(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 381) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des propriétaires et cultivateurs de Frasnes-lez-Gosselies présentent des observations contre la concession d'un chemin de fer direct de Charleroi à Bruxelles. »
« Mêmes observations de propriétaires et cultivateurs de Mellet »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi relatif au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.
« Les membres du conseil communal d'Horrues prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw et présentent des observations en faveur du chemin de fer propose par la compagnie Dupont-Houdin. »
« Même demande des membres du conseil communal d'Enghien. »
M. Matthieu. - Je viens appuyer les légitimes réclamations du conseil communal d'Enghien, contre la préférence injustifiable donnée au projet de chemin de Luttre à Denderleeuw, au grand préjudice ou plutôt à l'exclusion du projet de la compagnie Houdin et Dupont.
Cette préférence qui surgit tout à coup est d'autant moins explicable, que le projet de Luttre n'a été soumis à aucune commission d'enquête ; Que son système financier serait onéreux pour le trésor ; Qu'il aurait pour effet de rompre l'équilibre pour l'accès direct au marché intérieur entre les diverses sources de production houillère en sacrifiant le bassin du Centre ;
Qu'il foule aux pieds les règles de la justice distributive, en isolant et privant à tout jamais de toute participation à l'industrie et au commerce de nombreuses populations répandues sur plus de 60 lieues carrées et, qui, entourées de toute part des lignes ferrées, ne sont reliées à aucune.
Tandis que le projet de Dupont et Cie se recommande :
Par un droit de priorité incontestable ;
Par la consécration qu'il a reçue au point de vue de l'intérêt général ;
Par l'avis de la commission d'enquête, réunie à Charleroi, le 16 août 1854 ;
Par une équitable pondération de l'intérêt houiller en rapport avec la position géographique des trois bassins du Hainaut ;
Par les relations qu'il ouvre vers les Flandres aux nombreuses carrières de pierres et aux fours à chaux de Soignies ;
Par la réparation de l'injustice si déplorable faite à des populations déshéritées de tout partage aux avantages de la locomotion accélérée en reliant au railway belge les villes du Rœulx et d'Enghien, qui forment le centre de ces populations et pour lesquelles les chemins de fer seraient une calamité, parce qu'ils lui enlèvent lous les autres moyens de locomotion sans aucune espèce de compensation.
Je propose le renvoi de la pétition du conseil communal d'Enghien à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet de Luttre, en appelant l'attention la plus sérieuse de cette section sur l'objet de cette pétition.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants de Feluy présentent des observations en faveur du projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.
« Mêmes observations d'habitants de Lennick-Saint-Quentin. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Waesmunster demande que la loi sur le domicile de secours soit rapportée et que les communes soient tenues d'entretenir les pauvres qui viennent s'y fixer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Mansion, secrétaire communal, déclare adhérer à la pétition des secrétaires communaux, en date du 21 décembre dernier. »
- Même renvoi.
M. Lelièvre. - Je ne puis qu'appuyer la pétition fondée sur les plus justes motifs. Je prie le gouvernement de s'occuper de la question importante qui fait l'objet de la réclamation des pétitionnaires.
« Le sieur Maus, sergent à la 2ème compagnie sédentaire à Vilvorde-, né à Saint-Trond, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le secrétaire communal de Noduwez-Linsmeau demande l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions..
« Des habitants de Leglise demandent le rétablissement du crédit pour distribution de chaux à prix réduit dans la province de Luxembourg. »
« Même demande des membres de l'administration communale de Bras, de Moucy et de Remagne. »
M. de Moor. - Je demande le renvoi de ces requêtes à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport, comme cela a eu lieu pour les autres pétitions du même genre.
- Cette proposition est adoptée.
M. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner les propositions de loi de MM. Coomans et Jacques, concernant les octrois et autres impositions communales.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La mise à l'ordre du jour sera ultérieurement fixée.
M. le président. - Un amendement a été introduit à l'article 91, où l'on a ajouté au libellé les mots : « afin d'acquitter les engagements pris. »
Si personne ne demande la parole, je déclare cet amendement définitivement adopté.
Il va être procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
M. Rodenbach. - Plusieurs membres viennent de me dire qu'ils qu'ils n'ont pas compris que l'amendement avait été mis en discussion.
M. le président. - On ne peut pas invoquer une pareille considération pour faire revenir sur une décision. Il y a décision, il va être procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
Il reste un moyen à ceux qui voulaient voter contre l'amendement, c'est de voter contre l'ensemble du projet de loi.
Il y a décision ; on ne peut pas revenir sur ce qui a été décidé.
M. Rodenbach. - Cela n'empêche pas qu'on n'a pas entendu.
M. le président. - Ceux qui n'ont pas entendu n'avaient qu'à prêter attention à ce que dit le président.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
En voici le résultat :
86 membres répondent à l'appel.
77 membres répondent oui.
1 membre (M. de Ruddere) répond non.
8 membres s'abstiennent.
Ont répondu oui : MM. de Portemont, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Mathieu, Mercier, Moreau, Orts, Pirmez, Rousselle, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de Decker, de La Coste, Delfosse, Deliége, Dellafaille, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs et Delehaye.
M. le président. - MM. de Renesse, de Theux, Dumortier, Moncheur, Osy, Rodenbach, de Haerne et de Man d'Attenrode, qui se sont abstenus, sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de Renesse. - Etant opposé à toute émission de bons du trésor pour faire face aux dépenses ordinaires des budgets, je n'ai pu voter pour le projet de loi allouant un crédit supplémentaire au département des travaux publics ; mais, comme les crédits demandés me paraissent, du reste, justifiés, je n'ai pas voulu donner un vote négatif.
M. de Theux. - N'ayant pas assisté à la séance où l'on a voté la suppression de la commission consultative, je n'ai pas voulu m'associer à ce vote sans, au préalable, déclarer que je me rallie aux observations très judicieuses de M. Malou pour obteuir une organisation légale du chemin de fer, cette adminiseration ne pouvant rester dans l'état précaire où elle se trouve aujourd'hui.
M. Dumortier. - Je n'avais pas de motif pour rejeter le projet de loi, mais, l'adoption de l'amendement ayant pour but la suppression d'une commission indispensable à mes yeux aussi longtemps que l'Etat exploite le chemin de fer, ne me permettait pas de donner un vote approbalif.
M. Moncheur. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai développés assez longuement dans la discussion générale, molifs qui se résument en ceci : Je ne veux pas enrayer l'administration du chemin de fer, mais je ne veux pas non plus l'encourager dans la fausse voie où. elle se trouve, dans les mesures inefficaces qu'elle a prises pour tirer de l'exploitation de notre réseau national tout le produit qu'il peut donner.
(page 381) M. Osy. - Je n'ai pas voulu voter contre le projet de loi qui est destiné à faire face à des besoins justifiés. Mais je n'ai pas pu donner mon adhésion à l'amendement qui a été introduit dans la loi, parce que je crois que pour que le chemin de fer soit bien administré et pour qu'il puisse continuer à être exploité par le gouvernement, une commission de surveillance est nécessaire.
M. Rodenbach. - Je me suis abstenu parce que l'amendement a été vote à l'insu de plusieurs membres de la Chambre.
M. de Haerne. - Une indisposition m'ayant empêcher d'assister à la discussion, j'ai cru devoir m'abstenir parce qu'il m'était impossible de ne rendre compte de mon vote.
M. de Man d'Attenrode. - Je me suis abstenu par les motifs développés par l'honorable M. Dumortier.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis quelque temps l'opinion publique s'est profondément émue à l'occasion d'un incident des plus regrettables qui s'est passé à l'université de Gand. Les pères de famille, les membres du clergé à qui est surtout confié le soin de la conservation du dogme et des principes religieux et qui, certes, comme citoyens belges, ont bien droit à notre sollicitude, se sont profondément émus à la vue des maximes anticatholiques émises par un professeur de cette université.
