(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 342) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il lit le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres de la chambre de discipline des notaires à Termonde signalent des abus de notariat, proposent des mesures pour les détruire et prient la Chambre de s'occuper sans retard de cette question. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Willems présente des observations au sujet du rapport de la commission qui a été instituée pour examiner sa découverte relative à l'inoculation de la pleuropneumonie des bêtes bovines. »
- Même renvoi.
« Les secrétaires communaux de l'arrondissement de Malines déclarent adhérer à la pétition de plusieurs secrétaires communaux, en date du 21 décembre dernier. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Petit-Rœulx prient la Chambre d'accorder au sieur Tarte la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Muysen demandent que l'entretien des pauvres soit à charge de la commune où ils se trouvent. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Beirendrecht demandent l'endiguement d'un schorre situé à l'extrême frontière du canton d'Eeckeren vis-à-vis de Santvliet. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Delaroche, Descamps et autres administrateurs du charbonnage de Strepy-Bracquegnies présentent des observations contre le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Jules Levy, administrateur de la fabrique de produits chimiques d'Auvelais, adresse à la Chambre 108 exemplaires d'un ouvrage ayant pour titre : « Etablissements de produits chimiques. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur la sortie du minerai de fer.
- Le rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.
M. Lelièvre. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant liquidation d'arriérés de traitements d'attente et de traitements supplémentaires.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. A cause des nombreuses annexes qui doivent être imprimées, cet objet ne sera pas mis à l'ordre du jour avant mercredi prochain.
M. Visart. - Messieurs, j'ai l'honneur je déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition venant de Sombreffe et de villages environnants et demandant la libre sortie du minerai de fer.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il est mis à l'ordre du jour de vendredi, avec les autres rapports de pétitions.
M. Lelièvre. - Messieurs, la justice est l'un des premiers besoins de la société et tout ce qui en assure la bonne administration a une importance qu'on ne saurait méconnaître. Les citoyens doivent avoir la conviction que dans l'Etat auquel ils appartiennent la justice est réellement une vérité. Il importe que la chose jugée soit considérée par eux comme l'expression consciencieuse des organes de la loi. Or, pour que ce but soit atteint, il est nécessaire que personne ne puisse sous aucun motif douter de l'impartialité des hommes appelés à rendre à chacun ce qui lui est dû ; il est indispensable qu'on écarte avec soin toute cause quelconque propre à faire naître le moindre soupçon sur la pureté de leurs intentions, et tout ce qui peut altérer le respect dû à leurs décisions.
Or, il faut bien le dire, depuis longtemps déjà des réclamations nombreuses ont été adressées à la Chambre. Elles ont fait connaître que certaines relations de parenté ou d'affinité entre les magistrats et les défenseurs des parties avaient créé un état de choses incompatible avec l'honneur de la magistrature. Elles ont révélé que des justiciables, se trompant certainement sur le caractère de leurs juges, attendent de certaines relations, de certaines influences un succès qu'ils ne devraient espérer que de la justice de leur cause. Or, il est incontestable que ce sont là des abus sérieux que les pouvoirs publics ne sauraient tolérer.
La dignité de la magistrature dépend du respect général dont elle doit jouir. Laisser altérer la considération qui lui est due, souffrir qu'on porte atteinte au prestige qui l'honore, c'est compromettre les intérêts les plus importants de la société, c'est ébranler profondément l'ordre social lui-même.
Telles sont les considérations qui nous ont engagés, mes honorables collègues et moi, à déposer la proposition de loi que nous soumettons aux délibérations de la Chambre. Les dispositions qu'elle renferme sont claires et précises. Il est enjoint au juge de s'abstenir de connaître des causes dans lesquelles l'un de ses parents ou alliés en ligne directe ou au second degré en ligne collatérale, est l'avocat plaidant ou l'avoué de l'nne des parties. Nous avons cru devoir restreindre le projet aux dégrés de parenté ou d'affinité qu'il énonce ; la prescription ainsi limitée nous paraissant suffisante pour faire cesser tous abus ayant un caractère sérieux.
La même disposition est applicable au ministère public. Sous ce rapport l'article 2 est général ; il concerne les officiers du ministère public, agissant comme partie jointe ou comme partie principale. Il est applicable dans toutes les affaires qui doivent être communiquées aux termes des lois en vigueur, parce que les motifs qui ont dicté la disposition de l'article 2 militent dans toutes les hypothèses où le ministère public est appelé à intervenir ou à émettre son avis dans le débat. La dignité de la justice réclame en tout cas l'abstention énoncée au projet.
La sanction des prescriptions de la loi est écrite dans l'article 3 qui prononce la nullité des ordonnances, jugements et arrêts rendus en contravention aux dispositions du projet. Cet article assure d'une manière efficace l'exécution de l'acte législatif.
Dans une discussion récente on a fait une objection que nous devons examiner. On a dit qu'il n'était pas possible de décréter l'abstention forcée dans le cas qui nous occupe, alors que, dans des hypothèses ayant un caractère plus grave, le Code de procédure civile se bornait à introduire la faculté de récusation.
Mais il est à remarquer que dans les cas prévus par l'article 378 du Code de procédure il s'agit de faits qui ne se produisent que rarement et par conséquent d'un ordre de choses exceptionnel auquel il est pourvu suffisamment par la législation en vigueur, tandis que les causes énoncées à la proposition créent un état de choses permanent, compromettant pour la magistrature, et on ne peut le faire cesser efficacement en introduisant un droit facultatif de récusation dont l'exercice présenterait des inconvénients et rencontrerait des obstacles sérieux.
Nous dirons un mot de la nécessité d'augmenter le personnel des tribunaux qu'on signale comme devant être la conséquence du projet.
D'abord, cette nécessité n'est pas démontrée, et il convient d'attendre sur ce point le résultat de l'expérience ; mais, en tout cas, cette considération ne saurait prévaloir sur les graves intérêts qui réclament la mesure que nous proposons.
La justice est une dette sacrée de la société. Cette dette doit être acquittée à tout prix.
Lorsqu'il s'agit de dessaisir une juridiction criminelle pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, la question de frais pèse-t-elle le moins du monde dans la balance de la cour suprême ? Pourquoi en serait-il autrement là où il s'agit de faire respecter les actes de la justice ?
Nous soumettons, en conséquence, à la Chambre, avec la plus entière confiance une proposition dont le mérite ne saurait être sérieusement contesté. Elle a pour but de maintenir intacts l'honneur et la dignité d'une magistrature dont la Belgique est fière et qu'elle peut montrer comme exemple aux nations civilisées, au point de vue de la probité, de la délicatesse et de l'indépendance.
M. le président. - La discussion sur la prise en considération est ouverte. Quelqu'un demande-t-il la parole ?...
Personne ne demandant la parole, et s'il n'y a pas d'opposition, la proposition de loi est prise en considération.
De quelle manière la Chambre entend-elle examiner la proposition de loi ?
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, s'il m'est permis (page 343) d’exprimer un désir, je prierai la Chambre de vouloir bien s'occuper en sections de la proposition de loi. L'objet est d'une haute importance. J'attache le plus grand prix à ce que toutes les lumières des sections soient acquises à l'exanien préparatoire de la proposition de loi.
- La Chambre décide que la proposition de loi sera renvoyée à l'examen des sections.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis quelques jours le pays est vivement agité par une question que vous connaissez tous, par ce qui s'est passé à l'université de Gand et ce qui en a été la conséquence. Je crois, messieurs, qu'en présence de l'agitation qui se manifeste à ce sujet, le parlement devra nécessairement s'occuper de cette question sans tarder plus longtemps.
J'avais d'abord pensé que le budget de l'intérieur, qui viendra bientôt, aurait été le terrain bien choisi pour entamer cette discussion, pour obtenir du ministère les explications que chacun croirait nécessaires ; mais la marche des faits qui nous devance, qui devient de plus en plus rapide, ne me paraît pas permettre qu'une discussion de cette importance soit reportée à l'examen des budgets.
J'annonce que j'aurai l'honneur de demander des explications à M. le ministre de l'intérieur au sujet de cette affaire.
M. Delfosse. - Il faut fixer un jour.
M. Dumortier. - Pour ne pas prendre la Chambre au dépourvu, dans l'impossibilité d'attendre la discussion du budget de l'intérieur et particulièrement l'article relatif aux universités, qui viendra peut-être dans trois ou quatre semaines...
M. le président. - Le rapport sera présenté tantôt.
- Plusieurs voix. - A mardi ! à mardi !
M. Dumortier. - J'aurais préféré lundi ; mais puisqu'on paraît désirer que ce soit à mardi, je me rallie à cette proposition.
- Un grand nombre de voix. - Oui, à mardi !
M. le président. - Les interpellations de M. Dumortier sont fixées à mardi.
(page 347) M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, étant profondément convaincu de l'utilité et du désintéressement des actes accomplis par le comité consultatif des chemins de fer, postes et télégraphes, je considérerai toujours comme un honneur d'y avoir appartenu avec mes collègues MM. Spitaels, Tesch, de Brouwer, Loos, Dolez, qui appartiennent ou qui ont appartenu à la législature et d'autres hommes, qui occupent un rang si élevé, soit dans l'armée, soit dans l'administration, soit dans l'industrie.
Mais l'incident d'hier m'a fait éprouver un sentiment pénible. Oui, messieurs, j'ai été péniblement affecté en entendant apprécier si légèrement, avec si peu de justice, les efforts si louables, si persévérants accomplis par mon honorable ami M. de Brouwer, pour parvenir à réformer des services dépourvus d'ordre, de régularité ; des services qui se résument dans la dépense de tant de millions, et qui touchent de si près à la sécurité des familles.
Non, messieurs, on ne paye pas tant de zèle, tant de dévouement avec des jetons d'assiduité, avec des frais de voyage. Le pays restera le débiteur de l'honorable M. de Brouwer.
Mais passons sur ce détail, il n'est pas digne d'occuper davantage cette assemblée.
La question à discuter, c'est celle de savoir si le comité consultatif est une institution utile.
C'est le terrain sur lequel l'honorable M. Frère l'a portée.
Je l'y suivrai, il l'a fait avec la convenance désirable.
Messieurs, l'honorable député de Liège, dans le discours qu'il a prononcé hier, a émis des opinions que je partage, et des opinions que je ne puis partager ; j'ai remarqué quelques appréciations qui ne sont pas exactes.
