(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1351) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Nihon, fermier du passage d'eau établi sur la Meuse à Visé, demande la restitution de son fermage pour le deuxième semestre de 1855. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Stevens demande la concession d'un chemin de fer partant de Liège à la station des Guillemins, se dirigeant de Vottem par un embranchement, à la station d'Ans, et par un autre embranchement vers Glons, Tongres par Bilsen à Hasselt. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.
« Des habitants de Vorst demandent que le chemin de fer de Louvain vers Herenthals passe entre les communes de Westerloo et de Zoerleparwys, ou bien que la ligne de Malines sur Heyst-op-den-Berg soit prolongée jusqu'à Gheel en passant entre Westerloo et Tongerloo. »
« Même demande d'habitants de Veerle, Hulshout, Zoerleparwys, Vaerendonck et Westerloo. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Winghe-Saint-Georges adresse à la Chambre 120 exemplaires d'un mémoire des conseils communaux de Lubbeck, Winghe-Saint-Georges et Thielt sur le projet d'un chemin de fer de Louvain au camp de Beverloo, etc., par Winghe-Saint-Georges, Diest et Beeringen, en ce qui concerne les deux tracés en concurrence entre Louvain et Diest. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant des crédits supplémentaires aux budgets du département de la justice de 1855 et de 1856.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Coomans. - Messieurs, j'ai à vous présenter un rapport supplémentaîre de la section centrale qui a été chargée d'examiner les nouvelles concessions de chemins de fer.
Vous avez renvoyé à cette section centrale une pétition du conseil communal de Dinant demandant la concession d'un chemin de fer de Namur à Givet par Dinant.
La section centrale est d'avis qu'il y aura lieu de concéder ce travail d'utilité publique, lorsqu'une compagnie sérieuse se présentera. Elle propose donc le renvoi de la pétition à M. la ministre des travaux publics, avec demande d'explications qui pourront être utilement présentées lors de la prochaine discussion du projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer.
M. Lelièvre. - Indépendamment du renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, je demande que ce document soit déposé sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la concession de plusieurs lignes de chemin de fer. J'appuie du reste les conclusions de la pétition du conseil communal de Dinant.
- Les conclusions de la seclion centrale et la proposition de M. Lelièvre sont adoptées.
M. le président. - La parole est à M. Orts.
M. Orts. - Ce serait, messieurs, nier l'évidence que de contester l'émotion considérable produite dans ce pays par la publication d'un document diplomatique important. Chacun de nous le connaît, chacun de nous a pu l'apprécier, aujourd'hui qu'il est officiellement, authentiquement et complètement publié.
Le sentiment public, messieurs, s'est ému sous le coup de cette publication à un double point de vue.
Des accusations graves ont été portées contre la Belgique, contre la presse belge. Ces accusations, qu'il me sera facile de prouver à la Chambre être exagérées dans l'expression - et je crois que si je ne devais parler que pour la Chambre, la preuve serait inutile, - ces accusations ont froissé le sentiment et la dignité nationale, comme froisse toujours une accusation injuste, alors même qu'elle prendrait sa source, comme j'aime à le croire encore, dans l'erreur seule de celui qui accuse.
Le sentiment public a été excité à un secont point. Après l'accusation on a laissé entrevoir pour le pays un avenir plein de crainte.
Des paroles que peut-être nous comprenons mal auxquelles peut-être nous attachons plus d'importance que n'a voulu y mettre celui qui les a proférées, ont semblé des paroles de menace dirigées contre ce que chacun de nous, ce que tout citoyen belge a de plus cher, contre ce que le Belge considère comme sa propriété la plus légitime, la plus sacrée, contre nos institutions constitutionnelles.
« La presse belge, a-t-on dit, se livre à des écarts ; la presse belge attaque l'ordre social et les gouvernements étrangers.