D'autre part, nous avons été témoins de manifestations d'un autre genre et dans un sens directement opposé. L'émotion du pays allait toujours croissant. Il m'a paru qu'il était nécessaire d'avoir du gouvernement des explications sur ce fait si grave et qu'il n'était pas possible d'attendre plus longtemps ces explications. Vous comprenez, en effet, messieurs, que l'agitation toujours croissante du pays, le grand mécontentement, je dirai l'irritation légitime des personnes qui tiennent à la foi de leurs pères, étaient de nature à nécessiter des explications dans cette enceinte ; et déjà avant notre rentrée, la presse de toutes les nuances avait annoncé qu'elles devaient avoir lieu.
C'est, messieurs, pour ce motif que j'ai demandé à la Chambre de fixer jour pour ces interpellations.
Je sens, messieurs, combien est délicate la position que j'ai à prendre dans ce moment. Les faits dont j'aurai l'honneur de vous entretenir se sont passés sous un cabinet qui compte dans son sein des amis et qui est présidé par un de mes plus intimes amis. Toutefois, messieurs, avant tout le devoir, avant tout ce que commande la conscience, et s'il arrivait que nous nous trouvassions en désaccord sur ce point, soyez assurés que c'est en acquit d'un véritable devoir que je prends aujourd'hui la parole.
Messieurs, dans le mois dernier, peu de jours avant les vacances de cette Chambre, un des professeurs de l'université de Gand, nommé Brasseur, s'est permis, dans un cours de droit naturel, de sortir de la matière de son enseignement pour faire des excursions dans le domaine théologique.
Des élèves qui professent des idées religieuses, hommes de conviction et de foi profonde, ont cru devoir faire connaître à leurs parents les doctrines que le professeur avait enseignées. Ceux-ci se sont émus ; ils sont allés trouver le recteur de l'université pour porter plainte et demander des explications sur ces maximes.
Evidemment les honorables et dignes jeunes gens qui agissaient de la sorte remplissaient un devoir sacré. Ils voulaient conserver les maximes qu'on leur avait inculquées dans leur jeunesse, et certes, ce ne sont pas ceux qui proclament le libre examen qui peuvent prescrire à des jeunes gens de recevoir d'autorité ce qu'on leur enseigne et de ne pas pouvoir exercer, eux aussi, leur libre examen. Ils avaient donc examiné en vertu de leur libre examen en trouvant leur conviction religieuse froissée par les paroles du professeur.
Les parents se rendirent chez le recteur et dans le principe l'affaire paraissait assoupie, lorsque tout à coup des scènes tumultueuses eurent lieu à Gand.
D'autres élèves, au nom du libre examen, vinrent accuser les quatre élèves, dont je viens de parler, de calomnie, de dénonciation, et demandèrent leur expulsion de l'université. Le conseil académique assemblé décida qu'il n’y avait pas lieu d'expulser les quatre jeunes gens dont il s'agit, attendu que le conseil n'avait pas à être saisi de plaintes partant d'autres élèves.
Les choses en étaient à ce point, lorsque le 25 décembre, Brasseur adressa au « Bien public » une lettre dans laquelle il reconnaît avoir professé les points suivants :
« 1° Que la papauté au moyen âge a absorbé la puissance séculière par des usurpations successives et anéanti l'élément subjectif de homme ;
«2° Que je n'aperçois pendant toute la durée du moyen âge qu'un fait : c'est le despotisme théocratique se substituant aux lieu et place de l'Etat et confisquant le principe subjectif au moyen de la force ;
« Enfin, 3° je vois dans la réforme du moyen âge le signal de l'affranchissement de l'esprit humain étouffé sous le joug de l'Eglise au moyen âge, et que la réforme fut pour le moyen âge, ce que le catholicisme avait été pour l'antiquité, une réhabilitation du principe subjectif par la proclamation du libre examen. »
Le professeur repoussait d'ailleurs l'imputation d'avoir nié la divinité du Christ.
Le même jour, les quatre élèves dont il s'agit et qu'on avait accusés de calomnie, adressèrent au même journal et au « Messager de Gand », une lettre dans laquelle ils font connaître les deux autres propositions que le professeur aurait enseignées dans son cours. Ces propositions recueillies dans leurs cahiers tenus à la leçon même, étaient rédigées en ces termes ;
« 1° Que la doctrine du Christ n'est devenue religieuse, théologique, que lorsqu'on l'eût enveloppée d'un vain mysticisme ;
« 2° Que pour faire adopter plus facilement les doctrines de l'Eglise, les Pères de l'Eglise ont dû regarder le Christ non comme un homme, mais comme un Dieu, parce qu'il fallait faire venir cette doctrine d'en haut, afin qu'elle eût plus d'autorité auprès des hommes. »
Voilà, messieurs, les points principaux de la doctrine professée par le professeur dont il s'agit. Je répète que Brasseur avait protesté n'avoir point nié la divinité du Christ. Je dois ajouter qus quelques jours après que les pères de famille eurent présenté leurs plaintes au recteur de l'université, il avait dans son cours modifié quelque peu la doctrine, qu'il avait émise et cherché à la présenter sous un autre jour.
Plus tard, messieurs, le conseil académique fut appelé à examiner la conduite des élèves. Le conseil, remarquez-le bien, n'avait pas à s'occuper de la doctrine du professeur ; cette assemblée, composée de tous les professeurs de l'université, n'a point à s'ingérer dans ce que chaque professeur enseigne.
Il n'a nulle juridiction à exercer sur lui, mais la conduite des élèves le concerne. Cependant il était difficile pour le corps professoral, en cette circonstance, d'examiner la conduite des élèves sans examiner jusqu'à un certain point les doctrines enseignées par le professeur. Après une longue discussion le conseil académique reconnut à l'unanimité que Brasseur n'a pas nié directement la divinité du Christ, secondement que, quant à la question de savoir s'il l'avait niée indirectement, les élèves ont mal interprété les phrases, sur lesquelles ils avaient basé leur assertion ; mais, dit la résolution : « Considérant néanmoins qu'il est résulté des explications fournies par ces derniers qu'ils ont été de bonne foi dans leur interprétation, décide à l'unanimité qu'il n'y a pas lieu de leur appliquer de ce chef une peine disciplinaire. »
Voilà, messieurs, les faits. Trois points de doctrine sont avoués par le professeur : il nie d'avoir nié la divinité du Christ ; mais il en existe cependant quelque chose, puisque les jeunes gens ont pu l'interpréter ainsi. Il existe donc là un fait qui mérite avant tout d'être éclairci ; le professeur en a parlé, puisque la résolution du conseil académique le constate. En quels termes en a-t-il parlé ? Voilà ce qu'il faudrait voir. Le conseil académique décide qu'au point de vue d'une négation directe, elle n'a pas eu lieu ; il décide qu'au point de vue d'une négation indirecte, on a mal interprété la phrase du professeur, mais qu'on l'a interprétée de bonne foi, et que, par conséquent, il n'y a lieu d'appliquer de ce chef aucune peine disciplinaire à ces courageifx élèves.
Ce qui résulte évidemment de ceci c'est que la phrase rapportée par les jeunes gens est de la plus rigoureuse exactitude. (Interruption.) Elle est de la plus rigoureuse exactitude. (Interruption.) Oh ! vos cris ne m'empêcheront pas de remplir mon devoir.
M. le président. - Veuillez ne pas interrompre l'orateur.
M. Dumortier. - Il en résulte donc que la phrase rapportée par les élèves est de la plus rigoureuse exactitude. (Interruption.) Je dis que cette phrase est de la plus rigoureuse exactitude.
Et la preuve c'est que pas un seul mot n'en a pas été démenti par le conseil académique. Si les élèves, en pareille matière, avaieut tronqué le moins du monde la phrase de leur professeur, quel était le devoir du conseil académique ? Mais son devoir était non seulement de leur infliger une peine disciplinaire, mais de les expulser de l'université. Eh bien, cela n'a pas eu lieu. Pas un mot n'a été retranché de ce qu'ils avaient avancé, pas le moindre blâme n'a été prononcé contre eux.
Au contraire, on reconnaît qu'ils ont été de bonne foi dans leur interprétation, et leur bonne foi est tellement reconnue qu'on déclare qu'il n'y a lieu de leur infliger de ce chef aucune peine disciplinaire. Par conséquent la phrase inscrite dans leurs cahiers est d'une rigoureuse exactitude. Cette phrase, vous pouvez tous l'apprécier.