Je suis, par exemple, de l'avis de l'honorable M. Frère, quand il dit que le ministre est l'éditeur responsable de la volonté de ses subordonnés, qu'il est hors d'état de donner des renseignements exacts à la Chambre, que le pouvoir qui exécute se contrôle lui-même, que toute cette organisation est fondée sur l'idée la plus fausse.
Mais voici ce que je ne puis admettre, c'est que ce soit le comité consultatif qui puisse être tenu responsable du manque d'organisation des services des chemins de fer ; je n'admets pas non plus que l'existence du comité ait organisé le conflit au département ; il n'y a jamais eu de conflit.
Mon honorable adversaire a déclaré en commençant son discoursqu'il est le partisan de l'exploitation des chemins de fer avec l'intervention de l'Etat.
Quant à moi je déclare que je reste le partisan de l'abandon de l'exploitation des chemins de fer à l'industrie privée.
Ces discussions et toute discussion ne peut que faire faire des progrès à ce système, parce qu'il est le seul fondé sur des principes solides.
Quand cette question sera mûre, j'avertis ceux qui sont de mon avis, qu'ils peuvent compter sur moi.
En attendant je constate ici la bizarrerie de ma position.
En soutenant le contrôle d'un comité consultatif ou d'un conseil d'administration, je tends à perpétuer l'administration des chemins avec l'intervention de l'Etat.
Et l'honorable M. Frère en prétendant qu'un chef de département accompagné de bureaux constitue la meilleure organisation possible, amène les chemins de fer à une cession prochaine, et je le prouve.
Je suppose que le système de mon honorable collègue prévale : un ministre et des bureaux.
Qui est-ce qui en réalité disposera du grand capital engagé dans cette entreprise toute commerciale, qui est-ce qui dirigera cette affaire si importante et si compliquée ?
Ce seront les bureaux, ce seront des commis !
Or je dis que rien n'est moins propre à diriger une entreprise de ce genre que des bureaux.
Car enfin, l'honorable M. Frère doit le savoir mieux que personne, peut-on compter sur la stabilité des ministres des travaux publics ? Leur vie moyenne, depuis 1840, n'atteint pas deux années. L'existence de l'honorable M. Frère au département des travaux publics a duré moins encore. Qu'y a-t-il laissé en y passant ?
Un contrôle au département faisant double emploi avec le contrôle organisé à la direction.
Eh bien, qu'en est-il resté ? A peine l'honorable M. Frère eut-il quitté le département des travaux publics pour prendre la direction de celui des finances, que ses successeurs ont abandonné ce moyen de contrôler les services extérieurs.
Or, je dois croire que si ce moyen leur avait paru utile pour les éclairer, ils ne l'eussent pas abandonné si facilement.
M. Frère-Orban. - Il n'a jamaisélé organisé.
M. de Man d'Attenrode. - Il me semble cependant savoir que des directions ont été organisées au département et que l'une d'elles était chargée de l'appréciation des propositions et des actes de l'administration. Du reste, hier vous avez prétendu que c'était le comité consultatif qui était cause que les directions avaient passé du ministère à la station du Nord. Cela n'est pas exact. Ce transfert est antérieur à la création du comité.
Les notes que j'ai prises, pendaut que vous parliez, le constatent.
Mais votre discours ne se trouvant pas dans les Annales parlementaires, je n'ai pu èn prendre lecture.
L'honorable M. Van Hoorebeke a pris un autre moyen de s'éclairer. Il a créé comme moyen de contrôle un comité permanent près de l'administration des chemins de fer.
Cet acte a indiqué de la force de caractère ; il a, de plus, une idée élevée pour base. Oui, il y avait de la force de caractère à paraître abdiquer une partie de l'autorité dont on est investi. Ce n'était qu’en apparence, car l'honorable ministre avait conservé son pouvoir intact, sa responsabilité tout entière. Mais enfin il s'est exposé à ce qu'on lui en fît le reproche. J'ajoute que consentir à s'éclairer, prouve toujours de l'élévation dans les idées.
La responsabilité n'y perd rien ; la lumière ne fait que l'aggraver.
Messieurs, je conclus en disant que si le système de l'honorable M. Frère a pour conséquence la direction des chemins de fer abandonnée aux bureaux, c'est la cession aux compagnies.
Car, en définitive, que manque-t-il à cette vaste entreprise ? Des capitaux. Pourquoi les capitaux, les crédits lui font-ils défaut ? Parce qu'elle manque de confiance. Pourquoi manque-t-elle de crédit ? Parce que son administration est constituée de manière à n'en pas mériter.
En effet, c'est un défaut d'organisation qui est cause que tous les ministres des travaux publics rédigent des budgets qui ne représentent pas des besoins réels, et présentent ensuite des crédits supplémentaires qui viennent sanctionner une foule d'irrégularités
Je conclus donc que le système de l'honorable M. Frère, en ne fondant pas suffisamment le crédit des chemins de fer, doit aboutir à la cession de leur exploitation à l'industrie privée.
Je tiens à dire un mot à propos du mot « conflit », qui a été prononcé dans la séance d'hier.
Je suppose qu'on a voulu faire allusion à ce qui s'est passé lors de l'examen des premiers articles du règlement d'attributions adopté par le comité.
La commission d'enquête ou conseil supérieur avait voulu que le comité permanent eût le contrôle obligatoire de tous les actes de l'administration. Elle avait énuméré ses attributions. Ces attributions faisaient l'objet de trois articles confondus avec ceux qui concernaient l'administration centrale.
L'honorable M. Dumon, ministre des travaux publics, fut d'avis qu'il ne pouvait être fait mention du comité dans ie règlement d'attributions des services. Il y voyait une atteinte portée à sa responsabilité. Le comité consultatif, afin d'éviter tout conflit, supprima les trois articles, croyant avec raison que l'arrêté royal du 28 octobre 1854, dont les termes n'étaient pas exclusifs, déterminait mieux ses attributions que des articles essentiellement limitatifs
Que dit, en effet, l'arrêté royal du 28 octobre ?
« Le ministre soumettra au comité les questions qui concernent les améliorations et les économies à introduire au point de vue des intérêts du public et de ceux du trésor. »
Messieurs, l'honorable député de Liège a fait un exposé de la situation en prenant les faits depuis quelques années ; je vais faire de même, je pourrai peut-être ainsi rencontrer quelques-unes de ses observations.
Il ne disconviendra pas, je pense, ni personne dans cette enceinte, que les chemins de fer exploites par l'Etat en Belgique sont dans une situation peu digne d'un pays aussi fécond en ressources que le nôtre ;
Qu'ils ne rendent pas au commerce et à l'industrie les services qu'ils pourraient leur rendre ;
Qu'ils ne produisent pas toutes les ressources que nous sommes en droit d'en espérer.
Que faut-il faire pour tirer un meilleur parti des capitaux engagés dans cette grande entreprise ?
Telle est la question que je désire discuter devant vous. Elle a été traitée en dernier lieu dans la séance du 15 février 1853.
Depuis lors l'exploitation des chemins de fer de l'Etat a joui d'une paix profonde.
A des attaques violentes a succédé une trêve, qui s'est prolongée pendant le cours de deux sessions.
Pourquoi cette situation nouvelle ? Elle ne peut s'expliquer que de la manière suivante.
Vous avez eu foi dans les réformes et dans les améliorations que la création d'un comité consultatif avait fait naître.
Aussi je remercie la Chambre de cette bienveillante disposition.
Mais il est temps de s'expliquer ; je le sais, je n'avais pas attendu le discours de l'honorable M. Frère pour prendre cette résolution, je le déclare formellement, nous étions bien décidés à ne plus vouloir de la responsabilité de notre silence.
Nous vous devons le compte-rendu de nos travaux. S'ils n'ont pas abouti, aussi complètement que nous l'eussions désiré, nous vous dirons franchement le pourquoi, et ce qu'il faut pour les faire aboutir.
Mais il convient d'abord de vous rappeler l'origine du comité consultatif des chemins de fer, postes et télégraphes.
Le 15 février 1853, pendant la discussion du budget des travaux publics, une proposition surgit dans cette enceinte.
Des développements nombreux l'avaient précédée, et ses motifs, avaient paru faire quelque impression sur la Chambre.
Aussi le cabinet crut-il nécessaire, pour l'écarter, de lui opposer une question de cabinet. Cette proposition avait pour objet la nomination d'une commission (page 348) d'enquête parlementaire, chargée d'examiner la question de savoir, s'il était conforme à l'intérêt public, que le gouvernement continuât à exploiter lui-même les chemins de fer.
La motion fut rétirée en présence d'un parti pris aussi grave. Mais le cabinet s'engagea formellement à nommer lui-même une commission chargée de s'enquérir de la situation des chemins de fer, et de faire les propositions nécessaires à leur prospérité.
Cet engagement a été tenu par l'honorable M. Van Hoorebeke, et c'est depuis cette époque que les discussions ont cessé sur le chapitre du budget des travaux publics qui concerne cet important service.
En conséquence., un arrêté royal du 29 mars 1853 annexa au département des travaux publics un conseil supérieur.
Cc conseil eut, en réalité, le caractère d'une commission d'enquête.
Il consacra ses séances nombreuses à s'enquérir de la situation de la voie, des bâtiments des stations, du matériel d'exploitation.
Il fut constaté que l'état du matériel était déplorable, que les remises pour l'abriter faisaient défaut, que les gares restaient inachevées, que la voie n'offrait pas partout la solidité suffisante à cause de la faiblesse des rails.
Cela fut si bien constaté, que l'administration adopta comme exposé des motifs d'une demande de crédit un rapport dans lequel on lit le passage suivant :
« Il est triste de le dire, malgré tous les faits avancés, il y a peu de chemins de fer aussi mal et aussi pauvrement outillés que les nôtres. »
Les allocations nécessaires à l'achèvement de notre railway furent évaluées à 23,450,000.
La commission d'enquête avait indiqué parmi les moyens d'arriver à la réduction des dépenses, « une meilleure organisation des services. »
Aussi employa-t-elle de nombreuses séances à l'adoption d'un projet de réorganisation, calqué sur l'organisation en usage dans les compagnies.
« Si l'Etat, disait la commission, veut exercer une industrie, il doit se rapprocher le plus possible de la manière de procéder sanctionnée par le succès de l'indusitic privée. »
Le projet d’organisation adopté par la commission, avait pour point de départ un conseil supérieur destiné à remédier par sa stabilité aux fluctuations politiques, à conserver les traditions administratives, à éclairer le ministre. Mais il ne devait pas avoir d'action directe sur les services actifs.
