(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 902) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« L'administration communale du Cortryck-Dutzel demande que la société concessionnaire d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain soit tenue de prolonger cette ligne jusqu'au camp de Beverloo par Winghe -Saint-Georges et Diest »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.
« Le conseil communal de Curange présente des observations en faveur de l'établissement d'un chemin de fer d'Anvers à Hasselt par Lierre, Heyst-op-den-Berg et Diest.
- Même renvoi.
« L'administration commuuale de Bourg-Léopold prie la Chambre de rejeter la demande de concession, faite par la société Maertens et Thimister d'un chemin de fer de Louvain au camp de Beverloo, si le tracé de cette ligne ne subit les modifications qu’elle indique. »
- Même renvoi.
« Le sieur Thomas, ancien capitaine de volontaires, demande que le bénéfice du projet de loi relatif à la pension d'officiers de volontaires soit étendu aux fonctionnaires civils qui, ayant pris part aux combats de la révolution et étant décores de la croix de Fer, ont ensuite servi dans l’armée en qualité d’officiers et puis sont passés dans une administration civile de l’Etat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Dekessel, ancien chirurgien aide-major, demande que le projet de loi relatif à la pension d'oificiers de volontaires lui soit rendu applicable. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guillemyn, vétérinaire du gouvernement à Gand, réclame l’intervention de la Chambre pour obtenir la liquidation de ses états de frais de route pour l'exercice 1853. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Henri Peemans fait hommage à la Chambre de 110 exemplaires d’une brochure qu'il a publiée sous le titre « Quelques considérations sur l’abolition des octrois. »
- Distribution aux membres de l’assemblée et dépôt à la bibliothèque.
« M. Thienpont, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé de deux jours. »
- Ce congé est accordé.
M. Lesoinne. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la prorogation des lois de 1852 et du 8 juin 1853 concernant les droits différentiels.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l’ordre du jour.
(page 906) M. Frère-Orban. - Messieurs, j'éprouve un certain embarras, quelque confusion au moment où je prends la parole. Je sens que mes amis et moi nous avons des excuses à faire à M. le ministre de la justice et à l'honorable membre qui, inspiré par des sentiments pleins de générosité, s'est hautement déclaré son complice.
Je crois, messieurs, que nous avons trompé l'attente de cet honorable membre, de ses amis et de l'honorable ministre ; nous les avons privés de leurs plus beaux mouvements oratoires ; on comptait assurément rencontrer sur les bancs de cette Chambre quelques défenseurs au moins de l'assassinat politique.
Par un malheur inouï, pas le plus petit amateur d'assassinat politique ne s'est rencontré dans cette enceinte. Il y a une désespérante unanimité à condamner un pareil crime. Et à quoi dès lors se sont trouvés réduits les honorables membres défenseurs du projet de loi ? A discuter sur des mots, à essayer par des efforts presque surhumains de maintenir à tout prix dans un texte des mots que l'honorable ministre de la justice ne me paraît pas lui-même très bien comprendre.
Cependant, sauf la nécessité qui probablement se faisait sentir de rechercher des amateurs d'assassinat politique, je me demande pourquoi le projet de loi nous a été présenté ? J'avais cru d'abord de bonne foi que c'était un projet indispensable, qu'il y avait en quelque sorte une nécessité sociale à inscrire dans nos lois le projet déposé par M. le ministre de la justice.
Mais M. le ministre de la justice est venu nous apprendre que le projet de loi sur lequel il insiste avec une passion extraordinaire est, au contraire, un projet de loi parfaitement inutile. Nous pouvons donc en toute sûreté de conscience le rejeter, nous n'aurons compromis aucun des grands principes pour lesquels l'honorable ministre de la justice combat avec un si malheureux dévouement.
Messieurs, ne croyez pas que j'exagère. M. le ministre de la justice a dit textuellement, a prouvé de la manière la plus claire, la plus évidente que, d'après lui, le projet de loi peut être impunément rejeié.
« Vous vous rappelez, vous a-t-il dit, quel a été le point de départ de la difficulté : c'est l'affaire, la trop fameuse affaire Jacquin. A l'occasion de cette demande d'extradition, la chambre des mises en accusation de la cour de Bruxelles a émis l'avis, le simple avis, remarquez-le, que l'attentat contre la vie du souverain est un crime essentiellement politique, que tout au moins s'il ne l'est pas en lui-même, il constitue un fait connexe à un délit politique ; que dès lors, l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833 fait obstacle à l'extradiction.
« Mais la cour de cassation a eu à connaître de la difficulté et l'a, ainsi que la cour d'appel de Liège, résolue dans un sens tout à fait opposé. Elle s'est prononcée, non point sous forme d'avis en émettant une simple opinion ; elle a rendu un arrêt.
« Il y a eu chose jugée dans sa plus haute expression, par un arrêt rendu par sept magistrats sur les conclusions conformes d'un autre magistrat. Eh bien, la cour a décidé que l'attentat contre la vie d'un souverain est un crime de droit commun, devant suivre le sort que subirait le meurtre ou l'assassinat commis sur un particulier. Elle a, de plus, décidé que la circonstance que ce meurtre, que cet assassinat serait mêlé, serait connexe à un délit politique, ne soustrairait pas le crime à la loi commune, c'est-à-dire que le fait resterait soumis à l'extradition. »
Pourquoi donc, messieurs, discutons-nous ? Pourquoi cette loi que nous a présentée M. le ministre de la justice ? C'est une loi inutile.
M. le ministre avait contre son opinion un simple avis de la cour d'appel de Bruxelles et je présume qu'il a assez le sentiment de ses devoirs pour ne pas s'arrêter à un simple avis, s'il croyait que l’intérêt du pays avait exigé qu'il ne le respectât pas.
Il a en sa faveur un arrêt de la cour de cassation, un arrêt de la cour d'appel de Liège. A quoi bon donc venir occuper la Chambre et le pays de ee débat déplorable ? Je ne puis, quant à moi, me l'expliquer.
L'honorable ministre a-t-il le projet de faire des pérégrinations dans les régions de l'Albert l'Ours, célèbres dans les fastes diplomatiques à propos de traités d'extradition ? Mais l'honorable M. de Theux l'a averti qu'il n'y aurait pas de traité à conclure. L'honorable M. de Theux qui a reconnu qu'on avait purement et simplement à consacrer l'opinion de la cour de cassation, conformément, selon lui, aux précédents en cette matière, puisque la Chambre a coutume d'accepter l'opinion de cette haute magistrature, l'honorable M. de Theux est d'avis que la loi faite, il suffira d'avertir les cours étrangères avec lesquelles on a traité, de la resolution qui a été prise.
Un simple échange de notes suffira. Il n'y aura pas de traité à faire. C'est grand dommage, car nous avons quarante puissances avec lesquelles nous avons contracté des traités d'extradition, et l'on aurait pu compter jusqu'à quarante échanges de bons procédés. M. le ministre partage, sans doute, l'opinion de l'honorable M. de Theux. Pourquoi donc a-t-il soumis un projet de loi à la Chambre ?
Si la loi existe, si elle est suffisante, comme l'a soutenu M. le ministre de la justice, si les cours du pays le proclament ainsi, s'il ne veut que consacrer l'opinion qui a été sanctionnée par ces cours, à quoi bon les modifications qu'il propose dans la rédaction de la loi ? Pourquoi la loi de 1833 qui paraît suffisante à M. le ministre de la justice au commencement de son discours, lui semble-t-elle insuffisante à la fin ?
Est-ce que la loi de 1833 parle de l'attentat ? Et si la loi de 1833, omettant de parler de l'attentat, permet cependant l'extradition quand il s'agit de crimes commis ou tentés contre un souverain, pourquoi M. le ministre de la justice insiste-t-il avec une opiniâtreté désespérante pour l'insertion du mot « attentat » dans son projet de loi ?
Veut-il dire autre chose ; veut-il dire plus que ce que voulait exprimer la loi de 1833 ? Que veut-il dire de plus ? Pourquoi ne le fait-il pas connaître ? Qu'il s'explique.
J'ai bien aperçu, de temps à autre, dans les discours de M. le ministre une certaine tendance à donner de l'extension à la loi d'extradition, à faire considérer, par exemple, comme pouvant donner lieu à l'extradition non des faits pratiqués en pays étranger, mais commis sur notre territoire.
A-t-il à ce sujet une pensée précise et veut-il la formuler en loi ? Je le prie de remarquer que des discours et des opinions ne sont pas précisément des lois, et que la loi de 1833 n'est applicable qu'à des faits commis sur le territoire étranger.
Veut-il modifier ce qui est l'essence même de la loi ? Que n'invite-t-il la Chambre à délibérer sur ce point !
A défaut du ministère, l'honorable M. Malou se présente pour expliquer la pensée du gouvernement. S'il ne rencontre point d'amateurs d'assassinat politique à combattre, ce qui est bien fâcheux, il ne veut pas cependant que l'on puisse croire qu'il se passionne pour des mots, et il proclame solennellement que s'il lutte contre nous, c'est que nous sommes séparés par des principes.
Il y a donc dans cette affaire des principes différents entre nous ? Quels principes ? L'honorable membre a oublié de les indiquer.
Nous voulons, nous, qu'on punisse, qu'on réprime l'assassinat et le meurtre politiques. Avez-vous à cet égard un autre principe que le nôtre ? Nous voulons, nous, qu'on ne puisse faire d'extradition pour crime politique. Vous répondez que vous êtes d'accord avec nous. Nous voulons, nous, que l'extradition ne puisse avoir lieu, en tous cas, chambre des représentants, (page 907) pour des faits connexes à des délits politiques, et nous citons des exemples qui vous obligent à le proclamer comme nous. Ainsi, sur tous les grands principes engagés dans cette question, il y a, dans les discours, une sorte d'unanimité. Où commence la dissidence ? Sur le texte du projet de loi.
Le texte du projet de loi n'exprime pas les idées que proclame le gouvernement, et que les honorables membres qui soutiennent le projet de loi proclament avec lui.
Le projet de loi déclare que toujours, en tous cas, le fait de meurtre quoique connexe avec un délit politique, donnera lieu à l'extradition.
C'est en contradiction formelle avec les opinions exprimées par les défenseurs du projet de loi. Si un souverain est tué à la tête de ses troupes, en combattant l'insurrection, y aura-t-il lieu à extradition ? Non, répond l'honorable M. Malou, mais la loi qu'il veut voter dira le contraire ! Et cela est tellement évident que, sur l'observation qui vous est faite, vous vous écriez que le gouvernement ne livrera pas ceux qui seront accusés du crime.
Les traités réservent au gouvernement, dans des cas exceptionnels, la faculté de ne pas livrer, et cela vous suffit.
Mais, d'abord, tous les traités ne contiennent point cette réserve ; il dépendra ensuite des gouvernements de ne point l'insérer ; et, enfin, c'est un sujet de conflits dangereux que de promettre en se réservant de ne pas tenir. La dignité de celui qui est faible et n'a d'appui réel que dans le droit, est alors aisément compromise.
