orban. - Non, il n'est pas nécessaire pour avoir suffisamment de garanties, pour rendre la liberté à tout le monde, de rétablir ce système privilégié, exceptionnel que vous indiquez. Avec ou sans le droit, il n'y aurait ni plus ni moins de garanties.

Au fond, dans la réalité, quelle garantie aviez-vous sous l'ancien régime ? Quelles garanties trouvez-vous dans les pays comme l'Angleterre ou les Etats-Unis ?

En trouvez-vous plus que dans le système que j'ai indiqué ? On fait des études n'importe où, n'importe comment ; ces études faites, on en apporte la preuve au sein d'une corporation de médecins ou d'avocats, chargée d'examiner celui qui veut exercer l'une ou l'autre profession et l'admission constate que les candidats ne compromettront pas les intérêts dont la défense leur sera confiée ou la vie de leurs malades.

Voilà en quoi ce système n'est que l'application d'une idée ancienne qui est en pleine vigueur, dans la réalité des faits, en Angleterre et aux Etats-Unis. Ce n'est donc pas une innovation de telle nature qu'elle doive effrayer les esprits ; pas le moins du monde.

M. le ministre a nié l'état de décadence des études, et exagérant singulièrement ce que j'ai dit à ce sujet, il a protesté contre mes paroles, affirmant avec éclat que la Belgique n'était inférieure à aucun autre pays sous le rapport scientifique aussi bien que sous le rapport littéraire.

Je n'entends pas établir de parallèle entre notre situation sous ce rapport et la situation des autres pays. J'ai constaté un fait qui se trouve consigné dans tous les documents officiels. J'ai invoqué un fait sur lequel le ministre se fonde pour venir proposer une réforme.

(page 446) M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je n'ai parlé que de la décadence de l'esprit scientifique.

M. Frère-Orban. - J'admettrai toutes vos distinctions. L'amoindrissement de l'esprit scientifique, niez-vous cela ? Non, vous le proclamez bien haut ; l'affaiblissement des études, le niez-vous ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Vous avez dit que le niveau ne saurait plus baisser ; cela n'est pas.

M. Frère-Orban. - Quand j'ai dit que la décadence était arrivée à un point qu'elle ne pouvait guère être dépassée, je n'ai fait que la paraphrase de vos enquêtes ; la situation est déplorable comme vous le dites, comme vos professeurs, comme les hommes spéciaux et les jurys d'examen le déclarent ; si j'avais pensé que vous pussiez contester le fait, j'aurais apporté des documents officiels. (Interruption.)

Que contestez-vous ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - L'exagération.

M. Frère-Orban. - C'est vous qui avez exagéré.

J'ai constaté que la décadence est grande, considérable ; vous l’attribuez au grand nombre des matières d'examen: je l'attribue à l'organisation du jury. C'est si vrai que vous proposez une réforme ; et depuis vingt ans, des modifications n'ont été proposées que pour relever le niveau des études.

Est-ce que les professeurs ne dictent pas ? J'ai eu tort de faire remarquer qu'ils étaient malgré eux transformés en machines à dicter. Ai-je eut tort de parler ainsi ? Voici ce que constatent les professeurs eux-mêmes, les hommes spéciaux sur le rôle auquel ils sont réduits.

« On le sait assez, et c'est un résultat inévitable, l'examen domine l'enseignement, l'élève se préoccupe avant tout du cercle d'idées et de principes qui font l'objet habituel des questions posées devant le jury. Or, le professeur qui connaît le terrain délicat sur lequel il va se rencontrer avec un collègue étranger, plus ou moins éclairé, plus ou moins tolérant, ne peut aborder les points qui pourraient donner lieu à des divergences d'opinion ou qui sortiraient trop des sentiers battus. Par une convention tacite et forcée, l'examen et par suite l'enseignement se renferment dans des limites étroites, des doctrines, des questions et des méthodes usuelles. Dès lors, rien pour la spontanéité, rien pour l’initiative, rien pour la liberté ni du professeur ni de l'élève. On anéantit ainsi précisément ce qui donne à l'enseignement sa valeur et sa distinction. La vie dans l’enseignement suppose à quelque degré, chez le professeur, l'esprit inventif et créateur et avant tout une méthode avec laquelle il puisse s'identifier sans péril pour ses élèves. Or, tout cela est entravé ou détruit par le contrôle d'un jury quelconque. L'enseignement qui souffre sous un pareil joug, ce n'est donc pas l'enseignement médiocre et routinier, c'est au contraire l'enseignement élevé et vivant, celui que l'on devrait favoriser au prix même de certains inconvénients secondaires. Dans les jurys l'ascendant appartient à la force d'inertie en matière scientifique, parce que la force d'inertie a pour elle l'appui de la masse du jury. L'activité progressive et originale est forcément paralysée.