« La législation de ce pays assure à ceux qui font un abus aussi évident de la liberté, une impunité que la bonne volonté du gouvernement, que le concours de tous les bons citoyens de ce pays sont impuissants à faire cesser. »
Je ne nie point, messieurs, qu'en Belgique quelques organes de la presse aient substitué à l'usage de la liberté l'abus de la liberté ; que dans maintes circonstances, trop fréquemment à mon désir comme au désir de tous, ils aient substitué à une polémique honnête, à une polémique calme et digne, Une violence de langage que tous les bons citoyens, chez nous, condamnent et flétrissent, qui ne peut être inspirée par aucun sentiment vraiment belge, par aucun sentiment patriotique.
Aussi, messieurs, n'est-ce point pour nier d'une manière absolue la vérité de cette accusation grave, que je prends la parole devant vous. Ce que je conteste, c'est que les faits qui y ont donné naissance auraient acquis chez nous le caractère de généralité qu'on leur a attribué ; que ces faits se trouvent abrités chez nous sous une impunité à laquelle on ne pourrait porter remède sans toucher à notre constitution.
Ce que je conteste c'est que ces attaques auraient un caractère hostile à un gouvernement déterminé exclusivement, qu'elles seraient, en un mot, pour employer des termes clairs et nets et bien rendre ma pensée, inspirées exclusivement par une pensée anti-française, sur une pensée d'hostilité envers la France, que de plus, les abus signalés dans l'usage de notre liberté constitutionnelle de la presse, seraient des abus dont la terre de Belgique offrirait seule l'exemple.
Messieurs, cette solidarité d'accusations qu'on fait peser sur toute la presse de notre pays, est-ce justice de la proclamer ? Est-ce là une exacte appréciation des faits qui se passent autour de nous et que nous pouvons tous si facilement contrôler ? Oui, sans doute, ces écarts, tous les honnêtes gens, je ne saurais trop le redire, ne peuvent se borner à les déplorer, ils doivent les flétrir et les condamner. Ils les flétrissent, et ils les condamnent. Mais ces écarts sont-ils le fait de tous ceux qui usent de la liberté consacrée par notre pacte fondamental ? Poser la question devant vous, messieurs, devant vous qui vivez à côté de cette presse, poser la question devant vous, c'est déjà la résoudre. Loyalement, il ne peut y avoir en Belgique deux opinions sur la vérité de ces accusations.
La vérité, la voici : De rares organes de la presse abusent de la liberté, nul ne le conteste. Et vous savez, messieurs, de quelle publicité, de quelle influence ils disposent ! vous savez dès lors aussi combien ils sont peu d'accord avec le sentiment public !
L'impunité, messieurs, l'avons-nous garantie aux abus condamnables ? Et de quelle impunité d'abord entend-on parler ? Est-ce l'impuissance de la loi ? Est-ce le refus systématique que ferait le juge de l'appliquer ? Est-ce de l'une, est-ce de l'autre de ces causes que découle l'impunité ?
Impuissance de la loi ? Mais notre législation, messieurs, nous l'avons renforcée, complétée dans une circonstance récente, en vue de satisfaire à un devoir international.
Les offenses envers les souverains étrangers, les offenses envers les chefs des gouvernements étrangers, les attaques contre leur autorité, ne sont-elles pas punies chez nous par une loi votée précisément pour accomplir vis-à-vis de l'Europe le devoir dont je parlais ?
Si chose plus grave que les offenses, si chose plus grave que les attaques méchantes contre l'autorité des gouvernements étrangers se produisait chez nous, si des actes d'hostilité plus considérables se perpétraient sur notre sol, notre législation est-elle davantage impuissante à les atteindre, le gouvernement est-il désarmé pour les poursuivre ? Nullement.
