(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 509) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Crels présente desobservations contre l'institution des vétérinaires du gouvernement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Vracene déclarent adhérer à la pétition de quelques habitants du canton d'Eeckeren, relative à l'endiguement des schorres de Santvliet. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande l'établissement d'une seconde ligne de chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne. »
M. Osy. - La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande que le chemin de fer de Lierre à Hasselt soit relié au chemin de fer de Maestricht à Hasselt.
Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec invitation de faire son rapport avant la discussion du budget des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
« Le secrétaire communal de Dieghem déclare adhérer à la pétition de plusieurs secrétaires communaux en date du 21 décembre dernier. »
« Même déclaration de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Marche, Turnhout, Courtrai, Furnes, Audenarde, Neufchâteau, Dinant et des secrétaires communaux de Goyck et Leerbeek. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Louvois, ancien directeur d'hôpital militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Plusieurs maîtres-ouvriers à Gand prient la Chambre de rapporter la loi sur les patentes. »
- Même renvoi.
M. Maertens. - On vient d'analyser une pétition émanée d'uu nombre considérable de maîtres-ouvriers de Gand, demandant la réforme de la loi sur les patentes. Je prie la Chambre de revenir sur les conclusions adoptées, en autorisant la commission des pétitions à en faire l'objet d'un prompt rapport.
Cette pièce, qui est signée par les noms les plus honorables, mérite d'être examinée avec le plus vif intérêt, par l'importance de la matière dont elle s'occupe, et qui y est traitée à un point de vue plein d'actualité.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants d'Ypres demandent la révision de la loi concernant l'expulsion des locataires. »
- Même renvoi.
« Le sieur Blanchard prie la Chambre de statuer sur la demande relative à la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Waret-la-Chaussée prient la Chambre d'accorder au sieur Delstanche la concession d'un chemin de fer de Luttre à Maestricht.
« Même demande des membres du conseil communal de Barville Thisuet. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Marcq présentent des observations en faveur du chemin de fer projeté de Braine-le-Comte vers Melle, par Enghien, Grammont et Sotteghem. »
« Mêmes observations de plusieurs habitants d'Enghien et des membres du conseil communal de Bievene, Hilleghem, Essche-Saint-Liévin et de l'administration communale de Lierde-Sainte-Marie. »
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, cette pétition soulève des questions extrêmement graves relativement aux principes qui doivent diriger le gouvernement et les Chambres quant à la concession des chemins de fer.
Messieurs, les chemins de fer constituent dès aujourd'hui une industrie réellement importante du pays.
Je crois que les capitaux qui y sont engagés peuvent être évalués à environ un demi-milliard. Or la loi qui domine chez nous en fait d'industrie c'est la libre concurrence, c'est là une loi de progrès et de justice ; c'est le soleil qui luit pour tout le monde et dont tout le monde doit pouvoir profiter dans la mesure de ses forces vitales ; ces principes doivedt régler avant tout la conduite du gouvernement, et s'il en dévie, il tombera infailliblement malgré les meilleures intentions dans le favoritisme qui est l'élément le plus corrosif du pouvoir.
Suivant moi, il n'y a pas d'injustice plus criante que celle qui consisterait à concéder des chemins de fer en vue de favoriser telle ou telle localité par un système d'exclusion, c'est-à-dire sous la condition implicite qu'il sera interdit à d'autres localités de profiter des bienfaits du railway, à l'aide des seuls capitaux de l'industrie privée ; or, si je suis bien informé, c'est vers ce système déplorable qu'on cherche à entraîner le gouvernement. Je le conjure de s'arrêter à temps, car les idées de favoritisme ont fait leur temps, et ne seront pas accueillies, j'en suis convaincu, par les Chambres. Comme ces questions se présentent naturellement à l'occasion de cette pétition, je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs de Keyser, Vandenstaepele et Vanden Dooren, présentent des observations contre le projet de loi relatif à la sortie du minerai de fer. »
M. Vander Donckt. - La question dont il s’agit dans la pétition dont vous venez d’entendre l’analyse est d’une très haute importance, elle est relative à l’exportation du minerai de fer. Les pétitionnaires ont l’intention de construire un haut fourneau dans les Flandres. J’ai l’honneur de proposer le dépôt de cette pétition sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi concernant la libre entrée du minerai de fer.
- Cette proposition est adoptée.
« Des propriétaires et fermiers-cultivateurs de Virginal-Samme présentent des observations contre l'établissement du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw dont la concession est demandée par les sieurs Waring. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à ce chemin de fer.
« Le chef de bureau du commissariat de l'arrondissement de Soignies demande que les employés des commissariats d'arrondissement soient placés sur la même ligne que les employés de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des employés du commissariat de l'arrondissement de Courtrai demandent la suppression, en ce qui les concerne, des articles 48 et 53 de la loi communale et de l'article 40 de la loi provinciale. »
- Même renvoi.
« Le bourgmestre, des cultivateurs propriétaires et autres habitants de Zedelghem demandent un changement au tracé de la route projetée de Zedelghem à Aertrycke. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Hevillers demandent assistance et protection pour leur établissement en Amérique. »
- Même renvoi.
« Plusieurs cultivateurs et marchands de bétail à Elseghem demandent que les vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Liège demande rétablissement d'un chemin de fer direct de Louvain à Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Le sieur Labarthe, ancien officier, demande que le projet de loi relatif à la pension d'officiers de volontaires soit amendé en ce sens : que les officiers auxquels les dix années de service accordées par la loi, ne suffiraient pas pour leur donner des droits à la pension, soient néanmoins admis à la jouissance d'une pension calculée sur le nombre de leurs années de service, augmenté de dix années supplémentaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Belière, ancien capitaine commandant les volontaires de Fontaine-l'Evêque, demande que le projet de loi relatif à la pension des officiers de volontaires soit rendu applicable à ceux de ces officiers qui ont abandonné la carrière militaire pour entrer dans l'administration civile. »
- Même renvoi.
« Le sieur Desforge demande que la priorité d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain lui soit conservée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants et éleveurs dans les cantons de Tirlemont, Glubbeek et Léau, présentent des observations en faveur du haras de l'Etat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« M. Orts se trouvant, à cause de l'état désespéré de son père, dans l'impossibilité de prendre part aux travaux de la Chambre, demande un congé. »
- Accordé.
M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - On a distribué hier le projet de loi définitif sur les jurys d'examen ; ce projet est très important, il faut que nous puissions l'examiner mûrement et que les universités aient le temps nous présenter leurs observations.
(page 510) Je demande que l'examen en sections n'ait pas lieu avant quinze jours. (Adhésion.)
Je propose de fixer cet examen à aujourd'hui en quinze.
- Cette propositron est adoptée.
M. le président. - Je viens de recevoir de M. le ministre des travaux publics plusieurs amendements à son projet de budget. Ces amendements seront imprimés, distiibués et renvoyés à la section centrale chargée de l'examen du budget.
M. Rousselle. - M. le président, la section centrale attendait ces amendements pour continuer l'examen du budget, Je crois devoir avertir mes collègues de la section centrale que je me propose de les convoquer pour demain.
M. le président. - La discussion continue sur les articles relatifs au haras.
M. de Steenhault. - « Messieurs, la stabilité est, pour le haras, comme pour tout établissement semblable, le premier élément de succès. Si, à chaque instant, son existence devait être mise en question, mieux vaudrait qu'il disparût, et qu’on épargnât ainsi à l'Etat et aux éleveurs des sacrifices qui, pour être efficaces, ont, avant tout, besoin de sécurité. On n'améliore les rares d'animaux domestiques qu'au prix d'efforts intelligents, soutenus avec patience pendant de longues années. Ces efforts ne sont possibles que pour autant que ceux qui veulent les tenter aient la certitude de ne pas les voir paralysés ou détruits avant que leur but soit atteint. Je n'ai pas besoin d'insister sur ces vérités : personne ne les conteste, et tout le monde doit désirer que les questions qui se rattachent à l'existence du haras reçoivent une solution définitive, après avoir été étudiées d'une manière complète par des personnes compétentes. »
Tel était le préambule de la lettre-circulaire adressée par le ministre aux membres de la commission.
Or, que voyons-nous aujourd'hui ? Ce sont précisément les honorables membres qui ont fait partie de cette commission, et qui, par l'acceptation du mandat qui leur était offert, reconnaissaient implicitement les vérités que le ministre énonçait ; ce sont précisément ces honorables membres qui, pour la troisième fois, reviennent à la charge et cherchent à renverser une institution qui non seulement a été consacrée par vingt ou vingt-deux votes successifs, mais qui dans ces derniers temps surtout paraissait devoir être définitivement admise par les trois votes que vous avez émis après des discussions longues, prolongées et approfondies, une institution qui, non seulement a été discutée dans cette enceinte, mais qui a été soumise aux délibérations de deux commissions, dont l'une a envisagé la question au point de vue spécial, dont l'autre l'a envisagée dans ses rapports avec l'agriculture.
Cette nouvelle opposition ne saurait se comprendre, ne peut se légitimer qu'en niant la compétence de ces deux commissions et en se posant soi-même comme plus compétent, ou en discutant la bonne foi des membres appelés à faire partie de ces commissions.
C'est un dilemme dont vous ne pouvez sortir quoi que vous fassiez et disiez.
Vous nieriez la compétence de ces commissions. Mais, messieurs, vous avez reconnu cette compétence en acceptant votre mandat. Si vous ne l'aviez pas reconnue, auriez-vous donc fait tant d'efforts pour faire prévaloir vos idées et vos doctrines ? Tout ce que vous avez fait, tout ce que vous avez dit, toute votre ligne de conduite prouve que vous considériez cette commission comme compétente.
El d'ailleurs comment pourriez-vous nier cette compétence ? Les membres qui les composaient ne méritent-ils pas toute confiance.
La première n'élaii-elle pas composée de tout ce qu'on avait pu trouver d’hommes spéciaux dans le pays ? La seconde n'etait-elle pas composée des représentants directs de l'agriculture ? et qu'on ne vienne pas me dire comme on l'a déjà fait, que le conseil supérieur d’agriculture n'est pas composé des représentants directs de l’agriculture ; mais s'ils ne l'étaient pas, où donc les trouveriez-vons ?
Les membres du conseil supérieur ne sont-ils pas appelés par les commissions provinciales, qui à leur tour émanent des comices ? Il y a plus, messieurs, les membres du conseil supérieur y arrivent en quelque sorte avec un mandat impératif, car d'après les termes du règlement même ils sont nommés en vue des questions qui doivent s'agiter au conseil.
Prétendra-t-on que la Chambre esi plus compétente ? Eh bien, je dis franchement non, la Chambre n'est pas unanimement compétente et je l’en félicite ainsi que les électeurs, ainsi que le pays.
Vous iriez loin, messieurs, avec une Chambre composée en majorité de docteurs en science hippique ! Félicitez-vous donc avec moi, mes honorables adversaires, que la Chambre puisse s'en rapporter, quand elle le juge convenable, à des éclaircissements donnés par des commissions spéciales.
Je sais bien ce qu'on viendra me dire. On nous répondra que les deux commissions n'ont examiné la question qu'en elle-même, abstraction faite de toute autre considération, mais que nous ici, messieurs, vous avez à voir si l'intérêt est assez majeur pour justifier l'intervention que nous sollicitons.
Cette objection, si elle se produisait, ne serait cependant pas sérieuse, car c'est précisément dans ces termes que la question a été posée devant le conseil supérieur d’agriculture et qu'elle a été résolue à l’unanimité moins une voix (M. Coomans).
A la commission des haras aussi la question n'a-t-elle pas été expressément posée dans cette pensée-là ? Voici la première question posée à cette commission. Y a-t-il utilité d'élever en Belgique le cheval croisé ou métis propre à la selle et au trait léger, et cette utilité est-elle assez grande pour que le gouvernement encourage cette branche d'industrie ?
La question était donc bien nette, bien claire, et comme j'avais l'honneur de vous le dire, l'objection dont je vous parlais n'en serait pas une. Elle se réfute par les faits mêmes.
Je ne puis assez le redire, messieurs, cette continuelle opposition est incroyable. A ce compte, nous n'en n'aurions jamais fini.
Toutes nos institutions pourraient chaque année être remises en question. Nous ne ferions jamais rien de bon, parce que nous ne ferions jamais rien de stable.
Aucun de nos établissements n'est parfait, tous ne le sont que relativement, et je me chargerais volontiers de trouver chaque année un prétexte quelconque pour venir attaquer ceux même, que nous considérons comme laissant le moins à désirer.
Cette nouvelle opposition est d'autant plus incroyable, d'autant plus inopportune, que vous avez autorisé l’année dernière 60,000 francs de travaux, presque complètement terminés aujourd'hui, et qui nécessairement seraient perdus si l'amendement de M. David venait à être adopté, car son amendement, c'est la suppression ni plus, ni moins.