« Les études et les cours sont donc renfermés dans le cercle des questions banales, et celles-là sont résolues dans les moindres détails, car le professeur le plus habile est celui qui sait tout prévoir, même les plus futiles minuties.

« Les élèves notent tout cela avec beaucoup de soin et ne sont même complètement satisfaits que si le professeur consent à tout dicter. A vrai dire, absorbés par ce labeur matériel, ils sortent de la leçon sans avoir pu rien saisir ; mais leur cahier fait, ils l'apprennent par cœur à l'époque de l'examen et parviennent même souvent ainsi à obtenir de grands succès devant le jury. »

Il serait difficile de rien ajouter à cet égard au témoignage de la commission spéciale elle-même :

« L'examen, dit-elle, n'est plus qu'un immense effort de mémoire qui a ôté à l'élève toute spontanéité, qui a détruit toute sa puissance d'initiative, qui a amorti son imagination et épuisé son intelligence. Il sait tout et ne s'est rien approprié ; il a tout appris et à peine a-t-il quitté les bancs de l'université, il a tout oublié, parce qu'il n'a pas eu l'esprit nourri de doctrine, mais la mémoire chargée de réponses à donner à ses examinateurs, et parce qu'enfin l'entendement ne garde que les connaissances acquises par le travail de l'intelligence : trop heureux encore si, pour mieux satisfaire au programme qui lui est imposé, il n'a pas eu recours aux cahiers des autres universités et au manuel des auteurs. »

Voilà, messieurs, la situation de l'enseignement. Voilà ce que constate le conseil académique de l'université de Liège et une commission nommée par le gouvernement.

Messieurs, cette situation est-elle assez grave, la peut-on nier ? Les professeurs des établissements libres sont-ils d’une autre opinion ? J'ai lu des opinions d'autres professeurs qui concordent sur la plupart des points avec ce que je viens de citer. Ils ne nient pas davantage qu'on soit arrivé à une situation fâcheuse. Le remède est difficile à trouver, mais nier cette situation, nier qu'il y a affaiblissement dans les études, que les professeurs sont réduits à dicter à leurs élèves, c'est nier un fait notoire à la connaissance de tout le monde, parfaitement constaté.

Les jurys, tels qu'ils sont formés, ont d'autres inconvénients encore ; ils sont valablement peu moraux, car ils conduisent tout d'abord à l’enseignement du scepticisme. En effet, vous voyez les professeurs sur les diverses matières scientifiques, philosophiques, historiques, ayant des opinions diamétralement opposées ; les philosophes s'anathématisent dans leurs chaires ; ensuite on les faits comparaître ensemble devant leurs élèves.

Les voilà en présence de leurs élèves, et ces deux professeurs antagonistes, opposés d'idées, se taisent ; par un accord tacite ils suppriment tous les principes, tout ce qui est essentiel, tout ce qu'ils ont déclaré indispensable dans leur enseignement, et ils conviennent d'interroger leurs élèves sur les choses tout à fait secondaires et accessoires de la science. L'élève naturellement doit en conclure que la vérité n'existe pas, que tout ce qu'on leur a enseigné est pure opinion personnelle du professeur, sans que cela ait en réalité et au fond aucune valeur digne d'être appréciée.

Est-ce là le but de l'enseignement ? Est-ce pour cela que vos chaires sont élevées ? N'est-ce pas pour que le professeur, convaincu de la science qu'il enseigne, de la vérité qu'il professe, cherche à la faire pénétrer dans leur esprit ? Cependant cet espèce de mépris de la vérité, est un des résultats les plus merveilleux des jurys d'examen tels qu'ils sont aujourd'hui constitués.

Et je le répète, remarquez-le bien, si je m'élève contre l'examen, c'est contre l'examen tel qu'il est aujourd'hui formé. Je suis le premier à reconnaître et à déclarer l'utilité de l'examen comme stimulant, comme moyen de faire avancer l'élève dans l'étude de la science. Mais précisément à cause de cela et parce que c'est le seul caractère que puisse revêtir l'examen scientifique, il faut que l'examen soit placé dans l'école, qu'il soit fait par le professeur, et qu'il ne soit pas fait, surtout, par des professeurs rivaux, car il n'y a là aucune espèce de garantie ni pour l'élève ni pour la société.

