(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 239) M. Maertens fait l'appel nominal à midi et un quart.
M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Plusieurs propriétaires et directeurs de charbonnages situés dans le bassin de Mons, présentent des observations en faveur de la concession demandée par les sieurs Delaveleye et Moucheron d'un chemin de fer destiné à relier le bassin de Mons à la ville de Gand. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Desforge demande l'achèvement du canal de jonction de la Meuse à l'Escaut par Saint-Job in 't Goor, ou du moins, provisoirement, le dégorgement des fossés de la Campine et l'établissement de petits bateaux pour le transport des engrais et des produits du sol. »
- Même renvoi.
« La dame Nahoel, veuve du sieur Delaet, second à bord du bateau a vapeur de l'Etat « Princesse Charlotte », demande un secours pour elle et ses enfants. »
- Même renvoi.
« Le sieur Collard, ancien militaire, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Frasnes présente des observations en faveur du chemin de fer destiné à relier le Hainaut à la Flandre orientale, dont la concession a été demandée par le sieur Maertens. »
- Même renvoi.
« Des fermiers-cultivateurs à Rebecq-Rognon, Quenast et Tubise, prient la Chambre de voter les fonds nécessaires pour le maintien du haras de l'Etat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Plissart demande la libre sortie du beurre et des œufs, et un droit de sortie sur le charbon de terre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.
« La chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde demande la révision de la loi sur le notariat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des industriels, négociants et propriétaires à Pâturages demandent la construction d'un chemin de fer destiné à relier la ville de Gand et les deux Flandres au bassin houiller de Mons, et présentent des observations en faveur du tracé proposé par les sieurs Maertens, Hertogs et Hoyois. »
« Même demande d'industriels, négociants et propriétaires à la Bouverie. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vangarsse, ancien second du bateau à vapeur de l’Etat « la Ville d'Anvers », demande un secours. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 4 décembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 105 exemplaires d'une brochure contenant la nouvelle loi sur les poids et mesures, ainsi que les arrêtés royaux et les instructions ministérielles qui en règlent l'exécution. »
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre aux délibérations de la Chambre un projet de loi autorisant le gouvernemeni à concéder le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
M. le président (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la Chambre a été informée que lundi aurait lieu la distribution solennelle des récompenses, à l'occasion de l'Exposition de Paris. Cette solennité a un véritable caractère national. La cérémonie commencera à midi, mais d'après les renseignements que j'ai reçus, elle ne se terminera qu'à trois ou quatre heures. La Chambre, dans cette circonstance, ne croit-elle pas qu'elle ferait bien de ne pas avoir de séance lundi (Oui ! oui !)
- La Chambre décide qu'elle n'aura pas séance lundi.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Puisque nous n'avons pas de séance lundi, je demande que la Chambre veuille bien se réunir mardi à une heure. Il y a à l'ordre de jour beaucoup de projets urgents qui doivent nécessairement être votés avant le 1er janvier.
- La Chambre décide qu'elle se réunira mardi à une heure.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - J'ai l'honneur d'informer la Chambre, qu'après un échange de diverses lettres, le cabinet de la Haye m'a fait connaître ce matin que le traité de commerce entre les Pays-Bas et la Belgique ne sera pas dénoncé, au moins pour le 1er janvier 1857.
M. le président. - La discussion continue sur l'article premier.
Deux amendements nouveaux ont éte déposés sur le bureau.
Voici le premier :
« Paragraphe nouveau. Sous-amendemeul à l'article 3 (nouveau) proposé par MM. Orts, Tesch, de Steenhault et Maseart :
« Jusqu'à la même époque il sera également perçu un droit de cinq pour cent à la valeur à la sortie de la laine, du lin, du coton bruts ou préparés, de leurs fils et tissus, nul excepté, ainsi qu'à la sortie des huiles, des suifs et graisses, des bois sciés ou non sciés, des baliveaux et des perches de toutes dimensions. »
Le second amendement est de M. Rodenbach. Il consiste à porter à 90 p. c. au lieu de 5 p. c. le droit proposé sur les houilles par MM. Orts, Tesch et de Steenhault.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, on a présenté sous forme d'amendements différentes propositions qui n'ont pas le moindre rapport avec une loi sur les denrées alimenlaires.Si de pareils amendements peuvent être présentés et discutés, il n'y a pas de raison pour que tous les articles du tarif ne soient discutés à propos de la moindre loi que le gouvernement vous présentera.
J'engage les honorables membres, auteurs d'amendements qui ne concernent pas les denrées alimentaires, au nom de l'intérêt public qui exige que nous ménagions le temps de la Chambre, à ne pas insister sur ces amendements. Il nous reste peu de jours pour discuter sérieusement plusieurs affaires urgentes avant le 31 décembre.
On nous a fait des propositions et des contre-propositions ; en réalité ce ne sont pas des amendements, ce sont des projets de loi. Si les honorables membres persistaient, ces propositions devraient être soumises à la Chambre d'après les formes voulues lorsqu'un membre prend l'initiative d'un projet de loi.
M. Rodenbach. - Je crois l'observation de M. le ministre des finances très fondée.
On nous avait soumis une proposition tendant à imposer d'un droit de 5 p. c. le charbon à la sortie. J'ai, par sous-amendement, demandé que ce droit fût porté à 10 p. c ; mais, d'après ce que vient de dire M. le ministre des finances, je consens volontiers à retirer mon sous-amendement. Nous verrons ce qu'il y aura à faire lorsqu'il s'agira du projet de loi sur les houilles.
M. Delfosse. - Je dois faire remarquer que la plupart des auteurs des amendements sont absents. Ils ont le droit de développer ces amendements ; il y aura ensuite lieu de demander s'ils sont appuyés par cinq membres ; s'ils ne sont pas appuyés, la proposition de M. le ministre des finances deviendrait sans objet.
M. le président. - M. le ministre des finances voudrait que ces amendements fussent retirés, même sans être développés.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je voulais faire l'observation qui vient de produire M. le président. Si les honorables auteurs des amendements consentaient à la demande que je viens de faire, et qui me paraît raisonnable, ils ne devraient pas développer ces amendements.
M. Delfosse. - Ils sont absents.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Nous attendrons.
M. Desmaisières. - Après les discours prononcés hier par mes honorables amis M. de Naeyer et M. Van Overloop, je crois devoir restreindre beaucoup les observations que je me proposais de présenter à la Chambre en faveur de la libre entrée du poisson.
Messieurs, je vous l'avoue franchement, j'ai hésité longtemps à me prononcer en faveur de la libre entrée du poisson, par cette raison que, pour soulager des malheureux, il ne faut pas risquer de créer d'autres malheureux.
Mais, messieurs, après une étude consciencieuse et fort longue de la question, je me suis convaincu que l'entrée libre du poisson, à titre exceptionnel et pour la durée de la crise, ne serait pas un mal et qu'elle était le plus grand moyen, le seul moyen peût-être, que nous ayons de combler cette année le déficit des céréales.
Messieurs, le commerce, je suis bien aise de pouvoir ici lui rendre cette justice avec M. le ministre de l'intérieur, le commerce est de tout temps venu en aide à l'alimentation publique d'une manière énergique. Il suffit de jeter les yeux sur la page 17 de l'expose des motifs du projet de loi pour se convaincre que le commerce est parvenu à nous procurer le déficit des céréales aussi bien de 1835 à 1844 que de 1844 à aujourd'hui, en conséquence aussi bien sous le régime protecteur de la loi de 1834 que sous le régime de la libre entrée des céréales combinée soit avec la libre sortie, soit avec la prohibition de la sortie. Dans (page 240) toutes les circonstances et sous tous les régimes, le commerce est venu énergiquement au secours de l'alimentation publique.
Mais il résulte aussi à l'évidence de l'exposé des motifs que le commerce ne pourra être, cette année, que d'un faible secours à l'alimentation publique.
Messieurs, quand on se trouve en présence d'une crise alimentaire, telle que celle que nous subissons et qui sévit si cruellement sur nos classes pauvres et moyennes, il n'y a pas de système d'économie politique qui tienne ; il faut prendre les mesures nécessaires pour assurer l'alimentation publique, que ces mesures appartiennent au système de la liberté commerciale ou qu'elles appartiennent au système protecteur. Il faut les prendre, parce qu'il faut, avant tout, assurer l'alimentation publique ; celle-ci est alors le premier des intérêts généraux ; elle domine tous les autres, et tous doivent faire des sacrifices en sa faveur.
Messieurs, je ne crois pas, quant à moi, que les pêcheurs d'Ostende et de Blankenberghe souffrent de la libre entrée du poisson. Pour s'en convaincre, il suffit de se rendre bien compte de la situation actuelle de la pêche nationale, Messieurs, il résulte des documents qui nous ont été mis sous les jeux par le gouvernement, que la pêche nationale ne nous a importé en fait de poisson, le plus nécessaire surtout à la classe pauvre, beaucoup moins que la pêche étrangère, bien que celle-ci ait dû payer des droits très élevés.
Ainsi, messieurs, pour le stockfisch, la pêche étrangère nous a importé en 1854, 1,451,617 kilog., la pêche nationale rien. En plies séchées la pêche étrangère nous a importé 2,056,527 kilog., la pêche nationale zéro. Pour les harengs la pêche étrangère nous en a importé 6,264 tonnes et 15,601,474 pièces ; la pêche nationale nous en a importé seulement pour une valeur de 15,020 fr. et 42,000 kilog. dont la valeur ne nous a pas été indiquée.
Quant au poisson frais, la pêche étrangère nous en a importé pour une valeur de 767,726 francs ; la pêche nationale nous en a importé pour une centaine de mille francs en plus, c'est-à-dire pour une valeur de 874,186 francs.
Vous le voyez, messieurs, pour tous ces objets la pêche étrangère nous en a importé infiniment plus, si vous en exceptez le poisson frais que la pêche nationale, malgré les hauts droits qui pèsent sur l'entrée du poisson étranger.
Il n'y a, messieurs, que la morue pour laquelle les importations, de la pêche nationale dépassent assez considérablement celles de la pêche étrangère ; mais, messieurs, comme on vous l'a dit hier, le droit va ici de 50 à 60 p. c. Ce droit prohibitif a eu pour effet que la pêche étrangère n'a fourni que 1,044 tonnes, tandis que la pêche nationale a fourni 2,392,837 kilog.
Ces chiffres, messieurs, prouvent, selon moi, à l'évidence qu'il y a moyen d'augmenter considérablement les importations et la consommation du poisson en Belgique. Quand la pêche étrangère nous fait des importations si considérables en payant des droits aussi élevés, il est évident que si la franchise de droits existait, elle importerait encore beaucoup plus, et que par conséquent, la consommation augmenterait.
Une augmentation considérable sur la consommation sera un bienfait pour la pêche nationale elle-même, en ce sens qu'à l'aide des autres avantages dont elle jouit, elle pourra voir aussi augmenter ses importations. Je prouverai tout à l'heure que ce sera encore un plus grand bienfait dans l'avenir.
On a dit hier, messieurs, que le prix du poisson n'était pas augmenté eu Belgique, que par conséquent, il était évident que la cherté des vivres n'avait pas eu son effet sur le poisson comme sur les autres denrées alimentaires.
Il n'en est rien, messieurs ; je dirai d'abord qu'il est très difficile de bien apprécier quel est le prix véritable du poisson ; ce prix varie d'un instant à l'autre ; un jour il est très élevé ; un autre jour, il est très bas. Cela dépend de la marée, cela dépend des arrivages. Mais j'ajoute qu'il y a une considération qui doit vous faire voir tout de suite qu'il y a eu véritablement élévation de prix sur les poissons par suite de la cherté des rivres : c'est que la consommation obligatoire du poisson en Belgique a été diminuée en quelque sorte de moitié par la réduction du nombre des jours pendant lesquels l'autorité ecclésiastique astreint les catholiques à manger du poisson. Sur deux jours par semaine, il n'y en a plus qu'un auquel les catholiques doivent s'abstenir de viande. Ou peut dire, en conséqueuce, que le prix du poisson, s'il est resté le même, est augmenté de toute la diminution qui est due au mandement de Nos seigneurs les évêques.
Messieurs, il y a un passage de l'exposé des motifs du projet de loi qui m'a beaucoup frappé, qui a exercé sur moi une grande impression, pour me décider à me prononcer en faveur de la libre entrée du poisson. Voici ce passage :
« On sait, en effet, que la ration quotidienne nécessaire pour réparer les déperditions de toute espèce que l'homme éprouve par jour, doit être composée de telle sorte qu'elle comprenne à peu près 30 grammes d’azote (équivalant à 130 grammes du matières azotées) et 60 grammes de carbone. Or, comme 600 grammes de pommes de terre contiennent la dose voulue de cette dernière substance, outre 144 grammes d'azote, on conçoit qu'il suffit d’y ajouter en quantité requise une matière fortement azotée, comme la viande, le lard, le poisson, les œufs, le laitage, les légumes secs (fèves, haricots, pois ; etc.), le café, etc, pour avoir à peu près les éléments d'une ration normale. »
Vous le voyez, messieurs, il y a moyen, et c'est la science qui nous l'apprend, il y a moyen de donner à la pomme de terre une puissance nutritive beaucoup plus grande, par l'addition d'une certaine quantité d'autres denrées alimentaires, et au nombre de ces autres denrées alimentaires qui ont ce privilège, en vertu de la science, le poisson doit être placé au premier rang, car il est constaté aujourd'hui que le poisson a une puissance nutritive plus grande que celle de la viande même.
Eh bien, d'après l'exposé des motifs, la consommation exige en Belgique 14 millions environ d'hectolitres de céréales, l'agriculture nationale nous en a produit, cette année, à peu près 11 millions ; le déficit est donc de 3 millions.
Par contre, la consommation des pommes de terre est évaluée à 16 millions d'hectolitres et l'agriculture nous en a donné 23 millions et demi. Donc nous avons pour compenser le déficit des céréales un excédant de production en pommes de terre qui s'élève à 7,500,000 hectolitres. Il est évident que si ces 7.500,000 hectolitres avaient la même valeur nutritive que les céréales, nous serions dans une position extrêmement heureuse, puisque en déduisant de ces 7,500,000 hectolitres de pommes de terre le déficit de 3 millions d'hectolitres en céréales, il nous resterait, au profit de la consommation, un excédantde 4,500,000 hectolitres de valeur nutritive céréales et certainement, je le répète, ce serait là une position très heureuse.
Donc, si par l'addition d'une certaine quantité de poisson, ayant une valeur nutritive beaucoup plus forte que les céréales, nous pouvions donner à ces 7,500,000 hectolitres de pommes de terre une valeur égale à celle des céréales, nous changerions notre position mauvaise d'aujourd'hui en position heureuse.
