(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 229) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est adoptée.
M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Des habitants de Namur prient la Chambre de modifier la loi relative à l'expulsion des petits locataires. »
M. Lelièvre. - J'appuie la pétition. Les réclamations incessantes qui sont adressées à la Chambre attestent de plus en plus l'existence de l'abus qu'il s'agit de faire cesser, je prie le gouvernement de faire droit aux vœux légitimes des pétitionnaires.
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de la ville de Liège demandent une loi sur la police des établissements dangereux, insalubres ou incommodes. »
M. de Renesse. - Messieurs, plusieurs habitants de Liège, dans un haut intérêt public, ont cru devoir s'adresser à la Chambre à l'effet de lui demander de vouloir s'occuper, pendant la session actuelle, de la révision, par une loi, des arrêtés et règlements sur, la police des établissements dangereux, insalubres ou incommodes.
Il a été reconnu depuis longtemps que les arrêtés et règlements actuels sont insuffisants, qu'ils ne reçoivent pas partout une juste application et que la surveillance de ces établissements laisse beaucoup à désirer.
Aussi, le gouvernement a jugé cette révision nécessaire et a nommé une commission chargée de s'en occuper.
Cette pétition m'a été adressée, il y a environ quinze jours, pour la présenter moi-même et l'appuyer auprès de la Chambre ; mais, ayant été retenu chez moi par une indisposition, je n'ai pu m'en acquitter plus tôt.
Dans une séance précédente, une autre pétition du comité central du nord de la ville de Liège a été analysée à la Chambre, et sur la demande de l'honorable M. Delfosse, la Chambre en a ordonné le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. Comme la requête dont j'ai l'honneur d'entretenir la Chambre a un certain rapport avec la pétition du comité central du nord de la ville de Liège, je crois devoir proposer à la Chambre de vouloir demander en même temps un prompt rapport sur ces deux pétitions.
M. Lelièvre. - J'ai souvent signalé la nécessité de présenter un projet de loi sur les établissements insalubres, la législation existante étant insuffisante et ne répondant plus aux besoins de l'époque. Je recommande au gouvernement la pétition qui est digne de son examen sérieux.
Cette pétition a aussi un trait direct à la réclamation des habitants de Liège relativement à l'établissement de la Vieille-Montagne à l'égard duquel les lois en vigueur ne sont pas exécutées. J'invite le gouvernement à statuer sur les nombreuses réclamations qui lui ont été adressées par les habitants de Liège. L'état de choses existant est illégal et il y a lieu de le faire cesser.
- La proposition de M. de Renesse est adoptée.
« Le conseil communal de Sottegem présente des observations en faveur de la construction d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand et Terneuzen, avec embranchement sur Grammont. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la ville de Rœulx présentent des observations à l'appui des demandes en concession d'un chemin de fer passant par cette ville, et contre l'utilité d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw par Nivelles, projeté par la compagnie Waring. »
- Même renvoi.
« Des arpenteurs jurés à Gand et d'autres habitants de cette ville, demandent l'abolition du droit de patente des arpenteurs jurés ou bien une loi qui interdise aux employés du cadastre, aux inspecteurs et entrepreneurs de travaux, de faire des arpentages et de métrer en dehors du cercle de leurs attributions. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Hasselt demande la construction d'un canal de Diest à Hasselt. »
- Même renvoi.
« Plusieurs tisserands à Moorsele demandent la réduction du droit de plombage exigé par la douane. »
- Même renvoi.
« Le sieur Orban se plaint de la promptitude mise au département de la guerre dans les décisions à prendre sur les demandes qui ont pour objet le renvoi de miliciens dans leurs foyers.
- Même renvoi.
« Le sieur Parent, capitaine pensionné, décoré de la croix de Fer, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la pension de 250 fr. dont jouissent quelques décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Des propriétaires de plantations de mûriers à Ellezelles et à Flobecq prient la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le crédit destiné à l'industrie séricicole. »
- Même renvoi.
« Quelques habitants de Gand demandent une loi qui interdise la distillation avec des céréales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exportation des eaux-de-vie.
« Des haleurs de bateaux présentent des observations sur le projet de loi concernant le halage, et demandent que le gouvernement nomme les haleurs de chaque station d'après les besoins du service, et qu'il fixe leur salaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« M. Osy, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. de La Coste. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur la demande de différents industriels tendant à obtenir la libre entrée du zinc en Belgique ou du moins la restitution, à la sortie du royaume, des droits perçus sur le zinc acheté à l'étranger sous forme brute et laminé dans le pays.
M. Janssens. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie relatif à une pétition de brasseurs qui demandent la prohibition du houblon à la sortie.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre le projet de loi tendant à autoriser la sortie du minerai de fer par la frontière entre l'Escaut inclusivement et la mer.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'ai aussi l'honneur de déposer le rapport sur les résultats des essais tentés pour la distillation de la betterave.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le président. La discussion générale a été close hier.
Le premier orateur inscrit sur l'article premier est M. Van Iseghem.
M. Van Iseghem. - En prenant la parole dans cette discussion, la Chambre serait étonnée si un député d'Ostende venait défendre la proposition de la section centrale relativement à la libre entrée du poisson de mer, c'est-à-dire, si je venais appuyer la ruine de la pêche.
Je n'admets pas non plus, messieurs, l'amendement de l'honorable M. Manilius.
L'honorable membre a toujours été un zélé défenseur de toutes les industries, je connais sa grande sollicitude pour la classe ouvrière et j'ai la conviction que si par des raisonnements je puis lui démontrer que la partie de son amendement qui a rapport à la libre importation du poisson commun serait désastreuse pour la pêche sans aucun avantage pour les consommateurs, j'ai la conviction, dis-je, qu'il sera le premier à modifier cette partie de sa proposition.