M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, si les hommes universels sont rares, c'est qu'en général les facultés intellectuelles sont limitées et que nous devons nous borner à des connaissances spéciales adaptées à notre organisation et à la sphère dans laquelle nous vivons. Il suit de là, à la dernière évidence, que la cause principale pour laquelle il y a moins d'élèves remarquables et dans l'enseignement moyen et dans l'enseignement supérieur, c'est que l'enseignement moyen et l'enseignement supérieur se donnent dans des proportions extrêmement larges, embrassent beaucoup plus de matières qu'elles ne doivent en embrasser. Je crois que cette conclusion sera incontestée.

Une autre constatation, c'est que les jeunes gens qui, dans leurs études humanitaires et dans leurs études supérieures, ont déjà tant de peine à se rendre compte de matières si multipliées de l'enseignement, échouent d'autant plus dans leurs progrès, qu'ils sont assujettis à plus d'examens. Ces examens sont pour eux une cause de terreur qui les paralyse. Les sujets les plus distingués eux-mêmes ont besoin de se rassurer contre les chances possibles des examens qu'ils ont à subir. Alors, au lieu de donner carrière à leur intelligence, de réfléchir à ce qu'ils apprennent, ils se bornent autant que possible à un exercice de mémoire pour être à même de répondre aux examens.

C'est pour cela, messieurs, que j'ai combattu de toutes mes forces l'examen d'élève universitaire. C'est pour cela que j'ai donné mon assentiment entier au système des certificats pour certaines matières de l'enseignement universitaire, proposé par l'honorable M. Devaux qui est le véritable auteur du système des certificats introduits dans le projet de loi d'après l'avis des présidents des jurys,

Messieurs, de ce que l'enseignement très étendu est dans les collèges et dans les universités une cause qui arrête l'élan des jeunes intelligences, des intelligences supérieures, s'ensuit-il qu'il faut supprimer ces matières d'enseignement dans nos établissements d'instruction ? C'est une question très grave. L'honorable M. Orts a paru partager cette opinion et en fait, on peut l'appuyer aussi par de bons arguments. Ainsi nous avons vu, par exemple, que sous l'empire français, la faculté de droit de Bruxelles a produit des élèves très distingués, de brillants jurisconsultes ; et cependant dans cette faculté ou n'enseignait que très peu de matières. En outre on pouvait aborder l'étude du droit sans avoir passé par une faculté de philosophie.

L'enseignement encyclopédique, auquel on s'est livrée, surtout depuis la création du royaume des Pays-Bas, a été mis en rapport avec l'état de l’enseignement en Allemagne où l'on a été chercher un grand nombre de professeurs.

Depuis qu'on a décrété la liberté d'enseignement en Belgique, l'émulation s'est fait remarquer dans tous les établissements d'enseignement, chacun a étendu son programme le plus possible pour se donner plus d'importance dans l'opinion publique.

La législature elle-même, entraînée par cette crainte que la liberté d'enseignement n'entraînât la décadence des études, a, au moyen du système d'examens très compliqués, très multipliés, donné la main au système dont on se plaint aujourd'hui.

Il est évident, messieurs, qu'en enseignant plus de choses dans les études humanitaires et dans les études universitaires, on a produit un grand bien, on ouvre la source de connaissances diverses et multipliées aux jeunes gens, source qu'ils pourront épuiser plus tard après avoir terminé leurs études.

Mais dans ce système, il ne faut pas considérer les études universitaires comme étant le terme, la fin des études. Il faudrait, pour avoir des hommes éminemment distingués, que l'on ne considérât les études humanitaires et les éludes universitaires que comme un moyen de se (page 447) former plus tard par des études ultérieures plus fortes, plus spéciales. Eh bien, cela n'arrive pas, ou du moins cela n'arrive pas fréquemment, pourquoi ? Parce que les besoins matériels de l'époque sont extrêmement considérables.

