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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 novembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session de 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

(page 75) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions qui ont été adressées à la Chambre.

« Les aspirants au notariat prient la Chambre d'insérer dans le projet de loi relatif aux jurys d'examen une disposition portant que pendant deux ans, à partir de la publication de cette loi, les aspirants au notariat actuellement inscrits aux universités, et qui veulent subir l'examen de candidat-notaire, seront dispensés de l'épreuve préparatoire prescrite par l'article 2 de la loi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Wouters-Bourlard, démissionné de son emploi, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir sa pension de retraite »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Goebel, boulanger à Diekirch, demande que son fils Mathias-Léopold, élève musicien au 3ème régiment de ligne,obtienne son congé du service militaire.

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Courtrai prient la Chambre de maintenir la loi qui prohibe la sortie des grains, des pommes de terre, de leurs fécules et des farines, et demandent l'établissement de droits élevés sur la sortie du bétail, du beurre, des œufs et des autres denrées alimentaires. »

- Renvoi à la commission d'industrie.

MpD. - Dans la session dernière, M. le ministre de la justice a présenté un projet de loi sur l'organisation judiciaire. Ce projet avait été renvoyé aux sections du mois de mars, aucune de ces sections ne s'est occupée de ce projet. Je propose de le renvoyer aux sections du mois de novembre.

- Cette proposition est adoptée.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphes 5 et 6

MpD. - La discussion continue sur les paragraphes 5 et 6.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable M. Frère a cherché, dans la séance d'hier, à établir que la Constitution belge est incompatible avec les doctrines de la religion catholique. Il est entré à cet égard dans de grands développements.

Messieurs, peu de mots suffiront pour répondre à cette assertion.

La liberté de conscience et la liberté d'enseignement ont été votées au Congrès national avec l'assentiment unanime des catholiques. Si une opposition s'est manifestée au développement complet de ces libertés, ç'a été parmi les rangs de nos adversaires, qui ont voulu tour à tour apporter des restrictions à la liberté religieuse et à la liberté d'enseignement.

Notre Constitution a vingt-cinq années de pratique. C'est une belle durée. Le pays s'en est félicité. Dans les adresses des Chambres, dans les adresses de toutes les autorités constituées, on a proclamé à l'envi le respect inviolable qui a été montré pour la Constitution.

Ces seuls faits ne répondent-ils pas à toutes les assertions ?

Quel est le citoyen belge qui ait refusé de prêter serment d'obéissance à la Constitution sous prétexte de religion ? Je n'en connais aucun. Ah oui ; messieurs, si l'on avait vu des refus de serments, si les autorités religieuses reconnues parmi les catholiques avaient déclaré le serment illicite, je concevrais l'argumentation de l'honorable membre. Mais il n'en est rien, et aussi longtemps qu'il ne verra pas ce fait se produire, qu'il se rassure. Nous avons pour garantie la durée de la Constitution, sa longue et passible pratique, le serment qui est resté chose sacrée parmi la nation belge, et en outre, messieurs, l'intérêt commun de toutes les opinions.

Et voyez de quelle manière cette liberté a été mise en pratique spécialement en ce qui concerne la matière des cultes, matière si délicate !

Assurément, si les catholiques avaient éprouvé quelque répugnance à l'exécution de la Constitution, c'eût été dans l'allocation des subsides aux cultes dissidents ; eh bien, messieurs, consultez vos budgets, voyez les chiffres qui y sont inscrits et répondez.

Quel est le peuple en Europe qui, le premier, a alloué un subside au culte israélite ? C'est le peuple belge et cela sans opposition. Quel est le peuple qui, jusqu'à présent, a imité le peuple beige dans l'allocation d'un autre subside, le subside en faveur du culte anglican, professé exclusivement par des étrangers !

Eh bien, messieurs, c'est moi, qui ai l'honneur de vous parler, qui ai présenté la première demande de ce crédit aux Chambres, alors même que nos coreligionnaires étaient loin d'être traités avec impartialité en Angleterre.

Abandonnons ce terrain, messieurs ; tout ce que nous pourrions ajouter sur cette matière serait oiseux, et arrivons à l'objet sérieusement en discussion, la circulaire de M. le ministre de l'intérieur et les applications qu'il vous en a présentées. La première application remonte à 1855, à la publication de M. le professeur Laurent. Dans un écrit publié par ce professeur, la divinité du Christ était niée, c'est-à-dire le fondement du culte catholique et des cultes dissidents, qui sont pour ainsi dire seuls professés en Belgique. Etait-ce, comme on l'a dit, une publication indifférente par sa nature, attendu qu'elle ne se rattachait pas directement au cours donné par l'auteur' ?

Non, messieurs ; ces doctrines qui nient le fondement même du christianisme, en niant la divinité du Christ, sont aujourd'hui les doctrines qui ont le plus de chances d’avenir et qu'il importe au gouvernement de ne point protéger.

En effet, ne voyons-nous pas qu'en Allemagne, qu'en Amérique des parents négligent de faire baptiser leurs enfants ? Cette doctrine, messieurs, a quelque chose d'extrêmement commode : elle permet de louer les beautés de l'Evangile, mais si elle les loue, ce n’est évidemment que comme doctrine philosophique ; or, chacun sait que les doctrines philosophiques n'obligent à rien, n'ont aucun sanction. De telles doctrines doivent plaire à la jeunesse, à l'esprit d'indépendance et à d'autres dispositions propres à cet âge ?

Le gouvernement salarie des deniers du budget des professeurs qui publient des livres allant à la ruine de tous les cultes établis en Belgique ; mais, dira-t-on, ces livres restent sans influence, attendu qu'ils ne sont point enseignés dans les cours universitaires. Eh, messieurs, ignorez-vous donc le respect que les jeunes gens ont ordinairement pour leurs professeurs, ignorez-vous combien ils sont avides de lire leurs écrits, combien ils se laissent facilement impressionner, entraîner par des pensées élevées, par un style éloquent, par l'autorité même de la position de l'écrivain ?

Et tout cela serait sans influence sur la prospérité des établissements ! Mais si cela est permis à un professeur, pourquoi cela ne serait-il par permis à dix ? et quel est alors, consciencieusement parlant, le père de famille qui voudrait envoyer son fils dans un tel établissement ?

Si l'usage de cette liberté se généralisait, si d'autres imitaient ce qu'un seul a fait, le danger irait en croissant ; et, s'il est interdit au gouvernement d'arrêter un seul professeur, il lui serait également interdit d'en arrêter dix. Vous voyez quelles seraient les conclusions pratiques de la théorie qu'on a soutenue hier dans cette enceinte ; je dis qu'elle serait désastreuse pour la société, désastreuse pour les universités dont on prend la défense.

On a paru étonné à la lecture de la lettre que M. le ministre de l'intérieur avait écrite à M. l'administrateur-inspecteur de l'université de Gand, pour infliger un blâme à M. le professeur Laurent. Mais, messieurs, rappelez-vous que, dans la discussion solennelle qui a eu lieu au mois de janvier dernier, à l'occasion de M. le professeur Brasseur, M. le ministre de l'intérieur nous a annoncé qu'il avait fait une enquête sur ce qui s'était passé au cours de ce professeur, et que si l'enquête eût constaté que M. Brasseur avait nié la divinité du Christ, il prendrait une mesure contre lui. Dès lors, la réprimande que M. le ministre de l'intérieur a fait adresser à M. le professeur Laurent était parfaitement conforme à l'opinion que ce haut fonctionnaire avait exprimée à l'égard de M. Brasseur, et je suis moi-même étonne de l'étonnement qui s'est manifesté hier.

M. le ministre de l'intérieur nous a encore annoncé que dans l'intérêt des universités, il s'était proposé de confier à un autre titulaire le cours de droit naturel et de donner d'autres attributions à M. le professeur Brasseur. Le gouvernement n'est-il pas, en effet, responsable de la prospérité des universités ? La loi sur l'enseignement supérieur ne lui en donne-t-elle pas la surveillance et la direction ? Mais, objecte-t-on, la surveillance et la direction du gouvernement trouvent des limites dans la Constitution, qui proclame la liberté des opinions !

Nous répondons : Lorsque le Congrès a fait la Constitution, il avait surtout en vue d'obvier aux griefs qui avaient précédé la Constitution.

Ces griefs concernaient surtout les entraves apportées par le gouvernement des Pays-Bas à l'exercice du culte catholique, à l'enseignement, l'absence de liberté ; et ce qu'il est important de rappeler ici, la mauvaise diversion morale des établissements d'enseignement public. Jamais on n'a dit, sous le gouvernement des Pays-Bas, que la direction intellectuelle de l'enseignement fût mauvaise, mais on a soutenu que la direction morale était mauvaise, et cette opinion était tellement confirmée qu'en l'absence même de la liberté d'enseignement, beaucoup d'établissements de ce gouvernement étaient peu fréquentés et qu'une foule de jeunes gens allaient puiser l'enseignement dans les pays étrangers, quoiqu'ils eussent la certitude qu'à leur recours dans leur patrie, ils ne pourraient pas obtenir d'emploi public.

Or, quelle est la mesure que le Congrès a voulu prendre contre l'abus possible d'une mauvaise direction morale donnée aux établissements d'enseignement public ? Il a décrété que l'instruction donnée aux frais de l'Etat serait réglée par la loi.

Donc il appartient à la législature de poser des règles pour la bonne direction des établissements d'enseignement public. Mais, dira-t-on, la loi sur les universités n'en a pas posé ; cela est vrai, mais elle a chargé (page 76) le gouvernement de la surveillance et de la direction de l’enseignement universitaire.

Or, comment s'opère cette surveillance, cette direction ? Evidemment sous le contrôle des Chambres ; le gouvernement nomme les professeurs et les révoque. Voilà la sanction. Si le gouvernement abuse du droit de nomination ou du droit de révocation, c'est sous le contrôle des Chambres qui sont là pour arrêter le gouvernement s'il est dans une mauvaise direction. Ce contrôle n'est pas illusoire, il est sérieux ; dans le moment actuel le gouvernement s'est conformé à l'esprit de la Constitution en faisant connaître ses intentions et les faits qu'il a posés, et en nous demandant de nous prononcer il a fait plus qu’il ne devait faire ; mais en nous demandant de nous prononcer il a voulu que les faits qu'il a posés fussent appréciés par les Chambres.

J'ai donc prouvé que d'après le texte même de l'article 17 de la Constitution, d'après les faits qui ont précédé le vote de cet article qui en expliquent le sens et la portée, comme d'après les lois qui ont été portées postérieurement, il peut être apporté des limites à la liberté du professeur universitaire enseignant ou écrivant des ouvrages pouvant avoir des conséquences semblables à celles de son enseignement scolaire.

Je dis que d'après cet article 17 il est démontré, clair comme le jour, que le gouvernement est en droit d'apporter des limites à la liberté d'opinion du professeur.

L'honorable M. Frère-Orban nous dit que la limite d'opinion du professeur ne doit pas se trouver dans la liberté de conscience de l’élève.

Ce sont deux choses distinctes ; et rappelant ce que j'avais dit l'an dernier dans une occasion analogue à celle-ci, il a ajouté : Que les élèves qui ne s'accommodent pas de l'enseignement universitaire de l'Etat aillent puiser leur instruction à l'établissement universitaire de Louvain.

Nous pourrions répondre : Que les élèves rationalistes aillent puiser ailleurs leur instruction. On ne peut demander à la majorité des élèves de quitter les universités de l'Etat. Je ne connais aucune association, je m'en ai jamais connu une où la majorité fit bénévolement le sacrifice de ses opinions, de ses droits, de ses intérêts à la minorité ; il faudrait prêter au Congrès une opinion absurde, pour admettre que lui qui s'est montré si soucieux de la sauvegarde des intérêts catholiques qui avaient été froissés pendant plus d'un quart de siècle, aurait inscrit spontanément dans la Constitution une disposition par suite de laquelle les jeunes gens catholiques devraient déserter les établissements d'enseignement public.

Messieurs, pour l'honneur du Congrès, pour le respect que nous lui devons, ne faisons pas de pareilles suppositions. Mais cette liberté illimitée que l'on sollicite pour les professeurs, voyons comment quelques-uns de nos adversaires l'ont pratiquée étant au gouvernement.

Assurément, s'il est une liberté fondamentale essentielle, qui semble ne pouvoir subir aucune espèce délimite ni de restriction, c'est liberté du député. Cependant, nous nous rappelons tous que dès les premières années de la Constitution, deux membres de cette Chambre, fonctionnaires publics, furent privés de leur emploi pour des discours prononcés dans cette enceinte. C'était bien là assurément une restriction à la liberté des opinions, à la liberté de contrôle que chaque député, quelle que soit sa condition sociale, est en droit d'exercer sur tes actes du gouvernement.