Vous voyez qu'alors notre position deviendrait extrêmement belle, et que par conséquent il y a là un motif très puissant pour décréter la libre entrée du poisson, puisque l'augmentation des importations et de la consommation du poisson seul peut ainsi compenser le déficit que nous éprouvons cette année en céréales.
Mais, je l'avoue, pour pouvoir jouir de tous les bénéfices que doit produire pour nous la libre entrée du poisson, il faut prendre encore d'autres mesures. Il faut d'abord que les administrations communales de nos grandes villes abolissent ou abaissent leurs octrois et fassent disparaître les entraves administratives qui s'opposent à l'augmentation de la consommation du poisson. Il faut que le gouvernement, qui est établi tuteur des communes, les y engage et les y pousse.
Il faut qu'il fasse des efforts, des réclamations très vives auprès du gouvernement hollandais pour assurer une plus juste exécution du règlement de 1845 sur la pêche de l'Escaut. Il faut que le ministère des finances prenne des mesures pour faciliter l'introduction de leur poisson aux pêcheurs riverains de ce fleuve.
Il faut enfin que les administrations communales, que les associations particulières, que tous ceux qui, dans un but de charité, fournissent aux pauvres des pommes de terre gratuitement ou à prix réduit, cherchent à augmenter la consommation du poisson ; et tous le peuvent, il suffit qu'ils ajoutent à leurs distributions de pommes de terre une certaine quantité de poisson suffisante pour donner à ces pommes de terre la puissance nutritive des céréales.
De cette manière leurs bienfaits envers les pauvres seront beauconp plus grands.
Vous voyez donc qu'il y a moyen d'arriver à venir en aide à la libre entrée du poisson pour procurer une plus grande consommation de cette denrée alimentaire tout en favorisant la vente pour nos pêcheurs.
Je crois que si toutes ces mesures sont prises, et si tous nous réunissons nos efforts pour augmenter la consommation du poisson, nous, aurons rendu un immense service au pays, non seulement poux le présent, mais aussi pour le futur.
Il arrivera pour la consommation du poisson ce qui est arrivé naguère à l'égard des billets de banque et du riz.
Quant aux billets de banque, vous le savez, l'honorable gouverneur de la Société Générale nous l'a dit très souvent dans cette enceinte, avant 1848 jamais, et même dans les temps desa plus grande prospérité, la Société Générale n'était parvenue à faire monter la circulation des billets de banque au-delà de dix ou douze millions. En 1848, vint une crise financière et commerciale. Dans l'intérêt financier et commercial du pays, la législature et le gouvernement ont décrété la circulation forcée des billets de banque. Le public s'y est habilité, et aujourd'hui la Banque Nationale est arrivée à faire monter le chiffre de la circulation, jusqu à 70 ou 80 millions. On assure même qu'elle arrivera à 100 millions. Ainsi la circulation des billets de banque s'élève maintenant à dix fois ce qu'elle était avant la crise de 1848.
Maintenant il est avéré par les chiffres statistiques que, pour le riz, dipuis que la libre entrée existe, nous avons vu augmenter considérablement les importations et la consommation de cette denrée alimentaire en Belgique. Il en sera évidemment de même en ce qui concerne la consommation du poisson.
Je bornerai là mes observations.
M. Devaux. - Je voudrais ajouter quelques mots sur la question qui se débat devant vous depuis hier. Mais pour l'abréger, je voudrais (page 241) que la situation fût claire, que nous sachions au juste quelles sont les propositions sur lesquelles la chambre doit statuer.
Nous avons d'abord la proposition du gouvernement qui ne change rien à la législation sur le poisson.
Nous avons ensuite la proposition de la section centrale qui suspend tous les droits sur l'entrée du poisson.
Puis nous avons l'amendement de M. le ministre de l'intérieur qui excepte le hareng et le stockfisch, suspend les droits pour ces deux espèces de poissons et les maintient pour le reste.
Enfin nous avons l'amendement de M. Manilius. Si je ne me trompe, d'après l'interpellation de l'honorable membre, son amendement se rapprocherait beaucoup de celui de M. le ministre de l'intérieur, auquel il reprocherait seulement certains défauts de rédaction. Je demanderai donc à l'honorable membre d'intervenir dans le débat pour l'abréger, d'indiquer les modifications qui devraient être introduites dans la proposition du gouvernement pour que les deux amendements pussent se confondre.
S'il avait la bonté de donner une explication là-dessus, je crois que cela aiderait la discussion.
M. Manilius. - Effectivement, lorsque j'ai développé mon amendement, M. le ministre de l'intérieur a répondu lui-même immédiatement que nous étions à peu près d'accord. Il s'agit seulement de la rédaction.
L'honorable ministre disait que tout ce qui n'est pas tarifé spécialement serait libre. Tout étant tarifé, j'ai cru devoir donner la nomenclature des poissons qui ne seraient pas libres à l'entrée.
L'honorable membre qui m'interpelle, et auquel je réponds, a trouvé que je n'avais pas été assez loin pour la protection à ménager en faveur de la pêche nationale.
Eh bien, je crois que tout serait concilié si l'on comprenait, à la suite de la dénomination que j'ai donnée dans mon amendement, les trois qualités que, selon l'honorable préopinant, il ne faut pas, dans l'intérêt de la pêche nationale, laisser entrer librement : ce sont les raies, les flottes et les plies.
Alors la libre entrée de tout le poisson non connu existera ; ce qu'a voulu M. le ministre de l'intérieur, pour le poisson salé, fumé et séché, existera. Mon amendement se rapproche complètement du sien. Je ne laisse l'entrée libre que pour le poisson réellement inconnu et pour les poissons populaires que je ne veux pas dénommer, mais qui se trouvent indiqués dans les instructions relatives au tarif. Il y a dans les instructions à la douane une nomenclature de différents poissons non dénommés. Ces poissons sont destinés aux classes peu élevées.
Eh bien, laissons entrer ces poissons librement, et conservons, en faveur de la pêche nationale, un droit sur les poissons fins dans lesquels je comprends les plies, les flottes et les raies. Je pense que de cette manière mon amendement concilie toutes les opinions.
Reste la seconde question, celle du hareng. Je crois qu'on la traitera séparément.
M. le président. - Retirez-vous la partie de votre amendement relative au transit ?
M. Manilius. - Puisque l'on croit qu'il suffit de permettre le transit pour les pays avec lesquels on a des traités, je retire cette partie de mon amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Pour simplifier la question et le vote à émettre, la Chambre me permettra de donner aussi quelques explications.
Interpellé une première fois par l’honorable M. Maniilus sur la portée de l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter surtout dans ses rapports avec celui que l'honorable membre avait lui-même proposé, j'ai dit qu'au fond le but que nous nous proposons d'atteindre est le même : c'est d'une part, de favoriser l'alimentation du peuple et d'autre part de réserver une protection suffisante à la pêche nationale. Voilà le but que s'est proposé l'honorable M. Manilius comme je me le suis moi-même proposé.
J'ai dit que cependant il y avait deux différences entre ces amendements. D'abord l'honorable M. Manilius voulait aussi admettre dans son amendement, tel qu'il était primitivement rédigé, la libre entrée du poisson frais commun. Je ne pouvais me railler à cette manière de voir. Je vois avec plaisir que l'honorable M. Manilius consent à ne pus admettre en franchise de droit les raies, les flottes, les plies et la morue qui constituent le qualités de poisson qui sont le plus communément consommées ; qu'il les ajoute à la catégorie des poissons dont l'entrée ne sera pas libre, qui resteront grevés des droits, dont ils sont frappés aujourd'hui.
Nous sommes donc d'accord, et comme je ne fais pas de la question de rédaction une question d'amour-propre, je me rallie volontiers à celle de l'honorable M. Manilius.
Reste la seconde différence relative à la question du hareng. Le gouvernement vous propose, par un motif puisé dans nos relations extérieures, de maintenir un traitement différentiel d'après les provenances des harengs ; l’honorable M. Manilius propose d'admettre librement tous les harengs sans aucune distinction. Le gouvernement n'insiste pas ; la Chambre appréciera.
M. Devaux - La Chambre reconnaîtra que ces explications ont simplifié la discussion. Désormais elle se trouve réduite à deux propositions. Car tous ceux qui ne veulent pas la libre entrée se rallient aujourd'hui, je pense, à l'amendement commun de l'honorable M. Manilius et de M. le ministre de l'intérieur.
Il n'y a donc plus en question que ces deux propositions ; la libre entrée complète ou la libre entrée partielle pour le hareng, le stokfisch et les poissons communs non dénommés au tarif.
Messieurs, dans toutes les sections, dans toutes sans exception, on s'est occupé de la question du poisson. Partout on a cru qu'il y avait quelque chose à faire dans l'intérêt de l'alimentation publique. Mais partout aussi, dans toutes les sections sans exception, on a cru qu'il fallait procéder avec ménagement pour la pêche nationale. Aucune n'a réclamé la libre entrée complète.
La section centrale seule, à la fin de ses délibérations, avec précipitation, presque sans débats, a été plus loin ; elle a admis un changement radical de régime, la suppression générale des droits d'entrée.
Je dis que la section centrale a agi avec précipitation et je crois que je vais vous en convaincre.
Je pense qu'une simple observation, que je vais faire sur la disposition proposée par la section centrale, empêchera même les deux membres de cette section, qui l'ont défendue ici, de l'adopter par leur vote. Je suis persuadé que je forcerai le loyal bon sens de M. de Naeyer et le patriotisme de M. Van Overloop, à reculer devant la disposition de la section centrale, que le premier a défendue avec tant de chaleur et que, le second a cru de son devoir de rapporteur, de défendre également, quoique, au sein de la section centrale, il se fût abstenu.
Que propose la section centrale ? Elle veut abolir toute espèce de protection en faveur des pêcheurs belges. Arrivée au hareng elle ne redoute pas pour eux la concurrence des pêcheurs hollandais. Le hareng hollandais entrera libre de tous droits ; mais il se trouve que les Hollandais redoutent la concurrence du hareng écossais. Que fait la section centrale ? Elle leur accorde sur nos marchés un droit de protection contre les pêcheurs anglais. Ainsi, messieurs, comprenez-le bien, s'agit-il de l'intérêt des pécheurs belges, nul ménagement pour eux, pas la moindre protection, libre concurrence des pêcheurs hollandais. Mais s'agit-il de l'intérêt des pêcheurs hollandais, la section centrale s'alarme de la concurrence qu'ils peuvent rencontrer sur nos propres marchés et dans leur intérêt elle établit une protection contre la pêche anglaise. Voilà le système de la section centrale.
Ai-je tort de dire qu'elle a agi avec irréflexion ? Suppression de toute protection qui intéresse l'industrie belge, et en même temps, maintien d'une protection, sur notre marché, en faveur de l'industrie similaire de l'étranger.
C est là quelque chose de si bizarre, une si incroyable anomalie, qu'il suffit de la signaler ici, non seulement pour que la Chambre la repousse, mais encore pour empêcher les membres de la section centrale eux-mêmes de la consacrer par leur vote.
M'objecterait-on que c'est dans l'intérêt d'un futur traité avee la Hollande qu'on maintient ce droit en sa faveur ? Mais quel intérêt entend-on servir par ce traité ? Ce ne sera assurément pas celui de la pêche belge, l'expérience nous l'a prouvé. Le nouveau traité avec la Hollande n'aura pas plus cet intérêt en vue que l'ancien. C'est à d'autres industries belges que ce traité doit être utile. Ce serait donc en leur faveur qu'on établirait, sur le hareng, uu droit contre la pêche anglaise.
Ainsi, on établirait, sur l'entrée du poisson, des droits en faveur d'autres industries que la pêche, et à l’intérêt de notre pêche elle-même, on n'en accorderait pas ?
Cette anomalie, messieurs, n'est pas plus soutenable que la première.
Je crois entendre l’honorable membre, qui a soutenu la disposition de la section centrale, me donner raison de sa place.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je ne l’ai pas soutenue.
M. Devaux. - Vous êtes obligé de reconnaître que la section centrale, en abolissant la protection à l’égard du pêcheur belge et la maintenant en faveur du pêcheur hollandais a fait une chose irréfléchie et insoutenable.
M. de Naeyer, rapporteur. - Une partie.
M. Devaux. - Il y a eu une majorité cependant pour adopter le tout ; je vois que plusieurs membres se détachent aujourd’hui de cette majorité, je rends justice à leur loyauté, et je ne vois plus guère de résultat pour soutenir la disposition telle qu'elle est écrite dans le rapport de la section centrale.
On a fait de vains efforts pour élever cette question à la hauteurd’un grand principe d'économie politique. Messieurs, il ne s’agit ici ni de libre échange ni d’aucue autre grande question d’économie politique ? Que résulterait-il de l'admission d'une disposition aussi radicale que celle que propose la section centrale ? Il en résulterait uniquement que vous auriez suspendu pendant 12 mois un article du tarif qui reprendrait son cours à la fin de l'année. Qu'est-ce que le libre échange y aurait gagné ? Si nous voulions établir le libre échange, ce ne serait pas incidemment, pour quelques mois, pour une seule industrie souffrante et en ne lui donnant en quelque sorte que le temps de faire sentir ses inconvénients sans lui laisser le temps de produire ses meilleurs effets, que nous l'introduirions.
Il s'agit en ce moment d'un expédient d'alimentation. Ce n'est pas en (page 242) faveur du libre échange qu'on vous propose de suspendre les droits d'entrée sur le poisson, c'est comme moyen temporaire de faciliter l'alimentation.
Messieurs, de quoi sommes-nous menacés ? Ce n'est pas de la disette mais de la cherté ; les vivres y seront, mais ils seront chers.
On peut donc venir en aide à la classe ouvrière, non seulement par la baisse du prix des denrées alimentaires, mais tout aussi bien en amenant une diminution égale dans les autres dépenses auxquelles cette classe de la société est astreinte.
Il est évident que si c'est par une réforme des articles du tarif de douanes qu'on veut venir au secours de l'ouvrier, on peut y parvenir par la suppression des droits d'entrée sur bien d'autres articles que le poisson.
Pourquoi donne-t-on ici la préférence au poisson ? pourquoi ne pas comprendre dans cette abolition de droits d'entrée tous les produits que l'ouvrier consomme ? Les étoffes de laine et de coton par exemple. A quels titres l'industrie de la pêche mérite-t-elle cette préférence ? Serait-ce par une excessive prospérité ?
Messieurs, quand on demande la prohibition de la sortie des céréales dans l'espoir que cette mesure fera baisser le prix de ces denrées, on ne risque de ruiner personne ; on risque, tout au plus, de restreindre les bénéfices de l'agriculture, qui est en ce moment dans l'état le plus prospère.
