(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 893) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Namur prie la Chambre de décider si les frais de traitement des filles indigentes atteintes d'affections syphilitiques sont à charge de la commune du domicile de secours. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et j'en recommande l'examen à la commission des pétitions. Je prie aussi le gouvernement d'y faire droit.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandevelde réclame l'intervention de la Chambre pour que la famille Craen soit mis en jouissance d'un bien dont l'administration des pauvres d'Anvers est en possession. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jalhaens, ancien capitaine décoré de la croix de fer, demande que le projet de loi relatif à la pension d'officiers de volontaires soit rendue applicable aux anciens officiers, décorés de la croix de fer, qui sont entrés dans des emplois civils. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi amendé par le Sénat.
« Le sieur Benoît, ancien infirmier à l’hôpital militaire de Tournai, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission dos pétitions.
« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Blaton demandent que la section du chemin du fer projeté du Saint-Ghislain à Tournai, qui se dirige sur Leuze et Audenarde, parte de Blaton. »
- Renvoi à la section centrale chargé d'examiner le projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemin de fer.
« Par message en date du 11 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1856. »
M. Loos, au nom de la commission spéciale qui a examiné un projet de loi relatif à un échange de terrain entre l'Etat et la ville d'Anvers dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. Lebeau (pour un fait personnel). - Je suis réduit à faire appel aux souvenirs de la Chambre, et je m'adresse ici à tous les bancs, pour rappeler, sinon le texte, au moins le sens d'un fragment du discours prononcé hier par M. le ministre de la justice. Dans ce discours, il m'a adressé le reproche d'avoir proposé de faire entrer dans la législation une disposition, en vertu de laquelle on pourrait livrer à un gouvernement étranger un Belge qui aurait commis, dans la juridiction de ce gouvernement-là, un crime ou un délit.
Je dis que je suis obligé de faire appel aux souvenirs de la Chambre, parce que, par un incident qui est peut-être sans exemple dans nos annales parlementaires, car je crois que c'est M. Nothomb qui en a pris l'initiative, personne de nous n'a reçu le discours de M. te ministre de la justice. Personne de nous ne peut savoir au juste quelles sont ses paroles. Je suis donc obligé d'emprunter un fragment du discours du ministre à un journal qui a l'habitude de faire faire avec beaucoup de circonspection la sténographie de nos débats.
M. Visart. - Votre discours, M. Lebeau, n'est point non plus au Moniteur.
M. Lebeau. - Ce n'est pas ma faute. Depuis quelque temps, M. Visart, vous m'interrompez, bien que ce ne soit pas d'ordinaire votre habitude. Je vous prie de me permettre de parler, et vous allez voir que mon discours n'y fait absolument rien.
Je crois que, comme hier, vous aurez le regret de m’avoir interrompu, ne sachant pas de quoi il s'agit, quand vous verrez que je vais dire précisément le contraire de ce que probablement vous supposez.
Voici le texte du discours de M. Nothomb, comme la rapporte l’« Indépendance » : M. le ministre conserve parfaitement le droit d'expliquer, de rectifier les faits si l'on se trompe.
M. Nothomb, dans un discours aussi empreint de modération que de purisme académique, après avoir parlé des injures dont je fus l'objet en 1833, a dit qu'aujourd'hui je les rendais a d'autres et que ce fiel de vingt ans me pesait sans doute encore sur le cœur.
Vous allez voir par quelles aménités M. le ministre de la justice fait contraster son discours avec ceux qu'il me reproche d'avoir provoqués, il y a 23 ans.
« Si je voulais faire des récriminations, dit l'honorable M. Nothomb, (c'est supposer que l'on n'en fera pas. Mais, ici, cela veut dire : je vais en faire), je rappellerais qu'au Sénat, dans la discussion de la loi de 1833, l'honorable M. Lebeau, répondant à une interpellation de l'honorable comte Vilain XIIII, avait admis comme possible, l'extradition d'un Belge. C'était méconnaître non seulement l'esprit de la loi de 1833, mais l'esprit de la Constitution. Jamais je n'aurais exprimé une opinion de ce genre. »
Je cite toujours d'après l’« Indépendance », les Annales parlementaires ne m'étant pas encore parvenues.
M. Nothomb trouve-t-il que ses paroles ont été défigurées ? Je suis prêt à accepter toutes ses rectifications.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je répondrai.
M. Lebeau. - Fort bien, « (Bruyante approbation à droite) » ajoute le journal. Vous voyez qu'il n'est pas malveillant pour le ministre.
J'en sois bien fâché pour la droite et pour le ministre lui-même ; mais ils seront obligés de retirer l'un les récriminations qu'il ne voulait pas faire et l'autre l'adhésion bruyante qu'elle a donnée aux paroles du ministre.
Voici, à son tour, le langage de celui qu'où appelle le plus inexorable des historiens, de l'impartial Moniteur :
« Séance du sénat du 28 septembre 1833
« Discussion du projet de loi sur les extraditions.
« M. le comte Vilain XIIII. - Je ne puis qu'approuver la loi qui est soumise à notre délibération ; car elle était nécessaire, alors que la Belgique sert de refuge à des individus qui ont commis des crimes ou des délits graves dans leur pays. Je regrette cependant de voir dans cette loi une lacune qu'il me paraît indispensable de combler ; c'est le cas où un Belge, ayant commis un crime à l'étranger, viendrait se réfugier en Belgique. Dans le silence de la loi, il jouirait de l'impunité. Il me semble que les tribunaux devraient pouvoir se saisir de cet individu, comme cela se fait en Prusse. Quand un Prussien qui a commis un crime ou un délit à l'étranger vient dans son pays, et que les pièces de la procédure qui le concerne sont parvenues à l'autorité judiciaire, cette autorité rend promptement justice. J'espère qu'à la session prochaine, M. le ministre nous présentera une disposition à cet égard.
« M. le minùtre de la justice. (C'était moi.) - Sans l'espèce d'interpellation qui vient de m'être adressée, je n'aurais pas cru devoir prendre la parole dans la discussion générale. Le travail du savant rapporteur de la commission (l'honorable M. de Haussy) a abrégé considérablement ma tâche ; il a fait la part de tout ce qu'il y avait de bon et d'utile dans la loi et des imperfections qui s'y trouvaient ; il a fait remarquer très judicieusement que comme il ne s'agit que d'une loi d'essai, il fallait attendre de l'expérience la connaissance des modifications qu'il serait nécessaire d'y introduire ; il a pris en considération la lacune indiquée par l'honorable préopinant, et il a dit avec raison que deux systèmes pouvaient conduire à la combler. D'abord on peut étendre l'extradition à un cas tout spécial. (Ici l'on ne fait pas de la théorie ; on raconte ; on fait l'histoire de la législation.) Par exemple, insérer dans une loi une disposition d’après laquelle un Belge qui aurait commis un crime dans un pays étranger pourrait être livré, aux tribunaux étrangers.
« C'est le système établi par un décret impérial de 1811 qui avait décidé que lorsque le gouvernement d'un pays étranger demanderait l'extradition d’un Français qui aurait commis dans ce pays un crime prévu par sa législation, il y aurait lieu de s'adresser à l'empereur et de suivre certaines formalités pour obtenir son extradition. Mais des publicistes se sont beaucoup élevés contre ce système étendu à tous les crimes. Ils ont fait observer qu'à l'égard du citoyen d'un pays constitutionnel où le pacte fondamental consacre des garanties en faveur de l'accusé, telles que l’institution du jury, la publicité de la défense, etc., il y aurait quelque chose d'injuste et d'exorbitant à le livrer au gouvernement d'un pays étranger où il ne trouverait peut-être plus les mêmes garanties et où la législation serait plus rigoureuse.
« J'avoue que je partage assez cette opinion. » (Interruption.)
- Un membre. - Assez !
M. Lebeau. - Equivoquer sur une épithète, sur un mot, est-ce de la discussion sérieuse ? Ne faisons pas ici de la polémique digne de figurer dans le « Charivari » ou dans le « Figaro ».
Si je ne me suis pas exprimé sur cette question en termes plus affirmants, c'est que j'ai toujours pensé que le chef d'un département ministériel et surtout un ministre de la justice ne devait pas, dans une question si grave, dans une question controversée par les jurisconsultes les plus éminents, venir improviser une opinion tranchée devant la Chambre. Voilà pourquoi je me suis exprimé avec une certaine réserve ; mais il appert de chaque ligne du paragraphe que j'ai mis sous les yeux de la Chambre, que j'avais une répugnance instinctive et très prononcée pour le système que l'on m'a accusé d'avoir préconisé.
(page 894) Eh bien, M. le ministren si, à mon tour, je voulais accuser, récriminer, j’aurais beau jeu. Je pourrais signaler dans votre discours la mutilation de mes paroles, l'altération du sens qu'elles comportent. Je pourrais aussi, après cet incroyable procédé, m'écrier : Calomnie ! Calomnie ! Mais je m'en abstiendrai ; je me bornerai à dire : Etourderie ! Mais étourderie bien grave, bien repréhensible de la part du chef du plus sérieux, du plus grave des départements ministériels.
M. le président. - MM. les questeurs viennent de me communiquer la lettre suivante ; elle répond aux observations qui viennent d’être faites :
« Monsieur,
« Veuillez informer MM. les questeurs que l'heure tardive à laquelle presque toute la copie de la séance d'hier a été remise à la fois à l'atelier du Moniteur a empêché de reproduire ce matin le compte rendu de cette séance. Un des discours (celui de M. Orts) ne m'est pas encore parvenu, mais j'aurais passé outre si le reste de la copie avait été remis à temps.
« Agréez etc.
« (Signé) P. Bourson.
« Bruxelles, 12 mars 11 heures. »
M. Orts. - Je ne sais, messieurs, ce qui a amené la production de cette lettre, j'ignore également si on attache quelque importance au retard qu’a éprouvé la publication de mon discours, mais je vais l’expriquer très nettement à la Chambre.
Je n'ai pas l'habitude de tenir mes paroles dans le sac, je me suis rendu hier au Moniteur comnie j ai l’habitude de le faire quand j'ai parlé ; j’y suis arrivé vers 9 heures en compagnie de l'honorable M. Lebeau ; il n’y avait pas moyen d'avoir une ligne de mon discours ; comme je ne suis pas l'esclave du Moniteur, j'ai demandé qu'on m'envoyât la copie le plus tôt possible ; je l'ai reçue ce matin et je l'ai corrigée immédiatement, malheureusement elle était un peu longue.
M. de Baillet-Latour, questeur. - Depuis quelque temps, messieurs, on se plaignait que les discours ne fussent pas reproduits le lendemain du jour eu ils avaient été prononcés. Nous avons voulu, aujourd'hui, mon collègue et moi, que la Chambre eût des explications sur le retard qu'a éprouvé le compte rendu de la séance d'hier et nous avons cru que le mieux était de faire donner ces explications par M. le directeur du Moniteur. Nous ne pouvons donc que nous référer à la lettre que M. le président vient de communiquer à la Chambie.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je dois répondre quelques mots à l'honorable M. Lebeau.
L'honorable M. Lebeau a débuté par me faire une espèce de reproche de la non-distribution des Annales parlementaires.
M. Lebeau. - Je ne vous ai pas fait de reproche.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Soit ! Vous avez au moins paru dire qu'il y avait de ma faute. Vous avez dit que c'était une chose insolite, une chose inouïe dans les fastes parlementaires. Eh bien, déjà la lettre que M. le président vient de lire explique ce retard ; je l'expliquerai d'une manière plus directe encore et ceci m'est personnel.
La première partie de mon discours paraissait avoir été égarée. Avant minuit, toutes mes épreuves étaient au Moniteur ; passé minuit, on est venu chez mot et on m'a demandé cette première partie que je n'avais plus, puisque je l’avais renvoyée. Ce matin, à 7 heures, on est venu de nouveau faire la même réclamation ; j'étais occupé à rétablir de mémoire la première partie de ce discours, lorsque vers 9 heures, M. le directeur du Moniteur m'a fait dire qu'on avait enfin retrouvé cette partie momentanément égarée. La Chambre voit donc qu'il n'y a eu de ma part aucune faute.