Et puis, vous dites aux gouvernements étrangers, dans un texte men eur, que vous livrerez en toute hypothèse, malgré la connexion avec des faits politiques, et vous énoncez dans cette enceinte que vous ne livrerez pas des accusés dans certaines hypothèses données. Que signifie donc une pareille loi ? Quel est le gage d'honnêteté politique qu'elle offre aux gouvernements étrangers ? On y pourrait trouver de l'astuce et point de sincérité. Nous vous présentons, au contraire, un texte moral et loyal.
Nous disons : si l'un des crimes pour lesquels l'extradition peut avoir lieu se trouve mêlé à un délit politique, nous examinerons si par son caractère, par sa gravité, il doit être assimilé aux crimes ordinaires, aux crimes de droit commun, et dans ce cas, nous nous engageons à consentir à l'extradition des accusés.
Or, le texte loyal n'est-il pas préférable au texte que l'on se réserve de violer, au texte qu'on est obligé de désavouer dans la discussion ?
L'honorable M. Malou cependant repousse notre proposition, parce que, dit-il, elle place le souverain en dehors du droit commun, et qu'il veut pour les souverains le droit commun. L'honorable M. Malou part d'un principe essentiellement faux en cette matière.
Il n'y a point pour les souverains de droit commun, il y a pour les souverains un droit exceptionnel ; dans tous les temps, dans tous les pays, chez toutes les nations civilisées, il y a un droit exceptionnel pour le souverain.
- Un membre. - Pas contre lui.
M. Frère-Orban. - Permettez. Nous allons y venir. Vous ne pouvez pas parler du droit commun quand vous parlez des souverains et des attentats commis contre eux.
Voilà un principe certain, diamétralement opposé à celui sur lequel vous faites reposer toute votre argumentation, et je vous avertis que vous reculerez devant l'application à l'extradition des règles de ce droit exceptionnel ; je vous avertis qu'aucun de vous n'oserait comprendre dans les faits qui peuvent donner lieu à l'extradition, tous les faits qui sont qualifiés de crimes quand ils sont commis ou tentés contre des souverains.
Pourquoi ce droit est-il exceptionnel ? Parce que la personne du souverain est avant tout politique. C'est par un droit politique, c'est par des lois spéciales que la personne du souverain est protégée. Il y a une qualification particulière du crime dans tous les pays, quand il est commis contre le souverain.
C'est donc à raison de la qualité politique du souverain que le crime est qualifié et puni.
D'un autre côté, il est évident que sauf des exceptions pour ainsi dire impossibles à prévoir, les crimes qui se commettent contre les souverains sont des crimes essentiellement politiques. Les souverains ne sont point l'objet d'attentats inspirés soit par des vengeances personnelles, soit par la cupidité, soit par les mobiles ordinaires des crimes dont les autres hommes sont les victimes. Ils sont exposés aux coups des assassins à raison de leur position politique ; c'est un système que l'on attaque dans leur personne.
Et aussi, il n'y a presque pas d'exemple dans l'histoire de souverains qui n'aient été plusieurs fois l'objet d'attentats uniquement inspirés par les motifs politiques.
De ce que c’est toujours l'élément politique qui domine, de ce que c’est toujours la pensée politique qui agit en pareil cas, ne comprenez-vous pas immédiatement avec quelle facilité on peut impliquer des hommes politiques, d'ailleurs honorables, dans la poursuite en répression d’un crime auquel ils n'auront point participé ? En certains moments, dans des jours de trouble ou d'oppression, sous des gouvernements ombrageux, l’hostilité déclarée paraît une complicité du crime ou une provocation à le commettre.
Aussi le gouvernement lui-même recule devant les conséquences de l'application de toutes les règles de la législation en ce qui touche les crimes commis contre les souverains. Il admet et il répudie à la fois le droit exceptionnel qui les protège. Il veut s'y rattacher par la qualification d'attentat, et il veut ensuite appliquer aux faits le droit commun.
Mais ce qui rend le projet plus périlleux encore, c'est que M. le ministre de la justice entend qu'il soit expliqué et commenté par les législations étrangères. Je n'examine pas si la théorie est vraie ou fausse. Elle est étrange et j'en déduis les conséquences.
Eh bien, messieurs, savez-vous quels sont en certains pays les éléments de la complicité en ce qui concerne l'attentat contre la vie d'un souverain ?
Le Code autrichien considère les non-révélateurs et même ceux qui n'ont pas empêché le crime comme des complices.
Je demande à M. le ministre de la justice, je demande à tous les honorables membres de cette Chambre s'il en un seul qui consente à admettre ce genre de complicité. Consentira-t-on à l'extradition d'un individu qualifié complice d'un attentaitcontre la vie d'un souverain, parce qu'ayant eu connaissance du fait il ne l'aura pas révélé ? Et il ne l'aura pas révélé peut-être, parce que c'est un parent ou un ami qu'il aurait été obligé de dénoncer.
S'il est dans cette Chambre quelqu'un qui puisse admettre ce genre de complicité, qu'il vote le projet de loi ; mais si l'on proteste contre l'idée d'admettre une complicité pareille, et si M. le ministre persiste à déclarer qu'il jugera la criminalité des faits par les prescriptions de législations étrangères, il est impossible qu'on vote le projet de loi.
Et pourquoi, lorsqu'il s'agit de crimes de droit commun, tels qu'ils sont spécifiés dans la loi de 1833, pourquoi n'a-t-on pas parlé de la complicité ? Parce que c'était inutile, parce que, dans cette hypothèse, il s'agit de crimes qui sont les mêmes partout, pour lesquels les éléments de complicité sont les mêmes partout ; il s'agit de faits qui sont envisagés de la même manière dans tous les pays civilisés et parce que, au surplus, le législateur belge se plaçait au point de vue de notre loi pénale. Il y avait là des bases certaines pour asseoir la réciprocité. Si, par hasard, des éléments différents se rencontraient, le gouvernement devait se référer à la loi belge.
Mais lorsqu'il s'agit de crimes qui ne sont pas les mêmes partout, qui ne sont pas définis et punis de la même façon, pour lesquels les éléments de la complicité diffèrent selon les pays, il est impossible d'admettre une loi sur les extraditions, qui est fondée nécessairement sur le principe de la réciprocité, sans définir les conditions sous lesquelles l'extradition peut avoir lieu.
D'ailleurs, l'honorable M. Malou, qui est à cheval sur les principes, a reculé devant le droit commun ; il faut qu'il renonce à plaider en faveur du droit commun ; il a reconnu solennellement qu'il était impossible n'admettre la complicité résultant de discours tenus dans des lieux ou réunions publics, dans des écrits imprimés ou non ; l'honorable M. Dechamps l'a reconnu avec lui ; ils sont engagés, par leur vote dans le sein de la commission, à ne pas admettre l'extradition pour lous les cas de complicité.
Ils en excluent quelques-uns et s'ils retranchaient les machinations et les artifices coupables, leur dissentiment avec M. le ministre de la justice qui est manifeste, serait précisément aussi grand que le nôtre. Mais après avoir parlé et voté comme nous sur un point capital dans le sein de la commission, ils parlent et ils s'apprêtent à voter ici comme M. le ministre de la justice.
C'est que M. le ministre de la justice tient beaucoup à son texte, texte sacramentel, texte sacré. Pourquoi y tient-il autant ? J'ai déjà adressé une question à laquelle il sera difficile de répondre.
Vous avez affirmé que la loi de 1833 autorise l'extradition dann les cas pour lesquels votre projet est fait.
Mais la loi de 1833 ne renferme pas le mot attentat, pourquoi une formule nouvelle avec le mot attentat ? l'attentat ayant le caractère du meurtre, qu'est-ce que c'est ?
L'honorable M. de Mérode répond : C est le meurtre. Le bon sens paraît l'exiger ainsi. Mais M. le ministre ne veut pas des choses aussi simples. Examinons donc, nous avons la définition de l'attentat dans nos lois.
Aux termes de l'article 88 du Code pénal, il y a attentat dès qu'un acte est commis ou commencé pour parvenir à l'exécution du crime quoiqu'il n'ait pas été consommé.
Il y a bien des pays où cette législation existe encore ; c'est la nôtre ; c'est celle en vertu de laquelle nous devons faire la loi.
Voiià la définition légale du mot « attentat ».
Est-ce que vous croyez que M. le ministre de la justice parle de cet attentat ? Pas du tout ; il a un attentat à lui, un attentat particulier, un attentat inconnu, un attentat qu'il est venu définir dans cette Chambre.
« Ainsi le Code pénal, dit-il, article 88, punit la tentative d’attentat (c'est une erreur que commet M. le ministre, l'article 88 définit l'attentat) lorsqu'un acte préparatoire seulement a été posé, pour parvenir à l’exécution, tandis que d'apiès l'article 2 du même Code, il faut pour qu’une tentative soit punissable, il faut qu'il y ait un commencement d’exécution, un acte d'exécution. L'honorable M. Orts a bien fait ressortir la différence ; elle est effectivement très grande, entre la punition de l'acte préparatoire et la punition de l'acte d'exécution, il y a je dirai presque la différence de la pensée du projet au crime même.
(page 908) « Aussi, n'avons-nous jamais eu en vue la tentative spéciale de l'article 88.
« Nous avons toujours entendu nous en rapporter au droit commun pour la tentative, c'est là notre base, notre point de départ. Nous ayons à dessein employé dans notre rédaction le mot : « fait », nous avons dit le fait et pas le crime, parce que nous avons voulu rester conséquents avec le système de la loi de 1833. »
Traduisons maintenant en français le texte de M. le ministre de la justice : l'attentat qui n'est pas un attentat, et qui constitue le crime de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement, dinnera lieu à l'extradition. Voilà la définition de M. le ministre de la justice ! L'attentat qui n'est pas un attentat dans le sens du Code pénal et qui constitue le fait de meurtre, c'est là l'objet de la loi.
Nous avions une définition légale de l'attentat ; nous avons maintenant une définition ministérielle, et je ne sais trop qui sera obligé de la respecter.
Quand le texte du projet a été proposé et combattu, on croyait qu'on se servait du mot « attentat » avec le caractère que lui donne le Code pénal.
On objectait, avec M. le ministre de la justice, qu'il exposait à l'extradition des hommes qui auraient eu seulement une pensée coupable, dont ils auraient à répondre sans doute devant la justice divine ; mais que la justice humaine ne peut atteindre ; vous les exposez à l'extradition, eussent-ils renoncé à leur projet.
M. le ministre recule épouvanté devant ces conséquences ; non, il veut que l'attentat réunisse les conditions de la tentative définie par l'article 2 du Code pénal.
Mais alors comment peut-il insister sur le maintien du mot dans son projet de loi ? Est ce que la tentative du meurtre n'est pas punie par le droit commun ?