Messieurs, je viens de vous exposer les faits. Ici je me demande quel est donc ce personnage, ce héros du libre examen, qui vient ainsi se poser dans une université de l'Etat, qui, ayant accepté le lien de l'Etat, fonctionnaire public, vient ainsi toucher aux maximes sur lesquelles repose toute société chrétienne, maximes que la nation belge porte si profondément gravées dans son cœur ? Car, remarquez-le bien, vous êtes ici les représentants de ce pays connu sous le nom de Pays-Bas catholiques, oui, des Pays-Bas catholiques où le sentiment religieux a toujours été d'accord avec l'amour de la liberté !
Quel est donc ce personnage qui vient ainsi émouvoir le pays tout entier, en prêchant de pareilles doctrines !
Brasseur était agrégé à l'université de Gand. Il voulait devenir professeur. Il était nécessaire pour lui qu'il le devînt. Néanmoins, dans le cours de l’année 1854, fusant partie du jury d'examen, il avait parlé dans le jury du dogme de la Trinité, dogme certainement catholique et chrétien ; il en avait parlé dans des termes tels, que des plaintes avaient été adressées au ministie de l’intérieur et qu'on dut faire une investigation sur ce point.
(page 383) Le ministre de l'intérieur d'alors, l'honorable M. Piercot, qui connaissait, paraît-il, les principes de cet agrégé, refusa positivement do le nommer professeur à l'Université de Gand, et pourtant Brasseur le désirait ardemment. Un ministère catholique arrive aux affaires. Quel moyen employer pour être nommé professeur ? Il y a un moyen fort simple ; c'est de se faire passer pour ce qu'on n'est pas. Brasseur va trouver les hommes les plus honorables de l'université catholique...
- Un membre. - M. Brasseur n'est pas ici pour se défendre.
M. le président. - M. Dumortier, ne traitez pas de questions personnelles ; restez dans les convenances parlementaires, c’est diminuer l’importance du débat que d’en faire une question personnelle.
M. Dumortier. - Je ne sors pas des convenances parlementaires ; je ne traite pas de question personuelle ; qu'on me laisse achever, et l'on va me comprendre.
Il va donc trouver ies hommes les plus honorables de l'opinion dont il avait l'intention de combattre les maximes, dans le but...
- Un membre. - C'est du scandale.
M. Dumortier. - Ce qui est un véritable scandale, c'est une pareille conduite.
M. le président. - M. Dumortier, je ne puis pas vous laisser continuer sur ce pied-là, cela n'est pas digne de la grave question que vous traitez.
M. Dumortier. - J'ai la parole, et personne ne peut m'empècher d'user de mon droit.
M. le président. - Restez dans les convenances parlementaires.
a href='/Dumortier.htm'>M. Dumortier. - Je suis dans les convenances parlementaires ; j'ai le droit de m'expliquer, et rien ne me fera reculer devant mon devoir.
Il va donc trouver ces personnes, se présente comme catholique, comme croyant, comme pratiquant, comme allant à confesse ; toutes choses qu'on ne lui demandait pas, et il obtient des lettres de recommandation pour être nommé professeur. Voilà le héros du libre examen !
Il va trouver les hommes les plus honorables de l'opinion catholique, alors et même depuis sa triste leçon pour se présenter comme un catholique croyant, pratiquant, allant à confesse.
- Plusieurs voix. - Qui ? qui ?
M. Dumortier. - Il a été trouver mon honorable ami, M. de Theux, qui ne me démentira pas ; il a été trouver mon honorable ami M. de Man, qui ne me démentira pas ; il a été trouver le recteur magnifique de Louvain, M. l'abbé de Ram ; M. Delcourt, professeur de l'université de Louvain ; M. Thonissen, professeur de l'université de Louvain.
Sans doute, il est libre à chacun de chercher à faire sa carrière, à se procurer des protecteurs. Mais ce que je n'admets pas, c'est qu'il soit permis de se prévaloir d'une doctrine quelconque, qu'on se propose de dénigrer ensuite pour arriver à une position qu'on n'aurait pas obtenue sans cela ; une telle conduite n'excite en moi que du dégoût. (Interruption.)
Vous vous récriez ! je vous admire dans vos exclamations ; mais rappelez-vous qu'il y a dix ans, à pareille époque, la tribune retentissait d'un fait analogue ; vous n'aviez pas de termes assez durs pour flétrir la conduite de celui qui se l'était permise.
Alors, il s'est trouvé un homme, que vous avez tous qualifié comme il le méritait, un fabricalcur de fausses reliques, comme l'autre est un fabricant de fausses maximes, qui était parvenu par des moyens déshonorants, par sa fourberie, à obtenir l'appui des hommes les plus honorables du parti catholique. Cela prouve qu'il y a des hommes qui peuvent tromper ce qu'il y a de plus honorable. Qu'avez-vous dit de Retsin ? Que c'était un hypocrite ; et nous, au lieu de jeter des cris contre cette accusation, nous avons dit avec vous que vous aviez raison sur ce point, parce que ce que vous avez dit était vrai. Nous avons tous dit avec vous que vous aviez raison (interruption), tous, sans exception. Il y avait une question de droit à examiner ; c'était une autre affaire.
Et maintenant, quand vous avez justement flétri Retsin, en le qualifiant d'hypocrite, allez-vous élever sur le pavois un homme qui ne fait pas autre chose que ce que vous avez blâmé et qui mérite plus encore le même reproche ?
Messieurs, je vous ai démontré tout à l'heure, par le texte même de la résolution du conseil académique que les phrases indiquées par les quatre jeunes gens avaient été réellement prononcées. Il est vrai que le professeur a cherché à les rectifier dans une séance postérieure.
Mais elles ont été prononcées et en les prononçant il est évident que le professeur s'est rendu coupable d'avoir cherché à saper dans la conviction des élèves les bases non seulement du catholicisme, mais du christianisme, c'est-à-dire de tout l'édifice de la société moderne. Je dis que pareilles choses ne peuvent pas se passer dans un pays comme le nôtre. J'admets qu'un professeur libre professe tout ce qu'il veut, mais le jour où il brigue et obtient une nomination dans une université de l'Etat, il doit renfermer ses doctrines dans les limites que lui tracent sa nomination et le traitement qu'il tient de l'Etat, il doit comprendre qu'il ne lui est plus permis de tout attaquer, en sortant du cours qui lui est confié.
Si du moins, de ce côté, il a cherché à redresser, à rectifier ce qu'il avait dit dans sa chaire, il avoue trois autres points, et les maintient sans en retrancher un seul mot, il avoue avoir dit que dans le moyen âge l'esprit humain était étouffé par la papauté sous le joug de l'église.
Il me semble, messieurs, difficile de dire un mensonge plus grossier, ou de faire preuve d'une plus grossière ignorance. Ces maximes stupides ne se soutiennent plus aujourd'hui.
Or, de pareilles doctrines professées vis-à-vis de jeunes intelligences ont une portée excessivement grande et souverainement déplorable pour la société : c'est de rendre l'Eglise odieuse à la jeunesse pour la détacher de la foi. Comment ! l’Eglise aurait étouffé l’esprit humain dans toute la durée du moyen âge ! Mais qui a produit toutes les grandes choses, tous les grands hommes du moyen âge ? Demandez au Dante qui lui a inspiré les magnifiques pages qu’on admire encore aujourd’hui, et qui sont la gloire de l’esprit humain ? L’Eglise aurait étouffé l’esprit humain au moyen âge ! Demandez à Giotto, à Cimabue, aux Van Eyck, aux Hemling, qui a inspiré leurs glorieux pinceaux quand ils ont tracé ces pages sublimes qui font encore l’admiration du monde ! Etait-ce l’Eglise qui étouffait l’esprit humain quand ces hommes modestes élevaient ces magnifiques cathédrales à côté desquelles nos constructions modernes ne sont que d’umbles taupinières ? S’ils pouvaient parler devant vous, ils vous diraient que c’est pour l’Eglise et pour Dieu qu’ils ont élevé ces monuments devant lesquels le monde s’humilie.