En effet, le choix du ministre, il faut en convenir, est moins déterminé par les intérêts de ce grand service que par des convenances politiques. Puis les hommes passent trop souvent avant d'avoir acquis l'expérience nécessaire pour réformer les abus.
Aussi la commission conclut-elle à la création d'un contrôle tout spécial à lé’gard d'une entreprise commerciale, qui ne peut prospérer avec les formes compliquées de l'administration ordinaire.
Le projet de réorganisation fut adopté par le ministre des travaux publics et par le directeur général qui était membre de la commission.
Enfin la commission donna son appui à des tarifs rémunérateurs, et leur adoption par la législature exerça une influence favorable sur les recettes des chemins de fer.
A la suite de ces résolutions, le gouvernement présenta, d'accord avec la commission, une demande de crédit, qui fut limitée à 9 millions à cause des circonstances.
La Chambre l’adopta sans opposition, en donnant ainsi une adhésion éclatante aux conclusions du comité d'enquête. Et quelles sont ces conclusions' ? Vous allez le voir.
Que dit en effet le rapport de la section centrale dont l'honorable M. Dumon, aujourdhui ministre, fut le rapporteur ?
« Les sections ont voté unaniment le crédit demandé. Elles ont reconnu par là l'étendue du mal signalé par la commission consultative, et l'indispensable nécessité d'y apporter promptement un remède efficace.
« Voilà pour la situation matérielle. Quant à la situation morale, elles ont insisté presque toutes pour une réorganisation immédiate de l'administration sur des bases plus pratiques et plus commerciales, et pour l'établissement d’un conseil supérieur permanent chargé d'éclairer le département des travaux publics sur les véritables intérêts des chemins de fer.
Quant à la secion centrale elle-même, voici comment eile a conclu, par l'organe de son rapporteur.
« A l’unanimité elle émet le vœu de voir adopter sans retard les mesures indiquées par la commission consultative, comme indispensables pour la bonne exploitation du chemin de fer national, et parmi ces affaires, elle place en première ligne l'institution du conseil supérieur, qui serait consulté sur l’emploi des fonds alloués actuellement, et la réorganisation de l’administration et des services d'exécutiun d'après des bases plus pratiques et plus commerciales.
« Votre section centrale ne vous propose pas, dit le rapporteur, de transformer en une obligation par un article de la loi, les vœux qu'elle vient d’émettre ; elle est persuadée qu'en présence de l'uniformité des vœux exprimés par la commission consultative, par les sections et par la section centrale, M. le ministre n'hésitera pas à prendre devant la Chambre l'engagement d'adopter des mesures qui lui sont unanimement recommandées. »
Ainsi, la Chambre en adoptant le crédit des 9 millions, n'y mit qu'une condition, c’est la création d’un conseil chargé de veiller à son emploi et de travailler à la réforme de l'administration et des services d'exécution. (Interruption.) On a beau le nier ; cela est ainsi ; il me semble qu'un rapport de section centrale, s'associant à l'avis unanime des sections, est de quelque valeur. En adoptant ses conclusions, la Chambre ou du moins la majorité de la Chambre a adopté aussi les motifs indiqués dans le rapport. (Interruption.)
L'honorable M. Frère réclame ; mais, je le lui demande, s'il avait été ministre des travaux publics à cette époque, lui eût-il été possible,, après que la volonté de la majorité de cette Chambre avait été aussi clairement exprimée par le vote du crédit de 9 millions, de se refuser à organiser un comité consultatif ?
M. Frère-Orban. - Certainement.
M. de Man d'Attenrode. - Je me rappelle bien que l'honorable M. Frère a comballu à cette époque l'institution d'un comité, mais il ne représentait pas la majorité ; il prétendait même que ce ne serait qu'un comité d'amateurs. Le comité a prouvé cependant qu'il avait pris sa mission au sérieux. Maintenant on trouve qu'il travaille trop. On se plaignait même hier de ce qu'il siégeait d'une manière permanente. M. Frère disait, en 1853, que le comité n'aboutirait pas, parce qu'il était impossible d'espérer de l'assiduité, du dévouement à des devoirs sans traitement. Eh bien, les faits ont démenti ces prédictions.
Sans traitement, avec de simples jetons de présence, les membres du comité ontrempli consciencieusement leur mandat. Il me semble qu'on n'a pas le droit de s'en plaindre. Il faut les en féliciter.
Le comité d'enquête avait été nommé par arrêté royal du 29 mars 1853. Il cessa de fonctionner le 24 juillet 1854.
Le comité qui devait le remplacer d'une manière permanente et sans retard, comme l'exprimait le rapport de la section centrale du 26 avril 1854 sur le crédit des 9 millions, ce comité ne fut créé que le 28 octobre suivant, au moment de la réunion de la législature. Cette perte de temps fut très regrettable.
Savez-vous quel en a été le résultat ? Je puis ici donner immédiatement un détail qui vous prouvera qu'un comité consultatif peut être quelquefois bon à quelque chose. Pendant que l'on discutait l'organisation du comité consultatif au mois de septembre, nous apprîmes qu'il était question de transformer les machines fixes des plans inclinés de Liège, de basse pression en moyenne pression. Il s'agissait d'imputer 250,000 fr. environ sur les 9 millions. Cette dépense fut résolue, malgré l'avis exprimé par quelques personnes compétentes.
Cependant tout faisait présager alors que cette dépense serait faite en pure perte, que l'eau manquerait. Les machines fixes de Liège sont placées sur le sol miné par des charbonnages.
On se sert d'ailleurs de machines locomotives pour franchir des pentes de la même nature dans d'autres pays.
La dépense est faite maintenant. Le résultat en est au moins très problématique. Aura-t-on de l'eau ou n'en aura-t-on pas ? Si on en trouve, les compagnies charbonnières se la feront de toute manière bien payer.
Le fait est que pendant l'année dernière on s'est servi de machines-roulantes pour franchir les plans inclinés, et cela à leur grand détriment, car il faut des machines spéciales à trois paires de roues couplées pour ce service.
Si le comité avait été organisé plus tôt, il eût mis obstacle, bien probablement, à cette dépense ; car nous avons constaté en Angleterre, aux plans inclinés de Bromsgrove, qui ont de l'analogie avec ceux de Liège, que le service s'y fait régulièrement, même par un temps de neige, avec des machines locomotives, mais spéciales.
Messieurs, je tenais à vous rappeler l'origine du comité consultatif des chemins de fer, postes et télégraphes, parce qu'il importe qu'on n'oublie pas que cette institution est sortie de nos discussions.
Mes efforts en 1853 ne tentaient pas cependant à en aboutir là.
J’avais cessé depuis longtemps de considérer ce moyen comme un remède efficace.
Je croyais qu'une enquête parlementaire eût démontré la convenance de la cession de l'exploitalion à l’industrie privée, j'ai contribué à faire naître le comité consultatif, sans le vouloir.
On m'a offert d'y siéger.
J’ai consenti atiu de ne pas me séparer des collègues dont je partageais les idées de réforme.
J'y ai consenti parce qu'en me rapprochant de l'administration, j'espérais obtenir des améliorations que les meilleurs discours ne parviennent pas à réaliser.
Nos débats pailcmentaires restent trop souvent stériles parce que leur publicité irrite l'amour-propre administratif.
Les ministres prennent quelquefois fait et cause pour leurs bureaux, et font écarter les réformes dont la convenance est le mieux démontré en traitant de théoriciens ceux qui les proposent.
Mon intervention dans les actes d’un comité laissait d'ailleurs debout ma proposition d'enquête parlementaire, si le comité consultatif, n'amenait pas de résultats.
En effet, pendant la discussion de ma pioposition, le 15 février 1853, un honorable député d'Anvers, ancien ministre, a dit : « Si l'institution d'une commission ne suffisait pas, n'aboutissait pas, si dans un an ou deux, la Chambre reconnaissait qu il n'y a pas eu de résultat obtenu quant aux abus qu'elle a voulu empêcher, aux améliorations qu'elle a voulu introduire, ce serait pour la chambre le moment d arriver à cette résolution, toujours un peu extrême, de la nomination d'une commission d’enquête. »
(page 349) Le comité consultatif fut compose de douze membres.
La commission d'enquête avait conclu à sept.
C'était beaucoup.
Dès le principe, le comité comprit la difficulté de sa tâche.
Ce n'était certes pas une chose facile que d'entreprendre la réformé d'une administration puissante, habituée à agir sans contrôle, intéressée à maintenir le statu quo ; une administration qui a jeté de profondes racines dans le sol si fécond du budget de l'Etat.
Le comité comprit que le succès dépendait de l’union, que cette union devait avoir de fortes convictions pour base, et que ces convictions ne pouvaient s'établir que par la constatation des faits accomplis.
C'est ce qui détermina le comité à déléguer cinq de ses membres pour visiter les chemins anglais, leurs ateliers de construction, leur système d'exploitation et d'administration.
Le gouvernement leur adjoignit le directeur général des chemins de fer et fit partir en même temps trois ingénieurs.
Ce voyage accompli donna au comité la force de cohésion nécessaire pour accomplir sa mission.
Savcz-vous ce que le comité consultatif a rapporté d'Angleterre ? C'est d'abord une conviction profonde qu'il y a à placer dans notre chemin de fer 20 millions à l'intérêt moyen de 25 p. c. Si je les avais, je serais tout disposé à les y placer, mais à une condition, à la condition de la réforme du système d'exploitation et du système d'administration.
Sans cette réforme je n'aurais pas la confiance suffisante pour y engager mon capital.
Ce que le comité consultatif a encore rapporté d'Angleterre, ce sont des machines locomotives, dont l'acquisition a été l'objet des critiques de l'honorable député de Liège, qui vous a dit : « Les membres du comité sont allés en Angleterre, ils ont fait de l'administration, des acquisitions de machines. »
Messieurs, si les membres du comité ont acheté en Angleterre des locomotives, c'est qu'ils avaient mission de le faire. Qu'est-ce que cela a d'irrégulier ? Le gouvernement commissionue tons les ans certaines personnes pour l'achat de chevaux ou d'autres animaux, au nom du département de l'intérieur. Cette mission a donc été parfaitement régulière, elle a été surtout utile.
Le comité en ramenant ces machines a rendu un service signalé au pays. Si le chemin de fer n'était pas pourvu de ces machines, il aurait été obligé d'arrêter quelques-uns de ses services ; l'une de ces locomotives fait le service d'express de Bruxelles à la frontière de Prusse.