Mais avant d'entrer dans le fond du débat, qu'il me soit permis de répondre quelques mots à l'honorable membre, et de rectifier quelques erreurs qui se trouvent, d'après moi, dans son discours d'avant-hier.
L'honorable M. Manilius propose le libre transit pour tout le poisson excepté le poisson frais fin, la morue, les huîtres et les homards ; je ne m'y oppose pas, par la raison bien simple que la liberté du transit existe actuellement.
Il est vrai que la loi générale de transit de 1849 avait prohibé quelques marchandises parmi lesquelles se trouvait le poisson. Cette législation a été changée, d'abord par le traité conclu en 1851 avec les Pays-Bas ; l'article 12 de cette convention dit clairement que toute défense de transit par chemin de fer est levée à l'exception de la houille, des fers, de la poudre à tirer et des fils et des tissus de lin. L'article 10 du traité (page 250) avec l'Angleterre est rédigé dans le même sens, et le traité avec la France de 1854, article 14, et notre arrangement provisoire avec le Zollverein, contiennent les mêmes dispositions ; donc le transit par le chemin de fer est affranchi de tout droit, et pour preuve, je citerai que pendant l'année 1854, 190 tonnes de harengs ont transité par le chemin de fer sans payer la moindre chose, et en outre une partie de hareng frais et de poisson de mer.
Ce qui empêche le transit du hareng par la Belgique, c'est le prix élevé du chemin de fer, c'est que par les eaux intérieures de la Hollande le prix du transport est beaucoup moins élevé.
En outre, je trouve qu'il est inutile de décréter que telle marchandise peut transiter en franchise de droits, quand en même temps on propose de supprimer les droits d'entrée et que le tarif ne contient aucun droit de sortie. Vous comprenez que le négociant n'irait pas faire des formalités inutiles de transit, quand la marchandise est libre à l'entrée et à la sortie.
Je dirai aussi à l'honorable député de Gand que par son amendement il décrète que la morue et le poisson fin seront prohibés au transit ; je le remercie pour la faveur qu'il veut bien accorder à la pêche, mais comme nous sommes liés par des conventions avec les quatre pays qui nous environnent, la mesure ne pourra pas être mise en vigueur pendant la durée de la loi.
L'honorable M. Manilius a prétendu que la libre entrée du hareng écossais faciliterait l'exportation de nos écorces de chêne, que nos pêcheurs ne quittent pas la côte et y restent continuellement et qu'avec la pêche actuelle il est impossible de former des marins, mais que si nous voulions admettre le hareng de l'Ecosse, alors nous aurions des marins qui trouveraient de l'occupation à bord de navires qui nous apporteraient cette marchandise.
Je regrette beaucoup que les renseignements qu'on a donné à l'honorable membre sont loin d'être exacts. Je sais qu'où cherche des navires pour apporter du charbon de l'Ecosse en Belgique, ainsi l'individu qui peut avoir de petits chargements d'écorces à expédier ne doit pas être embarrassé, il aura le choix de pouvoir affréter les navires qui viendront avec du charbon. Je n'ai jamais entendu dire que les capitaines tiennent à avoir un fret de retour de l'Ecosse assuré ; le jour d'aujourd'hui ils trouvent autant de chargements qu'ils veulent en avoir dans les ports écossais ; mais si, à côté de la houille, il y a de la demande pour transporter du hareng, les navires seront encore plus rares. Si je voulais, je pourrais encore entrer dans beaucoup d'autres détails à cet égard.
Nos pécheurs sont des marins plus exercés que les Ecossais ; ils vont plus loin que les pécheurs hollandais et anglais, et au lieu de rester, comme l'a dit l'honorable M. Manilius, toujours sur la côte, ils se rendent et restent pendant des mois entiers à la pêche à une grande distance au nord de l'Ecosse près des îles de Féroé et d'Islande. La pêche belge est certainement une excellente école pour former des marins ; sans la pêche les matelots seraient très rares en Belgique.
L'honorable M. Manilius nous a parlé aussi des règlements vicieux qui régissent la pêche ; je n'en connais aucun ; le seul règlement que certaines personnes pourraient trouver, à leur point de vue, mauvais, ce serait celui, peut-être, qui défend d'acheter du poisson en mer et d'embarquer du tabac, du genièvre et d'autres articles de troc ; ce règlement est exactement exécuté et jamais un pêcheur du littoral belge n'achète du poisson en mer.
Chaque fois qu'un changement à la pêche est nécessaire, le gouvernement s'empresse de satisfaire aux désirs des intéressés.
J'arrive maintenant à la proposition de la section centrale.
Je regrette qu'elle ait pris la décision de proposer à la Chambre la libre entrée de toute sorte de poisson, qu'elle ait pris cette résolution sans enquête, sans instruction aucune, que même elle n'a pas jugé convenable, bien qu'elle avait demandé des renseignements, d'insérer dans son rapport les explications que le gouvernement a données sur l'importance de la pêche nationale.
En outre plusieurs pétitions de toutes les localités y compris Anvers, ont été envoyées par la Chambre à la section centrale, le rapport présente une simple analyse, je conclus que la section centrale n'a rien pu y répondre et qu'elle a trouve les arguments des pétitionnaires très fondés.
Je vois qu'elle a navigué à l'aventure, qu'elle a décidé de faire échouer nos bateaux, de les faire périr, nou par des tempêtes mais par un simple trait de plume.
La section centrale propose donc la libre entrée de tous les poissons, excepté le hareng de quelques provenances ; je demanderai aux honorables membres si dans la proposition il se trouve compris le poisson de luxe, tel que les huîtres, homards, écrevisses, saumons, etc., et d'un autre côté quels seront les droits qu'on percevra sur les baleines et les marsouins. Comme l'huile est très chère en ce moment et que ces poissons contiennent une certaine quantité de cette matière, je pense qu'il serait utile de décréter la libre importation, car souvent on a besoin de s'éclairer.