Mais la pêche est-elle dans une situation semblable pour qu'on la soumette brusquement à un changement complet de régime ?
Quel est l'état de cette industrie ? Mais la pêche, c'est une des industries les plus pauvres qu'il y ait dans le pays et une de celles, dans ce moment même, dont les produits subissent le plus de dépréciation. Quoi, le poisson est vendu par le pêcheur à raison de 5 à 6 centimes la livre, et on trouve que ce prix n'est pas assez bas, et c'est ce produit qu'on choisit entre tous les autres pour lui faire subir une dépréciation plus grande ! Tandis que tant d'autres denrées et marchandises augmentaient de valeur, le poisson baissait jusqu'à ce prix infime de 5 à 6 centimes la livre, et c'est lui qui doit baisser encore ! Un orateur vient de nous dire que ce comestible est plus nutritif que la viande, et il trouve qu'il est trop cher quand on le paye huit ou dix fois moins que le pain.
Il est évident, messieurs, que cette industrie en est arrivée à une position qui réclame nos ménagements, comme toutes les sections l'ont reconnu et que ce n'est pas par un changement radical de son régime douanier qu'il faut risquer de la bouleverser. Ne savons-nous pas quel est le misérable sort du pêcheur, qui se trouve si intimement lié à cette question ? Car il est impossible d'atteindre l'armateur sans frapper le pêcheur lui-même.
Vous savez que le pêcheur reçoit son salaire par une part du produit brut de la pêche. Les pêcheurs touchent deux tiers du prix de la vente du poisson qu'ils ont pêché, c'est là leur seul salaire ; le prix du poisson ne peut baisser sans que ce salaire diminue en même temps.
Ce salaire, messieurs, sur la plus grande partie du littoral, à Blankenberghe par exemple, et à Heyst, atteint à peine pendant tout le courant de l'année, le taux d'un franc par jour.
Et c'est sur ces malheureux que vous voulez faire peser la charité que vous voulez faire à d'autres ! Vous voulez soulager les pauvres en faisant d'autres pauvres ! Le pêcheur vit toute l'année sur les limites de l'indigence ; il ne faut que le moindre accident de l'atmosphère, il ne faut que quinze jours où il ne puisse pas aller à la mer, pour le plonger dans la misère.
Le pêcheur à Blankenberghe et à Heyst, exposé constamment au danger de la mer, n'a pas même sur son bateau un abri où il puisse se soustraire un instant aux intempéries de l'air ; sa barque n'est pas même pontée ; de retour sur le rivage il n'a pas comme le houilleur qui remonte à la surface de la terre un salaire certain qui l'attend. Ce salaire dépend des hasards de la pêche ; si elle a peu donné, il faut que sa famille et lui s'imposent des privations.
Messieurs, n'ai-je pas raison de dire que si nous établissions la liberté des échanges, c'est par cette industrie qu'il faudrait finir et non pas commencer ? C'est ce que font les autres nations, celles mêmes qui établissent le libre échange n'en veulent pas pour leur pêche ; elles lui réservent le monopole du marché intérieur à raison de sa grande importance comme pépinière de la marine marchande et militaire.
Hier, messieurs, un orateur a triomphalement établi un dilemme dans lequel il a cru étreindre à mort ses adversaires.
Il a dit et il a répété trois fois : Ou le poisson baissera sur le marché, et alors il faut adopter la mesure dans l'intérêt de l'alimentation publique, ou il ne baissera pas, et alors de quoi vous plaignez-vous ?
Ce cercle dans lequel l'honorable M. de Naeyer a voulu enfermer les défenseurs de la pêche nationale est bien facile à rompre. C'est de la logique qui fait abstraction des faits.
Il est très possible qu'il n'y ait qu'une baisse insignifiante pour le consommateur et en même temps une baisse écrasante pour le pêcheur. Je n'aurai pas de peine à le démontrer.
Le poisson se vend à raison de 5 à 6 centimes la livre, et je dirai en passant, que ces 6 centimes représentent le prix moyen du poisson de luxe et du poisson commun, de sorte que le poisson commun ne se vend que 3 ou 4 centimes la livre. Voilà sur quel prix on veut encore exercer une influence de dépréciation.
Eh bien, messieurs, de ces 6 centimes la livre, il en appartient 2 à l'armateur et 4 aux pêcheurs qui forment l'équipage du bateau.
Supposez sur le prix de la livre de poisson une diminution d'un centime et demi ; l'armateur perd un demi-centime, le pêcheur sur ses 4 centimes en perd un, c'est-à-dire que, comme c'est avec les 4 centimes qu'il doit arrivera faire son franc par jour, ceè franc descend à 75 centimes.
Ainsi, messieurs, voilà des familles qui devront subsister avec 75 centimes par jours s’il y a seulement une baisse d'un centime par livre.
Maintenant, qu'est-ce pour le consommateur qu'une pareille baisse ? Il ne consomme pas lui des tonnes de poisson, il en consomme une livre, une demi-livre et il consomme cette quantité après l'avoir achetée sur le marché où le prix se compose, non seulement de ce qui est payé au producteur mais encore des frais de transport, des droits d'octroi, des frais de minque et de tous les frais d'intermédiaires sur le marché de l'intérieur du pays ; donc une diminution d'un centime et demi, c'est chose insignifiante pour le consommateur.
Pour le pauvre pêcheur, au contraire, cette baisse constitue une perte de 25 p. c. sur son salaire. cette perte, c'est pour lui la misère, c'est celle de sa femme et de ses enfants.
Voilà comment je réponds au dilemme de l'honorable orateur.
Messieurs, je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Je crois que les sections ont eu toute raison de dire qu'il y a ici quelque chose à faire pour l'alimentation publique. Je crois que l'honorable M. Manilius et l'honorable ministre de l'intérieur ont été sous ce rapport les véritables organes des sections. Je crois qu'ils ont agi avec ménagement ; ils laissent entrer le poisson qui constitue réellement une nourriture populaire, c'est-à-dire le stockfisch et le hareng et en même temps ils ne désespèrent pas les pêcheurs ; ils satisfont à leurs réclamations en leur conservant le poisson frais et la morue. Je crois que ce système est sage, et tout à fait dans l'esprit d'une législature prudente.
Je ne terminerai pas sans recommander au gouvernement, sous d'autres rapports, les intérêts de la pêche. La section centrale a émis un vœu, auquel j'espère que le gouvernement aura égard, c'est que les frais de transport sur le chemin de fer soient diminués pour le poisson.
Je prierai aussi M. le ministre des travaux publics de vouloir bien examiner sérieusement deux demandes qui ont été faites au gouvernement, l'une de la part d'une des wateringues du Nord de Bruges et de l'administration de Blankenberghe pour la construction d'un petit port de refuge à Blankenberghe, et la seconde, de la part des concessionnaires qui sollicitent la construction d'un chemin de fer de Bruges à Blankenberghe, construction qui serait extrêmement utile à la pêche de cette localité.
Si je suis bien informé, peu de temps avant son départ, le prédécesseur de M. le ministre actuel était sur le point de prendre une résolution à ce sujet ; depuis lors, je crois qu'il n'est pas intervenu de décision.
J'engage beaucoup M. le ministre des travaux publics à vouloir bien examiner cette affaire, à prendre une résolution, et surtout à ne pas perdre de vue les intérêts de l'industrie dont nous nous occupons en ce moment.
- La clôture est demandée.
M. Sinave (contre la clôture). - Je ferai remarquerque cinq orateurs ont parlé contre nous, nous ont adressé des accusations graves ; l'honorable M. Devaux vient d'en relever une partie ; je désire en relever d'autres. Je serai très court. Je demande que la discussion continue.
M. de Naeyer. (contre la clôture). - Je voulais présenter un amendement qui consisterait à retrancher les restrictions de la section centrale, en ce qui concerne le hareng.
M. de Haerne (contre la clôture). - Je crois qu'on ne peut pas clore le débat ; il y a des amendements dont on n'a pas encore dit un seul mot.
M. le président. - Pardon, ces amendements se rattachent à l'article 2.
M. de Haerne. - Quoi qu'il en soit, il y a des observations à faire par rapport à la pêche dans ses combinaisons avec l'industrie en général.
- La clôture de la discussion sur l'article premier et les amendements y relatifs est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - L'article premier du projet du gouvernement est ainsi conçu :
« Art. 1er. Sont déclarés libres à l'entrée : le froment, l'épeautre mondé ou non mondé, le méteil, les lentilles, les pois et les fèves (haricots), le seigle, le maïs, le sarrasin, les féveroles et les vesces, l'orge, la drêche (orge germée), l'avoine, le gruau et l'orge perlé, les farines et moulures de toute espèce, le son, la fécule et les autres substances amylacées, le riz, le pain, le biscuit, les pommes de terre, les taureaux, les bœufs, les vaches, les bouvillons, les laurillons, les génisses, les veaux, les moutons, les agneaux, les cochons et les viandes de toute espèce. »
La section centrale propose l'amendement suivant à l'article premier :
« Art. 1er. Ajouter après « viandes de toute espèce » : « et le poisson ».
« Néanmoins, quant au hareng, la libre entrée n'est accordée qu'aux provenances des Pays-Bas. Les provenances des autres pays seront soumises aux droits suivants :
« 1° Harengs en saumure ou au sel sec :
« Venant d'Angleterre, 7 francs par tonne de 150 kilogrammes ;
« D’autres pays, 9 francs par tonne de 150 kilogrammes ;
(page 243) « 2° Harengs frais et braillés, secs, saurés ou fumés :
« Venant d'Angleterre, 3 francs les mille pièces ;
« D'autres pays, 5 francs les mille pièces. »
M. Manilius propose à l'article premier l'amendement suivant :
« A l'article premier, après les mots : « viandes de toute espèce », ajoutez : « Sont aussi déclarés libres à l'entrée et au transit, toutes espèces de poissons autres que :
« Les barbues fraîches,
« Les cabillauds frais,
« Les églefins frais,
« Les elbots frais,
« Les éperlans frais,
« Les merlans frais,
« Les soles fraîches,
« Les turbots frais,
« Les saumons frais, salés ; fumés et séchés,
« Les anchois frais, salés ; fumés et séchés,
« Les écrevisses fraîches,
« Les homards frais,
« Les huîtres fraîches,
« Les raies, les flottes et les plies fraîches.
« et la morue en saumure et au sel sec. »
Le gouvernement s'est rallié à cet amendement, sauf en ce qui concerne le hareng, au sujet duquel M. le ministre de l'intérieur a présenté l'amendement suivant :
« Ajouter, à l'article premier, après les mots : « viandes de toute espèce », ceux-ci : « le stockfisch, les plies séchées, et les poissons de mer salés, fumés et séchés, non spécialement tarifés.
« Les droits d'importation sur les harengs sont fixés comme suit, savoir :
« Harengs en saumure ou au sel sec :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais : 7 fr. la tonne ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 9 fr. la tonne.
« Harengs secs, saurés, fumés, frais ou braillés :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais :3 fr. les 1000 pièces ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 5 fr. les 1,000 pièces. »
S'il n'y a pas d'opposition, je vais mettre d'abord aux voix la partie de l'amendement de la section centrale, ayant pour objet de décréter la libre entrée du poisson.
- On réclame l'appel nominal.
Il est procédé à cette opération.
85 membres répondent à l'appel nominal.
31 répondent oui.
49 répondent non,
3 (MM. de La Coste, Manilius et Van Overloop) s'abstiennent.
En conséquence, la proposition de la section centrale, en ce qui concerne le poisson, n'est pas adoptée.
Ont répondu oui : MM. Boulez, Closset, Dautrebande, David, de Brouwer de Hogendorp, Delfosse, Deliége, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières. de Steenhault, Frère-Orban, Goblet, Julliot, Landeloos, Lesoinne, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont. Verhaegen et Anspach.
Ont répondu non : MM. Brixhe, Calmeyn, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Sécus, de T'Serclaes, Devaux, Dubus, Dumon, Dumortier, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Maertens, Magherman, Mathieu, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven,Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau et Delehaye.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de La Coste. - Je me suis abstenu parce que je vais me trouver en présence de l'amendement de M. Manilius, adopté par M. le ministre, et que je ne trouve pas assez large. Voilà pourquoi il m'a été impossible de me prononcer en faveur de l'un ou de l'autre système.
M. Manilius. - Je me suis abstenu, quoique, en principe, je sois partisan de la libre entrée complète du poisson ; je trouve que dans l'occurrence mon amendement est à mes yeux préférable.
M. Van Overloop. - J'aurais voulu voter pour la libre entrée du poisson, mais en fait j'ai craint, d'après les observations de l'honorable M. Devaux, que mon vote aflirmatif n'eût pour résultat de porter un grave préjudice à une classe intéressante de nos concitoyens, celle qui se livre à la pêche.
Dans cette situation, je me suis abstenu.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de la section centrale en ce qui concerne le hareng. Il est ainsi conçu :
« Néanmoins, quant au hareng, la libre entrée n'est accordée qu'aux provenances des Pays-Bas. Les provenances des autres pays seront soumises aux droits suivants :
« 1° Harengs en saumure ou au sel sec :
« Venant d'Angleterre, 7 francs par tonne de 150 kilogrammes
« D'autres pays, 9 francs par tonne de 150 kilogrammes.
« 2° Harengs frais et braillés, secs, saurés ou fumés :
« Venant d'Angleterre, 3 francs les mille pièces ;
« D'autres pays, 5 fr. les mille pièces. »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Je mets maintenant aux voix la propositionsdu gouvernement relative aux harengs.
- Plusieurs voix. - C'est la même que celle de la section centrale.
M. le président. - C'est une erreur ; elle en diffère par la rédaction.
Elle est ainsi conçue :
« Les droits d'importation sur les harengs sont fixés comme suit, savoir :
« Harengs en saumure ou au sel sec :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais : 7 fr. la tonne ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 9 fr. la tonne.
« Harengs secs, saurés, fumés, frais ou braillés :
« Provenant de la pêche néerlandaise et importée sous pavillon belge ou néerlandais : libre ;
« Provenant de la pêche anglaise et importées sous pavillon belge ou anglais : 3 fr. les 1000 pièces ;
« De toute autre provenance ou importée d’autre manière : 5 fr. les 1,000 pièces. »
- Cette proposition est mise aux voix.
M. le président. - Beaucoup de membres n'ont pas pris parti l'épreuve ; je vais la renouveler.
- Plusieurs membres. - On n'a pas compris !
M. de Naeyer, rapporteur. - Je demande la parole.
M. le président. - On ne parle pas entre deux épreuves.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je demande la parole sur la position de la question.
Le gouvernement, ce me semble, s'est rallié à l'amendement de M. Manilius.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Le gouvernement s'est rallié à l'amendement de M. Manilius, sauf le droit différentiel, d'après les provenances, qu'il maintient par respect pour les traités existants.