Prenons, puisqu'on nous y oblige, ce texte au sérieux si c'est possible. Je demande à M. le ministre de la justice qu'est-ce que c'est que l'attentat constituant le fait de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement ? Est-ce plus, est ce moins, est-ce la même chose que le meurtre ? Si c'est plus ou moins, qu'on le fasse connaître ; il se peut qu il y ait des personnes disposées à voter le projet, que M. le ministre s'explique ou qu'il se taise.
Pour moi je veux voter en connaissance de cause, je désire qu'on me dise si c'est plus ou moins ou si c'est la même chose. Et si ce n'est ni plus, ni moins, s'il est question de meurtre ou d'assassinat tout simplement, pourquoi changer le langage des lois ?
D'après l'honorable M. Malou, la proposition de la commission serait bien inférieure au projet du gouvernement ; mais nous avons soulevé cependant, on peut en convenir sans trop s’humilier, nous avons soulevé quelques objections assez sérieuses contre le texte du projet de loi : il faut convenir qu’il est assez étrange et assez bizarre.
Et quelles sont les objections que l'on peut faire contre la rédaction que nous proposons ? M. Malou est bien habile, bien ingénieux et a un esprit très pénétrant ; il n'a rien trouvé ; absolument rien. J'en conclus que la pensée est clairement rendue et ne porte à aucune équivoque. C'est un mérite sérieux en matière pénale. Toutefois, il lui a paru, s’il comprend bien le français, que l'article 2 du projet de la commission contenait une dérogation aux principes généraux sur la connexité et que partant nous allions modifier, sous ce rapport, la loi de 1833.
Cette petite objection trouvée en désespoir de cause à défaut de mieux, nous la réfuterons en peu de mots. Nous faisons une loi spéciale qui contient deux articles : l'article premier énonce que tels et tels faits pourront douner lieu à l'extradition.
L'article 2 dispose ensuite que si ces mêmes faits sont mêles à des délits politiques, on appréciera si, en raison de leur caractère ou de leur gravité, ils rentrent dans les crimes de droit commun. (Interruption.)
Voici le texte :
« Par exception (dit l'article 2) à l'interdiction mentionnée dans le paragraphe premier de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833, le gouvernement est autorisé à cousentir à l'extradition dans le cas où il serait reconnu, après avoir pris sur ce poiut l'avis de la chambre des mises en accusation, que le fait (le fait dont il est question à l'article premier, si je comprends bien le français)…
M. Malou. - Nous le comprenons différemment, à ce qu'il paraît.
M. Frère-Orban. - C'est un malheur pour votre objection. Il est clair qu'il s'agit du fait dont il est question à l’articl premier. D'ordinaire quand un interprète la loi, on interprète l'article premier par l’article 2 et réciproquement. Généralement, cela se passe aussi. Lorsqu’on dit d'une manière générale que le meurtre, l'empoisonnement et l’assassinat donnent lieu à l'extradition, et qu'on déclare ensuite à l’article 2 si le fait est mêlé à un délit politique....
M. Coomans. - Si le fait !
M. Frère-Orban. - L'honorable M. Coomans est bien subtil. Ou pourrait dire : « si le fait ci-dessus » ce serait moins élégant peut-être, mais la susceptibilité de l’honorable membre serait satisfaite.
D’ailleurs l'honorable M. Malou a un grief plus sérieux contre la proposition de la commission. Ce serait une honte pour la Belgique, s’écrie-t-il, de déclarer que l'assassinat d'un souverain est un assassinat.
« Messieurs, dit-il, si, comme la majorité de la commission spéciale le déclare, nous devions décider que désormais l'assassinat d'un prince est un assassinat, cette loi déshonorerait notre législation. Jamais, en Belgique, ni à l'époque de la discussion de la loi de 1833, ni à l'époque de la discussion de la loi de 1836, ni devant la magistrature, ni devant l'opinion, ni devant aucune personne qui ait le sens moral en Belgique on n'a cru qu'il fût nécessaire de déclarer que l'assassinat d'un souverain fût un assassinat. »
Et où l'honorable membre a-t-il vu que la commission a déclaré dans son projet de loi que l'assassinat d'un souverain est un assassinat ? Je trouve que l'honorable membre a lu un peu à la manière de M. le ministre de la justice. Je conseille à l'honorable M. Malou de réserver toute son indignation pour le projet du gouvernement, qu'il défend avec tant de chaleur et qu'il se prépare à voter. C'est là que l'on déclare solennelfement que l'assassinat d'un souverain n'est pas un crime politique.
Si les scrupules de l'honorable membre sont fondés, si c'est une honte de proclamer que l'assassinat d'un souverain n'est pas un crime politique, en d'autres termes que l'assassinat d'un prince est un assassinat, c'est M. le ministre de la justice, dont il s'honore d'être le complice, qui va infliger cette honte à la Belgique.
On nous a démontré que la loi proposée est inutile ; et pourtant on la défend avec acharnement. On proteste qu'on a été parfaitement libre dans la présentation de cette loi. On se révolte à l'idée qu'on pourrait croire que le gouvernement n'a pas agi dans la plénitude de sa dignité et de sa liberté. Je ne veux rien récuser de ce qui a été affirmé sur ce point. Mais il y a quelque chose qui est encore plus défavorable que d'agir sous l'empire d'une contrainte, c'est d'agir librement dans un esprit obséquieux et poussé par cette espèce de complaisance servile qui cherche à pénétrer, à deviner, pour les satisfaire, des vœux que peut-être on hésiterait à exprimer.
Si vous étiez à la fois libres et si cette loi était inutile comme vous l'avez indiqué, vous êtes coupables de l'avoir présentée ; car il ne suffit pus que vous soyez libres, il faut qu'on le croie.
Il ne suffit pas que le pays le croie ; il faut que l'Europe en soit convaincue. Permettre aux soupçons de se produire, c'est énerver le sentiment national, c'est affaiblir le pays. Quand il n'a plus la conscience de sa force et de son droit, il s'affaisse ; quand on lui fait craindre de montrer sa virilité, quand il peut douter de lui-même, il est profondément ébranlé.
Puisque vous étiez libres de vos actes, vous avez commis une imprudence irréprochable ; vous avez compromis le pays aux yeux de l'étranger.
Si l'existence de la Belgique importe à l'Europe, n'oubliez aimais que ce n'est pas d'une Belgique vassale qu'elle peut se préoccuper. Tous vos soins devaient tendre à donner l'inébranlable conviction que vous ne cédez pas à une pression étrangère, et par un malheur insigne, lorsque vous avez présenté votre projet de loi, vous avez permis de croire que vous y étiez contraints.
(page 902) M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable M. Frère nous reproche, et à moi principalement, la présentation du projet de loi. Il me dit : Vous-même avez reconnu que ce projet était inutile. Pourquoi donc l'avez-vous présenté, ? Effectivement, j'ai toujours pensé que ce projet n'était point indispensable.
J'ai soutenu dans cette enceinte, il y a dix mois, d'accord avec la cour suprême et la cour de Liège, que la loi de 1833 suffisait pour punir les assassins des souverains. Mais il y avait un doute émis par une magistrature supérieure du pays. En présence de ce doute, que fallait-il faire ? Fallait-il s'exposer à de nouvelles difficultés ? Fallait-il jeter quelque incertitude dans l'exécution des conventions d'extradition existant avec quarante puissances ?
Etait-il prudent, sage, après avoir rencontré la difficulté de l'affaire Jacquin, de venir dans une nouvelle occasion se heurter contre une nouvelle contestation ? C'eût été de l'imprévoyance, de l'imprudence. On nous eût reproché avec raison de ne pas avoir fait disparaître ce doute.
Voilà quelle était la position, et tout en étant convaincus que la loi de 1833 pouvait suffire, nous avons cru devoir remplir un devoir en présentant une loi qui prévint de nouvelles hésitations.
Nous sommes coupables, dit l'honorable M. Frère-Orban. Coupables ! On a donc perdu le souvenir de ce qui s'est passé dans cette enceinte, il y a dix mois ? Je soutenais que la loi de 1833 résolvait la question ; qu'il fallait extrader les Jacquin qui avaient attenté à la vie du chef d'un Etat voisin.
On m'a contredit avec une grande vivacité. Quel était alors votre devoir, M. Frère, à vous qui, aujourd'hui prétendez avec tous les membres de cette Chambre, qu'il eut fallu livrer les Jacquin ? ne deviez-vous pas soutenir votre opinion ? Mais non, vous êtes resté sur votre banc, silencieux... je me trompe, vous ricaniez comme vous le faites en ce moment.
Ce n'est donc pas moi qui ai rendu nécessaire le projet actuel. Ce sont ceux qui, en 1855, me faisaient un crime d'une mesure qu'ils admettent aujourd'hui.
L'honorable M. Frère a fait miroiter devant vous les dangers que pourrait présenter dans ceiiains cas la complicité par suite de non-révélation. Il est vrai, messieurs, que c'est là un mode de complicité prévu par le Code pénal ; mais il a fait son temps, et dans toutes les législations nouvelles il a successivement disparu. En France il n'existe plus depuis 1832.
Et nous-mêmes, quand nous réviserons notre Code pénal, je suis convaincu que nous suivrons l'exemple général.
Il existe encore, à la vérité, dans quelques législations. Si son application dans ces pays motivait des demandes d'extradition, c'est alors que se présentera pour le gouvernement le droit et le devoir d'invoquer sa liberté d'appréciation, c'est alors que se plaçant en face de la réserve stipulée dans les traités, il pourra invoquer les motifs d'équité, les motifs d’humanité, et ne pas faire l'extradition pour complicité par non-révélation.
C'est pour cela que 27 traités sur 40 consacrent expressément le droit de refuser l'extradition dans le cas où des motifs d'équité ou d'humanité s'y opposeraient, et je déclare, en mon nom comme au nom de mes collègues qui ne me démentiront pas, que si l'on nous demandait l'extradition pour complicité par non-revélaion, nous ferions usage de la réserve dont il s'agit.
L'honorable M. Frère s’est associé à cette critique amère et joviale à la fois, qu'a provoquée l'emploi du mot « attentat ». Déjà, messieurs, j'ai eu l'honneur d'expliquer pourquoi le mot « attentat » a dû être conservé. Il a, dans la pratique, une utilité incontestable. J'ai fait ressortir que la difficulté est née principalement à l'occasion de ce mot « attentat ». On a objecté que ce terme impliquait une idée politique. C’est précisément le sens de l'expression « attentat » qui a déterminé l’avis de la Cour de Bruxelles dont on s'est déjà si souvent occupé.
Il fallait donc le définir. En matière de législation, il ne s'agit pas tant d’avoir une rédaction académique, que d'avoir une rédaction claire et nette qui prévienne tous les doutes. Mais messieurs, allons plus loin, je soutiens que le mot « attentat » doit expliquer lequel de ces deux attentats on allait atteindre et c’est l’attentat contre la vie.