Je combattrai la suppression des droits d'entrée sur la morue et sur le poisson frais en général.
Personne n'a pu croire qu'on pouvait aussi légèrement compromettre l'existence de la population du littoral et le capital d'une industrie importante, et, de plus, messieurs, n'a-t-on pas décidé, pendant la discussion de l'adresse, de ne pas toucher d'une manière isolée au tarif des douanes ?
La proposition de la section centrale doit être examinée à plusieurs points de vue.
Les motifs existent-ils pour le poisson comme pour les autres denrées ? La réponse doit être négative ; les céréales et le bétail sont depuis quelque temps arrivés à un prix on ne peut plus élevé et ont pour ainsi dire doublé de valeur ; il y avait donc nécessité pour ces objets de supprimer les droits d'entrée.
Mais le poisson de mer est-il renchéri aussi ? Certainement non, et je pense même que les auteurs de la proposition n'oseront pas soutenir le contraire.
Le poisson de mer continue à être vendu dans nos ports à un prix on ne peut plus bas. Je commencerai par établir le prix moyen de la morue de Féroé ; il a été pendant la saison qui vient de finir fr. 32 74 c. par tonne contenant 140 kil. de poisson ou 23 centimes et demi par kil. ; en 1854 la même quantité a été vendue à fr. 34 09 c. ou 24 c. par kil. donc une baisse de 8 p. c. en 1855 comparée au prix de 1854.
Certainement on ne peut jamais espérer d'avoir ce poisson à meilleur compte.
La pêche du littoral fournit ce que le pays consomme en poisson frais et en morue, et la preuve en est que, bien que les prix soient très élevés pour toutes les autres denrées, le poisson de mer reste à un prix excessivement bas.
Tout ce que le consommateur peut exiger, c'est de trouver chez les vendeurs du littoral une concurrence pour se défaire de leurs marchandises ; quand la morue arrive on la vend publiquement ; il n'y a aucune coalition parmi les vendeurs mais bien souvent parmi les acheteurs. Les pêcheurs ne font pas ce que d'autres industriels ont fait souvent, de se réunir afin de se mettre d'accord pour maintenir les prix.
Loin d'avoir courteresse, il y a eu tellement abondance de morue, que le gouvernement a dû venir en aide il y a 2 à 53ans, pour chercher un débouché à l'étranger.
En Belgique des hommes sans examiner la question prétendent que le poisson doit être libre à l'entrée ; à Dunkerque la morue d'une moindre qualité se vend à fr. 80 par tonne au lieu de fr.352 à fr. 34 comme à Ostende et à Nieuport, et personne ne réclame, aussi le gouvernement français n'a décrété aucune réduction sur les droits d'entrée.
Un fait qu'on ne peut pas oublier, c'est que la libre entrée du poisson de mer n'est réclamée par aucune pétition, hormis une de Gand ; c'est une preuve que les contribuables sont convaincus que la suppression des droits ne peut leur procurer aucun avantage.
Pour ce qui regarde le poisson frais, la Chambre sera étonnée de voir non seulement les prix auxquels on vend le poisson sur le littoral, mais même dans les minques à Bruxelles, à Gand et à Anvers.
Ainsi à Ostende, la pêche du poisson frais a produit en 1849 une quantité de 3,112,456 kilog. et la vente a donné un prix moyen de 15 62 p. 100 kil .
En 1850 3,630,702 kilog. à un prix moyen de 14-41
En 1851 3,744,814 kilog. à un prix moyen de 15-20
En 1852 4,729,416 kilog. à un prix moyen de 12-23
En 1853 4,873,900 kilog. à un prix moyen de 12-37
En 1854 4,450,926 kilog. à un prix moyen de 13-82.
Voyez, messieurs, à quel prix on a vendu le poisson frais, et je crois que vous devez en être étonnés.
Maintenant à quel prix a-t-on vendu le poisson frais dans les minques de diverses villes ?
Je tiens à la disposition de mes collègues un grand nombre de comptes de vente de poisson frais, réalisé à Bruxelles, à Gand et à Anvers.
Le premier compte est de Bruxelles, du 16 novembre de cette année ; il consiste en 3 paniers pesant 195 k., vendu pour fr. 24-85, de quoi il y a à déduire 4-50 pour fret et frais, reste net fr. 20-35, ou livré à Bruxelles 12 1/2 c.par k., et pour l'expéditeur d'Ostende, 10 1/2 c. par k.
2ème compte du 20 novembre, 10 paniers 650 kilog. ont produit 83 fr. 60 centimes, frais 15 fr. 60 c., reste 68 francs. Prix du poisson vendu à Bruxelles 13 c. par kil., et pour l'expéditeur d'Ostende 10 1/2 c. le kil.
3ème compte, 5 paniers dans lesquels se trouvaient une grande partie de poisson fin. 325 kilog. vendus pour 55 fr. 51 c. à Bruxelles, frais à déduire d'Ostende à Bruxelles 8 fr. 21 c, reste 47 fr. 30 e. ou 17 c. par kil. vendu à Bruxelles, et pour l'importateur 14 c. par kil.
4ème compte, du 20 novembre, aussi de Bruxelles, de 8 paniers, 520 kilog., le produit de Bruxelles a été de 66 10 , à déduire pour fret et frais, 12 54, reste fr. 55 56 ou 12 1/2 c. vendu à Bruxelles et 10 c. à Ostende.