C'est la papauté qui a étouffé l'humanité au moyen âge ! Mais n'est-ce pas elle qui dans tout le cours du moyen âge a conservé le flambeau de la civilisation ? N'est-ce pas l'Eglise qui toujours à cette époque de violente a protégé le faible contre le fort ? Qui donc durant tout le cours du moyen âge a conservé les lumières ? Est-ce la noblesse qui apposait son sceau se vantant de ne pas savoir écrire attendu qu'elle était noble ? Etait-ce le peuple ? Il était réduit à l'état de servitude. Qui donc a conservé les lumières ? C'est l'Eglise, l'Eglise seule, qu'on représente à la jeunesse comme ayant étouffé l'esprit humain.
Pendant cette longue période du moyen âge, est-ce l'Eglise qui a cherché à étouffer la liberté ? Dans toutes les pages de l'histoire vous voyez l'Eglise cherchant à défendre le faible contre, le fort. Ah ! demandez au peuple anglais à voir la grande charte de liberté, ce monument sur lequel repose la constitution anglaise ! Y verrez-vous la preuve que les évêques entravaient la liberté ? Allez en Angleterre, demandez à voir cette charte ! La première des signatures, la croix d'un archevêque, la croix pour la liberté, l'Eglise pour la liberté.
Voilà, messieurs, par quelle subversion d'idées, par quelle coupable ignorance ou par quel grossier mensonge on vient tromper la jeunesse pour lui inculquer des maximes qui doivent lui rendre l'Eglise odieuse et la détacher de la foi. Le blasphème est payé par l'Etat et cela se passe au milieu de ces Flandres si catholiques, au milieu de ces Flandres si attachées à la foi de ses pères ! Ne vous étonnez donc pas si de telles doctrines professées aux frais de l'Etat ont soulevé les consciences et amené l'état d'irritation légitime où se trouvent les catholiques.
Je dis que le prolongement d'une pareille conduite serait la plus affreuse calamité qui puisse tomber sur le pays.
Les professeurs, certes, ont droit à beaucoup de liberté ; nul ne le sait plus que moi, qui avais même été, dans la discussion de 1855, jus3u'à réclamer pour eux l'inamovibilité de leurs emplois. Les professeurs ont certes droit à beaucoup de liberté, mais à la liberté dans la science et non en dehors de la science.
Un professeur doit rester dans l'enseignement que l'Etat lui confie, dans la partie qu'il est chargé d'enseigner, et je ne vois pas ce que la science gagne à ces digressions étrangères au sujet, quelle utilité il y a à pousser dans cette voie antichrétienne les jeunes gens qui suivent les cours ; car la liberté du professeur doit avant tout respecter la liberté de conscience de ceux qui l’écoutent. Il n'est pas libre à tout le monde de se passer de l'enseignement universitaire. Cet enseignement est une nécessité. Comment ! le jeune homme ira plus tard passer devant un jury. Il s'y présentera, et il aura précisément pour examinateur des professeurs de l'université.
Il faudra donc bien qu'il commence par comprendre les maximes du professeur. Cet enseignement est donc plus que jamais une véritable nécessité. Il est donc évident qu'il doit se tenir en dehors de tout enseignement politique et religieux. Si cet enseignement vient attaquer notre organisation politique, notre Constitution, nos libertés constitutionnelles, l'existence de la société dans ses bases religieuses, c'est un enseignement pernicieux et nuisible qu'il faut supprimer s'il n'y a pas moyen d'y porter remède. Ah ! croyez-le bien, nous ne sommes pas dans une situation à recommencer 1828.
Nous avons réussi en 1830, nous nous sommes donné une nationalité, un Roi, une Constitution ; gardons précieusement ce que nous avons gagné avec tant de peine par l'appui évident de la Providence au milieu de tant de traverses que nous avons eu à subir et n'allons pas exposer notre pays aux bouleversements qu'engendrent toujours ies luttes des consciences révoltées. Gardons avec soin ce que nous avons élevé de nos mains.
Mais vouloir recommencer 1828, chercher à transformer par certains hommes une partie de l'université de Gand en un nouveau collège philosophique, je dis que ce serait le bouleversement de la société et qu'il n'y a pas un homme éclairé qui puisse soutenir de pareilles doctrines, qui ne recule devant leurs funestes conséquences.
Ainsi l'on a accumulé sur l'université de Gand, un par un, tous ces prétendus libres penseurs dont les doctrines sont essentiellement (page 384) utiles aux croyances des populations, comme si l'on avait voulu rétablir sous une autre forme le collège philosophique.
Aussi qu'arrive-t-il ? Il arrive que cette université si importante autrefois, contenant tant de professeurs éminents, sise au milieu des plus riches de nos provinces, au milieu de deux provinces qui ont plus d'un million et demi d'habitants, n'a présenté pour récipiendaires à la faculté de droit, que 4 élèves de la province et 8 de la Flandre occidentale, à celle de philosophie que deux élèves de la province et six de la Flandre occidentale.Ainsi, en dehors de la résidence d'où il y avait pour les cours de droit et de philosophie 36 élèves sur une ville de cent mille habitants, il y avait en tout vingt récipiendaires pour les deux Flandres, pour cette population d'un million et demi d'habitants. Cependant il y a dans le corps professoral de l'université de Gand des hommes du plus grand mérite.
Quand on a dans une faculté de droit des professeurs d'un mérite aussi éminent que M. Haus, quand on a des hommes de cette force, on devrait attirer les jeunes gens en foule pour suivre de pareilles leçons. Mais non !
Les cours sont déserts parce que par suite de l'enseignement de quelques professeurs le père de famille voulant conserver à ses enfants la foi qu'il a reçue de ses pères, ne veut pas les envoyer à l'université de Gand, où l'on cherche à détruire les croyances qu'il a inculquées à ses enfants et qu'il désire leur voir conserver ; tant il est vrai que la société repousse de pareilles doctrines. Ainsi l'intérêt de la société d'une part, l'intérêt de l'Université de l'autre exigent que les professeurs évitent de froisser nos croyances religieuses.
Dans le courant de l'année dernière, c'est un autre professeur qui, en dehors du cours, je le reconnais, a professé des principes semblables.
Eh quoi, messieurs, veut-on recommencer 1828 ? Veut-on faire de la faculté de philosophie de l'université de Gand un collège philosophique ? Voilà la question. Quant à moi, j'en ai vu un, et j'en ai vu assez ; je ne veux pas exposer de nouveau la patrie à de pareilles épreuves.
Messieurs, les circonstances dans lesquelles se trouvent le pays et l'Europe sont certainement très graves. Plus que jamais le pays a besoin de toutes les forces vives que la société réunit en elle pour appuyer sa nationalité.
Mais le meilleur moyen de développer ces forces vhvs, ce serait de respecter la foi chrétienne et catholique, qui, eu Belgique, a toujours été la base la plus solide de la nationalité.
Vous me direz, et je le reconnais, qu'en droit toutes les religions sont égales devant la Constitution.
Mais à côté du droit vous n'ignorez pas qu'il y a la question de fait, question politique, il est vrai, mais de la plus haute importance pour l’homme d'Etat et même pour la justice.
Ainsi, vous savez qu'en Belgique, sur quatre millions et demi d'habitants il ne se trouve que dix mille personnes appartenant aux cultes dissidents, que par conséquent les populations professent presque unanimement les mêmes doctrines religieuses.
Or, ces doctrines doivent d'autant plus être respectées, que ce sont celles de la population tout entière. Comment ! vous professez tous les jours le gouvernement des majorités, et vous admettriez qu'un enseignement contraire aux doctrines religieuses de la presque totalité du peuple belge serait donné aux frais de l'Etat ! Ce serait contraire aux principes que vous professez chaque jour. La guerre à l'Eglise, c'est la guerre à la majorité.
Et certes, le culte de la grande majorité des Belges a droit à tous les égards.