Chacun a besoin de se créer une position qui lui procure des moyens d'existence ou des moyens d'existence plus larges. D'autre part on est distrait par d'autres préoccupations, par des préoccupations politiques, par la lecture des journaux et de beaucoup d'écrits d'une littérature légère, toutes circonstances qui font qu'on ne trouve plus aujourd'hui autant d'hommes véritablement savants qu'on en trouvait à d'autres époques.

Messieurs, nous n'avons pas cru en section centrale, ou du moins la majorité de la section centrale n'a pas cru pouvoir adopter le système préconisé par l'honorable M. Frère.

Il me semble que si l'on adoptait ce système, il faudrait le simplifier et rester plus dans le vrai des choses. Ce n'est pas un jury professionnel qu'il faudrait instituer. Car c'est ajouter un examen à tous ceux qui existent déjà pour la collation des grades scientifiques. Car pour se présenter devant le jury professionnel, il faudrait être muni d'un diplôme des universités, il faudrait donc avoir subi les diverses épreuves usitées dans l'enseignement supérieur, ou bien être muni de certificats d'autres personnes connues pour enseigner les diverses branches de l'enseignement moyen et de l’enseignement supérieur. Il n'y a donc dans ce système aucune simplification d'études, et il n'y a pas de simplification d'examen, si ce n'est pour le petit nombre de jeunes gens qui ne fréquentent pas les universités. Il s'agit d'un examen de plus et cet examen, divisons-le. L'un porte sur le droit, l'autre sur la médecine. Car ce sont les examens sur ces deux branches seulement qu'on peut appeler professionnels.

Quant au droit, vous conviendrez avec moi que le jeune homme qui a reçu un diplôme d'une université n'a pas besoin de subir un examen professionnel. Pourquoi le subirait-il ? Serait-ce pour constater qu'il est habile à plaider devant les tribunaux, à donner des avis à des clients qui viennent le consulter ? Mais il y a d'autres moyens plus simples et plus efficaces qui sont en pratique depuis un temps immémorial.

Le jeune homme qui a reçu son diplôme de licencié en droit fait son stage auprès d'un jurisconsulte distingué ou auprès d'un magistrat éminent dans le parquet, et suivant la carrière qu'il embrasse, il tâche, soit en plaidant quelque cause, soit en publiant quelque écrit, de prouver, soit aux yeux du public, soit aux yeux du gouvernement, qu'il mérite la confiance du premier comme avocat, ou du second s'il veut entrer dans la magistrature.

En ce qui concerne le droit, il y a donc inutilité complète de faire subir un examen professionnel.

Cette idée de l'examen professionnel tient du régime allemand, mais là elle est entourée de tant de difficultés que je suis certain que si on nous le présentait tel qu'il existe en Allemagne, nous le repousserions tout d'une voix.

Mais, dit-on, il y aurait un privilège à accorder cette faveur aux jeunes gens qui ont fréquenté les universités, alors que d'autres jeunes gens qui auraient fait leurs études d'une autre manière ne jouiraient pas de la même faveur. On pourrait répondre qu'il suffirait d'instituer pour ces jeunes gens un jury scientifique tel que nous voulons l'organiser par la loi, et qu'alors les positions seraient aussi égales que possible.

Accorderait-on, messieurs, les mêmes droits à de simples facultés ? Ce serait une question à examiner suivant le mérite des facultés que pourraient être instituées. Car il est évident que, soit pour la médecine, soit pour le droit, il pourrait être institué des facultés isolées et cependant donnant un enseignement parfait, tout aussi parfait que celui des facultés des universités.

Mais la difficulté réelle et de nature pratique se présente en ce qui concerne les études pour la profession de médecin. Car le droit de pratiquer la profession de médecin est non seulement le droit de guérir, mais il est aussi le droit de blesser, et sous ce rapport comme il s'agit d'un art qui s'exerce d'une manière plus ou moins occulte, qu'il est difficile de constater les fautes, parce que, comme on le dit près de moi, la terre les recouvre, il est évident que la société a une mission à remplir et qu'il y aurait peut-être des inconvénients à accorder à des établissements publics, à des universités, à des facultés qui n'auraient pas fait des preuves suffisantes d'un enseignement sérieux et complet, le droit d'accorder ces diplômes. C'est là que résiderait, suivant moi, la principale difficulté pratique.

Mais l'examen professionnel en ce qui concerne la médecine, tel que le propose l'honorable M. Frère-Orban, ne serait-pas du tout de nature à donner des garanties sérieuses à la société. Pour la médecine il faut au moins que l'on fasse constater soit pour la candidature, soit pour le doctorat, que l'on possède une connaissance complète de ce qui constitue la science médicale.