Et en 1847, messieurs, qu'est-il arrivé ? Le ministère venait de destituer plusieurs fonctionnaires publics du chef d'opinions politiques. Quelques-uns étaient maintenus et faisaient partie de cette Chambre. L'alarme avait été répandue dans le pays. Je demandai au cabinet s'il entendait que les députés conservaient leur liberté du vote et de discussion de la même manière que nous l'avions garantie, lorsque nous étions au ministère, sur les interpellations qui nous avaient été adressées par les membres de l'opposition. Eh bien, à cette interpellation solennelle faite en termes clairs et précis, aucun membre du cabinet de 1847 n'a répondu ; et ce qui plus est, c'est que cette partie de la presse qui aujourd'hui se montre si ombrageuse pour la défense du droit illimité des professeurs, n'a pas eu un mot de critique sur le silence du ministère.

Mais, messieurs, la Chambre elle-même a fait plus tard justice de ce silence. Lorsque le ministère est venu nous demander d'exclure de cette chambre certaines catégories de fonctionnaires publics, nous avons dit avec empressement : Nous acceptons votre loi, parce que l'indépendance du député fonctionnaire n'existe plus. Et nous avons fait plus. Nous avons élargi le cercle de la loi que le cabinet nous avait présenté et nous avons déclaré toutes les fonctions publiques quelconques incompatibles avec celles de député.

Et c'est après de tels faits que l'on viendra blâmer la conduite de M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il a rempli un devoir impérieux, un devoir sacré.

Je n'hésite pas à le dire, messieurs, si la théorie de l'honorable M. Frère devait prévaloir, ce serait la clôture des universités de l'État.

L'honorable M. Rogier nous disait. S'il est vrai que les universités de l'État sont dangereuses, n'accordez plus de subsides ; c'est votre devoir de père, c'est votre devoir de représentant. Eh bien, oui, messieurs, si la théorie de l'honorable M. Frère prévalait, si le gouvernement, dans ses nominations, ne faisait aucune espèce d'attention aux qualités morales du professeur...

M. Frère-Orban. - Qui est-ce qui prétend cela ?

M. de Theux. - Aux doctrines ; c'est-ce que j'appelle les qualités morales pro casu ; cela doit s'entendre évidemment de la matière en discussion.

Je dis donc que si le gouvernement nommait les professeurs sans aucun égard à leurs opinions, si une fois nommés il les considérait comme inamovibles quelles que fussent les opinions qu'ils professent...

M. Frère-Orban. - Personne ne soutient cela.

M. de Theux. - S'il professait par exemple des doctrines dangereuses pour la société, et peut-on en professer une plus dangereuse que la négation même du fondement de tous les cultes chrétiens ? Eh bien, messieurs, beaucoup de membres s'empresseraient de refuser les subsides pour les universités. Et si leur opinion ne triomphait pas immédiatement, soyez persuadés que, défendue avec persévérance pendant quelques sessions, elle serait couronnée de succès, aux applaudissements de la grande majorité du pays.

Messieurs, nous sommes dispensateurs des deniers publics, mais à une condition, c'est de les employer au plus grand profit de la nation, de leur donner une destination utile. Nous ne sommes pas propriétaires des deniers des contribuables. Nous ne pouvons frapper des impôts, nous ne pouvons en disposer que pour l'utilité publique. Dès que les fonds du budget ont perdu ce caractère d'utilité publique, nous n'avons plus le droit d'en disposer. Mais le gouvernement lui-même, messieurs, devrait s'associer, dans de pareilles circonstances, à la demande de suppression des universités de l'État.

Et en effet, quel est le ministère qui pourrait incessamment soutenir des luttes prolongées, ardentes, sur des questions de cette nature ? Aucun. Nous avons vu des gouvernements très forts, très puissants, qui ne subissent pour ainsi dire aucun contrôle du pouvoir représentatif, devoir céder devant une opposition fondée, constante et persévérante d'un culte opprimé.

Messieurs, je dis que ce serait l'oppression du culte de la majorité du pays, et je dirai même de tous les cultes reconnus par la Belgique, que la pratique des théories que l'on a soutenues dans cette enceinte.

Messieurs, la question est là. Ceux qui blâmeront la circulaire de M. le ministre de l'intérieur se rallieront à l'opinion professée par l'honorable M. Frère, c'est-à-dire celle de la liberté illimitée des opinions de la part des professeurs.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit un seul mot de cela.

M. de Theux. - En matière religieuse bien entendu. Je comprends très bien que vous ne permettriez pas d'enseigner, dans les universités de l’Etat, cette théorie, qui a pourtant aussi ses adeptes, que la propriété c'est le vol, que la société n'a aucun droit de réprimer le vol, que la société, jar exemple, n'a pas non plus le droit de punir de la peine de mort l'assassin.

M. Tesch. - Cette dernière question pourrait très bien être discutée.

M. Frère-Orban. - Voulez-vous me permettre de préciser ?

M. de Theux. - Volontiers.

M. Frère-Orban. - L'honorable membre suppose que j'ai soutenu la liberté illimitée du professeur dans son enseignement et dans ses livres.

M. Dechamps. - En matière religieuse.

M. Frère-Orban. - Permettez-moi. J'ai demandé à M. le ministre de l'intérieur s'il tolérerait qu'un professeur enseignât l'encyclique, et il m'a été répondu, conformément à l'opinion que j'exprimais, que cet enseignement ne serait pas toléré. Il ne s'agit pas là d'une matière religieuse, il s'agit d'une manière politique. Je n'admets pas davantage de liberté illimitée sous prétexte religieux.

M. de Theux. - Nous n'entrerons pas dans tous les détails d'application ni dans tous les cas de théologie que l'honorable M. Frère a discutés hier. Je ne me crois pas compétent en cette matière. D'ailleurs je ne l'accepterai pas pour juge. J'ai signalé au début de cette discussion l'inviolabilité parfaite de la Constitution de la part des catholiques aussi bien que de la part des libéraux, le serment prêté indistinctement par les divers membres du pouvoir législatif, par tous les fonctionnaires de l'État. J'ai en outre allégué l'intérêt commun.

Je crois qu'il y a là de quoi rassurer l'honorable membre sur ses craintes et qu’il n'a pas à s'occuper de cas de conscience qui nous concernent exclusivement et ne le concernent en aucune manière en tant qu'ils nous sont personnels.

Pour moi, messieurs, loin de blâmer la circulaire de M. le ministre de l'intérieur, je n'hésite pas à l'approuver, et je dirai que mon vote est acquis à l'adresse pour l'honneur du Congrès national qui n'a jamais eu que des sentiments d'ordre et jamais n'a prêté au désordre, pour l'honneur du parlement belge lui-même et pour la civilisation de notre pays qui la doit tout entière au christianisme. J'ai dit.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, mes opinions ont été tout à l'heure dénaturées par l'honorable M. de Theux. J’ai été obligé de l'interrompre avec sa permission. Mais a il ne paraît pas avoir été satisfait encore de mes rectifications.

(page 77) Il m'attribue l'expression de cette pensée que je considérerais que le professeur, dans sa chaire ou dans ses publications, avait une liberté absolue, illimitée de doctrine ; sur ma réclamation, l'honorable M. de Theux a dit : Au moins de doctrine religieuse.

Je n'ai rien exprimé de semblable. Cette liberté absolue ou de doctrine politique, ou de doctrine religieuse, je ne l'admets pas. Je n'admets pas que l'on enseigne dans les écoles de l'Etat ni l'athéisme, ni le matérialisme, ni aucune des doctrines qui portent atteinte à la morale universelle.

J'ai examiné, sans exprimer de principes absolus, parce qu'il est impossible de définir ni de limiter en cette matière, j'ai examiné la question et les faits qui se présentaient à cette occasion ; j'ai condamné l'application des principes que M. le ministre de l'intérieur avait lui-même exposés.

M. de Theux. - Je me suis renfermé, messieurs, dans l'appréciation des termes de la circulaire et des faits que M. le ministre de l'intérieur a portés à la connaissance de cette Chambre.

C'est dans ces limites que j'ai approuvé sa conduite. Quant à toute autre supposition de faits ou de circonstances qui peuvent se présenter, je n'ai voulu établir à priori aucune espèce de théorie. Quand le gouvernement aura posé des actes, soit par des nominations, soit par des révocations, soit par des changements de cours, je les apprécierai.

Mi. - Messieurs, les discours qui ont été prononcés dans la séance d'hier exigent de ma part quelques explications, que déjà hier je vous avais annoncées et que je viens vous présenter aujourd'hui.

Messieurs, la situation que je me suis faite dans ce débat, en acquit de ce que je considère comme mon devoir, cette position est, sans contredit, difficile. Les difficultés en sont telles, qu'elles m'effrayeraient, si elles avaient été moins prévues.

Mais, en acceptant la mission de pratiquer une politique de transaction et de modération, je savais d'avance qu'il était impossible de satisfaire tout le monde. Je ne pouvais pas avoir cette prétention.

Je devais, au contraire, avoir la certitude de ne contenter complètement personne. C'est l'histoire de toutes les transactions : il est rare qu'on y souscrive sans murmurer ; il est rare aussi qu'on ne finisse point par s'applaudir d'y avoir souscrit.

Les clameurs intéressées des partis ne m'empêcheront pas de suivre la voie constitutionnelle et gouvernementale que je me suis tracée et dont j'espère ne jamais dévier.

Messieurs, les différents orateurs que vous avez entendus hier ont attaqué le gouvernement pour la publication même de la circulaire, pour les principes professés dans la circulaire et pour les actes posés par le gouvernement.

Pourquoi, dit-on, pourquoi une circulaire ? Vous avez voulu donner des apaisements à deux évêques de Belgique qui venaient de publier des lettres pastorales. C'est un acte de faiblesse que vous avez commis.

Messieurs, je savais parfaitement ce qui était que trop pour les uns était trop peu pour les autres ; je savais que très bien ce qui était un acte de faiblesse pour les uns, était encore (et le mot m'est venu du fond d'une province) une lâcheté, pour n'avoir pas fait assez dans le sens des autres.

Je ne me suis pas préoccupé de ces appréciations diverses. J'ai voulu prendre dans cette délicate affaire la seule position que le gouvernement pût et dût prendre, celle d'une indépendance réelle ; je le sais, pour les uns, mon crime est de n'avoir pas obéi ; pour les autres, mon crime est de n'avoir pas blâmé.

Je n'ai point blâmé les évêques, parce que je n'ai pas le droit de les blâmer.

L'honorable M. Rogier lui-même, comme tout le monde, du reste, le reconnaît, les évêques ont usé d'un droit, et je ne suis pas compétent pour décider si les évêques ont excédé les limites constitutionnelles.de ce droit. Ce serait, en définitive, aux tribunaux seuls d'en connaître.

Messieurs, le gouvernement a voulu rester entre les deux extrêmes de la dépendance ou de l'hostilité. Son indépendance calme et réfléchie est attestée par les actes mêmes qui ont suivi les lettres pastorales des évêques.

Le gouvernement s'est montré indépendant quant aux questions de personnes, indépendant quant à la question des principes.

Quant à la question de personnes, il est évident que la conclusion des lettres pastorales, c'était la destitution des deux professeurs. Non seulement le gouvernement n'a pas songé un instant à réaliser cette idée, mais, au contraire, le projet que le gouvernement avait formé, loyalement, dans l’intérêt de l'université, de changer un cours, ce projet a été abandonné, abandonné sans retour pour le passé.

Le gouvernement s'est montré indépendant pour les principes. Il est à peine nécessaire que j'indique la différence entre le fond des lettres pastorales et la circulaire. Les lettres pastorales voulaient faire confondre l'enseignement et les publications du professeur ; nous avons maintenu hautement une distinction fondamentale entre la position du professeur dans l'enseignement et la position du professeur dans les publications étrangères à son enseignement.

Les lettres pastorales ne voulaient point d'une science indépendante du dogme ; nous avons déclaré, de par la Constitution, que, en l'absence de tout enseignement religieux, l'enseignement littéraire et scientifique dans ses rapports avec les questions religieuses, doit être indépendant du dogme, en ce sens qu'il ne doit être donné dans le sens exclusif d'aucune religion positive, mais qu'il ne peut blesser les principes essentiels de chacun des cultes pratiqués en Belgique.

Vous le voyez, messieurs, il y a là des différences importantes, nous les avons maintenues.