Il n'appartient à aucun professeur de l'Etat d’attaquer aucun des cultes rétribués par l'Etat existant en Belgique, ni surtout le culte de la grande majorité qui est en définitive celle qui paye le budget, qui paye les professeurs.
L'irritation, dans le pays, comme je vous le disais tout à l’heure, a été, et est encore très grande, elle va toujours croissant. (Interruption.)
Ce ne sont pas vos rires qui étoufferont ma voix. Elle va toujours croissant, et elle croîtra encore, si le gouvernement n'est pas à même de rassurer les populations.
Il est temps que les populations puissent être calmées par le gouvernement, et c'est le but principal de la motion que j'ai l'honneur de faire.
Je pense que M. le ministre de l'intérieur voudra probablement donner au parlement certaines explications, qui ne se sont pas trouvées dans le Moniteur.
Quant à moi, je demande quels moyens il entend prendre pour rassurer les populations. (Interruption.)
Mais en vérité, c'est par trop fort ! comment ! on a professé des doctrines qui vous satisfont, et vous voulez étouffer la vérité ? Mais nous, dont on a outragé les croyances, dont la conscience est vivement blessée, pensez-vous que nous soyons satisfaits ? Nous avons le droit de réclamer, au nom des populations dont on a froissé le sentiment religieux.
Pensez-vous que c'est avec vos rires que vous calmerez les populations irritées, que vous ferez taire les consciences outragées ? Ce n'est pas avec des rires qu'on calme les consciences, révoltées par d’aussi scandaleux abus, et je dis que les doctrines catholiques ont bien le droit de s'irriter d'entendre de pareilles doctrines professées aux frais de l'Etat.
Comment ! on permettra de venir, dans la chaire professorale, attaquer l'Eglise, attaquer le christianisme, attaquer les bases de la société, et quand on viendra dénoncer ces attaques à la tribune nationale, on ne sera accueilli que par des rires misérables, de ceux qui prêchent le libre examen. Votre libre examen, ce n'est pas autre chose que la liberté d'étouffer la liberté des autres.
Je dis que cela est peu digne et peu convenable, que ce n'est faire respecter ni le mandti de député ni le régime parlementaire.
Il y a des consciences, croyez-le bien, qui souffrent en voyant ainsi la religion attaquée par les professeurs de l'Etat. Il y a des pères de famille qui souffrent et toute la population souffre en voyant ce qui se passe, et ce ne seront pas vos rires, ce ne sera pas votre agitation qui feront disparaître un pareil état dans le pays, état tout à fait dangereux pour notre société.
Je demande donc à M. le ministre de bien vouloir nous dire comment il entend calmer ces populations et empêcher le retour de pareils abus.
M. de Mérode. - Messieurs, dans la séance du 27 avril 1851, parlant sur les articles du projet de loi d'enseignement moyen, je disais : « Cette discussion même a fourni des preuves évidentes que dans l'éducation du pouvoir civil, le christianisme n'a aucune garantie à espérer. » En effet, un de mes honorables amis, M. Vilain XIIII, vous a mis sous les yeux un court extrait du discours prononcé dans le temple des Augustins à l'occasion de la distribution des prix faite en présence de M. le ministre de l'intérieur, représentant du pouvoir civil, discours dans lequel l'orateur officiel établissait « que le christianisme a dépassé les limites du possible par ses prescriptions et que la sagesse divine pour un avenir plus ou moins éloigné nous réservait une civilisation où la matière et l'esprit se combineront d'une manière plus équitable. »
Tout ce que je puis déclarer à cet égard, répondit le ministre, « c'est que nous ne pouvons pas traiter un professeur d'université comme un instituteur primaire et qu'il faut bien accorder une certaine indépendance d'esprit et d'expressions à un professeur d'histoire. » (L'orateur était professeur d'histoire.)
Me fondant sur cette réplique, je fis observer à la Chambre qu'il était clair alors que ni le gouvernement ni les membres des Chambres n'avaient aucune influence certaine sur les doctrines qu'enseigneraient les professeurs d'histoire, de rhétorique ou d'autres choses, entretenus par l'Etat, et qu'il était impossible de définir jusqu'où irait leur indépendance, puisqu'elle pouvait aller jusqu'à présenter le christianisme comme exagéré dans ses prescriptions et destiné à être remplacé par une doctrine plus équitable à l'égard des relations de la matière et de l'esprit.
Ainsi donc fut expliquée, par le pouvoir en exercice en 1851, la portée de l'article de la Constitution qui ne dit point qu'un enseignement public pourra être organisé en espèce de batterie contre l'Eglise catholique et facultativement contre tout christianisme, mais déclare simplement d'une manière bien inoffensive dans son texte très court que l'enseignement donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi.
En février 1849 cependant avait été mise eu discussion l'existence permanente de deux universités de l'Etat. Plusieurs trouvaient qu'une seule suffisait, puisque la liberté d'enseignement, sans assistance pécuniaire du budget, en avait fondé deux autres. Mais l'honorable membre de cette Chambre, devenu plus tard président, soutint qu'il fallait maintenir les deux universités du gouvernement, et après avoir rappelé que la Hollande en comptait trois, il ajouta ces paroles dignes de remarque aujourd'hui à propos de l'incident qui nous occupe :
« On me dira qu'il y a en Belgique deux universités libres. Ces deux universités ont-elles de telles chances de stabilité, de durée qu'il faille les prendre en considération pour fixer le nombre des universités de l'Etat ? Qui vous répond que les fidèles qui ont jusqu'à présent contribué par leurs souscriptions à soutenir l'Université de Louvain ne finiront pas par comprendre, que dans un pays comme le nôtre, composé en grande majorité, presque en totalité de catholiques, ils peuvent en toute sûreté de conscience et sans le moindre danger pour leurs doclrines religieuses, confier leurs enfants aux universités de l'Etat. Le ministère qui voudrait donner à ces universités une direction hostile aux opinions religieuses de l'immense majorité de la nation, serait bientôt renversé. Qui vous répond que les évêques, éclairés par les événements, ne reconnaîtront pas qu'ils ont commis une faute, en jetant par la création d'une université, placée spécialement sous leur direction, une espèce d’interdit sur les universités de l'Etat ? »
Malheureusement, l'opinion de l’honorable M. Delfosse affirmant que dans un pays presque en totalité peuplé de catholiques, ceux-ci pouvaient en toute sûreté de conscience et sans le moindre danger pour leurs doctrines religieuses, confier leurs enfants aux universités de l'Etat, ne fut point confirmée par les faits et les événements.
Déjà, en 1851, M. le professeur d'histoire Borgnet proclamait dans une réunion solennelle, en présence du ministre de l'intérieur dont le département comprend l'instruction publique, que le christianisme est trop sévère dans ses prescriptions et que l’avenir nous réserve une religion plus équitable en ce qui regarde les relations de la matière avec l'esprit.
Dès lors, comament s'étonner qu'un autre professeur attaché à l'université (page 385) de Gand ait cru, puisque cela lui plaisait, pouvoir composer et publier en 1855 un livre, intitulé : « Etudes sur l'histoire de l'humanité », où il développe pleinement la théorie de l'autre professeur de l'Etat, parfaitement tolérée par le ministre de 1851, et fait imprimer « que le temps est venu où l'esprit humain doit s'affranchir de ce qu'il a admiré pendant des siècles comme une révélation divine, que la religion chrétienne est ruinée dans ses fondements et doit disparaître puisque cette sorte de révélation exclut la raison et qu'elle est incompatible avec la philosophie ? »
Je vous prie de croire, messieurs, que je ne m'érige pas ici, en ma qualité de représentant, comme censeur de toutes ces assertions. Mais puisque nous avons le bonheur de posséder un haut enseignement de l'Etat, il est bon de bien connaître les idées des professeurs de cet être sans doctrines qui lui-même n'a qu'une bourse pour bien payer toute espèce de conceptions chrétiennes ou antichrétiennes qu'il conviendra à ses délégués scientifiques de propager, soit par la parole, soit par des écrits livrés à l'impression. Heureux donc les jeunes gens qui, dans le pêle-mêle de leçons officielles, fausses ou vraies, tomberont en bonnes mains et non en mauvaises ; car si l'Etat, docteur soliveau en chef, parfaitement complaisant pour ses subordonnés, permet aux uns d'attaquer l'Eglise catholique et toute révélation divine quelconque, il ne tiendra pas rigueur à ceux qui les défendront ; puisque l'honorable M. Delfosse reconnaît avec moi que la presque totalité des familles belges est encore catholique, et l'on sait que les piétistes protestants et les Israélites aussi, admettent qu'une révélation divine n'est nullement incompatible avec la philosophie. Ces préliminaires me conduisent à l'appréciation des faits les plus récents qui ont d'abord appelé l'attention de quatre élèves de l'université de Gand, puis de leurs parents, puis du conseil académique, puis du public, puis du pouvoir gouvernemental, enfin de cette Chambre même.