Messieurs, nous pensons que l'opinion publique et probablement l'opinion des Chambres ne seraient pas disposées à accorder aux universités le droit de conférer des diplômes permettant l'exercice d'une profession ; mais en attendant que l’opinion publique en arrive là, nous ne pouvons pas admettre l'examen professionnel, nous le croyons inutile quant au droit, insuffisant quant à la médecine. Ce sont les motifs pour lesquels, personnellement, j'ai combattu le système propose par l’honorable M. Frère. C'est trop et trop peu.

Dans cet état de choses, nous avons tâché en section centrale d'obvier aux inconvénients dont ou se plaint le plus. Il est certain que les jeunes gens en général se plaignent de l'excès de fatigue auquel ils sont exposés pour passer les divers examens ; la difficulté qu'ils rencontrent, le découragement qui énerve leur intelligence, qui en détournent beaucoup de l'achèvement de leurs études et qui pour d'autres, au moins dans beaucoup de circonstances, amoindrissent leurs forces.

C'est pour ces motifs, messieurs, que nous avons rejeté d’abord l’examen d'élève universitaire et qu'en deuxième lieu nous ayons admis les certificats pour plusieurs matières d'enseignement. L’honorable M. Devaux a parfaitement exposé le système des certificats. L'honorable. M. Orts a combattu ce système, mais je ne pense pas qu'il ait suffisamment étudié les diverses dispositions de la loi, qui répondent à plusieurs de ses arguments. Ainsi les dispositions des articles 8 et 28 me paraissent rencontrer les principales objections qui ont été faites.

Le certificat d'un établissement ne peut pas être donné isolément par un professeur, il faut que le professeur soit contrôlé par le chef de l’établissement auquel il appartient.

Ce sera là une grande garantie de sincérité, car j'admets difficilement qu'un professeur et le chef de l’établissement attestent un fait matériellement faux. Il est vrai que si le certificat prouve qu'on a fréquenté le cours, il ne prouve pas qu'on l'ait fréquenté avec succès ; mais on le fréquentera avec d'autant plus de succès qu'on aura l'esprit moins préoccupé de l'obligation de retenir mot par mot un grand nombre de questions, qu'on pourra mieux se pénétrer de l'esprit de la science.

D'ailleurs, messieurs, ces cours à certificats ne sont pas les cours les plus essentiels, quant à l'exercice de la profession. On doit donc beaucoup moins se préoccuper de ce que quelques jeunes gens pourraient suivre ces cours machinalement et ne pas en tirer tous les fruits que nous désirerions.

On dit aussi que le jeune homme pourrait ne pas obtenir le certificat auquel il aurait droit ; je crois que cette crainte n'est pas fondée. Chaque fois que la fréquentation aura été réelle, il est évident que le professeur donnera le certificat ; au surplus il existe toujours une garantie pour l'élève, c'est de se faire interroger par un jury.

Il a même la faculté de ne pas. suivre le cours, s'il trouve qu'il peut s'instruire d'une autre manière qui soit plus à sa convenance, pourvu qu'il justifie de connaissances suffisantes. Le certificat offre une garantie de la régularité des études, mais si un cours ne convient pas à l'élève soit parce que le professeur enseignerait des principes contraires aux siens, soit pour tout autre motif, eh bien, il s'abstient de suivre ce cours et il se présente au jury.

La liberté est donc sauvegardée dans toute son étendue. Je dirai même que le système des certificats, avec l'obligation de fréquenter les cours, est peut-être un avantage sur ce qui existe aujourd'hui ; c'est que le professeur ne sera plus découragé comme il l'est aujourd'hui, en voyant son cours délaissé, car les jeunes gens, désirant obtenir le certificat, suivront le cours. Or, il est très probable que le cours ayant été suivi, il en résultera toujours quelque chose d'utile dans l'esprit du jeune homme.

Ce système, d'ailleurs, n'est pas une charge nouvelle qu'on s'impose, attendu que depuis 1849 les inscriptions se payent globalement.