S'agit-il de conspirations, d'actes hostiles concertés sur notre territoire, à l'effet de provoquer au renversement d'un gouvernement étranger ou à l'assassinat de quelque souverain, le Code pénal est là. Le gouvernement peut invoquer ses articles 84 et 85, et l'on ne trouverait en Belgique ni juge ni jury qui se refusât à appliquer la loi s'il est fait à la loi un appel équitable.
D'ailleurs, à cette accusation il est une réponse péremptoire, et la Belgique appelée à se défendre, lorsqu'elle a été accusée, l'eût faite sans doute.
Les gouvernements de l'Europe se sont montrés satisfaits, ils ont donné dès marques de satisfaction non équivoques après le vote de la loi de 1852.
Et qui la loi de 1852 a-t-elle constitué juge de la question de savoir si des attaques méchantes contre les princes ou les gouvernements étrangers se produisent ou ne se produisent pas en Belgique ? Lés gouvernements étrangers eux-mêmes. Leur plainte doit- ils l'on ainsi voulu - signaler à là Belgique l'existence du délit. Quel est le gouvernement étranger qui a, depuis 1852, invoqué, sans trouver en Belgique un écho pour sa plainte ; la loi que l'Europe tout entière a déclarée satisfaisante ? Où sont les réclamations qui n'auraient pas été accueillies ? Où (page 1352) sont les faits dénoncés restés impoursuivis ? Où sont les jugements refusant de donner chez nous satisfaction à des réclamations légitimes ?
Ces attaques, a-t-on ajouté, ont un caractère exclusivement hostile à un seul gouvernement européen, au gouvernement d'une grande nation voisine avec laquelle nos intérêts comme nos sympathies nous commandent les bons rapports.
Cette accusation est-elle mieux fondée que les autres ? "N'est-il pas aussi facile d'en faire justice ?
Les abus de la presse belge n'ont-ils jamais froissé d'autres gouvernements européens ? et la presse seule en Belgique a-t-elle été coupable envers eux des violences de langage, des écarts de parole que l'on signale ? Mais non seulement dans la presse, mais jusqu'à cette tribune, mais jusque dans des réunions publiques longtemps tolérées en Belgique, au su et au vu du gouvernement lui-même, j'ai entendu proférer des paroles autrement violentes que les paroles imprimées de nos journaux. Et ces paroles s'adressaient au souverain d'une puissante nation qui ne nous a pas cherché querelle. Et les représentants de ce souverain, dans la circonstance récente à laquelle je fais allusion, ont - chose digne de remarque - montré seuls pour la Belgique accusée et pour sa cause une sympathique réserve dont je leur suis hautement reconnaissant.
La presse belge seule au monde mérite-t-elle enfin l'accusation qu'on a concentrée sur sa tête ? Ouvrez donc, avant d'accuser, les journaux publiés en français partout où règne la liberté d'écrire.
Voyez combien parmi ces feuilles contiennent des attaques aussi violentes, plus violentes même que celles qu'on peut reprocher à quelques rares organes de la presse belge ! Consultez les journaux français publiés en Suisse, en Piémont et en Angleterre et vous y trouverez non pas l'équivalent de ce qui se trouve dans quelques journaux belges dont j'ai suffisamment indiqué la portée nulle et l'influence restreinte, mais les articles eux-mêmes dont vous vous plaignez ; articles que la presse belge a eu le tort seulement de répéter.
En définitive, cette législation dont la sauvage anarchie laisserait tout abus impuni, cette législation insuffisante, mais la Belgique ne l'a-t-elle pas acceptée pour la défense de sa propre Constitution, de son gouvernement, de la personne si universellement et si justement révérée de son souverain ? Les termes qui qualifient les faits pouvant être poursuivis comme attaques contre le souverain de la Belgique et son gouvernement sont qualifiés exactement de la même manière quand il s'agit d'attaques contre les gouvernements et des princes étrangers.
Le droit que nous avons concédé à l'étranger est notre droit national, celui qui nous protège et nous suffit. Une nation doit-elle raisonnablement aller au-delà ?