Lorsque des élèves auxquels M. Brasseur enseigne depuis trois ans, c'est lui-même qui le déclare dans ses lettres adressées au journal le « Bien public » de Gand, que la papauté du moyen âge a étouffé l'élément subjectif de l'homme, qu'il voit dans la réforme du XVIème siècle le signal de l'affranchissement de l'esprit humain, et que l'action de cette réforme fut pour l'époque ce que le christianisme avait été pour l'antiquité païenne, une réhabilitation du principe subjectif par la proclamation du libre examen ; lorsqu'il leur parle sur la nature divine de Jésus-Christ d'une manière assez embrouillée pour que le conseil académique reconnaisse que ces élèves ont été de bonne foi en disant à leurs parents que leur professeur de droit naturel n'admettait pas la divinité du Christ, fondement de la doctrine chrétienne ; peut-on blâmer les jeunes gens appartenant à des parents catholiques plus soucieux que d'autres des choses de la foi, de s'être émus d'un tel ensemble de direction donnée à leur esprit ? Je ne le crois pas. Peut-on louer ensuite 150 élèves qui n'assistaient pas à la leçon du professeur, d'avoir prétendu jouer le rôle de témoin, lorsqu'ils ne l'avaient pas entendu, et d'avoir demandé l'exclusion de leurs camarades ? Je ne le crois pas.
En troisième lieu, peut-on admettre d'après les explications de M. Brasseur données au ministre de l'intérieur, qu'on ne porte point atteinte grave au respect pour l'Eglise et le saint-siége, en les signalant, au point de vue politique et juridique, comme des éteignoirs de l'intelligence que la réforme vint délivrer de l'obscurcissement où elle était plongée par les successeurs de saint Pierre, évêques de Rome et l'ensemble des évêques du monde catholique ? Je ne le crois certes pas davantage ! Et si l'on me demandait de déclarer comme juré ce que je pense à ce ^sjet, je devrais affirmer que devant Dieu et les hommes de telles leçons ne sont bonnes qu'à inspirer le mépris de la religion catholique à ceux qui les entendent pendant trois ans.
C'est aussi ce qui a eu lieu et les étudiants de Gand qui sont venus se montrer à Bruxelles dans un banquet avec des élèves de l'Université de cette capitale, n’ont-ils pas adhéré à ces expressions de leur orateur, le jeune Vuylsteke, boursier de l’Etat, si je suis bien informé : « Nous connaissons l’histoire, nous savons ce qu’ont fait autrefois ces hommes fanatiques qui sous prétexte de catholicisme étouffèrent l’intelligence et subordonnèrent l’Etat à l’Eglise. Nous savons ce que veulent aujourd’ui ceux qui ont hérité de ces idées du passé. Nous les voyons autour de nous en plein XIXème siècle contester toutes les vérités qui semblaient acquises au monde pour jamais. Nous voyons la lutte engagée de nouveau avec une ardeur presque sans exemple entre la libre raison et la foi exclusive ; dès lors c'est un devoir pour nous, encore jeunes et vigoureux, d'engager le combat sans crainte et sans arrière-pensée. »
Ainsi ces Gantois adolescents qui prétendent combattre pour la libre raison contre la foi exclusive n'entendent pas sans doute qu'il s'agit de batailles à coups de fusil, de bombes ou de boulets comme ceux qui ont ruiné Sébastopol et sa flotte, mais bien d'une opposition de paroles, d'écrits ou de toasts portés à l'aide du Champagne mousseux. Puisqu'ils ne veulent point de foi exclusive, ils ne veulent plus de foi catholique ; car ceux qui la croient fondée sur la vérité, sur la révélation divine, lui soumettent raisonnablement leur raison, selon la doctrine de saint Paul et ne s'accordent plus à eux-mêmes la liberté de se livrer à toute espèce d'opinions qui lui sont contraires. Les fruits des leçons de M. Brasseur sont donc évidents pour ceux qui ont des yeux pour voir, car la plupart de ses auditeurs perdent la foi catholique et sont fiers de ne croire qu'à leur raison de dix-sept ou dix-huit ans !
Remarquez bien, messieurs, je vous en prie de nouveau, que je ne me constitue ici que rapporteur de faits qui s'enchaînent les uns aux autres. Je ne discute pas théologiquement, je ne présente que logiquement ces faits et leurs conséquences palpables.
Vient donc la dernière, qui résulte de l'attitude prise par le gouvernement vis-à-vis des professeurs de l'Etat, en ce qui concerne la religion et la morale. On ne peut, disait le ministre de l'intérieur de 1851, grand maître de l'enseignement, payé par le budget, traiter un professeur d'histoire, qui proclame publiquement que le christianisme a dépassé les limites du possible dans ses prescriptions et que Dieu réserve à l'avenir une situation religieuse plus équitable à l'égard des relations de la matière et de l'esprit ; on ne peut, disait-il, traiter le professeur d'université comme un instituteur primaire et l'empêcher, par conséquent, d'attaquer à fond la doctrine chrétienne.
Le ministre de l’intérieur actuel s'est probablement persuadé, par les précédents, que la liberté professorale sans limites élait acquise, si ce n'est en droit, du moins en coutume provisoire, aux docteurs plus haut placés que les maîtres d'écoles primaires.
Il regarde le char du haut et moyen enseignement public comme traîné par des coursiers nourris aux frais du budget, mais livrés sans guides à leur ardeur individuelle. Le cocher suprême n'a d'autre charge que de choisir les sujets de l'attelage scientifique, il peut ensuite considérer leur allure du haut de son siège de momie ; mais là se borne son influence directrice.
Ce système admis, non pas peut-être comme théorie certaine et fixe, mais comme marche acceptée en pratique jusqu'à nouvel ordre, ne tend cependant, sans que j'en attribue, comme on l'a vu, l'invenlion à M. de Decker, qu'à faire des universités de l'Etat un instrument impropre à l'éducation de tous les enfants de familles catholiques., Je conserve un souvenir trop favorable à notre ancien Congrès national, auquel on élève une colonne, pour croire que sa majorité ait jamais cru possible que l'article de la Constitution qui exige l'intervention de la loi dans l'organisation de tout enseignement donné aux frais de l'Etat fût interprété de manière à en laisser faire un instrument d'éducation ruineux de l'esprit catholique.
Le vœu bien positif de cette majorité, au milieu de laquelle siégeaient treize ecclésiastiques libéraux, était au contraire d'affranchir à jamais l'Eglise de toute oppression et de toute hostilité de la part du gouvernement. Elle voulait aussi, sans doute, la liberté de conscience pour les dissidents, mais non pas en leur immolant les intérêts religieux du grand nombre. Or, c'est ce qui arrive dans l'enseignement supérieur public actuel, et c'est ce que l'honorable M. Delfosse déclarait absurde en défendant le maintien des deux universités de l'Etat en février 1849, à tel point qu'il considérait l'université de Louvain comme inutile aux familles catholiques, l'enseignement de l'Etat devant être dirigé de telle manière que les fidèles finiraient par comprendre que dans un pays comme le nôtre, composé presque en totalité de catholiques, ils pouvaient en toute sûrelé de conscience, sans le moindre danger pour leurs doctrines religieuses, confier leurs enfants à ces universités.