M. de Theux. - Il serait curieux de s'informer de ce qu'était devenue votre copie.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il paraît qu'elle avait été mêlée à d'autres copies.
Messieurs, j'ai été quelque peu étonné de voir l’honorable M. Lebeau faire usage d’un journal non officiel pour répondre à ce qui a été dit dans cette assemblée.
Il me semble que mes paroles avaient été assez claires, pour permettre à l'honorable membre de ne pas recourir à ce mode que je qualifie à mon tour d'insolite. Quoi qu'il en soit, je vais reproduire les paroles que j'ai prononcées hier.
Avant tout, je prie ia Chambre de ne pas perdre de vue comment la discussion actuelle a été provoquée. L'honorable M. Lebeau m'a, à brûle-pourpoint, lancé une imputation des plus graves et qui m'a vivement ému ; la Chambre sait laquelle, je ne veux pas la répéter. Cette imputation, je le reconnais, m'a indigné, et c'est sous l'empire de cette indignation que j'ai répondu à l'honorable M. Lebeau, et je ne le regrette pas.
J'ose dire qu'il n'est pas un membre de cette Chambre, soit à droite soit à gauche, qui ne comprenne ce sentiment. J'étais touché dans mon honneur d'homme politique, et je me suis défendu avec vivacité, je le répète. Je n'en ai pas de regret.
Ainsi donc l'honorable membre a bien tort de me reprocher l'attitude que j'ai prise. C'est sur lui que retombe ce débat orageux ; c'est lui qui l’a provoqué.
L'honorable membre ironiquement parle d'aménités que je lui aurais adressées. Est-ce par hasard une aménité que l'accusation qu'il m'a lancée, d'apporter devant le parlement un projet qui n'était pas mon œuvre, un projet imposé, un projet que je subissais servilement ? C'était là, à coup sûr, une très grave accusation, un outrage qui ne pouvait être supporté.
L'honorable membre me convie à retirer quelque chose de mes paroles d'hier.
Je ne consentirai à rien retirer que lorsque lui-même en aura donné l'exemple ; c'est à lui, provocateur de ce débat, c'est à lui qui en a pris l'initiative, à retirer quelque chose, ce n'esl pas à moi.
Et d'ailleurs, que pourrais-je retirer ? Puîs-je retirer le Moniteur ? L'honorable membre a donné lecture d'un passage du Moniteur, eh bien, j'en appelle à la bonne foi de cette assemblée, ce passage du Moniteur ne me donne-t-il pas tout à fait raison. Qu'ai-je dit ? Que l'honorable membre, ministre de la justice en 1833, avait été jusqu'à considérer comme possible l'extradition d'un Belge pour être livré à des tribunaux étrangers. L'honorable membre le dit, le Moniteur le dit ; le Moniteur est inexorable, il est vrai, mais il l'est contre vous dans cette occurrence.
- Un membre. - Le Moniteur dit le contraire.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Pardon ; l'honorable membre répondant à un sénateur qui avait préconisé l'opinion que j’ai rappelée, a dit : « Vous avez raison. » Eh bien, si je pèse la valeur des mots, je trouve que lorsqu'on répond à quelqu'un :« Vous avez raison, » c'est qu'on juge excellent ce que ce quelqu'un propose.
Il est vrai qu'un peu plus loin l’honorable membre, énonce queques objections, mais dans quels termes ? Dans la forme la plus dubitative possible ; il veut bien considérer la mesure comme assez exorbitante.
L'honorable M. Lebeau a tenté d'expliquer ses paroles. Son habitude, dit-il, était de ne pas s'avancer légèrement lorsqu'une question lui était posée à la tribune ; il a donc pu émettre des doutes, mais il n'a rien tranché.
Je serais de l'avis de l'honorable membre, s'il se fût agi d'une question de droit, voire même d'une question de mur mitoyen. Mais lorsqu'un ministre est menacé d'une mise en accusation pour avoir illégalement extradé un étranger, lorsque, pour se défendre, il a dû faire une étude approfondie de la matière, ce ministre ne peut pas hésiter lorsqu'on lui propose l'extradition d'un Belge : il ne peut pas se retrancher derrière la nécessité de délibérer, d'examiner préalablement.
A une telle proposition, le sentiment de la dignité nationale doit fournir une réponse immédiate. Même en l'absence de la Constitution, la réprobation d'une mesure de ce genre doit être instantanée et en quelque sorte instinctive.
M. Lebeau. - Je crois que pour ceux qui n'ont pas un parti pris sur cette question incidentelle, tout ce que je pourrais dire de plus est superflu. M. le ministre vient de faire de l'indignation à propos d'une expression qui, selon lui, manque de l'énergie nécessaire pour condamner hypothétiquement l'extradition d'un Belge, pour livrer ce Belge à des tribunaux étrangers. Pourquoi donc le ministre, en citant mes paroles, s'est-il arrêté à mi-chemin, pourquoi n’a-t-il pas mis le texte entier sous les yeux de la Chambre ?
Pourquoi a-t-il dit en termes formels que j'avais indiqué comme une mesure à introduire dans notre législation la faculté de livrer un indigène à la juridiction étrangère ?
L'avez-vous dit, oui ou non ?
Avez-vous dit, de plus, comme c'était votre devoir, que j'avais cité alors des jurisconsultes éminents qui se sont élevés contre ce système, que j'ai dit en outre que je partageais assez leur avis, avant même d'avoir fait étudier et étudié moi-même cette grave question ?
Permettez-moi de vous le dire, M. le ministre, vous n'avez dans cette partie de votre discours parlé ni en ministre, ni en avocat, mais en procureur.
Ah ! M. le ministre, je doitsle répéter en finissant, jusqu'où va votre erreur sur mon compte !
Vous supposez que dans une discussion aussi grave que celle-ci, où il s'agit de l'honneur national, de ce glorieux renom d'hospitalité qui nous appartient, de nos relations avec les gouvernements étrangers, je vais descendre de cette bauteur pour venir distiller du fiel contre vous ! Il n'en est rien, je vous l'assure ; croyez au contraire que je serais désolé de vous voir quitter le banc ministériel. Je regarderais cela comme une calamité pour mon parti, je désire vivement que vous restiez à votre poste ; si ma voix était nécessaire pour vous en faire sortir, j'hésiterais beaucoup à la donner.
M. le président. - J'engage les orateurs à rentrer dans la discussion du projet de loi.
La parole est à M. Devaux.
M. Devaux. - Messieurs, je suis du nombre de ceux qui désirent que leur pays entretienne avec les autres Etats les meilleures relations. Je désire surtout qu'avec aucun le gouvernement ne soit ni désagréable ni roide ni tendu. Je crois que pour arriver là le gouvernement sans faire jamais aucune acception des principes de politique intérieure qui gouvernent les pays étrangers, doit faire tous les efforts conciliables avec ses intérêts et sa dignité. Aussi depuis tant d'années que je siège dans cette enceinte, dans toutes les matières qui ont rapport aux relations internationales, je me suis toujours, quel que fût le cabinet qui dirigeait les affaires, rangé du côté du gouvernement.
(page 895) Je doute qu'il y ait eu à cela une seule exception en 25 ans. Quand dans ces dernières années le gouvernement a cru nécessaire dans l'intérêt de ses rapports avec les gouvernements étrangers, d'augmenter la sévérité de la législation de la presse, j'ai appuyé le projet de loi de mon vote et de mes paroles.
Quand le gouvernement a annoncé plus récemment qu'il allait présenter en projet de loi pour permettre formellement l'extradition dans le cas d'assassinat politique, je me suis en quelque sorte considéré à l'avance, à raison de mes antécédents, comme un des défenseurs naturels d'un projet de ce caractère, et quand le projet de loi présenté, le rapport fait, est arrivé le jour de la discussion, je suis venu dans cette enceinte avec l’intention de ne pas admettre l'amendement de la section centrale qui me paraissait aller trop loin, et avec l'idée que j'allais, comme à l'ordinaire, me trouver du côté du gouvernement.
Mais je dois le dire, je n'avais pas prévu que le gouvernement, contrairement à toutes nos habitudes et, je le dirai, contrairement non seulement à son programme, mais aux mœurs parlementaires de la Belgique, se refuserait quand on lui accordait tout ce qu'il y a d'important.dans son projet, tout ce qui en avait été le but, de l'améliorer dans les détails, de satisfaire aux scrupules de ceux qui voulaient le soutenir et d'y ajouter quelques précautions que la prévoyance commandait.
Ma position, messieurs, est singulière. Je suis d'accord avec le gouvernement qu'il faut que l'extradition soit permise pour l'assassin politique, qu'il ait agi par des motifs politiques ou non, peu importe ; je suis d'accord avec le gouvernement qu’il faut que l'extradition puisse être accordée, même lorsque le crime est connexe avec un délit politique.
Je suis cependant forcé de voter contre le projet de loi, j'y suis forcé, par quoi ? par l'obstination inexplicable d'un ministre, obstination à laquelle il m'est impossible de trouver un motif sérieux.
Il semble qu'on veuille empêcher une partie de la Chambre de voter la loi.
Je suis persuadé que si, je ne dirai pas un de nos amis politiques, mais un des collègues de M. le ministre de la justice avait été chargé de traiter cette affaire, la discussion n’aurait pas duré deux séances, et que la loi aurait été adoptée à la satisfaction commune par les neuf dixièmes de la Chambre.
M. Wasseige. - Vous ne l’auriez pas attaquée alors !
M. Devaux. - Je ne sais ce qui donne à l’honorable M. Wasseige le droit de penser que je n'aurais pas relevé les imperfections du projet de loi s'il avait été défendu par l’honorable M. de Decker, un de mes anciens adversaires politiques.
On vous a dit hier que la loi d'extradition, en Belgique, avait fait en quelque sorte le tour de l'Europe, que la Belgique avait eu l'honneur de donner aux autres Etats le type de la législation internationale sur l'extradition.
C'est M. le ministre de la justice qui a tenu ce langage. Quelle est, messieurs, l'idée principale de cette législation !
C'est l'exclusion absolue de l'extradition politique. Oui, il est vrai que cette exclusion est aujourd'hui dans les idées de l’Europe entière. Le gouvernement qui l'accorderait pour tout autre délit que ceux qui révoltent l'humanité se couvrirait de honte.
Aussi, le soin d'exclure l'extradition politique a-t-il été le but exclusif de notre législation en cette matière depuis la Constitution. Pourquoi la Constitution a-t-elle empêché qu'on ne disposât des étrangers, suivant le bon plaisir du gouvernement, qu'on ne permît leur extradition que dans les limites fixées par la législature ? Etait-ce par intérêt pour les voleurs, pour les assassins ? Non ; c'était uniquement pour proscrire les extraditions politiques, pour empêcher que les réfugiés politiques ne fussent livrés au gouvernement de leur pays.
Lorsque le gouvernement, en 1833, a présenté une loi, en quoi consistait la législation qu'il proposait à la Chambre ? En deux dispositions l'une déterminant les crimes pour lesquels l'extradition était permise, l'autre proscrivant l'extradition pour les délits politiques.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - C'est une erreur.
M. Devaux. - Si c'est une erreur, veuillez-le dire, je la rectifierai. Il est possible que mes souvenirs soient en défaut. Vous allez voir que l'erreur serait peu importante.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Le projet de loi présenté par M. Lebeau ne parlait pas de délits politiques.
M. Lebeau. - Ils étaient exclus par cela même.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - La section centrale n'était pas de cet avis.