5ème compte de Gand, du 20 novembre, de 17 paniers pesant 1,105 k., il s'élève à fr. 115 79, frais à Gand et transport, 25 27, reste 90 52. Prix de revient à Gand 10 1/2 c et à Ostende 8 1/4 c.
Dans ces divers comptes se trouvent compris tous les frais de transport et de commission, il n'y a à ajouter que les droits d'octroi et de minque, qui peuvent être évalués, à 1 1/2 centimes par kilogramme.
(page 231) 6ème compte du 12 novembre, d'Anvers, 8 paniers pesant 520 kil., vendu à la minque pour fr. 73 50. A déduire 5 p. c. d'octroi, fr. 3 68. 6 1/2 p c. de minque, 4 78, fret d'Ostende à Anvers, 7 70, autres frais, 3 70, soit fr. 19 86. Reste fr. 53 64.
Le prix que le pêcheur a obtenu à Anvers, est 14 c.,et net à Ostende, 12 c. par kil. N'êtes-vous pas, messieurs, étonnés de voir de tels résultats ?
J'arrive à une autre question, celle des causes de la cherté du poisson dans quelques villes. Déjà en 1851, j'en ai parlé dans le rapport que j'ai eu l'honneur de faire sur le budget des affaires étrangères pour l'exercice 1852.
Si réellement le poisson est cher dans quelques villes, les causes doivent être attribuées :
1° Au système vicieux des octrois qui maintient une grande protection en faveur des marchands de poisson, au détriment des consommateurs et des pêcheurs ;
2° A ce que le colportage n'est pas permis et que la vente du poisson frais, à domicile, est défendue ; ce sont de véritables entraves qui arrêtent la consommation ;
3° A l'augmentation du fret par chemin de fer, principalement quand des particuliers veulent faire venir le poisson directeent des ports de mer.
Pourrait-on croire que le poisson frais, destiné pour des particuliers, est soumis à un droit différentiel exorbitant dans plusieurs villes ? Ce droit différentiel ne peut être autre chose qu'une prime accordée aux marchands de poisson qui exercent, dès lors, une espèce de monopole.
A Anvers, le poisson frais vendu à la minque paye pour frais de minque 6 1/2 p. c. et pour droits d'octroi 5 p. c., et quand ce poisson est destiné directement pour le consommateur 60 c, par kilogr., prime en faveur des poissonniers 400 p. c. de la valeur.
A Malines, le droit d'octroi est pour le poisson frais vendu à la minque 6 p. c. ou 3/4 c. par kilogr. et destiné pour les particuliers 7 c. par kilogr. ou environ 50 p. c.
A Bruxelles, le droit d'octroi est de 5 p. c. pour le poisson commun et de 15 p epour le poisson fin, quand il est vendu à la minque. ce qui représente 3/4 et 2 1/4 c par kilogr., et le poisson envoyé aux consommateurs directement, 10 c. par kilogr. pour le poisson commun et 25 c. par kilogr. pour le poisson fin, ce qui est à peu près la valeur.
A Gand, le droit d'octroi est pour le poisson frais destiné pour la minque 8 p. c. de la valeur, et quand il est destiné pour les particuliers 10 et 15 c. par kilogr., suivant la quantité importée, soit 65 à 90 p. c.
A Mons, 6 p. c. vendu à la minque et 10 c. par kilogr. entrant en ville autrement ; ce dernier droit présente 65 p. c.
Il y a une catégorie de villes où il n'y a pas de droits différentiels, mais où les droits d'octroi sont plus élevés que les droits de douane ; je citerai Alost, 17 fr. par 100 kil., Liège et Namur, 10 fr. par 100 kil. et Tongres, 8 fr. par 100 kil. ; et le poisson commun, venant de l'étranger, ne paye à la frontière que 5 fr. par 100 kil.
C'est donc, d'après toutes les probabilités, uniquement aux entraves mises à la vente et aux abus qui existent dans les octrois de plusieurs villes, principalement aux énormes droits différentiels que les consommateurs sont obligés de payer, quand ils veulent éviter les gros bénéfices que prélèvent sur eux les poissonniers, qu'on doit attribuer la cherté du poisson dans quelques localités.
Je sais que le droit d'octroi pour le poisson frais, destiné à la minque, n'est pas, dans quelques villes, exorbitant, ce n'est donc pas du taux de 5 p. c. que je me plains le plus, mais du droit différentiel, établi en faveur de ceux qui seuls peuvent acheter à la minque, et des autres avantages qu'on leur accorde.
Si le droit était unique et uniforme, il ne serait plus possible aux intermédiaires de rançonner le public et l'avantage serait immense pour les consommateurs.
Le droit d'octroi pour la morue est 6 c. par kilogr. à Anvers ou environ 10 fr. par tonne.
3 fr. par tonne à Malines.
8 fr. 50 c. par tonne a Bruxelles.
5 fr. par tonne à Louvain.
5 fr 30 c. par tonne à Courtrai.
4 fr. par tonne à Gand.
5 fr. par tonne à Saint-Nicolas.
4 fr. par tonne à Lokeren.
3 c, par kilogr. à Mons soit 5 fr. par tonne.
7 c. par kilogr. à Liège soit 8 fr. 20 c. par tonne.
4 c. par kilogr. à Verviers soit 6 fr. 80 c. par tonne.
6 c. par kilogr. à Hasselt soit 10 fr. par tonne.
4 c. par kilogr. à Tongres soit 6 fr. 80 c. par tonne.
12 c. par kilogr. à Namur soit 20 fr. par tonne.
5 c. par kilogr. à Dinant soit 8 fr. 50 c. par tonne.
Une mesure qui est donc absolument nécessaire et qui serait de la plus haute utilité pour avoir le poisson frais à bon compte est celle de permettre le colportage et la vente à domicile.