Pourquoi donc une circulaire ? Il y avait pour cela des motifs sérieux. Un gouvernement comprenant le devoir que lui impose sa responsabilité, un gouvernement prudent et prévoyant devait se préoccuper de l'impression que pouvait produire sur l'esprit des familles la publication des mandements.

Décidé à ne pas revenir sur le passé, nous devions essayer de rassurer les familles pour l'avenir ; nous devions prouver que nous étions résolu à leur offrir, sur le terrain de la Constitution, toutes les garanties possibles sous le rapport de la religion et de la morale. C'était un devoir pour moi. Aucune règle n'avait été tracée jusqu'à ce jour pour fixer les limites des droits et des obligations du gouvernement et des professeurs.

Pour l'enseignement primaire et pour l'enseignement moyen, toutes ces questions se trouvaient résolues ; mais rien n'avait été fait ni prévu pour l'enseignement supérieur. On parlait constamment autour de nous du droit des professeurs, mais on se taisait sur les limites de ce droit, sur les devoirs qui incombent aux professeurs de l’enseignement supérieur dans la mission importante qui leur est dévolue.

Il était donc urgent, à notre point de vue, qui, je pense, est le vrai point de vue du gouvernement, il était urgent de poser, dans les limites constitutionnelles, des principes auxquels dussent se conformer tous les professeurs des universités de l'État, en matières d'enseignement et de publications. Ce n'est pas même pour nous seuls, c'est pour nos successeurs même que nous avons voulu ne plus voir le gouvernement désarmé.

On a attaqué, en second lieu, les principes posés dans la circulaire.

Quel titre avez-vous, disait hier un honorable orateur, pour régler ainsi dans nos universités l’enseignement religieux dans ses rapports avec l'enseignement littéraire et scientifique ? Ce titre, c'est celui que je viens de vous exposer, le plus sérieux de tous, c'est-à-dire la nécessité. Il était indispensable que le gouvernement eût une boussole qui le guidât en cette matière.

Un autre titre encore, c'est celui qu'il puise dans l'article 28 de la loi du 15 juillet 1849, article qui impose au gouvernement le devoir de diriger et de surveiller les universités de l’État/

Ce devoir de surveillance et de direction est évidemment quelque chose de sérieux ; mais jusqu'à présent cette obligation n'avait pas été nettement précisée pour le gouvernement.

Il lui importait donc (et c'est même dans ce but que j'ai désiré voir la discussion s'établir sur cette question), il lui importait donc, comme à tous les hommes qui plus tard seront placés à la tête des affaires, de connaître quels sont à cet égard les droits du ministre chargé de la direction de l'enseignement supérieur.

Quand j'ai posé pour limite à la liberté du professeur dans son enseignement l'interdiction d'attaquer les principes essentiels des cultes pratiqués en Belgique, j'ai voulu aussi quelque chose de sérieux. Hier on vous disait que, sous prétexte de faire respecter les principes essentiels de tous les cultes, c'était en réalité le dogme catholique que je voulais imposer au professeur. Pour ma part, je proteste contre cette interprétation de mes intentions. Au contraire, dans toutes mes explications, j'ai formellement dit qu'un professeur ne pouvait pas être tenu de circonscrire son enseignement dans les principes d'une religion positive.

Cette interprétation est si peu admissible, que j'ai pris soin d'indiquer clairement la situation que je voudrais voir donner aux universités de l'État. J'ai demandé si un professeur, dans son enseignement, est complètement libre ? J'ai dit : Evidemment non, et personne n'a contesté ce principe. J'ai demandé ensuite si le gouvernement peut imposer à un professeur l'obligation de donner son enseignement dans le sens exclusif d'une religion positive ? J’ai dit encore non ; il n'y a pas ; eu non plus de contestation. Eh bien, voilà la position des universités de l’État nettement tracée.

Les universités de l'État doivent avoir, à mon sens, une position distincte de celle des deux universités libres qui existent dans le pays ? A l'université de Bruxelles, la science est complètement indépendante de tout dogme religieux ; à l'université de Louvain, le point de départ de l'enseignement, c'est sa conformité avec le dogme catholique.

La situation que, constitutionnellement, je crois devoir faire aux universités de l'Etat, c'est d'avoir un enseignement indépendant, mais, s'abstenant de toute attaque directe contre les principes essentiels de tous les cultes.

Ces principes sont-ils constitutionnels, oui ou non ?

La commission d'adresse dit que la liberté relative du professeur a, pour limite la liberté de conscience de l'élève. C'était, à mon avis, reproduire, au fond, la même pensée d'abstention de toute attaque contre les principes essentiels de tous les cultes. Il n'y a pas là matière à équivoquer, à se récrier sur ces expressions ; et vraiment j'ai été étonné hier de voir qu'on semblait ne pas s'associer à ce légitime respect pour la liberté de conscience.

Ah ! messieurs, c'est une chose sérieuse que nous avons voulu faire. L'honorable M. Rogier l'a dit lui-même, cette conquête des temps (page 78) modernes a coûté assez de larmes et de sang pour qu'on la respecte et qu’on y tienne. Soyons conséquents. Nous avons respecté cette liberté dans l’enseignement moyen ; nous devons la respecter aussi dans l’enseignement supérieur.

Qu'avez-vous fait pour l'enseignement moyen ? Vous avez exprimé la volonté formelle, à l'occasion de la convention d'Anvers, que le droit que l'article 15 de la Constitution a donné aux pères de famille, celui de n'être pas forcé de concourir aux cérémonies d'un culte quelconque, fût religieusement maintenu.

Voilà ce que vous avez fait pour respecter la liberté de conscience des non-croyants ou des personnes attachant moins de prix à l'exercice de la religion. J'ai bien, je l'espère, le droit de demander que le même principe soit consacré dans l'intérêt des croyants. J'ai bien le droit d’exiger que ce que vous avez fait pour l'infiniment petit nombre, vous le fissiez pour la généralité des pères de famille.

Si c'est violer la liberté de conscience que de forcer quelqu'un d'assister à l’enseignement d'une doctrine religieuse dont il ne veut pas, ce serait une violation bien plus immorale, bien plus odieuse de cette même liberté que de forcer des jeunes gens à assister à la destruction systématique de croyances auxquelles ils sont attachés.

J'ai loyalement exécuté la convention d'Anvers quant à l'article 15 de la Constitution. Un cas s’est présenté à Namur l'année dernière : j'ai fait respecter la volonté des pères de famille.

Je demande à mon tour qu'on respecte la liberté de conscience des élèves et des parents dans l'enseignement supérieur.

Mais, a-t-on dit, comment appliquer ces principes d’un respect égal pour toutes les croyances ? J’avoue que c’est difficile, mais cette difficulté n’est pas un motif pour ne pas appliquer les principes constitutionnels.

C’est une difficulté, sans doute, mais c’est pour ce motif que j’ai répété à satiété que les professeurs n’ont pas mission de donner l’enseignement religieux ; qu’ils doivent éviter de traiter les questions religieuses. Ce n’est que quand les nécessités scientifiques exigent absolument qu’on aborde ces questions, que le professeur a le droit de les aborder.

Et puis, la solution de cette difficulté suppose, je le reconnais, beaucoup de tact, beaucoup de prudence de la part des professeurs. Aussi est-il indispensable qu’un professeur soit un homme de tact et de prudence ; c'est une des premières conditions à exiger d'un professeur.

Il ne suffit pas qu'un professeur ail de l'érudition ou de l'éloquence ; il faut qu'il ait du tact et de la prudence.

Ces qualités du professeur sont donc une garantie de la bonne solution qu'il saura donner à ce problème des sages ménagements à garder pour tous les cultes.

Avec l'application de ces principes, dit-on, vous n'avez plus de véritable liberté d’enseignement. Il est impossible, disait-on hier, qu'un professeur fasse encore un pas dans les sentiers de la science.

Il serait bien déplorable de penser que nos professeurs en général eussent jusqu'à ce jour si mal compris leur liberté.

Il serait étrange qu'on ne pût voir de professeurs soucieux des droits de la science, que dans ceux-là seuls qui semblent devoir être gênés par les principes que je pose. Non, non, la presque unanimité de nos professeurs, habitués à donner un enseignement calme solide, ne se considèrent pas comme placés sous le joug d'une servitude nouvelle.

Et cependant, tous comprennent comme nous, mieux que nous, les droits de la science et de la pensée. Jamais il n'est entre dans l'esprit d'aucun d'eux de protester contre les règles de la prudence et du simple bon sens qui sont imposées aux professeurs. Ceux-là seuls peuvent s'effaroucher de ces règles, qui ont levé un idéal d'indépendance incompatible avec nos institutions. A entendre quelques orateurs, ne dirait-on pas vraiment que ces derniers seuls sont des professeurs modèles auxquels il faille postposer tous les autres !

Pour moi, je n'admets pas, je m'admettrai jamais cette exaltation injuste et fausse de quelques professeurs avides de popularité, au prix de l'humiliation du corps professoral tout entier, composé d'hommes dévoués à l'accomplissement de leurs devoirs !

Eh' n avons-nous pas le spectacle d'une université qui offre autant de garantie de vraie science que celle de Gand ? Voit-on toutes ces difficultés s'élever à Liège ? Est-ce qu'à Liège l'enseignement serait, par hasard, moins indépendant, moins complet qu'il ne l'est à Gand ?

Je le demande, est-ce que l'enseignement de l'université de Liège, qui ne soulève aucune espèce d’opposition ou de difficultés, est inouïs digne de notre sympathie, de notre intérêt, que ne l'est l’enseignement de l'université de Gand ?

Il est donc prouvé qu'il est possible de donner un enseignement élevé, complet, sans se laisser entraîner sur la pente des dangers que nous avons signalés et que nous voulons prévenir.

Mais, dit-on encore, avec les restrictions que vous imposez, il n'y a plus moyen de donner convenablement aucun cours, ni de philosophie, ni de droit naturel, ni de droit civil,ni de droit public ; il n'y a plus, en un mot, de science possible.

Je vous demande bien pardon ; cet enseignement peut se donner. Encore une fois, ces cours de philosophie, de droit naturel et civil, de droit public ne se donnent-ils pas à Liège d'une manière parfaitement convenable et complète ? C’est que l'indépendance du professeur est suffisante dans les limites constitutionnelles que je viens d'indiquer Les bons professeurs n'en réclament pas d'autre, j'en suis convaincu.

Il m'est donc permis de dire que les principes que j'ai posés, principes constitutionnels d'ailleurs, ne peuvent en aucune façon nuire aux études. Ce qui nuit aux bonnes études, ce ne sont pas les règles qui sont imposées aux professeurs ; ce qui leur nuit, c'est l'immixtion des élèves dans l'examen de questions pour l'intelligence desquelles leur esprit n'est pas encore suffisamment préparé.

Et, quant aux professeurs, quelque distingués que puissent être ceux qui s'occupent ainsi de matières étrangères à leur enseignement, ils seraient plus distingués encore s'ils étaient occupés exclusivement de leurs cours et ne s'étaient pas lancés à la découverte de quelque religion nouvelle.

Il faut voir, après tout, les résultats de ces divers enseignements. Eh bien, j'ai mainte fois entendu dire, par des membres des jurys d'examen, que les élèves de professeurs qui passaient pour les plus brillants avaient souvent moins de succès que les autres dans leurs examens.

Non, messieurs, je ne veux pas borner les horizons que pourront embrasser les professeurs qui ont l'intelligence de leurs devoirs. Jamais je ne paralyserai la science en lui imposant de ridicules entraves. La liberté de discussion, je la veux grande, plus grande peut-être que ceux qui m'accusent de l'étouffer, parce que je n'ai pas peur des résultats auxquels elle conduira. C'est la science complète que je désire ; ce que je redoute, c'est la demi-science, c'est la fausse science.

Occupons-nous maintenant des publications faites par les professeurs.

Pour les publications, messieurs, qu'ai-je dit dans ma circulaire ? J'ai dit qu'il fallait laisser aux professeurs pour les publications étrangères aux matières de leur enseignement une bien plus grande liberté que celle qui leur est accordée pour l'enseignement.

Mais comment indiquer la limite exacte où cesse la liberté du professeur dans ses publications étrangères à l’enseignement ?

L'honorable M. Frère est convenu lui-même qu'il est impossible d'indiquer cette limite. Pour moi, j'y renonce, c'est impossible. Mais j'ai indiqué une limite, la plus large possible, qui ne se fixe pas directement par l'appréciation des principes qui est tirée de l'intérêt des universités dont le gouvernement et les Chambres sont juges responsables.