M. Lebeau. - L'extradition est de droit strict ; elle n'est permise que pour les crimes déterminés par la loi.
M. Devaux. - Je veux bien admettre la rectification ; je n'ai pas le texte de l'ancien projet de loi sous les yeux. Mais j'admets avec M. le ministre de la justice qu'il se bornait à énoncer les crimes pour lesquels l'extradition était permise. Pourquoi faisait-il cette énoneiation ? Etait-ce pour empêcher qu'on ne confondît les faux monnayeurs avec les escrocs, l'escroquerie avec un autre délit correctionnel ? Non, le grand intérêt était l'exclusion des délits politiques, qui étaient exclus par cela même qu'ils n'étaient pas mentionnés dans le projet de loi.
Que fit la loi de 1833 ? Elle ne se contenta pas de ces précautions ; elle introduisit la défense expresse d'extradition pour délits politiques. Elle fit plus : elle introduisit l'avis préalable de la cour d'appel, qui devait donner son avis sur la question de savoir si le fait pour lequel ou demandait l'extradition rentrait dans la qualification de la loi. Pourquoi la Chambre de 1833 a-t-elle voulu l’interdiction de la cour d’appel ? Était-ce dans l’intérêt des voleurs, des banqueroutiers, des assassins ?
Non, c'était uniquement encore dans l'intérêt des réfugiés publiques, pour empêcher l'extradition politique.
Elle fît plus encore : non seulement elle ne voulut pas que l'extradition eût lieu pour un délit politique, mais elle ne voulut pas qu'elle eût lieu même pour un délit auquel un délit politique serai t connexe.
Ainsi la chambre de 1833 s'attacha à fermer toute espèce de porte à l'extradition politique. Ce fut sa seule préoccupation. Voyez-le, ses préoccupations sont si grandes sur ce poiut qu'elle n'a pas fait d'exception formelle pour l'attentat contre la vie des souverains.
Je ne veux pas trancher la question que les tribunaux ont trouvée douteuse, mais toujours est-il que la Chambre de 133, qui délibérait deux ans avant le crime de Fieschi, trois ans avant celui d'Alibaud, n'a pas de disposition formelle pour l'attentat contre la vie des souverains que la question n'a pas même été agitée alors, tant cette assemblée était dominée par la préoccupation exclusive d'empêcher l'extradition politique.
C'a donc été là depuis le congrès le seul but de la législation sur cette matière et la Chambre de 1833 a voulu d'une manière absolue fermer la porte à l'extradition politique.
Maintenant, que propose le gouvernement ? Il veut formuler d'une manière expresse l'exception que la Chambre de 1833 n'avait pas formulée. Il veut que l'extradition puisse avoir lieu pour l'assassinat politique. Dans mon opinion, il a raison de le vouloir. Il veut que cette extradition ne soit pas impossible, alors même que le crime est connexe à un délit politique.
Eh bien, selon moi, il a encore raison de le vouloir. Mais il ne faut pas se le dissimuler, l'assassinat d'un souverain est une espèce de crime mixte, qui souvent, est inspiré par des motifs politiques, et qui touche aux matières politiques.
Le meutre connexe à un délit politique touche de plus eu plus à la politique proprement dite et peut, si l'on ne prend des précautions, n'être que cela.
Je le répète, du moment que vous admettez ces deux points, vous êtes en pleine politique, et si notre loi ne prend des précautions, vous donnez plein accès à ce genre d'extradition que tout le soin du législateur avait été de proscrire.
Prenez donc les mesures que vous proposez, mais entourez-les de précautions indispensables, sinon vous sacrifiez précisément ce caractère de notre législation dont vous dites que la Belgique doit se faire honneur et qu'elle peut être glorieuse d'avoir introduite dans les transactions internationales des gouvernements.
La rédaction proposée par M. le ministre donne accès à l'extradition politique de trois manières : par la définition même du crime, par la connexité, qui, dans son projet, n'empêche plus l'extradition, et, enfin, par le défaut de précautions quant à la complicité.
Tout assassinat politique, tout meurtre politique, quoique connexe à un autre délit politique, donnera lieu à l'extradition. Eh bien, on l'a dit, où est, dans la loi, la garantie que le prétendu meurtre ne sera pas un fait accidentel de la guerre civile ? où est la garantie que si, dans une guerre civile, qui depuis plusieurs années déchirera un pays du nord au midi ou de l'est à l'ouest, le chef de l'Etat ou un membre de sa famille vient à être blessé dans uue bataille régulière, ce fait de guerre ne sera pas érigé en meurtre ?
Le crime politique qui pourra donner lieu à l’extradition, vous le définissez un « attentat ». Où est la garantie que cet attentat dont vous voulez traiter la tentative comme le crime même (cela ressort de vos paroles), où est la garantie que cette tentative sera une véritable tentative criminelle ? La tentative de l'attentat, dans notre code, messieurs, est une tentative exceptionnelle, une tentative que nous rougirions de puuir. Savez-vous, messieurs, ce que c'est que la tentative de l’attentat qui, lui-même, vous le savez, est, d’après le code même, le crime de lèse-majesté, cet ancien crime de lèse majesté, si célèbre dans l'histoire ?
La tentative de l'attentat existe par le moindre fait ou commencement de fait ayant pour but de parvenir à la consommation du crime ; elle existe alors même que l'auteur de la tentative se serait arrêté par sa propre volonté, alors même qu'il se serait repenti et que, pendant plusieurs années, il aurait vécu sans reproche. La tentative d'un crime ordinaire suppose au contraire non seulement qu'il y a eu commencement véritable d'exécution, mais qu'elle n'a manqué son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de l'auteur. C'est donc encore là un accès à une autre extradition politique qu'à celle des assassins et des meurtriers.
Une troisième voie ouverte à l'extradition politique, c'est la complicité. Messieurs, quand vous ne faites l'extradition que pour les crimes ordinaires, pour l'assassinat, pour l'empoisonnement, pour le vol, pour la banqueroute, pour la fausse monnaie, vous n'avez pas à craindre que le gouvernement imagine de fausses complicités : les gouvernements, quels qu'ils soient, ne sont pas animés d'un tel zèle pour la punition de ces crimes qu'ils aillent jusqu'aux excès qu'ils se permettent en politique ; mais du moment que vous écrivez formellement dans votre loi que vous faites l'extradition de l’assassin politique, quels sont pour les gouvernements passionnés ses complices ? (page 896) Ce sont tous leurs adversaires, et si vous ne prenez aucune précaution dans votre loi pour restreindre cette complicité, qu'arrivera-t-il ? On demandera l'extradition d'hommes qui n'ont de commun avec l'assassin que d’être hostiles au gouvernement qui les a proscrits, que de désirer, comme tout réfugié, le renversement de ceux qui les tiennent éloignés de leurs foyers.
De ces trois chefs donc, messieurs, il y avait quelques précautions à introduire dans la loi. Le fond du projet pouvait rester intact, les deux grandes dispositions, les seules qui importent aux intérêts véritables des gouvernements étrangers, les seules qu'un gouvernement raisonnable puisse désirer, ces dispositions pouvaient rester debout ; mais il fallait les entourer de quelques garanties.
Eh bien, messieurs, c'est cette nécessité qui a frappé les auteurs des amendements, qui m'a frappé moi-même dans la discussion. Malgré tout le désir que j'avais d'accepter les principes du projet je n'ai pu résister à l'éviderce et j'ai reconnu en même temps que pour peu qu'on y mît de bonne volonté et de bon sens, il était facile de se mettre d'accord.
M. le ministre s'est refusé pendant longtemps, même à ce que, dans une commission, l'on cherchât à s'entendre ; de guerre lasse ou, peut-être cédant à des conseils de ses collègues, il a accepté la commission, mais comment ? Au moment même où il l'acceptait, il déclarait qu'il lui était impossible de rien charger à son projet, et, messieurs, lorsque la majorité de la commission est venue offrir à M. le ministre des moyens de transaction, qu'a-t-il fait ?
Il les a repoussés en disant qu'il se renfermait dans les raisons qu'il avait données en séance publique.
Maintenant, messieurs, qu’a fait la commission ? Elle avait à se prononcer sur trois questions, elle avait à rechercher les précautions à prendre pour écarter les trois dangers qui avaient été signalés : celui de la qualification du crime, celui de la connexité et celui de la complicité.
Je n’hésite pas à le dire, la commission, sur ces trois points, a fait preuve de la plus grande, de la plus conciliante modération, à tel point, messieurs, que lorsqu’il a été donné lecture dans son sein de ces propositions, parmi ceux de ses membres qui appartiennent à la droite, on s’est écrié : « Mais, à l’exception de ce qui concerne la complicité, c’est le projet de loi lui-même. » Il a fallu que l’auteur des proppositions expliquât quelles étaient les différences, tant elles étaient peu saillantes, tant il y avait de modération dans la nouvelle rédaction. Et en effet, que propose-t-on ?
Le projet de loi qualifiait le crime dont il s'agit : « Attentat qui constitue le fait de meutre, d'assassinat ou d'empoisonnement. »
Le mot « attentat » donnant lieu à la crainte qu'il ne s'agit aussi de la tentative de l'attentat, de cette tentative exceptionnelle et monstrueuse, dont je viens de parler, on demande au gouvernement qu'au lieu de dire : « Attentat qui constitue le fait de meurtre, d’assassinat ou d'empoisonnement », il dise tout simplement : « Meurtre, assassinat ou empoisonnement, commis sur la personne d'un souverain. »
Voyez-vous là quelque chose de grave ? Quel intérêt pouvez-vous attacher à ce mot « attentat dont nous vous monteons l'inconvénient ?
Y a-t-il là quelque chose qui vaille la peine qu'on discute pendant un quart d'heure ?
A quel gouvernement raisonnable cela peut il importer, qu'on mette : « attentat constituant le fait de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement » ou qu’on mette : « meurtre, assassinat ou empoisonnement. >
Eh bien, messieurs, puisqu'il n'y a aucune espèce d'inconvénient a admettre ce que nous demandons, pourquoi le gouvernement ne cherche-t-il pas à avoir l’assentiment de ceux à qui sa rédaction inspire des craintes sérieuses ? Et quel danger à ses yeux peut-il y avoir à mettre le mot simple, le mot précis à la place du mot vague et équivoque ?
Voilà pour le premier point.
Passons au second, la connexité. Que veut la commission ? La commission, messieurs, permet l’extradition lorsqu’il y a connexité ; mais elle veut une seule chose, elle veut ce que vous voulez tous ; elle veut que l’extradition ne puisse avoir lieu pour faits de guerre civile.
Comme on ne peut pas écrire les mois « guerre civile », dans une loi, dans un traité, elle vous propose une rédaction très convenable, elle propose de dire que lorsqu’il y aura une demande d’extradition pour crimes connexes à un délit politique, le gouvernement devra reconnaître d’abord que le crime appartient par son caractère à la catégorie des crimes ordinaires.
Eh bien, messieurs, cette disposition a pour portée unique d’écarter les faits de guerre civile.
Est-il difficile de faire passer cette restriction dans un traité ? Je ne le crois pas ; ce que la commission se trouve en substance dans un traité existant, dans celui quele gouvernement a conclu avec la Prusse.
Je n'en ai pas le texte sons les yeux ; mais voici à peu près intégrakement ce qu’il contient ; il porte que l’extradition ne pourra avoir lieu pour crimes mêlés à la politique qu’après que les deux gouvernements auront pris des dispositions conformes à la législation de leur pays.
C'est exactement ce que nous dcmandons. Cette disposiitons me satisfait complètement ; mettez cette disposition dans les autres traités, mettez-la dans la loi ; vous écartez par ce mot les faits de guerre civile ; c’est-à-dire, vous dites aux autres gouvernements : Je me réserve un droit particulier d'examiner en cas de connexité avec un délit politique.
Vous n'établissez pas dans ce cas l'extradition en règle générale et absolue, mais vous avertissez d'avance le gouvernement avec lequel vous contractez que dans ce cas vous êtes tenu à y regarder de plus près avant de consentir.