Je crois donc que le système des certificats est indispensable si l'on veut un peu soulager la jeunesse studieuse et lui laisser un peu de liberté pour l'approfondissement des matières les plus essentielles. Et ici je rencontre l'objection faite par l'honorable M. Frère-Orban. Il a dit : Mais si vous avez simplifié la position du récipiendaire au moyen des certificats, vous l'avez aggravée en établissant un examen plus approfondi pour les matières essentielles. Cette aggravation n'est qu'apparente : il est indispensable, pour les matières essentielles, que le jeune homme fasse des études approfondies ; sans cela, il n'a pas de succès à espérer.

Mais il est bien plus facile de faire des études approfondies dans quelques matières spéciales que de faire des études, même ordinaires, dans un grand nombre de matières et d'avoir à en rendre compte devant le jury. Je pense que ce système présente tout avantage et pour l'enseignement et pour le récipiendaire. Quant à moi, messieurs, j'y ai donné mon adhésion pleine et entière et je tâcherai de prêter mon concours aux autres membres de la section centrale pour défendre le système qu'elle a adopté.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis, en commençant, que me féliciter de voir la marche de la discussion actuelle et le progrès considérable qu'a fait la question du haut enseignement. Quand je compare cette situation à ce qu'elle était il y a vingt-ans, je suis tenté de le dire que nous touchons à l'époque où un résultat bien favorable va se produire pour les études en Belgique.

Lorsque nous fîmes, messieurs, la loi sur l'enseignement supérieur, on commit une faute capitale c'était de vouloir régler l'enseignement supérieur de notre pays sur les données des lois qui régissent la Prusse et l'Allemagne.

Evidemment ces lois étaient complètement incompatibles avec le caractère national. On n'avait pas compris que les lois doivent être faites d'abord pour la race qu'elles sont appelées à régir. Or la race belge, prise dans son ensemble, offre évidemment une bien grande différence avec la race germanique. En Belgique, comme en Angleterre, comme en France, on veut aboutir le plus promptement possible à quelque chose ; il n'en est pas de même en Allemagne : l'Allemagne est le pays (page 448) de la patience, la Belgique, est un peu le pays de l'impatience ; la race germanique peut supporter de longues et pénibles études ; dès l'instant que l'Allemand arrive à son but, peu lui importe à quelle époque il y arrive ; en Belgique ce que veut le jeune homme, ce que veulent souvent ses parents, c'est qu'il obtienne son diplôme. Mais, messieurs, veuillez le remarquer, les gouvernements de liberté ont tous une tendance qui se rapproche de la nôtre ; c'est ce qu'on voit en Angleterre, c'est ce qu'on voit en France. Pourquoi ? Parce que cette tendance est dans les mœurs de ces pays comme elle est dans les nôtres, tandis qu'en Allemagne la tendance est tout autre. Ce n'est donc pas là que nous devons aller chercher nos exemples.

Lorsque nous avons fait la loi sur l'enseignement supérieur, nous avons voulu obtenir un résultat impossible, c'est de former en quelques années des têtes encyclopédiques. Nous avons donc accumulé les matières d'enseignement, et. pour que les cours fussent fréquentés, nous avons accumulé de la même manière les matières d'examen. Ceux qui faisaient la loi, et entre autres mon honorable ami M. Ernst, voyaient là le moyen d'attirer les élèves dans les cours. On nous disait alors avec une naïveté touchante : Mais si tous les cours ne sont pas suivis d'un examen, les cours exclus de l'examen n'auront pas d'élèves ; et on faisait la loi non point pour les élèves, non point pour les études, mais pour les professeurs, afin que les professeurs eussent beaucoup d'élèves et, par conséquent, beaucoup de minervales. Voilà le but qu'on se proposait.

Eh bien, messieurs, quelle en a été la conséquence ? Et ici je suis complètement d'accord avec l'honorable M. Frère-Orban, le pays est tombé, sous le rapport des études, au dernier degré qu'il puisse atteindre. Je ne prétends pas certainement que la jeunesse soit dégénérée ; elle ne l'est pas le moins du monde. Il est sûr que les jeunes gens qui fréquentent aujourd'hui les universités sont aussi capables que l'étaient leurs devanciers ; il est sûr que les professeurs que nous avons ne le cèdent pas aux professeurs qui les ont précédés ; vous trouvez des sujets distingués parmi les uns et parmi les autres ; la race est donc loin d'être dégénérée, elle est plutôt améliorée.

Cependant voyez les conséquences de ce que vous avez fait: vous avez tellement accumulé les matières de l'enseignement et les matières d'examen que vous avez fait naître le dégoût de l'étude chez les jeunes gens ; ce qui est, à mes yeux, le dernier degré de la décadence en matière d'instruction.