M. Frère-Orban. - On devrait commencer par l'amendement le plus large ; celui de M. Manilius est plus large que la proposition du gouvernement.
C'est ainsi qu'on a procédé tout à l'heure, on a mis aux voix la proposition absolue de la section centrale, quant à la libre entrée du poisson, avant la proposition restrictive du gouvernement.
M. le président. - M. Manilius propose la libre entrée du hareng sans distinction de provenance.
M. Dumortier. - M. Frère vient de demander qu'on mette aux voix la proposition de M. Manilius, mais c'est une proposition essentiellement complexe, elle comprend un grand nombre d'espèces de poissons, toutes les espèces même, sauf les exceptions déterminées. Il en résulte qu'on pourrait demander la division et quand la division serait demandée, vous reviendriez à la question telle qu'elle a été posée par M. le président.
M. Frère-Orban. - J'ai l'honneur de faire observer que la Chambre vient précisément de procéder comme je demande qu'elle le fasse en ce moment. Ainsi elle a voté sur l'amendement de la section centrale qui était le plus large puisqu'il s'appliquait à tout le poisson ; maintenant il y a un amendement moins large que celui de la section centrale, mais plus large que celui du gouvernement ; je demande qu'on suive le même système, en le mettant aux voix. (Interruption.)
Je ne conteste pas à l'honorable M. Dumortier le droit de demander la division sur l'amendement de M. Manilius, il a le droit, aux termes du règlement, de faire mettre aux voix chaque poisson, il peut causer.
M. Dumortier. - Il est évident que l'honorable préopinant est tout à fait dans l'erreur quant à l'application du règlement.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. Dumortier. - Je vous prie de m'écouter avant de dire non. Si l'honorable M. Manilius était venu présenter à notre vote la proposition de permettre la libre entrée d'un certain nombre d'objets déterminés, il y aurait possibilité de demander la division.
- Un membre. - C'est ce qu'il fait.
M. Dumortier. - Mais non, l'amendement imprimé que je tiens en main est ainsi conçu :
« Sont aussi déclarés libres à l'entrée et au transit toutes espèces, de poissons autres que les barbues fraîches, les cabillauds, les églelins, etc. »
Vous voyez qu'il ne détermine pas les espèces dont il propose de permettre la libre entrée.
Si M. Manilius renversait la manière de rédiger son amendement et disait : « Sont déclarés libres à l'entrée tels et tels poissons, on pourrait demander la division ; mais sur la rédaction telle qu'elle est présentée, la (page 244) division ne peut être demandée, le règlement s'y oppose ; vous ne sauriez même pas l'opérer, à moins de mettre la mer en réquisition pour faire connaître tous les poissons dont M. Manilius demande la libre entrée.
Il est impossible avec une telle rédaction de demander la division. Quelle en serait la conséquence ? Que si l'amendement de M. Manilius était mis aux voix, celui du gouvernement ne serait plus mis aux voix.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Ainsi qu'on l'a déjà fait observer, nous venons de voter sur l'amendement de l'honorable M. Manilius.
M. le président a fait remarquer à la Chambre que ce qui concerne le hareng était réservé. D'après l'amendement de M. Manilius, tous les poissons autres que ceux qui sont dénommés entrent librement et par conséquent le hareng ; l'honorable président ayant déclaré que le vote à émettre faisait abstraction du hareng, la partie de l'amendement de M. Manilius qui implique l'entrée libre de cette espèce de poisson subsiste encore.
C'est sur ce point que M. le président désire que l'on vote. La chose me paraît très simple.
M. Manilius. - Mon amendement consacre la liberté absolue de l'entrée du poisson. Ma nomenclature n'indique que les exceptions.
Tout à l'heure lorsque l'honorable M. Devaux n'a fait une interpellation pour augmenter cette nomenclature, l'honorable ministre de l'intérieur a demandé de réserver le hareng, d'en faire l'objet d'un vote spécial. Je ne puis m'empêcher de convenir, d'après cela, que mon amendement ne peut être compris que pour tous les poissons en dehors des harengs pour lesquels il y aura un vote spécial.
M. Frère-Orban. - La question me semble extrêmement simple. Il y a, d'abord, la première partie de l'amendement de l'honorable M. Manilius sur lequel il y a accord avec le gouvernement. Il y aura à voter sur cette proposition. Ce sera une simple formalité. Puis on votera sur le hareng ; ce qui constitue la division de la proposition de l'honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - Dès l'instant que la question est posée comme on la pose maintenant, je n'ai plus d'objection à faire. Mais je ferai remarquer que ce n'est pas ainsi qu'on l'avait posée d'abord.
M. Frère-Orban. - Si fait !
- La première partie de l'amendement de M. Manilius à laquelle le gouvernement s'est rallié (la question de la libre entrée du hareng ou du maintien des droits à l'entrée du hareng étant réservée) est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La Chambre a maintenant à statuer sur la proposition du gouvernement, en ce qui concerne le hareng.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Est-ce que la Chambre ne trouverait pas certain inconvénient à mettre aux voix par appel nominal la question de savoir s'il faut, oui ou non, tenir compte du traité avec la Hollande ? Evidemment la Chambre peut le faire. Mais je pose la question de convenance.
M. Frère-Orban. - Je rappellerai que M. le ministre des affaires étrangères a reconnu que les traités avec la Hollande et l'Angleterre ne faisaient pas obstacle à ce que la Chambre décidât cette question comme elle l'entendrait. La Chambre peut donc agir comme elle le jugera convenable.
- La proposition du gouvernement relative à l'établissement de droits différentiels à l'entrée du hareng est mise aux voix par appel nominal et rejetée par 65 voix contre 20.
Ont voté pour : MM. Boulez, Brixhe, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, de T'Serclaes, Dumon, Dumortier, Janssens, Jouret, Lambin, Matthieu, Mercier, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Iseghem, Vilain XIIII et Ansiau.
Ont voté contre : MM. Calmeyn, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de La Coste, Delfosse, Deliége, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, Devaux, du Bus, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Baily de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Maertens, Magherman, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Tienpont, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Wasseige, Allard, Anspach et Delehaye.
M. le président. - Je mets aux voix l'article tel qu'il a été modifié par l'amendement de M. Manilius.
- Cet article est adopté.
« Art. 2. Le froment, le seigle, le sarrasin, les farines et moutures de toute espèce, les pommes de terre et les fécules sont prohibés à la sortie. »
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Dans un projet de loi que j'ai tout récemment déposé, j'ai admis le maïs pour la justification de l'emploi des céréales étrangères dans la distillation du genièvre que l'on peut exporter. Une conséquence de cette proposition est que le maïs doit être ajouté aux denrées dont la prohibition est proposée, parce que, avec la même quantité de maïs qui serait successivement importée et puis exportée on pourrait justifier de la fabrication et de l'exportation de plusieurs fois les quantités corrélatives d'eau-de-vie. En conséquence, je propose de porter, après le sarrasin, le maïs.
Du reste, le maïs a été compris dans le projet de loi relatif à l'exportation du genièvre, à la demande de plusieurs distillateurs qui l'employent dans leur fabrication.
M. Tack. - Messieurs, je m'en réfère, quant à mon amendement, aux développements dans lesquels je suis entré dans la séance d'avant-hier.
Je désirerais cependant répondre un mot aux observations faites par M. le ministre de l'intérieur, pour le combattre.
Je ne comprends pas, vous a dit l'honorable ministre, pour quels motifs l'auteur de l'amendement a demandé la prohibition de la sortie des orges, vu l'exiguïté de nos exportations.
Je croyais, messieurs, avoir développé ces motifs et les avoir énumérés peut-être trop longuement. J'avais fait observer que l'an dernier la Chambre n'avait pas repoussé la prohibition du froment et du seigle, quoiqu'il fût acquis que les exportations étaient de beaucoup inférieures aux importations de ces céréales. En effet, messieurs, les importations ont été de 103 millions de kilogrammes, si je ne me trompe, et les exportations de 33 millions de kilogrammes.
J'avais ajouté que l'orge entre dans l'alimentation publique en tant qu'elle sert à la fabrication des bières. J'avais signalé le défaut d'harmonie qui existe entre deux lois : l'une relative à l'exportation des eaux-de-vie, l'autre concernant les céréales, défaut d'harmonie résultant de ce que les orges sont soumises à un régime tout à fait distinct, selon qu'elles tombent sous l'application de l'une ou l'autre de ces lois.
J'avais cité les chiffres qui établissent, selon moi d'une manière concluante, que cette exportation des orges n'est pas aussi minime qu'on le suppose. J'avais invoqué la moyenne des années 1830, 1831 et 1832, moyenne qui s'élève à 161,000 kilog., et fait remarquer que pour l'année 1854, le chiffre des exportations a dépassé 3,800,000 kilog. ; c'est-à dire que dans l'intervalle d'une seule année, les exportations se sont accrues dans la proportion d'un à vingt-cinq.
L'honorable ministre de l'intérieur se prévaut du chiffre des exportations pendant les onze premiers mois de l'année courante. Mais il y a lieu de considérer que c'est principalement au mois de décembre que les exportations des orges se font sur une assez grande échelle, par le motif tout simple que dans les Flandres le battage en grand se fait au mois de décembre.
Or, je ferai remarquer de plus que cette année, la récolte ayant été retardée, le battage le sera également et que par suite, il faut s'attendre à ne voir commencer le mouvement des exportations vers la France qu'à partir du mois de janvier prochain.
L'honorable ministre de l'intérieur appréhende des représailles de la part de l'Allemagne. Mais, messieurs, l'Allemagne nous demande fort peu d'orge, et par contre, elle nous en envoie en grande quantité.
Notre pays est pour les orges d'Allemagne un débouché précieux, un débouché important. Il ne faut pas dès lors supposer que l'Allemagne allant à rencontre de ses intérêts, renonce volontairement à ses exportations vers notre pays. Nous n'avons rien à redouter de ce côté. Nous avons au contraire tout à craindre du côté de nos voisins du midi.
En effet, messieurs, le mal est en ceci : c'est que les orges qui se portent du côté de la frontière française sont précisément des orges dont nos brasseries des Flandres ne peuvent se passer, qui sont propres à la nourriture de l'homme et dont la production est essentiellement limitée par les cultures restreintes du pays.
On aurait tort de croire, du reste, que le commerce maritime des orges qui se pratique par la voie d'Anvers, ainsi que le commerce qui a lieu sur h Rhin, ont des rapports intimes avec ce trafic international qui s'exerce sur la lisière française ; ces deux sortes de commerc sont complètement distincts ; ils opèrent dans un rayon différent sur des marchandises de nature et de qualités diverses. Cela est tellement vrai, que si les brasseurs des Flandres redoutent fort peu la réexportation des orges étrangères par la voie de mer, ils suivent au contraire d'un œil inquiet le courant d'exportation qui se dirige vers la France. On comprend par ce que je viens de dire comment les exportations qui pourraient au premier abord paraître relativement insignifiantes peuvent cependant dans des cas donnés avoir une influence déterminant sur les prix.
Ce n'est donc pas sans motifs que j'ai proposé la prohibition de sortie des orges. Je l'ai proposée, messieurs, parce que, à l’heure qu’il est, de l'aveu de l'honorable ministre de l'intérieur, et d'après les pièces jointe à l'exposé des motifs, l'orge a pris place parmi les céréales comestibles à côté du seigle et du froment. Je l'ai proposée, parce que nos brasseries des Flandres qui souffrent et qui périclitent même en ce moment ont un besoin indispensable de cette espèce d’orge, appelée orge de polders, que nous enlève la France,
Je l'ai proposée, parce que le chômage ou le relâchement partiel des brasseries occasionneraient au trésor public comme à nos octrois communaux des pertes réelles au moment où ils ont le plus grand besoin de leurs revenus.
Je l'ai proposée, enfin, messieurs, parce qu'il me semble qu'il sera (page 245) peu logique de la part de la Chambre, de maintenir sciemment dans deux lois, distinctes il est vrai, mais en quelque sorte corrélatives, une contradiction manifeste, évidente, qui saute aux yeux de tout le monde et qui consiste en ce que la première de ces lois prohibe la sortie des orges converties en alcool, devenues fabricat, produit de l'industrie du pays, tandis que la loi sur les céréales autorise la libre sortie de l'orge tant et aussi longtemps qu'elle existe à l'état de matière première. C'est par toutes ces considérations, messieurs, que j'ai proposé mon amendement et que je le maintiens.
M. Van Overloop, rapporteur. - Messieurs, la section centrale s'est prononcée pour l'article 2 du projet du gouvernement et contre toute extension à donner à cet article. On a critiqué cette double résolution de la section centrale. On l'a critiquée, je dois le dire, avec beaucoup de bienveillance. J'en remercie les honorables MM. Moreau et Prévinaire. Mais, messieurs, la critique ne me paraît fondée en aucune manière. On a dit à la section centrale : Vous votez la prohibition à la sortie du froment, du seigle, etc., et cependant vous mettez en avant des arguments qui vont à rencontre de ces conclusions. Voyons, messieurs, ce que la section centrale a dit. Le rapport porte :
« L'article 2 a donné lieu, dans les sections, à des propositions de nature contraire : tandis que les uns voulaient restreindre l'article, en permettant la libre sortie du froment, les autres voulaient étendre la prohibition à d'autres substances encore que celles dont l'article interdit la sortie.
« La méme divergence d'opinion s'est manifestée dans la section centrale.
« En présence des longues discussions auxquelles le projet de prohiber la sortie du froment a donné naissance, dans le cours de la dernière session, nous croyons pouvoir nous abstenir d'analyser les arguments qui ont été produits, en section centrale, les uns pour combattre cette mesure, les autres pour la justifier.
« De hautes considérations d'ordre public ne doivent-elles pas vous déterminer à maintenir la prohibition à la sortie que vous avez décrétée en 1854 ? »
Il est donc évident, messieurs, que la section centrale n'est pas en contradiction avec elle-même. D'une part, pour repousser les extensions à l'article 2, elle a apprécié les lois économiques ; d'autre part pour juger s'il convenait de maintenir l'article 2 elle s'est placée non pas au point de vue des lois économiques mais au point des considérations d'ordre public.
La section centrale, messieurs, a-t-elle eu tort d'invoquer les considérations d'ordre public ? Pour ma part je dis hardiment : Non. Le premier devoir du gouvernement, le devoir de la section centrale, le devoir de nous tous, c'est de maintenir l'ordre.
La première conséquence qui résulte de ce devoir est que le gouvernement doit prendre toutes les mesures qui sont de nature à pouvoir faire disparaître l'inquiétude qui existe dans les populations, car l'inquiétude, messieurs, ne nous le dissimulons pas, l'inquiétude est facilement exploitée, non pas par les masses (moi aussi je rends hommage à l'intelligence et à la moralité des masses en Belgique), niais par les fauteurs de désordre qu'on trouve toujours actifs dans les moments de crise ou de cherté de vivres.