Savez-vous quel est le résultat de cette acquisition ? Les machines anglaises consomment environ 50 p. c. de combustible de moins que les vieilles machines sans force et sans puissance de l'administration belge ; quand les voitures dépassent le nombre de neuf, la machine anglaise sortie des ateliers de M. Wilson, à Leeds, consomme 45 à 50 paniers de coke pour aller à Liège et retour, et quand on se servait des machines de l'Etat il en fallait deux, dans cette hypothèse, qui consommaient au-delà de 120 paniers. C'est un bénéfice de 20 mille francs par an ; c'est le double de ce qu'il faut pour payer les jetons de présence du comité consultatif.
En outre, une machine de cette puissance donne des gages de service régulier : elle peut faire un temps d'arrêt dans une ville aussi considérable que Louvain qui compte 30,000 âmes et arriver à destination à l'heure convenue. Ce temps d'arrêt vaudrait de plus à l'Etat au moins (erratum, page 373) 10,000 francs par an.
En revenant d'Angleterre, qu'avons-nous appris ? Que des machines nombreuses avaient été commandées et qu'elles avaient été commandées d'après des plans qui n'offraient pas des conditions favorables de traction, d'entretien, de consommation de combustible.
Le comité demanda au gouvernement d'ajourner cette commande, il s'agissait d'une dépense très considérable.
Le gouvernement accéda à cette demande, sauf pour (erratum, page 373) 8 machines dont la construction était trop avancée.
Les autres furent commandées d'après les plans qui furent rapportés d'Angleterre.
Le comité a pris en formulant cet avis une très grave responsabilité. Mais cette résolution indique que les notions acquises en Angleterre étaient approfondies.
Et je persiste à croire que le comité a rendu, en cette circonstance, un service signalé au pays.
Depuis lors, une compagnie belge, ayant pour administrateur un des directeurs d'un établissement de construction de machines, en a fait venir plusieurs d'Angleterre, des mêmes ateliers de construction de M. Wilson, cause des commandes multipliées auxquelles l'industrie belge ne peut suffire. Cette compagnie eu a été très satisfaite et a reconnu la supériorité de ces machines.
Ce que le comité a rapporté encore d'Angleterre, ce sont des outils. Il avait été constaté que les ateliers de reconstruction et de réparations de Malines sont dépourvus des outils nécessaires pour donner des résultats satisfaisants tant au point de vue de l'économie qu'au point de vue de leur perfection.
Les membres du comité avaient été autorisés à faire le choix des outils les plus indispensables dans les meilleurs établissements.
Ces outils sont arrivés à Malines depuis dix mois, leur mise en œuvre réaliserait des avantages réels pour les chemins de fer. Eh bien, ces outils, chefs-d'œuvre de l'art mécanique, auxquels l'homme a en quelque sorte communiqué une parcelle de son intelligence, restent sans emploi abandonnés à la rouille, sans doute comme une protestation contre les innovations des réformateurs du comité, en attendant que quelque incident dû aux hasards des luttes parlementaires vienne arrêter la mise en pratique de leurs avis.
C'est grâce aux relations de l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp en Angleterre que tous les bureaux, tous les ateliers nous ont été ouverts. Les chefs des compagnies anglaises ont montré pour nous une complaisance qui, après tout, honore notre pays. Nous avons rapporté des plans de station, des dispositions de rails. Nous nous sommes convaincus qu'on fait un beaucoup trop grand usage des plates-formes don chacune coûte environ 5,000 francs au trésor belge. On les a introduites dans notre voie avec une prodigalité sans pareille.
Enfin, nous nous sommes convaincus qu'il y avait énormément à faire et à refaire pour mettre nos chemins de fer dans une bonne situation.
Je disais que je n'hésiterais pas à placer 20 millions dans le chemin de fer, à la condition d'une réforme dans le service administratif. Eh bien, voici d'abord une vérité ; elle ne sera contestée par personne, c'est que rien n'est plus ruineux que d'exploiter une entreprise avec des capitaux insuffisants. C'est dans cette situation que se trouve le chemin de fer. On ne lui a pas donné de capitaux suffisants. Dans cette situation, c'est un devoir impérieux que de compléter le capital qui lui est nécessaire ou de le céder aux meilleures conditions possible, car je dis que c'est une ruine de laisser le service du chemin de fer dans la situation incomplète où il se trouve depuis tant d'années, malgré tant de réclamations depuis dix ou douze ans.
Quelle est la conséquence de cette insuffisance du capital ? C'est que notre matériel se détériore au soleil et à la pluie parce que les hangars manquent, c'est que nous ne pouvons tirer de nos waggons toute l'utilité que nous pourrions en tirer. Comme les magasins font défaut, il est impossible de décharger les waggons et par suite on n'en tire pas tout le parti possible. Cela occasionne inévitablement des pertes considérables.
Quel en est le résultat ? Des détériorations, des frais pour avaries ; l'administration du chemin de fer en paye de très considérables par le manque de surfaces couvertes.
Je dis encore qu'il'n'est pas avantageux d'exploiter avec des voies trop faibles.
Ayez une voie solide, munie d'éclisses comme en Angleterre ; la résistance sera moins forte ; il faut moins de puissance de traction ; il faut moins de combustible. On n'a pas de frais d'entretien journalier, et ce qui ne gâte rien, c'est qu'on voyage avec plus d'aisance, de facilité et moins de fatigue.
Il est maintenant constaté qu'un chemin de fer muni d'éclisses réalise 50 p. c. de bénéfice quant à l'entretien. Les éclisses ce sont des pièces de fer boulonnées qui donnent une grande fixité aux rails à leur point de jonction.
Je dis qu'il est ruineux d'exploiter avec un nombre de locomotives insuffisant, avec des locomofives sans force ni puissance. Qu'en résulte-t-il ? C'est que le matériel roule tous les jours. Or, dans un service régulier, une locomotive ne doit pas marcher tous les jours. Sur quatre il faut un jour de repos pour qu'elle soit examinée.
Ce service de tous les jours est celui qu'on fait faire aux machines anglaises à leur grand détriment et dont le prix égale celui d'une belle habitation à Bruxelles, 75,000 francs.
Je dis qu'il est ruineux de ne pas avoir un nombre suffisant de waggons. Nous en avons 4,000, nous devrions en avoir 2,000 de plus. C'est à tel point qu'au lieu d'appeler les transports, nous sommes en quelque sorte obligés de les repousser.
C'est dans ces termes qu'on trafique, en Belgique et qu'on réalise cependant des bénéfices. Si cette administration sans organisation solide, trafique avec quelques avantages, que serait-ce si nous trafiquions avec un capital convenable, dans de bonnes conditions, si le trafic était dirigé par des hommes capables, dévoués aux devoirs qu'ils ont à remplir envers leur pays ?
Maintenant, je désire passer à la nomenclature de quelques-uns des actes du comité ; ces renseignements sont puisés dans ses procès-verbaux.
Le comité, dès son organisation, a discuté une question qui lui a été soumise par l'administration elle-même, la réforme partielle du tarif des marchandises. Il s'agissait, par exemple, d'attribuer des primes aux charges complètes, et de faire payer plus cher les charges incomplètes. On stipulait des prix de transport moins considérables en été, plus considérables en hiver, afin d'engager le public à s'approvisionner pendant la saison où l'exploitation est la moins onéreuse. L'ensemble de ces dispositions devait donner un bénéfice de 300,000 fr. par an. Jusqu'ici, il n'a pas été donné suite à l’avis du comité qui a été favorable à ce projet.
Le comité a discuté, pendant plusieurs séances, si la question si imposante du combustible, qui absorbe des sommes considérables. Il a été constaté que le coke était de très mauvaise qualité, de si mauvaise qualité que les machinistes tiennent à brûler des briquettes.
Le comité a cru devoir l’attribuer à la mauvaise rodaction des cahiers des charges. Ces cahiers des charges, au lieu de repousser du coke d'une qualité inadmissible, l'admettaient moyennant des amendes. Or il paraît que le département des travaux publics faisait rarement l'application des amendes.
(page 350) Le comité a proposé le rejet du coke, quand il ne réunit pas certaines conditions déterminés, il a demandé que l'on fît des approvisionnements, afin de rendre le rejet possible. Dans le passé les approvisionnements ne dépassaient pas les besoins de la journée. Le rejet était donc impossible sous peine d'arrêter le service. Le voyage d'Angleterre a fourni des notions utiles à ce sujet. Enfin le comité a rejeté l'usage des briquettes comme nuisible aux machines à fort tirage, dont elles font couler les tubes. Cette question était restée en suspens pendant deux ans près de l’administration.
Messieurs, le comité a conclu à ce que le gouvernement renonçât au renouvellement de machines sans valeur.
On dépensait jusqu'à 30,000 fr. pour renouveler une machine d'un système arriéré, et l'on finissait par renouveler indéfiniment, des machines disproportionnées, sans puissance, consommant beaucoup de combustible, et d'un entretien dispendieux.
Le comité a conclu à ce qu'on s'abstînt de faire faire des travaux de réparations, de renouvellement dans des ateliers disséminés sur la voie, dans des ateliers dépourvus d'outils, où tout s'exécute à la main ; il a conclu à ce que ces travaux fussent concentrés à Malines.
Je crois qu'il n'a été tenu aucun compte de ces avis jusqu'à ce jour.
Voici encore use question importante dont s'est occupé le comité. Il existe aujourd'hui des intermédiaires entre le chemin de fer belge et les chemins de fer étrangers, comme il existe des intermédiaires dans le pays, qui imposent au commerce des prix exorbitants. Un rapport remarquable a été fait sur cette question par l'honorable M. de Brouwer ; à la suite de ce rapport, le comité conclut à un exposé à faire par l’administration et à l'avis d'envoyer M. de Brouwer à la réunion des directeurs de chemins de fer qui devait avoir lieu à Breslau. Les frais de ce voyage se sont élevés à 800 fr. pour cet honorable collègue, mais il aurait fait gagner peut-être quelque cent mille francs à l'Etat s'il avait été écouté.
Cette question en est encore au point ou elle en était lorsque nous avons formulé nos conclusions qui tendaient à multiplier les affluents aux chemins de fer, à faire disparaître des intermédiaires ruineux pour le commerce.
Le comité a proposé d'établir des signaux télégraphiques sur le chemin de fer de Namur à Charleroi, depuis qu'un transit important y est établi, depuis qu'on y a établi des express. Cette proposition est encore restée à l'état de lettre morte.