C'est là le plus grand mal qui puisse peser sur un pays, et je me félicite que tous les orateurs qui ont pris part à la discussion, si j'en excepte M. le ministre de l'intérieur, ont reconnu qu'il y a un grand mal dans la situation actuelle et qu'il est essentiel d'y porter un prompt remède.

Voilà donc un grand fait avoué ; nous sommes d'accord sur ce point, qu'il y a un mal et qu'il faut porter un remède à ce mal.

Je viens de signaler le mal ; il gît dans la multiplicité des matières d'enseignement, tomes matières qui soul devenues des matières d'examen.

Evidemment l'homme peut acquérir beaucoup et de vastes connaissances, mais c'est à la condition expresse qu'il étudiera les diverses matières successivement et non pas cumulativement.

Les études cumulatives ne produisent que du désordre dans l'intelligence ; les études successives peuvent seules former l'homme, de manière à lui faire acquérir des connaissances variées et étendues. Quand vous avez épuisé complètement une branche des sciences humaines, de manière à la posséder, commencez alors l'étude d'une autre branche, et c'est ainsi que vous progresserez. Mais si voulez apprendre toutes les sciences à la fois, si vous voulez accumuler matière sur matière, vous arriverez au résultat néfaste que je vous signalais tout à l'heure, de dégoûter les jeunes gens de l'étude.

Un autre grief se présente encore : c'est que précisément à cause de cette masse de matières qu'on enseigne, les professeurs, voulant donner à leur cours un développement qu'il n'auraient pas pu leur donner par l'improvisation, se sont mis à dicter des cahiers. Aujourd'hui les cahiers dictés sont la règle, les cours improvisés sont l'exception. On fait des jeunes gens qui fréquentent les universités de simples scribes, des machines à copier, et plus tard, quand ils auront appris ces cahiers, des perroquets pour les réciter.

Voilà où nous en sommes arrivés. Je demande si cela n'est pas déplorable pour un jeune homme qui a de l'intelligence, qui a en lui l'étoffe nécessaire pour faire des progrès, d'être forcé de venir répéter par cœur, devant un jury d'examen, les cahiers de ses professeurs.

Comment ! vous avez appris à ce jeune homme la grammaire ; vous lui avez appris la rhétorique, c'est-à-dire l'art de parler et d’écrire correctement ; vous lui avez appris la logique, c'est-à-dire l'art de raisonner, et quand vous lui avez appris tout cela vous en faites un perroquet ! Ce déplorable système ne peut être effacé assez promptement de notre régime constitutionnel.

Le résultat des examens de mémoire est bien simple, c'est que lorsqu'on a oublié ce qu'on a appris par cœur pour l'examen, on ne sait plus rien. Quand l'élève a appris peu et qu'il a approfondi les matières principales auxquelles il devait se livrer, il a acquis le goût de l'étude, et ce goût, il ne le perd pas, au sortir de l'université ; il a appris à apprendre et il continue à apprendre, tandis que dans le système actuel, avec cette accumulation de matières scientifiques les unes sur les autres, vous l'avez tellement saturé d’études qu'il a fini par s’en dégoûter, il apprend à désapprendre, comme on le dit fort bien à mes côtés.

Il faut porter remède à ce mal. Voyons le remède. Je remercie vivement la section centrale et son honorable rapporteur du travail auquel ils se sont livrés ; le projet que la section centrale nous propose contient une foule de choses excellentes et auxquelles je me rallie complètement. J'ajouterai cependant que, dans les observations qui ont été présentées hier par l'honorable M. Orts, il y a aussi d'excellentes choses dont il faut savoir profiler. Simplifions : voilà quelle doit être notre devise.

Et ici je ne partage point l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il disait tout à l'heure que le niveau des études supérieures s'est abaissé en France, et qu'il tend même à s'abaisser en Allemagne. Je pense, moi, que les sciences sont poussées, en Angleterre et surtout en France, tout au moins à un degré aussi élevé qu'en Allemagne ; dans ces divers pays il surgit des hommes éminents dans toute les branches des sciences.