Aussi, en faisant disparaître l'inquiétude, je le dis au nom de la section centrale, le gouvernement fait beaucoup plus pour empêcher la hausse des prix, qu'en décrétant la libre sortie des denrées alimentaires énumérées à l'article 2, dans l'hypothèse que cette libre sortie dût avoir une heureuse influence sur les prix.
Dira-t-on, messieurs, qu'il n'y a pas d'inquiétudes ? Cela n'est pas soutenable : on ne saurait nier que l'opinion publique demande la prohibition à la sortie des denrées alimentaires énumérées à l'article 2 et des lors la cessation de l’état de choses existant (car remarquez-le bien, il ne s'agit pas de décréter une mesure nouvelle, il ne s'agit que de savoir si l’état de choses existant sera maintenu) et dès lors, dis-je, la cessation de l'état de choses existant causerait une grande anxieté.
Maintenant le gouvernement doit-il ou ne doit-il pas avoir égard à l'opinion publique ? La majorité de la section centrale, messieurs, croit avec l'honorable ministre des affaires étrangères et avec l'honorable ministre de l'intérieur que, certes, il ne faut pas céder à la pression de l'opinion publique lorsqu'il se trouve en jeu de grands principes de moralité publique ou d'intérêt national, mais qu'on peut y céder et y céder convenablement lorsqu'il s'agit seulement de questions d'intérêt matériel et de questions sur la solution desquelles nous ne sommes pas même d'accord dans cette enceinte.
En définitive, messieurs, qu'est-ce que l'opinion publique ? Mais c'est l'opinion de la majorité du pays ; et un gouvernement issu de cette majorité ne pourrait pas tenir compte de l'opinion qu'elle manifeste ! Mais ce serait contraire au principe même du régime représentatif. Grâce à Dieu, le peuple belge n'est pas un peuple qui se trouve en état d'enfance et qu'il faille mener en laisse.
Il est donc de la nature du système représentatif que le gouvernement consulte l'opinion publique, et dès lors le reproche adressé à la section centrale n'est pas fondé.
Mais, dit-on, l'opinion publique est dans l'erreur. Je le pense aussi, messieurs, mais je ne me crois pas infaillible.
Si nous disons à l'opinion publique : « Vous êtes dans l'erreur, » l'opinion publique nous répond : « Qui vous dit que je suis dans l’erreur ? Je prétends que c'est vous-même qui êtes dans l'erreur. »
La section centrale pense donc que le gouvernement n'a pas du tout fait un acte de faiblesse en suivant l'impulsion de l'opinion publique, mais qu'il a posé, au contraire, un véritable acte de sagesse.
S'il était évident que la libre sortie dût être plus favorable à l'alimentation publique que la prohibition à la sortie, dans ce cas, sans doute le gouvernement aurait tort de proposer la prohibition ; mais remarquez bien que si cela était évident, l'opinion publique serait contraire à la prohibition ; car, en Belgique, l'opinion publique est infiniment sage et éclairée. Mais cela est si peu évident que nous ne sommes pas même d'accord dans cette Chambre sur la solution de la question. Le gouvernement, je le répète, a donc posé un acte de sagesse en tenant compte des vœux de l'opinion publique.
En résumé, sur ce premier point, je crois avoir justifié le vote de la majorité de la section centrale et je suis l'organe de cette majorité en disant : Le gouvernement a bien fait de maintenir l'état de choses existant, par des considérations d'ordre public et en laissant pour un instant de côté les considérations tirées des lois économiques.
Reste le second point. La section centrale a-t-elle bien ou mal fait en s'opposant à l'extension de l'article 2 à d'autres denrées que celles qui sont énumérées dans ceta rticle ? Je laisse de côté toutes les considérations qui sont exprimées dans le rapport de la section centrale, je crois que la Chambre à hâte d'en finir de ce débat, et je veux être aussi court que possible.
Je veux seulement montrer de combien l'importation excède l'exportation quant à l'orge. En 1854 l'importation a été de 25,010,191 kil., et l'exportation n'a été que de 3,859,153 kil.
En présence d'un pareil résultat, il me semble impossible de soutenir que l'orge doit être prohibée à la sortie. Il est incontestable pour quiconque s'est un peu occupé des rouages du commerce que si vous prohibez l'orge à la sortie, il en entrera moins en Belgique qu'auparavant ; or, la Belgique a considérablement besoin d'orge, car les terrains employés à la culture de cette denrée chez nous, ne s'élève qu'à 2. 86 p. c. des terres labourables de tout le pays.
Est-ce bien d'ailleurs dans l'intérêt du consommateur que l'honorable M. Tack a demandé la prohibition de l'orge à la sortie ? A la section centrale, il n'est arrivé que deux pétitions relatives à la sortie de cette denrée, et de qui émanent-elles ? de brasseurs de Courtrai et de Mons. C'est donc un intérêt industriel, et non dans le but de venir en aide à l'alimentation publique que la prohibition de l'orge à la sortie est demandée.
Ce n'est donc que l'intérêt industriel des brasseurs qui est ici enjeu ; or ce n'est pas de ces intérêts que nous avons à nous préoccuper en ce moment.
Quant au bétail, au beurre et aux œufs, j'ai peu de mots à ajouter aux considérations qui sont exposées dans le rapport de la section centrale.
Remarquez que les nouvelles restrictions que consacrerait la prohibition à la sortie du bétail, des œufs et du beurre, auraient lieu au détriment de la majorité et au profit de la minorité. En effet, d'après la statistique, sur mille personnes de tout rang, de tout âge et de tout sexe, on compte en Belgique, comme appartenant :
A l'agriculture, plus de la moitié, 512
A l'industrie manufacturière, 106
A l'industrie commerciale, 67
A celle du bâtiment, 61
Aux professions libérales, 60
A l'industrie du vêtement, 59
A l'industrie métallurgique, 50
Aux inoccupés, c'est-à-dire, sans profession, 37
Aux industries servant à la nourriture de l'homme, 29
A l'industrie de l'ameublement, 9
A des professions diverses, 10
Ainsi donc, la prohibition à la sortie du bétail, du beurre et des œufs, se ferait en définitive au profit de la minorité et au détriment de la majorité. Et cette majorité, messieurs, c'est probablement la classe la plus laborieuse du pays, car en définitive, il faut bien le reconnaître, c'est avec vérité qu'on dit du paysan que la terre s'abreuve de ses sueurs.
Les nouvelles restrictions qu'on propose auraient encore lieu au détriment des malheureux. Ceci vous paraîtra peut-être paradoxal, mais vous allez comprendre que rien n'est plus vrai. Qui donne le plus aux malheureux, si ce n'est le paysan ? Honneur à lui !
Il donne considérablement et incessamment, sous forme de morceaux de pain, de pommes de terre, etc. Or, si vous diminuez les bénéfices du paysan, il est évident qu'il sera forcé de donner moins, et par conséquent la prohibition à la sortie du beurre, des œufs et du bétail tournera au détriment, non seulement du paysan, mais encore de la classe la plus malheureuse de la société.
Et remarquez encore, messieurs, que les nouvelles restrictions à la libre disposition de la propriété, c'est malheureux à dire, n'auraient pas pour effet de mettre la viande, le beurre et les œufs à la portée des 2,236,090 personnes dont l'existence, en Belgique, dépend du salaire quotidien. Nous disons cela dans l'hypothèse que la prohibition à la sortie ait pour effet (ce qui pour nous est très douteux) de faire (page 246) baisser le prix des denrées alimentaires dont on vent interdire la sortie.
Enfin, la prohibition à la sortie du bétail, du beurre, des œufs, tournerait au préjudice des personnes auxquelles, en apparence, elle paraît devoir être favorable. En effet, si vous diminuez le bénéfice du paysan, le paysan fait moins d'achats en ville ; s'il fait moins d'achats en ville, le commerce de détail souffre ; si le commerce de détail souffre, les fabriques souffrent ; si les fabriques souffrent, les ouvriers souffrent : en conséquence, la prohibition à la sortie des denrées dont il s'agit, serait en définitive préjudiciable aux classes de la société qu'on voudrait favoriser par cette mesure. Nous, législateurs, nous ferions acte d'imprudence, si nous ne prévoyions pas un pareil résultat ; nous, législateurs, pour rester sages, nous devons avoir en vue non seulement le présent, mais encore l'avenir.
Que résulterait-il par exemple de la prohibition de porc à la sortie ? Cette mesure aurait pour résultat d'anéantir à l'instant le résultat de longues années d'efforts, en ce qui concerne l'élève du porc. Le progrès de 1840 à 1846 a été de 17 p. c, et depuis, disent les personnes compétentes, il a continué dans la même proportion. Irez-vous anéantir ce résultat par un vote et donner ensuite des subsides pour faire revivre une branche d'industrie que vous aurez tuée ?
Mais, a-t-il dit, et je réponds ici à une objection qui a été faite en section centrale et qui a été reproduite dans la discussiou publique : « La prohibition des porcs à la sortie est la conséquence de la prohibition de la sortie des pommes de terre. »
Cette objection ne paraîtra aucunement fondée aux yeux de quiconque connaît nos campagnes.
Qui ne sait que le porc se nourrit de toutes sortes d'aliments, n'entrant point dans la consommation : de glands, de pelures de pommes de terre, de déchets de toutes choses ?
Les seules pommes de terre qu'on lui donne sont des pommes de terre ou gâtées ou de très mauvaise qualité. D'ailleurs, l'exportation du porc gras est peu considérable. J'en trouve la preuve dans le tableau du commerce, pour l'année 1854.
En 1854, nous avons importé de la Prusse, 155 têtes, du Luxembourg 7,187, des Pays-Bas 3,182, de la France 1,844 et d'autres pays 77. Total, 12,445 têtes. Dont 12,440 sont entrées dans la consommation.
Or, la valeur de ces porcs importés est de 53 francs par tête. Je prends les valeurs officielles déterminées en 1854 et ces valeurs ont été déterminées de la même manière que dans les années précédentes. Passons à l'exportation.
Elle a été, vers la Prusse, de 26,031 têtes, vers les Pays-Bas 11,147, vers la France 60,332, vers l'Angleterre 5,343, vers d'autres pays 108. Total, 102,961 têtes.
Et quelle est la valeur de chacune de ces têtes, toujours d'après les évaluations ollicielles de 1854 ? Elle est de 14 francs.
Que résulte-t-il, messieurs, de ces chiffres et de ces évaluations ?
Il en résulte que nous importons moins de porcs que nous n'en exportions, mais que les porcs que nous importons sont des porcs de valeur, puisqu'ils sont évalués à 53 fraucs par tête, tandis que les porcs que nous exportons sont des animaux jeunes et maigres, puisqu'ils ne sont évalués qu'à 14 francs par tête.
Il en résulte ultérieurement que les porcs que nous exportons ne se ne sont pas graissés de pommes de terre.
Il en résulte, enfin, que l'objection tirée de la prohibition à la sortie des pommes de terre, n'a pas l'apparence d'un fondement.
La majeure partie des porcs s'exporte vers la France, où on les engraisse.
Du reste, je puis encore invoquer ici un argument avancé avec beaucoup de raison par M. le ministre de l'intérieur à propos des œufs et du beurre : c'est que déjà l'exportation des porcs est un fait accompli ; donc, vous voteriez en vain la prohibition : elle serait inefficace.
Je ne me dissimule pas, messieurs, que mon vote contre la prohibition à la sortie des porcs, des œufs, du beurre, ne sera pas accueilli favorablement par une partie de la population, mais je dis avec mon honorable et judicieux collègue M. Janssens : » Dieu me préserve de rechercher jamais la faveur du peuple en flattant ses préjugés, quoiqu'il advienne pour lui. J'aime cent fois mieux lui déplaire et le servir. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, la Chambre me permettra de donner quelques explications sur les différents amendements qui sont en discussion.
L'houorable M. Tack insiste sur la prohibition à la sortie des orges.
Messieurs, il faut que la Chambre sache à quel point de vue elle entend se placer. Quand le gouvernement se prononce pour la prohibition de la sortie des céréales, il est évident que c'est un sacrifice que l’on impose aux propriétaires, aux cultivateurs.
Or ce sacrifice doit être restreint dans les limites les plus étroites ; il ne peut être imposé que par un motif puissant d'humanité et d'ordre public. Voilà la pensée qui guide le gouvernement, et il est beaucoup de membres de cette Chambre, qui, malgré leur répugnance pour la prohibition, avouent qu'elle est motivée à leurs yeux par ces mêmes considérations. Dès lors, il ne faut pas, dans le but de favoriser un intérêt industriel très respectable d'ailleurs, faire un pas de plus dans le système de prohibition. Or, l'alimentation publique n'est pas engagée dans la question des orges.
Il est vrai que l'orge entre pour quelque chose dans cette alimentation, mais c'est en très petite quantité ; il en est de même des avoines et autres produits agricoles dont on pourrait au même titre demander la prohibition à la sortie. Mais la question de l'alimentation est ici une question accessoire ; c'est l'intérêt industriel qui a dicté la proposition de l'honorable M. Tack.
Cet intérêt existe-t-il réellement ? L'industrie est désintéressée dans la question. Nous recevons de l'étranger une grande quantité d'orge et nous en exportons très peu.
J'ai dit, dans une précédente séance, que la majeure partie des orges que nous consommons nous vient des diveres parties de l'Allemagne et j'ai démontré le danger qu'il pourrait y avoir pour nous à prohiber à la sortie les parties d'orge qui prennent cette direction de l'Allemagne. Notre industrie s'exposerait ainsi à des mesures de rigueur, dont elle pourrait être la première victime.
J'arrive à l'amendement de l'honorable M. Thibaut.
L'honorable représentant de Dinant a proposé de n'admetlre la prohibition que par les frontières de terre et par canaux et rivières.
Je comprends le motif qui a engagé l'honorable membre à proposer cette espèce de mezzo termine. Mais il me paraît impossible de soumettre les propriétaires belges à ce double régime qui ferait que ceux qui seraient voisins de la mer auraient la libre et entière disposition de leurs produits, pourraient en tirer un prix plus élevé en les vendant au-dehors, tandis que les propriétaires habitant le milieu ou l'autre extrémité du pays, n'auraient plus la libre disposition de leur propriété, la verraient frappée d'une prohibition de sortie. Ce double régime n'est pas admissible.
Je ferai valoir ensuite contre la proposition un motif d'un autre genre dont la Chambre comprendra toute l'importance. La prohibition s'appliquant à toutes les frontières n'est dirigée contre aucun pays.