Une disposition semblable empéche-t-elle l'extradition ? En aucune façon, elle empêche seulement ce que personne de vous ne peut vouloir, elle empêche l'extradition pour faits de guerre civile.
Sur le troisième point, la complicité, que veut la commission ? Maintenant que la faculté d'extradition va être introduite dans notre législation du chef d'assassinat politique, tout le monde doit reconnaître que, quant à la complicité politique, les choses seront tout à fait changées ; or, la commission demande simplement qu'on insère dans la loi une définition de la complicité.
Trouvez-vous que la définition de la commission ne soit pas complète ? J'en avais d'abord proposé une à la Chambre, séance tenante ; comme la commission ne l'a pas trouvée assez large, je ne me suis pas opposé à ce qu'elle l’étendît ; si vous trouvez à votre tour qu'ainsi élargie, elle ne suffise pas encore, proposez une adjonction, et nous l'examinerons ; tout ce que je vous demande, c'est une définition précise ; tout ce que je veux éviter, ce sont des termes vagues qui sous prétexte de complicité permettraient d'atteindre non seulement tout délit, mais tout dissentiment politique.
Messieurs, permettez-moi de m'arrêter encore un moment sur la complicité. C'est sur ce point, ainsi que je viens de le rappeler, que j'avais présenté moi-même un amendement, parce que j'avais cru, et je le crois encore, que là était le danger le plus sérieux du projet de loi.
D'abord, il faut bien le remarquer, la disposition qu'on vous propose sera principalement, dans la pratique, une loi dirigée contre les complices.
Les régicides parviennent rarement à se réfugier en pays étrangers, ce n'est guère qu'en public ou dans leur palais qu'on parvient à attentera la vie des souverains, et les régicides sont presque toujours facilement arrêtés en flagrant délit. Jusqu'à présent il n'y a eu qu'une seule demande d'extradition de ce chef.
C'est donc bien plus des complices que des auteurs principaux qu'il s'agira dans l'application de la loi.
Messieurs, le Code pénal belge, en matière de complicité, définit la complicité en général dans une seule disposition ; il la définit pour tous les crimes à la fois ; il en résulte que cette disposition est peu précise, qu'elle contient même des termes très vagues.
Ainsi, par exemple, après avoir énuméré plusieurs cas de complicité, le Code pénal ajoute : « ou ceux qui auront provoqué au crime par des machinations et artifices coupables ». Vous concevez, messieurs, que quand il y a une disposition pareille dans la définition de la complicité, il est à peu près possible d'en faire tout ce qu'on voudra.
Cela peut ne pas offrir d'inconvénient pour les crimes ordinaires ; cela peut même n'en pas offrir pour les crimes politiques à l'intérieur du pays qui a des garanties suffisantes ; mais il en peut resulter de très grands inconvénients pour les extraditions alors qu'on a à faire à tous les gouvernements présents et futurs, raisonnables ou passionnés.
M. le ministre de la justice a dit hier que le mot « artifices coupables » présentait une garantie, que la cour d'appel jugerait s'il y avait culpabilité ; mais des artifices, des machinations peuvent être coupables, et ne pas être une complicité d'assassinat.
Lorsqu'un assassinat a été commis sur la personne d'un roi, un individu peut avoir, quelque temps auparavant, écrit, publié des injures contre le roi qui a été assassiné ; il peut lui avoir imputé des faits faux ; il y a là culpabilité, mais il n'y a pas pour cela complicité d'assassinat.
Le mot « coupables » n'est donc pas une garantie, lorsque, d'un autre côté, les mots « artifices et machinations » sont tellement vagues qu'on peut tout y faire rentrer.
Il est si vrai qu’il est désirable de limiter la complicité que cette nécessité a été reconnue par tous les membres de la commission spéciale, moins un ; un seul membre a été d’avis qu’il ne fallait rien limiter ; six membres ont été d’avis qu’il fallait restreindre la complicité ; seulement on n’a pas été d’accord sur les limites dans lesquelles on devait la renfermer.
Mais il s’est passé, depuis que la commission spéciale s’est réunie, un fait qui aurait peur-être exercé une très grande influence sur l’esprit des membres de cette commission qui n’ont pas adhéré aux conclusions de la majorité.
Ce fait, messieurs, qui est des plus grave, augmente singulièrement le danger de la complicité et la nécessité de la définir dans la loi que nous discutons. Ce fait, c’est la déclaration de principe qu’a faite hier M. le ministre. D’après M. le ministre, ce qui doit régir chez nous les extraditoons, en fait de complicité, ce n’est pas la législation générale de notre pays, ce sont les lois de l’Etat qui demande l’extradition.
Avez-vous bien compris, messieurs, toute l’étendue des conséquences d’un princiope pareil ? Comprenez-vois bien jusqu’où en peuvent aller les résultats, quand c’est là un des motifs donnés par le gouvernement lui-même à l’appui de son projet, et que les gouvernements étrangers pourront invoquer ?
En effet, rien ne varie plus que la législation en matière de complicité. (page 897) Il y a des pays où le fait d'avoir excité le moindre mécontentement, d'avoir publié quelque critique un peu vive des actes du gouvernement suffirait pour constituer la complicité d'un attentat ; la non -évélation à elle seule y constitue la complicité. Quel est le réfugié politique le plus honorable qu'une pareille complicité ne pourrait atteindre ?
Je dis que cette déclaration faite comme objection à la commission rend cent fois plus nécessaires les précautions qu'on a réclamées. Ce principe, je le regarde comme exorbitant, mais par cela même qu'il a été émis dans cette enceinte par un ministre à l'appui de la loi, il est impossible de ne pas mettre de restriction à la complicité. Six membres de la commission n'ont pas voulu admettre la complicité de toutes nos lois, aucun n'a voulu sortir de notre législation ; M. le ministre va bien autrement loin, il ne se renferme ni dans le Code pénal, ni dans d'autres lois, il accepte toutes les législations étrangères à la fois.
Ainsi nous sommes pour les extraditions à la merci des lois étrangères qui pourront surgir, nous sommes à la discrétion de tous les gouvernements révolutionnaires ou autres qui pourront se fonder en Europe. Le plus simple sentiment de prévoyance, de dignité ou d'humanité nous prescrit d'après cela, ou de défendre toute extradition de complice ou de définir la complicité spéciale de l'extradition.
Remarquez bien que tout réfugié politique est blessé dans ses affections, il est impossible qu'il n'ait pas d'amertume dans le cœur contre le gouvernement qui l'a banni ; combien dès lors n'est-il pas facile aux espions de ce gouvernement de le prendre au piège et de l'envelopper dans une de ces complicités élastiques, qui ne supposent ni coopération ni provocation directe, mais simplement une communauté de haine.
Livrez l'assassin politique, le véritable assassin, nous le voulons, nous le demandons, livrez Charlotte Corday.
Quoique Marat fût un monstre, il faut que l'assassinat soit puni alors même qu'il s'y mêlerait de l'héroïsme ; maïs si vous livrez Charlotte Corday, ne livrez pas la Gironde, ne livrez pas tous les citoyens honorables du même pays dont les entretiens, les correspondances, les écrits, les plaintes indignées auront pu exalter sa jeune tête. Ils ne sont pas complices de l'assassinat, ils ne sont coupables que de cette horreur qu'un gouvernement sanguinaire inspire aux honnêtes gens. Voilà ce que nous demandons.
Est-ce trop demander ? n'est-ce pas assez de modération ? Messieurs, quelles sont les objections que nous fait le ministre de la justice ? En vérité j'ai peine à les découvrir. Il objecte que le vague dont nous nous plaignons quant à la complicité, existe dans nos propres lois pour les accusés belges.
Dois-je rappeler que la Belgique a le bonheur d'avoir le système d'institution judiciaire le plus garantissant qui ait jamais existé dans le monde ? C'est une des plus glorieuses parties de notre constitution et qui nous appartient le plus en propre ; il n'y a pas d'Etat en Europe qui ait rien de semblable.
De telles garanties peuvent tenir lieu de bien d'autres, mais quand une loi doit régir les traités qui se font avec tous les gouveroemenis du monde, elle ne peut compter que ces garanties, que la Belgique seule possède, se retrouveront partout.
La seconde objection de M. le ministre, c'est que nous voulons sortir du droit commun en établissant une complicité spéciale pour l'assassinat des souverains. Nous voulons mettre les souverains hors du droit commun ! C'est M. le ministre de la justice qui nous le dit, et toute sa loi est fondée sur une dérogation au droit commun qu'il demande pour l'extradition de l'assassin politique.
S agit-il de la qualification du crime même, M. le ministre ne veut pas le qualifier d assassinat, qui serait le droit commun, il veut la qualification spéciale d'attentat, qui est une dérogation au droit commun. S'agit-il de la connexité avec un délit politique, en droit commun, elle continuera d'empêcher l'extradition, mais par dérogation spéciale à ce droit commun, l'extradition pourra avoir lieu pour l'attentat, alors même qu'il sera connexe à un autre délit politique. Cette objection, qu'a-t-elle donc de sérieux ? Si vous sortez du droit commun pour la qualification et la connexité, pourquoi n'en sortiriez-vous pas pour la complicité ?
En troisième lieu M. le ministre objecte que la rédaction de la commission l'obligerait à refaite des traités. J'admets que vous aurez des traités à refaire si les gouvernements étrangers demandent, conformément à toute loi nouvelle, quelque chose de plus que ce que vous leur avez accordé par les anciens traités. S'ils ne le demandent pas, vous continuerez de maintenir les traités anciens ; avec ceux qui le demanderont, vous ferez un traité supplémentaire.
Vous devrez bien faire ce changement dans tous les cas, car aujourd'hui les traités interdisent l'extradition en cas de connexité politique. Aujourd'hui vous voulez la permettre dans un cas déterminé de connexité ; ce n'est pas une interprétation, c'est une exception que vous ne pouvez introduire que par une convention nouvelle.
Voilà donc les trois seuls motifs que j'ai pu découvrir dans le discours de M. le ministre pour s'opposer aux garanties que nous demandons. Vous en voyez la valeur.
Ces garanties, je le répète, consistent en ceci : exclure les faits de guerre civile ; exclure la tentative d’attentat si mal définie dans le. Code ; insérer une définition de la complicité, et si vous ne trouvez pas la définition de la commission complète, proposez de l’étendre à d'autres cas précis, nous examinerons.
Quel motif véritable et sérieux peut-il y avoir à se roidir contre de pareilles propositions ? Il ne m'est pas possible de le découvrir.
M. le ministre de la justice ne peut pas prendre ses projets, quelque cas qu'il en fasse, pour des oracles dont chaque parole est sacramentelle. Après tout, il est faillible : il doit s'apercevoir, d'après les observations qui lui sont faites, que, même sous le rapport du style, ses projets ont besoin de corrections.
Qu'est-ce que l'attentat qui constitue un fait de meurtre ? Ce n'est pas là du style législatif. Qu'est-ce qu'un crime qui constitue le fait d'un autre crime ?
Ensuite il propose de dire : « l'attentat ne sera pas réputé connexe à un délit politique ».
Qu'est-ce que cela veut dire ? En vérité je n'en sais rien. Un attentat qui n'est pas réputé connexe à un délit politique ! Je conçois que vous disiez : l'attentat ne sera pas réputé délit politique, ne rentrera pas dans la définition du délit politique, parce que le mot « politique » a une certaine extension plus ou moins douteuse.
Mais pouvez-vous dire : L'attentat ne sera pas réputé connexe à un délit politique, lorsque en réalité il le sera ? Cela dépend-il de vous ? Lorsque dans le même acte d'accusation, les mêmes individus seront accusés d'un assassinat et d'un délit politique, pouvez-vous empêcher la connexité ? Evidemment non !
Dans cette rédaction donc il n'y a rien de franc. C'est un style que je ne sais comment qualifier. Mais ce n'est pas un style grave et sérieux.