Ainsi, pour les publications étrangères à l'enseignement, je ne saurais, je l'avoue, assigner de limite précise sous le rapport des doctrines ; mais je dois empêcher qu'on froisse systématiquement la conscience publique et qu'ainsi l'on compromette la prospérité des universités du gouvernement. Le gouvernement est juge de chaque cas, et les Chambres sont juges des actes posés par le gouvernement sous sa responsabilité.

On a attaqué le gouvernement du chef des actes posés par lui à l'égard de deux professeurs de Gand.

J'ai déjà eu occasion de m'en expliquer hier en quelques mots.

Ces deux actes sont antérieurs aux récents événements dont on nous a accusés de subir la pression. C'est, il y a quinze mois, au moment même où le dernier ouvrage de M. Laurent a paru, que le gouvernement, se préoccupant de l’émotion que devait causer ce livre et des résultats qu'il devait amener probablement pour l'université de Gand, a adressé un blâme secret à ce professeur. C'était en acquit d'un devoir. Ces mesures, on ne les prend pas à plaisir. Vous la savez tous, vous surtout qui avez exercé le pouvoir, il en coûte de prendre de telles mesures ; mais il le faut, devant l'intérêt de l’institution dont le gouvernement est responsable.

Ce n'est pas, messieurs, comme catholique, me sentant profondément froissé par les doctrines de ce livre, que j'ai adressé cette lettre à M. Laurent ; je l'ai adressé au point de vue d'un ministre obligé de se préoccuper de l'effet que devait produire ce livre sur l'université à laquelle appartenait le professeur. Et vous avouerez que les prévisions du gouvernement ne se sont que trop bien justifiées.

Je n'ai pas pris de mesure rigoureuse à l'égard de ce professeur, parce qu'il n'y avait à cette époque ni ligne tracée au gouvernement, ni avertissements donnés aux professeurs ; et c'est dans ce sens que j'ai dit que si son livre avait paru après la circulaire, j'aurais appliqué la circulaire et j'aurais sévi contre le professeur, parce que je suis convaincu qu'il a froissé la conscience publique et causé un préjudice grave à l'institution à laquelle il appartient.

Pour l'avenir, il va sans dire que je me réserve d'examiner.

Pour M. Brasseur, je vous l'ai dit à différentes reprises et je le maintiens encore, le gouvernement ne revient pas sur le passé pas plus que pour M. Laurent ; mais dans l’intérêt de l'université j'avais à examiner si ce professeur convenait sous tous les rapports à la position qu'il occupe comme professeur de droit naturel. Mais il donne le cours de droit comme on ne le donne dans aucune de nos universités.

J'ai pris des informations officielles : toutes ces questions religieuses, qu'il traite et qui ont causé précisément toutes nos difficultés, on ne doit pas indispensablement les traiter dans ce cours à l'université de Liège, il n'est pas question de ces matières dans le cours de droit naturel. J'ai demandé à un de mes honorables collègues ce qui se fait à l'université de Bruxelles. Eh bien ! le professeur de droit naturel ne s'y occupe en aucune façon des questions religieuses dont s'occupe le professeur de droit naturel à l'université de Gand.

(page 79) Du moment donc que l’on peut éviter ces difficultés sans nuire le moins du monde à la science du droit naturel, il me semble que j'avais bien le droit de dire à mon professeur, ou vous modifierez votre enseignement sous ce rapport, ou je donnerai votre cours à un autre professeur. Il me semble que le gouvernement avait été parfaitement dans son droit, et avait agi dans l'intérêt de l'université, en se proposant de prendre cette dernière résolution.

Messieurs, je crois avoir justifié les motifs pour lesquels j'ai publié la circulaire, justifié les principes que j'ai professés dans cette circulaire ; et expliqués au Sénat comme à la Chambre, et justifié enfin les actes que j'ai posés à l'égard des deux professeurs de l'université de Gand. ,

Je pourrais borner là mes observations.

Mais quelques orateurs, que vous avez entendus dans la séance d'hier, ont élargi le débat, et j'éprouve le besoin de les suivre sur ce terrain.

Ils ont signalé des doctrines qui depuis quelque temps se font jour en Belgique et qui tendent à prouver que nos institutions constitutionnelles sont incompatibles avec le catholicisme.

Ces orateurs nous ont dit : il faut oser protester contre ces doctrines !

Messieurs, l'histoire des vingt-cinq années d'existence intacte de notre régime constitutionnel, proteste éloquemment contre cette prétendue incompatibilité ! L'honneur même de la représentation nationale proteste contre une pareille accusation, qui ne tendrait à rien moins qu'à insinuer que la moitié de cette Chambre est parjure ! Je crois donc inutile, messieurs, de protester solennellement contre des doctrines qui tendraient à faire douter du profond dévouement de mes honorables amis et de moi aux institutions libres que le pays s'est données.

Mais il y a une autre protestation que je sens le besoin de faire, c'est une protestation contre une partie de la presse catholique, qui a pris une position à tous égards regrettable. Contre ces tendances intolérantes et exclusives, qu'on vous a signalées hier, je viens protester à mon tour.

Je viens protester contre ces tendances, au nom du dévouement que j'ai consacré à la défense de la cause catholique constitutionnelle. Je proteste contre ces tendances, au nom de l'intérêt même de la cause catholique si gravement compromise par ces exagérations.

Je proteste contre ces tendances, parce que je veux être conséquent avec moi-même, et que, ayant lutté courageusement contre les exagérations de l'esprit exclusif au point de vue libéral, j'aurai le courage de les signaler et de les combattre aussi dans une fraction de l'opinion catholique. Je proteste contre ces tendances, parce que, pour moi, il est évident qu'elles conduisent à un abîme où ira s'engloutir, avec la religion compromise, notre nationalité elle-même.

Oui, messieurs, à voir les tendances de la presse catholique des Flandres surtout, provinces qui me touchent de plus près, à voir les tendances de cette presse, on est autorisé à dire qu'un souffle d'intolérance a passé sur la Belgique. Mais heureusement, hâtons-nous de le dire, ce souffle encore vient de l'étranger. Nous pouvons le dire à l'honneur du pays. Sous quelque drapeau qu'elle se présente, l'intolérance n'est pas belge. En Belgique, l'intolérance a toujours été d'importation étrangère, je dirai même de contrebande. Sous Philippe II, sous Joseph II, sous Guillaume, l'intolérance, qu'elle s'appelât inquisition, philosophie, protestantisme, a toujours soulevé le pays.

Ces trois règnes de l'intolérance ont été brisés par les trois révolutions dont notre histoire fasse mention !

Messieurs, c'est là un enseignement grave, un enseignement que j'ai signalé dans le temps, à la fraction exclusive du libéralisme ; c'est cet enseignement que je recommande aujourd'hui, du haut de la tribune nationale, à la fraction intolérante de l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Messieurs, mes convictions à cet égard sont sincères, ardentes ; elles nous sont communes d'ancienne date.

Notre civilisation politique repose tout entière et a toujours reposé sur deux grandes assises : un profond sentiment religieux et un ardent amour de la liberté.

Ces deux sentiments ont un caractère spécial en Belgique : le sentiment religieux, quelque profond qu'il fut et qu'il est encore, a toujours été ennemi de toute intolérance, et la liberté telle que nous la concevons en Belgique, a toujours été compatible avec le respect de l'autorité.

C'est dire assez, messieurs, que la véritable politique nationale, que la véritable politique belge, c'est à mes yeux la politique reposant sur l'alliance de la religion et de la liberté, alliance scellée par notre immortel Congrès national !

Pénétrons-nous de cette pensée de transaction. Pour moi, je n'ai jamais séparé la cause de la religion de la cause de la liberté.

Je le déclare, messieurs, et vous serez tous de mon avis, j'en suis convaincu, ceux qui, en Belgique, veulent la religion sans la liberté, méconnaissent le génie de la nation ; ceux qui veulent la liberté sans la religion méconnaissent le génie de la nation au même titre.

Ce que je veux donc, c'est l'alliance pour mon pays, loyale entre la religion et la liberté. Je n'ai, pour ma part, jamais compris d'autre politique belge, je n'en pratiquerai jamais d'autre !

MpD. - La parole est à M. de Haerne.

M. de Haerne. - Ne conviendrait-il pas, M. le président, d'entendre un orateur contre ?

MpD. - La parole est à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Je voudrais entendre un orateur qui parlât dans un sens contraire à M. Dedecker.

Des membres. - La clôture.

D'autres membres. - Non ! non !

MpD. - La clôture n'est pas demandée par dix membres. La parole est à M. F. de Mérode.

M. F. de Mérode. - Si l'on veut clore, je ne m'y oppose pas, mais je suis prêt à parler. Ce n'est pas que je craigne de m'expliquer.

Plusieurs membres. - La clôture.

M. Devaux. - Cela n'est pas sérieux.

Des membres. - Laissez parler.

MpD. - Si l'on n'insiste pas sur la demande de clôture, j'accorderai la parole à M. de Mérode.

M. de Mérode. - Dans la séance du 22 janvier de l'année actuelle, je vous citais, messieurs, les paroles ici prononcées par un notable représentant liégeois, lorsqu'il fut, en 1849, question d'examiner s'il était à propos de maintenir deux universités de l'Etat.

Bis repetita placent quando bona

(Quand on traite de l'enseignement supérieur, on peut se permettre quatre mois de latin.) Voici ces paroles :

« On me dira qu'il y a en Belgique deux universités libres ; mais qui vous répond que les fidèles, qui ont jusqu'à présent contribué par leurs souscriptions à soutenir l'université de Louvain, ne finiront pas par comprendre que, dans un pays comme le nôtre, composé en grande majorité, presque en totalité de catholiques, ils peuvent, en toute sûreté de conscience, sans le moindre danger pour leurs doctrines religieuses, confier leurs enfants aux universités de l'Etat ?

« Le ministère qui voudrait donner à ces universités une direction hostile aux opinions religieuses de l'immense majorité de la nation, serait bientôt renversé. »

Il y a loin, messieurs, de cette manière, d'apprécier les devoirs du gouvernement dans la direction de l'enseignement supérieur, à l'opposition au paragraphe de l'adresse que l'honorable M. Delfosse nous a déclaré hier ne vouloir pas accepter.

Remarquez, en effet, que si le ministre qui voudrait donner aux universités de l'État une direction hostile aux opinions religieuses de l'immense majorité de la nation doit être renversé, ce ministre ne peut tolérer que les professeurs payés par le trésor public donnent, selon leur fantaisie individuelle, par des leçons ou par des livres qu'ils offrent en lecture à leurs élèves, une direction hostile aux opinions religieuses de la généralité des familles dont ils sont charges d'instruire les jeunes étudiants.

Et à cette occasion j'ai quelques observations à vous présenter sur ce qu'on appelle faussement l'égalité des cultes en Belgique et en tout pays, et sur ce qui la distingue de la véritable et pratique égalité. En Belgique, un protestant, un catholique ou un israélite sont égaux devant la loi ; qu'une place puisse être convenablement remplie par un catholique, un protestant ou un israélite, elle doit être donnée à celui qui offre le plus d'aptitude.

Mais une réunion de mille protestants est supérieure à un groupe de vingt catholiques, et dans une commune en très grande majorité formée de protestants, l'école publique doit être organisée principalement pour l'ensemble qui est protestant.

Quelques catholiques, habitants de cette commune, s'ils sont doués de bon sens, qualité bien préférable à la finesse de la chicane, ne se prétendront pas les égaux en tout et pour tout d'un ensemble de population qui ne peut, en équité distributive, être comparée pour son importance à leur petit nombre.

Là où il faut gêner une multitude de personnes ou quelques individus, parce que certaines circonstances ne permettent pas de les mettre tous parfaitement à leur aise, on n'hésite pas sur le mode à suivre, on ne tire pas au sort pour décider de la préférence.

Deux barques sont entraînées sur un fleuve débordé vers un abîme. L'une porte cent personnes et l'autre dix ; des spectateurs placés près de la rive et ne possédant qu'une corde qu'ils peuvent jeter seulement à l'une ou à l'autre, considéreront sans doute chaque individu de la petite comme aussi intéressant à sauver que chaque personne de la grande ; mais eu égard au nombre, ils lanceront la corde à celle-ci ; et si, pour être impartiaux, ils n'en font point usage, que dira-t-on de leur humanité ?

Dans cette Chambre, chaque représentant d'une minorité de 40 membres contre 60, est l'égal d'un membre de la majorité, mais 60 voix, l'emportent sur 40, et quant aux deux fractions de votants, la plus grande entraîne le bassin de la balance législative, et comme il faut un résultat pour ou contre un projet de loi, la minorité subit plus que la prépondérance de la majorité.