Nous avons demandé (et ce n'est qu'un détail, mais il est important puisqu'il intéresse la vie des gardes), nous avons demandé qu'on fît cesser le contrôle des billets pendant la marche des convi's, cela ne se pratique, ni en France, ni en Angleterre.
Nous avons, messieurs, protesté contre les conventions qui ont été signées entre l'administration belge et le chemin de fer du Nord pour le transit dans notre pays.
Comme le public supposait que cette question nous avait été soumise, nous en avions la responsabilité, et il fallait au moins que nos procès-verbaux constatassent que nous n'avions pas été consultés.
Messieurs, on s'est plaint de ce que le comité s'est trop occupé de détails, et quand il s'agit de grandes questions comme celles-là ou de concessions, on ne veut pas les lui soumettre non plus. Toujours le gouvernement s'est opposé à ce que les questions de concessions fussent soumises au comité, et il a eu tort.
En France, il y a un comité du conseil d'Etat qui est consulté sur toutes les questions de concessions, et cependant en France, le gouvernement y est moins intéressé, puisqu'il n'exploite pas de chemins de fer.
Enfin, messieurs, le comité a discuté très longuement les moyens d'augmenter le matériel des waggons. Le commerce se plaint de l'insuffisance du matériel, il s'en plaint avec la plus grande vivacité. Eh bien, le comité a été arrêté par le manque de fonds.
Le comité s'est rejeté ensuite sur les moyens de tirer au moins le parti le plus avantageux des waggons que nous possédons. A cet effet, il a proposé la nomination de chefs de district ayant pour mission de veiller à ce que les convois fussent composés de manière à rendre leur décomposition facile, et à ce que le matériel ne restât pas sans emploi.
Cetlte question de la composition des convois exerce une très grande influence sur l'emploi utile des waggons et par suite sur les recettes de l'Etat.
Le gouvernement a soumis à l'examen du comité des plans de gares ; pour la station de Quévrain, entre autres, le comité a proposé une réduction de 100,000 francs qui pouvait être obtenue sans nuire le moins du monde au service. L'administration des douanes, intéressée dans la question, a donné sa complète adhésion à son a vis.
Je ne veux pas, messieurs, prolonger davantage ces détails. Je compte demander, à l'issue des débats, la publication des procès-verbaux du comité. Il me reste cependant à parler d'un projet d'organisation que nous avons formulé. Le comité a consacré à ce projet de nombreuses séances.
L'organisation adoptée par le comité tend à déterminer d'une manière précise le service et les devoirs de chacun, en répartissent le travail de telle façon, qu'il n'y ait qu'un agent pour chaque tâche, et que l'ensemble de chacun des services, dont se compose l'exploitation se trouve sous la main d'un homme spécial.
Telles sont les bases de l’organisation proposée : 1° pour le service de la voie ; 2° pour celui de la locomotion ; 3° pour celui du matériel coulant ; 4° pour celui des transports.
Cette organisation tend à réduire le nombre des employés, afin de pouvoir, en augmentant les traitements, empêcher que les compagnies ne nous enlèvent les meilleurs sujets.
Elle tend à interdire l'accroissement arbitraire du personnel en fixant les cadres.
Elle tend à augmenter l'énergie du service actif en réduisant le travail de la bureaucratie dans les limites du possible.
Voici, messieurs, mes impressions, après avoir vu l'administration de près. Je veux vous dire toute ma pensée.
Les clumins de l'Etat et son énorme capital sont placés dans la main d'un seul homme assisté par quelques commis, et cet homme n'est pas le chef responsable du département.
Les services d'exécution sont livrés à un certain nombre d'individus portant le titre d'ingénieurs, titres décernés souvent arbitrairement, ou d'inspecteurs, sans attributions bien déterminées, sans responsabilité, et venant souvent se contrarier les uns les autres.
Ces services sont abandonnés de fait aux chefs des stations, ils les dirigent aussi bien que possible dans la mesure de leurs forces.
Les chemins de fer sont dirigés comme le serait une armée, dont le chef prétendrait commander ses divisions sans généraux de brigade, sans colonels, sans chefs de bataillon, en s'entourant seulement de quelques officiers hors cadre sans commission spéciale, sans responsbilité.
Il est clair que dans un système semblable le chef serait incapable de l'initiative de toute mesure importante ; il serait noyé dans des détails.
Mais que serait-ce si ce chef était continuellement absent ? La conséquence serait immanquable, c'est que cette armée serait en état de dissolution complète.
Messieurs, le chef du département des travaux publics avait consenti à demander la sanction royale en faveur du projet d'organisation, qui n'est au fond qu'un règlement d'attributions.
Ce projet avait été rédigé dans l'hypothèse du maintien d'un contrôle exercé par le comité lui-mêm. -Après avoir obtenu l'approhatiou de M. le ministre, le comité réclama vivement et à diverses reprises un projet de cadres indiquant le nombre, des employés et leurs traitemenis, c'était le complément indispensable du projet d'organisation. Ce travail était réclamé depuis longtemps.
Le comité ayant suffisamment constaté qu'il y avait parti pris de la part de la direction de ne pas lui soumettre les cadres du personnel, d'après les principes formulés dans son projet, s'aperçut que son existence était compromise.
Deux membres du comité engagèrent M. le ministre à différer la publication du projet d'organisation. Leur but était d'y introduire une modification devenue indispensable dans l'hypothèse probable de la retraite du comité.
Cette modification consistait à renforcer le contrôle du chef du département par des moyens autres que celui d'un comité.
C'est ce qui a fait ajourner la publication du projet d'organisation, qui n'est en réalité qu'un règlement d'attributions, saus valeur s'il n'est pas accompagné de l'organisation des services extérieurs, pour lequel propositions ont été réclamées vainement pendant dix mois.
Je ne sais ce qu'il aviendra de ce projet. Mais nous croyons avoir rempli noire devoir.
Messieurs, je pense que la Chambre est tenue, dans l'intérêt du pays, de prendre bientôt une résolution concernant le chemin de fer de l'Etat. Nous nous trouvons en présence de deux hypothèses ; la cession aux compagnies, et je ne crois pas que, pour le moment, il y ait une majorité pour h réalisation de cette idée, ou le maintien du statu quo. Eh bien, je dis que le statu quo, qui suppose un comité consultatif sans autorité, dont on n'exécute pas les conclusions, doit amener inévitablement et dans un délai très rapproché la cession aux compagnies. Or si l'on veut maintenir ce système, je trouve qu'on ferait beaucoup mieux de céder immédiatement le chemin de fer.
Si l'on ne veut pas de cette résolution, que la Chambre se décide, qu'elle se décide à entrer franchement dans le système de l'exploitation par l'Etat ; qu'elle vote les crédits nécessaires pour compléter cette entreprise ; qu'elle s'y prenne d'une manière quelconque, peu m'importe laquelle, pour réorganiser les services. Il est positif qu'il y a quelque chose à faire, qu'il y a beaucoup à faire, et je conclus de la manière suivante : Je demande que cette question soit vidée prochainement, je demande qu'elle le soit à la suite du dépôt d'un projet organique d'exploitation, que déjà, il y a bien longtemps, l'honorable M. Nothomb avail laissé entrevoir, que j'ai réclame bien des fois, Car enfin le fait esi que l'Etat n'exploite, à l'heure qu'il est, que par suite du vote annuel du budget, qu'à titre d'essai, Eh bien, si l'on trouve que cet essai doit être continué d'une manière définitive qu'on le déclare et qu'on prenne les garanties nécessaires.
Messieurs, je n'ai pas de parti pris ; j'aime à partager les opinions de mes honorables collègues lorsque je les crois meilleures que les miennes. Mais je ne puis partager en cette circonstance l'avis de l'honorable M. Frère. Avec l'instabilité qui règne dans les départements ministériels, il me semble qu'un ministre ne peut diriger convenablement seul l'exploitation des chemins de fer. Je voudrais qu'une loi établît pour le chemin de fer une organisation administrative toute spéciale, le système (page 351) d'une administration collective. Ce système est d'ailleurs profondément entré dans nos mœurs et dans nos usages. Il existe pour la commune ; la commune est administrée par le collège des bourgmestre et échevins. Il existe pour la province, la province est administrée par la députation avec le gouverneur. Eh bien, je voudrais qu'il y eût de même une administration collective pour le chemin de fer.
Ceci est une question que je n'entends pas résoudre immédiatement. Mais la question mérite d'être examinée, d'être mûrie. Je la recommande à l'attention du gouvernement. En attendant que la Chambre s'en occupe, et je désire que ce soit le plus tôt possible, je conclus à ce qu'un projet d'organisation nous soit présenté. J'espère que dans tous les cas, vous consentirez à l'impression des procès-verbaux du comité consultatif des chemins de fer.
(page 343) M. Maertens. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur pour 1856.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport. Elle fixera, après la distribution, le jour de la discussion du budget.
M. le président. - La parole est à M. Van Hoorebeke.
M. Van Hoorebeke. - Avant d'entrer dans le fond même du débat, que le discours de l'honorable préopinant me permettra d'abréger, avant de constituer la Chambre juge du dissentiment qui s'est produit hier à l'occasion d'une institution dont je m'applaudis comme d'un des actes les plus utiles que j'ai posé dans le cours de ma carrière ministérielle, je tiens, messieurs, à rencontrer dans quelques considérations préliminaires deux points qui ont été traités dans le cours de ces débats.
L'un touche à l'existence future du comité consultatif du chemin de fer, et l'autre touche à une question de légalité qui a été soulevée dans le discours de l'honorable M. de Perceval.
En ce qui concerne l'existence du comité consultatif, la situation est parfaitement définie. Les mesures que j'avais prises devaient tendre à constituer la Chambre juge souveraine de cette question de principe.
La position dans laquelle se trouve mon honorable successeur est une position libre de toute espèce d'engagement ; mon honorable successeur pourra ou maintenir cette institution, la maintenir purement et simplement, la maintenir en la modifiant, ou la supprimer.
S'il la supprime, j'ose lui prédire que, dans un avenir prochain, la situation des chemins de fer sera ce qu'elle était en 1850, lorsque j'ai pris la direction du département des travaux publics, c'est-à-dire une situation déplorable.
S'il maintient l'institution, il devra, à mon avis, l'insérer dans le budget des travaux publics afin que la Chambre soit appelée à discuter et à trancher définitivement la question.