(page 903) On aurait certes pu adopter une rédaction plus concise, plus française peut-être, mais ce qu'il fallait avant tout, c’était de dire que l'attentat contre la vie d'un souverain n'est pas un délit politique.
Si le reproche d'ineptie qui m'a été adressé à cette occasion est fondé, je ne serai pas seul à le supporter ; la rédaction dont il s'agit a passé par le crible de la section centrale et la section centrale l'a maintenue, elle a maintenu ce malencontreux attentat, objet de l'hilarité de M. Lebeau. M. Lebeau faisait partie de la section centrale...
M. Lebeau. - Je n'ai pas été convoqué.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Dans tous les cas, M. Lelièvre assistait aux séances de la section centrale, et certes vous accorderez à M. Lelièvre quelques notions de droit ; eh bien, M. Lelièvre a produit une rédaction dans laquelle il maintient l'attentat constituant le fait de meurtre. Je suppose que ce n'est pas non plus sans motif que M. Lelièvre a employé ces termes.
Enfin, messieurs, la rédaction du gouvernement est devenue celle de la minorité de la commission, elle est devenue celle de M. Malou et de M. de Theux : tous ces honorables membres doivent donc se résigner à prendre leur part du reproche d'ineptie.
M. Verhaegen. - Messieurs, après le discours de mon honorable ami M. Frère, je comptais renoncer à la parole ; je ne romps le silence que pour répondre aux quelques mots qui viennent d'être prononcés par M. le ministre de la justice.
A en croire l'honorable M. Nothomb, ce projet de loi qui nous occupe depuis plusieurs séances, n'était, dans la réalité, pas nécessaire ; mais le cabinet a jugé à propos de nous le présenter seulement à raison de certaines divergences d'opinions qui s'étaient produites entre la cour d'appel de Bruxelles d'une part et la cour de cassation et la cour d'appel de Liège d'autre part. Il fallait, une fois pour toutes, faire disparaître les difficultés qui auraient encore pu surgir.
Mais M. le ministre de la justice s'est trompé complètement sur le caractère qu'a présenté dans cette enceinte l'affaire Jacquin et j'aurai l'occasion tantôt d'en dire un mot. Messieurs, l’honorable M. Nothomb prétend que c'est à raison d'une divergence d'opinion qui aurait surgi naguère entre divers corps judiciaires que le projet de loi a été présenté, et en même temps il surgit dans cette enceinte même une divergence d'opinion très prononcée quant aux principes que nous devons prendre pour base, entre M. le ministre de la justice et les honorables membres qui soutiennent son projet. Il faudra bien aussi que les doutes de ce côté disparaissent, il faudra bien résoudre les difficultés que cette divergence d'opinion va produire, et certes il faudra pour cela autre chose que le projet du gouvernement.
Quel est, messieurs, le système de M. le ministre de la justice ? Le système de M. le ministre de la justice (et ce point est fondamental), c'est qu'il faut avoir égard aux lois du pays auquel appartient l'individu que l'on veut extrader, pour déterminer la criminalité du fait, pour fixer le caractère de la tentative et de la complicité. Voici, messieurs, les termes dans lesquels cette idée se trouve exprimée. Je cite le Moniteur.
« Le bon sens indique qu'en matière d'extradition c'est d'après les lois du pays qui demande cette mesure qu'il faut se guider. Cela me paraît incontestable quant au crime lui-même et cela me paraît incontestable quant à la tentative et quant à la complicité. »
Et M. le ministre entre dans de grands développements pour établir que l'application d'une loi d'extradition est un contrat bilatéral, un contrat synallagmatique, où chacune des parties reste soumise à ses propres lois pour la définition des crimes du chef desquels elle demande l'extradition.
Les amis de M. le ministre de la justice, ceux qui l'ont soutenu avec le plus de chaleur, sont ceux d'une opinion diamétralement opposée.
Non seulement dans cette enceinte, mais au sein de la commission, l'honorable M. Malou a déclaré en termes explicites que ce ne sont pas les lois étrangères qu'il faut consulter, mais que c'est le droit commun de la Belgique, c'est-à-dire le Code pénal de 1810, qui nous régit encore aujourd'hui.
Son honorable ami, M. Dechamps, l'a déclaré en termes non moins explicites au sein de la commission. Je fais appel aux souvenirs de ces honorables collègues, et je pense d'ailleurs que c'est encore leur opinion aujourd'hui. (Interruption.)
Si M. Malou m'interrompt pour rectifier mon assertion, c'est qu'alors l'honorable membre aura probablement changé d'avis depuis les élucidations qui ont été fournies par M. le ministre de la justice.
Je constate donc, d'après les documents que nous avons sous les yeux, une divergence d'opinions entre M. le ministre et ses amis sur un point qui certes est capital.
Car enfin, messieurs, s'il est vrai, comme le dit M. le ministre de la justice, que ce sont les lois étrangères qui doivent servir de guide alors qu'il s'agit d'apprécier le fait en rapport avec son caractère de criminalité, alors aussi qu'il s'agit d'apprécier les conditions requises pour qu'il y ait tentative, pour qu'il y ait complicité, alors dans quel dédale n'allons-nous pas verser ?
Ainsi, comme on l'a fort bien fait observer, pour ne prendre qu'une législation entre plusieurs autres, la législation autrichienne qui considère comme complice celui qui n'a pas révélé, et même celui qui, pouvant empêcher, n'a pas empêché, nous serions obligés de livrer à l'étranger celui contre lequel on articulerait des faits de complicité, tels que ceux que je viens d'indiquer ! Oh ! non, dit M. le ministre de la justice, si tel est le caractère de la complicité déterminée par les lois autrichiennes, prenez acte de mes paroles, je vous déclare tout de suite que, dans ce cas, nous refuserions l'extradition.
D'abord, comme ou l'a déjà fait remarquer, une pareille conduite de la part du gouvernement ne serait pas bien loyale, car si vous faites un traité avec un pays, traité basé sur ce principe, que les lois étrangères régleront le caractère de la complicité, on vous accuserait de mauvaise foi, si vous refusiez plus tard d'appliquer les dispositions du traité telles qu'elles ont été consenties.
Mais, ensuite, il y a des traités dans lesquels ne se trouve pas la réserve à laquelle fait allusion M. le ministre ; il y a, entre autres, un pays où la non-révélation constitue aussi la complicité, et le traité fait avec ce pays ne contient pas la réserve dont M. le ministre de la justice prétend qu'il pourrait se faire un moyen pour échapper aux conséquences funestes qui lui ont été signalées : il s'agit du traité avec la Prusse.
Encore une fois sur ce point capital il y a divergence d'opinion complète entre M. le ministre de la justice et ses honorables amis qui l'ont soutenu.
Il est un autre point non moins important ; on a proclamé dans cette enceinte et au sein de la commission qu'on n'admettrait jamais, dans l'espèce, la complicité morale. Quelques-uns de mes honorables amis avaient témoigné leurs craintes au sujet de la complicité établie par l'article premier du décret sur la presse, et on leur a répondu de toutes parts que cet article ne recevrait jamais son application ; qu'il ne pourrait jamais être question, en pareille matière, de complicité morale, qu'on ne ferait jamais de procès de tendance, qu'on ne voulait de cela à aucun prix. Je fais à cet égard un nouvel appel au souvenir des honorables M. Malou et Dechamps.
Eh bien, M. le ministre de la justice est d'une opinion toute contraire ; il trouve, lui, qu'il faut admettre la complicité morale et il la trouve même plus graves que d'autres complicités inscrites dans le Code pénal.
Voici son opinion extraite du Moniteur :
« On a paru craindre l'application du principe posé dans l'article premier du décret sur la presse qui regarde comme complices ceux qui par des discours prononcés dans un lieu public, ou par des placards affichés, ou par des écrits vendus ou distribués, auront provoqué à commettre un crime. Je crois que ce mode de complicité est aussi coupable que pas un, et je ne sais pas s'il peut en exister un plus dangereux.
« En effet, messieurs, celui qui provoque directement un crime est imbu d'une méchanceté plus grande que celui qui matériellement exécute ce crime. Provoquer à commettre un crime, c'est en faire naître la pensée, et certes entre la pensée perverse qui combine une trame, et la main aveugle qui exécute, il y a une différence, mais cette différence n'est pas en faveur du provocateur.
« Cette complicité spéciale du décret de 1831 est donc encore morale au premier chef ; elle est l'œuvre du congrès national dont les aspirations libérales sont l'honneur du pays, et certes le législateur de 1831 n'eût pas admis dans ce décret un mode de complicité dangereux, pouvant devenir une arme terrible contre des innocents. Du reste les deux Chambres, en votant la révision du Code pénal, ont inscrit littéralement dans le nouveau texte les moyens de complicité prévus par l'article premier du décret sur la presse ; et comment les deux Chambres ont-elles voté cette disposition ? Ce n'est pas seulement à titre de complicité, mais c'est à titre direct, c'est-à-dire que le provocateur au crime n'est pas un complice, mais que c'est un co-acteur, un agent direct, envisagé comme auteur direct du crime. »
Voilà donc M. le ministre de la justice sur ce point important encore une fois en divergence d'opinion complète avec ses honorables amis qui défendent son projet.
En résumé, messieurs, le système de M. le ministre de la justice sur la complicité est celui-ci : « Il faut, d'après lui, avoir égard aux lois du pays auquel appartient l'individu dont l'extradition est demandée, pour déterminer le caractère du fait incriminé, pour déterminer les conditions de la tentative et de la complicité. »
De plus, il faut ajouter la complicité morale qui est bien plus grave que la complicité matérielle inscrite dans le Code pénal, tandis que pour les honorables membres qui soutiennent le gouvernement, la complicité ne peut être déterminée que par les lois belges, en excluant toutefois la complicité spéciale qui se trouve inscrite dans l'article premier du décret de 1831.
Dans cet état de choses, n'est-il pas nécessaire de s'exprimer clairement, de lever toute incertitude ?
M. le ministre de la justice dit qu'il professe une telle opinion, et ceux qui le soutiennent, avancent une opinion diamétralement opposée.
C'est pour lever un doute qui avait surgi à la suite de décisions des cours d'appel et de la cour de cassation que le projet de loi a été présenté ; et depuis que la présentation a eu lieu, le texte du gouvernement donne ouverture à des divergences d'opinion bien plus grandes que celles qni s'étaient manifestées d'abord. Que faut-il faire ? Faire cesser ces divergences. C'est ce que la commission a fait ; la (page 904) commission a indiqué d'une manière précise quels seraient les cas de complicité.
Trouvez-vous qu'il en faille d'autres ? Inscrivez-les dans la loi. Faut-il d'autres caractères de complicité ? Proposez-les ; mais au moins, tranchez la difficulté.