Pourquoi tient-on tant au texte d'une loi si mal rédigée ? Quel en est, je le demande encore, quel en est le motif ?
Je ne crois pas (c'est bien sincèrement que je le dis) que cette loi ait été imposée au ministère. Je vous avoue que je ne crois pas que les gouvernements qui nous entourent, et que je regarde tous comme des gouvernements modérés, attachent du prix aux détails de la rédaction vicieuse que maintient le gouvernement.
Je puis comprendre que ces gouvernements attachent un certain prix aux deux grands principes sur lesquels nous sommes d'accord. Mais quand il s'agit du définir la tentative, quant à la question de savoir si l'on mettra le mot « attentat » ou le mot « assassinat », quant à une définition précise de la complicité, je dis que sur tous ces points les gouvernements raisonnables qui nous entourent sont sans intérêt réel. On s'est révolté de l'idée que le projet de loi aurait été imposé par un gouvernement étranger.
Mais on autorise toutes les supposîtions par une obstination à laquelle personne ne peut découvrir uue cause respectable.
Il semble qu'on ait voulu une lutte à tout prix. A-t-on du dédain pour les succès faciles ? A-t-on rêvé les glorieuses conséquences d'une victoire ? Est-ce une simple questiou d’amour-propre de rédracion ? Pour moi, j'ai beau chercher, je ne puis y trouver rien de plus qu'un motif frivole, quel qu'il soit.
J'ai entendu dire hier au ministre de la justice un mot qui, je vous l'avoue, m'a fait une pénible impression. Interrompant mon honorable ami M. Lebeau qui parlait de crimes politiques, il s'est écrié : Le crime est partout le même : Ah ! M. le ministre, vous nous avez donné, dans la même séance, une preuve que vous avez de singuliers écarts de mémoire. Cette fois vous avez donc oublié que les annales de la justice politique forment une des plus tristes parties de l'histoire de l’humanité ! Oseriez-vous dire que le crime de ces milliers de victimes qu'envoyait à la mort en Belgique, ce tribunal politique que le dac d'Albe appela le conseil des troubles et que le peuple nomma le tribunal de sang, est crime aux yeux de tout le monde ? Qu'il est crime pour vous ? Oseriez-vous dire que le crime de ceux qui en Angleterre subirent les condamnations des tribunaux de Jefferies et de ses pareils, est crime pour tout le monde ? Oseriez-vous dire que les crimes de ces victimes infortunées qu'à la fin du dernier siècle les tribunaux révolutionnaires de France immolaient chaque jour sont crimes pour tout le monde ? Ministre à cette époque, auriez-vous pu les livrer sans remords ?
Tant qu'il pourra exister dans le monde des gouvernements violents ou passionnés, ils créeront des crimes qui n'existeront que pour eux.
Messieurs, j'ai entendu dire que quelques-uns voudraient faire peser sur ceux qui voteront contre la loi le soupçon de sympathie pour l’assassinat politique. S'il y a de ces habiles-là, leur habilité me fait sourire.
Une opinion se décrédite par l'exagération, la passion, la légèreté. Elle se relève dans l'estime publique par la modération, la prévoyance et le souci de la dignité nationale.
Je ne voterai pas une loi mal faite qui, dans l'avenir, peut engager mon pays dans des embarras graves, ou qui peut obliger son gouvernement à commettre un jour des faits qui le déshonoreraient en violant les plus saintes lois de l'humanité. Dieu merci ! au plus fort de la tourmente politique j'aurais eu horreur de blesser ces lois pour le compte de mes propres opinions. Je n'irai pas aujourd'hui les méconnaître à froid pour le compte d’autrui.
Je veux que les assassins politiques soient punis, mais je ne consens pas à ce qu'à une époque quelconque de l'avenir, le gouvernement belge puisse, par suite d'engagements imprudents, devenir l'aide-bourreau de tous les gouvernements révolutionnaires ou passionnés que les circonstances auront fait surgir dans ce monde.
(page 898) M. Malou. - Messieurs, si l'honorable ministre de la justice doit être condamné un jour pour une obstination inexplicable et incorrigible, je revendique au nom de la minorité de la commission l’honneur d'être son complice, pour l'avoir sciemment et matériellement aidé dans la perpétration de ce crime d'obstination.
On nous dit, messieurs, que nous refusons toute espèce de conciliation. Mais voyez quelle est la marche suivie par les honorables opposants au projet de loi.
Dans le principe, lorsque la section centrale a fait son rapport, de quoi s'agîssait-il ? Quel était le dissentiment ? Exclusivement de savoir si dans tous les cas, au point de vue de l'extradition, l'assassinat, ayant le caractère de meurtre, d'empoisonnement ou d'assassinat, pouvait être considéré comme non connexe ; voilà la seule question qui nous divisait.
A mesure que nous discutions, les exigences produites contre le projet ont été s'exagérant chaque jour et on nous reproche de ne pas vouloir la conciliation.
L'honorabIe ministre de la justice pose aujourd'hui, nous dit-on, un précédant sans exemple dans nos annales. Et, messieurs, c’est dans cette Chambre que l'on dit cela, lorsque depuis vingt-cinq ans on n'a pas vu autre chose que l'opposition au gouvernement, lui demandant le sacrifice de son opinion, lui disant : Votez ce que je propose. On le fait aujourd'hui ; l'opposition l'a fait dans tous les temps.
Si nous n'étions divisés que sur des questions de mots, si nous n'étions pas divisés sur le fond même des principes et des choses, de quel côté serait le tort ? S’il n'y a qu'une question de rédaction entre nous, y a-t-il plus d’obstination de la part de celui qui dit vingt fois oui ou de la part de celui qui dit vingt fois non ? S'il n'y a qu'une question de mots entre nous, pourquoi voulez-vous changer la rédaction du gouvernement ?
Et s'il y a autre chose, s'il y a un principe qui nous divise, de quel droit vous plaignez-vous qu'on ne veuille pas se concilier, qu'on ne veuille pas accepter votre principe ?
Messieurs, à mes yeux le dissentiment est réel. Il porte sur des questions très graves, sur des questions de droit pénal et d’intérêt national.
L'honorable M. Devaux indiquait tout à l'heure les trois principales questions ; le maintien du mot « attentat » que la première section centra's conservait dans son projet, la définition spéciale et restreinte de la complicité, et enfin la connexité avec des délits politiques.
Messieurs, si, comme la majorité de la commission spéciale le déclare, nous devions décider que désormais l'assassinat d'un prince est un assassinat, cette loi déshonorerait notre legislation. Jamais en Belgique, ni à l'époque de la discussion de la loi de 1833, ni à l'époque de la discussion de la loi de 1836, ni devant la magistrature, ni devant l’opinon, ni devant aucune personne qui ait le sen smoral en Belgique, on n’a cru qu’il fût nécessaire de déclarer que l’assassinat d’un souverain fût un assassinat.
Il s'agit d'autre chose, il s'agit de prévenir des débats comme celui auquel l'affaire Jacquin a donné lieu, de déclarer que l’attentat, lorsqu'il a le caractère d'un crime de droit commun, rentre dans les termes de la loi d'extradition ; et c'est par cela, parce que c'est là la difficulté qu'il s'agit de résoudre, que vous ne pouvez supprimer le mot « attentat » dans le projet de loi, a moins de ne rien faire ou de déclarer que depuis 1833 nous avons vécu sous le régime d'une loi complètement immorale.
D'après le système admis par la cour de cassation de Belgique comme par la cour de cassation de France, lorsqu'un meurtre, un assassinat, un empoisonnement se dit politique, la morale universelle dit que c'est un assassinat, que la politique est le prétexte, que l’assassinat est le crime et que le crime doit être puni.
Sur la complicité sommes-nous divisés per la suppression de deux ou trois mots qui se trouvent dans le Code pénal ? Non, messieurs, nous sommes divisés par un principe. Nous sommes divisés par la question de savoir si en Belgique il y aura, en faveur des assassins des souverains ou de leurs complices, un privilège qui n'existera pas pour l'assassin d'un particulier.
Il faut être franc ; si c'est là ce que l'on veux, qu'on le dise ; mettons un écriteau à nos frontières et inscrivons-y : Celui qui entre dans ce pays est certain d'y rencontrer un privilege s'il est le complice de l'assassin d'un souverain étranger ; mais il ne rencontrera pas ce privilège s'il est l’assassin d’un autre homme.
C'est donc un principe qui nous divise ; ce n'est pas telle ou telle expression sur laquelle on peut établir à perte de vue des hypothèses. Si à mon tour je voulais faire des hypothèses sur le sens de la loi, je pourrais vous citer des cas de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement sur la personne d'un souverain et où le complice par abus d'autorité est plus coupable que l'agent même du crime. Et cependant vous supprimez les mots « complicité par abus d'autorité ».
Mais ces faits ou ces hypothèses à mes yeux seraient d'une importance secondaire, c'est le principe qui doit être maintenu dans notre législation, si vous voulez que nous ayons encore le droit de nous dire un pays civilisé.
Si, en effet, nous posons le principe contraire, nous n'avons pas le droit de revendiquer le titre de nation civilisée, nous aurions établi en d'autres termes qu'un souverain est moins qu un homme. Cela est impossible en Belgique.
Messieurs, votre commission spéciale, voulant modifier le projet de loi, s'est trouvée fatalement devant le choix de deux fautes : l'une consistait à faire pour la complicité de tous les crimes au point de vue de l'extradition une définition spéciale ; l'autre c'était de faire une définition spéciale pour les crimes dirigés contre les souverains. Je reconnais que, lancée en quelque sorte dans cette impasse, elle a eu l'habileté de choisir la faute que lui paraissait la moindre.
Mais, messieurs, le rôle de la Chambre doit être différent : il s'agit pour elle de ne point commettre de faute, ni législative, ni morale. Il suffit pour cela de rester purement et simplement, à l'égard des souverains, quant à la définition de la complicité, dans les termes du droit commun. Tel est le seul et unique moyen de ne pas commettre de faute.
Y a-t-il quelque danger sérieux dans cette application des règles du droit commun, quant à la complicité ? Au fond, personne de nous, parmi les défenseurs du projet, j'ose le dire, personne ne veut l'extradition des réfugiés politiques, des personnes honorables.
Nous ne serions pas les derniers à protester si une pareille extradition était demandée. Mais je demande s'il est nécessaire, pour éviter l'extradition de proscrits honorables, de modifier la définition du Code pénal ?
Messieurs, que l'on me cite parmi les moyens de complicité (puisque nous discutons spécialement ce point) un moyen de coopération au crime qui, prouvé, permette de dire : Il ne s'agit pas d'un crime de droit commun, mais il s'agit de réfugiés honorables, et qu'il est de la dignité du pays de couvrir de l’hospitalité belge.
Quelles sont les objections ? La justice politique, la défiance de la justice étrangère, la crainte que les faits d'homicide commis dans le cours d'une insurrection ne donnent lieu à l'extradition, et enfin la complicité morale. Messieurs, j'aborde très franchement ces objections.
De bonne foi, messieurs, tout fait de guerre, guerre civile ou guerre étrangère, ne peut pas donner lieu à l'extradition ; la loi votée, aucun fait de ce genre ne pourrait légitimement y donner lieu, il suffit, pour le prouver, de rappeler le texte même. C'est l'attentat sur la personne d'un souverain, constituant le fait de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement. Ces expressions sont-elles applicables, ont-elles jamais été appliquées à un fait de guerre civile ? Jamais.
La distinction a été faite partout ; elle a été faite en Belgique, en France, dans tous les pays, dans tous les temps. Ici mais nous avons eu fort longtemps, avant la révolution de 1848, des réfugiés qui avaient pris part aux combats du cloître Saint-Merry, par exemple, plusieurs d'entre vous en ont connu et les ont toujours considérés comme des réfugiés politiques et non comme des hommes coupables de meurtre. C'était un fait de guerre civile ou d'insurrection, illégitime sans doute, mais un fait d'un caractère purement politique que personne n'a jamais confondu arec l’attentat contre le souverain, ayant le caractère d'un crime de droit commun.