Votre vote de l'an passé aurait été bien inconsidéré, messieurs, S'il devait aboutir à un gaspillage de ce genre, et si cette année vous alliez supprimer l'institution en vue de laquelle vous avez, l'an passé, autorisé des travaux.
L'honorable M. David a cherché à diminuer, à amoindrir l'intérêt qui se rattachait à cette branche d'industrie, il a même cherché à prouver qu'elle ne donne que de déplorables résultats.
Je ne veux pas, pour le combattre, vous lire un second volume comme celui qu'il vous a lu samedi, mais j'ai cependant eu la curiosité d'analyser les éléments de son opposition. J'ai voulu voir quel était le nombre des districts favorables au croisement et quels étaient ceux où ou le blâmait.
Eh bien, savez-vous ce que j'ai trouvé ? Après avoir scrupuleusement parcouru la longue liste qu'il nous a donnée dans son discours, et qui, peut-on dire, en fait tous les frais, j'ai trouvé dix-sept districts où l'on préconise le croisement et cinq seulement où l'on s'en plaint.
Dans les autres districts on n'en dit rien, ou on place les deux industries sur le même pied.
Voilà, messieurs, à quoi se réduit cette réprobation universelle dont parlent MM. Van Cromphaut et Vander Donckt.
« Mais, me répondra M. David, le cheval de gros trait à la supériorité, dans ce sens que « partout » il est constaté qu'il se vend bien et avec facilité. »
Je suis loin de nier le fait, je le reconnais même avec bonheur, mais il ne m'illusionne pas.
Ce fait, sans doute heureux pour le présent, n'est pour moi qu'un mirage quand je prévois l'avenir et je crois pouvoir vous le prouver.
Pour juger d'une industrie, messieurs, il faut la prendre dans une situation normale, dans un temps normal.
Pour l'industrie chevaline nous ne trouvons vraiment d'époque normale qu'avant 1848. Les deux années qui suivirent la révolution de février ne peuvent servir de base d'appréciation, pas plus que les années postérieures où des travaux gigantesques entrepris en France, puis plus tard la guerre, sont venus rompre momentanément l'équilibre commercial.
Or, messieurs, veuillez vous reporter un instant avant 1848, et qu'y trouvons-nous ?
Une situation déplorable pour le cheval indigène, situation qui avait pris naissance vers 1840 ou 1842 et qui était allée en s'empirant, à tel point que c’était à peine si l'on obtenait encore 500 fr. du plus beau cheval de gros trait.
Et cependant messieurs, c'était bien la une époque normale pour tous nos débouchés. L'agriculture en France avait besoin des mêmes éléments qu’aujourd’hui ; on traînait encore sur le Rhône, la plupart des chemins de fer n'étaient pas encore venus faire disparaître le roulage, l'Angleterre ainsi se trouvait dans une situation normale.
En 1847, et pour cela j'en appelle de bonne foi à la mémoire de mes honorables adversaires, le cheval croisé seul avait quelque valeur courante, et c'était le seul qu'on trouvait à placer avec quelque avantage ; aussi voit-on dans le tableau du nombre de saillies par étalon une progression immédiate qui de 26 les porte à 46. Ce tableau renferme, à vrai dire, l’histoire de l’élève du cheval croisé.
Quand donc le commerce du cheval de gros trait a-t-il repris quelque développement ? Mais, messieurs, veuillez bien le remarquer, c'est surtout depuis 1852, c'est-à-dire depuis que les travaux de Paris, où vous avez pu reconnaître le cheval flamand, ont été entrepris.
Depuis que cette quantité de chemins de fer presque simultanément concédés ont absorbé plus de chevaux de gros trait que n'en pouvait former la France avec son excédant normal.
Depuis la guerre de Crimée surtout, qui a fait enlever de France, je ne dirai pas sa production, mais sa population chevaline,
Voilà messieurs, les causes de cet essor qu'a pris notre commerce de gros chevaux ; voilà la cause de ces prix élevés que vous signalez avec complaisance.
(page 511) Devons-nous nous étonner à présent qu'avec une reprise aussi forte, aussi instantanée de la demande, quant au cheval de trait, n'importe lequel, gros et léger, car les Français nous ont acheté tout, l'éleveur ait poussé l'élève du cheval indigène ? Mais messieurs, c'est le contraire qui eût dû nous surprendre.
Est-il surprenant, dis-je, de voir l'agriculteur, l'éleveur si vous voulez, reprendre avec ardeur son ancienne industrie ? Il n'y a là rien d'imprévu, de nouveau pour lui, il a sous la main l'étalon de gros trait, il reprend sa routine, et elle le rémunère bien.
Il ne se demande pas, l'agriculteur, si cette reprise continuera, il n'analyse pas, lui, quelles en sont les causes Il y croit et avec ce point de départ il est logique.
Mais cet état de choses durera-t-il ? Ces causes sont-elles permanentes, et la France qui paraît déjà fatiguée de la guerre ne se lassera-t-elle pas aussi de ces travaux gigantesques, quoi qu'on en dise, peu en rapport avec ses finances et qui ne peuvent jamais constituer un état normal.
Croyez-vous, messieurs, que rentrés dans une situation normale, nous n'en retomberons pas dans les conditions que nous subissions à une autre époque ?
Pour moi je n'en doute pas, parce que rien ne m'autorise à en douter.
Les nécessités de traction s'étant universellement modifiées, aucune cause étrangère ne venant plus suppléer à la consommation ralentie, le cheval de gros trait doit inévitablement baisser de valeur et un jour viendra, messieurs, où nous aurions à regretter vivement de ne pas nous être préparés à cette transformation nécessaire de notre industrie chevaline.
On a cité des autorités, qu'on me permette d'en citer une qui vaut bien les autres.
C'est celle de M. Eug. Gayot, ancien officier des haras de France.
Voici ce qu'il dit dans un article intitulé « des Haras belges » et qui a paru dans le « Journal d'Agriculture pratique » de Paris :
« C'est maintenant au temps à faire ses preuves contre l'administration des haras, laquelle croyait être dans le vrai quand elle poussait droit et ferme à la transformation des espèces locales dans la proportion du quinzième seulement. C'était une expérience utile pour le jour où, de grands travaux extraordinaires cessant, le gros cheval n'entrera plus dans les besoins de l'époque pour une part aussi large, et où le cheval fort et léger, dont les sources fécondes sont précisément dans les grosses races, devra les remplacer en grande partie. Avec ce qu'elle a décidé, la Belgique se trouvera fort attardée alors, et brusquera forcément les us et coutumes au détriment de l'agriculture, qui ne s'accommode guère des changements à vue. Avec ce que tendait à réaliser la bonne impulsion donnée à la production chevaline, on arrivait insensiblement à transformer, dans la mesure des besoins, une très petite partie de la population d'abord, et successivement des générations plus nombreuses, afin de suivre pas à pas le développement même de la consommation et de remplir toutes les exigences à la satisfaction de tous.
« Cette vérité se dégagera avant quelques années ; alors ne manqueront pas non plus les critiques qui reprocheront à l'administration de n'avoir su ni prévoir les besoins ni préparer le lit à des améliorations qui ne peuvent être que lentes et progressives pour être durables. »
Est-il du reste étonnant, messieurs, que dans plus d'une distinction passe le cheval croisé sous silence quand on réfléchit que nous n'avons qu'un nombre de stations excessivement réduit ?
Que quatre de nos provinces n'ont qu'une seule station et que trois des autres n'en ont que deux ?
Je vous le demande sérieusement, messieurs, serait-il raisonnable de prétendre qu'avec des éléments aussi restreints, avec 22 stations seulement pour toute la Belgique, on doive la trouver toute peuplée de chevaux métis ? Ce serait en vérité exiger trop, et des étalons de cette force ne se sont pas encore trouvés.
Pour donner quelque apparence de vérité à vos accusations, vous devriez nous prouver que le nombre de saillies par étalon a diminué, que la clientèle a baissé. Mais c'est là un terrain sur lequel vous avez garde de mettre le pied, car vous savez bien que vous y seriez brutalement battu par des chiffres.
On obtiendrait, comme le prétend l'honorable M. Van Cromphaut, que des produits misérables, le croisement serait un système jugé, généralement abandonné.
Comment expliquer alors les700 pétitionnaires qui viennent non seulement vous demander le maintien du haras, mais dont une majeure partie réclame même l'extension ?
Rien de plus facile, me répondra-t-on, que de faire pétitionner. Oui, messieurs, quand un intérêt politique, quand des intérêts moraux sont en jeu, parce que là à tort ou à raison tout le monde peut se croire intéressé, parce que la passion politique fait que tout le monde s'en mêle ; mais l'on ne me fera jamais croire qu'il puisse y avoir pression quand en définitive il n'y a que les éleveurs qui aient un intérêt quelconque au maintien de ce qui existe, et quand personne, à coup sûr, ne peut avoir pour but de faire maintenir au budget des allocations qui comme le prétend cncore M. Van Cromphaut, tourneraient au détriment des éleveurs qu'il appelle, lui, de bonne volonté.
Je signale du reste à la reconnaissance de l'administration des haras, cet éleveur bénévole qui, probablement, rien que pour lui complaire a, pendant plusieurs années, fait des sacrifices qui montent très haut à ce que dit M. Van Cromphaut.
Ces désintéressements sont rares, messieurs, mais celui-ci paraît si robuste que je ne m'étonnerais pas si l’honorable M. Van Cromphaut trouvait le nom de son éleveur sur la pétition qui nous arrive du pays de Waes.
L'honorable M. Van Cromphaut pousse son antagonisme pour le cheval de sang si loin, qu'il affirme qu'il a déjà fait dégénérer la race flamande, et il en est si convaincu qu'il le répète trois fois dans son discours.
L'honorable M. David prétend, d'un autre côté, que, sur onze districts de la Flandre orientale il y en a deux seulement où l'on fasse mention du cheval croisé.
Voilà, messieurs, deux assertions bien contradictoires que je ne m'explique pas. Comment ! sur onze districts il y en a seulement deux où l'on fasse mention du cheval croisé et l'influence néfaste du cheval de sang est déjà si puissante qu'il a imprimé un caractère de dégénérescence à la race indigène !
Mais, messieurs, tout cela n'est en vérité pas sérieux, vous le voyez bien, et ces messieurs auraient au moins dû commencer par se mettre d'accord.
L'honorable M. Van Cromphaut prétend aussi, contrairement à l'avis de tous les hommes compétents, que nos juments sont trop fortes et trop membrées pour l'étalon de sang.
C'est là une idée neuve mais dont, je l'avoue, je n'aurais pas osé prendre la responsabilité si j'avais été à la place de l'honorable membre que je crois volontiers connaisseur en chevaux.
J'avais toujours ingénument cru que la force des membres était un des mérites les plus recherchés chez la jument poulinière ; j'avais cru que les Anglais savaient ce qu'ils faisaient quand ils venaient nous acheter nos meilleures juments surtout celle du Furnes-Ambacht pour les livrer chez eux à la reproduction par le cheval de race.
Je dois du reste remercier l'honorable M. Van Cromphaut des comptes qu'il établit pour la vente des chevaux.
Je l'en remercie au nom de tous les agriculteurs qui, jusqu'à présent je dois le présumer, ne s'étaient pas doutés qu'ils vendaient à perte.
Selon l'honorable membre, un cheval coûte à deux ans, et ceci est applicable au cheval de gros trait comme au cheval métis, car l'un n'a, pas l'estomac moins bien conformé que l'autre, un cheval de deux ans coûte, dis-je, environ 440 à 450 fr. ; 100 fr. de bénéfice n'est pas exagéré, je crois.
Donc prix de vente 550 francs.
Or, je pose en fait, et je ne crains pas ici être démenti, le cultivateur qui obtient eu temps normal et même aujourd'hui, 400 fr. d'un cheval indigène de deux ans, se croit suffisamment rémunéré.
L'exagération est aussi manifeste pour ce qui concerne le cheval métis qui, d'après l'honorable membre, ue vaut que 490 fr, à quatre ans.
La contrée dont il vient parler doit être bien mal dotée, car il est notoire, et ici je ne crains pas non plus d'être démenti, il est notoire, dis-je, qu'il faut qu'un cheval croisé de 4 ans soit bien médiocre pour ne valoir que 700 fr.
Les marchands français nous les ont payés cette année jusqu'à 800 fr. à l'âge de 3 ans.
On a parlé d'une brochure de M. Jacquet, membre du conseil administratif de la Société centrale d'agriculture.
Voici aussi ce que disait un membre du même conseil :
« L'intervention de l'Etat, dans les intérêts agricoles, comme elle a été comprise jusqu'à ce jour, n'a été qu'un leurre jeté à l'agriculture pour la faire taire quand elle se plaignait de la position inférieure qui lui était faite.
« En effet, messieurs, quels ont été les résultats de cette intervention ?