Déjà, la Chambre ne l'ignore pas, des représentations ont été faites au gouvernement du chef de l'application générale du système actuel de prohibition.
Si par suite du vote de la Chambre le régime de la prohibition de sortie n'était plus appliqué que du côté de quelques-uns des pays limitrophes, en l'établissant exceptionnellement par les frontières de terre, la Belgique s'exposerait à des représailles dont il est impossible de calculer les résultais. J'appelle d'autant plus votre attention sur ce point, que nos importations de céréales par terre tendent à prendre de jour en jour plus de développements.
Il me reste à examiner la proposition de prohibition à la sortie des diverses espèces de bétail. Je ne sais si les auteurs de la proposition, MM. Lebailly de Tilleghem et Rodenhach y persistent ou y renoncent.
M. le président. - M. Lebailly de Tilleghem y renonce.
M. Rodenbach. - Je n'y renonce pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'amendement a-t-il été développé et appuyé ?
M. le président. - Non.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - J'attendrai qu'il ait été développé pour le combattre.
M. Landeloos. - Les honorables membres qui ont pris part à la discussion se sont proposé un seul et unique but, c'est de parvenir à trouver le moyen de diminuer le prix des denrées alimentaires.
D'une part, on a fait valoir diverses considérations à l'effet de démontrer que la prohibition de sortie serait la mesure la plus propre à diminuer les prix. Des membres ont au contraire soutenu, au moyen de documents, que la prohibition de sortie ne pouvait réellement pas produire les effets qu'on en ettendait.
Pour soutenir cette dernière opinion, on s^est principalement basé sur cette considération que la Belgique ne produisant pas suffisamment de grains pour pourvoir à sa consommation, on devait nécessairement recourir aux pays étrangers, à l'effet de trouver de quoi y suppléer. Par suite, on a prétendu qu'on devrait nécessairement subir les prix des marchés étrangers.
De cette considération résulte cette conséquence nécessaire que si réellement la Belgique produisait des quantités suffisantes à sa consommation, les partisans même du libre échange devraient reconnaître que la prohibition de sortie présenterait une certaine utilité. Si ces conséquences sont exactes, je demande comment il se fait qu'on n'applique pas le même principe au bétail, c'est-à-dire en ce qui concerne les veaux et les cochons.
Il résulte des données statistiques du gouvernement que, pendant les neuf mois qui se sont écoulés, il a été fait les importations et les exportations ci-après :
Veaux : importés : 4,413 ; exportés : 17,291. Excédant de l’exportation : 12,875.
Cochons : importés ; 12,506 ; exportés : 85,950. Excédant de l’exportation : 73,444.
(page 247) Si ces données sont exactes, comme vous ne pouvez en douter, il en résulte nécessairement que, par suite de cet excédant, on peut appliquer ici le même principe qu’on applique à l’égard des cédérales, c’est-à-dire que nous devons subir les prix des marchés étrangers, attendu que nous ne devons pas recourir aux marchés étrangers, en ce qui concerne cette partie de l’alimentation.
Un autre principe, à l'égard duquel plusieurs, membres ont été d'accord, notamment MM. Julliot et de Naeyer, c'est que si l'on augmente la consommation de certaines denrées alimentaires, elle aura pour effet de diminuer celle des céréales.
Dès lors si nous conservons cette quantité de veaux et de porcs, il est évident que nous allons augmenter d'autant la consommation de substances alimentaires, et que nous ne serons plus obligés de recourir pour d'aussi grandes quantités aux pays étrangers pour la nourriture du peuple. Il s'ensuit nécessairement que le prix des céréales diminuera, en raison de ces quantités dont nos marchés seront pourvus.
Il est cependant une objection qu'on nous fait, c'est que si la mesure était adoptée, elle serait onéreuse au producteur, Il en résulterait que plusieurs personnes qui s'adonnent à la production des porcs y renonceraient par suite de la diminution du profit qu'ils en tirent. Il est évident (et je ne dissimule pas cette conséquence), que la mesure qui avait été proposée par les honorables MM. Rodenbach et Le Bailly de Tilleghem devait avoir pour effet de diminuer le prix du bétail.
Mais comme nous n'avons qu'un seul but, celui d'amener la diminution du prix des denrées alimentaires nécessaires au peuple, il est certain que tout autre considération aurait dû fléchir devant celle-ci.
Une autre considération qu'on ne peut oublier, c'est qu'en présence de la défense de sortie des pommes de terre, qui est proposée par le gouvernement même, on ne peut concevoir que l'on exporte sous la forme des porcs à la nourriture desquels elles servent les pommes de terre dont on interdit la sortie en nature et sous la forme de fécules.
Mais, dit-on, ce ne sont pas des pommes de terre saines qu'on emploie à la nourriture des cochons, ce sont des substances alimentaires qui ne servent pas à l'alimentation du peuple.
Si le fait est exact, qu'en résultera-t-il ? Que ces substances seront constamment employées pour la nourriture des porcs, attendu que d'après les honorables membres qui font valoir cette considération, ce sont des substances qui ne peuvent servir à l'alimentation du peuple. Dès lors il faudra nécessairement qu'on les emploie à nourrir les porcs.
La conséquence qu'on déduit que les producteurs ne produiront pas la même quantité de bétail est donc inadmissible, attendu qu'ils ne peuvent faire un autre usage de ces matières.
Mais, je le reconnais, cette mesure aurait pour effet de diminuer le prix que l'on retire de la vente de ces animaux.
Pour répondre à cette considération, l'on fait valoir qu'il est de l'intérêt même des consommateurs, des ouvriers mêmes, que l'on ne diminue pas le prix de ces animaux, puisqu'ainsi l'on empêcherait de les élever, de faire les dépenses nécessaires, qui tournent au profit commun.
Autant vaudrait dire que c'est un bonheur que le prix des céréales soit aussi élevé, qu'il ne faut prendre aucune mesure pour diminuer le prix des denrées alimentaires, qu'il faut continuer à laisser aller les choses, et que ce serait un bonheur que le peuple payât le pain fort cher.
Je ne pense pas, messieurs, que l'on puisse admettre un système aussi absurde. Je crois donc pouvoir également adhérer à l'amendement qui a été proposé par les honorables MM. Rodenbach et Le Bailly de Tilleghem.
M. le président. - La parole est à M. Rodenbach pour développer son amendemeut.
M. Rodenbach. - Messieurs, si l'amendement que j'ai présenté avec l'honorable M. Le Bailly de Tilleghem avait quelque chance de succès, je le développerais et je le soutiendrais de toutes mes forces, parce que j'ai la conviction qu'il produirait d'heureux résultats. Mais je connais mon terrain et comme nous sommes convaincus d'être battus, nous nous sommes décidés, malgré toutes les bonnes raisons que l'honorable député de Louvain vient de faire valoir en faveur de notre amendement, à le retirer.
M. de Moor. - Je retire aussi mon amendement. Il devient sans but.
M. le président. - La parole est à M. Lambin.
M. Lambin. - Je voulais dire quelques mots sur l'ameudement de M. Rodenbach ; puisqu'il le retire, je renonce à la parole.
M. Thibaut. - Je prierai la Chambre de m'accorder cinq minutes. Elle sait que je n'ai pas l'habitude d'entrer dans de longs développements.
Je croyais que la proposition, que j'ai déposée dans une dernière séance, était de nature à être accueillie par le cabinet. Elle constitue, comme l'a dit tantôt l'honorable ministre de l'intérieur, une espèce de mezzo termine. Or, vous vous le rappelez, en principe le cabinet professe la liberté du commerce ; en fait, il demande à appliquer la prohibition. C'était une chance assez favorable pour l'amendement que j'avais déposé, et qui semblait devoir lui attirer le concours du cabinet.
Cet amendement, du reste, messieurs, répondait parfaitement à tous les faits qui ont été observés, et qui sont acquis à la discussion. Ainsi, la situation du pays a été définie par l'honorable vicomte Vilain XIIIII à peu près, en ces termes. : Si, dit-il, la prohibition est adoptée généralement, il y aura probablement une hausse de 50 centimes en moyenne à l'hectolitre par année ; si, au contraire, vous adoptez la liberté générale, vous aurez cette baisse de 50 centimes qui se produira, en moyenne par hectolitre pendant l'année, mais cet avantage sera contrebalancé par une hausse de 3 à 4 fr. sur les marchés qui avoisinent la frontière de France. Eh bien, au moyen de la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer, nous nous assurons l'avantage de la baisse moyenne de 50 centimes pendant l’année, et nous n'avons pas à craindre cette hausse exagérée sur la frontière de France.
Ces avantages, messieurs, ne sont pas minimes. Car 50 centimes en moyenne par hectolitre, pendant l'année, cela constitue une économie de 5 millions pour l'alimentation publique.
L’honorable ministre de l'intérieur a présenté deux objections à ma proposition.
Il a dit en premier lieu qu'on ne pouvait pas admettre un double régime pour le producteur. Messieurs, hier au commencement de la séance, l'honorable ministre des finances est venu déposer un projet de loi pour autoriser la libre sortie du minerai de fer par certaines frontières. N'est-ce pas là établir un double régime pour le producteur du minerai de fer, pour le propriétaire.de mines de fer ? Nous avons des lois de douane qui établissent des droits différentiels pour diverses provenances. N'est-ce pas encore établir un double régime ? Nous avons des péages différents sur les voies navigables qui appartiennent au gouvernement. N'est-ce pas encore un double régime ?
Je pense donc que la première objection de M. le ministre de l'intérieur n'est pas de nature à exercer une grande influence sur la Chambre.
M. le ministre a opposé un second motif à l'adoption de ma proposition. Il nous a fait craindre des représailles. Si, a-t-il dit, on prohibe partiellement, les pays qui ne profiteront pas de la liberté de sortie pourront se plaindre et prendre des mesures de représailles.
Messieurs, je ne puis pas le croire. Nous avons actuellement à nos frontières de terre la prohibition à la sortie, nous ne changerons donc pas notre régime pour les pays limitrophes : ces pays continueront à se trouver dans la position où ils sont aujourd'hui. Pourquoi donc se formaliseraient-ils de ce que nous maintenons cette situation ?
Quant aux pays où la prohibition à la sortie n'existe pas, il n'y a pas à craindre de représailles.
Quant aux pays qui ont établi la libre sortie, c'est dans leur intérêt et non dans le nôtre. Ils continueront à consulter leur intérêt pour régler leur conduite future.
Je pense donc qu'on ne peut froisser les gouvernements voisins, en maintenant la prohibition de sortie par la frontière de terre.
M. Van Renynghe. - Mon amendement n'a pas besoin de longs développements. Il a pour but la prohibition du pain à la sortie qui doit être une conséquence naturelle de la prohibition à l'exportation des denrées alimentaires, mentionnées au projet soumis à vos délibérations.
Comme habitant d'une commune limitrophe de la France, je puis vous assurer qu'on y importe beaucoup de notre pain, parce qu'il y est plus cher que chez nous.
Par conséquent, sous forme de pain, on peut exporter librement du froment, du seigle, etc.
Ces motifs qui m'ont déterminé à présenter cet amendement seront suffisants, je l'espère, pour vous le faire adopter.
M. de Mérode. - Je ne parlerai pas du danger que courent l'ordre et la paix publique, lorsque les populations voient exporter les principales denrées alimentaires ; je me contenterai de dire que ces exportations affligent les consommateurs pauvres ou peu fortunés et cela suffit, ce me semble, pour nous décider, même en cas de doute, en faveur de la mesure de prohibition de sortie.
Quant aux sacrifices qui en résulteront pour les propriétaires, aux yeux des adversaires de la prohibition de sortie, ils n'existent pas pour les céréales, puisque, selon eux, cette prohibition augmente plutôt légèrement les prix.
Dès lors cette considération que signalait M. le ministre de l'intérieur peut être considérée comme nulle et les propriétaires n'ont rien à perdre en voyant leurs grains réservés exclusivement au pays.
Quant à l'orge dont M. Tack demande aussi la prohibition de sortie, ceux qui en ont à vendre seraient dans les mêmes conditions, car ce grain entre aussi dans les combinaisons de panification à bon marché et son exportation est, comme l'a dit M. Tack, tellement accrue depuis 1854, que de 161 mille kilogrammes, elle est parvenue à 3 millions 800 mille kilogrammes depuis 1854, accroissement dans la proportion d'un à vingt-cinq, sans augmentation correspondante d'importation.
L'industrie des brasseries n'est pas une industrie étrangère à l'alimentation.
La bière est une sorte d'aliment liquide. Les brasseurs sont dans uue position difficile. Ils sont obligés de maintenir le prix de la bière à peu près au taux où elle était avant la cherté et si vous leur soustrayez une des matières premières dont ils ont besoin, il leur est plus difficile de satisfaire à la consommation.
(page 248) Voilà, messieurs, une considération qui me semble devoir militer en faveur de l'amendement de l'honorable M. Tack.
L'orge sert à la fabrication de la bière. Il nous en est importé une quantité assez considérable ; mais d'un autre côté, l'exportation a beaucoup augmenté et il me semble logique de suivre pour l'orge le même système que pour le froment et le seigle.
Je dirai, même, messieurs, que l'avoine sert aussi à l'alimentation, car dans une foule de localités que je connais les habitants pauvres mangent des galettes d'avoine ; c'est pour eux un grand objet de consommation.
Il me semble, messieurs, qu'il n'y a aucun danger à empêcher l'exportation de l'orge et de l'avoine. Toutes ces mesures ne peuvent nuire à qui que ce soit et si elles ne produisent pas de bien, elles ne peuvent pas produire de mal et elles prouvent à la généralité des habitants du pays qu'on fait tout ce qu'on peut pour conserver les moyens d'alimentation qui existent dans le pays.
Quant à la question des œufs et du beurre, j'en ai dit un mot dans une des dernières séances ; je n'insisterai pas, bien qu'il me semble qu'il serait à propos de récolter de ce chef quelque chose pour le trésor public lorsqu'on y fait des brèches constantes par la réduction de tous les droits d'entrée.
Si l'on percevait un droit de sortie sur ces articles qui sont imposés à l'entrée en Angleterre, cela ne ferait aucun tort à la production et il en résulterait peut-être une diminution du droit d'entrée, de sorte que ce serait le trésor belge qui profiterait de la mesure sans qu'il y eût le moindre changement en ce qui concerne la position du producteur.
La question du bétail est aussi moins importante, parce que la généralité consomme peu de viande. Ce seront les habitants aisés qui supporteront l'augmentation de prix qui pourra résulter de la libre sortie.