C'est un faux raisonnement de prétendre que le colportage es' nuisible à la santé publique, et qu'on pourrait laisser pourrir le poisson ; cela ne sera jamais le cas, et à cet égard on peut parler par expérience. Les colporteurs sont avant tout intéressés à ne pas laisser gâter leurs marchandises ; ils ont intérêt à vendre le poisson dans le meilleur état et à s'en défaire le plus promptement possible.
Depuis nombre d'années le colportage est permis à Bruges et à Ostende et depuis deux ans, pendant l'hiver, à Gand, et on n'a pas entendu la moindre plainte. A Londres le colportage et la vente à domicile sont permis aussi, et cela ne donne lieu à aucun inconvénient.
Aussi la consommation du poisson à Ostende et à Bruges est très grande.
Depuis trois ans, l'administration du chemin de fer, peu disposée, à mon grand regret, à satisfaire les intérêts de la pêche, a triplé les frais de transport ; je prouverai par des comptes que le fret d'Ostende et de Bruges à Bruxelles est de 12 p. c. de la valeur.
Il y a quelque temps, plusieurs personnes, en vus de s'affranchir du monopole des poissonniers des grandes villes, ont fait venir du poisson d'Ostende et de Blankenberghe ; elles ont dû y renoncer à cause du droit différentiel de l'octroi et de l'augmentation du fret par chemin de fer ; même du poisson qui avait été envoyé en cadeau a été refusé.
J'examinerai maintenant si la suppression du droit de douane serait avantageuse au consommateur, si la pêche belge est en état de fournir ce qui est nécessaire pour la consommation du pays et quels seraient les effets pour la pêche, de la libre entrée du poisson étranger. Comme je l'ai déjà prouvé, le poisson frais s'est vendu dernièrement à la minque d'une grande ville jusqu'à 10 1/2 c.par kil. Supposez même que le prix moyen pendant tout l'hiver sera de 15 c.par kil., la morue a été vendue 25 1/2 c. par kil., peut-on dire alors que la pêche nationale ne rend pas des services au pays ? Tout le monde n'est-il pas étonné d'apprendre à quel prix on vend le poisson et y a-t-il une raison pour supprimer le droit d'entrée ?
Il y a des limites aux prix, et il arrive souvent qu'il est impossible qu'ils diminuent encore ; tel est le cas pour le poisson. Si vous appelez une concurrence plus forte de l'étranger, le consommateur n'en profitera pas, les prix resteront les mêmes et notre industrie sera morte.
Ce que le public peut désirer, c'est qu'il existe une concurrence réelle, soit que cette concurrence provienne du pays ou de l'étranger, cela revient au même pour le consommateur ; nous avons sur le bord de la mer cinq localités de pêche qui possèdent un nombre très considérable de bateaux, et non seulement les localités, mais les intéressés sont obligés entre eux de faire une concurrence, à cause que le poisson frais doit être vendu à l'arrivée des chaloupes sans le moindre retard.
Je pense que j'ai suffisamment expliqué les causes qui peuvent exister entre les prix obtenus par l'importateur et ceux payés par les consommateurs. Il existe peut-être une autre cause de la baisse des prix, c'est la suppression du samedi comme jour maigre ; par cette mesure la consommation doit être diminuée et la production augmente tous les ans.
Avant de supprimer les droits de douane, il faut avant tout abolir les droits d'octroi. Celui qui doit payer s'inquiète fort peu à qui. Ainsi le poisson provenant de la pêche nationale ne paye aucun droit à la frontière, tandis qu'il paye un impôt très lourd à l'entrée des villes.
Ce serait une injustice révoltante et une grave inconséquence de supprimer les droits d'entrée sur le poisson étranger. Cette suppression ne serait d'aucun avantage pour le public.
Si la malheureuse proposition de la section centrale ou celle de l'honorable M. Manilius passaient, il faudrait supprimer immédiatement les droits d'octroi sur toute sorte de poisson.
Je prétends que le poisson frais et la morue ne, manquent pas et que notre pêche produit assez pour ce qu'on veut bien consommer dans le pays. Si la consommation excédait la production, on aurait immédiatement une hausse dans les prix, et c'est le contraire qui existe.
En 1847 la pêche de notre littoral a fourni, en poisson frais, 4,900,000 kilogrammes, et la pêche étrangère a importé environ 1,100,000, ensemble 6,000,000 kilogrammes, et le prix moyen a été de 17 fr. par 100 kil.
En 1854, 6,700,000 kil. de provenance belge et 767,000 de provenance étrangère, ensemble 7,467,000, et le prix a été de fr. 13 82.
Ainsi, du moment que la quantité de la production belge a augmenté, les prix ont diminué.
Notez, messieurs, que le taux de 13.82 est le prix moyen de tous les poissns frais et communs, mais le poisson commun seul se vend peut-être 8 centimes par kilogramme.
Pour la morue, la consommation du pays était en 1838, de 11,400 tonnes, dont 1/3 de provenance étrangère ; le prix du poisson de Féroé était alors à fr. 40 par tonne.
Les droits d'entrée ont été augmentés, le nombre des bateaux de pêche d'Ostende s'est considérablement accru et la production d'Ostende seule, pendant la campagne qui vient de finir, a été de 15,066 tonnes. Nieuport et Anvers doivent avoir fourni environ, 3,000 tonnes et la Hollande a augmenté de 634 tonnes. Total, 18,700 tonnes.
(page 232) Le prix de la qualité de Féroé a été de fr. 32 74, ce qui, je le répète, fait 25 1/2 c. par kil.
Si la pêche belge n'avait pas pris depuis quelques années ce grand développement, nos voisins importeraient une quantité plus forte, et je ne doute pas où les prix seraient beaucoup plus élevés.