« La population chevaline du haras diminue tous les ans par défaut de subside. Les courses de chevaux, qui en étaient le complément, sont supprimées. Le dépôt de remonte qui est une des conséquences nécessaires de cet établissement, n'est encore qu'un projet qui est loin d'être réalisé, aussi le haras n'est plus qu'un squelette qu'un souffle peut renverser. »
Ce membre, messieurs, est le même M. Jacquet, mais comme mon M. Jacquet est postérieur en date à celui de M. Van Cromphaut, je le tiens pour le meilleur, et vous devez avouer, j'en suis convaincu, que je suis dans mon droit.
M. Jacquet, dont je me plais à reconnaître les connaissances spéciales, a changé d'opinion. Sa manière de voir s'est modifiée, et il a eu probablement ses raisons pour cela.
On a beaucoup parlé de grands seigneurs, de dépenses faites uniquement dans l'intérêt de quelques riches ; mais, messieurs, que M. Vander Donckt, me permette de le lui dire franchement, je ne comprends pas comment l'honorable membre veuille se faire l'écho de déclamations de ce genre.
D'abord, messieurs, en Belgique, ceux que l’honorable membre peut appeler grands seigneurs n'élèvent pas. Ils achètent leurs chevaux, et cela est notoire.
Que l'honorable membre parcoure les pétitions, et je le défie d'y trouver un nom de ceux qu'il pourrait avoir en vue. Il est évident, su et connu de tous ceux qui veulent « savoir et voir », messieurs, que les neuf dixièmes des éleveurs sont, en Belgique, agriculteurs, et qu'ils font de (page 512) cette industrie une branche accessoire de l'agriculture sans laquelle il serait impossible de s'y retrouver.
Que le produit soit, du reste, réservé au luxe, si vous y tenez, je le veux bien, mais cela ne fait rien à la chose, dès le moment que le producteur bénéficie, et il n'en reste pas moins incontestable qu'il vaut mieux pour l'intérêt énéral qu'une dépense de cette nature se solde à l'intérieur plutôt qu'à l'étranger ; c'est là une vérité élémentaire d'économie politique.
Je ne veux du reste pas, messieurs, entamer la question économique. Si d'honorables contradicteurs m'y convient, je suis prêt à les suivre sur ce terrain ; mais après toutes les discussions antérieures, j'ai voulu me borner rigoureusement à réfuter les principales objections qu'on avait présentées, et je n'ai pas voulu reproduire la série d'arguments dont vous devez être déjà satures.
J'ai pensé que reproduire des calculs, des appréciations déjà vieilles ici, c'était vous faire perdre un temps précieux et que nous avions à employer beaucoup plus utilement. Toute cette discussion semble, du reste, rouler sur un malentendu. Les honorables orateurs qui ont parlé semblent nous accuser de vouloir améliorer la race indigène par le cheval de sang.
Or, tel n'est pas notre but, et nous sommes complètement d'accord avec eux quand ils nous disent que la race doit s'amélioicr par la race.
Seulement, nous qui ne croyons pas à l'avenir du cheval de gros trait, nous qui sommes convaincus d'une révolution nécessaire dans cette industrie, qui croyons que le cheval de trait léger peut parfaitement vivre à côté de l'autre, qui y trouvons avantage pour le présent et sécurité pour l'avenir, nous vous demandons les encouragements que légitimement nous nous croyons en droit d'obtenir.
Ne dirait-on pas, à vous entendre, que tout est sacrifié à l'élève du cheval croisé ? N’oubliez-vous que près de 80,000 francs sont payés annuellement en prime aux éleveurs des chevaux de gros trait ?
Ne voyez-vous donc pas, messieurs, ce qui se passe autour de vous, ne voyez-vous pas que tous les gouvernements presque sans exception sont entrés dans cette voie ? Ne vous exposez donc pas, en vous isolant, à avoir à regretter un jour d'avoir méconnu vos intérêts ?
Vous nous accusez de ne rien produire de bon, mais, messieurs, si cela était vrai, nos écuries devraient être pleines de rebuts, et elles sont vides de chevaux croisés. Toul nous est enlevé et le bulletin du conseil supérieur d'agriculture le constate, tout nous est enlevé jusqu'aux pouliches de 2 et 3 ans, ce qui me paraît un fait regrettable, mais non pas de nature à servir la cause de nos adversaires.
Nous vous l'avons d'ailleurs répété à satiété, la création d'une race n'est pas l'affaire d'un jour, la main du gouvernement est longtemps nécessaire et cela esl si vrai qu'en Angleterre même, qu'on nous cite toujours comme la terre classique de la non-intervention, on a dû en revenir à la reconstitution du haras de Hamptoncourt qu'on avait cru pouvoir supprimer en 1844, et cela en dépit des sommes fabuleuses dépensées par des particuliers au nombre desquels figure entre autres lord Grosvenor qui dépense annuellement jusqu'à trois millions pour son haras.
Je cite ce fait parce que je me rappelle que lors de la dernière discussion on s'était prévalu de la suppression de ce haras.
Je suis loin de prétendre que toutes les provinces aient un intérêt égal à l'élève du cheval croise, mais bon Dieu ! messieurs, ne faisons donc pas de cette question une question de clocher, plaçons-nous à un point de vue un peu plus élevé. Excluons la province et parlons du pays.
Nous refusons-nous d'ailleurs à ce que l'on accorde à ces provinces les moyens de se fournir d'étalons propres à leurs localités ? Le gouvernement n'entre-t-il pas dans cette voie et aujourd'hui même 15,000 fr. ne sont-ils pas mis à la disposition de la province d'Anvers et des deux Flandres pour l'achat d'étalons de gros trait ?
J'aurais beaucoup de choses à dire encore, mais je crains avoir déjà abusé de votre bienveillance. Je termine donc en vous priant, messieurs, de ne pas perdre de vue qu'il s'agit non seulement d'une question d'avenir, mais d'une question de justice. Ce serait méconnaître l'une et l'autre que de supprimer d'un trait de plume une institution qui peut avoir ses détracteurs dans le présent, mais dont l'avenir nous répond.
M. Faignart. - En présence de ce que vient de dire l'honorable baron de Steenhault, je dois avouer que j'ai peu de chose à ajouter.
Néanmoins, je dois faire ressortir les exagérations que j'ai rencontrées dans les discours qui ont été prononcés à la séance de samedi dernier.
L'honorable M. Van Cromphaut nous a cité un fait, qui, s'il était vrai, serait de nature à effrayer beaucoup.
Mais qu’il me permette de dire que c'est là une exception, et même une exception très rare. L'honorable membre nous a dit qu'un cheval croisé, à l'âge de 4 ans, a coûté 1,100 ou 1,200 fr., et qu'on le vendait, prix moyen, de 400 à 500 fr., en ajoutant qu'on n'avait pu l'employer à aucune espèce de travail. Enfin, l'honorable membre a déclaré qu'on ne pouvait utiliser ce cheval avant l'âge de 4 ans.
Nous ne contestons pas qu'un fait semblable se soit produit ; si cela a existé, cela tient surtout à l'imprévoyance et à l’incapacité de l'éleveur. Mais j'ajouterai que si telle était la généralité des faits, je serais le premier à demander aujourd'hui la suppression complète du haras ; car de pareils résultats ne devraient pas appeler le concours du gouvernement ni du pays.
Je conteste donc que les poulains provenant du croisement des étalons avec les juments indigènes ne soient pas aptes à travailler dès l'âge de deux ans et au plus tard à deux ans et demi.
On sait, a dit l'honorable M. David, d'après l'opinion d'un comice agricole de je ne sais quelle province, que ces chevaux sont paresseux. Je dois déclarer que je n'ai jamais entendu dire cela par personne.
Je regrette que l'honorable membre ait invoqué cette opinion ; car lui, qui a été éleveur, il doit savoir mieux que tout autre, que les chevaux métis ne sont pas paresseux.
L'honorable M. Van Cromphaut a dit qu'il avait vu beaucoup de foires, qu'il n'y avait rencontré que des chevaux sans valeur. Je le conçois ; car les foires sont ordinairement fournies de chevaux de rebut, en fait de chevaux de sang. Ceux qui ont une certaine valeur ne sont pas conduits à la foire. On trouve assez d'amateurs pour les acheter chez soi.
Au reste, je pense que les faits cités par l'honorable membre ne sont que des exceptions. Mais si l'honorable M. Van Cromphaut voulait s'assurer de ce que l'on peut produire par le croisement, s'il voulait se rendre un compte exact de ce qui se passe dans le pays, je l'engagerai à se rendre au concours de Tervueren, où l'on voit une exhibition de chevaux qui fait envie aujourd'hui. Là, il pourrait se convaincre qu'on n'élève pas des chevaux improductifs ; il pourrait se convaincre qu'on élève des chevaux de première qualité, et avec les connaissances que je reconnais à l'honorable membre, je suis persuadé qu'il rendrait justice à nos éleveurs.
L'honorable baron de Steenhault a analysé les discours de nos adversaires. Il me restera cependant quelque chose à dire sur les observations que vous a présentées l'honorable M. David dans la séance de samedi.
L'honorable membre vous a dit que des grands seigneurs, de grands propriétaires élèvent, pour s'amuser, le cheval croisé. Messieurs, pour répondre à l'honorable membre, je vous parlerai de la province de Hainaut, que je connais mieux que les autres.
Il y avait dans cette province, en 1854, 221 éleveurs.
Voulez-vous savoir combien, dans ce nombre, il y a de grands propriétaires ? Après m'être livré à des recherches minutieuses, j'ai trouvé qu'il y en avait 17 qui ont obtenu 28 poulains. Tous les autres sont des cultivateurs et même de pelits cultivateurs. J'en connais qui n'ont qu'un seul cheval et qui élèvent un poulain de race croisée. Certes, celui qui n'a qu'un seul cheval n'irait pas s'exposera des chances de perte.
Vous voyez donc, messieurs, que les observations présentées à ce sujet par l'honorable représentant de Verviers n'ont aucun fondement.
Les dix-sept grands propriétaires dont j'ai parlé sont presque tous cultivateurs. Néanmoins ils peuvent se passer de bénéfices ; mais tous les autres élèvent par pure spéculation, et s'ils ne s'en trouvaient pas bien, vous verriez bientôt les stations d'étalons désertées. Vous voyez, au contraire, qu'ils se maintiennent parfaitement et qu'on en demandé partout de nouvelles, notamment dans le Hainaut. Aujourd'hui on demande cinq.
J'ai aussi examiné combien il y avait d'éleveurs dans les Flandres. J'en trouve 131 dans la Flandre oceideniale, et 53 dans la Flandre orientale. Comme je ne connais pas les habitants de ces provinces, je ne puis pas dire s'il s'agit de grands seigneurs ou simplement de cultivateurs. Mais, ce qu'il y a de certain, c'est que je n'ai remarqué de titres de noblesse que devant très peu de noms.
L'honorable M. David a dit aussi que la plupart des comices n'avaient pas parlé de l'élève du cheval croisé. Messieurs, cela se conçoit, c'est que l'industrie du cheval croisé n'est qu'accessoire dans certaines provinces.
Messieurs, l'honorable M. David nous a fait une proposition. Cette proposition, il ne faut pas se le dissimuler, c'est la suppression complète du haras, je pense même qu'il eût mieux valu proposer purement et simplement cette suppression. On aurait discuté cette question, tandis qu'aujourd'hui peut-être plusieurs membres de la Chambre croient qu'en adoptant la proposition qui leur est faite, ils trouveront après cela quelque chose. Mais qu'on ne se fasse pas illusion, on ne trouvera rien. Je déclare que le système préconisé par l'honorable député de Verviers est une chimère, est une chose tout à fait impraticable.
On vous a parlé, messieurs, d'une commission spéciale formée en 1854 par l'honorable M. Piercot, alors ministre de l'intérieur. On vous a fait connaître les résultats de l'examen auquel s'est livrée cette commission, et ce résultat a été, à mon avis, très significatif.
Enfin l'honorable M. de Steenhault vous a parlé de la décision du conseil supérieur d'agriculture, qui me paraît tout aussi significative. Il est inutile que je revienne sur ce point.
J'aurai aussi quelques mots à répondre à l'honorable M. Vander Donckt.
A l'appui de son opinion, l’honorable membre a cité l'autorité de M. Thiernesse et celle de M. Richard.
Je dois faire remarquer qu'à la chambre de France, il ne s'agissait pas de savoir si l'on maintiendrait ou si l'on ne maintiendrait pas les haras, il s'agissait simplement des courses. Or, nous ne sommes plus appelés à décider cette question, elle a été résolue précédemment. Les (page 513) observations de M. Richard ne portaient que sur les chevaux de course.