Quand il s'agit de religion, est-il possible d'enseigner dans la même école, petite ou grande, inférieure ou supérieure, des croyances contradictoires sans tomber dans une véritable anarchie morale ? Evidemment en fait c'est impossible. C'est la ruine de toute foi religieuse quelconque ; c'est pourquoi M. Delfosse disait avec tant de raison, lorsqu'il (page 80) est question de maintenir deux universités de l'Etat ou d'en supprimer une : « Dans un pays comme le nôtre, composé en grande majorité, presque en totalité, de catholiques, les fidèles doivent pouvoir en toute sûreté de conscience et sans le moindre danger pour leurs doctrines religieuses confier leurs enfants aux universités de l'Etat. » Et il concluait même de cette sécurité qui leur était due à l'inutilité d'une université catholique entretenue par souscriptions.

Mais voilà qu'au lieu de s'occuper des intérêts de la majorité de la presque totalité des enseignés qui payent, on est plein de souci pour la liberté des enseignants, lesquels acceptent un traitement de l'Etat, probablement, selon cette théorie, pour leur agrément personnel et non pour les convenances des élèves.

La grande majorité des Chambres a donné son approbation à la convention dite d'Anvers, sous le ministère dont faisait partie notre collègue M. de Brouckere qui la défendit avec beaucoup de fermeté et sans tergiversation.

Avant-hier M. Devaux se plaignait amèrement de ce que l'évêque de son diocèse n'y favorisait pas assez l'exécution de la convention d'Anvers, au moyen de laquelle l'enseignement religieux, déclaré obligatoire par la loi sur l'instruction moyenne, pouvait être donnée dans les collèges communaux. Il s'agissait d'enseignement catholique, puisque l'évêque était mis en cause. Or, messieurs, je vous le demande, lorsqu'un jeune homme qu'on formait en août 1856, dans un collège où s'applique la convention d'Anvers, selon le vœu du gouvernement et des Chambres, passe en octobre du cours de rhétorique de ce collège à un cours quelconque d'une des universités de l'Etat, et qu'il entend affirmer dans les leçons ou qu'il lit dans les livres que publie son professeur, que le dogme du péché originel, tel qu'il a été formulé par l'Eglise, est en opposition avec la notion que nous avons de Dieu et de la nature de l'homme ; que saint Paul et saint Athanase ont introduit dans la théologie chrétienne le dogme de la divinité du Christ ; lorsqu'on lui dit dans un autre cours que la réforme fut pour le moyen âge ce que le christianisme avait été pour l'antiquité, une réhabilitation du principe subjectif par la proclamation du libre examen, et que la papauté du moyen âge avait anéanti l'élément subjectif de l'homme ; que voulez-vous qu'il fasse de l'instruction religieuse dont vous lui avez procuré le bienfait par la convention d'Anvers et que M. Devaux déplore de ne pas voir suffisamment mise à exécution, selon lui, dans le diocèse de Bruges ?

Autre chose. La Belgique est couverte d'églises catholiques, tous les ans des sommes notables sont fournies par le budget pour en construire de nouvelles ou pour réparer celles qui existent. Aucun village ne veut en être dépourvu et les habitants qui en manquent font de grands efforts pour n'en pas être indéfiniment privés ; et voilà le gouvernement chargé des affaires du pays auquel ils appartiennent qui organiserait un enseignement démolisseur des idées qui donnent une âme à ces édifices religieux, et l'organisation susdite ressemble de la sorte à une artillerie destinée à les raser par la bouche de professeurs soldés, comme on fait brèche aux murailles d'une forteresse ennemie par la gueule des canons bourrés de poudre et de boulets.

On parle souvent du bon sens des Belges ; mais ces combinaisons si bizarres, non pas seulement aux yeux d'un catholique, mais aux yeux de tout homme qui prend la peine de relier deux idées, ne sont-elles pas l'inverse d'un ordre raisonnable et tant soit peu conséquent avec lui-même ?

Cependant, dit M. Rogier, les pères de famille bruxellois et gantois trouvent ce régime bon ; ils l'approuvent par l'organe de leurs conseils communaux. Mais d'abord il faut savoir si les représentants légaux de ces villes sont leurs représentants réels. Et pour qu'ils fussent ces véritables représentants il faudrait que les électeurs, sauf exceptions par nécessite, prissent la peine de concourir aux élections, c'est ce qu'ils ne font pas, à mon grand regret, ne comprenant point l’importance de la mission que leur attribue la loi ; et je ne leur en fais pas mon compliment, n'étant ici pour flatter personne. En outre, si l'Etat bat en brèche l'Eglise par son enseignement supérieur doté des ressources financières du trésor public, il doit arriver qu'à la longue elle s'affaiblira, surtout dans les grandes villes, où l’homme est plus exposé qu'ailleurs à la dégénérescence morale, chacun le sait.

Je ne suis pas de ceux qui regardent la Belgique comme incorruptible. Pourquoi les gens nés à Mons seraient-ils dotés d'un privilège particulier de conservation comparés aux natifs de Valenciennes ou de Cambrai ?

Les Belges de 1789 n'eussent jamais toléré chez eux le régime terroriste impie que subit la France de cette époque ; jamais une France composée de Vendéens et de Bretons n'eût souffert non plus pareille domination du crime ; parce que les idées destructives de la religion n'avaient point ou très peu pénétré chez ces populations ; et la cour de nos gouverneurs généraux n'était pas celle de Versailles ; mais si le gouvernement belge laisse continuer la prédication, à ses frais, de l'antichristianisme, si les autorités locales de la province de Brabant et de la ville de Bruxelles encouragent avec les deniers des contribuables la guerre faite aux croyances religieuses du pays, la semence ne pourra manquer de produire ses fruits, et le peuple perdra plus on moins, et probablement beaucoup, ce qu'il conserve d'esprit de foi, non sans infaillible altération de la morale.

Et qu'on ne dise pas que tel est l'esprit de la Constitution. Interprétée selon son sens propre, elle est plutôt favorable qu'hostile à la religion qu'on peut encore appeler nationale en fait ; et à propos de l'enseignement public, la Constitution ne prescrit rien que de parfaitement inoffensif.

Aussi s'est-elle gardée d'ordonner l'organisation d'aucun enseignement gouvernemental, elle ne l'a pas même indiqué. Elle déclare primo l’enseignement libre ; en second lieu, elle parle d'organisation d'instruction donnée aux frais de l'Etat et n'en attribue nulle part la direction aux fonctionnaires publics : en effet, autant il est difficile de réglementer sagement et libéralement un enseignement dirigé par les fonctionnaires de l'Etat (nous en acquérons la preuve chaque année), autant il est facile d'aider pécuniairement les établissements que signale au gouvernement la confiance publique, et d'assurer ainsi aux membres de chaque société religieuse une instruction conforme à leurs besoins respectifs.

Mais puisqu'on s'est engagé dans une autre voie qui n'est point celle indiquée par la Constitution, il faut du moins éviter de ruiner d'une main ce qu'on édifie de l'autre, et reconnaître que la liberté du professeur payé par l'Etat n'est pas du tout celle du professeur qui enseigne pour son compte particulier et en son propre nom, en un mot accepter la théorie dont j'emprunte la définition à l'honorable M. Delfosse, lorsqu'il disait que l’enseignement donné dans les universités de l'Etat devait être de telle nature qu'il ne pût donner la moindre inquiétude aux familles qui composent non seulement la majorité mais la presque totalité des Belges.

Quant aux difficultés qui résulteraient d'un jugement à porter sur le contrat mohalra dont j'ignorais le nom, cité par l'honorable M. Frère, je ne permets pas de le disséquer, non plus que celles qui naîtraient de l'explication du mariage civil lequel ne suffit pas plus, religieusement parlant, aux israélites qu'aux catholiques, ni même de l'encyclique du pape Grégoire XVI, puisque l'autorité pontificale ne nous a jamais défendu de prêter serment d'observer la Constitution belge, ce qui prouve qu'il n'est nullement incompatible avec un ordre politique licite, mais seulement qu'elle interdit de célébrer quelques principes qu'elle adopte comme constituant l'ordre moral et divin par excellence pour tous les temps et tous les lieux.

M. Delfosse. (pour un fait personnel). - J'ai dit, en 1849, qu'un ministre belge qui donnerait à l'enseignement de l'Etat une direction hostile aux opinions religieuses de l'immense majorité du pays, serait bientôt renversé.

Ce que j'ai dit alors, je le dis encore aujourd'hui ; non seulement ce ministre serait renversé, j'ajoute qu'on ferait bien de le renverser.

Mais est-ce une raison pour empêcher un professeur d'une université de l'Etat de publier ses opinions sur des questions philosophiques, même étrangères à son cours ?

C'est surtout cette prétention exorbitante, que je ne puis admettre, qui a motivé mon opposition au paragraphe en discussion.

Je reconnais que M. le ministre de l'intérieur a parlé tantôt dignement, éloquemment ; mais il est des concessions que je ne lui ferai jamais. Jamais je ne lui sacrifierai un professeur honorable qui n'a fait qu'user avec convenance d'uu droit garanti à tous par l'article 14 de la Constitution.

(page 80) M. Verhaegen. - Messieurs, après le discours de M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. de Mérode n'a pas voulu nous faire grâce de ses vieilles théories sur la liberté des cultes ; comme toujours, il a attaqué cette liberté, il a cherché même à la tourner en ridicule ; et c'est à la suite de ces attaques, dont plusieurs des amis politiques du député de Nivelles sont loin de répudier les conséquences, quoiqu'ils ne le disent pas ouvertement, que nous consentirions à voter le paragraphe de l'adresse en discussion, paragraphe auquel on donnerait plus tard une portée tout autre que celle qu'indiquait tantôt l'honorable M. Dedecker !

Dans cette position il ne m'est pas permis de garder le silence.

Messieurs, c'est de la part de nos adversaires toujours la même tactique : lorsqu'il s'agit de questions religieuses, ils ont soin de garder le silence ou bien d'user de précautions oratoires dans le but d'obtenir des concessions, et quand les concessions sont obtenues, ils les font sonner bien haut et ils en tirent d'énormes conséquences.

Depuis plus de 15 ans nous nous occupons de la question de l'enseignement et constamment les mêmes luttes se sont reproduites, les mêmes prétentions se sont fait jour ; la fin devait couronner l'œuvre. Aussi plusieurs de nos honorables collègues de la droite ne nous ont-ils pas caché leur opinion sur la direction exclusive qui, selon eux, devait être attribuée au clergé catholique dans l'enseignement à tous ses degrés.

Entre autres, un de nos honorables collègues, qui n'est plus et que j'estimais beaucoup, quoiqu'il fût d'une opinion tout à fait contraire à la mienne, l'honorable abbé de Foere, fit, il y a dix ans, une déclaration très explicite en ce sens ; c'était en réponse à une interpellation que je lui avais adressée, et cette déclaration est insérée au Moniteur.

Il faut donc au clergé la direction de l'enseignement à tous ses degrés. On a commencé par l'enseignement primaire, et on lui a donné l'entrée dans les écoles à titre d'autorité. Je suis un de ceux qui ont combattu cette prétention, dont je ne me dissimulais pas la portée ; je l'ai combattue avec conviction et avec persévérance ; et je trouve aujourd'hui plus que jamais qu'en agissant ainsi je défendais les vrais principes.

On voulait réduire alors, comme toujours, la discussion à des proportions très minimes. On me disait : « Mais il n'est question que de l'enfance ; quel mal trouvez-vous à ce que l'enfant reçoive une éducation religieuse ? Pourquoi voulez-vous empêcher que le prêtre catholique préside à cette éducation et entre dans l'école ? La religion catholique est d'ailleurs la religion de la presque universalité des Belges. »

Je répondais qu'en supposant que cela pût être vrai au point de vue des convenances et des intérêts du plus grand nombre, cela n'était pas vrai au point de vue constitutionnel ; qu'il fallait concilier la liberté des cultes avec la liberté d'enseignement et mettre les intérêts des enfants appartenant à des cultes dissidents sur la même ligne que l'intérêt des enfants catholiques ; qu'ainsi, en admettant dans l'école le prêtre catholique, il fallait aussi y admettre les ministres des autres cultes, puisqu'il ne s'agit pas d'une question de chiffres, mais bien d'une question de droit et d'équité ; que, du reste, j'étais loin de m'opposer à ce que les enfants fréquentant les écoles primaires, reçussent une éducation religieuse, mais que d'après moi il n'y avait qu'un seul moyen de concilier les deux libertés en présence, c'était d'envoyer les enfants pour l'instruction religieuse aux églises respectives de leur culte.