Qu'on ne dise pas qu'en assimilant les gouvernements et les princes étrangers au gouvernement et au prince belges, la Belgique environne les premiers d'une protection dont l'inefficacité lui serait indifférente parce que des attaques du genre de celles qui vont frapper par-delà nos frontières ne se produiraient pas chez nous.
Oui, nos institutions et notre Roi sont places haut par le respect et l'amour des populations. Pourtant, des offenses ont été proférées par d'obscurs libellistes contre la majesté des libres institutions que nous nous sommes données, contre la majesté du souverain qui préside aux institutions nationales.
Le législateur a cru devoir intervenir.
Ce que plus tard nous avons accordé pour réprimer les offenses aux princes étrangers, nous l'avions donc sérieusement établi pour défendre le Roi qui, en retour d'une couronne librement offerte, a doté notre patrie de vingt-cinq années de bonheur, d'ordre et de liberté ! Vingt-cinq années dont nous allons dans quelques semaines célébrer le magnifique et glorieux anniversaire.
Je dis glorieux et magnifique ; peu de nations, en effet, peuvent se glorifier de l'avoir célébré.
La Belgique le salue avec reconnaissance, elle fait plus encore ; elle salue le cœur plein d'espoir aussi, car il apparaît comme l'aurore de jours heureux et nombreux que la Belgique devra, longtemps encore, au prince honnête homme qu'elle proclame avec bonheur son Roi bien-aimé.
Je disais, messieurs, que ces accusations dont j'ai tâché aussi rapidement que possible de vous démontrer l'exagération, devaient être imputées à une connaissance imparfaite des personnes et des choses dans notre pays. Cette connaissance imparfaite, je la comprends facilement de la part d'un diplomate étranger, du représentant d'un gouvernement qui se trompe ou qu'on trompe peut-être, je la comprends d'autant mieux, il est douloureux de devoir le dire, qu'en Belgique on ne tait rien, en présence de dangers aussi graves, pour montrer à l'étranger, qui croit avoir à se plaindre, le pays tel qu'il est.
Je me trompe, on fait pis que ne rien faire : on dénonce à l'étranger notre pays comme une terre où les citoyens eux-mêmes vivent sans protection contre les attaques d'une presse sauvage. On va plus loin : s'il s'agit de l'étranger, on incrimine la presse belge à peu près sans exception.
Des attaques inexcusables émanées de quelques rares journaux si discrédités sur notre sol qu'en les citant on n'ose les nommer quoique mieux que personne on doive les connaître, de si misérables attaques sont proclamées l'expression de la pensée qui anime la presse belge presque entière !
On apporte, et c'est un journal belge qui remplit cette noble tâche, on apporte à l'appui des accusations de l'étranger mal informé un témoignage que l'on sait être faux !
C'est un faux témoignage en effet, messieurs, c'est une calomnie que de dire à l'étranger, après avoir cité des violences empruntées à ces journaux si infimes qu'on n'ose écrire leur nom : Ce langage est celui que tiennent vingt-cinq journaux en Belgique.
Je demande donc au gouvernement, et c'est la première des questions que je me permettrai de lui adresser en acquit de ce que je considère comme un impérieux devoir dans la situation des esprits, je demande au gouvernement s'il a été fait quelque chose pour faire connaître, soit au gouvernement français, soit aux gouvernements représentés dans la conférence ce Paris, les réclamations de la Belgique contre les accusations dont elle a été l'objet, accusations que je viens de rappeler et de résumer.
Cette question, messieurs, m'amène à une seconde.
On nous reproche de méconnaître nos devoirs internationaux. On nous déclare incapables d'accomplir ce que nos devoirs exigent, en maintenant ce qui existe chez nous.
Avant d'examiner ce que veut dire cette affirmation, permettez-moi cependant, messsieurs, de rappeler combien, depuis que la Belgique existe comme nation indépendante, elle a su prouver son repect pour l'accomplissement le plus rigoureux même des devoirs qui ont pu lui être imputés à litre international.