Du reste, pour qu'on ne se fasse pas illusion sur la portée qu'on pourrait donner à l'opinion de cet honorable membre, je puis assurer qu'il n’a jamais été directeur de l'école des haras du Pin. C'était un vétérinaire qui a fait à la chambre française, en sa qualité de député, une proposition tendant à supprimer les courses, et cette proposition a été combattue vigoureusement par des personnes très compétentes, dont je vous citerai quelques noms tels que MM. de Lamoricière, d'Havrincourt, Bochez, de Charencey et autres ; elle a été tellement combattue que M. Richard n'a eu pour l'appuyer que les voix de quelques membres qui voulaient des économies et la proposition de ce député a été repoussée à une immense majorité.
Messieurs, je ne vous donnerai pas, comme je me l'étais proposé, des extraits des discours qui ont été prononcés à cette occasion.
Les personnes qui désirent en prendre connaissance pourront les trouver aux pages 367 et suivantes du « Journal des haras » imprimé en Belgique.
Je pense que la Chambre comprendra la nécessité de maintenir le haras. Je pense, en outre, que c'est une justice que de donner à chaque province les subsides qui peuvent lui être plus particulièrement utiles ; nous formons une famille, messieurs, et je pense que nous devons nous entr'aider.
La Chambre accorde des subsides à différentes provinces pour des besoins spéciaux, et si les provinces de Hainaut, de Brabant, de Namur usent plus largement des fonds accordés pour les dépôts d'étalons, la Chambre ne voudra pas, pour cela, leur retirer ces fonds : je pourrais citer des subsides portés au budget de l'intérieur, qui profitent exclusivement à certaines provinces ; je citerais, par exemple, le service du défrichement de la Campine, les mesures relatives au défrichement des terrains incultes ; d'autre part, messieurs, je vois un article de 80,000 fr. pour subsides en faveur de l'industrie linière. Il me semble que ce sont là des subsides employés exclusivement dans quelques provinces et dont ne profitent guère les provinces que je viens de citer. (Interruption.) On me fait observer que le Hainaut et le Brabant obtiennent une partie de ces subsides, je ne le conteste pas, mais c'est une partie bien faible ; or, vous dites que le haras ne profite que dans une légère proportion aux Flandres, en ce cas il y a compensation et je désire qu'on la maintienne.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment. Si mes honorables adversaires m'en donnent l'occasion, je reprendrai la parole.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la Chambre, ni contribuer, pour ma part, à prolonger la discussion. Les besoins et les vœux du pays demandent que nous abrégions nos travaux. Je ne veux pas non plus faire une opposition de parti pris contre une institution qui peut être utile si elle est convenablement ménagée, et si elle fonctionne conformément aux règles d'une bonne justice distributive. A ce point de vue, les allégations contradictoires que j'ai entendues relativement aux résultats et à l'utilité de l’établissement du haras, me laissent dans une position d'esprit plutôt favorable que malveillante pour cet établissement.
Toutefois, messieurs, si je regarde comme admissible en principe le chiffre du budget que nous discutons en ce moment, je crois en même temps qu'il y aurait moyen d'en améliorer l'emploi, en assurant aux fermiers cultivateurs une part égale dans la répartition des stations d'étalons, en les encourageant à entretenir de bonnes juments pour la monte et le croisement des bêtes de gros trait si utiles à l'agriculture, enfin en supprimant, ou tout au moins en réduisant au strict nécessaire le nombre des étalons pur sang entretenus par l'Etat. Car l'expérience a prouvé suffisamment que les agriculteurs font rarement usage de cette catégorie. C'est là l'objet d'un amendement que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre et qui s'applique à l'article 55.
Le dépôt cenlral compte actuellement environ 57 étalons, presque tous de pur sang, de trois quarts sang et de demi-sang.
Il me paraîtrait beaucoup plus conforme aux besoins réels des cultivateurs et par conséquent à la saine pratique, d'avoir un tiers d'étalons de gros trait, un tiers de demi-sang et un tiers de trois quarts sang. Grâce à cette modification du système, l'administration connaissant les localités où il serait nécessaire de placer chacune de ces catégories de chevaux reproducteurs, les utiliserait suivant les convenances et les demandes locales, d'une manière plus logique et plus profitable qu'on ne l’a fait jusqu'ici.
Il est à remarquer que sur les 57 étalons qui forment la monte de cette année on n'en compte pas de gros trait. Ainsi, je vois 35 étalons demi-sang, 14 pur sang, 8 trois quarts sang, sauf 4 anglo-normands si on veut les désigner de gros trait.
J'ai entendu un membre de cette Chambre louer les qualités des étalons et des juments du Perche. Je ne nie pas ces qualités. Elles ont été mises à l'épreuve à l'aide de nombreux essais qui ont eu lieu avec persistance dans la province que je représente. Moi-même j'ai eu des poulinières de cette race. Mais, faut-il le dire ? Ces expériences n'ont pas produit les résultats qu'on en attendait, et l'on s'est vu forcé d'y renoncer à peu de chose près.
Après ces vaines tentatives, il m'est donc permis de persister à dire que la race d'étalons qui nous est particulièrement nécessaire est celle des étalons de gros trait dans leurs espèces diverses. Les races que fournit notre pays sont bonnes. Pour les multiplier et en tirer tout le parti possible, il faut encourager les éleveurs. Les Ardennes, les Flandres, produisent de bons élèves. En Flandre même on les vend aux Anglais qui les emploient à leurs croisements Les chevaux ardennais sont recherchés pour le service de l'artillerie et de la cavalerie légère.
Mais la race étrangère dont l'introduction rendrait les plus grands services à nos cultivateurs, c'est sans contredit la race boulonnaise. L'étalon boulonnais est très employé dans le service des malles-postes.
Il est un peu épais de corps, mais malgré cela léger, vif à la course, sobre pour la nourriture et dur à la fatigue. La poste de Paris l'emploie concurremment avec les chevaux du Perche. Le propriétaire de ce grand établissement possède des fermes très considérables dans les environs de la capitale française. Il y emploie au labour les chevaux fatigués par la course, ce qui lui permet d'apprécier mieux que personne les services de toute nature que ces chevaux peuvent rendre.
Quant au cheval percheron, il est d'une trempe excellente. Mais on serait tenté de croire qu'il ne s'élève avec un succès complet que dans son pays d'origine. Partout ailleurs, il semble dégénérer. Cela tient sans doute aux qualités spéciales et aux productions du terrain de la province de France anciennement appelée Perche.
L'étalon des Flandres a aussi des qualités supérieures. Il est très recherché et s'enlève à de hauts prix, comme je viens de le dire, pour servir à de nombreux croisements en Angleterre.
Je pense, comme un de mes honorables collègues, qu'il convient d'encourager l'élève de la race ardennaise, ainsi que toutes les bonnes espèces que peuvent produire n'importe quelles parties du territoire belge.
En admettant que mon amendement soit admis, il va sans dire que, dans le tiers d'étalons de gros trait il s'en trouverait de plusieurs espèces. Ainsi les expériences pourraient se multiplier, l'encouragement prendrait plus d'extension, et sans doute les résultats dépasseraient les espérances. Du reste, l'adoption de ma proposition ne sera pas un obstacle à ce que les éleveurs de chevaux de fines races puissent se livrer aux croisements avec des chevaux de demi et de trois quarts sang. Dans ce cas, on obtiendait des produits pour les remontes, pour les équipages de luxe et pour les services actifs. D'un autre côté, il n'en serait pas moins loisible au gouvernement, s'il le jugeait utile d'après les rapports sur les besoins des provinces, de nous proposer plus tard l'achat de nouveaux étalons pur sang.
Le Hainaut produit aussi des chevaux croisés d'une race estimée. Il ne faudrait pas en priver les éleveurs en éliminant du haras de l'Etat des étalons très dislingués.
Le discours de M. le général Lamoricière à l'Assemblée Nationale de France en 1850, nous démontre l'utilité d'un établissement de haras bien conçu, et les ressources qu'on y puise pour les dépôts de remonte établis en France.
Je dirai donc, en terminant, qu'en maintenant le haras, il ne faut pas perdre de vue qu'on doit entretenir un nombre d'étalons suffisant pour que chaque arrondissement en ait sa part distributive. Et qu'on ne vienne pas alléguer l'insuffisance du produit de la remonte pour refuser à certains dépôts des étalons qui leur étaient précédemment accordés, et les rayer insensiblement de la liste de répartition, ainsi que cela a eu lieu pour cette année dans mon arrondissement. Cette mesure, dont je me plains à bon droit, était d'autant moins justifiée que les agriculteurs de mon pays n'ont pas à se reprocher de s'être montrés ingrats envers le gouvernement qui a placé des étalons dans les environs de leurs communes. Ils ont fait des efforts intelligents, tenté des expériences de croisement et d'amélioration qui n'ont pas été sans résultats. Il n'y a donc qu'à persévérer dans cette voie.
Or, c'est ce qu'on n'a pas fait. On a, au contraire, supprimé pour cette année (1856), dans l'arrondissemeut que je représente, la station permanente établie à Walcourt depuis deux ans. Elle avait été placée précédemment à Marienbourg, puis à Senzeilles. A Marienbourg il y avait toujours deux étalons. A Senzeilles le nombre s'est réduit à un seul ; la station avait été pourtant bien choisie, chez un bon éleveur. Assurément c'était l'encourager fort mal que de ne pas même lui laisser matière à choisir, pas plus qu'aux éleveurs et aux cultivateurs des environs.
C'est ainsi qu'au lieu d'aller en progressant on a marché en reculant, pour tomber dans le néant en 1856. Il est difficile de comprendre une pareille manière de procéder.
J'engage vivement le gouvernement et l'administration du haras à adopter un autre système de conduite. Autrement il s'expose à être accusé ; à tort ou à raison, de certaines préférences pour des localilés qui deviennent ainsi, par le fait, des localités privilégiées. Nous fournissons, après tout, notre quote-part au subside qu'il s'agit de voter. C'est bien le moins que nous soyons tous égaux devant la répartition comme nous le sommes devant la cotisation. On dira, à la vérité, que le nombre des étalons est restreint ; soit. Mais alors, n'accumulez pas sur un seul point les ressources qui nous restent. Je réclame donc instamment, pour cette année courante, le rétablissement de la station permanente à Walcourt.
En ce qui concerne mon opinion relative à l'amélioration de la race chevaline, je n'aurais qu'à reproduire ce que j'ai dit dans différentes sessions. Je me borne à le confirmer. Je ne terminerai pas, toutefois, messieurs, sans réclamer le soin le plus minutieux dans les rapports (page 514) faits par l'administration des haras. Tous les renseignements, de quelque nature qu'ils soient, ont leur utilité pour nous mettre à même de juger des résultats obtenus et pour démontrer que l'on ne s'écarte pas des principes qui doivent diriger les systèmes d'amélioration applicables aux races chevalines des divers services.
M. Thiéfry. - Si je prends aujourd'hui la parole, c'est uniquement pour faire ressortir la nécessité du maintien du haras dans un intérêt général, dans celui de la défense du pays.
L'honorable M. Van Cromphaut demande nettement la suppression du haras.
MM. David, de Naeyer, Vander Donckt et Mascart proposent une réduction de 52,000 fr. sur la somme pétitionnée pour le matériel et l'achat d'étalons. C'est aussi demander la suppression du haras. L’honorable M. David l'a déclaré, il ne saurait d'ailleurs en être autrement par l'adoption de l'amendement. Car en marchant chaque année de suppression en suppression, bientôt il ne resterait plus que le souvenir de cet établissement.
On ne veut plus du haras, dit M. Van Cromphaut, parce que les commissions de cavalerie, malgré la meilleure volonté, ne trouvent pas à acheter des chevaux de troupe. Quand on sait que tous nos fermiers font travailler leurs poulains à l’âge de 2 ans et demi, on n’est nullement étonné qu’à l’age de 4 1/2 ou 5 ans, ces chevaux ne sont plus propres au service militaire ; mais complétez l’institution et au haras joignez un dépôt de remonte, achetez à l’éleveur les poulains de 3 ans, et bientôt, messieurs, vous aurez facilité la production à tel point qu’il ne faudra pas dix ans pour que chacun apprécie les avantages réels que le pays en retirera.
Vous vous rappelez encore tous, messieurs, les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte en janvier 1854. Afin d'éclairer la Chambre et le pays, M. le ministre de l'intérieur nomma une commission le 6 avril de la même année. Toutes les provinces y étaient représentées, les membres de cette Chambre qui sont les plus hostiles au haras en faisaient également partie. Cette commission a été saisie d'une proposition ainsi conçue :
« La commission appelle l'attention du gouvernement sur les avantages qui résulteraient, pour l'élève du cheval, de l'établissement d'un dépôt de remonte. »
L'amendement suivant a été ensuite proposé.