En 1830 le port d'Ostende possédait 35 chaloupes, il en a en ce moment 125, et le poisson se vendait à un prix très élevé. En 1832 le même port n'importait, de sa propre pêche, que 5,200 tonnes, et vendait la morue à 45 fr. 25 c., cette année il en a importé 15,000 et le prix a été de 32 fr. 75 c.
On pourrait me répondre : Pourquoi craignez vous alors la concurrence, si le poisson entre libre de tout droit ? C'est qu'environ la moitié du pays serait perdue pour la pêche belge, que nos voisins ont un avantage sur nous par le motif que la distance d'Anvers à Bruxelles par chemin de fer est beaucoup plus courte que d'Ostende ;ils exploiteraient des marchés importants et comme le poisson est arrivé à la plus basse limite, le littoral serait obligé de désarmer la moitié de ses bateaux, et je pense encore que ceux qui seraient les plus malheureux seraient les pêcheurs de Blanckenberghe et de Heyst.
Dans le rapport de la section centrale, je n'ai presque trouvé aucun argument en faveur de la suppression des droits d'entrée ; dans le peu qui s'y trouve, j'ai remarqué cependant de graves erreurs qui dénotent que ceux qui proposent la ruine de la pêche nationale n'ont aucune idée de cette périlleuse industrie. L'honorable M. Julliot a commis, en parlant de la pêche, la même erreur. Le rapport contient le paragraphe suivant :
« Il est possible, quoique je ne le pense pas, que la libre entrée du poisson diminue le bénéfice des armateurs ; mais, certes, elle ne causera aucun préjudice à la population des pêcheurs. »
Celte phrase navigue à l'aventure comme la proposition elle-même.
Comment ! on oserait soutenir que la suppression des droits d'entrée ne causera aucun tort à la population des pêcheurs ! Mais je me demande si nous sommes dans un parlement où on ne doit parler que des faits exacts et réels ou bien si nous nous trouvons à lire des romans. Il est possible que les honorables membres, auteurs de ces idées, n'aient jamais vu un pêcheur et ne sachent pas comment la grande pêche est organisée.
Je proteste contre ces graves erreurs ; la vérité est que les pêcheurs ont les deux tiers du produit brut de la vente, il reste un tiers à l'armateur qui doit entretenir son bateau. Il y a association pour les bonnes et pour les mauvaises chances, le pêcheur est intéressé dans la pêche comme dans la vente. Le tiers que l'armateur obtient est à peine suffisant pour entretenir le navire, et le pêcheur a grand intérêt à ce que rien ne manque à bord du bateau, qu'il ait des voiles suffisantes pour naviguer et la police même aurait un devoir à remplir si les navires devaient partir dans un mauvais état.
Du moment que la moitié de nos bateaux seront désarmés, nos pêcheurs n'auront plus d'emploi, et je demande si cette malheureuse mesure ne portera aucun préjudice aux pêcheurs. Outre ces derniers, il y a un grand nombre d'autres artisans qui vivent de la pêche ; les tonnes seules à Ostende sont une dépense de 50,000 francs
Un grand nombre d'armateurs même ne sont que de petits industriels et des patrons pêcheurs qui ont mis leurs petites économies dans l'achat d'une part d'une chaloupe, ayant foi dans la promesse du gouvernement et des Chambres.
Pourrait-on prétendre par hasard que le pêcheur gagne trop d'argent ? Je puis donner l'assurance à la Chambre que ces hommes courageux qui ont de dures privations à subir, n'ont pas gagné, pendant l'été dernier, 2 francs par jour ; ils sont obligés de vivre misérablement à bord et d'entretenir leurs familles à terre.
Voici, messieurs, ce qu'ils ont gagné :
La pêche de la morue a produit à Ostende, après déduction du sel et des tonnes, 411,951 francs. Deux tiers sont pour le pêcheur, soit 2.4,600 francs$. Il y a 900 pêcheurs environ ; 180 jours de pêche font 1 fr. 70 c. par jour, insuffisanls pour vivre. Mes pauvres compatriotes ne sont-ils pas encore assez malheureux et veut-on les rendre mendiants ?
L'entretien d'un bateau pour la pêche coûte au moins mille francs et je vous laisse juges des pertes que la pêche occasionne.
Je crois qu'à Blankenberghe et à Heyst les pêcheurs sont encore plus malheureux. Dernièrement ils n'avaient plus d'argent pour acheter des filets. Les pêcheurs supportent aussi la cherté des vivres et le gouvernement ne vient-il pas en aide, à cause de la crise, à de petits employés ? Si les pêcheurs n'avaient pas la prime, je ne sais pas ce qu'ils feraient.
S'ils pouvaient avoir un salaire comme les ouvriers houilleurs, certainement ils ne se plaindraient pas et ils seraient très heureux, alors ils accepteraient la concurrence ; ou encore si la France voulait ouvrir ses frontières ; il est connu que dans ce pays le poisson a à supporter des droits prohibitifs.
Si la suppression des droits d'entrée n'est d'aucun avantage pour les consommateur, si elle provoque la ruine de la pêche, elle sera aussi une perte immense pour le trésor qui, le jour d'aujourd'hui, a besoin de toutes ses ressources.
Le gouvernement consent à la suppression du droit d'entrée sur les harengs ; pendant les trois dernières années, les diverses qualités ont produit environ, terme moyen, 101.000 fr. Je présume qu'avec les droits que le gouvernement propose de maintenir sur les importations d'ailleurs que de la Hollande, la douane recevra encore environ une somme de 9,000 fr.