La défiance de la justice est la deuxième objection. Oa dit qu'il n'est pas de pays au monde où il existe des garanties semblables à celles que la Belgique offre aux accusés. Je veux bien reconnaître que la Belgique peut s'honorer d'avoir des institutions judiciaires parfaites, mais quelle est la cause des extraditions et pourquoi se sont-elles si rapidement étendues à l'Europe presque tout entière au XIXème siècle ? C'est que si notre siècle diffère à tous égards de ses prédécesseurs, il n'en diffère sous aucun rapport autant que sous le rapport du droit pénal : il y a un siècle, la torture existait, la publicité n'existait pas ; la justice procédait par commissions dans la plupart des pays de l'Europe, les peines étaient arbitraires, le droit de libre défense était souvent méconnu ou entravé.
Aujourd'hui, au contraire, on peut dire à l'honneur de la civilisation qu'il y a partout une justice régulière. Or, messieurs, ce n'est pas d'une justice régulière qu'il faut se défier, c'est de la justice politique. A celle-là nul de nous n'entend livrer des personnes qui trouvent un asile dans notre pays et, remarquez-le bien, messieurs, les traités d'extradition ne se font qu'avec les pays où l'on a la certitude que toute garantie existe sous ce rapport. C'est ainsi, je le ferai remarquer en passant à l'honorable M. Lebeau, que nous n'avons pas encore de traité d'extradition avec Constantinople, précisément parce que nos institutions judiciaires n'ont pas encore pénétré dans ce pays, parce que ce pays ne possède pas encore d'institutions garantissant parfaitement l'action régulière et indépendante de la justice.
On craint, en dernier lieu, la complicité morale et, en défiance de la complicité morale, on repousse la définition de la complicité du droit commun. Messieurs, la complicité purement morale a été proscrite, en ce qui concerne l'extradition, par tout le monde, par toutes les opinions, le gouvernement l'a repoussée à plusieurs reprises. Il n'y a pas la moindre divergence d'opinion possible sur ce point. Il est vrai que l'on combine cette crainte avec une autre idée, avec la pensée que le gouvernement serait obligé de livrer les étrangers qui lui sont réclamés. Mais, messieurs, le contraire est vrai ; par tous les traités le droit de refuser l'extradition dans des cas exceptionnels a été expressément réservé soit dans le traité lui-même, soit par un échange de notes diplomatiques.
Ainsi, dans aucun de ces cas exceptionnels l'action du gouvernement n'est forcée.
(page 899) Les garanties de l'étranger sont-elles seulement dans une dérogation au droit commun, dans la suppression de quelques mots de l'article 62 du Code pénal ? Je crois que les garanties de l'étranger, réelles, sérieuses et beaucoup plus nombreuses se trouvent ailleurs. Ainsi la magistrature belge est la première et la plus puissante garantie des accusés. Les personnes arrêtées provisoirement en Belgique ont une garantie d'une très grande importance encore et dont on n'a pas parlé, ce sont MM. les avoeats. En effet, messieurs, vous avez toujours vu, lorsque des prévenus étaient arrêtés et qu'il y avait le moindre grain de politique à prétexter, que même en temps de vacances il n'a pas manqué de défenseurs qui ont fait valoir devant les tribunaux toutes les exceptions qui pouvaient se présenter.
Ainsi dans l'affaire Jacquin, par exemple, nous avons la preuve qu'en Belgique lorsqu'on pense qu'il y a des droits méconnus, les avocats ne manquent pas pour soutenir ces droits. Là ils ont réclamé directement la mise en liberté des Jacquin ; or, si cette mise en liberté avait été définitivement accordée, toute extradition devenait impossible.
Messieurs, nous avons la garantie de l'opinion et des sentiments du pays.
Demandez-vous s'il est possible qu'il se trouve en Belgique un ministre assez insensé pour songer à faire l'extradition d'un proscrit honorable, s'il est possible qu'un ministre belge, fût-il insensé, je le répète, osât se constituer, suivant l'expression de l'honorable M. Devaux, le fournisseur d'un bourreau étranger au service de la justice politique. Tout ce qui existe en Belgique, Chambres, presse, opinionu, avocats, magistrats, tout, en un mot, empêcherait que l'extradition politique pût avoir lieu.
Me résumant sur ce point, je dis que notre législation ne peut pas admettre une définition spéciale de la complicité, une exception, non pas en faveur des souverains, mais en sens inverse, contre le souverain. Je dis que cette exception n'est pas justifiée par les faits, parce qu'en dehors de cette garantie, complètement illusoire, de deux ou trois mots, les personnes honorables qui sont réfugiées en Belgique savent qu'elles ont des garanties plus certaines qui ne leur manqueront jamais.
Je n'ajoute que quelques mots au sujet de l'article 2 de la commission. Cet article ne dit absolument rien ou dit beaucoup trop ; il paraît au premier abord n'être qu'une paraphrase de l'amendement qu'avait présenté l'honorable M. Lelièvre, amendement qui consistait à dire que l'attentat contre la personne d'un souverain ou d'un membre de sa famille pourra être réputé fait non connexe à un délit politique.
Il me semble, dis-je, au premier abord, qu'il se rattache au fait spécial réglé par l'article , i", qu'il s'agisse uniquement de faits connexes au meurtre, à l'assassinat ou à l'empoisonnement d'un souverain. Mais, messieurs, il n'en est rien : c'est un article distinct qui, s'il était adopté, modifierait d'une manière considérable, pour tous les faits connexes à des délits politiques, l'article G de la loi du 1er octobre 1833. (Interruption.)
J'entends dire, « du tout ! du tout ! » Je pense que ce n'est pas l'intention de l'auteur de l'amendement, maïs je suis au regret de devoir dire que telle est la rédaction, si telle n'est pas son intention.
Je vais, du reste, lire l'article :
« Par exception à l'interdiction mentionnée dans le paragrape premier de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833, le gouvernement est autorisé à consentir à l'extradition dans le cas où il serait reconnu, après avoir pris sur ce point l'avis de la chambre des mises en accusation, que le connexe à un délit politique doit, à raison de son caractère et de sa gravité, être considéré comme un crime ordinaire et sous la condition que ceux dont l'extradition est demandée ne seront poursuivis ou punis pour aucun délit politique. »
Il ne s'agit plus là du fait du meurtre, de l'assassinat ou de l'empoisonnement commis sur la personne du souverain. (Interruption.)
Du tout, me dit-on encore ; mais alors je ne comprends plus le français. On n'a pas reproduit dans l'article 2 la disposition spéciale dont s'occupe l'article premier ; l'article 2 est général et s'applique à tous les faits connexes à un délit politique.
Il me sembie que la majorité de la commission spéciale, si elle est allée involontairement beaucoup plus loin sous ce rapport que le gouvernement voudra bien modifier sa rédaction ; car, pour moi, je ne suis pas préparé à voter cette extension. (Interruption.) Je trouve que la majorité de la commission a été trop loin à l'égard de la connexité. (Interruption.)
La loi est faite pour signifier ce que ses termes disent ; vous auriez beau y mettre le titre que vous voudriez, que vous ne modifieriez pas par cela le sens de l'article 2.
Le gouvernement, lorsqu'il y a une loi sur les extraditions, doit traduire cette loi en un traité ; un traité, pour être quelque chose, doit contenir une obligation ; or, qu'arrivera-t-il si vous avez à faire un traité, d'après la rédaction qui vous esltproposée ? Supposons que la Belgique et la France veuillent conclure un traité de ce genre ; le gouvernement belge et le gouvernement français s'enverraient des plénipotentiaires pour se dire l'un à l'autre qu'ils traiteront sur ces bases-là, à savoir que les deux gsuvernements consentent à se livrer réciproquement des individus quand ils le voudront. Avec cette rédaction, il n'y a pas d'autres traités possibles, si l'article 2 doit être pris comme une restriction au droit du gouvernement d'extrader.
Sous d'autres rapports, il me semble que l'article qui nous est proposé contient des choses parfaitement inutiles.
On dit qu'il faudra que le gouvernement demande spécialement l'avis de la chambre des mises en accusation sur la question de connexité. Quand la chambre des mises en accusation est consultée, c'est pour donner son avis sur le tout.
Celle disposition n'existait pas lorsque l'affaire Jacquin s'est présentée, et cependant les tribunaux se sont occupés de la question de connexité.
Dans ce fait même, je trouve la preuve de l'inutilité de cette partie de la disposition.
On dit encore que les accusés ne seront poursuivis ou punis pour aucun délit politique. Mais la réserve se trouve dans la loi générale. Il est parfaitement inutile de la reproduire ici.
Il y avait quelques doutes hier sur le point de savoir si le gouvernement belge était juge de la gravité et du caractère du fait, ou si la cour d'appel intervenait. J'ai relu très attentivement l'article 2, que les mots au passif « où il serait reconnu » signifient « où il serait reconnu par le gouvernement belge, » parce qu'on se borne à demander l'avis de la chambre des mises en accusation. C'est donc en réalité le gouvernement belge qui stipule avec le gouvernement étranger qu'il consent à livrer dans le cas où lui, gouvernement belge, reconnaîtrait la gravité des faits. Ce n'est pas la peine de faire un traité pour cela.
Messieurs, je me suis attaché à indiquer brièvement à la Chambre quels étaient les dissentiments de principes qui nous empêchent d'accepter la proposition de la majorité de la commission. Lorsque j'ai été nommé membre de cette commission, j'ai cherché, comme mes collègues, de très bonne foi, une formule transactionnelle qui pût sauvegarder les principes, en faisant droit aux appréhensions de nos honorables adversaires ; je l'ai cherchée, sans la trouver. Maintenant ce qu'on nous propose, ce n'est pas de transiger, c'est d'abdiquer ; c'est ce que je ne puis faire.
Je voterai pour le projet de loi, parce qu'il sauvegarde les principes, et parce qu'il n'offre aucun danger pour les réfugiés houorablcs à l'égard desquels nous voulons tous respecter les lois de l'hospitalité.
M. Lelièvre. - Après les débats auxquels le projet a déjà donné lieu dans cette enceinte, je me bornerai à déduire en quelques mots les considérations qui ne me permettent pas de voter la proposition du gouvernement.
Le projet consacre un principe que je ne puis admettre dans les termes généraux et absolus qu'il énonce. Il porte : Le meurtre d'un souverain étranger ou d'un membre de sa famille ne sera pas réputé connexe à un délit politique. Donc la connexité est écartée dans tous les cas et d'une manière absolue.
Or, le gouvernement lui-même et les orateurs qui défendent son œuvre sont forcés de convenir qu'en cas d'insurrection, le chef d'un gouvernement étranger ou un membre de sa famille commandant les troupes, le fait de meurtre ou la tentative de meurtre commis sur leurs personnes peut être considéré comme accessoire à un délit politique et ne pas donner lieu à l'extradition.
Il n'est donc pas possible de consigner dans un projet de loi un principe qui n'est pas vrai tel qu'il est énoncé.
Du reste, nous pouvons invoquer l'opinion d'un jurisconsulte éminent dont on ne récuserait l'autorité.
Voici ce que disait M. Dupin, procureur général de la cour de cassation dans le réquisitoire qui a précédé l'arrêt du 9 mars 1849, dans l'affaire des assassins du général de Brea.
« Les demandeurs étaient parmi les insurgés. Ils portaient les armes de l'insurrection, ils avaient pris part au combat ; refoulés à la barrière de Fontainebleau, retranchés derrière la grille de cette barrière, flanqués de barricades, s'ils n'avaient fait que combattre masses contre masses, insurgés contre soldats, l'article 5 leur serait applicable. »
M. Dupin convient donc que quand le fait de meurtre est commis au fort de la lutte, il peut conserver son caractère politique.