Une heureuse chance, mais, toujours selon ce qui se passe, très chanceuse dans sa durée, se présente pour Liège, à la vérité. Là, en effet, les professeurs comprennent la nature de leur mission de la même manière que la définissait en 1849, au point de vue religieux, le représentant de la ville, siége de leur université. Ceci prouve du moins qu'on peut parfaitement enseigner le droit naturel et d'autres sciences encore sans offenser les sentiments catholiques et sans détraquer l'établissement de l'Etat en le faisant déserter par une foule de bons jeunes gens qui doivent pouvoir en profiter, car à Gand même et surtout en ce qui regarde les deux provinces dont cette ville est l'ancienne capitale, l'université doit-elle exister pour effrayer les familles religieuses ou pour les servir selon leurs affections qui sont plus particuliérement encore qu'ailleurs celles de la généralité des Flamands ?
Le sophistique pointu répondra que la liberté des cultes entraîne avec elle la ruine du bon sens pratique et doit renverser les cultes et les doctrines, les unes par les autres, partout où intervient le gouvernement ; mais le bon sens non pointu répondra que toute théorie quelconque, pour se transformer en réalité raisonnable, doit être appliquée selon les faits et harmoniser avec eux les abstractions légales sous peine de compromettre celles-ci. Un catholique qui voudrait gouverner la Belgique en 1855 comme elle était gouvernée en 1755 manquerait certes de jugement ; il en est de même des rationalistes qui ne tiennent point compte de l'élément catholique, si profondément enraciné dans nos provinces qu'à l'heure de la mort presque tout homme désire recevoir les sacrements de l'église et prendre ce passe-port du sérieux et irrévocable voyage vers l'éternité. C'est pour notre pays un bonheur, messieurs, même dans l'ordre temporel, que ce bel ensemble d’églises catholiques qui partout se dressent avec leurs clochers ornés de la croix dans nos villes et nos villages. Qui voudrait, en y réfléchissant de bonne foi, voir ici toutes ces sectes si diverses qu'engendre la réforme ?
Qui voudrait y voir cette pratique si fréquente du divorce, sorte de polygamie qu'elle a introduite dans le monde chrétien ? Oui, elle est sévère notre Eglise catholique, mais en faveur de l'ordre moral, et jamais contre lui. Aussi le peuple français a lui-même rendu hommage à la juste sévérité de l'Eglise romaine, à l'égard des liens indissolubles du mariage ; il a maintenu fermement, en 1848, sous le régime du suffrage universel, la suppression du divorce, et une femme, en France, après avoir porté le nom d'un mari, ne peut qu'après sa mort en (page 386) accepter un autre, et la réciprocité envers elle existe également pour le mari. Allez, au contraire, dans l'Allemagne de la réforme, et vous y verrez Mme Pierre, même dans le beau monde, devenir sans embarras Mme François, puis Mme Guillaume, Mais malgré la loi de la révolution française, qui autorise encore ici ce désordre, il est rare en Belgique, grâce à l'influence de l'esprit religieux catholique du pays.
Messieurs, si j'étais ministre de l'intérieur, je révoquerais de ses fonctions tout professeur de l'Etat qui se prétendrait libre de nuire par ses fantaisies et l'imprudence de son enseignement à la prospérité de l'établissement public auquel il est attaché ; et je le ferais, parce qu'étant libéral et par conséquent juste, je ne voudrais pas priver la généralité des contribuables de la faculté morale d'user de l'enseignement qu'ils payent, non pas pour l'agrément des professeurs, mais pour l'intérêt et les convenances de leurs enfants.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, il me tardait de pouvoir donner, au nom du cabinet, quelques explications sur un acte posé par lui et qui a été si étrangement jugé par une partie de la presse.
L'émotion causée par la révélation de certains faits que l'on disait s'être passés à l'université de Gand a été réelle ; elle a été profonde. Nous pouvons le reconnaître avec bonheur. Car cette émotion prouve combien sont vivaces encore au sein des familles belges ces sentiments religieux que je considère comme la plus précieuse de nos traditions, comme la principale sauvegarde du maintien de notre nationalité et de la conservation de nos libertés.
Mais, messieurs, cette émotion, je ne la considère pas comme toujours croissante, ainsi que le disait tout à l'heure l’honorable député de Roulers. Je puise mes renseignements à des sources au moins aussi bonnes que les siennes. Je puis lui garantir que cette émotion se calme de jour en jour, que chaque jour le public belge apprécie de mieux en mieux l’acte posé par le gouvernement.
Je suis convaincu que si l'honorable membre a malheureusement donné une forme trop passionnée à ses interpellations, forme bien peu faite pour calmer les esprits, les explications données par le gouvernement achèveront de détruire les dernières traces de toute cette agitation.
Messieurs, on le conçoit, je ne puis suivre les honorables orateurs dans toutes les digressions auxquelles il leur a plu de se livrer. Je crois entrer dans les véritables intentions de la Chambre en fournissant brièvement quelques explications sur la règle de conduite que le gouvernement s'est tracée et sur les faits qui ont donné lieu à l'application de cette règle de conduite.
L'article 28 de la loi organique de l'enseignement supérieur est ainsi conçu : « Le gouvernement est chargé delta surveillance et de la direction des universités de l'Etat. »
Cet article a évidemment un but. Il confère des droits au gouvernement, je dirai même : il lui impose des devoirs à l'égard des professeurs qu'il a délégués pour donner, pour ainsi dire en son nom, l'enseignement dans les universités de l’Etat. Il est donc reconnu que le gouvernement a le droit de surveiller et de diriger l'enseignement universitaire sous sa responsabilité.
Les difficultés auxquelles donne lieu la direction de l’enseignement supérieur proviennent très souvent, dans tous les pays, comme en Belgique, de la partie religieuse de cet enseignement. Ce sont là, en effet, les questions les plus brûlantes, les plus irritantes, les plus délicates de leur nature.
Voici, messieurs, en peu de mots, la règle de conduite que le cabinet actuel a cru devoir se tracer pour résoudre, d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions, ces difficultés.
Notre Constitution proclame la liberté des cultes. Il n'y a donc plus en Belgique de religion d'Etat. L'ordre religieux esl distinct de l'ordre civil et politique.
Que résulte-t-il de ce principe constitutionnel ? Il en résulte, d'abord, que l’Etat est incompétent pour donner, par lui-même, un enseignement religieux. Mais il en résulte aussi, que l’Etat doit vouloir que la liberté soit réelle pour tous les cultes reconnus par la loi, c'est-à-dire que le gouvernement peut et doit même imposer aux professeurs de ses universités l'obligation de s'abstenir de toute attaque contre les principes essentiels de ces mêmes cultes.
Voilà, je pense, une règle de conduite qui sera trouvée franchement constitutionnelle par tous.
Les professeurs des universités de l'Etat sont donc libres dans leur enseignement, avec la réserve que je viens d'indiquer. Ils ne sont donc pas complètement libres. Où est la limite à leur liberté ?
Il serait fort téméraire, je crois même pouvoir dire qu'il est impossible de fixer cette limite d'une manière générale et théorique. Il n'y a pas de principes absolus qui puissent servir de direction dans cette partie de l'administration. Il n'y a que des cas d’application pratique qui sont laissés à l'appréciation du gouvernement.
Les professeurs ont pour premier guide leur raison, leur conscience ; ils sont responsables devant le gouvernement qui a droit de surveiller leur enseignement et de sévir contre eux lorsqu'ils abusent de la liberté relative qui doit leur être laissée.
Les ministres, à leur tour, relèvent de leur conscience ; ils sont constitutionnellement responsables, devant les Chambres et devant le pays, des décisions qu'ils prennent à l'égard des professeurs des universités de l'Etat.
Voilà, en quelques mots, la règle de conduite que le gouvernement a cru devoir s'imposer dans cette délicate matière. Voyons maintenant l'application qui en a été faite.