Nous voulons faite une loi pour lever un doute qui s'était produit naguère, à en croire M. le ministre, et nous allons faire une loi qui donnera lieu à des doutes bien plus grands.
Je dis à des doutes bien plus grands, en effet, l'opinion qu'exprime M. le ministre de la justice, et qui est contredite par ses honorables amis, se trouve en opposition avec les principes fondamentaux qui règlent la matière.
Il est un principe général qui résulte du fait de l'indépendance des nation, c'est que chaque nation possède et exerce seule et exclusivement la souveraineté et la juridiction dans toute l'étendue de son territoire.
De ce principe il suit que les lois de chaque nation affectent, obligent et régissent toutes les personnes, qui habitent son territoire, qu'elles y soient nées ou non.
En conséquence chaque nation a le pouvoir de déterminer l'état des personnes qui s'y trouvent, ainsi que la validité des contrats et autres actes qui y ont pris naissance et les droits et obligations qui en résultent, comme aussi de fixer les conditions sous lesquelles les actions peuvent être intentées et suivies dans la circonscription du territoire et le mode d'administrer la justice.
Il est, messieurs, un second principe général, c'est qu'aucune nation ne peut par ses lois affecter directement, lier ou régler les objets qui se trouvent hors de son territoire, ou affecter et obliger les personnes qui n'y résident pas, qu'elles lui soient soumises par le fait de leur naissant ou non.
C'est là une conséquence du premier principe général : le système contraire qui accorderait à chaque nation le pouvoir de régler les personnes ou les choses se trouvant hors de son territoire, exclutait l'égalité des droits entre les diverses nations, et la souveraineté exclusive qui appartient à chacune d'elles
Les deux principes que nous venons d'énoncer engendrent une conséquence importante et qui résume notre opinion sur l'objet en discussion. C'est que tous les effets que les lois étrangères peuvent produire dans le territoire d'une nation, dépendent absolument du consentement exprès ou tacite de cette nation.
Une nation n'étant pas obligée d'admettre dans son territoire l'application et les effets des lois étrangères, peut indubitablement leur refuser tout effet dans ce territoire. Elle peut prononcer cette prohibition à l'égard de quelques-unes seulement et permettre que d'autres produisent leurs effets en tout ou en partie.
Si la législation de l’Etat est positive sous l'un ou l'autre point de vue, les tribunaux doivent nécessairement s'y conformer ; en cas de silence et alors seulement les tribunaux peuvent apprécier dans les espèces particulières jusqu'à quel point il y a lieu à suivre les lois étrangères et en appliquer les dispositions. Le consentement exprès de la nation à l'application des lois étrangères dans son territoire, résulte soit de lois par elle rendues, soit de traités conclus avec d'autres nations. Le consentement tacite se manifeste par des faits et circonstances. Tout cela se trouve développé par un savant jurisconsulte, M. Foelix, qui a fait un traité spécial sur la matière.
Cette question, comme on le voit, est grave. Si, dans notre système constitutionnel, on pouvait admettre que l'applicaliou des lois étrangères en Belgique peut avoir lieu en vertu d'un consentement formel ou tacite de la nation, ce qui est avant tout à examiner, nous aurions encore le plus grand intérêt à protester contre l'opinion émise à la tribune par M. le ministre de la justice et à repousser d'avance tout fait, toute assertion dont on pourrait plus tard faire résulter un consentement exprès ou tacite.
Messieurs, de toutes ces observations, il résulte ultérieurement que le texte qu'on nous demande de voter est obscur, et qu'il donne lieu à des doutes qu'il faut faire disparaître. La lutte ne se trouve plus pour ainsi dire engagée entre l'opposition et le ministre sur les deux points capitaux de la loi ; elle existe entre le ministre et ses amis qui l'appuient.
Qu'ils viennent nous dire maintenant, ces honorables membres, s'ils adoptent l'opinion du ministre d abord quant à l'application des lois étrangères en Belgique, et ensuite quant à la complicité spéciale résultant du décret de 1831 sur la presse.
Quand ils se seront mis d'accord, qu'ils nous communiquent leurs vues, qu'ils nous présentent un projet qui soit leur œuvre commune ; s'il nous convient, nous le voterons ; s'il ne nous convient pas, nous le rejetteront ; du moins les doutes seront levés ; tandis qu'aujourd'hui ils sont plus grands que jamais.
Je n'entrerai daus aucun autre détail ; la question, je pense, a été épuisée ; sur l'attentat et la connexité, je m'en réfère aux discours de mes honorables amis. Je ne veux par prolonger cette discussion.
Il ne me reste qu'un seul mot à dire, et je termine.
M. le ministre de la justice vous a parlé de l'affaire des Jacquin, il a pensé que d'après ce qui se passe aujourd'hui j'aurais, moi personnellement, à regretter l'attitude que j'avais prise dans cette occurrence ; mais un seul mot, messieurs, va vous convaincre que le ministre, sur ce point comme sur bien d'autres, oublie complètement les rétroactes.
Qui donc, quand il s'est agi de l'affaire Jacquin, s'est oublié au point de s'intéresser à des assassins politiques ? A-t-on prononcé un seul mot dans toute cette discussion qui vous autorise à tenir ce langage ? Il s'agissait de savoir si en fait il y avait lieu à extrader les Jacquin.
J'ai cru qu'il était de mon devoir, en présence d'un avis très bien motivé de la cour d'appel de Bruxelles qui, avant tout, avait eu à examiner les faits constitutifs de la prévention ; j'ai cru qu'il était de mon devoir de faire quelques démarches pour éviter que ces malheureux que, d'après les pièces, je croyais et crois encore innocents, ne fussent livrés à la justice étrangère ; plus que jamais je me félicite de ces démarches.
Mais avant que j'eusse pris la parole dans cette enceinte, l'honorable vicomte Vilain XIIII, à la conduite duquel je me suis plu à rendre hommage, est venu déclarer spontanément à la Chambre que le gouvernement n'accorderait pas l'extradition.
Ce n'est donc pas à moi que s'adressent les critiques de M. le ministre de la justice, mais bien à son collègue des affaires étrangères, et quand naguère j'ai pris la parole, ce n'était que pour défendre l'honorable vicomte Vilain XIIII et la cour d'appel de Bruxelles dont le ministère avait suivi l'avis, contre les attaques téméraires de l'honorable M. Nothomb.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Avant de passer à la clôture de ce débatj, je tiens à faire une déclaration au nom du cabinet.
Nous avons remarqué que, dans le cours de cette discussion, on a cherché constamment à isoler M. le ministre de la justice de ses collègues. Je viens déclarer, au nom du cabinet, que nous entendons maintenir une loyale et cmplète solidarité d'opinion avec notre honorable collègue de la justice.
Le projet de loi a été présenté au nom du cabinet ; il a été délibéré en conseil des ministres ; nous acceptons tons la responsabilité de la présentation et de la défense de cette loi.
Messieurs, je pe n'entrerai pas dans la discussion des questions de droit, nombreuses et délicates, qu'on a agitées.
Je tiens à dire seulement que le gouvernement a été, dans la présentation de ce projet de loi, parfaitement libre.
Nous avons obéi à ce que nous avons cru une nécessité de notre position.
En présence des opinions divergentes émises par les cours d'appel sur une grave question faisant l'objet de traités internationaux, nous avons cru que dans un pays loyal et honnête, on devait lever tout doute sur ce point.
De là est né le projet de loi.
La Chambre comprendra que nous ne pouvons admettre, avec l'honorable M. Frère, qu'en adoptant cette loi, la Belgique se mette dans une situation de vassalité à l'égard de qui que ce soit. La Chambre ne se déshonorera pas en votant une loi destinée à consacrer un principe de haute moralité politique, Le gouvernement ne rougira jamais de l'avoir présentée ; la Chambre, en l'adoptant, se montrera jalouse de l'honneur et de la dignité du pays. En appliquant une telle loi, la Belgique ne s'humiiie pas devant l'Europe. Elle a su prendre une place honorable dans la famille européenne. Cette place honorable, elle sera toujours digne de la conserver.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Mon nom a été cité un très grand nombre de fois à la séance d'hier. Je demande à dire quelques mots.
M. Malou. - Je vois dans la demande de clôture l'intention de finir dans la séance d'aujourd'hui. Je demande à la Chambre de vouloir bien laisser continuer le débat jusqu'à l'heure où se terminent d'ordinaire nos séances.
Je désirerais m'expliquer sur un point très important d'où l'honorable M. Verhaegen a prétendu déduire certaines conséquences.
M. Tesch. - Je demande aussi que la clôture ne soit pas prononcée.
M. le ministre a compris dans le débat une question très grave, celle de savoir si c'est la législation étrangère qui doit être consultée en matière d'extradition.
M. le ministre s'est prononcé pour cette opinion. Pour le cas où je n'aurais pas la parole, je déclare que je proteste contre cette théorie, et que je me charge de démontrer qu'elle est complètement fausse.
M. Lebeau. - Je ne puis croire que la demande de clôture soit sérieuse. Tous les précédents de la Chambre s'opposent à ce qu'elle soit admise. En effet dans toutes les discussions de quelque importance, il est d'usage d'épuiser la liste des orateurs. C'est ce qu'on a fait dans des circonstances bien moins graves où il ne s'agissait pas de nos relations internationales, de ce que je considère comme l'honneur du pays, notamment dans la discussion sur le haras, sur les chevaux, discussion qui a duré quatre jours.
Si vous jugez que quatre séances ne sont pas aussi utiles, quand il s'agit d'une loi sur l'extradition, quant à moi, il m'aura suffi de protester contre ce que je considère comme un scandale.
M. le président. - Il n'appartient à personne de qualifier ainsi une proposition dont la Chambre est saisie.
M. Orts, rapporteur. - Je ne me souviens pas que la Chambre ait jamais prononcé la clôture, après qu'un ministre venait de prendre la parole.
(page 905) - La clôture est mise aux voix ; personne ne se lève pour. En conséquence la discussion continue.
M. Malou. - Qu'il me soit permis d'exprimer d'abord un regret.
Quand l'honorable M. Verhaegen s'est levé, j'ai cru que naturellement il allait nous entretenir de son amendement. S'il n'y a pas d'indiscrétion, j'en demanderais des nouvelles, (Interruption.)
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Malou. - Au point où le débat est arrivé, il doit être circonscrit dans deux ou trois questions principales.
Nous avons, en premier lieu, à examiner quelle législation il faut appliquer dans le cas d'une demande d'extradition adressée au gouvernement belge. Faut-il, lorsqu'une demande nous est faite, avoir exclusivement égard à la législation étrangère ?
Ou bien faut-il que notre législation intervienne, comme élément de décision ?
C'est, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Tesch, une question digne de toute l'attention de la Chambre.
Il me paraît que M. le ministre de la justice n'a pas exprimé l'opinion absolue qu'on lui attribue. (Interruption.) Il a établi avec raison, selon moi, que pour l'instruction, pour les actes de procédure qui doivent être soumis au gouvernement belge, la législation étrangère devait seule être suivie.