Le poisson de mer frais importé de l'étranger a payé, terme moyen, pendant les trois dernières années, une somme d'environ 46,000 fr., et la morue 11,700 fr. ; ensemble 57,700 fr., que perdrait le trésor si ces deux qualités de poisson devaient être déclarées libres à l'entrée, comme le propose la section centrale. A l'avantage de qui donc le trésor devrait-il faire un nouveau sacrifice ? Vous devez avouer que nous assistons à un triste spectacle ; nous votons des fonds pour venir en aide aux malheureux. Le trésor est à sec, et pour satisfaire des théories on ne veut pas maintenir des droits qui ne font du tort à personne.
La pêche nationale rend de grands services au pays, elle occupe une grande partie de la population du littoral, à qui elle donne une petite existence ; les personnes qui en vivent sont très nombreuses, la pêche est en Belgique comme dans les autres pays maritimes la pépinière des matelots, et elle forme des marins. Heureux les pays qui ont comme la Belgique leur propre littoral ! et chacun ferait bien de mettre ses théories en poche pour tirer avantage de cette heureuse position. Je demanderais si, sans nos pêcheurs, on aurait pu établir le pilotage de l'Escaut.
Le matériel flottant de nos bateaux de pêche s'élève à une somme d'au-delà de fr. 2,600,000, et le produit de la pêche excède annuellement une somme de fr. 1,500,000, c'est de l'argent que nous trouvons en mer et pourquoi donner ce bénéfice à une nation voisine ? Ce serait une mauvaise politique de le faire et une perte pour le pays.
Les autres industries ne font-elles pas de grands bénéfices ? La pêche seule végète.
Les charbons et les fers ne sont-ils pas arrivés à un prix excessivement élevé, et cette dernière marchandise n'est-elle pas même prohibée au transit ? Le minerai de fer n'esi-il pas prohibé aussi à la sortie ? J'ai remarqué dans le temps avec satisfaction que cette mesure a été provoquée et votée par des membres qui habituellement sont partisans d'un autre système. J'espère trouver aujourd'hui ces membres à leur poste pour voter avec moi le maintien de la pêche.
Si la mesure proposée par la section centrale devait être admise, comme conséquence il faudrait la libre entrée de beaucoup d'autres produits ; il faut que la population de la pêche, exclue des bénéfices de notre législation douanière, ait des compensations ; qu'elle puisse se vêtir à bon compte ; il faut immédiatement la libre entrée des étoffes de coton et de laine ; il n'y a aucun motif, quand on refuse un morceau de pain aux pauvres pêcheurs, de maintenir par le tarif de gros bénéfices aux fabricants ; il faut aussi que les bois et les fers dont nous avons besoin pour les réparations de nos bateaux soient affranchis de tout droit d'entrée, je dis réparations, car aucun bateau ne sera plus construit.
Vous ne devez pas penser, messieurs, que les pêcheurs reculent devant le libre échange, ils sont prêts quand toutes les autres industries auront la même législation, mais ils ne veulent pas être dupés par les autres.
Je ne comprends réellement pas les hostilités qui régnent contre les intérêts du littoral, tout conspire contre lui. Le chemin de fer perçoit 12 p. c. de la valeur pour le transport du poisson d'Ostende et de Blankenberghe à Bruxelles, et l'administration ne veut pas calculer qu'on peut expédier à grande distance à meilleur compte qu'à petite distance. Pour toutes les marchandises entrant à Ostende, l'Etat n'économise-t-il pas le péage sur l'Escaut ?
Souvent l'opinion publique est égarée et des erreurs involontaires, je n'en doute nullement, se glissent dans les discours. Un honorable député de Tongres nous a dit : « Quand le hareng est bon il paye 60 fr. par 100 k. de droit d'entrée et quand il de ient mauvais il ne paye plus que 15 fr. »
Je regrette de devoir le dire, l'honorable membre est peu familier avec le tarif actuellement en vigueur.
Première erreur, les droits se perçoivent non par 100 k. mais par tonne de 150 k.
Seconde erreur, tout le hareng salé qui nous arrive de la Hollande, n'importe la saison, ne paye qu'un droit de 6 fr. par tonne au lieu de 60 fr. par 100 k. et celui de l'Angleterre 15 fr. par tonne. Il est vrai que le tarif général porte 15 fr. par tonne pendant neuf mois, quadruple droit pendant les mois de juin et de juillet et triple droit pendant le mois d'août, mais cette législation a été modifiée depuis 1846 époque de notre premier traité avec la Hollande.
Ainsi sur 3,926 tonnes de hareng que nous avons importées en 1853, une seule tonne a payé 60 fr. de droit, 2, 45 fr. et 3,663,6 fr. En 1854, nous avons importé 6.26 t., 1 tonne a payé 60 fr., 5 tonnes 45 fr. et 6,023, 6 fr. Les autres importations ont eu lieu à 13 fr. et à 15 fr.
La pêche belge est convenablement et économiquement organisée, elle produit du poisson à un prix très bas. Partout sur le littoral des caisses de prévoyance et de secours sont organisées, elles sont alimentées par des retenues faites sur le produit de fa pêche ; les diverses caisses ont donné en 1854 des secours et des pensions à 811 personnes.
Il y a pour la pêche plus de danger que pour tout autre industrie, tous les ans des bateaux se perdent corps et biens, c'est encore une institution charitable que la section centrale propose d'abolir, et tout cela à l'occasion d'une loi pour venir en aide au peuple !
La mer est inépuisable en poisson, et nos pêcheurs en apporteront autant que la Belgique en voudra consommer. Entre l'agricullure et la pêche il y a une énorme différence, la production de l'agriculture est limitée et la récolte peut être mauvaise tandis que la produclion du poisson ne dépend pas du nombre des hectares, mais du nombre des bateaux ; l'étendue de la terre a été créée par Dieu et les hommes (page 233) construisent autant de bateaux qu'ils veulent. Ainsi ce n'est pas une question de production, mais une question de vente.