A trois époques de notre histoire, depuis 1830, la Belgique qui ne comprend pas, paraît-il, ce qu'elle doit à l'Europe, a su faire son devoir, parfois au prix de sacrifices poignants, de sacrifices qui ont fait saigner chez nous plus d'un cœur. Ces sacrifices, l'Europe devrait, si elle était juste, nous en tenir compte ; elle nous en tiendra compte, messieurs, lorsque les faits seront mieux connus, lorsque le moment de la réflexion sera venu.
En 1830 nous débutions dans la carrière de l'indépendance, nous débutions dans la carrière de l'existence individuelle comme nation. Nous étions jeunes à cette époque ; la chaleur de la jeunesse s'augmentait chez nous de l'impulsion que donne le mouvement d'une révolution triomphante. On est venu à cette époque nous rappeler des devoirs que nous aurions été très excusables de méconnaître, les avons-nous oubliés ou méconnus ?
A ce début de notre existence, on nous a demandé, au nom de l'Europe, à titre de devoir international, de renoncer à l'entraînement de la victoire ; de ne pas étendre les effets de notre révolution si légitime au-delà des limites restreintes que l'histoire nous forçait à respecter ? Nous avons consenti à ce qu'on nous demandait comme l'accomplissement d'un devoir européen ; nous avons renoncé à la tentation de planter notre drapeau révolutionnaire triomphant sur les rives de l'Escaut et sur les bords du Moerdyck.
En 1839, c'est encore au nom de l'Europe que fut réclamé de la Belgique le sacrifice de 400,000 de nos frères. Ils nous avaient, par leur courage, largement aidés à fonder notre indépendance, à affranchir notre territoire de la domination étrangère. Ces biens que nous avions conquis avec eux, il fallut les leur ravir pour l'Europe plus que pour nous.
La Belgique s'y est résignée avec douleur, il est vrai, mais elle s'y est résignée.
Rappellerai-je l'attitude du pays en 1848, les services que cette altitude a rendus à l'Europe entière en assurant sa tranquillité ?
En 1848, forts par cette Constitution qu'au-delà de nos frontières aujourd'hui l'on regrette, que l'on menace peut-être, forts par cette Constitution, forts par les libertés qu'elle nous a données, nous fûmes, je le rappelle avec orgueil (on a le droit d'être orgueilleux lorsqu'on se défend contre l'injustice), nous fûmes la barrière où vint se briser dans sa marche le flot révolutionnaire, ce flot qui menaçait de faire le tour du monde.
Les gouvernements, que leur situation géographique plaçait derrière nous ne devraient point oublier aujourd'hui combien cette altitude de la Belgique fit alors leur sécurité, leur sauvegarde : La tranquillité dont la Belgique, par son énergie et son esprit d'ordre, les a indirectement dotés, livrés, tout grands gouvernements qu'ils étaient, à leurs propres forces, sans son exemple, l'eussent-ils conservée ou recouvrée ?
Voilà ce que la Belgique fait quand on lui demande le respect des devoirs internationaux, lorsqu'il faut servir l'intérêt de la grande famille européenne, de l'ordre et de la société.
Et maintenant que veut-on ? Ce que la Belgique a fait ne peut-elle pas le faire encore ? Son passé n'est-il pas la caution de son avenir ?
Veut-on autre chose ; veut-on désormais une autre Belgique que cette Belgique dont on connaissait la Constitution et les libertés, lorsque les grandes puissances de l'Europe ont, d'un accord commun, reconnu son indépendance en même temps que sa neutralité ?
On a parlé, dans le document que j'ai cité, de réformes à introduire chez nous, réformes indispensables au repos, à la tranquillité des Etats européens, réformes que le gouvernement belge dont on se proclame satisfait, d'accord avec la grande majorité du pays, ne pourrait pas, s'il le voulait, introduire chez nous.