M. Frère-Orban, M. Verhaegen et M. Tesch. - Non ; il est allé plus loin.
M. Malou. - Mais il ne peut en être autrement.
M. Tesch. - C'est la question.
M. Malou. - Oui, c'est la question que je discute. Mais permettez-moi de m'expliquer.
Il y a une distinction qui n'a échappé à personne, et qu'il est indispensable de faire.
M. Frère-Orban. - M. le ministre de la justice n'en fait aucune. Voyez son discours.
M. Malou. - Eh bien, je dis que si M. le ministre s'était exprimé dans un sens aussi absolu, il y aurait une restriction à faire.
Pour la procédure, l'instruction qui doit servir de base à l'appréciation du gouvernement, la législation étrangère doit exclusivement servir de base ou de point de départ. Mois lorsque le gouvernetneut belge à une décision à prendre, il doit, d'après le texte du traité qu'il a fait, comparer la loi étrangère à la loi belge et concilier l'une avec l'autre.
En effet, de quoi résulte le droit d'extradition ? De traités conclus, lorsque les gouvernements se sont communiqué leur législation, ont fait concorder leurs obligations en vertu de leur législation.
Pour le traité d'extradition avec la France, le gouvernement français, en 1834, n'a pas voulu admettre l'extradition dans tous les cas auxquels pouvait s'appliquer la loi belge de 1833, et l'on a fait un traité restrictif qui ne comprenait pas tout ce qui se trouve dans la loi d'extradition.
Le gouvernement belge s'obligeait à moins que ne lui permettait notee législation.
Il ne peut en être autrement ; personne ne l'a compris autrement.
Si, pour le cas de complicité, on devait appliquer exclusivement la législation étrangère, vous feriez tous les amendements que vous voudriez, cela ne servirait à rien.
Ainsi, dans le sens de la Chambre, d'après l'opinion de tous les membres qui ont pris part au débat, la distinction que je viens d'indiquer existe. Elle est dans la force des choses, elle est de l'essence même de l'extradition. Qu'est-ce, en effet, que l'extradition ? C'est une restriction au principe de la souveraineté nationale, c'est-à-dire que nous consentons, en vertu des traités et à titre de réciprocité, dans la mesure exacte de cette réciprocité, à admettre une exception au principe de la souveraineté territoriale.
Un gouvernement étranger demande l'extradition dans les formes de sa législation ; nous accordons dans les formes et selon les définitions établies par la nôtre, et réciproquement. Si les législations des deux pays ne sont pas les mêmes, la plus restreinte, en vertu du principe de rigoureuse réciprocité, sert de loi commune aux deux parties.
Si cette distinction existe, et elle est incontestable, n'est-il pas vrai qu'une grande partie des objections faites au projet vient à disparaître.
Que signifient, en effet, les appels faits à la législation prussienne ou autrichienne, relativement à la non-révélation ? Le gouvernement a le droit de refuser l'extradition pour ce cas là ; il ne pourrait pas même l'accorder.
D’honorables adversaires voient tantôt dans cette loi quelque chose de monstrueux ou d'indigne de la Beglique, et dans d'autres parties de leurs discours, il n'y a entre nous qu'une difficulté de mots, nous sommes d'accord sur les principes. Cette contradiction m'a vivement frappé.
Selon le discours de l'honorable M. Frère et de l'honorable M. Devaux, il n'y a qu'une petite différence de texte, nous sommes tous d'accord ; puis ils ajoutent en terme de péroraison, puisqu’il faut une péroraison (nous en faisons tous), on ajoute que c'est une chose indigne, inouïe, qui nous humilie aux yeux de l'Europe.
Le principe qui nous sépare, je l'ai défini hier, nous voulons déclarer par la loi, pour qu'il n'y ait plus de contestation judiciaire, pour que l'exécution des traités ne rencontre plus de froissement, soit régulière et normale, nous voulons déclarer par la loi que l'attentat revêtant le caractère du meurtre, de l'assassinat ou de l'empoisonnement, peut donner lieu à l'extradition ; nous voulons déclarer, en outre, que lorsque l’attentat est connexe à un fait prétendument politique ou réellement politique, c'est le crime de droit commun qui prédomine et que l'extradition aura lieu à ce titre.
Nous voulons en troisième lieu qu'on ne crée point pour la Belgique une définition restreinte de la complicité qui s'applique au meurtre, à l'assassinat. à l'empoisonnement commis sur la personne d'un souverain et qui ne s'applique point au meurtre, à l'assassinat, à l'empoisonnement commis sur un particulier ; voilà ce que nous voulons.
N'eussiez-vous supprimé qu'un seul mot du droit commun, nous ne voulons pas de votre suppression parce que ce mot représente non pas seulement tel ou tel cas de complicité, mais un principe qui doit être sacré.
On m'objecte que je n'ai pas critiqué le texte de la commission quant à la complicité ; j'ai critiqué non pas ce qu'a dit la commission puisqu'elle l'emprunte au Code pénal, mais ce qu'elle n'a pas dit : elle n'a pas reconnu le droit commun pour les souverains et c'est la première condition d'une loi qui soit morale et dont le pays puisse s'honorer.
On ajoute qu'il y a partout un droit spécial pour les souverains. Oui, il y a partout un droit spécial pour les souverains, mais nulle part, il n'y a un droit spécial contre les souverains, et si votre proposition passait, la Belgique serait le seul pays de la terre où il y aurait un droit exceptionnel contre les souverains.
Nous sommes, dit-on encore, en contradiction avec l'honorable ministre de la justice sur la définition de la complicité.
Voici la circonstance à laquelle l'honorable M. Verhaegen a fait allusion.
Dans la commission j'avais proposé de reconnaître de commun accord mais non pas d'insérer dans la loi, ce qui eût été inutile, que la complicité d'après le projet devait être entendue en ce sens qu'elle se référait au Code pénal ; et, pour le dire en passant, puisqu'on parle tant de transaction et de conciliation, c’est la seule formule vraiment transactionnelle qui ait été proposée, c'est moi qui l'ai proposée et c'est vous qui l'avez repoussée.
Y a-t-il des raisons en fait pour supprimer quelque chose du droit commun ?
On supprime les mots : « les abus d'autorité », comme complicité ; je suppose qu'un père abusant de son autorité, pervertissant son fils, le pousse au crime ; le fils sera coupable, et le père, qui est réellement l’instigateur du crime, sera impuni, bien entendu s'il s'agit de l'attentat contre un souverain, car vous l'extraderez s'il s'agit d'un portefaix.
Messieurs, on nous parle de la complicité du décret de 1831. Je suppose que nous voyions se reproduire ces faits déplorables d’associations secrètes, dans lesquelles des malheureux étaient appelés à tirer au sort à qui serait le régicide ; vous appellerez cela » complicité morale », je dis que c’est un crime que tout pays civilisé doit punir, et qui sera impuni avec votre complicité restreinte.
Voila ce que nous ne voulons pas. Voila les principes qui nous divisent et voilà pourquoi nous discutons sérieusement non sur des mots mais sur des choses qui intéressent au plus haut degré la moralité et l'honneur du pays.
(page 908) M. Orts. - L'honorable M. Malou tient énormément à savoir en définitive, ce qui nous divise ; ce qui sépare sa manière de voir de la manière de voir de la majorité de la commission. Il parle de divisions qui s'établiraient entre nous sur des questions intéressant au plus haut point la moralité du pays. Je veux lui dire quel est l'abîme qui nous sépare et en quoi la moralité du pays est intéressée à ce que l'une des opinions divergentes domine l'autre.
Nous vous proposons un texte franc, net, qui dit à tout le monde, à la veille de traiter avec la Belgique sur une matière importante : Voilà ce que nous vous offrons, voilà ce que nous vous refusons.
Cette netteté dans la proposition est la garantie de notre loyauté dans l'exécution.
Vous faites un texte qu'on a appelé à juste titre un texte menteur ; vous faites un texte dans lequel vous dites : « L'attentat contre la vie d'un souverain donnera lieu à l'extradition » et vous vous réservez de ne point donner au mot « attentat » la seule signification juridique qu'il puisse avoir.
Vous faites un texte dans lequel vous dites aux gouvernements étrangers que, quels que soient les cas de complicité, les complices seront extradés, et vous venez affirmer à la Chambre qui hésite devant l'arbitraire de votre texte : Ne craignez rien ; il y a une complicité qui vous effraye ? Eh bien, nous entendons l'exclure à jamais, c'est la complicité morale. Vous venez dire d'une manière absolue aux gouvernements étrangers : Le meurtre commis sur la personne d'un souverain sera dans toutes les circonstances, sans exception (votre texte n'en fait pas) sera toujours une cause légitime d'extradition et vous ajoutez à la Chambre : « Si ces faits se produisent à l'occasion de la guerre civile, nous n'extraderons pas. »
Qui donc ici dans les formules qu'on présente au vote de la Chambre est l'interprète fidèle du sentiment moral et loyal du pays ? Est-ce, celui qui propose un texte, avec l'intention de joindre le fait à la parole ? ou est-ce celui qui propose un texte auquel il proclame à l'avance que le fait conforme ne viendra jamais se joindre ?
Ce qui nous sépare, c'est un abîme, comme je le disais tout à l'heure ; ce n’est pas une question de mots, une question de principes, ce qui (page 909) nous sépare, c'est la franchise ; elle est chez, nous, elle n'est pas chez vous.
Messieurs, si l'on pouvait, dans des questions aussi graves, dans des discussions aussi sévères, aller chercher des arguments et des comparaisons empruntés à un ordre d'idées complètement opposées, je dirais à mes honorables adversaires ; Ce que vous faites, en tenant ici à la Chambre un langage que dément ce que vous offrez aux gouvernements étrangers ; ce que vous faites, ce n'est pas de la politique, c'est de la haute comédie. Vous copiez Molière, et votre modèle c'est don Juan ; Don Juan entre les deux paysannes à qui il promet hautement mariage tout en leur souillant à l'oreille : N'y prenez garde, vous savez mes vrais sentiments.
Revenons, messieurs, au côté important de la loi, voyons si réellement vous êtes en face d'un danger, si vous êtes à la veille de promettre ce que vous ne voudrez pas tenir. Là, est la question vitale pour l'honneur et la moralité du pays.
On s'étonne de notre insistance, et l'on nous dit : « Nos exigences croissent à mesure que la discussion semble approcher du terme ; vous parlez toujours de conciliation, et vos exigences grandissent à chaque pas ; une seule proposition conciliante avait été faite dans le sein de la commission spéciale ; j'en avais pris l'initiative ! exclame l'honorable M. Malou, et vous l'avez repoussée.
Messieurs, voyons si nos exigences croissent, si nous demandons plus aujourd'hui que nous n'avons jamais demandé ; voyons si réellement il n'y a dans cette enceinte d'homme conciliant, ayant le monopole des propositions de paix, que l'honorable M. Malou, puisqu'il s'affirme.