« Subsidiairement, elle exprime le vœu que l'achat à l'intérieur des chevaux de remonte pour l'année se fasse d'après des règles invariables, tant pour le nombre que pour les qualités de chevaux, et que des facilités plus grandes soient données aux éleveurs. »
Après une longue discussion, la proposition principale a été adoptée par 17 voix contre 3 ; et l'amendement à l'unanimité moins 2 abstentions.
On peut donc dire que la commission a reconnu qu'il résulterait de grands avantages pour l'élève du cheval si on établissait un dépôt de remonte.
Mais la commission n'a pas eu à examiner si le dépôt de remonte était d'une absolue nécessité pour l'armée, c'est l'opinion que j'ai émise en janvier 1854 et la guerre d'Orient n'a fait que me fortifier dans ma manière de voir.
Personne ne niera que le dépôt de remonte ne soit un moyen d'obtenir des chevaux d'armes, en même temps qu'il facilite à l'éleveur la vente de ses produits. Eh bien, à mon point de vue, si la Belgique peut se procurer les chevaux pour mettre son armée sur le pied de guerre, même avec de grands sacrifices d'argent, je consens volontiers à abandonner l'idée de la formation d'un dépôt de remonte. Mais faire chaque année une dépense de 32 à 36 millions et ne pas avoir en chevaux les ressources nécessaires pour mettre la cavalerie et l'artillerie sur le pied de guerre, c'est une grande imprudence, c'est s'exposer à perdre en un seul jour le fruit des dépenses considérables faites pendant de longues années.
Cette situation que j'indique est-elle exacte ? Consultez les faits. Ce ne sont pas des arguments que j'invoque en faveur de mon système, c'est un danger dans lequel nous nous sommes trouvés plusieurs fois et que je veux encore rappeler afin de convaincre les plus incrédules.
Pour mettre l'armée sur le pied de guerre, il faut acheter 7,000 chevaux. Quand la Belgique devra donner cette extension à son armée, il est évident que la France et l'Allemagne auront aussi les leurs, prêtes à entrer en campagne : ces pays se trouveront dans l'obligation d'acheter beaucoup de chevaux, ils en défendront la sortie de leurs Etats. Sans parler des embarras que nous avons éprouvés en 1839, je citerai la situation de l'armée en 1848 et 1852, situation dépeinte, au sein de la commission, militaire, par un lieutenant générail qui, en raison de son arme, était parfaitement à même de donner des renseignements exacts.
Vous savez tous, messieurs, qu'en 1848, le pays a été menacé d'une invasion, la Chambre mit des sommes considérables à la disposition du ministre de. la guerre, on fit de grands efforts pour se procurer des chevaux, et combien en lrouva-t-on ? 900 en trois mois etdcmi et encore quels chevaux ! la plupart n'auraient pas supporté 15 jours de campagne ; les faits sont encore là pour prouver ce que j'avance, puisqu'un certain nombre fut vendu aussitôt le danger passé, on préféra conserver les anciens. Je n'en fais pas reproche à qui que ce soit, il y avait nécessité à avoir sur-le-champ des chevaux tels quels ; il en fallait, c'était le premier besoin.
En 1852, pour se mettre encore sur ses gardes, on passa un marché d'urgence le 1er février, et le 10 mars on n'avait que 436 chevaux. Aujourd'hui c'est un fait acquis, un fait incontestable, la Belgique ne produit guère de chevaux propres à l'armée. Pour combler cette lacune, elle doit avoir recours aux pays étrangers, et si elle trouve cette porte fermée, elle est dans l'impossibilité de compléter les cadres de la cavalerie et de l'artillerie.
Le danger que je viens de signaler a existé dans tous les pays, en France, en Prusse, en Autriche et ailleurs. Comment y a-t-on remédié ? Par des haras et des dépôts de remonte, entretenus aux frais de l'Etat.
En France, l'administration actuelle des haras date de 1806, elle fut excessivement négligée sous la restauration, on achetait également en pays étranger la plus grande partie des chevaux nécessaires à l'armée, et lorsque en 1823 on dut faire la campagne d'Espagne, on ne trouva guère en France de chevaux propres au service.
En 1825, l'administration des haras fut réorganisée, on stimula le zèle des éleveurs par des encouragements, on augmenta les dépôts de remonte, on acheta dans le pays la presque totalité des chevaux de cavalerie et d'artillerie ; et aujourd'hui la France, en état de paix, peut pourvoir aux besoins de son armée ; pour obtenir de semblables résultats, elle n'a reculé devant aucun sacrifice, persuadée qu'elle était que ces sacrifices était de l'argent bien employé dans l'intérêt général du pays et dans celui de sa propre défense.
Je vous ai déjà dit, messieurs, dans une session précédente, qu'en 1848, un arrêté du pouvoir exécutif avait prescrit la création d'un conseil supérieur des haras au ministère de l'agriculture et du commerce, et que le général Lamoricière avait fait un très remarquable rapport sur les travaux de 1850, et à la suite duquel l'allocation des haras qui était de 1,507,100 fr. de 1848, a été portée au budget de 1854, à 2,840.000 francs. Comparez, messieurs, ce chiffre avec la somme sur laquelle nous discutons, et dites-moi, tout en ayant égard à la différence des pays, si nous sommes prodigues ou parcimonieux.
Cette administration, en France, comprend aujourd'hui :
2 haras,
22 dépôts d'étalons,
1 dépôt de remonte d'étalons à Paris,
20 dépôts de remonte dans les départements,
2 écoles de dressage pour chevaux d'officiers.
A ces divers établissements, il y a un personnel nombreux qui ne compte point dans les cadres de la troupe.
La France a déjà recueilli le fruit de ses sacrifices ; j'ai constaté qu'en 1823 il y avait pénurie de chevaux de troupe ; en 1831 le nombre des dépôts de remonte fut élevé à 10, et ils fournirent en moyenne 5,200 chevaux par an pendant dix ans.
En 1840, alors qu'une guerre générale paraissait imminente, la France ne trouva chez elle que 9,000 chevaux ; en 1834, avec l'augmentation des dépôts de remonte que je viens d'indiquer, elle obtint les 7,000 chevaux pour la remonte annuelle, et elle acheta en outre plus de 32,000 chevaux dans ses départements.
La Russie, l'Autriche, la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg et d'autres pays encore, ont également des haras et des dépôts de remonte. La Russie même, quoique possédant bien des chevaux, vient en peu d'années d'introduire chez elle 12,000 poulinières qu'elle a réparties dans ses colonies militaires.
Il ne faut donc pas qu'on vienne contester l’utilité de ces établissements, et nulle part, on ne trouve ni des particuliers, ni des sociétés pour les diriger, sauf en Angleterre, parce que ce pays est tout exceptionnel pour la race chevaline et pour les fortunes. Partout c'est le gouvernement qui les administre ; la raison en est bien simple : aux sociétés il faut des bénéfices immédiats, tandis que les dépôts de remonte ne produisent leur effet qu'au bout de longues années, et encore, ce n'est que pour autant qu'on y adjoigne des haras.
Sans le haras, le dépôt de remonte devient inutile ; sans le dépôt de remonte, le haras ne peut pas, à mon avis, rendre tous les services qu'on doit en attendre ; c'est le producteur d'un côté et le consommateur de l'autre.
J'ai voulu m'éclairer sur la possibilité d'obtenir facilement l'espèce de cheval pour l'armée. Je sais bien que toutes les localités ne sont pas propres à l'élève du cheval, mais j'ai acquis la certitude qu'il existe de bonnes juments dans les provinces de Brabant, de Hainaut et de Namur ; dans la province de Flandre orientale vers Grammont et Audenarde, dans la province de Flandre occidentale vers Bruges et Courtrai, dans le Luxembourg au moyen de juments ardennaises et du cheval de pur sang, soit anglais, soit arabe, on obtiendrait pour la cavalerie légère des chevaux aussi sobres que résistants.
De ce que la grande commission militaire ne s'est pas occupée des dépôts de remonte, un honorable membre de cette Chambre en a inféré en 1854 que les besoins de l'armée n'étaient pas en cause ; c'est là une erreur, les haras étant dans l'administration du département de l'intérieur, la commission militaire n'en a pas délibéré ; et du reste l'eût-elle complètement oublié, je n'en persisterais pas moins dans mon opinion ; je demanderai s'il est vrai, oui ou non, que l'armée ait été dépourvue de chevaux en 1848 et 1852, je demanderai encore si les dépôts de remonte ne diminueraient pas considérablement ces difficultés.
(page 515) Cet honorable membre m'a encore objecté que le grand Frédéric trouva plus sage d'acheter à l'étranger les chevaux nécessaires pour sa cavalerie, que de les faire naître dans son pays aux frais des contribuables par l'établissement du haras. Cet honorable membre a eu parfaitement raison, le grand Frédéric agissait comme on le fait en Belgique, il achetait ses chevaux de remonte au-dehors. On aurait dû, pour être impartial, rappeler les mille vexations qu'essuya le roi de Prusse. J'en citerai quelques-unes.
D'abord c'est la Pologne qui relire l'autorisation de sortie et de transit des chevaux, puis ce sont les nobles polonais qui prélèvent un impôt pour le passage des chevaux sur leurs domaines.
En 1775 la Russie apporte les mêmes entraves. En 1776 elle envoie même sur sa frontière un régiment de hussards pour interdire le passage de 300 remontes destinées à l'armée prussienne.
En 1778, la Prusse achète 2,000 chevaux dans la Moldavie et la Valachie ; elle les paye en partie aux marchands de la localité, et tout à coup, l'hospodar, à l'instigation du gouvernement autrichien sans doute, interdit la sortie de toutes ces remontes. Un fournisseur de Breslau présenta an cabinet de Berlin, à cette occasion, une réclamation de 18,116 ducats pour indemnité des frais et pertes qu'il avait subis, par suite de cette prohibition.
On comprend facilement, messieurs, qu'en présence de semblables difficultés, la Prusse ne pouvait pas maintenir longtemps son mode de recrutement pour la cavalerie ; aussi dans l'année même de la mort du Grand Frédéric, en 1786, on créa en Prusse trois haras avec dépôt de remonte ; l'un à Trierdorf, les deux autres à Trakenen et Neustad. Aujourd'hui ce pays possède quatre grands haras, dix dépôts d'étalons et de très nombreux dépôts de remonte.
La Prusse est peut-être le pays qui a retiré le plus grand profit de cette organisation, car les progrès de la race chevaline ont permis au gouvernement, moyennant une légère indemnité annuelle, délaisser en temps de paix chez les cultivateurs plus de 40,000 chevaux qui sont enrégimentés, qui servent aux exercices de la Landwehr, et dont les propriétaires doivent, au premier appel, faire la livrance aux corps auxquels ils appartiennent.
De tels progrès n'ont pas pu être réalisés en un seul jour, il faut du temps pour que les haras produisent de semblables développements. Ainsi, créés en Prusse, en 1786, ce ne fut qu'en 1819 que l'armée put se remonter sur une grande échelle dans le pays, et en 1833 elle trouva des ressources complètes. Ainsi donc, il a fallu trente-trois ans pour obtenir un premier résultat et quarante-sept ans pour atteindre le but qu'on s'étaii proposé. Et cela dans un pays où l'administration des haras a pu, dès le premier jour, marcher d'un pas ferme et assuré. En Belgique, l'administration des haras date de 1357 et chaque année, on ébranle cette institution, on cherche à la renverser.
Plusieurs membres de cette Chambre m'ont exprimé la crainte que le dépôt de remonte ne devienne coûteux pour l’Etat : si cela était vrai, et que la somme ne fût pas trop considérable, il y aurait encore à voir si les avantages retirés par le pays ne compenseraient pas largement le sacrifice ; mais je suis intimement convaincu au contraire que les chevaux de l'armée ne coûteraient pas plus cher que les chevaux étrangers.
Il y a en effet des prairies au camp de Beverloo où les chevaux seraient mis au vert à dater du mois de mai, époque à laquelle les troupes vont au camp. Puis on y trouve de nombreuses casernes et des écuries où les chevaux pourraient passer l'hiver.
Quant au personnel, au lieu de le prendre en dehors des cadres, comme en France, rien n’empêcherait de le choisir dans les troupes à cheval dont il serait détaché ; il n'en coûterait donc pas une obole de plus. J'ai consulté des officiels de cavalerie ; il résulte des renseignements obtenus qu'un cheval de 3 ans, acheté 600 francs, ne coûterait pas plus à l'Etat, lorsqu'il serait livré au régiment, que le coût du cheval étranger ; on aurait des chevaux acclimatés dont on ferait plus vite usage, qui dureraient plus longtemps, et on faciliterait en outre la production dans le pays.
Je profiterai de l'occasion qui se présente pour appeler l'attention de M. le ministre de ia guerre sur des observations que j'ai présentées à la Chambre il y a quatre à cinq ans.