Je n'insiste donc pas, messieurs, sur ce qui concerne les œufs, le beurre et le bétail, mais je demande la prohibition à la sortie de toutes les céréales de première et de seconde qualité.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'honorable M. Van Renynghe vient de développer en peu de mots un amendement relatif au pain. Le gouvernement croit devoir se rallier à cet amendement parce qu'il paraît prouvé que sur une certaine frontière on exporte le pain et que pour être conséquent il faut interdire l'exportation du pain lorsqu'on interdit l'exportation des céréales.
La section centrale propose d'ajouter à l'article 2 l'épeaulre mondé ; et non mondé ; je ne vois pas de raison pour admettre cet amendement parce que je ne sache pas que généralement on exporte l'épeautre, qui est d'ailleurs compris sous la dénomination du froment.
M. Van Overloop, rapporteur. - Dans la discussion de l'année dernière on a posé la question de savoir si l'épeautre mondé et non mondé était compris dans le froment, et la Chambre a décidé que oui. C'est pour éviter toute équivoque à cet égard, et parce que l'épeaulre est dénommé dans l'article premier, que la section centrale a admis cet amendement.
M. Wasseige. - Messieurs, je suis l'auteur de l'amendement dont il s'agit. L'année dernière l'épeautre n'était pas dénommé dans l'article 2 ; on a proposé un amendement a cet égard, mais le règlement s'opposait à ce que cet amendement, proposé tardivement, fût mis aux voix. Seulement on a dit que l'article 2 devait être interprété en ce sens que l'épeautre était compris dans le mot « froment ». J'ai proposé dans ma section l'amendement qui nous occupe, pour faire disparaître toute difficulté.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Si l'amendement ne fait que maintenir le statu quo, je ne m'y oppose pas.
M. Van Iseghem. - J'entends que M. le ministre de l'intérieur s'est rallié à l'amendement de l'honorable M. Van Renynghe, par lequel le pain sera prohibé à la sortie ; je désire savoir si le biscuit que les navires embarquent à leur départ comme provision de bord, sera aussi prohibé à la sortie.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non, cela ne s'applique pas au biscuit.
M. le président. - L'article 2 est conçu comme suit :
« Le froment, le seigle, le sarrasin, les farines et moutures de toutes espèce, les pommes de terre et les fécules sont prohibés à la sortie. »
La section centrale propose de dire : « Le froment, l'épeautre mondé ou non mondé, le seigle, etc. »
M. le ministre des finances a proposé d'ajouter : « Le maïs. »
MM. Tack et Rodenbach proposent d'ajouter « l'orge » après le mot « seigle ».
'Enfin', M. Thibaut propose d'ajouter : « par terre, canaux ou rivières. »
Nous commencerons par mettre aux voix l'amendement de M. Thibaut, qui s'éloigne le plus de la proposition principale.
M. Thibaut. - Messieurs, il est impossible que l'on commence, par mon amendement. Voici comment se divisent les opinions dans la Chambre : les unes veulent la liberté complète, d'autres veulent la prohibition complète ; et enfin il en est qui préfèrent un moyen terme. Il est évident que si mon amendement était mis aux voix en premier lieu il serait repoussé à la fois par ceux qui veulent la liberté absolue et par ceux qui veulent la prohibition absolue. Tandis que cependant les partisans de la liberté préféreraient mon amendement à la prohibition absolue et les partisans de la prohibition le préféreraient à la liberté absolue. Il faut donc commencer à voter soit sur la prohibition pure et simple, soit sur la liberté pure et simple et n'en venir ensuite au terme moyen que je propose que si la première proposition est repoussée.
M. Mascart. - Je demande la division.
Nous avons eu, en 1855, une récolte de pommes de terre considérable, qui suffira à nos besoins, tandis que dans plusieurs pays voisins, dans le nord de l'Allemagne surtout, la récolte a été médiocre ou mauvaise.
Pour ce produit nous nous trouvons donc dans une situation exceptionnelle qui me permettra de voter la prohibition à la sortie. Je ne le pourrais pas pour les céréales, parce que nous devons nécessairement en acheter en pays étranger, que nous n'avons pas ce qui nous est indispensable pour atteindre la récolte de 1856.
Je demande qu'il y ait un vote distinct pour les pommes de terre et les fécules.
- L'amendement de M. Thibaut est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La prohibition à la sortie du froment est mise aux voix et est adoptée.
M. le président. - Nous passons au seigle.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
M. le président. - Je mets aux voix l'article « seigle ».
- On réclame l'appel nominal. Il est procédé à cette opération.
57 membres répondent oui.
26 répondent non.
2 (MM. Dechamps et Thibaut) s'abstiennent.
En conséquence, le seigle est prohibé à la sortie.
Ont répondu oui : MM. Boulez, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Decker, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Ruddere de Te Lokercn, de Sécus, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, du Bus, Dumon, Dumortier, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Maertens, Magherman, Manilius, Matthieu, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboorn. Vander Donckt, Vaa Grootven, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau et Delehaye.
Ont répondu non : MM. Anspach, Brixhe, Calmeyn, Closset, Dautrebande, David, de Brouwer de Hogendorp, Delfosse, Deliége, de Naeyer, de Pitteurs, de Renesse, de Steenhault, Frère-Orban, Goblet, Lebeau, Lesoinne, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Tesch, Thiéfry, Trémouroux et Van Hoorebeke.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus, sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Dechamps. - Messieurs, je ne suis pas partisan des prohibitions à la sortie. Cependant, je n'ai pas l'habitude de me laisser guider, en pareille matière, par des principes absolus. En présence de la situation anomale dans laquelle nous nous trouvons, j'aurais accepté, malgré mes répugnances, la prohibition de la sortie des céréales, si les débats de la Chambre m'avaient donné la conviction que cette mesure pouvait avoir quelque efficacité ; mais la discussion a'a pas fait naître en moi cette conviction ; d'un autre côté, je ne pense pas que la mesure puisse avoir un effet fâcheux ; elle sera inefficace tant pour le bien que pour le mal.
Dans cette situation, les motifs d'ordre public que le gouvernesuent a invoqués et qu'il est plus à même d'apprécier que nous, m'ont conseillé de m'abstenir.
M. Thibaut. - Messieurs, je ne pense pas qu'il y ait des motifs d'établir un régime différent pour le froment et le seigle. La Chambre a décidé la prohibition du froment ; je n'ai pas voulu contribuer par mon voye à faire déclarer libre la sortie du seigle.
M. le président. - Je mets aux voix l'article « sarrasin ».
- La Chambre adopte. En conséquence, le sarrasin est compris dans la prohibition.
- Adopté.
« Epeautre inondé ou non mondé. »
- Adopié.
« Farines et mouture de toutes espèces. »
- Adopté.
« Pommes de terre et fécules. »
- Adopié.
L'amendement de M. Tack, tendant à prohiber la sortie de l'orge est mis aux voix et n'est pas adopté.
M. le président. - Je mets aux voix la prohibition de la sortie du pain, proposée par. M. Van Renynghe.
M. Deliége (sur la position de la question). - (page 249) Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si les navires à vapeur qui font le voyage de Londres pourront encore transporter du pain.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Oui, pour la consommation de l'équipage.
- On passe au vote.
Une double épreuve par assis et levé est douteuse. On procède à l'appel nominal.
84 membres répondent à l'appel.
44 répondent oui.
56 répondent non.
4 (MM. Dechamps, Julliot, Sinave et Thibaut) s'abstiennent.
En conséquence, la proposition de M. Van Renynghe, tendant à la prohibition du pain à la sortie, est adoptée.
Ont répondu oui : MM. Boulez, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, Félix de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, Dubus, Dumon, Dumortier, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Maertens, Magherman, Manilius, Matthieu, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau et Delehaye.
Ont répondu non : MM. Anspach, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de La Coste, Delfosse, Deliége, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs, de Renessc, de Steenbault, Frère-Orban, Goblet, Lange, Laubry, Lebeau, Lesoinne, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rousselle, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vander Donckt, Van Hoorebekc et Van Iseghem.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Dechamps. - Je me suis abstenu par le même motif que sur la question du seigle.
M. Julliot. - Messieurs, je me suis abstenu. Je n'ai pas voté la prohibition de la sortie du pain, parce que le commerce qu'on en fait est peu considérable et qu'on ne peut pas en exporter beaucoup. Je ne pouvais pas voter la libre sortie après avoir voté la prohibition de la sortie du froment. Ce n'est pas parce qu'il y avait eu transformation que je pouvais le permettre.
M. Sinave. - J'aurais donné mon vote à l'amendement, s'il avait été convenablement développé.
Que ferez-vous quand un navire a besoin de 10, 12, 15 mille kilogr. de pain pour son approvisionnement pendant son voyage ? Il ne pourra pas les embarquer.
- Plusieurs voix. - Si ! si !
M. Sinave. - S'il en est ainsi, c'est différent ; il csi fâcheux qu'on ne l'ait pas dit.
M. Thibaut. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que pour le seigle.
- L'ensemble de l'article 2, tel qu'il a été amendé, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous avons maintenant l'article 3 (nouveau), proposé par MM. Orts, Tesch, de Steenhault et Mascart, ainsi conçu. :
« Jusqu'au jour où sera levée la prohibition à la sortie des denrées alimentaires, il sera perçu à la sortie des houilles un droit de douane de 5 p. c. à la valeur. »
La parole est à M. Orts pour le développrer.
M. Orts. - Messieurs, l’amendement que nous avons présenté, avait pour objet de ne pas faire supporter tout le poids des malheureuses circonstances daas lesquelles nous nous trouvons sur une seule industrie, mais de le faire partager par l'industrie dont la situation se trouve dans la plus parfaite analogie avec l'agriculture. Aussi longtemps qu'on voulait empêcher l'agriculture de disposer de ses produits, nous voulions appliquer le même régime aux produits de l'industrie minérale sans lesquels les denrées alimentaires ne peuvent passer à l'état de comestible. Maintenant que la plupart de ceux qui voulaient prohiber ou entraver la sortie des produits de l'agriculture ont reculé devant le peu de faveur qu'elles rencontraient dans cette Chambre, il n'y a plus le même motif d'imposer un sacrifice à l'industrie minérale. En conséquence je retire la proposition.
M. Brixhe. - Je retire également l'amendement que j'avais proposé.
M. le président. - Nous passons à l'article 3 du projet.
« Art. 3. Tout navire arrivant en Belgique, avec un chargement composé, au moins jusqu'aux deux tiers de sa capacité légale, d'une ou de plusieurs des denrées énumérées à l'article premier, sera exempt du payement du droit de tonnage, tant à l'entrée qu'à la sortie, si, aux termes de la loi, ce payement est dû à l'occasion de ce voyage du navire. »
La section centrale propose à cet article l'amendement suivant :
« Les personnes qui déclareront pour la consommation des denrées alimentaires, énumérées à l'article premier, obtiendront, au prorata des quantités, la restitution du droit de tonnage payé par les navires qui auront importé ces denrées, depuis la promulgtion de la présente loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, la section centrale propose d'accorder la restitution ou l'exemption du droit de tonnage, non à celui qui fait l'importation du grain, mais à celui qui en fait la déclaration en consommation ; l'article 3 du projet du gouvernement accorde au contraire cette exemption au navire important un chargement de céréales.
Le mode présenté par la section centrale est celui qui a été introduit dans la loi du 25 mars 1847 ; il a donné lieu à de nombreuses difficultés d'exécution, et dans mon opinion, il n'a pas eu d'efficacité.
Le gouvernement français, par un décret du 18 avril 1853, a adopté le mode que nous proposons aujourd'hui. Assurément il avait connaissance de celui que consacrait notre loi de 1847, mais il en a apprécié les inconvénients, dès lors bien connus en Belgique. Il entraîne en effet une foule de complications.
Ainsi le tonnage légal n'étant pas le même que le tonnage effectif, il y a là une première difficulté pour établir la restitution ; ensuite ce qui arrive souvent, un même navire peut importer plusieurs fois des céréales dans une même année, cependant le droit de tonnage n'est dû qu'à la première entrée et à la première sortie d'un navire.
On ne sait qu'à l'expiration d'une année si tel navire, qui a importé des céréales une première fois, n'arrivera pas avec un semblable chargement une seconde et une troisième fois dans nos ports. De là naissent l'incertitude de la quotité de la restitution et un retard inévitable dans le payement ; ce retard a été souvent d'une année entière. Peut-on croire que dans une pareille situation la mesure ait véritablement quelque efficacité au point de vue de l'alimentation ? Il est permis d'en douter très fortement.
L'exécution de la loi a aussi rencontré des difficultés au point de vue de la comptabilité, et des contestations de la part de la cour des comptes. Il s'agit en effet plutôt d'une prime que d'une exemption de droit ; et si la proposition de la section centrale était adoptée, je me verrais obligé de réclamer un crédit de fr. 120,000 pour faire régulièrement face à cette dépense.
Je ne me fais pas illusion sur les effets de la mesure telle qu'elle est proposée par le gouvernement ; cependant on conviendra qu'elle peut déterminer quelques arrivages de plus dans notre pays. Comme, en définitive, le droit de tonnage, à cause de sa modicité, influence extrêmement peu le prix du grain, je n'attends pas, je l'avoue, un résultat de quelque importance de l'exemplion de ce droit, et la Chambre appréciera jusqu'à quel point il convient de priver le trésor de cette partie de ses ressources. Lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi qui est soumis à vos délibérations, il n'avait pas l'intention d'admettre la libre entrée de certaines espèces de poisson, et notamment du hareng. Les dispositions prises à cet égard nous enlèvent une recette que j'évalue à plus de 160,000 fr, ; d'après les calculs qui ont été faits, l'exemption du droit detlonnage n'eût donné lieu qu'à une perte de 60 à 70 mille francs. Si l'on renonçait à l'article 4 du projet, le trésor trouverait un dédommagement partiel du préjudice que lui cause la suppression des droits sur le poisson.
- Plusieurs voix. - Retirez-le.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Ces considérations jointes aux dispositions qui se manifestent dans la Chambre me déterminent à le retirer.
M. Sinave. - La disposition étant retirée, je n'ai plus rien à dire, mais si le débat s'engageait sur cette disposition je demanderais la parole.
M. Van Overloop, rapporteur. - La section centrale ne peut se prononcer, puisqu'elle ne s'est pas réunie. Mais personnellement je déclare me rallier à la proposition du gouvernement.
M. Manilius. - Moi aussi.
M. Frère-Orban. - La proposition principale est retirée. Donc l'amendement tombe. (Adhésion.)
« Art. 4 (qui devient 3). Les dispositions qui précèdent sortiront leurs effets jusqu'au 31 décembre 1856. Toutefois, le gouvernement pourra, avant cette époque, faire cesser les effets de l'article 2. »
M. Calmeyn. - La pêche au hareng est faite pour cette année. Il est possible qu'une bonne récolte mette un terme à la crise alimentaire.