Or, s'il en est ainsi, il est impossible de décréter un projet de loi écartant, dans toutes les hypothèses, une connexité dont l'existence dans certains cas ne peut être méconnue.
Un autre motif ne me permet pas d'adhérer au projet, c'est qu'il omet d'énoncer que la tentative des crimes dont il s'agit ne sera considérée comme les crimes mêmes que dans le cas où elle réunira les conditions prescrites par l'article 2 du Code pénal.
Je ne veux pas qu'on puisse considérer comme tentative d'attentat un acte que des législations étrangères envisageraient sous ce rapport, sans qu'il y ait un commencement d'exécution et un projet qui n'ait manqué son effet que par des circonstances fortuites, indépendantes de la volonté de l'auteur.
Il serait sans doute facile de combler cette lacune d'après la déclaration de M. le ministre de la justice, mais comme il a été décidé qu'on n'admettra aucune modification, je me borne à la signaler.
Ne perdons pas de vue la position du gouvernement belge.
Dans tous les pays qui sont encore régis par le Code pénal de 1810, l'attentat contre la vie des souverains est considéré comme le crime même, alors même qu'il n'a été posé qu'un acte simplement (page 900) préparatoire. Eh bien, lorsqu'il s'agira de l'extradition d'un individu de ce pays, on produira un arrêt de la chambre des mises en accusation, qui déclarera que l'inculpé est suffisamment prévenu d'avoir commis une tentative d'attentat, ce qui, aux termes du Code pénal en vigueur, n'indiquera qu'un acte préparatoire du crime et non pas un acte constituant un commencement d'exécution qui n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites.
Il est donc évident qu'il est essentiel de se référer daus le projet aux conditions déterminées par l'article 2 du Code pénal.
Avant de terminer, je dois exprimer les vifs regrets que j'éprouve de voir le ministère faire preuve dans le débat d'intentions si peu conciliantes. Je ne crains pas de le dire : sa conduite forme un contraste frappant avec celle de toutes les administrations qui ont tenu le pouvoir depuis plusieurs années.
Lorsque le ministère du 12 août 1847 était à son apogée, lorsqu il proposait les lois mémorables auxquelles l'avenir rendra justice, il avait une majorité considérable prête à l'appuyer et cependant les discussions témoignent des sentiments de conciliation qui le portaient à admettre les changements dont la discussion révélait l'utilité. Voyez le projet de loi sur l'enseignement supérieur, celui sur l'enseignement moyen et tant d'auties qui ont été modifiés et amendés de l'assentiment du ministère libéral ; et lorsque en 1851, il s'est montré moins conciliant, ce fut là le signal de ses revers.
Le cabinet de M. de Brouckere, qui lui succéda, ne s'est jamais refusé à de légitimes concessions dans les circonsiances les plus solennelles. En 1852, l'honorable M. Faider présenta un projet de loi auquel l'existence du ministère était attachée, et ayant pour objet de réprimer les offenses envers les souverains étrangers. Eh bien, il s'empressa d'adhérer aux vœux de quelques sections qui demandaient qu'on supprimât l'offense par discours, cris ou menaces. Il fit plus. L'interdiction des droits civils comminée par le projet, n'avait été adoptée par la section centrale qu'à la majorité de quatre voix contre trois, M. Faider modifia lui-même la disposition de manière à la faire accepter par une majorité imposante.
Aussi dans le rapport de la section centrale, dont j'avais l'honneur d'être l'organe, n'hésitai-je pas à proclamer que les modifications auxquelles le ministère avait adhéré attestaient un esprit de modération que la Chambre et le pays sauraient appiécier.
Aujourd'hui, on nous fait une position bien différente. Le projet doit être voté tel qu'il est, on ne peut en retrancher ni point, ni virgule. On s'est opposé pendant deux séances au renvoi des amendements à la section centrale ou à une commission spéciale, et les propositions les plus conciliantes ont été repoussées à l'avance, parce que, comme l'écrivent d'imprudents amis du cabinet, la dignité du gouvernement s'oppose à toute modification, il faut emporter de vive force ce qu'il était si facile d'obtenir de la presque unanimité de la Chambre.
Eh bien, en ce qui me concerne, cette pression, ce refus obstiné d'adhérer à toute modification légitime, suffisent pour me déterminer à voter contre un projet dont le caractère défectueux est d'ailleurs pour moi évident.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Vervoort. - Si la Chambre veut en finir, je suis prêt à obéir a sa volonté.
- De toutes parts. - Parlez ! parlez !
M. Vervoort. - Messieurs, je crois cette discussion assez importante, pour y consacrer encore quelques instants. Je suis plus convaincu que jamais que la dignité de mon pays est attachée aux questions soumises en ce moment aux délibérations du parlement ; je suis plus convaincu que jamais que si nous étions animés de l'esprit dont était pénétrée la législature en 1833, la discussion à laquelle nous nous livrons n'aurait pas eu lieu. Je le dis avec l'honorable M. Lebeau : nous sommes bien loin du temps où l'adoption de la loi de 1833 rencontrait la plus vive opposition de la part des esprits les plus modérés de la Chambre.
Les honorables membres qui en faisaient partie à cette époque s'en souviendront : il a fallu les précautions de l'article 6 sur lesquelles on veut mtture la main aujourd'hui, il a fallu ces précautions pour faire passer la loi !
L'honorable M. Malou vient de nous dire : Il n'y a pas d'obstination de la part de ceux qui ne veulent pas entrer dans les vues de la majorité de la commission ; un principe nous divise ; le fond des choses est différemment envisagé par la majorité et la minorité de la commission ; il ajoutait que nous voulons une loi profondément immorale,donnant un privilège aux complices des assassins et des meurtriers de la personne des souverains ou des membres de leur famille, et pour donner plus de forte à sa pensée il l'a renfermée dans une image plus hardie que juste.
Désormais, a-t-il dit, on pourra mettre un poteau à notre frontière pour faire connaître aux malfaiteurs des pays étrangers qu'ici on leur donne asile et protection ! (Interruption.)
Ah ! vous l'avez dit ; et je repousse de toute mon énergie cette interprétation donnée aux convictions qui nous animent ! (Interruption.)
Oui, oui, il a été dit qu'un privilège était donné par notre projet de loi aux assassins des souverains, et qu'il fallait le leur apprendre afin qu'ils vinssent jouir ici d'une scandaleuse impunité.
Encore une fois je repousse cette définition, ces explications pittoresques qui faussent notre pensée.
Ce n'est point un principe ni le fond des choses qui nous divisent, car, comme nous, vous êtes animés de sentiments honnêtes et de patriotisme, mais vous raisonnez exclusivement en juristes et je comprendrais votre indignation si l'on vous proposait de ne plus conserver dans leur entier les principes de la complicité dans les lois criminelles faites pour être appliquées dans notre pays ; mais il s'agit ici de rapports internationaux, d'une loi d'extradition, et dès lors c'est en hommes politiques que nous devons entrer dans le débat et peser les dangers éventuels attachés à l'adoption du projet ministériel.
Les assassins et les meurtriers nous inspirent une horreur profonde les proscrits malheureux et honnêtes gens excitent nos sympathies. Vous éprouvez, vous devez éprouver les mêmes sentiments ; mais vous envisagez exclusivement le projet de loi au point de vue de la répression ; nous nous plaçons au point de vue politique, au point de vue des homme d'Etat, et voilà ce qui nous divise.
D'où est né le débat soulevé par la nouvelle loi ? Il y a dans la loi de 1833 un texte proclamant hautement qu’aucun crime ou délit connexe à un délit politique ne peut donner lieu à l'extradition. Voilà le principe de la loi, et un célèbre jurisconsulte étranger, autrefois chef de division au ministère de la justice, aujourd'hui conseiller à la Cour de cassation de France, dit à ce propos :
« Il suffit donc qu'un crime commun se rattachée un fait politique, qu'il en soit la suite et l'exécution pour suivre son sort et profiter de son privilège ! »
Et ces paroles, tirées du chapitre de l'extradition, renfermé dans un ouvrage de M. Faustin Hélie, sont d'autant plus significatives que la clause a été acceptée par la France dans le cartel avec la Belgique, et que la France l'introduit dans tous ses traités d'extradition, ainsi que me le fait observer l'honorable M. Orts.
La loi de 1833 est donc formelle, générale. La section centrale a demandé, au nom de l'humanité et de l'antique renommée d’hospitalité de notre pays, que le principe fût maintenu intact.
Quel fut le but des efforts de tous les honorables membres qui soutiennent le projet du ministre ? C'était d'établir qu'on ne pouvait protéger les meurtriers ni les assassins, même en cas de connexité de leur crime avec un délit politique.
Les discours de l'honorable ministre de la justice et des honorables MM. Malou, de Theux, Wasseige et Van Overloop font foi de ce que j'avance. On nous disait alors : Nous sommes d'accord en paroles, mais en pratique il n'en est plus ainsi, car vous maintenez votre texte exclusif. Nous avons compris la gravité de la question et la nécessité de modifier le texte de la section centrale et nous avons provoqué un examen nouveau, un débat contradictoire dans l'intimité d'un comité.
Il avait été demandé que la connexité avec un délit politique ne pût point arracher à l'extradition les meurtriers, les assassins de souverains étrangers ; le nouveau teste porte cette modification importante. Des observations justes ont été présentées sur la restriction trop absolue apportée à la complicité et les cas de complicité ont reçu une grande extension.
Mais les partisans de l'opinion que nous combattons agissent-ils de même ?
Nous faisons ressortir les dangers qui peuvent naître, au point de vue de l'extradition, du maintien de tous les cas de complicité prévus par nos lois.
Nous démontrons jusqu'à l'évidence la nécessité de protéger, dans notre loi nouvelle, les proscrits malheureux.
Ceux qui nous combattent leur accordent des témoignages de sympathie, mais ils ne font rien pour se rapprocher de nous ; rien pour mettre le texte de M. le ministre de la justice en harmonie avec des exigences qui ne sauraient être méconnues.
De notre côté, nous avons mis notre texte d'accord avec nos paroles. Mais ne suis-je pas en droit de venir dire à mon tour : Vos faits sont en désaccord avec les sentiments dont vous faites étalage, et tout en promettant vos sympathies aux réfugiés politiques, vous repoussez un texte qui sert à les protéger ! Ce texte permet même, en cas de connexité, l'extradition des criminels, sans qu'ils puissent, sous prétexte de politique, couvrir l'odieux des moyens employés par eux pour réaliser leurs-projets.
Ainsi au lieu du refus absolu d'extradition, en cas de connexité, renfermé dans l'article 6 de la loi de 1833, la commission établissait un système nouveau, formant ce que M. le ministre de la justice appelle le complément de cet artlicle, car il diffère du système introduit dans tous les traités d'extradition belges et français.
Mais pour introduire ce système sans danger, il fallait restreindre la complicité. Et voilà le point de départ de notre dissentiment.
Nous ne voulons pas que l'on puisse invoquer la loi nouvelle pour arriver indirectement à l'extradition politique sous le prétexte d'un concours ou d'une complicité habilement imaginés, sous prétexte des provocation par des écrits ou des discours.
Les articles 128 de la Constitution et 6 de la loi de 1833 sont des lois de protection, nous voulons continuer à protéger les réfugiés contre les passions et les égarements inspirés par la politique.
(page 901) L'expérience démontre assez la nécessité de cette protection. Je ne répéterai pas ce que l'honorable M. Frère vous a dit de ceux qui votèrent la mort de Charles Ier et dont l'extradition fut obtenue du Danemark et des Etats-Unis.
Je ne veux plus vous parler de Chambure, ni de Dtiuty, ni revenir sur d'aujtes noms et d'autres exemples déjà invoquée dans cette discussion. Mais qu'il me soit permis de vous rappeler un événement qui frappa vivement les esprits, à la fin du siècle dernier.