Pourquoi nos exigences iraient-elles croissant ? Parce qu'au sein de la commission spéciale où notre attention avait été éveillée sur ce point par un amendement et un discours de l'honorable M. Lebeau, nous avons demandé la disparition du mot « attentat ». Etait-ce une exigence bien grande ? N'était-ce pas plutôt une tentative faite par nous pour mettre en harmonie le langage de la loi avec les intentions du gouvernement qui l'a présenté ?
Un danger venait de nous être signalé par un homme d'une haute intelligence et d'une expérience consommée ; nous avons cherché à l'écarter.
M. le ministre de la justice disait : « Le mot « attentat » ne signifie rien dans le projet de loi. » D'autres membres faisaient remarquer que le mot « attentat » pouvait gêner dans l'interprétation. Puisque M. le ministre de la justice affirmait l'insignifiance du mot dans la loi et que, d'autre part, le mot pouvait gêner, nous avons fait preuve de conciliation, en sacrifiant le mot qui ne signifiait rien d'après M. le ministre de la justice, au danger que nous signalait sérieusement l'honorable M. Lebeau.
Mais où les exigences vont successivement croissant, permettez-moi de vous le dire, mon honorable collègue, c'est dans votre langage.
Lorsque nous cherchions tous, vous avec nous, animés d'une égale bonne foi, au sein de la commission spéciale, une formule transactionnelle, nous étions tombés d'accord sur un point, c'était de restreindre la définition de la complicité dans les termes qu'emploie le Code pénal de 1810 pour la définir.
Personne de nous n'entendait aller au-delà, personne de nous ne songeait à demander qu'on mît dans le projet de loi une complicité de droit commun, existant néanmoins pour tout le monde, pour tous les faits définis crimes ou délits par le Code pénal belge, la complicité définie, dans la loi du 20 juillet 1831 sur la presse.
Aujourd'hui tient-on encore ce langage ? Non, messieurs, depuis que M. le ministre de la justice veut que cette complicité de droit commun soit applicable aux crimes dont il s'agit dans la loi en discussion, vous faites, de votre côté, un pas en arrière pour retirer votre concession, et cet amendement transactionnel dont vous vous faisiez si grand honneur tout à l'heure, mon honorable collègue, le proposeriez-vous encore aujourd'hui ? Je suis bien persuadé que non, et je suis aussi autorisé à demander à l'honorable M. Malou des nouvelles de son amendement qu'il pouvait l'être tout à l'heure à demander à l'honorable M. Verhaegen des nouvelles du sien.
Vos exigences, à vous, vont donc croissant et non les nôtres.
Avez-vous jamais parlé non plus, au sein de la commission, d'une complicité dont il faudrait aller chercher la définition et les éléments ailleurs encore que dans le décret de 1831 sur la presse et dans le Code pénal belge ?
Avez-vous jamais dit, au sein de la commission spéciale, ce que dit le gouvernement dont vous allez sans aucun doute voter le projet, ce que dit le gouvernement, à savoir qu'on ira chercher les éléments de la complicité dans les Codes de toutes la nations étrangères avec lesquels la Belgique fera des traités d'extradition, quels que soient les faits que ces Codes considéreront comme faits de complicité ?
Avez-vous tenu le même langage à l'égard de la tentative ? Vous le tenez aujourd'hui, ou vous appuyez ceux qui le tiennent, et pour décliner cette inconséquence, vous vous abritez derrière une échappatoire misérable autant qu'inexacte. Vous prétendez que M. le ministre de la justice n'a pas dit qu'il irait s'adresser à la loi autrichienne, prussienne, française ou anglaise, pour obtenir la définition de la complicité ou de la tentative. Eh bien, prenons en main, s'il vous plaît, les textes sur lesquels nous discutons, car il est bon de ne pas s'en fier toujours exclusivement à sa mémoire.
Voici le langage qu'a tenu M. le ministre de la justice. Il est reproduit au Moniteur ; le citer sans commentaires sera ma meilleure réponse à l'honorable M. Malou. Ces paroles de M. le ministre se trouvent à la page 885 des Annales parlementaires ; je prie l'honorable M. Malou de vouloir bien me suivre ; sinon, il pourrait encore me reprocher d'écourter ou d'allonger à contre-temps les phrases, comme on l’a dit d’une citation consignée dans le rapport de la commission spéciale.
« La Chambre sait, a dit M. le ministre de la justice, que dans toute la loi il n'est question ni de complicité, ni de tentative, les mots ne s'y trouvent même pas. On s'est borné à faire l’énumération de certaines catégories de crimes devant donner lieu à l'extradition. Il est dont évident qu'on a dû se référer pour les cas de complicité et de tentative aux législations des différents pays qui contractent. »
Ainsi donc, quand vous voudrez savoir si un individu dont on demande l'extradition est complice ou s'il a commis une tentative, il faudra chercher la définition de ces mots dans le Code du pays auquel cet individu appartient.
- Un membre. - C'est lorsqu'il s'agira de conclure des traités en vertu de la loi de 1833.
M. Orts. - rreur : c'est lorsqu'il s'agira de les exécuter. La preuve en est dans la loi d'extradition, où, comme le fait observer M. le ministre, les mots de « complicité » et de « tentative » ne se trouvent pas.
M. Dumortier. - Qu'est-ce que cela fait ?
M. Orts. - Ah ! qu'est-ce que cela fait ? je voudrais savoir d'abord ce que cela ne fait pas et je vous prierai de l'expliquer.
Le ministre n'a pas parlé ainsi à la suite d'un « lapsus linguœ », comme il lui arrive quelquefois ; c'est une opinion motivée, une opinion arrêtée résultant des études qu'il a faites sur la question : il va le dire et donner ses raisons : « Représentons-nous bien ce qu'est, en définitive, une convention d'extradition. La Belgique vient dire à un gouvernement étranger : Je m'engage à vous livrer ceux de vos nationaux réfugiés chez moi, qui seront condamnés ou accusés suivant les lois de votre pays, du chef de certains crimes déterminés, à la condition que vous, gouvernement étranger, vous consentiez a me livrer mes nationaux qui se seraient rendus coupables des mêmes crimes tels qu'ils sont définis par la loi belge. L'application d'une loi d'extradition est donc un contrat bilatéral, un contrat synallagmatique et où chacune des parties reste soumise à ses propres lois pour la définition des crimes du chef desquels elle peut demander l’extradition. Chaque fois donc qu’une demande d’extradition sera formulée de la part de la Belgique, la formule d’accusation devra comprendre les éléments constitutifs du crime, d’après la loi belge, car l’individu qu’il s’agit de réclamer a violé non les lois du pays où il s’est réfugié mais les lois de son propre pays.
« Le bon sens indique par conséquent qu'en matière d'extradition c'est d'après les lois du pays qui demande cette mesure, qu'il faut se guider. Cela me paraît incontestable quant au crime lui-même et cela me paraît également incontestable quant à la tentative et quant à la complicité. »
Si cela n'est pas clair, je renonce à m'expliquer dans un langage quelconque avec l'espoir de me faire mieux comprendre.
Vous voyez donc que la prétention contre laquelle vous vous éleviez tout à l'heure se trouve dans le projet que vous allez voter, que sous le rapport de la complicité, ce sont vos exigences qui grandissent ; les nôtres restent les mêmes ; nous avons, au contraire, fait des concessions.
Elles vont au-delà de tous les amendements qu'où nous avait chargés d'examiner, sauf l'amendement de M. Verhaegen, et il ne se rattache pas à la question que nous examinons maintenant.
On m'objecte, et c'est M. Malou qui me tient ce langage : « Si vous n'admettez pas le recours aux lois étrangères, ce recours que veut M. le ministre, que M. Malou n'accepte que sous bénéfice d'inventaire dans une proportion homéopathique, pourquoi donc inscrivez-vous dans votre loi une définition restrictive de la complicité ? La chose est inutile si votre loi ne doit pas s'occuper de la loi étrangère, si dans votre système on ne doit s'occuper que de la loi belge. » Je réponds : Il suffit qu'une opinion du genre de celle du ministre de la justice se produise avec son caractère de gravité, pour que nous, qui la repoussons, nous ayons raison de déclarer formellement dans la loi notre volonté de n'autoriser l'extradition, en cas de complicité qu'établie d'après la définition consignée dans la loi elle-même.
Il le faut ainsi, pour rester fidèle à cette pensée de franchise qui nous a guidés. Il nous faut dire au gouvernement qui stipulerait avec nous dans la loi d'extradition même : Voilà ce que nous promettons et ce que nous tiendrons.
Nous ne pouvions pas admettre la complicité complète telle qu'elle existe pour tous les délits du droit commun.
Vous nous en faites un reproche. J'ai démontré qu'il est mal fondé. Il serait, au besoin, justifié par l'inconséquence que vous nous attribuez et qui vous revient aussi ; car vous repoussiez avec moi l'article premier du décret de 1831, et cet article forme le droit commun au même titre que le Code pénal.
Je demande à l'honorable membre auquel je réponds, qu'il s'explique nettement sur le point de savoir si, en cas de demande d'extradition, on se placera sur le terrain de la loi belge tout entière, s'il est en ce point d'accord maintenant avec le gouvernement, s'il admet que la (page 910) complicité, aux termes du décret sûr la presse, pourra être un cas légitime d'extradition, quand il s'agira d'exécuter la loi qu'on va voter ?
Je fais cette interpellation pour que la Chambre vote en connaissance de cause sur une question dont la gravité n'a échappé à personne ?
L'honorable M. Malou s'est attaché à montrer que nos craintes à la vue d'un pareil résultat n'avaient rien de réel. Il a cité un exemple en le rattachant à la complicité que nous excluons, alors qu'il n'a rien de commun avec elle. Je ne sais si c'est une tactique, j'aime mieux croire que l'honorable membre se trompe ; mais l'erreur ici pourrait nous conduire extrêmement loin, force est de la signaler.
La loi sur la presse n'introduit pas ce genre de complicité en vertu de laquelle on pourrait réclamer le membre de ces sociétés secrètes où l'on tire au sort celui qui portera une main régicide sur le souverain étranger ; il n'est pas question de cela dans le décret de 1831, ce décret ne s'occupe que de la provocation contenue dans des discours, des journaux, des livres, des affiches, des chansons, des gravures, des litographies.
M. Malou. - Dans quelle partie de votre loi rentre cette complicité.
M. Orts. Nous ne voulons pas qu'elle y entre parce qu'en la faisant entrer dans la loi, nous ouvrons la porte toute large à des prétentions que nous ne pouvons pas admettre, à la complicité morale qui est tout entière dans le décret du 20 juillet 1831 mal interprété à l'étranger.
Prcnez-y garde ! il est plus facile que vous ne pensez d'incriminer un discours, d'y voir une provocation directe à un crime.