Il peut la maintenir et la modifier ; il peut la modifier en excluant de la commission l'élément parlementaire que je n'ai admis qu'en partage avec l'élément extra-parlementaire. Ainsi, pour l'avenir, le terrain est parfaitement déblayé.
En ce qui concerne ia question de légalité, je me borne à quelques courtes observations.
Au point de vue constitutionnel, on n'a point attaqué l'institution du comité consultatif, on ne l'aurait pas pu. Pendant dix-huit ans, des citoyens honorables, revêtus de fonctions salariées par l'Etat, ont pris part à vos discussions et ont rempli leur mandat législatif loyalement, consciencieusement. Je ne pense pas qu'on ait prétendu que pendant dix-huit ans la Constitution a été violée et que la Chambre a été livrée à la corruption et au servilisme.
Au point de vue de la légalité, je maintiens que je me serais écarté de l'esprit de la loi sur les incompatibilités, si je m'étais laissé arrêter par le scrupule qu'a soulevé l'honorable M. de Perceval.
Avant la loi sur les incompatibilités, sous l'empire de l'article 36 de la Constitution, il a été reconnu et décidé qu'on se serait écarté de l'esprit et du texte de cet article, si on l'avait appliqué à un membre de la Chambre, acceptant les fonctions de membre d'une commission administrative, alors même que ces fonctions auraient été rétribuées. Je trouve, pour mon compte, que la meilleure garantie de l'indépendance du député est dans sa conscience ; c'est dans la dignité de son caractère que je trouve la meilleure sauvegarde contre toute espèce de tentalive de corruption, venant d'en haut ou venant d'en bas...
M. Coomans. - Et les électeurs ?
M. Van Hoorebeke. - La loi sur les incompatibilités parlementaires est conçue dans le même sens ; elle est à peu près littéralement calquée sur l'article 36 de la Constitution. Voici ce qu'elle porte :
(L'oraleur cite les articles 1er et 2 de la loi sur les incompatibilités.)
C'est à peu près dans les mêmes termes qu'est conçu l'article 36 de la Constitution.
Il a été implicitement reconnu que lorsqu'il s'agit de membres de la Chambre, acceptant, non pas des fonctions salariées par l'Etat, mais la position de membre d'une commission consultative, les jetons de présence ne constituaient pas un traitement proprement dit, et, sons ce rapport, l'article 2 était sans application.
Du reste, la Chambre vote tous les ans le budget de l'intérieur ; on y voit figurer le conseil supérieur d'agriculture ; des membres de cettle Chambre et du Sénat font partie de ce conseil, et, à ce titre, ils touchent je pense également des jetons de présence.
Messieurs, l’honorable M. Frère a placé, selon moi, la question sur son véritable terrain. Il s'agit de savoir s'il est utile, au point de vue des intérêts du pays, de maintenir le comité consultatif du chemin de fer.
Que l'honorable M. Frère, me permette de le lui dire, il me semble que dans cette question, il fait abstraction de certains points du débat qui ne devraient pas être perdus de vue ; l'honorable membre paraît faire reposer toutes les réformes sur la question administrative.
Je suis certes loin de prétendre qu'il n'y ait pas d'abus à réformer, qu'il n'y ait pas d'améliorations nombreuses à introduire dans les divers services du chemin de fer ; mais je persiste à croire que ce n'est là qu'un côté secondaire du débat ; que le côté important pour l'avenir du chemin de fer, c'est la question des recettes, la question du matériel, la question de l'achèvement de notre railway.
On oublie dans quelle situation se trouvait l'administration du chemin de fer en 1850, lorsque j'ai pris la direction de cet important département. Je puis le dire, le chemin de fer se trouvait dans une situation déplorable ; tout lui manquait : hangars, abris, matériel. Tous les ministres des travaux publics le reconnaissaient, l'administration s'efforçait de le faire comprendre aux chefs de ce département ; tout le monde le reconnaissait, et cependant l'argent manquait constamment.
Je puis invoquer le langage de l'honorable M. Frère lui-même, pour mettre la Chambre en mesure d'apprécier à la fois l'urgence de ces dépenses, et la situation bizarre où se trouvait le département des travaux publics, en n'obtenant pas les fonds nécessaires pour l'achèvement des stations et le complément du matériel.
En 1847, on comprenait dpjà la nécessité d'assurer à l'achèvement des chemins de fer un capital de 20 millions. Voici dans quels termes s'exprimait ici le 27 décembre 1847 l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur :
« Dans les besoins du passé qui ne sont pas encore indiqués, je trouve une somme d'au moins 20 millions à couvrir ; je veux parler des dépenses afférentes au chemin de fer. Déjà, dans la session dernière, M. le ministre des travaux publics avait déclaré au Sénat que, pour couvrir les dépenses restant à faire pour le chemin de fer, il faudrait un emprunt.
« Ainsi, dès 1846, le gouvernement reconnaissait, etc., etc. »
Dans la séance du 1er décembre 1847, l'honorable M. Frère s'exprimait en ces termes :
« L'administration précédente n'a pas fait pour le chemin de fer tout ce qui était nécessaire. Elle a laissé cette voie nationale dans un état qui est loin d'être satisfaisant. On a reconnu à diverses époques, la Chambre a reconnu, M. le ministre des travaux publics a reconnu en maintes circonstances la nécessité de faire de grandes dépenses au chemin de fer pour le mettre dans un état convenable, pour l'achever, pour faire les stations qui manquent presque partout ou qui sont inachevées, pour compléter le matériel, pour exécuter les doubles voies qui manquent encore sur quelques lignes, pour fournir au chemin de fer des locomotives en nombre suffisant. J'estime à vingt millions la dépense qui sera nécessaire de ce chef et qui, certes, était tout autant une (page 344) obligation pour l'ancienne politique qu'elle est un devoir impérieux pour la politique nouvelle. »
Dans une autre séance (1er février 1848), l'honorable ministre des travaux publics, M. Frère, faisait ressortir, en ces termes, l'urgence dles dépenses que réclamait le chemin de fer :
« Je vous déclare, quant à moi, que c'est un objet de première nécessité, et qu'aussi longtemps que votre chemin de fer ne sera pas pourvu de tous les bâtiments nécessaires à son exploitation, cette exploitation sera incomplète et ne produira pas tout ce qu'elle peut produire. Dans l'état actuel des choses, vous manquez partout de gares. Partout les marchandises sont à l'air libre. Il est impossible d'en avoir le soin convenable, le soin désirable. Partout aujourd'hui, à l'exception de quelques localités, les voyageurs, sont dans de mauvais bâtiments ; partout c'est en plein air que se font les chargements et les déchargements, partout notre matériel se dégrade et se ruine sous l'action de l'intempérie de l'air.
« C'est là une position intolérable. Le chemin de fer ne peut rester en pareil état, il faut qu'il soit achevé, qu'il soit complété, il n'y a pas de luxe à cela, il y a nécessité. »
Voilà, messieurs, la situation en 1848, en présence d'un mouvement beaucoup moins considérable que celui qui s'est produit en 1850 ; en 1848, on transportait un million de tonnes et un million de voyageurs de moins qu’en 1854 ; mais déjà l’on reconnassait l’indispensable nécessité de voter les fonds et cependant ils n’arrivaient pas ; quelque smois après, je m’adressai au ministre des finances, M. Frère, pour avoir un crédit de 5 millions ; je dois le dire, la situation financière ne comporta pas une semblable dépense. Dans la loi sur les travaux publics, on n’a compris le chemin de fer que pour un million, voulant rester dans les limites de 25 millions.
M. Rolin fit la proposition de voler une allocation de 25 millions pour le chemin de fer, elle fut rejetée à une très faible majorité.
C'est vers cette époque, que se produisirent les discussions les plus vives, les plus passionnées, les demandes d'enquête parlementaire. L'honorable M. Osy faisait de l'institution d'une commission parlementaire la condition de son vote approbalif. On peut l'affirmer sans exagération : jamais la situation pour l'avenir de cette grande entreprise nationale n'avait été plus critique, plus redoutable. C’était un état de crise qui menaçait le principe même de l'exploitation par l’Etat.
Tout le monde le comprenait ainsi, et quand on vient aujourd'hui, dans cette enceinte, se livrer à des récriminations contre l'institution du comité consultatif, on perd complètement de vue les nécessités du passé et les considérations d'un ordre supérieur qui ont dirigé la conduite du gouvernement. Quelle devait être, quelle pouvait être la mission de cette commission consultative aux lumières desquelles je fis appel ? Pour le savoir, on n'a qu'à se demander quels griefs s'étaient produits dans la discussion qui avait précédé la formation du comité. On reprochait au chemin de fer de trop coûter et de ne pas produire assez ! On lui reprochait aussi d'être régi par une organisation défectueuse. C'est sur ces trois points que portèrent les investigations de la commission d’enquête.
La commission se livra, quant aux dépenses à faire, à un travail des plus consciencieux ; le résultat de ce travail fut que ce qu'il fallait au chemin de fer avant loul, c'était de l'argent, des millions et beaucoup de millions. Grâce à ce dépouillement laborieux, la Chambre éclairée, confiante, vota avec empressement les deux crédits qui furent sollicités, l'un de 4,800,000 francs, le deuxième de 9,000,000, c'est-à-dire près de 14 millions. Ces crédits sont encore loin de suffire : c'est par une espèce de blanc seing que les crédits furent mis à la disposition du ministre des travaux publics d'alors, de moi.
Le chemin de fer, disait-on, ne produit pas assez. Vous vous rappelez, messieurs, que la question de tarif devait être résolue législativement. Mais il était à craindre qu'à l'occasion de cet examen si difficile, si complexe de toutes les questions qui se rattachent aux péages sur nos voies terrées, les opinions les plus diverses, les discussions les plus confuses ne se produisissent. La Chambre se contenta de la présentation du projet de loi. L'examen en sections eut lieu ; la section centrale fit même son rapport ; mais tout se borna là. Et pourquoi ? parce que, dans l'intervalle, la commission consultative, saisi par le gouvernement d'un projet de remaniement des tarirs, eut l'occasion, en l'approuvant, de donner satisfaction à une fraction considérable de cette Chambre qui réclamait une augmentation du revenu.
Quel fut le résultat de cette révision partielle ? Un million de recettes en plus, dues à la seule influence des nouvelles bases de tarification. Depuis cette époque j'ai proposé des projets de loi prorogeant les pouvoirs accordés au gouvernement de régler les tarifs, les questions qui surgissaient avant à cette occasion n'ont plus été soulevées, toujours ces lois de prorogation ont été votées pour ainsi dire sans discussion.