L'honorable ministre de l'intérieur, qui était alors simple député n'hésita pas à déclarer qu'il était d'accord avec moi sur ce point, que c'était en effet le seul moyen de concilier la liberté des cultes avec la liberté d'enseignement...

Mi. - J'ai dit que c'était le moyen extrême.

M. Verhaegen. - Non, car tous repoussiez les écoles mixtes, puisque vous trouviez des inconvénients à ce que des enfants protestants fussent réunis à des enfants catholiques, alors que l'instruction religieuse pour les différents cultes se serait donnée dans l'école même. Et l'honorable M. F. de Mérode ne reculerait sans doute pas même devant cette autre idée que, puisque la grande majorité des Belges est composée exclusivement de catholiques, il faut chasser les enfants protestants des écoles primaires. C'est aussi un moyen extrême ; je ne pense pas que celui-là soit du goût de l'honorable ministre de l'intérieur.

Messieurs, le système que j'ai chaleureusement défendu en 1842 n'a pas prévalu : l'entrée des ministres du culte catholique, à titre d'autorité, dans l'école, a été accordée par la loi de l'instruction primaire ; mais pour obtenir cette énorme concession de l'opinion libérale, on lui avait donné l'assurance, dans le cours de la discussion, que cette intervention se bornerait à l'instruction de l'enfance ; que jamais on ne songerait à faire prévaloir un semblable principe dans l'enseignement moyen.

Cependant, en 1850, les mêmes prétentions se renouvelèrent, et, comme si la discussion de 1842 s'était trouvée effacée du Moniteur, on vint nous dire effrontément qu'il serait absurde d'avoir proclamé le principe de l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire et de vouloir écarter ce même principe dans la loi sur l'enseignement moyen.

Et, messieurs, que venez-vous d'entendre, il n'y a qu'un instant ? L'honorable M. de Mérode a terminé son discours en déclarant qu'il serait absurde aussi qu'un jeune homme, qui a reçu l’instruction religieuse dans un établissaient d'instruction moyenne ne pût pas suivre la même route dans l’enseignement supérieur.

Si le système de nos adversaires a été le même, en fait ils ont obtenu les mêmes résultats. Par un amendement proposé à l’article 8 qu'on crut très inoffensif d'après les explications du gouvernement et que la Chambre adopta, l'instruction religieuse fut déclarée obligatoire dans l'enseignement moyen et les ministres des cultes furent appelés à prêter leur concours.

C'est cet article 8 qu'on n'a cessé d'opposer à l’opinion libérale chaque fois qu'elle a cru devoir combinée les empiétements du clergé. « Vous avez voté l'article 8, lui a-t-on dit. Vous devez en supporter toutes les conséquences. »

Messieurs, nous ne reculons pas devant les conséquences de l'article 8 tel qu'il a été expliqué et voté. Mais ne l’oublions pas, et une fois pour toutes, soyons de bonne foi : l'article 8 appelle l'intervention, non pas des ministres d'un seul culte, mais des ministres de tous les cultes, du culte protestant comme du culte catholique, du culte israélite comme du culte catholique et du culte protestant.

Que disait l'honorable M. de Mérode, alors qu'en 1850 on lui faisait remarquer la portée de l'article 8 ? Il disait, et il dit encore aujourd'hui qu'il ne s'agit pas de divers cultes dans la pratique, qu'il ne peut être question que du culte catholique, parce que la grande majorité des Belges professe le culte catholique et qu'on n'a pas à s'occuper de minorités infimes. Que répondait le gouvernement aux observations de M. de Mérode ? Il rappelait la disposition de l'article 14 de la Constitution proclamant la liberté des cultes, et cette réponse satisfit la majorité ; on semble l'avoir complètement oublié.

Messieurs, lorsque en 1854 il s'est agi de faire sanctionner par la Chambre la convention dite d'Anvers, nos adversaires se sont encore une fois faits très petits et très modestes : ils ont tâché de faire oublier la discussion de 1850 et ils n'ont épargné aucun moyen pour rassurer nos amis politiques. Ils ont prétendu haut et ferme que la liberté des cultes resterait intacte, que la liberté de la commune et la volonté des pères de famille seraient toujours respectées. Enfin, ils nous ont donné l'assurance que MM. les évêques, qui tous approuvaient la convention, étaient de bonne foi et qu'ils l'exécuteraient avec franchise et loyauté.

Et cependant qu'est-il arrivé ? A peine un vote solennel de la Chambre avait-il sanctionné la convention, qu'on donna à ce vote une portée qu'il n'avait pas, et qu'on chercha à en tirer la conséquence que la Chambre avait reconnu de nouveau que la loi de 1850 renfermait, quant à l'intervention du clergé dans l'enseignement moyen, le même principe que la loi de 1842.

Il y a plus : cette convention dite d'Anvers, qui, au dire de nos adversaires, avait été approuvée par tous les évêques, a été repoussée, depuis le vote de la Chambre, par plusieurs d'entre eux. Dans diverses localités les exigences ont été les mêmes que celles qui avaient surgi naguère dans l'enseignement primaire et elles ont été telles, qu'on n'a pas pu s'entendre : il aurait fallu, d'après l'évêque, écarter tel ou tel professeur en exercice, admettre telle ou telle condition dans la nomination des professeurs en général, abandonner au clergé la faculté d'admettre, de punir et de renvoyer les élèves. ; et ainsi, vous le voyez, messieurs, la convention qu'on avait promis d'exécuter loyalement et de bonne foi ne satisfaisait plus les exigences.

Et dans d'autres localités où les administrations communales avaient dépassé toutes les limites en consentant même à aliéner leur liberté, l'épiscopat a fini même par refuser tout concours par le seul motif que dans ces localités le clergé avait créé à grands frais des établissements similaires qui souffrent de la concurrence que leur font les établissements, laïques, d'où la conséquence inévitable que l'épiscopat était guidé, non plus par l'intérêt de la religion, mais par un intérêt qui a été qualifié dans une autre enceinte ; d'où la conséquence ultérieure que le clergé veut la direction exclusive de l'enseignement moyen comme il a voulu la direction exclusive de l'enseignement primaire, comme il veut aujourd'hui la direction exclusive de l'enseignement supérieur.

J'ai dit, messieurs, que la fin doit couronner l'œuvre, et je le répète : le clergé a beau cacher son jeu, il résulte à l'évidence de tout ce qui se passe, qu'aujourd'hui il veut l'absorption de l'enseignement supérieur. Ici la voie directe ne lui est pas ouverte, aussi a-t-il recours à une voie indirecte.

Et quelle est cette voie indirecte ? La loi ne lui permettant pas d'intervenir dans l'enseignement supérieur sous prétexte d'y donner l'instruction religieuse, son concours n'étant pas même facultatif, il ne lui restait qu'un moyen pour atteindre son but, c'était de censurer et de mettre en interdit les universités de l'Etat, de chercher à les ruiner, d'abord en faisant un appel aux consciences timides de quelques pères de famille, ensuite en menaçant le gouvernement lui-même, et c'est ce moyen qu'il a employé.

Messieurs, qu'il me soit permis de le dire en passant, ce ne sont pas seulement les universités de l'Etat qu'on attaque, on attaque encore et on devait attaquer pour faire cesser la concurrence qu'on redoute l'université de Bruxelles tout aussi libre qui celle de Louvain, et envers laquelle on affectait naguère des sympathies lorsqu'il pouvait être question d'atteindre un but commun quant aux jurys d'examen. Il paraît que les circonstances ont bien changé.

Et quel moment choisit-on pour ouvrir cette campagne ? On choisit (page 82) précisément le moment de l'ouverture, qui était alors prochaine, des cours de l'université de Louvain. C'est le 8 septembre à Gand et le 18 septembre à Bruges, que paraissent les fameux mandements épiscopaux.

Messieurs, ces mandements sont aujourd'hui blâmés par M. le ministre de l'intérieur lui-même, quoiqu'il se fût, il y a peu de temps encore, proclamé « enfant soumis de l'Eglise ». Vous l'avez entendu, il s'en plaint amèrement comme il se plaint de la presse catholique, et spécialement de cette presse qui dans deux de nos principales provinces reflètent l'opinion de l'épiscopat.

Messieurs, ces mandements ne se bornent pas à jeter le discrédit sur les établissements d'instruction supérieure de l'Etat et sur un établissement laïque libre ; ils vont même jusqu'à s'emparer du terrain de la politique ; d'une part, ils font un appel aux contribuables, et d'autre part ils défendent, exaltent même la regrettable encyclique de 1832, que M. Dedecker, d'après la déclaration qu'il a faite, ne permettrait pas aux professeurs des universités de l'Etat de justifier dans leurs cours ou dans leurs écrits.

Voici la preuve de mes assertions : dans le mandement de l'évêque de Bruges du 18 septembre 1850, je lis en termes :

« N'a-t-on pas même, de l'aveu des fondateurs, établi, dans la capitale du royaume, des cours publics d'enseignement supérieur, dans le but exprès de faire enseigner des doctrines religieuses opposées à celles de l'université catholique fondée par l'épiscopat ?... Nous sommes d'autant plus en droit de nous plaindre de ces cours qu'ils sont établis pour la jeunesse catholique, dont le soin spirituel nous est confié, qu'ils sont subsidiés par l'argent des contribuables catholiques, et que cette faveur n'est certainement pas accordée dans la vue de maintenir un antagonisme si déraisonnable et si opposé aux vœux légitimes des parents chrétiens. »

Ce n'est donc plus aux sentiments religieux des pères de famille qu'on fait appel, c'est à leur bourse qu'on s'adresse ; mais ou a oublié de leur dire que l'université de Louvain a été dotée largement, lors de sa création, par le gouvernement d'alors ; qu'elle est en possession de locaux et de collections d'une valeur considérable qui appartenaient à l'Etat, et qu'elle est favorisée de presque toutes les bourses, au point que les trois quarts de ses élèves sont des boursiers.

Dans une des pièces justificatives jointes, sous la lettre F, au mandement de l'évêque de Gand, du 8 septembre 1856, je trouve ce qui suit :

« Ecoutons les mémorables paroles de l'Encyclique du 15 août 1832.» Suivent alors les développements sur les attaques contre la plupart des libertés proclamées par notre pacte fondamental.

Certes ceux de nos honorables collègues qui auraient le désir de justifier la conduite de l'épiscopat au point de vue des sentiments purement religieux n'oseraient jamais tenter de la justifier publiquement sur les points que je viens de signaler.

Après s'être adressé aux pères de famille, qu'il cherche à intimider, l'épiscopat s'adresse au gouvernement et le menace. C'est l'honorable ministre de l'intérieur lui-même qui nous a fait part de la position fâcheuse dans laquelle les lettres épiscopales l'avaient placé, position qui s'est encore aggravée par la conduite ultérieure des auteurs de ces mandements.

En effet, messieurs, n'avons-nous pas vu un des journaux de la presse catholique qui est l'organe avoué d'un de nos évêques, la Patrie de Bruges, venir dire à M. le ministre de l'intérieur pas plus tard qu'hier :

«Que l'on s'explique, l'équivoque dans laquelle M. Dedecker se complaît doit finir parce qu'il ne résout rien. On peut réussir à garder un portefeuille pendant quelques mois de plus, mais on ne gouverne pas ainsi comme ministre. Les fausses positions sont toujours compromettantes. Nous l'avons dit dès le principe, la promesse, nous allions dire la lâcheté de M. le ministre du l'intérieur ne le sauvera point et rien ne l'usera plus vite que les éloges qu'il a en le grand tort de mériter.

« (…) M. Dedecker s’est aveuglé et maintenant il s'obstine. Tant pis pour lui. La majorité ne le suivra point, nous en sommes sûrs, dans la voie funeste ou il est engagé, et l’Observateur aura aidé pour beaucoup à dessiner la vraie situation, à hâter la solution qu'il appelle.

« Les évêques disent non ; le ministre dit oui !

« (…) Mais maintenant commence pour la majorité qui jusqu'ici soutenait M. Dedecker un grave devoir ; nous espérons qu'elle saura le remplir. Il faut acculer le ministre entre un oui et un non et l’exécuter comme il a répondu. »

Voilà de quelle manière a procédé l'épiscopat belge. Voilà les moyens indirects auxquels il a eu recours lorsqu'il n'avait en son pouvoir aucun moyen direct pour renverser l'instruction supérieure de l'Etat au profit de son établissement libre de Louvain.