Ces réformes que la majorité nationale et le gouvernement ne peuvent, quoique d'accord, introduire dans notre pays, quelles sont-elles ? (page 1353) Ou qu'est-on en droit tout au moins de les supposer ? Des réformes législatives ?
L'accord du gouvernement et de la majorité suffit pour les donner au pays.
Il s'agit donc de plus et d'autre chose ? Il s'agit de réformer alors la Constitution. Ici, je m'arrête : je ne discute plus.
Devant ces paroles, je suis autorisé à demander au gouvernement une réponse nette à la question que voici.
L'un des gouvernements représentés à la conférence de Paris a-t-il, à la suite du protocole du 8 avril, demandé au gouvernement belge d'introduire dans notre Constitution une réforme quelconque ?
Et si une demande de cette espèce se produisait un jour devant le cabinet, je désire qu'il me réponde dès aujourd'hui, son intention serait-elle d'y satisfaire, d'appuyer pareille proposition devant la Chambre ?
Voilà, messieurs, les trois interpellations que je crois devoir soumettre au cabinet en vue de rassurer et de justifier le pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, je vais avoir l'honneur de répondre en très peu de mots aux trois questions que vient de me poser l'honorable M. Orts.
Il m'a demandé, en premier lieu, si le cabinet avait fait une réponse au gouvernement français ou à l'un des gouvernements représentés au congrès de Paris, depuis la publication du protocole du 8 avril.
Lorsque j'ai lu ce protocole dans les journaux, j'ai cru devoir, malgré de bien tristes préoccupations (note de bas de page : L'honorable ministre des affaires étrangères vient de perdre son père, M. le comte Vilain XIIII, ancien sénateur), pour le cas où, soit le gouvernement français, soit tout autre gouvernement représenté au congrès, transmettrait officiellement le traité de paix avec les protocoles au cabinet de Bruxelles, préparer un projet de réponse éventuelle qui pourrait être communiqué à tous les gouvernements faisant partie du congrès.
Cette réponse est terminée depuis quatre jours ; elle est prête, et s'il m'était permis d'en donner lecture ici, peut-être la Chambre y retrouverait-elle une partie des considérations que l'honorable M. Orts vient de faire valoir devant vous, messieurs. (Interruption.)
Il ne manque à cette pièce, prête et terminée, je le répète, depuisr quatre jours, il ne manque que ma signature. Mon intention eût été de ; ne la donner que le lendemain du jour où l'une des puissances représentées au congrès de Paris aurait cru devoir me notifier officiellement le traité de paix accompagné des protocoles.
En second lieu, l'honorable M. Orts désire savoir si l'un des gouvernements représentés au congrès a demandé au gouvernement belge quelque modification à la Constitution.
Aucune !
L'honorable M. Orts me demande enfin si le cabinet, dans le cas où une pareille demande lui serait faite, serait disposé à proposer à la Chambre quelque changement à la Constitution.
Jamais ! (Interruption.)
M. Orts. - Messieurs, devant la réponse que vient de nous donner l'honorable ministre des affaires étrangères au nom du cabinet, devant l'accueil que cette réponse a reçu de toute cette Chambre, je ne puis plus exprimer qu'un seul sentiment : c'est la fierté que j'éprouve d'avoir entendu cette réponse sortir de la bouche d'un ancien membre du Congrès national. (Nouvelle interruption.)
M. le président. - Après les déclarations de M. le ministre des affaires étrangères et la réponse de M. Orts, je pense que nous pouvons déclarer l'incident clos.
- Plusieurs membres. - A demain ! à demain 1
M. le président. - Je crois en effet, messieurs, que sous l'impression des sentiments que vient d'exprimer la Chambre, nous devons remettre la séance à demain.
- Plusieurs membres. - Oui, Oui.
- La séance est levée à trois heures.