Il restait une troisième question, celle-là aussi avait son importance : l'organisation administrative des chemins de fer était en cause, il s'agissait de faire fonctionner commercialement les divers services ressortissant au chemin de fer et aux télégraphes. La commission consultative ne put pas achever cette partie de sa tâche ; elle se sépara après avoir résolu les deux premiers points ; elle légua au conseil futur le soin de régler la question administrative.
Ici, je n'ai pas besoin, pour expliquer la conduite du gouvernement de cette époque, de rappeler les citations assez claires, assez précises qu'a produites l'honorable M. de Man. Il est constant que, dans le rapport relatif aux 9 millions, le vœu de voir instituer un conseil supérieur fut exprimé ; des scrupules se produisirent. Un honorable membre qui s'est montré peu partisan de ce conseil, l'honorable M. E. Vandenpeereboom, que nous regrettons de ne plus voir siéger ici, ouvrit la discussion par un discours dans lequel il produisit les griefs qui, selon lui, ne permettaient pas de recourir à ce moyen, les honorables MM. Frère et Devaux se joignirent à lui pour critiquer également, ce qu'avaient de trop absolu les conclusions de la section centrale ; mais il est à noter que les objections fondamentales portèrent sur le caractère de permanence qu'on avait semblé vouloir attacher au conseil et sur les attributions administratives qu'on lui avait reconnues.
Le gouvernement tint compte de ces observations, la commission ne fut pas exclusivement parlementaire ; l'élément parlementaire ne fut même pas en majorité, et le caractère permanent disparut de l'intitulé de l'arrêté. On avait exprimé un autre doute, élevé une autre objection ; on avait dit : Ce ne sera pas une commission consultative, ce sera un conseil d'administration qui s'imposera au ministre, qui absorbera ses prérogatives et fera disparaître le principe de la responsabilité. Le gouvernement en faisant disparaître les attributions définies dans un avant-projet donna satisfaction aux honorables membres, qui soulevaient cette objection.
Maintenant, sur la question d'organisation, le gouvernement n'a pas en à se prononcer. L'organisation telle qu'elle résulte des arrêtés de 1852, est meilleure, selon moi, que le bureau de contrôle que l’honorable M. Frère avait songé à établir en 1847 et qui ne l'a pas été.
Puisqu'il s'agit de ce bureau de contrôle, précisons en peu de mots son historique. M. Frère avait proposé au budget de 4848 une somme de 30 mille francs destinée à établir un bureau de contrôle. Déjà à cette époque le rapporteur du budget des travaux publics fit ressortir les craintes qu'il avait conçues au sujet de l'efficacité d'un semblable rouage.
Et l'honorable M. Frère, quittant le ministère plusieurs mois après, avait laissé les choses telles qu'elles étaient avant l'idée même du bureau de contrôle. Les budgets de 1848 et de 1849 ont été soumis à la Chambre par son honorable successeur, et voici ce que je lis dans la note qui précède le budget de 1849 :
« Une plus longue expérience m'ayant démontré la nécessité de maintenir- e bureau à la direction et de créer un deuxième bureau de vérification à l'administration centrale, afin que la vérification des recettes puisse se faire, en deuxième degré, au département, il y a lieu de restituer a l'allocation du personnel du chemin de fer une somme équivalente à celle qui avait été distraite. »
C'est-à-dire qu'en 1850 on avait résolu la question contrairement à l'idée qui avait été émise en 1847. Mais il faut bien le dire, selon moi le mal n'est pas dans un bureau de contrôle de plus ou de moins ; car, quant à ce qui est des recettes ou du contrôle, l'administration du chemin de fer est complètement irréprochable. Sur ce point, lacommission consultative a fait un examen approfondi de la question ; elle s'est rencontrée avec une commission composée de conseillers à la cour des comptes qui a proclamé la régularité du contrôle de l'administration du chemin de fer.
Pour ne pas allonger le débat, je me bornerai à citer quelques passages des procès-verbaux de la commission consultative.
Voici en quels termes s'exprimait M. Grenier-Lefebvre, sénateur à cette époque, et qui faisait partie de la commission :
« M. Grenier-Lefebvre combat les mesures proposées par M. Cools. L'institution du conseil a eu pour but, dit-il, de rechercher les moyens de simplifier les rouages de l'administration, de diminuer les dépenses et d'augmenter les recettes, tandis que les propositions de M. Cools vont à rencontre de chacun de ces résultats.
« En effet, l'impression qui lui est restée de l'inspection faite par la sous-commission de la comptabilité et du contrôle des recettes, est qu'il y a plutôt trop que trop peu de contrôle au chemin de fer. Il déclare qtie dans toute sa carrière commerciale, il n'a jamais vu de maison de commerce, de banque, ni d'établissement industriel où le contrôle fût poussé à un pareil degré de perfection. Il pense que l'on ferait bien de se relâcher de cette vérification minutieuse de toutes les taxes, de toutes les opérations les plus infimes qui se font dans les bureaux de recettes et dont le nombre, par la complication des tarifs, est incalculable.
« Il fait remarquer que le public, qui paye, est le contrôleur le plus intéressé à l'exactitude des perceptions et que, dès lors, au lieu de vérifier laborieusement toutes ces perceptions, de mettre un soin minutieux à rectifier les écritures par suite de bonifications ou de forcements en recette insignifiants, il serait préférable de ne vérifier à fond, que de temps à autre, les opérations de chaque station.
« Serait-ce, ajoute M. Grenier, simplifier les rouages de l'administration et diminuer les dépenses, que de créer un contrôle de ce contrôle déjà beaucoup trop parfait ? Augmentera-t-on par là les produits ? Pas davantage, puisque les forcements en recettes opérés par ce contrôle si minutieux, ne s'élèvent, en moyenne, qu'à 12,000 ou 15,000 francs par an.
« Quant à l'organisation d'un contrôle supérieur, telle que l'a tracée M. Cools, il la considère comme tout à fait incomplète, puisque, en résumé, elle se borne à donner au département des finances, la mission d'enregistrer les chiffres que lui fournira le département des travaux (page 345) publics. Dans son opinion, ce système n'est, au fond, que le système suivi actuellement, avec quelques écritures, quelques complications et quelques dépenses de plus. »
La commission consultative, à l'unanimité moins l'honorable M. Cools, se prononça en faveur du maintien du bureau de contrôle, et reconnut que, sous ce rapport, il n'y avait aucune espèce d'abus à réformer ni à redresser. Du reste, c'est certainement la partie la moins vulnérable dans une pareille entreprise. La question des recettes est extrêmement importante au point de vue financier. Mais ce sont les questions relatives à la voie, au matériel, aux convois, au trafic, au service extérieur qui, selon moi, doivent dominer le débat.
De quoi s'est-on plaint en 1850 et en 1852, époque où a été publiée l'organisation nouvelle ? On s'est plaint de l'isolement du ministre ; on disait : Le chef du département ignore complètement ce qui se passe au chemin de fer. Il est sans action directe sur les divers services installés au-dehors. C'est à la station du Nord que tout aboutit, les bureaux, le directeur général, les inspecteurs.
Pour faire sortir le ministre de cet isolement il y avait un remède indiqué par la nature du mal ; j'ai pensé qu'il convenait de mettre le chef responsable en rapport avec les chefs des services qui sont l'âme de l'administration ; j'ai pensé qu'il fallait faire converger vers lui toutes les forces vives de l'exploitation. C'est ce qu'a fait l'organisation de 1852.
Je me bornerai à en reproduire les articles en quelque sorte fondamentaux.
« Art. 6, § 2. Les directeurs sont responsables de la régularité et de la prompte expédition des affaires.
« Des inspecteurs peuvent être attachés aux directions pour être utilisés selon les besoins du service. »
Arrêté portant réorganisation des services d'exécution :
« Art. 4. A la tête des services sont placés des fonctionnaires, ayant au moins rang d'ingénieur de première classe ; ils portent le titre de chef de service. »
« Art. 5. Ces fonctionnaires sont en relation immédiate avec le ministre sauf le cas de délégation. »
« Art. 6. Ils ont la responsabilité du service qui leur est confié, et veillent à l'exécution des ordres et instructions qui émanent de l'administration supérieure.
« Art. 7. Ils soumettent au ministre toutes les propositions que leur dictent le bien du service, l'intérêt du public et du trésor. »
Une instruction du 30 mars 1852 a complété cette disposition et s’exprime en ces termes : (L'orateur donne lecture du passage de la circulaire.)
Ainsi d'après l'économie générale de cette organisation, il y avait à la tête des divers services du contrôle, du trafic, des voies et travaux, des postes, des télégraphes, de la régie, des chefs, des ingénieurs chefs de service, responsables vis-à-vis du ministre, ayant le devoir d'adresser au ministre toutes les propositions qui pouvaient intéresser l'avenir de l'entreprise.
D'autre part, il y avait un directeur général, chargé de l'examen des projets soumis au ministre et ce fonctionnaire avait sous ses ordres les directions, les bureaux chargés de l'élaboration et de l'examen de nombreuses affaires ressortissant aux divers services.
Cette organisation pouvait en fait, dans l'exécution, pécher par suite de l'insufiisance de certains agents, par la faiblesse de certains services.
C'est en vue de remédier à ces inconvénients que le gouvernement avait pensé qu'il était utile au point de vue de l'intérêt du pays d'instituer un conseil supérieur du chemin de fer.
Ce conseil supérieur, par les résolutions dont a parlé l'honorable M. de Man d'Attenrode, a déjà fait du bien ; il peut en faire encore.
Si le gouvernement estime qu'il peut se passer de cette institution, dans le prochain budget des travaux publics il n'en sera plus question. Si le conseil supérieur figure au budget des travaux publics, la Chambre sera appelée à discuter le principe. Cette question sera résolue une bonne fois législativement.
J'aurais beaucoup d'autres faits à faire passer sous les yeux de la Chambre. Mais je pense que les considérations dans lesquelles je viens d'entrer, et qui résument ce que j'avais à dire, suffiront pour faire comprendre à la Chambre que, en ce qui concerne la première commission, le gouvernement a fait une chose qui lui avait été conseillée d'une voix pour ainsi dire unanime par les membres de la Chambre. Je n'excepte pas l'honorable M. Delfosse qui, dans la discussion relative à la première commission, a bien voulu déclarer que si le gouvernement voulait organiser une pareille commission non permanente, il n'y trouvait pas d'objection.