El c'est lorsque ce système est défendu encore en ce moment par des membres de la droite, lorsque je dois croire que l'honorable M. de Mérode n’est pas isolé sur son banc, lorsque j'ai lieu de supposer que plusieurs de ses amis pensent comme lui, que nous pourrions voter une adresse qui, dans ses termes, ne lève aucunement le doute ; qui, au contraire, laisse subsister, et qui, entourée des commentaires qui se sont produits, pourrait même, plus tard, donner satisfaction à cette opinion dominante qui soutient que l’instruction supérieure en Belgique doit être imprégnée de l’esprit catholique dont se trouvent imprégnées l’instruction primaire et l’instruction moyenne.

Il était impossible, messieurs, de laisser passer sans réponse de semblables doctrines.

L'honorable M. de Mérode, aujourd'hui comme en 1842, comme en 1850, comme en 1854, et cela d'accord avec plusieurs de ses amis, nous a dit que la liberté des cultes proclamée par l'article 44 de la Constitution n'a pas la portée que nous lui assignons, et à cet égard il s'est permis des plaisanteries, comme si la question n'avait pas assez de gravité pour s'en abstenir.

Messieurs, la liberté des cultes, d'après l'honorable M. de Mérode ne signifie absolument rien. L'article 14 de la Constitution est une lettre morte. La grande majorité, la presque unanimité des Belges est catholique. La religion catholique est la religion dominante, la religion nationale ; c'est en fait la religion de l'Etat. Mais c'est professer une hérésie constitutionnelle que de tenir un pareil langage.

Plusieurs membres. - Il n'a pas dit cela.

M. Verhaegen. - Son discours est écrit, il sera au Moniteur.

M. F. de Mérode. - Je demande qu'il soit imprimé par vous et que vos lecteurs le lisent aussi.

M. Verhaegen. - Certainement, on y gagnera d'ailleurs beaucoup.

On ne s'occupe pas, dit M. de Mérode, d'une infime minorité. C'est l'intérêt de la grande majorité qu'il faut envisager ;

Messieurs, l'article 14 de la Constitution renferme un principe sérieux ; et remarquez-le bien, à côté de ce principe de la liberté des cultes se trouve, dans le même article, le principe du libre examen ; car, dit cet article, il est permis à tous d'énoncer ses opinions sur quelque matière que ce soit.

Oubliez-vous ce qui s'est passé en 1831 ? Pour qui donc a été introduite dans la Constitution la liberté des cultes ? Pour qui a été introduite la liberté d'examen ? Etait-ce par hasard pour la grande majorité qui n'en avait pas besoin ? Si la grande majorité, si la presque unanimité des Belges est catholique, la liberté des cultes leur était parfaitement indifférente. Leur position leur assurait d'avance tout ce qu'ils pouvaient réclamer.

Mais la liberté des cultes, la liberté d'examen ont été introduites dans la Constitution, précisément en faveur de cette minorité que vous dédaignez aujourd'hui. C'était l'un des termes de la transaction. Pour cette liberté des cultes, pour cette liberté d'examen, on vous a fait d'énormes concessions que vous n'auriez pas obtenues sans cela. Vous avez obtenu en échange des libertés dont aucun clergé ne jouit dans le monde. Vous avez obtenu l'indépendance la plus complète de l'Eglise catholique. Vous avez obtenu entre autres le droit de correspondre avec un souverain étranger sans contrôle de votre propre gouvernement, le droit de publier des bulles sans aucune formalité ; le droit en un mot de jouir de l'indépendance la plus complète telle qu'elle n'existe nulle part. Et lorsque vous avez obtenu tout cela comme équivalent des libertés que vous nous avez concédées, vous voulez bien les avantages, mais vous ne voulez plus les charges.

Je sais bien, messieurs, que cet article 14 ne vous convient pas. Je comprends très bien qu'au point de vue de votre opinion, il vaudrait mieux n'avoir qu'une seule religion, la religion catholique, comme religion de l'Etat. Mais si vous l'aviez ainsi voulu, vous n'auriez pas obtenu ces autres avantages dont je viens de parler et qui ne sont que le corollaire de ce que vous avez accordé.

Nos adversaires consentiraient-ils par hasard à rompre la grande transaction qui a été faite en 1831 et à remettre les choses dans l'état où elles étaient antérieurement ? Et pour être plus explicite se contenteraient-ils par exemple des libertés de l'Eglise gallicane en se soumettant à toutes les conséquences qui en découlent dans un pays voisin ? Il n'y a aucun doute qu'ils ne répondent négativement.

Il est donc juste, il est loyal, qui ce qui s'est fait à titre de transaction en 1831 reçoive sa pleine et entière exécution par toutes les parties contractantes d'alors. Or c'était certes bien l'opinion catholique qui se trouvait en 1831 en présence de l'opinion libérale et qui a stipulé avec elle dans le sens que nous venons d'indiquer.

Messieurs, si vous êtes obligés d'admettre les conséquences du principe proclamé par l'article 14 de la Constitution, vous ne pouvez plus invoquer le principe contraire. Et cependant, c'est ce que faisait tantôt l'honorable M. de Mérode.

Autrefois en Belgique, nous avions une religion de l'Etat. Dans d'autres pays la religion catholique est encore la religion dominante. Avec ce système l'Etat et l'Eglise étaient intimement unis ; il n'en est plus de même aujourd'hui. Chez nous aujourd'hui, domine le principe de la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat.

C'est cette séparation complète de l'Eglise et de l'Etat dont vous devez nécessairement admettre les conséquences.

Lorsque l'Eglise est intimement unie à l'Etat, l'Etat a envers l'Eglise des obligations à remplir, de même que l'Eglise, de son côté, a des devoirs envers l’État. Ce sont, encore une fois, des corollaires.

Aujourd'hui l'Eglise séparée de l'Etat est complètement indépendante : l'Eglise, comme Eglise, n'a plus de devoirs à remplir envers l'État, elle se trouve sur la même ligne pour l'exécution des lois, que le simple.particulier. L’État, de son côté, est complètement indépendant de l'Eglise ; il n'a aucune obligation à remplir envers elle.

Les idées que je viens d’émettre ont été développés dans la réponse (page 83) de l'honorable M. Laurent à la lettre de M. le ministre de l'intérieur, du mois d'août 1855, réponse qui, d'après M. le ministre, n'aurait pas, s’il l'avait connue d'avance, exercé sur son esprit une influence assez forte pour le faire renoncer au blâme qu'il a infligé à ce professeur.

Ici, messieurs, je suis loin de partager la manière de voir de l'honorable M. Dedecker. Lorsque l'Eglise et l'Etat ne faisaient qu'un, lorsque nous n'avions pas cette séparation complète qui existe aujourd'hui, je comprends qu'un agent du gouvernement, placé dans la même position que le gouvernement dont il relève, fût obligé de venir en aide à l'Eglise, de la protéger dans toutes les circonstances, de lui donner la force qu'elle aurait pu réclamer de lui ; mais telle n'est pas notre position. L'Eglise s'est crue assez forte en 1831 pour ne pas vouloir de cet état de choses ; c'eût été, en quelque sorte, contraire à sa dignité que d'admettre un semblable principe ; elle nous a dit alors : Je ne réclamerai rien de l'Etat, l'Etat n'aura envers moi aucune obligation, mais de mon côté, je ne serai non plus soumise à aucune obligation envers l'Etat, je serai complètement indépendante. C'était l'exclusion d'une religion d'Etat.

Eh bien, cela étant, vous ne pouvez pas, parce que cela vous contiendrait aujourd'hui, invoquer un principe contraire ; vous ne pouvez pas vous placer exactement dans la même position dans laquelle vous vous trouveriez dans un pays où il y a encore une religion dominante, une religion de l'Etat.

Si l'Etat n'a aucun devoir à remplir envers l'Eglise, de même que l'Eglise est indépendante de l'État, il est évident, messieurs, que toutes les conséquences que j'ai déduites se trouvent justifiées. L'enseignement que donne l'Etat ne doit pas être plutôt catholique qu'il ne doit être protestant, qu'il ne doit être juif. L'État n'enseigne pas.

La science a aussi son indépendance, et le professeur une fois investi de la confiance du gouvernement, jouit de sa pleine liberté ; bien entendu et je suis parfaitement d'accord sur ce point avec mon honorable ami M. Frère, qu'il a pour limites la Constitution d'abord, en vertu de laquelle il exerce sa liberté, et la morale ensuite ; la morale qui est une loi universelle et qui oblige les hommes de toutes les croyances, le débat qui s'agite ne concerne et ne peut concerner que les questions religieuses eu égard à l'article 14 de la Constitution qui proclame la liberté des cultes et en même temps la liberté d'examen.

Se mettre en opposition avec cet article 14, ce serait dire que l'Etat ne peut pas avoir d'établissements d'instruction supérieure ; en effet, dans toutes les matières et à chaque pas qu'il fait, le professeur a, dans son cours, à s'occuper de questions qui touchent plus ou moins aux dogmes d'une Eglise quelconque.

Pour vous, messieurs, il n'y a pas de franchise à parler des dogmes de toutes les églises. Ce n'est pas ainsi que vous l'entendez ; quand vous parlez des dogmes, ce sont exclusivement les dogmes catholiques que vous avez en vue. C'est pour la forme que vous ajoutez : « Les dogmes de toutes les églises. »

Mais enfin, je dis, moi, qu'il est impossible de donner une instruction supérieure dans aucune des facultés, sans toucher plus ou moins aux dogmes d'une Eglise quelconque.

Messieurs, on vous l'a fait remarquer hier et on vous l'a démontré, plus d'une question, à commencer par la faculté de droit, touchera inévitablement aux dogmes de l'Eglise catholique. Pour ne parler que du divorce, il est contraire à un dogme catholique d'après lequel quod Deus conjunxit homo ne separet ; eh bien, si un professeur dans une des universités de l'Eta s'efforce de justifier le divorce contre le dogme, quelle devrait être, d'après vous, la conduite du gouvernement ? En économie politique, on justifie le prêt à intérêt contrairement au principe de I Eglise qui veut que pour qu'on puisse légitimement percevoir des intérêts, le capital soit aliéné. Que devra faire le professeur d'économie politique dans une des universités de l'Etat ?

Dans le cours de droit public, ainsi qu'on l'a dit, on doit nécessairement condamner l'Encyclique de 1852.

On avait demandé hier à M. le ministre de l'intérieur ce qu'il ferait d'un professeur qui viendrait enseigner en chaire que la liberté de la conscience est une absurdité, une chose fâcheuse, etc., comme le disent les évêques ; M. le ministre de l'intérieur a répondu qu'il condamnerait ce professeur, qu'il sévirait contre lui. Moi j'agrandis le cercle et je lui demande ce qu'il ferait si un professeur, dans une université de l'Etat, venait défendre l'encyclique telle qu'elle est.

Un membre. - Il a répondu qu'il sévirait.

M. Verhaegen. - C'est que tantôt il m'a paru qu'il faisait un signe négatif. (Interruption.)

Je ne sais pas si cette réponse satisfait la droite, car enfin l'encyclique doit être pour elle un document à l'abri de toute critique ; l'encyclique d'ailleurs se trouve encore corroborée par le mandement de l'évêque de Gand qui le considère comme un document très important et qui mérite d'être médité. (Interruption.)

Vous accédez donc, messieurs, à la réponse de M. le ministre de l’intérieur et je prends note de votre adhésion ; nous voilà d'accord sur ce point ; mais vous voyez que pour échapper à une difficulté grosse de conséquences, vous êtes déjà obligés d'admettre la désobéissance à l'autorité supérieure ecclésiastique.

Je viens vous parler de ce qui doit inévitablement se passer dans la faculté de droit ; il en sera de même dans les autres facultés.

Dans le cours d'histoire ancienne, le professeur doit bien parler un peu du christianisme ; dans l'histoire du moyen âge, il doit nécessairement traiter de la papauté, de son influence, de ses erreurs, de ses luttes avec le pouvoir temporel ; dans l'histoire de Belgique, il doit parler de la grande réforme du XVIème siècle, et de l'influence que cette réforme a exercée sur la civilisation, alors que dans les établissements du clergé on traite cette réforme de grande hérésie du XVIème siècle.

Et bien, quelle sera la position du professeur qui parlera de ces faits ? Il va toucher à des questions religieuses, et il recevra inévitablement une semonce, s'il n'est pas de l'opinion de l'honorable M. de Mérode et de ses amis ; on provoquera sa destitution, et elle sera prononcée, si le cabinet qui est aux affaires appartient à la couleur du député de Nivelles.