Et voyez, sous ce rapport, à quelles déplorables conséquences le système actuel a amené notre pays. Il existe chez toutes les nations une institution qui est comme le critérium de l'état intellectuel du pays : c'est l'Académie nationale. Nous avons une semblable institution chez, nous. L'Académie belge se compose de 80 à 100 membres ; eh bien, dans ce nombre il n'y a pas une seule personne qui ait fait ses études et qui ait passé ses examens depuis la loi de 1835. Il est démontré par là même que vous avez complétement affaibli les études par le système que vous avez inauguré à cette époque et qui n'a pas cessé d'exister.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ils sont trop jeunes.

M. Dumortier. - Les personnes qui ont fait leurs études, depuis l'institution des examens, sont trop jeunes, me dit-on, pour être de l'Académie. Mais, messieurs, il y a vingt et un ans que la loi fonctionne ; mais il y a des jeunes gens qui ont subi des examens sous ce régime et qui ont 40 ans ; sont-ils trop jeunes ? Non ! non ! c'est votre régime qui a fait naître le dégoût des études chez les jeunes gens ; c'est ce régime qui a nui à leur intelligence ; c'est à ce régime qu'on doit de ne voir dans le premier corps savant du pays que des hommes qui ont été formés avant la loi de 1835.

Le régime germanique, appliqué à cette race d'hommes qui a le don de la patience par excellence, a pu produire des résultats avantageux, mais il faut convenir cependant que le régime français n'en produit pas de moins favorables, bien que reposant sur des bases différentes.

Mon honorable ami M. de Theux vient de le dire, les hommes qui ont été formés à l'ancienne école de droit de Bruxelles ne sont pas inférieurs à ceux qui sortent aujourd'hui de nos universités ; cependant ils n'étaient interrogés que sur les parties les plus essentielles, les plus pratiques ; vous en avez qui brillent dans cette enceinte et dans l'autre Chambre aussi bien qu'au barreau.

Le régime français est-il mauvais ? Voyez les hommes illustres qu'il produit. En France, toutes les matières accessoires sont enseignées, mais aucune ne fait partie des interrogatoires des examens, on les enseigne afin de permettre à chacun de se fortifier s'il l'entend. On ne force pas les jeunes gens à suivre ces cours en les interrogeant sur les matières qui en font l'objet dans les examens.

Aussi voyez-vous en France surgir chaque année des hommes distingues dans les lettres et dans les sciences. Le régime de ce pays est bien plus approprié à nos mœurs que le régime germanique.

C'est vers la simplification des examens que nous devons diriger nos efforts. Qu'est-il arrivé avec notre régime où l'on accumule branche sur branche, étude sur étude ? On est arrivé à ce résultat, que rien n'est laissé à la liberté de l'élève ; il faut qu'il soit le servile exécuteur des ordres de son maître ; il faut qu'il répète ce qu'il a appris par cœur : voilà le résultat du régime actuel, il n'y a plus rien pour la liberté, pour la spontanéité de l'élève, vous avez tué chez lui le goût, la possibilité de l'étude sérieuse en lui demandant trop.

Est-ce à dire que je sois partisan du système présenté par l'honorable M. Frère ? Je reconnais qu'il y a dans ses observations infiniment des choses excellentes, il a bien étudié la matière, il a saisi les vices du système qui nous régit, mais celui qu'il propose aura-t-il pour effet d’améliorer l'état des choses ? Je ne le pense pas, parce qu'il ne remédie pas au principal des vices ; il maintient toutes les matières au même degré. En effet il veut pour ces matières des examens ou par les universités ou par des corps spéciaux. (Interruption.)

Vous maintenez à l'université toutes les études actuelles, ce qui est la cause radicale de la situation fâcheuse où nous nous trouvons. J'aime mieux le système de la section centrale : il se borne à des certificats et débarrasse l'examen du trop-plein, ce qui permet à l'élève de se fortifier sur les branches principales sur lesquelles il sera appelé à répondre. Si l'on pouvait combiner ce système avec celui présenté par l'honorable M. Orts, nous ferions une chose excellente, et nous tirerions les études de l'état malheureux où elles sont tombées. C'est le but que nous nous proposons.

Je voterai pour les propositions de la section centrale. S'il est démontré que certaines matières encore peuvent être retranchées des examens, je les écarterai ; il est inutile, selon moi, de compliquer les matières d'examen quand on peut les simplifier.

Le vice radical de la situation actuelle consiste dans la complication des matières d'examen. Aussi tout ce qui tendra à les simplifier aura mou vote. En agissant ainsi, je croirai avoir fait chose utile au développement de l'instruction dans mon pays.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures 1/2.