En France, en Prusse, en Autriche et ailleurs encore, on donne aux officiers subalternes des chevaux qui deviennent leur propriété au bout d’un certain temps de durée. Il existe en France des dépôts de remonte pour ces sortes de chevaux. Si on adoptait la même mesure en mettant les traitements en rapport avec cet avantage, il en résulterait une économie pour l'Etat, puis on éviterait la ruine de ces officiers qui, ayant le malheur de perdre un cheval, sont dans une fâcheuse position pendant plusieurs années.
Je vous ai parlé, messieurs, d'un rapport du général Lamoricière ; permettez-moi de vous en citer un passage qui s’applique entièrement à la situation de la Belgique :
« Si le cheval, et particulièrement celui qui nous manque, n'était qu'un objet de luxe, comme tant d'autres que la France achète à l'étranger, l'infériorité de la production nationale à eet égard n'aurait pas été l'objet de tant de préoccupations : mais le cheval qui nous fait défaut, nous l'avons dit, c'est le cheval de guerre, celui que, pour sauvegarder l'indépendance et l'honneur du pays, nous devons faire naître et élever sur notre territoire.
« S'il faut mettre notre cavalerie sur le pied de guerre, nous sommes obligés d'avoir recours à l'étranger.
« Ce funeste expédient nous manquerait au moment même où la nécessité rendrait les besoins plus impérieux ; car si la guerre devenait imminente, les puissances étrangères fermeraient leurs frontières. Et tandis que n'ayant plus à redouter notre concurrence sur leurs propres marchés, elle y trouveraient à vil prix les chevaux que notre commerce de luxe va leur demander chaque année, l'impossibilité de suffire à l'entretien de nos troupes à cheval sur le pied de guerre ne nous laisserait alors d'autres ressources que celles, trop souvent employées, des réquisitions : moyen extrême et désastreux qui ruine en un seul jour, et pour de longues années, l'avenir de la production du pays ! »
Je terminerai ce que j'ai à dire, à propos de l'amendement présenté, en vous exprimant franchement et consciencieusement toute ma pensée.
Il est nécessaire qu'on en finisse une bonne fois avec ces discussions annuelles et ces attaques incessantes contre le haras. Par le vote que vous avez à émettre, vous pouvez le faire disparaître, et empêcher l’établissement d'un dépôt de remonte : mais aussi, messieurs, vous assumerez la responsabilité qui pèsera sur vous, lorque l'ennemi sera à nos frontières, et qu'il faudra laisser la cavalerie à pied, et l'artillerie de campagne dans les places fortes, à défaut de chevaux, pour traîner les canons.
M. de Naeyer, rapporteur. - L'honorable baron de Steenhault, en commençant son discours, a prétendu que les commissions qui ont été nommées jusqu'ici par le gouvernement, sont avant tout compétentes pour décider la question qui nous occupe en ce moment, et que la Chambre serait pour ainsi dire incompétente. Je suis étonné d’une chose, c'est qu'après avoir posé ces prémisses, l'honorable membre ait cru devoir entrer dans de longs développements sur la question du haras.
En effet, pourquoi discuter d'une manière approfondie devant une assemblée, dont on commence par contester la compétence, pourquoi parler longuement devant des personnes qui ne seraient pas à même de juger les questions qu'on soulève ?
Je crois que la Chambre, la Chambre seule est compétente pour apprécier souverainement, au point de vue de l'ensemble des intérêts du pays, la question de la suppression ou du maintien du haras. Le grand inconvénient de toutes ces commissions instituées par le gouvernement, c'est de se placer à un point de vue exclusif, mais il appartient à la Chambre d'envisager la situation du pays dans son ensemble. Il appartient à elle seule de peser mûrement les charges qu'il s'agit d'imposer aux contribuables.
Je soutiens que jamais le gouvernement ne peut enlever à la Chambre, par la nomination d'une commission, la connaissance de ce genre de questions. A entendre l’honorable M. de Steenhault, les commissions nommées par le gouvernement sont seules les véritables représentants, les représentants directs et naturels des intérêts de l'agriculture ; car, dit-il, si la représentation de l’agriculture n'est pas là, où serait-elle ? Nulle part. C'est faire bon marché des droits de la Chambre, et c'est dénaturer singulièrement la valeur du mot « représentation » dont il ne faut pas abuser ; car la représentation forme la base de tout notre édifice politique.
Il n'y a qu'une seule représentation, c'est la représentation émanant de la volonté du pays, exprimée non pas dans les comices agricoles, mais dans les comices électoraux, réunis en vertu de la Constitution. Où en serions-nous si le gouvernement pouvait élever représentation outre représentation, s'il pouvait dépouiller ainsi indirectement le parlement de ses prérogatives les plus précieuses, et prétendre que les membres d'une commission nommée par lui sont seuls compétents pour juger les questions les plus intimement liées aux intérêts du pays et à notre situation financière ?
Des commissions instituées pour nous donner des éclaircissements, je le conçois, mais des commissions qui nous enchaîneraient en quelque sorte par l'autorité de leurs votes et de leurs décisions, cela est inadmissible.
L'honorable ministre de l'intérieur et plusieurs honorables membres après lui ont beaucoup regretté que l'existence du haras soit mise chaque année en question. Mais il n'y aurait qu'un seul moyen pour remédier à cet inconvénient, si c'en est un, ce serait de faire une loi organique du haras. Je ne sais s'il entre dans les intentions de M. le ministre de l’intérieur d'attacher son nom à une œuvre de stabilité de ce genre. Si cela était, peut-être la discussion pourrait-elle être ajournée ; mais je crois qu il n'en fera rien.
Je pense qu'il comprend parfaitement que le haras ne résisterait pas à une pareille épreuve. On aime mieux le glisser dans un petit coin du budget, dans l'espoir de le faire passer « cum cœteris ».
Par conséquent le haras, qui ne fait certainement pas partie de notre Constitution et qui n'est établi par aucune loi, n'existe absolument qu’en vertu du budget, or le budget doit être examiné et discuté chaque année, par conséquent le haras doit aussi subir chaque année un nouvel examen et une nouvelle discussion, c'est là le jeu régulier de nos institutions.
D'ailleurs les existences ministérielles peuvent être discutées non seulement chaque année, mais même chaque jour. Pourquoi le haras serait-il plus privilégié que les ministres ?
Je dis qu'il est bon dans l’intérêt du pays, dans l'inteiêt de nos finances, que le haras soit bien examiné, discute et connu. S’il n'en est pas (page 516) de même à l'égard de cet établissement, cela prouve contre lui ; car ce qui est bon sous tous les rapports n'a qu'à gagner à être examiné et connu de près.
On a passé en revue tous les votes des commissions gouvernementales qui se sont successivement occupées de cette question que nous discutons en ce moment ?
Je vais passer en revue les votes de la Chambre. Je crois que c'est plus parlementaire.
A l'occasion du budget de 1853, on présenta un amendement qui tendait à réduire le crédit alloué pour le haras.
Cet amendement fut repoussé, si je ne me trompe, dans la séance du 30 novembre 1852, par 40 ou 41 voix contre 15 ; vous le voyez, la majorité est écrasante ; aussi, je me rappelle fort bien que les amis dévoués du haras rayonnèrent de joie et de bonheur.
L'année suivante, il y eut une discussion plus approfondie et plus radicale.
On posa alors hardiment la question de savoir si une somme quelconque devait être allouée au budget pour l'achat d'étalons. C'était la question de l'existence du haras ; eh bien, cette question posée dans la séance du 1er février 1854, ne fut résolue affirmativement que par 46 voix contre 35.
Il n'y eut donc plus qu'une majorité de 11 voix. Vous voyez que le haras avait perdu beaucoup de terrain.
Aussi, ce vote significatif, provoqué par un discours très remarquable de l'honorable M. Mascart, qui s'était chargé d'étudier la question à fond, en présence de faits qu'il était plus à même de recueillir que personne, ce vote, dis-je, amena une véritable désolation dans le camp d'Israël.
Le gouvernement lui-même sentit que son établissement hippique menaçait ruine, et il jugea convenable de l'étançonner par une commission ; c'est un genre d'étançon très usité, comme vous savez, dans les régions administratives.
La commission s'occupe donc du haras, et elle déclare à une immense majorité que c'est une institution excellente, qu'il faut absolument conserver pour l'honneur du pays. Messieurs, règle générale : toutes les commissions nommées par le gouvernement sont toujours admirablement disposées pour voter des dépenses ; si leur pouvoir égalait leur bonne volonté, elles créeraient pour le gouvernement de véritables embarras de richesse. Il y a quelques jours à peine, vous eu avez eu un exemple dans les journaux ; il s'agissait d'une commission spéciale chargée d'examiner la question de la marine militaire.
Cette commission, très compétente aussi trouve qu'il n'y a rien de plus simple que de dépenser cinq millions pour commencer, plus 2 à 3 millions par an ; et en effet, quoi de plus agréable au monde que de dépenser toujours, quand on n'a pas à battre monnaie, quand on n'a pas à se préoccuper de cette malheureuse idée de créer des ressources ? C'est vraiment dommage que les budgets ne puissent pas être votés par les commissions nommées par le gouvernement ! C'est alors que vous verriez ces magnifiques collections de variétés budgétaires déjà dignes aujourd'hui d'admiration, prendre des proportions bien autrement larges et grandioses et le pays ministériel où les roses portent encore des épines, deviendrait un véritable Eldorado. Mais malheureusement la Constitution met obstacle à tout cela.
Voilà donc le haras régénéré par une commission gouvernementale et jugé digne de prendre une belle place dans la longue liste des établissements de l'Etat ; mais il lui arrive d'avoir de nouveau à compter avec la Chambre. C'était, si je ne me trompe, le 28 mai dernier. La Chambre est appelée à s'occuper encore du haras d'une manière incidente ; et jamais il ne fut prouvé plus clairement que les commissions nommées par le gouvernement, et les assemblées nommées par les électeurs dans toutes les classes de la société, sont loin d'être toujours du même avis ; car enfin, dans cette dernière circonstance, le haras n'obtient plus qu'une majorité de cinq voix ; en 1852, il avait obtenu une majorité écrasante de 26 voix ; en 1854, cette majorité se trouve réduite à 11 voix, et en 1855, la majorité est de 5 voix seulement.
Ce n'est pas tout ; lors du vote de 1855, deux membres se sont abstenus en déclarant qu'ilsélaient contraires au haras, mais qu'ils croyaient le moment inopportun de le supprimer, la question se présentant d'une manière incidente ; d'autres, notamment l'honorable M. Osy, ont donné un vote favorable uniquement pour le même motif ; d'autres encore n'ont pas voulu voter contre le haras, parce qu'ils trouvaient qu'il était fâcheux de faire coïncider le décès de cet établissement avec la naissance d'un nouveau ministère.
Toutes ces considérations de circonstances n'existent plus aujourd'hui. La question ne se présente plus d'une manière incidente, elle se produit naturellement à l'occasion du budget de l'intérieur. Il a été même entendu au mois de mai dernier que la question serait examinée à fond lors de la discussion de ce budget, et tout le monde comprendra, j'en suis convaincu, que la politique doit rester absolument étrangère au haras ; car en la mêlant à cette affaire-là, on s'exposerait évidemment à recevoir de nombreuses ruades.
Vous le voyez, messieurs, la situation du haras vis-à-vis du parlement n'est pas brillante ; il y a un mouvement de recul parfaitement constaté, mais sa situation vis-à-vis du ministère est plus déplorable encore, car parmi les ministres qui ont droit de prendre part aux votes de la Chambre, il y a absolument partage de voix à l'endroit du haras ; or, le partage de voix, c'est le rejet. En 1854, lorsqu'il s'agissait de savoir s'il y aurait au budget une somme quelconque pour l'achat d'étalons, je me rappelle fort bien, je me rappelle même avec bonheur que MM. Dumon et Vilain XIIII résolurent cette question par un « non » énergique.
Je ne puis pas croire que ces messieurs aient changé d'opinion parce qu'ils sont devenus ministres. Il ne sera jamais possible de dire, j'en suis bien persuadé, que ces honorables ministres, dont la loyauté de caractère est si bien connue, ont trouvé dans leur conscience deux opinions diamétralement opposées, l'une comme député ministre et l'autre comme simple député ; et quant à l'homogénéité du ministère, elle ne saurait être ici en jeu. Jamais on n'a soutenu que ce principe doit s'étendre jusqu'aux questions relatives aux animaux domestiques.
Maintenant que conclure de l'ensemble de tous ces faits ? Je crois qu'il n'y a qu'une seule conclusion raisonnable à en tirer, c'est que le haras, comme institution du gouvernement, touche réellement à la fin de sa carrière, et que les travaux plus ou moins considérables qui ont été exécutés dans le cours de cet été ne serviront en réalité, ainsi que j'ai encore eu occasion de le dire, qu'à lui élever un superbe mausolée dans la splendide demeure des anciens moines de Gembloux.