En l'an IV de la République, sous le Directoire, deux vaisseaux danois furent jetés par la tempête sur les côtes de France. Ils portaient des étrangers et des Français et faisaient voile vers les Grandes-Indes.
Les naufragés, parmi lesquels se trouvaient 53 Français, furent emprisonnés à Calais.
Le Directoire, consulté par le commandant du département, déclara que les étrangers devaient être considérés comme prisonniers de guerre et les Français comme émigrés pris les armes à la main. Ils furent traduits devant une commission militaire. Elle se déclara incompétente et les renvoya devant le tribunal criminel de leur département. Le célèbre Merlin était alors ministre de la justice. On les promena de tribunal en tribunal ; enfin l'affaire fut portée au corps législatif et la loi du 15 thermidor an V déclara qu'ils ne pouvaient être jugés ; qu'ils seraient rembarqués et conduits en pays neutre. Vint le 18 fructidor, une loi du 19 ordonna la déportation de tous les détenus politiques.
Le Directoire, en présence de cette loi, demande de nouvelles mesures contre les naufragés.
Le conseil des Cinq-Cents rapporte la loi du 15 thermidor et propose une résolution qui fut rejetée par le conseil des Anciens. Le temps fit le reste, et après trois années de captivité, ces malheureux furent rendus à la liberté. Mais, après la loi du 14 thermidor, on les appelait encore eux jetés nus et mourants à la côte, on les appelait encore les prétendus naufragés, on voulait les assimiler à des criminels et si la commission militaire avait prononcé une condamnation, elle eût été exécutée dans les vingt-quatre heures.
Cette longue procédure avait été suivie sous le ministère de Merlin. Plus tard il dut lui-même s'éloigner de son pays. Le navire qui le transportait fit naufrage sur les côtes de la Hollande. Il y fut recueilli ; et lorsque le gouvernement français demanda son expulsion, le roi Guillaume, à son éternel honneur, répondit : « la mer me l’a donné et je le garde. »
Ces faits renferment un triple enseignement.
Ils donnant un exemple remarquable des vicissitudes humaines. Ils prouvent les erreurs, les égarements, les dangers des passions politiques.
Ils témoignent du respect accordé au droit d'asile, dans notre pays, sous un gouvernement régulier ; et en France, dans un moment de calme et de réflexion, si rare sous le régime de la république.
Lors de la discussion de 1835, l'honorable M. Dumortier lui-même, à propos des réfugiés politiques, disait : Nous devons nos sympathies à la révolution et aux hommes qui l'ont produite. On les compare à des assassins mais nous sommes tous des hommes de la révolution et si elle n'avait pas triomphé, on nous aurait appelés les assassins du roi Guillaume. Vous tous qui avez prononcé la déchéance à perpétuité de la maison d'Orange de toyt pouvoir en Belgique, vous auriez payé de votre tête tranchée l'assassinat moral commis sur la royauté de ce monarque. On eût jugé comme des assassins qui avaient trempé leurs mains dans son sang et ceux qui ont décrété l'exclusion de cette famille et nos soldats qui ont soutenu la lutte contre les balles hollandaises.
L'honorable M. Malou disait tout à l'heure : Donnez-moi un exemple prouvant qu'un honnête homme pourrait, par application du projet de loi, être extradé. Je ne m'épuiserai pas à expuser les mille hypothèses qui peuvent se présenter. Je citerai un seul fait : Lorsque, en 1848, les débats relatifs à la proclamation de la république eurent lieu à la chambre des députés, vous vous rappelez que la duchesse d'Orléans, le duc de Nemours et le jeune comte de Paris assistèrent un moment à la séance.
Des discours emprunts de passions politiques venaient d'être prononcés. Je suppose qu'en ce moment, un forcené, un infâme, mêlé au public et aux révoltés des tribunes, se fût oublié au point de vouloir trancher l'obstacle né de l'abdication du roi, en tuant ie jeune prince, n'aurait-il pas, si le gouvernement était vainqueur, n'aurait-on pas pu prétendre qu'aux termes de l'article 102 du Code pénal, ceux qui avaient prononcé des discours étaient les complices de l'attentat ?
Vous voyez que je ne me laisse pas aller à des hypothèses par trop chimériques et vous comprendrez la nécessité de prémunir les proscrits contre les haines politiques, contre les égarements des réactions.
Eh bien, je dis que l'article 60 du Code péual, pris dans son entier, l'article premier de la loi sur la presse et l'article 102 du Code pénal, peuvent devenir des textes d’une élasticité trop dangereuse entre les mains de ceux qui voudraient, après une émeute comprimée ou une insurrection vaincue, entraîner des hommes honorables dans des poursuites exercées du chef du meurtre ou de l'assassinat d'un prince étranger.
Que voulons-nous en définitive ? Concilier deux principes dont l'un exige la protection des souverains, à l’égal des particuliers, contre le meurtre et l’assassinat, dont l'autre veut la protection de réfugiés malheureux, à l'égard de tous, les citoyens, contre les exagérations et les animosités des partis politiques.
Monstruosité ! a dit M. le ministre de la justice ; immoralité ! a dit l’honorable M. Malou.
Pourquoi ce privilège odieux ? ont-ils ajouté. Je réponds : il n'est pas question d’accorder des privilèges ; mais d'écarter, de prévenir les abus, et de donner au gouvernement la facilité de les combattre, non point par d'embarrassantes représentations, mais par un texte formel.
On insiste pour introduire dans la loi le mot « attentat » et d'un autre côté on le restreint au cas de meurtre, d'empoisonoement ou d'assassinat.
Pourquoi cette insistance ? Est-ce pour arriver à appliquer les termes de l'article 102 du Code pénal ? S'il en est ainsi, dites-le franchèment. Sinon, consentez à retrancher un mot qui sans utilité obscurcit le texte de la loi, et peut offrir des dangers à cause de la tentative spéciale de l'article 88 code pénal
Les partisans du projet de loi de M. le ministre de la justice ont parlé fréquemment de la garantie offerte par l'indépendance du gouvernement et la pression de l'opinion publique.
Ils ont ajouté : Tous les traités renferment des réserves et là est la meilleure garantie.
Mais je le demande à ces honorables membres ; lorsque le gouvernement aura conclu un traité conforme à la loi, lorsqu'il y aura introduit les engagements qu'elle lui permet de contracter, dépend-il de lui de ne pas les tenir ?
Le gouvernement peut-il ne pas les respecter lorsque la complicité sera nettement formulée et admise par la justice étrangère ? Le gouvernement ne le peut pas. Le gouvernement quel que soit son regret devra se conformer aux termes de la convention.
Il y a des réserves dans les cartels ; oui, je le sais, mais uniquement pour les cas exceptionnels et quand des raisons de suprême équité et d humanité s'opposent à l'extradition.
Mais lorsqu'un gouvernement, après une tentative d'assassinat dirigée contre ie souverain, vous demandera, en présentant un arrêt de condamnation par contumace, l'extradition d'hommes politiques compris dans l'arrêt comme coupables de complicité par provocation, à l'aide de paroles ou d'écrits imprimés, pourrez-vous dire : L'équité s'y oppose ? L'humanité vous empêchera t-elle de livrer ceux que le souverain d'un pays ami et voisin et la justice de ce pays considèrent comme des régicides ?
Vous serez, dans cette hypothèse, fatalement entraînés à accorder l’extradition, si vous n'avez une loi sur laquelle vous puissiez vous appuyer.
A cet égard, messieurs, lors de la discussion de la loi de 1833, lors de la discussion de la loi de 1833 sur les expulsions, d'honorables membres de la Chambre firent entendre des paroles que je crois non seulement utile, mais nécessaire de rappeler en ce moment.
Voici ce que disait M. Ernst : « Notre gouvernement est dans une position particulière vis-à-vis des puissances étrangères. Elles peuvent vouloir abuser de leur prépondérance et exiger des actes de condescendance qui blesseraient la dignité de la nation ; il faut que nous mettions nos ministres dans une situation à pouvoir invoquer des règles tracées et à ne pas subir les caprices des ministres étrangers. »
L'honorable M. Dumorlier disait, lors de la discussion de la loi de 1833 :
« On ne peut pas se le dissimuler, la volonté des gouvernements qui nous entourent aura toujours un effet considérable sur nos affaires. Nous sommes une puissance faible et nous serons toujours obligés de rester, comme font les satellites des planètes, dans la sphère d'attraction d'une nation plus puissante. »
Et un peu plus tard, allant plus loin encore, il prononçait ces paroles remarquables :
« En effet, parce qu'une puissance étrangère viendra exiger l'expulsion de tel individu, cela ne suffit pas pour l'ordonner. La Belgique n'étant qu'une puissance de quatre millions d'habitants, nous serons toujours exposés à subir l'influence des grandes puissances qui nous entourent ; mais, d'après cette considération même, ce serait un mauvais service à rendre au gouvernement que de le mettre dans la possibilité de satisfaire les exigences du dehors. Celles du gouvernement français se sont déjà fait sentir ; faites la paix avec la Russie, l'autocrate poursuivra chez vous les enfants de la malheureuse Pologne ; en pareille circonstance, il vaut beaucoup mieux que le gouvernement ait les mains liées que d'être investi d'un pouvoir absolu sur les étrangers, car alors il pourra dire aux puissances étrangères qu'il ne peut pas aller aussi loin qu'elles le voudraient, parce que la législature ne lui a pas donné les moyens de les satisfaire.
« C'est encore pourquoi je voudrais que la loi fût temporaire. On abuse bien moins d'une loi de cette nature, que d'une loi permanente ; il est incontestable que si vous accordez une loi perpétuelle, on en fera un usage très large et que les ministres qui se succéderont l'appliqueront au gré de leurs passions. »
Voilà ce que l'honorable M. Dumortier disait en 1835, ce que l'honorable M. Ernst avait dit en 1833. Et j y ajoute :
Le gouvernement ne sera réellement fort que lorsqu'il pourra se réfugier derrière des antécédents et une loi formelle, et lorsqu’il pourra dire à ceux qui voudraient peser sur lui : La libre et indépendante (page 902) Belgique n'accorde l'extradition que contre ceux qui, d'une manière irrécusable, se sont rendus coupables du crime d'empoisonnement, de meurtre ou d'assassinat ; mais elle n'accorde point l'extradition politique. Il n'y a pas en Belgique de ministres qui aient des faiblesses, il n'y a pas de loi qui leur permette d'avoir des complaisances.
Il faut que notre législation soit un point d'appui pour le ministère. Car la fermeté, dans ces circonstances, est la gloire d'un pays.
Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé il y a quelques années, lorsqu'un puissant empire demandait à la Turquie des mesures contre les émigrés hongrois et polonais ; toutes les âmes généreuses avaient l'attention fixée sur la conduite qu'allait tenir le sultan, et lorsque sa décision fut prise, lorsque ce prince se fut honoré par son énergique refus, il recueillit les applaudissements de tous les peuples civilisés, et le plus beau compliment que crut pouvoir lui faire M. de Lamartine, lors de son second voyage à Constantinople, ce fut de lui dire : Cette année sera appelée l'année de l'hospitalité d'Abdul-Medjid.
Messieurs, nous brillons par les arts, par l'industrie, par le commerce. Mais, ne le perdons pas de vue, notre véritable force est dans nos institutions. Là est notre sauvegarde, là sont nos plus beaux titres de gloire. Il est glorieux en effet, pour une nation comme la nôtre, de pratiquer les nobles principes sur lesquels nous nous appuyons ici, à l'égal des plus grandes puissances du monde, et d'avoir, pour les faire respecter, non la force des armes, mais la majestueuse autorité de vénérables traditions ; d'avoir, pour les défendre, des institutions qui ont peut-être rendu quelques services à l'Europe, et la volonté digne et ferme de les conserver pures et entières.
- La séance est levée à 5 heures.