Je veux donc que le gouvernement puisse, avant le 31 décembre de l’année prochaine, faire cesser les effets de la loi, en ce qui concerne le hareng.
C'est pourquoi j'ai proposé un amendement tendant à ajouter à la fin de cet article les mots « et de l'article premier, en ce qui concerne le hareng. »
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le gouvernement n'a aucune objection à faire contre cet amendement. C'est une faculté dont il usera, si les circonstances le permettent.
- L'amendement de M. Calmeyn est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 5 (qui devient 4). L'arrêté royal du 25 octobre 1855, qui a prohibé à la sortie le sarrasin et la farine du sarrasin, est approuvé. »
- Adopté.
« Art. 6 (qui devient 5) Le bénéfice de la libre entrée, décrétée par l'article premier, ainsi que l’exemption du droit de tonnage accordé par l’article 3, seront applicables à tout navire belge ou étranger dont les (page 250) papiers d'expédition constateront que le chargement a été complété et le départ effectué d'un port étranger avant la date du rétablissement des droits.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Par suite du retrait de l'article 3, il y a lieu de retrancher, dans cet article, ces mots : « ainsi que l'exemption accordée par l'article 3. » L'article devra donc commencer ainsi : « Le bénéfice de la libre entrée, décrétée par l'article premier, sera applicable (le reste comme an projet). »
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 7 (qui devient l'article 6). La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
M. le président. - La Chambre n'a plus à statuer que sur les articles additionnels présentés par M. Dumortier. La parole est à M. Dumortier. Je lui ferai observer que M. Rodenbach a retiré sa proposition relative à la prohibition du bétail.
M. Dumortier. - Il s'agit, d'après ma proposition, d'un droit de 15 p. c. à la sortie, ce qui est tout différent.
Les propositions que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau sont dans le second ordre d'idées qui a dirigé cette discussion.
Par l'article premier, vous avez admis la libre entrée des céréales. Mais le pays réclame encore d'autres mesures, au point de vue de l'agiotage des céréales. Les amendements que nous avons eu l'honneur de proposer ont principalement pour but d'empêcher cet agiotage. L'un des premiers moyens de faire de l'agiotage, c'est cette fixation des marchés à des jours différents de la semaine.
Il résulte de ce système que rien n'est plus facile que de jouer à la hausse ou à la baisse d'un marché à l'autre. Aujourd'hui il y a un marché dans une ville déterminée, c'est un lundi. Le mardi, il y a marché à quelques lieues de là. Puis viennent les marchés du mercredi et du jeudi. Il en résulte un agiotage continuel d'un marché à l'autre.
Que se passe-t-il ? Les journaux à bon marché, qui sont établis en grande partie pour donner la cote du prix des grains et qui sont répandues dans les campagnes à grand nombre d'exemplaires indiquent une hausse de tant. C'est un moyen d'agiotage dans les circonstances actuelles.
Aussi, beaucoup de personnes (ce vœu a été émis par toutes les personnes éclairées) demandent-elles que partout le marché soit fixé au même jour.
Je regarde cette disposition comme une des plus salutaires, une des plus sages qui puissent être prises. Aucune objection sérieuse ne peut être élevée contre ce système ; un honorable député de Bruxelles a dit dans la discussion générale que cela amènerait de la hausse ; mais il faut argumenter en sens inverse du droit fil pour arriver à une pareille solution.
Il est évident que le moyen d'empêcher cette hausse désastreuse, c'est de fixer tous les marchés au même jour ; car tous ces marchées successifs où l'on transporte un certain nombre de sacs de grains pour les promener d'un marché à l'autre, n'ont qu'un résultat, c'est d'amener la hausse.
Le grand mal de la situation actuelle, c'est qu'une grande transformation s'est opérée depuis deux ans dans les opérations du commerce des céréales. Aujourd'hui, vous ne voyez presque plus le producteur livrer ses grains au consommateur.
Autrefois, les meuniers, les boulangers, qui sont les principaux consommateurs, achetaient les grains au producteur. Aujourd'hui, il s'est formé une quantité d'intermédiaires qui produisent sur les céréales un effet analogue à la livre de beurre de Charles-Quint. A force de passer de main en main, cette livre de beurre s'était réduite à rien. A force de passer de main en main, les céréales deviennent d'un prix inabordable pour l'ouvrier, sans avoir beaucoup haussé au profit du producteur.
Le meilleur moyen de porter remède à cet abus, c'est de fixer tous les marchés au même jour et d'imposer une patente au factage.
Evidemment, le factage est nécessaire dans certaines limites ; mais il ne faut pas que ce factage devienne un abus, comme cela a lieu aujourd'hui. Mais le factage étant un commerce, il est juste et légitime que les facteurs en grains payent une patente comme tous les autres commerçants. Cette patente, je le reconnais, est un peu forte ; mais comme elle aura pour résultat de diminuer le nombre des facteurs, ceux qui la payeront feront d'autant mieux leurs affaires, qu'ils auront moins de concurrents.
Le factage n'est pas une nécessité absolue. C'en est peut-être une relative. Mais aujourd'hui le nombre des facteurs en grains est extrêmement considérable ; ils se répandent dans les campagnes, vont de ferme en ferme et amènent un véritable agiotage sur les grains.
C'est là, messieurs, une des plus grandes calamités dont nous puissions être frappés en ce moment ; c'est une véritable lèpre qu'il est de notre devoir d'extirper le plus tôt possible du pays. Il n'y a qu'un cri dans toutes nos provinces contre le factage, et il me semble indispensable d'y porter remède. C'est pour cela que nous avons demandé l’établissement d'une patente pour les facteurs qui parcourent le plat pays.
Messieurs, en demandant de fixer tous les marchés le même jour, nous avons ajouté une disposition relative au télégraphe électrique.
Cette disposition n'est que la réproduction de ce qui se passe aujourd'hui en France.
- Plusieurs membres. - Et les pigeons ?
- Un membre. - Et les canards ?
M. Dumortier. - Il ne s'agit point ici de canards. Quand je viens produire des opinions, qui sont celles du peuple entier, je trouve fort étrange qu'on se permette de pareilles plaisanteries. Elles sont de fort mauvais goût, quand il s'agit d'alimentation du peuple. Au reste je les laisse à ceux qui les ont lancées.
Il est encore, messieurs, un point sur lequel nous avons cru devoir appeler votre attention. Il est un fait constant, c'est qu'il existe en plusieurs matières des privilèges pour l'exportation des denrées alimentaires. Je ne parle pas de celles qui sont comprises dans la loi, puisqu'elles ne peuvent plus être exportées ; mais pour les autres il existe des privilèges.
Ainsi pourquoi réduire les transports lorsque les denrées alimentaires sortent du pays et les faire payer complètement, lorsque ces denrées restent dans le pays ? Comment ! je transporterai du beurre, je transporterai des œufs de Bruxelles à Liège et je payerai les prix les plus élevés du tarif. Mais si je les exporte en Angleterre ou en France, le chemin de fer me fera une remise. Cela est inconcevable. Il faut avoir un amour désordonné de l'exportation des produits pour arriver à un pareil résultat. Je dis que si une réduction devait avoir lieu, elle devrait être dans l'intérêt des enfants du pays et non dans l'intérêt des bouches étrangères. Nous avons donc demandé la suppression de cet abus.
Vient l'article 4. Il est relatif au beurre et aux œufs. Vous savez, messieurs, que le beurre et les œufs, qui sont des objets indispensables de l'alimentation du peuple, sont arrivés aujourd'hui à un prix tel, que les ouvriers et la petite bourgeoisie doivent s'imposer des privations constantes. C'est une calamité que de voir nos populations réduites à devoir manger des pommes de terre et quelquefois un peu de pain de seigle. On pourrait tout au moins lui permettre de mettre un peu de beurre sur ce pain de la misère, de manger quelquefois un œuf dur ; mais la moitié de ce que nous produisons part par la France et pour l'Angleterre.
Depuis une vingtaine d'années, la population de Londres a doublé et plus que doublé. Londres, qui en 1835, lors de l'ouverture du chemin de fer, n'avait qu'un million d'habitants, en a aujourd'hui deux millions et demi. Cette population si considérable a besoin de grandes masses d'aliments et l'on vient dans nos provinces enlever toutes les denrées pour les transporter à l'étranger.
Or, les Anglais eux-mêmes, qu'onl-ils fait ? Ils ont mis un droit d'entrée sur le beurre, sur les œufs, et malgré cela on vient encore nous les enlever. Il n'y a donc aucun motif pour que nous-mêmes nous ne mettions pas un petit impôt sur le beurre et sur les œufs. Cet impôt viendra tout au moins indemniser le trésor public d'une partie des sacrifices et des pertes qu'il fait par la suppression des droits sur le riz et sur les grains, et il aura peut-être pour résultat de laisser un peu plus de beurre dans la consommation. Dans tous les cas, ce sera une grande satisfaction accordée à l'opinion publique. A ce double titre, je crois que la Chambre fera bien d'admettre le droit, très minime d'ailleurs, que nous proposons à la sortie du beurre et des œufs.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, permettez-moi de faire encore quelques observations en réponse à celles que vient de présenter l'honorable auteur des amendements actuellement en discussion.
Le premier amendement de l'honorable M. Dumortier est relatif à la tenue des marchés le même jour. Dans une première discussion à ce sujet, j'ai déjà pu m'exprimer relativement aux conséquences fâcheuses qu'aurait cette mesure. L'honorable membre nous dit que toutes les personnes les plus éclairées du pays la réclament. Messieurs, cette question a fait l'année dernière l'objet d'une enquête administrative. J'ai revu les résultats de cette enquête. Toutes les chambres de commerce du pays, toutes les commissions d'agriculture, tous les gouverneurs, toutes les administrations de nos villes, sauf une seule, ont été unanimement d'avis que cette mesure serait désastreuse. Examinons-la, encore un instant, en elle-même. L'honorable membre croit que tenir tous les marchés le même jour, c'est détruire l'agiotage.
D'après les pièces de la même enquête, toutes les autorités consultées dans toutes les parties du pays ont été unanimes à déclarer que la tenue des marchés le même jour aurait précisément pour effet d'augmenter considérablement l'agiotage.
M. Dumortier. - Comment ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Parce que plus vous gênez les transactions au marché, plus vous donnez lieu aux transactions dans les bourses publiques. Cela est évident. L'honorable membre déplore le commerce des céréales qui se fait au domicile des cultivateurs par l'intermédiaire des commissionnaires. La tenue des marchés le même jour aura encore, de l'aveu de toutes les personnes compétentes, pour résultat, en entravant la vente des grains sur les marchés, de nécessiter les transactions à domicile.
Ensuite, comme j'ai eu l’honneur de le dire dans une autre séance, dans la plupart de nos villes ce sont les jours de marchés qui constituent les grands éléments de la prospérité du petit commerce. Si vous fixez (page 251) les marchés au même jour, vous allez ruiner toutes les petites villes au profit de quelques grandes. C'est une observation dont personne, je pense, ne sera tenté de contester la justesse.
C'est donc bien à tort que l'honorable M. Dumortier croit qu'aucune objection ne peut être formulée contre la disposition qu'il propose ; je pense en avoir assez dit pour prouver le contraire.
Quant aux facteurs en grains que l'honorable membre voudrait frapper d'un droit de patente, j'ai déjà déclaré que, pour ma part, je considère ces intermédiaires du commerce comme utiles, que je les considère non comme un mal, mais comme un bien, surtout à cette époque où l'on croit que les cultivateurs ne sont pas pressés d'apporter beaucoup de grain aux marchés.
Il est bien entendu que je ne défends pas ici, s'il en existe, ces agents de mauvaise foi qui ne se livrent pas à des opérations honnêtes et sérieuses, et qui ne cherchent, par leurs manœuvres déloyales, qu'à provoquer des hausses factices.
L'honorable membre dit que les opérations de ces intermédiaires empêchent les relations directes entre le producteur et le consommateur, c'est-à-dire l'arrivée des céréales au marché. Il y a un fait qui répond victorieusement à cette assertion, c'est qu'on ne remarque pas de diminution dans l'approvisionnement des marchés. La statistique constate que le chiffre des approvisionnements est à peu près le même que les années précédentes. Ainsi les opérations des facteurs, que l'on considère comme si désastreuses, n'exercent aucune influence sur l'importance de nos marchés
J'en viens au droit sur les œufs et sur le beurre. Il y a à dire tout simplement ceci : ou le droit sera efficace pour retenir ces aliments dans le pays ou il ne le sera pas. S'il est efficace dans ce sens qu'il empêchera la sortie, c'est une prohibition déguisée ; s'il n'est pas efficace, c'est-à-dire s'il n'est pas assez élevé pour empêcher la sortie, l'honorable membre n'atteint pas le but qu'il se propose, et qui consiste à mettre les œufs et le beurre à la portée d'un plus grand nombre de consommateurs belges.
A cette occasion, l'honorable membre signale la ville de Londres comme ayant reçu un accroissement considérable depuis quelques années et comme absorbant une grande partie des produits agricoles des Flandres.
Mais, messieurs, c'est là un fait très heureux pour les Flandres. L'ouverture de ce vaste marché aux portes de ces provinces a pour ainsi dire sauvé nos Flandres et a été pour elles un puissant élément de prospérité dans les crises successives qu'elles ont traversées.
M. le président. - Les articles additionnels proposés par MM. Dumortier et Rodenbach sont au nombre de quatre. Le premier est ainsi conçu :
« A partir du 1er janvier prochain, tous les marchés de céréales auront lieu le vendredi de onze heures à une heure.
« Pendant la durée du marché, le télégraphe électrique ne pourra transmettre les cotes d'un marché à l'autre.
« Le gouvernement pourra autoriser un second marché dans les villes qui en jouissent. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
L'article est mis aux voix par appel nominal.
76 membres sont présents.
1 membre (M. Dumortier) adopte.
75 rejettent.
En conséquence, la proposition n'est pas adoptée. Ont voté le rejet : MM. Boulez, Brixhe, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de T'Serclaes, Devaux, du Bus, Dumon, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Janssens, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Maertens Magherman, Manilius, Mascart, Mathieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux.Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Anspach et Delehaye.
« Les faveurs de tout genre accordées à l'exportation des denrées alimentaires sont supprimées. »
- Rejeté.
« Tout facteur en grains ou pommes de terre, parcourant le plat pays, est imposé à une patente de cent francs. »
- Rejeté.
« Le beurre et les œufs payeront 15 p. c. de droit de sortie. »
- Rejeté.
Le vote définitif du projet de loi est fixé à mardi prochain.
M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi ayant pour objet d'allouer un crédit provisoire au département des travaux publics.
- La Chambre ordonne l'impression et distribution de ce projet et le renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.
La séance est levée à 4 heures et demie.