Une première accusation avait été lancée contre M. Brasseur, professeur à l'université de Gand. Cette accusation était de la nature la plus grave. Ce professeur était accusé d'avoir, au moins indirectement, nié la divinité du Christ. Une enquête fut ouverte. Cette enquête, qui dura une quinzaine de jours, où le professeur a été entendu, où tous les élèves ont été entendus, où tous les cahiers ont été lus et examinés, cette enquête a amené le conseil académique, c'esl-à-dire tout le corps professoral de l'université de Gand, à déclarer, à l'unanimité, qu'il résultait de l'enquête, à toute évidence, que l'accusation portait à faux, que le professeur n'avait point nié la divinité du Christ.
Messieurs, à moins de s'inscrire en faux contre tout un corps professoral des plus distingués, à moins de nier les faits, de les contourner ingénieusement, c'est possible, mais contrairement aux règles de l'interprétation ordinaire, il fallait bien admettre la conclusion du conseil académique, c'est-à-dire le non-fondement de l'accusation lancée contre leprofesseur Brasseur. Il n'y avait donc logiquement aucune mesure à prendre contre lui. Si l'enquête avait prouvé le fondement de l'accusation, si elle avait démontré que le professeur Brasseur avait nié la divinité du Christ, je le déclare franchement, messieurs, dans les 24 heures, il eût été destitué.
Un autre grief fut mis à la charge de M. le professeur Brasseur. Dans une lettre adressée à un journal de Gand, le professeur avait avoué ouvertement avoir enseigné trois propositions se rapportant à des questions religieuses.
Je n'ai point ici, messieurs, à apprécier ces propositions comme particulier, comme catholique.
Je le dis avec ia franchise que j'ai toujours apportée dans toutes les discussions devant la Chambre, comme catholique, je me suis senti froissé de ces propositions. Enfant soumis et dévoué de l'Eglise, je ne puis admettre qu'on vienne dire, au nom de l'Etat, que l'Eglise ait étouffé le génie humain, que l'Eglise ait nui à la liberté, tandis que c'est elle qui a constitué, qui a civilisé l'Europe entière ! Mais ces propositions, plus ou moins controversables comme faits historiques, je n'avais pas à les apprécier comme catholique, j'avais à examiner si, comme ministre constitutionnel, j'étais en droit de les proscrire. C'était la troisième proposition surtout qui avait froissé profondément le sentiment religieux des familles.
On avait cru voir dans cette troisième proposition la reconnaissance d'une supériorité religieuse, dogmatique, de la réforme sur le catholicisme. Je déclare encore, messieurs, avec la même franchise, que si telle avait été la portée de la troisième proposition de M. Brasseur, je n'aurais pas souffert, au nom de l'Etat, l'émission d'une pareille doctrine dans une université de l'Etat, et j'aurais cru devoir prendre une mesure de rigueur. Mais avant de prendre une mesure de ce genre, j'ai fait ce que le plus vulgaire sentiment de justice m'ordonnait de faire, j'ai entendu le professeur.
Invité à m'expliquer le sens précis de la troisième proposition, le professeur m'a déclaré que, dans tout le cours de son enseignement, il écarle toujours les questions religieuses, mais que quand elles se présentent sur sa route il les examine, non pas au point de vue religieux, mais dans leur rapport avec le droit naturel qu'il est chargé d'enseigner. Ayant consigné par écrit les explications qu'il m'avait fournies verbalement, il a déclaré publiquement qu'il n'a pas voulu établir une comparaison au point de vue religieux, dogmatique, entre la réforme et le catholicisme ; mais qu'il a seulement entendu constater l'influence de la réforme sur le droit naturel et apprécier cette influence au point de vue historique et juridique. Après cette explication, j'ai cru devoir reconnaître, en ne donnant aucune suite à l'affaire, que des questions de ce genre, examinées avec décence et gravité, sont du domaine d'une discussion, à tolérer de la part des professeurs des universités de l'Etat.
Messieurs, prenons-y garde. Nous ne devons point permettre, sans doute, qu'on attaque officiellement, systématiquement, au nom de l'Etat, les principes fondamentaux des cultes reconnus par la loi et surtout de ce culte qu'on peut, sinon de droit du moins de fait, appeler le culte national par excellence ; mais nous ne devons pas non plu, par une étroite intolérance, interdire aux professeurs des universités de l'Etat, ces grandes, ces fécondes discussions qui sont la vie du haut enseignement.
Messieurs, ne perdons pas de vue que la même législation ne régit pas les divers degrés de l'enseignement. Pour l'enseignement primaire et pour l'enseignement moyen, nous avons inscrit en tête des programmes d'études, la nécessité de l'enseignement religieux. On ne l'a pas fait pour l'enseignement supérieur. Jamais, que je sache, personne ne l’a demandé. Pourquoi ? Parce qu'on a senti que devant un auditoire de jeunes gens dont la raison a acquis un certain développement, en présence des nécessités d'un enseignement où la discussion est appelée à se mouvoir dans une sphère plus vaste et plus élevée, il y avait convenance à ne pas imposer à la pensée ces horizons plus étroits, qu'on avait imposés à l'enseignement primaire et à l'enseignement moyen.
(page 387) Cette distinction entre l’enseignement supérieur et les deux autres degrés d'enseignement est donc essentielle ; mais il ne faut pas l'exagérer. Le gouvernement doit rester conséquent avec lui-même, et c'est un motif de plus pour qu'il tienne à ce que l'enseignement universitaire ne devienne point hostile aux croyances de la presque unanimité des Belges. Par cela même que ce gouvernement a reconnu, pour l'enseignement primaire et moyen, l'importance de l'instruction religieuse, il ne faut pas que, par une inconcevable inconséquence, il permette que l'enseignement universitaire vienne défaire l'œuvre sociale de l’enseignement primaire et moyen.
D'ailleurs, le gouvernement doit se rappeler, et c'est à ce point de vue que je tiens à me placer, qu'il est le délégué du père de famille, par conséquent il ne peut point souffrir que les professeurs, qui enseignent en son nom, viennent saper systématiquement ces principes religieux, à la conservation desquels nos familles montrent tous les jours qu'elles attachent la plus sérieuse importance.
Voilà donc, messieurs, en quelques mots, quels sont les principes que le gouvernement a cru devoir suivre dans cette affaire délicate ; voilà quelle est l'application qu'il en a faite aux faits que je viens d'exposer.
Je n'entretiendrai pas plus longtemps la Chambre de ces faits. L'honorable M. Dumortier a demandé ce que je comptais faire pour calmer les populations. Messieurs, j'espère que les explications franches que je viens de donner seront suffisantes pour atteindre le but que nous nous proposons tous, c'est-à-dire de rassurer les populations et de faire en sorte que l'enseignement de l'Etat puisse continuer à jouir de la confiance des familles.
Et à ce propos, messieurs, je dois ajouter un mot, en finissant. Très souvent on a représenté l'université de Gand comme étant en pleine décadence ; l'examen des faits m'oblige à protester contre uns pareille assertion et à déclarer publiquement que cette université est aujourd'hui dans une situation relativement plus prospère qu'elle ne l'a jamais été ; que le nombre des élèves est, à l'heure qu'il est plus considérable qu'il ne le fut à aucune époque.
Il est vrai que le chiffre de la population de l'université de Gand est de beaucoup inférieur à celui de la population de l'université de Liège. Ce fait a été souvent expliqué, notamment dans le rapport triennal sur l'enseignement supérieur, où les causes de cette infériorité numérique relative, ont été parfaitement exposées.
Un dernier mot, messieurs, j'ai une raison particulière de tenir à la prospérité de l'université de Gand ; j'y suis attaché par les liens d'une respectueuse reconnaissance.
Je suis heureux de me rappeler et d'avouer publiquement que je suis élève de cette université.
La plupart des professeurs qui en font encore aujourd'hui la gloire, ont été autrefois mes maîtres. Je conjure donc tous les membres du corps professoral de cette université de comprendre une bonne fois la nécessité de mettre fin à tout débat irritant et d'enlever toute cause de défiance de la part des familles flamandes. Qu'ils trouvent dans leur enseignement plein de gravité et de respect pour les croyances de ces familles, les gages d'une vraie et solide prospérité, qu'ils maintiennent les glorieuses traditions de ces professeurs éminents qui out fait l'honneur de nos chaires universitaires !
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.
- La séance est levée à 4 heures et un quart.