D'ailleurs, comment est-il possible qu'un établissement dont l'utilité est si vivement controversée par un si grand nombre de membres de celtt Chambre puisse rendre des services, alors surtout que ses partisans prétendent que la stabilité est une condition « sine qua non » de son utilité ?
Je pense donc que l'amendement de l'honorable M. David est un véritable bienfait pour cette nouvelle industrie chevaline à laquelle beaucoup de membres s'intéressent vivement. L'honorable M. David ne propose pas de démonter brusquement le haras ; il ne veut qu'une seule chose, c'est d'empêcher qu'il ne soit remonté artificiellement ; car cette remonte artificielle avec les deniers du contribuable, c'est là ce qui fait le malheur du haras, ce qui est pour lui un danger permanent d'une mort violente.
Et c'est de cette mort violente que l'honorable M. David veut le préserver ; il veut ménager la transition de cet établissement entre les mains de l’industrie privée, où il trouvera son assiette naturelle et normale, où il sera à l'abri de tous ces débats parlementaires, qui ne lui conviennent aucunement.
Messieurs, voici la situation actuelle des étalons de sang noble appartenant au gouvernement. Nous avons un étalon arabe pur sang occupé en ce moment, si je ne me trompe, à améliorer la race ardennaise. Nous avons, en outre 52 étalons anglais, savoir : 16 pur sang, 8 trois quarts sang et 28 demi-sang ; enfin nous possédons encore cinq étalons anglo-normands, dont un trois quarts sang et les autres demi-sang.
En tout 58, dont 50 appartiennent au dépôt central, et 8 sont placés chez les particuliers en station permanente.
Quelles seront relativement à ce matériel vivant les conséquences de l’adoption de l'amendement de M. David ? L'entretien de ces 58 reproducteurs d'élite nécessite annuellement une dépense d'environ 88 mille fr. y compris le personnel affecté à leur service, et le loyer des bâtiments où ils sont hébergés ; eh bien, l'honorable M. David et les cosignataires de sa proposition sont disposés à voter cette dépense ; l'existence du haras est donc assurée pour cette année, mais ce que nous refusons,, c'est de voter en outre une somme de 50,000 francs destinée à augmenter encore le nombre des reproducteurs indiqué ci-dessus, et par suite du refus de ce dernier crédit, les éleveurs seront avertis qu'il n'entre plus dans les intentions de la Chambre de voter les fonds pour assurer à perpétuité l'avenir de cet établissement, ils seront avertis qu'après avoir reçu des faveurs considérables à charge du trésor public, ils doivent s'habituer à marcher avec leurs propres forces et à se passer enfin des béquilles du gouvernement.
Or, s'il est vrai que ces éleveurs, ainsi que le disent les honorables. MM. Faignart et de Steenhault, ont réalisé tant de bénéfices, si entre leurs mains la nouvelle industrie est devenue plus avantageuse que l'ancienne, ils se mettront évidemment en relations avec le gouvernement pour reprendre les étalons qu'il possède encore, et pour l'entretien desquels on pourra leur accorder des primes analogues aux primes de conservation accordées pour les étalons de la race indigène ; évidemment tous les avantages de la nouvelle industrie qu'on a fait sonner bien haut, n'ont pas été inventés « ad commoditatem causœ », les éleveurs ne resteront pas les bras croisés ; ils feront des propositions au gouvernement et il y aura moyen de s'entendre. Sous ce rapport, l'amendement de l'honorable M. David est éminemment propre à amener une solution favorable à la nouvelle industrie, s'il est vrai qu'elle trouve de véritables éléments de succès dans le pays et qu'elle réponde à des besoins, à des intérêts réels et non factices.
Examinons la question de plus près. Je conçois qu'un particulier ferait une opération ruineuse s'il créait un dépôt d'élalons de sang noble, parce que le prix des saillies ne suffirait pas pour couvrir les intérêts du capital engagé dans l'entreprise et en outre la charge de l'amortissement et les frais d'entretien des reproducteurs ; mais on perd de vue que tout n'est pas réduit ici aux efforts individuels.
Pour réaliser de grandes entreprises, nous pouvons compter aussi sur l'esprit d'association qui a fait depuis quelque temps de grands progrès et qui a su mettre à exécution des projets d'une immense importance, exigeant un capital de plusieurs millions. Pourquoi les éleveurs, stimulés par les bénéfices qu’ils ont réalisés, ne fonderaient-ils pas une (page 517) société dans le but de se procurer et d'entretenir à frais communs les reproducteurs dont ils ont besoin pour continuer une industrie qu'ils ont su rendre lucrative ? Et puis s'il est vrai que la production du cheval croisé a tant d'avenir en Belgique, ils pourraient former un haras complet, c'est-à-dire établir une jumenterie à côté du dépôt d'étalons, afm de procurer en Belgique même les reproducteurs de sang noble, que nous sommes obligés maintenant d'aller chercher en Angleterre, et qui coûtent énormément cher, outre qu'ils deviennent très rares. Encore une fois, si l'industrie nouvelle est adaptée aux besoins et aux intérêts du pays, on trouverait là des compensations aux charges qu'entraînerait l'entretien des étalons.
Ce qui donne encore plus de chances pour la réalisation de combinaisons de ce genre, c'est que la nouvelle industrie chevaline n'est pas disséminée dans toute la Belgique, elle est en quelque sorte concentrée sur une étendue formant environ la huitième partie de notre territoire sur les magnifiques plateaux qui forment le point de partage entre le bassin de la Meuse et celui de l'Escaut, c'ést-à-dire dans le pays de grande culture, où il y a beaucoup de propriétaires cultivateurs possédant de grandes fortunes et où les fermiers eux-mêmes sont généralement riches et disposent des ressources considérables.
On sait que dans cette partie de la Belgique, dont je parle, les cultivateurs tiennent pour leur propre usage plusieurs chevaux de luxe et que les filles des cultivateurs rivalisent comme amazones avec les premières dames de la capitale. Je n'entends aucunement blâmer cela ; au contraire, je trouve très naturel et très légitime que les cultivateurs qui ont de la fortune se permettent les jouissances du luxe, tout aussi bien que les citadins.
Je tiens seulement à constater que ceux qui s'occupent principalement de cette industrie ont des capitaux à leur disposition et possèdent tous les éléments nécessaires pour fonder une association sur les bases que j'aie indiquées. Ces associations auraient d'ailleurs l'avantage de provoquer des réunions entre les éleveurs dans lesquelles ils s'éclaireront mutuellement en raisonnant sur les faits constatés par l'expérience de chacun, ce qui peut avoir les meilleurs résultats pour le progrès de l'industrie ; vous le voyez bien, les éléments ne manquent pas pour former une association, et si cela ne se faisait pas, il faudrait nécessairement en conclure que l'industrie nouvelle n'est pas viable en Belgique, et qu'elle ne peut être maintenue qu'aux dépens du pays.
On a parlé de quelques pétitions qui nous ont été adressées en faveur du maintien du haras aux frais du trésor ; ces pétitions prouveraient tout au plus que ceux qui s'adonnent à la nouvelle industrie trouvent naturellement très commode que le gouvernement prenne à sa charge une partie très considérable de leurs frais de production. Mais supprimez un crédit quelconque au budget, vous aurez des réclamations. L'année dernière, vous avez supprimé l'allocation pour l'industrie séricicole, eh bien, vous avez reçu bon nombre de pétitions qui demandent le rétablissement de ce crédit. Cela prouve tout bonnement que les allocations budgétaires trouvent des parties prenantes.
Vous voyez donc qu'en définitive ces pétitions ne prouvent rien au point de vue de l'utilité publique de l’établissement qui nous occupe, Mais qu'il en résulte uniquement qu'il y a, dans le pays, des personnes qui s'occupent de la production du cheval croisé et qui trouvent très commode d'avoir des reproducteurs à peu près pour rien. D'ailleurs, je pourrais vous donner les détails sur certaines pétitions. Il ne faut pas croire que ceux qui ont demandé des stations d’étalons sont par cela même favorables au maintien du haras. Je me rappelle avoir vu en tête de l'une de ces pétitions le nom d'un honorable conseiller provincial de la Flandre orientale qui, plusieurs fois, m'avait engagé a combattre le haras.
J'étais étonné, et je lui en ai demandé des explications. Il m'a répondu qu'il n'avait pas changé d'opinion, qu'il croyait,toujours que la dépense du haras ne devait pas incomber au trésor public, mais que, pusqu'il existait, il demandait avec d'autres une station dans son canton, que ces stations ne coûtant rien, procurent toujours quelques avantages aux localités qui en sont favorisées, et n'y eût-il qu'un petit nombre d'amateurs qui veulent se livrer à l'élève du cheval croisé, ce serait toujours une grande facilité pour eux de trouver les étalons de l'Etat dans la localité même au lieu de devoir envoyer leurs juments à trois ou quatre lieues de distance. Vous voyez donc que les pétitions sont loin d'être concluantes en faveur de la thèse soutenue par nos honorables adversaires.
On me dira : Puisque vous n'êtes pas hostile à la nouvelle industrie chevaline, puisque vous indiquez les moyens de favoriser son développement, pourquoi ne trouvez-vous pas plus s implede maintenir ce qui existe, de maintenir le haras de l'Etat ? Voici mon principal motif :
Le haras, tel qu'il existe, maintient nécessairement pour la nouvelle industrie chevaline, une position anomale et artificielle. Si vous le supprimez, la position deviendra normale, on se trouvera en présence de résultats véritables, tandis qu'avec l'intervention exagérée de l'Etat, les résultats ne sont pas concluants, puisqu'ils seront obtenus avec les deniers des contribuables, puisque, à l'aide des sacrifices imposés au trésor public, l'intérêt général peut être lésé, alors même que les éleveurs réalisent des bénéfices.
Je crois que le haras doit disparaître de notre budget, parce que cest, d'après moi, une protection exagérée, anomale en faveur d’une industrie nouvelle qui ne peut réclamer le maintien de cette faveur exorbitante qu'en reconnaissant implicitement qu'elle n'est pas en harmonie avec les conditions économiques du pays ; voilà sur quel terrain j'entends établir la discussion.
- Un grand nombre de membres. - A demain !
M. de Mérode. - Si nous restons éternellement sur le haras, nous ne pourrons pas faire autre chose. Je ne demanderais pas mieux que d'entendre discuter pendant six semaines sur le même sujet, si nous n'avions pas autre chose à faire. Mais comme nous avons à nous occuper d'une foule de choses plus importantes que celle de savoir si le gouvernement nourrira ou ne nourrira pas quelques chevaux, je crois que nous devrions en finir sur ce point. L'honorable orateur se concentre entièrement sur la question du haras. Nous avons mille autres questions plus importantes à traiter. Nous ne pouvons passer tout notre temps là-dessus.
M. le président. - J'engage M. de Naeyer à continuer.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je continue.
Je disais donc, messieurs, que je suis contraire au haras, parce qu'il constitue une protection exagérée et anomale en faveur d'une industrie nouvelle qui ne peut pas réclamer cet excès de protection sans reconnaître implicitement qu'elle n'est pas en harmonie avec les conditions économiques du pays.
Messieurs, pour justifier la dépense relative au haras, on s'attaque ordinairement à faire ressortir l'importance de notre industrie chevaline. Cette importance est réelle.
Oui, l'industrie chevaline est une industrie importante dans le pays. Ainsi, je crois que dans ces dernières années la production annuelle a pu être évaluée à 10 millions au moins. C'est à peu près à ce chiffre que se sont élevées les exportations de la Belgique, en fait de chevaux, vers les pays étrangers.
Or, la production a dû suffire non seulement à ces exportations, mais à la remonte des chevaux destinés à notre agriculture et à notre industrie. Je crois dès lors que mon estimation n'est nullement exagérée. C'est donc bien une industrie importante.
Cependant il ne faut rien exagérer. Si vous mettez en regard la production générale de l’agriculture, cela n'en forme guère que la centième partie.
Mais, messieurs, l'erreur la plus grave serait de croire que le haras peut exercer une influence favorable sur cette industrie chevaline qui forme une branche importante de notre production nationale ; c'est ici en quelque sorte le nœud de la question.
Que l'on me permette donc d'entrer dans quelques développements.
L'industrie chevaline se divise principalement en trois classifications fondamentales, savoir : 1° la production du cheval de gros trait ; 2° la production du cheval qu'on appelle de diligence ou de messagerie ; 3° la production du cheval de selle ou à deux fins. Cette classification, messieurs, est basée sur la différence des services que les chevaux sont appelés à rendre, et chacun de ces services exige des formes, des qualités, en un mot un organisme, des allures et des aptitudes essentiellement différentes.