J'ai cité beaucoup d'exemples et vainement demandé que l'on s'expliquât sur chacun d’eux. Ni le ministre, ni les défenseurs de son projet, m'ont essayé de répondre à cet appel. J'attends toujours. Mais je persiste dans ce mode d'argumenter.
Permettez-moi donc d'insister sur un nouvel exemple, permettez-mois de vous rappeler un fait personnel à l'un de mes honorables collègues ; vous verrez combien il est facile d'accuser un homme parfaitement honorable de provocation directe au meurtre et à l'assassinat.
En Belgique, en pleine cour d'assise, j'ai entendu de mes oreilles accuser un jour l'honorable M. Dumortier d'avoir provoqué directement à l'assassinat de l’honorable comte de Theux. (Interruption.)
Ne riez pas ; permettez-moi de vous montrer que je ne me suis pas permis une plaisanterie indigne du grave débat qui nous occupe, inconvenante à l'égaid des collègues que j'ai nommés, si je n'étais pas l'écho de la plus exacte vérité.
L'exemple a sa valeur et vaut la peine qu'on le médite. Voici le fait complet.
Lorsque eut lieu au sein du parlement la mémorable discussion qui amena le vote du traité des 24 articles en 1839, l'honorable M. Dumortier fil à ce traité une opposition vive, nationale et courageuse ; c'est là, je me plais à le reconnaître devant lui comme devant tout le monde, une des pages les plus honorables de sa vie parlementaire. A la suite du vote l’honorable membre que la jeunesse belge couronnait de légitimes sympathies, fut invité à assister à un banquet offert par les étudiants des universités de Gand réunis aux étudiants de Bruxelles. Il accepta. La fête eut lieu à Gand. Arrive le moment des toasts ! là, comme à tous les banquets, un toast est porté à M. Dumortier ! Je crois que l'auteur siège également parmi nous, c'est, si je ne me trompe, l'honorable M. Van Hoorebeke qui présidait à cette patriotique manifestation.
L'honorable M. Dumortier, répondant, rappela les grands exemples de patriotisme qu'à diverses époques les Flandres avaient donnés à la Belgique ; et il ajouta que les Flandres et la ville de Gand avaient aussi montré par de grands exemples ce que le peuple, dans sa juste vengeance, fait des ministres qui livrent à l'étranger une partie du territoire national.
A quelques pas d'ici, s'écria-t-il, je vois la place du Vendredi où Hugonnet et Imbercourt payèrent de leur tête l'abandon qu'ils avaient fait de la ville d'Arras à la France !
Ces ministres étaient moins coupables que les trois ministres belges, proposant au parlement l'abandon du Limbourg et du Luxembourg.
Quelque temps après surgit, en cour d’assises, un procès dont on n'a pas complètement oublie le retentissement.
Le gouvernement fit poursuivre des citoyens qui avaient cru pouvoir organiser un système de résistance extra-légale contre l'exécution du traité des 24 articles.
Dans le procès, un avocat accusa les ministres qui l'avaient présenté d'avoir montré peu de courage. Le ministère public répondit immédiatement : Le courage n'a pas manqué aux trois ministres qui ont présenté le traité. Ils auraient pu courir à la suite de leur acte, des dangers personnels très sérieux ! Puis le ministère public rappela pour le prouver le toast porté à l'honorable M. Dumortier par l'honorable M. Van Hoorebeke, et la réponse de l'honorable M. Dumortier, l'allusion à Hugonnet et Imbercourt ; la déclaration de l'honorable M. Dumortier, que les trois ministres de 1839 étaient plus coupables à ses yeux que les trois malheureux ministres de Marie de Bourgogne.
Et le ministère public, continuant, ajouta : « Si au sortir de ce dîner les trois ministres (dont l'un était l'honorable comte de Theux) s'étaient trouvés à Gand, eussent été rencontrés par les élèves, et que ces élèves n'eussent pas eu un meilleur esprit que celui dont on cherchait à les animer, » - On, c'était l'honorable M. Dumortier, - « peut-être auriez-vous eu une nouvelle représentation de la scène du marché au Vendredi. » La représentation de l'exécution sanglante que j'ai rappelée.
« Cette provocation directe contre trois ministres nous fait voir à quelles exagérations peut arriver l'esprit de parti. »
Voilà, messieurs, comment dans quelques paroles, quelques allusions historiques qu'on se permet au dessert, les parquets découvrent une provocation directe à l'assassinat politique !
Voulez-vous autoriser la demande d'extradition, dans pareil cas, de la part d'un gouvernement étranger ? Jamais vous ne ferez voter sciemment à la Chambre une loi qui ait cette monstrueuse portée.
Si vous réussissez dans cette entreprise c'est que vous aurez donné à la législature la croyance que la loi ne comporte pas cette interprétation ; pareille croyance, dans ma conviction, dans ma conscience, est profondément erronée.
Il nous est donc permis d'insister pour obtenir uae rédaction qui ne permette pas même de venir réclamer de la Belgique un abus d'extradition manifestement contraire à sa dignité et à son honneur national.
Voilà pourquoi nous ne voulons pas, en matière de complicité, que l'attentat contre la personne du souverain et le meurtre d'un particulier soient placés sur la même ligne. Voilà pourquoi nous cessons d'être logiques.
L'honorable M. Malou nous reproche à grand bruit de créer un droit distinct pour l'assassinat d'un souverain et pour l'assassinat d'un portefaix. Il est tellement satisfait de cette phrase théâtrale qu'il l'a dite hier, et répétée aujourd'hui. Il est vrai que l'honorable M. Malou, par compensation, a biffé le portefaix au Moniteur.
M. Malou. - Non, je ne l'y ai pas trouvé.
M. Orts, rapporteur. - Et vous avez fait de votre portefaix ce que, selon vous, l’honorable M. Verhaegen a fait de son amendement. Vous l'avez oublié.
Un mot maintenant sur une critique adressée à la rédaction de la commission, critique à laquelle l’honorable M. Malou tient beaucoup.
L'honorable M. Malou nous dit que notre loi a'a pas de sens, que ce serait une honte pour la Belgique d'en faire une tout exprès pour déclarer que le meurtrier d'un souverain n'est pas considéré en Belgique comme un meurtrier.
Ce reproche est encore et toujours parfaitement injuste, et l'honorable membre perd de vue que la phrase qu'il a citée se trouve tout entière dans le rapport de la première section centrale, contre lequel il ne s'est jamais élevé ; qu'en commission, sur sa propre observation et pour le satisfaire parce que nous étions d'accord avec lui sur ce sens, l'on a ajouté au texte qu’il incrimine M. le mot « incontestablement », mot que l'honorable M. Malou a par parenthèse toujours oublié lorsqu’il citait.
L'honorable membre perd de vue qu'après ce changement en commission il n'a plus insisté sur la phrase.
On nous dit ensuite que l'article 2 ne se réfere pas à l'article premier de la loi, bien qu'il ne puisse pas se référer à autre chose, qu'il faut le comprendre comme s’il s'appliquait à toute la loi de 1833.
L'honorable M. Frère-Orban a déjà fait sous ce rapport une démonstration parfaitement claire que je ne veux pas reproduire. Seulement je remarquerai que les faits dont il s'agit sont exclusivement qualifiés crime à l'article 2, cette qualification renvoie évidemment à l'article premier et non à la loi de 1833, puisque cette dernière admet l'extradition non seulement pour des crimes, mais encore pour des délits.
En maintenant nos propositions, je persiste à demander à la Chambre qu'elle tranche une question de moralité, de dignité nationale ; qu'elle la tranche d'une façon digne, honorable et morale, qu'elle dise nettement ce qu'elle veut, nettement aussi ce qu'elle ne veut pas. Nous parlons au nom du pays ; c'est avec franchise et fermeté que la Belgique a toujours eu coutume de parler à l'Europe.
(page 905) - Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - J'ai été cité dans la discussion ; je demande à parler cinq minutes.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. de Renesse. - Nous avons à discuter d'autres lois plus importantes que celle-ci qui ne devrait nous occuper qu'une ou deux séances et à laquelle nous avons déjà consacré cinq séances. J'insiste donc pour la clôture.
M. Devaux. - Tout à l'heure l'honorable M. Tesch a annoncé qu'il se proposait de traiter une question qui n'a pas été traitée dans la discussion. C'est peut-être la plus importante. Il est impossible de clore la discussion, si vous voulez connaître la loi sur laquelle vous votez.
M. le ministre de la justice a soutenu que la matière des extraditions est régie par les lois étrangères. Si cette opinion est vraie, toute la loi est changée.
L'honorable M. Tesch le premier veut la discuter à fond. Elle ne l'a pas été jusqu'à présent.
L'honorable M. Malou a fait quelques réserves ; mais l'honorable M. Malou n'est pas ministre. Son opinion n'a pas, quant à l'interprétation d'une loi, le même poids que celle d'un ministre. Elle peut tout au plus jeter quelques doutes sur l'opinion du ministre, et l'on ne peut voter une loi dont la portée est douteuse.
Je demande donc que l'honorable M. Tesch soit admis à discuter la question de savoir, et c'est une question extrêmement importante ; si c'est la législation belge ou la législation étrangère qui régit la matière des extraditions.
M. le président. - Je mets aux voix la clôture.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
(page 906) - La demande de clôture est mise aux voix par appel nominal.
96 membres sont présents :
70 votent contre la clôture.
19 votent pour.
7 s'abstiennent.
En conséquence, la demande de clôture n'est pas adoptée.
Ont voté contre la clôture : MM. Frère-Orban, Goblet, Jacques, Julliot, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Wasseige, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, Delfosse, Deliége, Della Faille, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Steenhault, Devaux, Dubus, Dumortier et Delehaye.
Ont voté pour la clôture : MM. Faignart, Janssens, Landeloos, Matthieu, Thibaut, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt. Vîsart, Dechamps, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Sécus, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes et de Wouters.
Se sont abstenus : MM. Mercier, Vilain XIIII, Coomans, de Decker, de La Coste, F. de Mérode et Dumon.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le cabinet croit devoir s'abstenir dans les questions de clôture.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. Coomans. - J'aurais voulu voir clore ce débat qui n'a duré que trop longtemps. Mais puisque d'honorables adversaires insistent pour se faire entendre, je n'ai pas voulu leur enlever la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Mercier.
M. de La Coste. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Coomans.
M. de Mérode. - Je m'abstiens, messieurs, parce que d'une part je suis d'accord avec l'honorable M. de Renesse sur l'excessive longueur du débat qui devrait être terminé. Mais d'autre part, comme on a fait perdre à la Chambre la moitié au moins du temps dont elle devait disposer pour la question même et non pas pour mettre en état de siège la personne du ministre de la justice et tout embrouiller par ce procédé, je préfère m'abstenir sur une prolongation de la discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Mercier.
- La séance est levée à cinq heures.