M. Delfosse. - Je parlais d'une commission temporaïre et non d'une commission en quelque sorle permanente, dans laquelle on ferait entrer des membres de la Chambre touchant, de ce chef, des indemnités.
M. Van Hoorebeke. - On ne s'est pas expliqué sur ce point, et la première commission n'a pas eu d'indemnité.
En ce qui concerne l'institution du secoud comité consultatif, il est à remarquer d'abord que cette institution a été précédée d'un rapport fait par l'honorable ministre des travaux publics d'aujourd’hui sur le crédit de 9 millions ; secondement que la question importante de la réorganisation du service était à résoudre.
Enfin, messieurs, il y avait une autre considération qui était de nature à peser sur la responsabilité morale du gouvernement. On ne doit pas oublier que pendant la discussion des budgets de 1852 et 1853, des opinions très radicales s'étaient produites dans le débat.
On avait annoncé, on avait affirmé, que sur un des services les plus importants, le service de la locomotion, on pouvait réaliser des économies à concurrence de plusieurs centaines de mille francs. L'administration a été saisie officiellement par moi de la question, je l'ai interpellée sur ce point de savoir s'il lui était possible, de réaliser une semblable économie sur le service de la locomotion. Tous les chefs de service ont été réunis et ils ont reconnu à l'unanimité qu'il y avait impossibilité d'introduire une semblable économie. Ils ont prétendu au contraire qu'il fallait augmenter notablement l'allocation portée de ce chef au budget.
Je me trouvais donc en présence de cette situation ; je me trouvais dans cette alternative, ou bien de ne pas laisser porter l'investigation sur un point aussi important, ou bien de donner raison aux conseils qui m'avaient été suggérés dans cette Chambre.
Je n'ai pas hésité, en présence d'une affirmation aussi formelle, d'une part, d'une dénégation non moins formelle d'autre part, d'appeler la lumière du grand jour sur cette question, d'appeler les lumières des honorables membres qui ont bien voulu m'apporter le fruit de leurs études et de leurs connaissances.
Dans un moment où, sur un seul service, une économie de 600,000 fr. était déclarée possible par un honorable membre de cette Chambre qui s'était livré sur ce point à des investigations consciencieuses, pouvais-je hésiter un seul instant ? Quant à moi, si j'avais encore une semblable résolution à prendre, je n'y manquerais pas, parce que je croirais manquer à mes devoirs en ne la prenant pas.
M. Manilius. - Il me semble, mssieurs, qu'il est inutile de prolonger cette discussion.
Il s'agit d'un crédit supplémentaire qui nous est demandé pour des dépenses relalives à l'administration du chemin de fer et notamment au comité consultatif des chemins de fer. Quant à moi, comme je crois avoir compris qu'il entre dans les vues et dans les intentions du gouvernement de ne pas maintenir un pareil comité, je crois ne pas devoir contester le crédit. Il me semble que nous pouvons voter ce crédit qui est une solution de continuité, et une solution équitable, à ce qui a éte fait.
Il faut bien reconnaître que des dépenses ont été faites, que des comptes ont été rendus et qu'il ne serait pas juste de ne pas liquider ces dépenses. Quant à moi, j'en voterai l'acquittement, mais c'est à la condition qu'un pareil comité ne soit pas maintenu.
M. Moncheur. - Après les deux discours si substantiels de l'honorable M. de Man et de l'honorable M. Van Hoorebeke, vous ne vous attendez pas à me voir traiter à fond la question de l'administration du chemin de fer. La Chambre aura tiré de ces discours deux conclusions. La première, c'est que le comité consultatif n'aura pas été sanst grande utilité au point de vue des améliorations à introduire dans l'administration du chemin de fer.
Mais, malheureusement, la seconde de ces conclusions, c'est que malgré les conseils de cette commission, malgré tout ce qu'on a pu faire et dire dans cette enceinte et en dehors de cette enceinte, malgré tous les efforts que l'administration elle-même, je le reconnais, a pu faire pour introduire des améliorations dans son système d'exploitation ; aujourd'hui encore, il faut bien l'avouer, cette exploitation se trouve dans un état déplorable, le mot a été dit tout à l'heure et n'est pas trop fort.
Un honorable orateur a dit hier qu'il désirait vivement que l'administration des chemins de fer restât dans les mains du gouvernement. Il a ajouté que, selon lui, la remise de cette administration dans des mains particulières, dans les mains d'une compagnie quelle qu'elle fût aurait les plus graves inconvénients, et si mes impressions sont encore fidèles, car je n'ai pas retrouvé son discours aux Annales, il a élevé ces inconvénients éventuels aux proportions d'une sorte de malheur public.
Or, quant à moi messieurs, j'envisage d'un œil beaucoup plus indifférent cette abstention de l’Etat dans tous les détails de l'exploitation des chemins de fer qu'il a construits, et je n'en suis pas inquiet parce que je suis convaincu qu'il y aurait moyen pour le gouvernement de faire remise de l'exploitation des chemins de fer à des compagnies, en se réservant, une action assez directe pour sauvegarder tous les intérêts généraux de l'Etat.
Quand un propriétaire remet à bail à un tiers sa chose, il est maître des conditions à faire pour cette location ; il sait bien faire tes conditions dans son intérêt et il se garde bien de se mettre à la merci de son preneur.
Ainsi pourrait faite l'Etat.
Quoi qu'il en soit, et puisque l'Etat est en possession de l'exploitation du chemin de fer, il faut au moins, s'il veut la conserver, qu'il se livre à cette exploitation d'une manière utile, rationnelle et complète ; mais c'est là, messieurs, il faut bien le dire, ce qui n'a pas eu lieu jusqu'aujourd'hui, parce qu'on n’a jamais fait, avec intelligence, les dépenses nécessaires pour tirer du chemin de fer tout le parti qu’on peut en attendre.
Messieurs, il est très bien et il est même très nécessaire d’être (page 346) parcimonieux des deniers du trésor, mais il y a des économies qui ne sont que des pertes sèches, qui sont des causes de ruine, de vraies dilapidations. Ainsi voici des faits avérés, des faits officiels. Il nous manque au moins un tiers des waggons nécessaires pour nous livrer utilement au trafic qui se présente. Il nous manque peut-être un quart des locomotives nécessaires ; celles que nous avons ne sont pas assez puissantes pour faire le service d'une manière régulière ; elles dépensent beaucoup trop de combustible ; nous n'avons pas d'abris pour notre matériel qui se détériore d'une manière déplorable par l'action de l'atmosphère.
Nous avons encore des rails trop faibles et même sur plusieurs parcours, très longs et fréquentés, nous n'avons pas encore pu construire la deuxième voie, chose qui présente de grands dangers et qui amène des difficultés extraordinaires dans l'exploitation. Enfin nous n'avons pas encore, après plus de 20 ans d'exploitation, des stations décentes, aux abords de nos villes les plus considérables.
Voilà, messieurs, ce qui se passe, et pourquoi ? Parce qu'on a toujours dit ceci : Il faut que les dépenses du chemin de fer restent dans les limites du budget des voies et moyens. Comme si une entreprise, qui est toute spéciale, qui a ses conditions d'être à elle et dont les besoins, les nécessités et les profits dépendent d'une foule de circonstances et se révèlent avec une promptitude hors des prévisions, comme si, dis-je, une semblable entreprise pouvait être encadrée dans les limites d'un budget des voies et moyens qui n'est fait que pour pourvoir aux dépenses régulières et ordinaires de l'Etat !
Messieurs, il est évident qu'il n'y a pas de rapport rationnel entre une entreprise comme celle de l'exploitation des chemins de fer et le jeu régulier et normal du système financier du pays.
Il faut nécessairement que cette exploitation ait sa caisse à elle, qu'elle soit régie par des principes qui lui soient propres, comme toutes les grandes entreprises, vous ne pouvez pas l'étendre sur une espèce de lit de Procuste où elle soit tiraillée, où elle vivote, mais où elle ne puisse ni vivre ni se développer.
J'espère, messieurs, que quelque chose de pratique sortira de cette discussion. Il ne faut pas nous le dissimuler, 24 à 25 millions au moins sont nécessaires pour qu'on puisse retirer du chemin de fer de l'Etat tous les produits qu'il est susceptible de donner. Faire cette dépense avec intelligence, ce sera faire une excellente spéculation, ce sera faire, au point de vue financier de l'entreprise, ce qu'une compagnie bien administrée n'hésiterait pas à faire dans une situation identique à celle où nous sommes, car celle-ci se demanderait uniquement une chose : quelles sont les dépenses productives exigées par les besoins de l'entreprise, et elle y satisferait.
Mais, dira-ton peut- être, le moment n'est pas propice pour faire un emprunt.
Mais, messieurs, je le demande, est-ce qu'une compagnie particulière ne trouverait pas autant d'argent qu'elle en voudrait pour subvenir aux besoins d'une exploitation aussi belle, aussi vaste que celle de nos chemins de fer ? Mais tous les jours nous voyons des compagnies se former avec le capital nécessaire pour l'établissement de nouveaux chemins de fer, dont l'avenir est un problème, et nous, qui avons nos chemins de fer tout établis, nous qui avons une excellente clientèle, clientèle à laquelle nous ne pouvons même pas suffire, dont nous devons refuser en partie le trafic, nous ne trouverions pas, à de bonnes conditions, autant d'argent que nous en voudrions pour en augmenter les produits !
Et qui nous empêcherait d'ailleurs d'affecter au service de semblable : emprunt les produits mêmes du chemin de fer et en outre la garantie de l'Etat.
Quant à moi, je renouvelle ici, messieurs, la déclaration que jai faite dans une autre circonstance à savoir qu'il n'est impossible d'encourager le gouvernement dans la fausse voie dans laquelle il se trouve, en lui accordant des allocations qui ne sont pas la deuxième partie de ce que les besoins réels et urgents réclament, mais comme d'un autre côté, je ne veux pas enrayer l'administration, ni que les créanciers de l'Etat n'obtiennent pas le plus tôt possible le payement des sommes auxquelles ils ont droit, je me vois forcé de m'abstenir dans cette question comme dans toutes celles que seront soumises à la Chambre jusqu'à ce que l'on prenne des mesures efficaces, rationnelles et propres à faire obtenir les résultats que le pays a le droit d'attendre d'une administration aussi importante que celle des chemins de fer belges.
- La séance est levée à 4 heures et demie.