Ainsi, un cheval de gros trait sera excellent dans sa spécialité ; il atteindra dans sa spécialité la perfection, et par cela même il sera détestable comme cheval de course, comme cheval de selle ou comme carrossier, et il sera même très médiocre comme cheval de diligence, dont on exige des allures au trot avec la force nécessaire pour traîner en même temps des poids assez considérables. De même le cheval de diligence, ayant toutes les aptitudes requises pour ce genre de service, sera médiocre comme cheval de gros trait, plus médiocre encore comme cheval de selle. Car chacun de vous a pu éprouver que l'on n'est pas à son aise sur un cheval de diligence. La même considération s'appliquera au cheval à deux fins, qui ne sera que très médiocre comme cheval de gros trait ou comme cheval de diligence.
Vous le voyez donc, ces distinctions sont essentielles, et c'est parce qu'on les a souvent perdues de vue qu'on a commis de grosses erreurs, de grosses bévues. Cette distinction constitue ce qu'on appelle la spécialisation des produits ; c'est en quelque sorte une application de la division du travail qui est la base de tout progrès réel et véritable en matière d'industrie.
Or, je le demande, n'est-il pas démontré pour tout le monde que la Belgique a toujours excellé dans la production du cheval de gros trait, et aussi en partie dans la production du cheval de diligence ? Car les chevaux des Ardennes, les chevaux du Condroz et même ceux du Borinage peuvent jusqu'à un certain point être rangés dans cette catégorie ; ce sont ces spécialités et c'est surtout la production du cheval de gros trait qui oui toujours pourvu le plus largement à tous les besoins de l'agriculture, et à nos besoins les plus essentiels. Ce sont encore ces spécialités qui ont fondé notre réputation commerciale à l'étranger, ce sont ces spécialités qui font affluer les étrangers vers nos marchés, et ce sont encore elles qui alimentent notre commerce d'exportation, commerce considérable, puisque, daus ces dernières années, il s'est élevé à 20,000 têtes par an, donnant au pays plus de 10 millions de francs.
Et, en fait, ces exportations, Vers quels pays ont-ils eu lieu ? Elles ont lieu surtout vers la France et l'Angleterre. Est-ce que l'Angleterre vient nous acheter des chevaux, de luxe ? Non, ce sont des chevaux de gros trait, que nous exportons surtout en Angleterre, et le chiffre de ces exportations a, depuis quelques années, suivi uue progression (page 518) prodigieuse. Dans ces dernières années, nous avons livré à l'Angleterre jusqu'à 8,000 chevaux, chiffre d'autant plus remarquable que l'Angleterre n'exporte pas même vers tous les pays du monde 5,000 chevaux par an. Je ne crains pas d'affirmer que, pour la production des chevaux de gros trait, nous occupons réellement le premier rang. Je pourrais, à cet égard, invoquer un grand nombre de témoignages irrécusables.
Voici notamment comment l'honorable comte d'Yve de Bavay, ancien inspecteur général du haras, s'est exprimé au sein de la commission spéciale instituée en 1854.
« J'ai vu, disait-il, toutes les espèces de chevaux du continent, nulle part je n'ai trouvé un aussi bel ensemble de chevaux de trait que dans notre pays.
« Il serait dangereux d'acquérir des étalons qui pourraient détruire cet ensemble. »
Il ajoutait encore : « Craignez d'altérer une race si parfaite qui donne de si beaux produits. »
L'inspecteur général actuel des haras, l'honorable comte de Marnix parlait dans les mêmes termes. Nous sommes tous d'accord sur ce point, l'honorable M. Faignart me fait un signe d'assentiment ; il envisagé donc la question de la même manière.
M. Faignart. - J'expliquerai demain ces paroles.
M. de Naeyer, rapporteur. - J'ai entendu, disait l'honorable comte de Marnix, M. de Naeyer vanter beaucoup l'excellence de nos races indigènes. Je partage tout à fait son opinion, et je pense que notre pays possède des types de chevaux de gros trait aussi parfaits qu'oui puisse les rencontrer en quelque lieu que ce soit.
M. Trémouroux. - Tout le monde est d'accord sur ce point.
M. de Naeyer, rapporteur. - Fort bien ! Tout le monde reconnaît l'importance, la perfection de notre ancienne race chevaline. Cependant, ce serait une grande erreur de croire que cette ancienne industrie n'a pas de grands progrès à faire. Oui, elle a de grands progrès à faire. Mats je puis constater avec bonheur qu'elle en fait chaque année. Comment ce progrès doit-il être réalisé ? Je crois que l'on est d'accord là-dessus, c'est en améliorant la race par la race.
L'honorable M. Faignart me fait un signe d'assentiment. Nous sommes donc, entièrement d'accord sur les points suivants :
1° Importance considérable de nos anciennes races chevalines ;
2° Impossibilité d'en perfectionner les produits, en conservant les aptitudes spéciales qui font leur valeur, autrement que par la sélection, c'est-à-dire par l'amélioration de la race par la race.
Toutefois je ferai remarquer en passant que l'amélioration de la race par la race ne suffit pas. Je voudrais qu'on y ajoutât une amélioration des conditions hygiéniques et surtout du régime alimentaire. A ces conditions, les progrès que nous faisons maintenant seraient incontestablement plus rapides et plus considérables.
Après avoir constaté l’importance de notre ancienne industrie chevaline, la nécessité de l'améliorer encore, je constate un troisième fait : c'est que le haras ne peut servir en rien à nous amener ce résultat, puisque son but avoué est une altération des types constitutifs des anciennes races afin d'obtenir des produits appropriés à d'autres usages. Mais j'ajoute que loin d'être utile, le haras, est nécessairement nuisible aux progrès de notre ancienne industrie chevaline et cela pour deux motifs que je vais développer en peu de mots.
D'abord vous remarquerez que les partisans du haras exigent, pour qu'on réussisse dans la nouvelle industrie, qu'on emploie les meilleures juments de la race indigène. Quand les étrangers viennent acheter en Belgique des juments d'élite, appartenant à nos races indigènes, on jette en quelque sorte les hauts cris. On dit : L'étranger vient enlever nos meilleurs éléments de production, nos meilleurs moules, cela est déplorable pour l'avenir de notre industrie chevaline. Mais que ces juments servent à faire en Belgique des chevaux croisés ou qu'elles soient employés à l'étranger à faire d'autres chevaux quelconques, le résultat ne sera-t-il pas absolument le même pour notre ancienne industrie chevaline, qui est privée également, dans les deux cas, d'une partie de ses meilleurs éléments de production ?
Il y a un deuxième motif pour lequel le haras est nuisible à l'industrie chevaline, le voici : personne ne peut vouloir raisonnablement, dans la situation économique de la Belgique, forcer par les ressources du budget l'accroissement de la population chevaline. Voici pourquoi : c'est que nous sommes en déficit alimentaire pour notre population humaine et pour notre population chevaline ; nous ne produisons pas assez d'avoine pour nourrir nos chevaux.
Donc, vous aggravez nécessairement cette situation-là si, par les deniers du trésor public, vous provoquez un développement de la population chevaline ; car cette population, pour s'alimenter, fait concurrence à l'alimentation humaine, et cela sans compensation.
Si dont on ne veut pas augmenter la population chevaline en Belgique, et si l’on veut cependant y introduire une nouvelle branche de cette industrie-là, il faut que l'on diminue, que l'on restreigne nécessairement la production des anciennes races.
Or c'est évidemment porter le préjudice le plus considérable à l'ancienne industrie, c'est l'entraver dans la voie du progrès, car jamais une industrie ne se perfectionne mieux que lorsqu'elle peut se développer sur une vaste échelle : plus on produit, mieux on produit. C'est là un axiome incontestable.
Maintenant, je me demande quelle est l'importance de cette industrie nouvelle, pour laquelle on demande des sacrifices considérables au tréspr public et le sacrifice partiel d'une branche importante de notre production nationale. Cette importance, je vais la faire connaître eu peu de mots.
Lorsque nous avons encore au dépôt central 65 à 70 étalons d'élite, de sang noble, nous produisons annuellement en moyenne (je prends la moyenne de*é dix années) quelque chose de plus que 800 poulains, et je constate, en passant, qu'au commencement de la période de dix ans, dont je parle, en 1841, il y avait par année un nombre de poulains plus considérable qu'à la fin de la période de 1850. La différence n'est pas grande. Mais toujours cela prouvé que la nouvelle industrie ne se développait pas.
Nous avons donc 800 poulains.
Le nombre des étalons a été réduit ; la dépense est maintenant calculée en raison de cinquante étalons, conformément aux conclusions de la commission gouvernementale. Donc si nous obtenons encore 700 poulains, je crois que ce sera raisonnable.
Vous comprenez qu'il est impossible pour arriver à un résultat logique de constater la valeur des poulains au moment de leur naissance ; car pour l'industrie chevaline, il n'en est pas comme pour l'industrie manufacturière. Le produit ne se fait pas d'un seul jet, au moment de la naissance.
Il faut encore plusieurs années de dépenses et de soins, pour que le produit soit achevé et acquière sa valeur vénale proprement dite.
Pour la nouvelle industrie chevaline, le résultat est moins prompt que pour l'ancienne. Il est reconnu que le développement du sang noble est plus lent que celui de la race indigène, je pense que pour avoir une évaluation établie sur des bases raisonnables, quant aux produits du haras, il faut attendre l'âge de 4 ans ; c'est alors qu'ils ont acquis à peu près leur valeur vénale.
Je me demande donc ce que peuvent valoir ces 700 poulains provenant chaque année du haras lorsqu'ils sont parvenus à l'âge de 4 ans. S'il fallait suivre, pour établir celle évaluation, toutes les considérations contradictoires qui ont été présentées, il faudrait s'engager dans un véritable dédale de chiffres. On a parlé de 400 fr. ; d'autres sont allés jusqu'à 1,800fr. ; on a parlé de 1,200 fr., de 1,000 fr., enfin ici comme dans les commissions les avis sur ce point ont été extrêmement divergents.
Je crois que ceci est au moins constant, e'est que, quand on veut calculer à l'âge de 4 ans, il y a nécessairement un certain nombre de non-valeurs qui ne peuvent pas être portées en compte, Ensuite, j'admets que le croisement donne quelquefois des produits remarquables ; je ne veux pas être injuste envers le haras : j'ai vu des produits qui avaient beaucoup de mérite ; mais je ne crois pas que ce soit la règle générale. Il y a des produits remarquables, il y en a aussi de médiocres, il y en a même de détestables.
Un fait qui est encore incontestable, c'est que dans cette industrie nouvelle, les mécomptes sont beaucoup plus fréquents que dans l'industrie ancienne. Quand vous vous adonnez à la production des chevaux indigènes, vous n'êtes pas, il est vrai, certains d'avoir de bons produits ; il y a des mécomptes, mais les mécomptes sont moins fréquents, et cela par une raison bien simple.
Quand il s'agit d'appareillement entre des sujets de même race, il s'agit uniquement d'obtenir des produits conformes aux caractères constitutifs des types sur lesquels on opère, sauf des modifications accessoires, mais le croisement est une opération beaucoup plus chanceuse, parce qu'ici on combine deux éléments hétérogènes, d'un organisme essentiellement différent, en vue d'obtenir un produit qui ne soit plus ni l'un ni l'autre, quant aux caractères constitutifs.
Vous êtes donc nécessairement exposés à avoir plus de mécomptes.
Ainsi, à l'âge de quatre ans, un certain nombre de non-valeurs ; ensuite, des mécomptes, c'est-à-dire des produits détestables. Si nous tenons compte de toutes ces circonstances, j'évalue à 400,000 francs la valeur des produits du haras d'une seule année. (Interruption.) Des membres me disent que c'est trop, d'autres disent que c'est trop peu ; je crois qu'il faut se tenir ici entre ces deux extrêmes : « in medio veritas » ; j'évalue donc ces produits à 400,000 francs.
Du reste, j'ai présenté le même chiffre dans le sein de la commission spéciale dont j'ai parlé ; il s'agissait alors de 800 poulains, et cependant personne ne m'a contredit.
Ainsi, vous voyez déjà, messieurs, que cette nouvelle industrie qui fait beaucoup de bruit, qui se donne beaucoup de mouvement, n'a pas une importance considérable. Les produits d'une seule année parvenus à l'âge de 4 ans peuvent être évalués ensemble à 400,000 fr. C'est peu de chose, en comparaison de l'importance de l'ancienne industrie chevaline dont la production annuelle s'est élevée à 10 millions au moins pendant ces dernières années.
Vous voyez que ce n'est guère que la vingt-cinquième partie de la production de l'industrie ancienne.
Ensuite, relativement à nos intérêts agricoles qu'on dit être si fortement engagés dans l'industrie nouvelle, savez-vous ce que c'est que cette nouvelle industrie ? Ses productions n'égalent pas un 1/2 pourr mille de l'industrie agricole.
- Des membres. - A demain.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je commence à être fatigué, et je demande à remettre la suite de mon discours à demain. (Oui ! oui !)
- La suite de la discussion est remise à demain à une heure.
La séance est levée à 5 heures et un quart.