Ce qui signifie que le sort des professeurs et de l'enseignement supérieur tout entier va dépendre des crises ministérielles et des fluctuations de la politique. Si le ministère est catholique, tel professeur sera frappé ; si le ministère est libéral, le même professeur sera porté sur le pavois.

Un jour, dans cette enceinte, on nous a dit qu'il était fâcheux que la nomination des membres des jurys d'examen dût dépendre d'une majorité politique ; et aujourd'hui on ne recule pas devant les conséquences d'un principe bien plus dangereux, à savoir qu'un professeur sera réprimandé ou loué, à raison de son enseignement, suivant que les hommes au pouvoir appartiendront à telle ou telle couleur ?

Continuons nos observations sur la nature de l’enseignement : En ce qui concerne la philosophie proprement dite, à peu près toutes les questions qui y sont traitées touchent à la religion. S'agit-il de la liberté de l'homme et de sa responsabilité ou de l'imputabilité des actions ; est-il question des rapports de l'homme avec Dieu, de sa destination dans cette vie et dans la vie future, de l'immortalité de l'âme, faut-il s'occuper du point de savoir si l'homme a des devoirs envers son corps comme il a des devoirs envers l'esprit (on sait que la philosophie est en désaccord avec la théologie catholique qui se manifeste comme ascétisme par un ensemble de mortifications), que devra faire le professeur pour échapper au blâme ?

Dans le cours de logique, le professeur doit traiter des rapports de la foi et de la raison. Celte question est résolue en sens divers ; d'une part, c'est la subordination de la foi à la raison, d'autre part c'est la subordination de la raison à la foi. Quelle thèse pourra soulever le professeur ?

Et qu'arrivera-t-il dans un cours de droit naturel ? On nous disait tout à l'heure qu'on pouvait parfaitement s'occuper du droit naturel sans toucher à aucune de ces questions délicates qui éveillent les susceptibilités. Mais dans le droit naturel, le premier point est de savoir si l'homme a des droits absolus, inhérents à sa nature, ou si ces droits sont simplement hypothétiques et dépendant des circonstances extérieures. C'est précisément cette question qui a servi de thème à ceux qui ont voulu justifier l'encyclique. Ainsi le droit naturel que vous voulez innocenter peut présenter les mêmes difficultés et faire naître les mêmes susceptibilités.

Pour les sciences naturelles, il sera également impossible à un professeur de ne pas encourir un blâme, selon les hommes qui seront au pouvoir, selon la couleur qu'ils auront.

Pour ne nous occuper que de la géologie, tel professeur s'en occupera dans un sens conforme à la Bible, tel autre sera en désaccord avec l'Ecriture ; il parlera de l'origine de la terre, de la création. Nous savons aujourd'hui, d'après les recherches géologiques comment la terre s'est développée, s'est constituée successivement, comment les différentes couches se sont formées, comment il y a eu des créations successives d'êtres vivants ; il est constaté que les animaux antidéluviens, que nous ne connaissons qu'à l'état de fossiles, appartiennent à des espèces aujourd'hui perdues.

Le professeur de géologie, dans une des universités de l'Etat, pourra-t-il développer ces idées en contradiction avec l’enseignement catholique ? S'il ne le peut pas, fermons les chaires des sciences naturelles.

Messieurs, la médecine et la chirurgie, elles-mêmes, ne sont pas exemptes dans leur enseignement des vicissitudes réservées aux autres sciences.

On sait que l'anatomie était proscrite au moyen âge, que les dissections étaient condamnées par l'Eglise, et aujourd'hui encore les découvertes anatomiques et physiologiques ne sont pas en rapport avec les dogmes catholiques.

Ces découvertes si nombreuses et si parfaites dans ces derniers temps sont le plus souvent contraires à tout ce qui émane de la révélation. Aussi a-t-on vu se révolter contre le progrès incessant de l'esprit humain, les apôtres du spiritualisme et du mysticisme, et a-t^-on relevé récemment l'école dite spiritualiste et néovitaliste contre l'école matérialiste de Paris.

Les partisans de l'école spiritualiste sont les plus chauds partisans de l'opération césarienne au détriment des mères de famille ; ils ne veulent pas que l'on procède à l’embryotomie, la mère le réclamât-elle et se refusât-elle à l'opération césarienne, leur foi religieuse leur commandant de se croiser les bras en attendant que la nature fasse une victime, si pas deux.

Ici encore une fois des sentiments religieux sont en présence ; que devra faire le professeur appartenant à une des universités du gouvernement ?

Nous venons de parcourir les principales branches d'enseignement (page 84) dans les diverses facultés et nous avons pu nous convaincre que quelles que puissent être la prudence et la réserve que le professeur apporte dans son cours ou dans ses livres, il est impossible qu'il ne franchisse pas la limite qu'on veut lui assigner à moins de prétendre que l'enseignement universitaire doive rester incomplet ; e si c'est là ce qu'on veut, qu'on le dise ouvertement.

Ce qu'on veut, dans tous les cas, et cela ressort clairement du discours de l'honorable M. de Mérode, c'est que les universités de l'Etat pour pouvoir continuer à prendre part au budget, ne soient que des doublures de l’université de Louvain, c'est-à-dire que les doctrines de celles-là soient en tous points conformes aux doctrines de celle-ci.

Et on ne se contentera même pas de scruter l'enseignement du professeur, de soumettre ses ouvrages à une censure, on recherchera eu outre quelle est sa vie en dehors de l'université, on ouvrira des enquêtes sur ses relations,, on s'informera s'il pratique la religion catholique, s'il va à la messe, etc. ; et pour en agir ainsi on invoquera l'intérêt de l'établissement auquel le professeur appartient, on dira que tel professeur ne pouvant, pas soit à raison de son enseignement ou même seulement à raison de sa conduite en dehors de l'université, inspirer confiance aux pères de famille, il faut l'éloigner, parce que sa présence pourrait nuire à l'établissement.

Subordonner le sort d'un professeur au prétendu intérêt de l'établissement, c'est se mettre parfaitement à l'aise, c'est tourner la difficulté que fait surgir la liberté des cultes mise en rapport avec la liberté d'enseignement, c'est sanctionner en tous points les exagérations de l'honorable M. de Mérode. En effet, un professeur par son enseignement ou par sa conduite n'aura pas satisfait aux exigences catholiques, on le destituera parce qu'il aura froissé l'opinion du plus grand nombre et qu'il aura nui ainsi à l'établissement ! Un autre professeur attaquera ouvertement, un culte dissident et en démontrera les vices soit dans ses leçons, soit dans ses écrits ; au lieu de le destituer on lui donnera des éloges parce qu'il aura été d'accord avec la presque unanimité des Belges et que, loin d'avoir nui à l'université, il lui aura été utile. Où allons-nous avec un pareil système, et que deviennent les libertés inscrites dans la Constitution ?

S'il peut être question de rechercher la conduite du professeur en dehors de l'université, à quoi sert-il de parler encore des distinctions que M. le ministre avait faites quant aux publications, distinctions du reste sur lesquelles il n'a pas toujours été d'accord ; en effet, au Sénat il avait distingué entre les livres s'occupant de matières traitées par le professeur dans son cours, et les livres complètement étrangers à son enseignement ; cette distinction, je ne pense pas qu'il l'ait reproduite dans cette enceinte.

Mi. - Je vous demande pardon.

Plusieurs voix. - Il l'a reproduite !

M. Verhaegen. - Vous n'admettez plus aujourd'hui la distinction telle que je l'avais comprise d'après le débat qui a eu lieu au Sénat. J'avais pensé que tout en n'accordant à vos professeurs qu'une liberté limitée dans leurs cours, vous leur accordiez une liberté plus grande pour des publications en rapport avec leur enseignement ; mais que vous leur accordiez une liberté entière lorsque les publications étaient complètement étrangères aux matières traitées dans leurs cours. Je vois que je me suis trompé et que vous réduisez la question au seul point de savoir si le professeur, soit par son enseignement dans la chaire, soit par des publications quelles qu'elles soient, étrangères ou non au cours dont il est chargé, soit enfin par sa conduite, peut ou ne peut pas nuire à l'établissement dont il fait partie, et dès lors tout est dit ; mais les principes constitutionnels sont ouvertement violés !

Et voyez les conséquences d'un pareil système ! Il ne tend à rien moins qu'à organiser la délation, l'espionnage dans le corps professoral. Tel agrégé, tel professeur extraordinaire qui recherchera une promotion, caressera l'opinion dominante et obéira à toutes les exigences du clergé.

Son collègue, qui lui est supérieur en rang, appartiendra à une opinion contraire, et en homme de cœur il ne fléchira pas ; ce collègue sera signalé comme un impie ; on contrôlera son enseignement, on scrutera sa conduite ; l'épiscopat le signalera à la susceptibilité des pères de famille et le ministre sera obligé de sévir et le délateur obtiendra la place de sa victime.

Que devient après cela la mission du professeur ? Cette mission, la plus belle qui soit donnée à l'homme, celle d'enseigner, cette espèce de sacerdoce n'est plus qu'un vil métier !

Et messieurs, prenez y garde, vous voulez que nous respections vos convictions et vous ne voulez pas respecter les nôtres !

L'honorable M. Dechamps, dans la séance d'hier, en répondant aux attaques dirigées contre les mandements des évêques, n'a trouvé d'autre moyen de les justifier qu'en invoquant leur prétendu bonne foi et le sentiment du devoir.

Il vous disait : «Quand un homme est consciencieux, il faut se découvrir et le laisser passer avec respect. »

Si vous êtes justes et tolérants, messieurs, appliquez donc cette phrase au professeur Laurent. Cet honorable professeur, vous le savez, n'a pas publié un méchant livre, un mauvais libelle ; son livre est le fruit de profondes et sérieuses éludes, auxquelles il a sacrifié une grande partie de sa vie ; il est surtout le résultat d'une conviction sincère, et cette conviction, il l'a développée dans les termes les plus convenables et les plus modérés.

Enfin ce livre traitant de matières exclusivement philosophiques est complètement étranger au cours de droit civil dont l'auteur est exclusivement chargé à l'université de Gand.

Loin de blâmer M. Laurent, loin de sévir contre lui, découvrez-vous et laissez-le passer avec respect ; c'est M. Dechamps qui vous y convie !

Messieurs, force m'a été, de répondre au discours de l'honorable M. de Mérode ; c'est lui qui a prolongé la discussion. Qu'il s’abstienne, à l'avenir, de nous parler de la religion de la majorité. Qu'il respecte l'article 14 de la Constitution qui proclame la liberté des cultes, et qui, à côté de cette liberté, place comme corollaire la liberté d'examen. Qu'il admette toutes les conséquences de ces libertés, et qu'il ne vienne pas réclamer ce que la Constitution n'admet pas, une Eglise dépendante, une religion de l'Etat, alors que l'Etat et l'Eglise sont complètement séparés en Belgique. Qu'il ne vienne pas nous parler sans cesse de la croyance de la grande majorité, de la presque unanimité des Belges !

Si cela signifie que la religion de la majorité doit empêcher le citoyen d'énoncer ou de défendre sa doctrine, qu'il me dise ce que devient la liberté.

La liberté n'a été sanctionnée que pour garantir le droit de la minorité contre l'oppression de la majorité.

Il ne s'agit pas de savoir si la doctrine de quelques-uns, d'un seul même, déplaît au plus grand nombre, mais bien si ces quelques-uns, sont autorisés à être de leur avis ; ce n'est pas une question de chiffres mais une question de droit.

Défions-nous de cet argument brutal qui étouffe le progrès, et au nom duquel on a souvent ensanglanté l'histoire.

Ce fut la religion de la majorité qui a fait la Saint-Barthélemy ; oseriez-vous justifier ce crime ?

(page 80) M. Dumortier. - L'honorable préopinant s'est longuement étendu, (et à la séance d'hier, pareille chose avait eu lieu) sur la situation que l'enseignement de certains professeurs fait aux universités. Je demanderai si M. le ministre de l'intérieur serait en mesure de faire connaître à la Chambre la situation des universités de Gand et de Liège l'an dernier el cette année. S'il est en mesure de faire cette communication, je le prierai de la faire pour notre instruction.

Mi. - Je n'ai pas ici toutes les pièces ; mais lundi je pourrai faire cette communication.

M. Orts. - Puisque les renseignements doivent être fournis pour lundi, je demanderai qu'ils soient également fournis pour les universités libres. Je suis persuadé que les administrations de ces universités s'empresseront de donner les renseignements qui leur seraient demandés sur leur situation.

- La discussion est continuée à lundi.

La séance est levée à 4 heures et un quart.