J'ai prouvé que depuis 15 ans, grâce à notre législation, la pêche nationale a doublé.
Dans plusieurs circonstances la pêche a dû faire des sacrifices ; c'est elle qui, en 1846, a fait les frais du traité avec la Hollande, et, à cette époque, elle a dû subir une forte crise.
Je ne finirai pas sans dire encore quelques mots sur l'amendement de l'honorable M. Manilius, en ce qui concerne le poisson commun, l'importation sans droits d'entrée pour les plies, les raies et les autres poissons de cette espèce, sera toujours la ruine de la pêche de Blankenberghe, d'Heyst et de la Panne et une blessure mortelle pour celle d'Ostende.
J'ai établi que le prix moyen a été l'année passée sur le littoral de fr. 13-82 par 100 k. Ce prix est calculé sur la totalité des importations. Mais si on divise les diverses sortes, je suis certain que le poisson commun seul se vendrait à moins de 10 c. par k. La production est dans la proportion 1/5 poisson fin et 4/5 poisson commun.
Il est facile de comprendre que ce ne sont pas les droits de douane qui sont des obstacles à ce que les ouvriers mangent le poisson commun. Pour préparer le poisson, il faut en outre des pommes de terre, du beurre, etc. Je crois que j'ai suffisamment prouvé que les souffrances du peuple ne peuvent pas être un motif pour permettre la libre entrée du poisson, mais que ce sont les souffrances des pêcheurs qui doivent faire maintenir les droits.
Je ne puis pas oublier de citer un fait quia eu lieu à Nieuport. Aussitôt que la proposition de la section centrale y a été connue, on a tout de suite fait contremander la construction de deux bateaux ; la simple annonce de cette proposition a été de compromettre pendant l'hiver l'existence de peut-être 60 ouvriers.
Je voterai l'amendement proposé par le gouvernement pour le hareng.
Je le répète, j'ai l'intime conviction que la libre entrée du poisson frais et de la morue salée sera la mort de la pêche sans aucun avantage pour le consommateur. Nos courageux pêcheurs seront forcés de s'expatrier, et Dieu sait ce qu'ils feront encore !
Le gouvernement a examiné la question de la pêche. Il a compris toute son importance et je le remercie, au nom d'une population malheureuse, de s'opposer à l'adoption de la mesure proposée, celle de décréter la libre entrée du poisson frais et de la morue.
En résumé, on veut supprimer le droit de douane qui aurait pour conséquence la ruine de la pêche et ou permettrait aux administrations communales de maintenir des entraves qui font renchérir le poisson ; ainsi rien pour le pauvre ouvrier pêcheur et continuation des avantages immenses pour les marchands poissonniers des grandes villes et encore une fois on appellerait cette législation une loi pour diminuer les souffrances du peuple. Oh ! quelle belle conséquence ! Oter un morceau de pain noir à des hommes pleins d'énergie, à cette population courageuse qui affronte toutes sortes de dangers pour retirer du fond de la mer du Nord jusqu'aux parages de l'Islande un son pour vivre et dont la vie est continuellement en danger ! Non, le parlement belge est incapable de faire de nouveaux malheureux et il ne décrétera jamais que le plus grand nombre des habitants du littoral sont hors la loi et n'appartiennent plus à la Belgique, que pour aller mourir dans les dépôts de mendicité ou dans les hôpitaux !
M. Manilius. - Je demande la parole, non pour un fait personnel mais pour répondre un mot à l'honorable M. Van Iseghem, relativement aux erreurs que, d'après lui, j'aurais commises, soit dans mon amendement, soit dans mon discours.
J'ai proposé de supprimer un principe général en ce qui concerne la prohibition du transit du poisson ; je sais parfaitement qu'il y a, à côté de ce principe général, un principe spécial ; mais ce principe spécial ne touche que les nations avec lesquelles nous avons des conventions, puis elles n'ont ce droit que temporairement : tandis que le principe général est permanent.
Deuxième point. L'honorable membre dit qu'il n'y a aucun règlement qui entrave la pêche...
Les règlements conventionnels, faits avec d'autres puissances, sont contraires aux habitants de nos côtes qui trafiquent de cette industrie, il y a restriction pour certains ports.
Troisième point. L'honorable membre dit que j'ignore que nos pêcheurs vont au loin. Je l'ignore si peu que je demande moi-même le maintien d'un droit sur la morue, qui ne se prend pas à Ostende. J'aime à croire que l'honorable député de ce district ne l'ignore pas.
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, au milieu d'une discussion dans laquelle nous voyons se produire une foule de propositions de restriction et de prohibition, qui auront nécessairement pour résultat d'entraver le travail libre, le remède le plus efficace, suivant moi, aux souffrances de la situation, je suis heureux de pouvoir défendre au moins, devant cette assemblée une proposition de liberté.
Je demande, quant à moi, la libre entrée du poisson étranger, et cela pour deux motifs ; d'abord, parce que cette mesure est juste ; en second lieu, parce qu'elle doit nécessairement être utile et avantageuse au point de vue de l'alimentation publique.
La mesure est juste, car les droits de douane sont des faveurs octroyées à certaines industries, que nous avons le droit de retirer, et qu'il est de notre devoir de retirer, alors surtout que l'intérêt général le commande.
A un autre point de vue, je dirai que ces droits de douane sont des impôts dont la meilleure partie passe dans la poche de quelques particuliers privilégiés. Or, s'il est un droit qu'on ne nous contestera jamais, c'est bien celui d'abolir les impôts et de dégrever les charges qui pèsent sur la consommation. Voilà pour la justice et c'est beaucoup, car la justice est obligatoire, surtout pour les pouvoirs publics, elle doit former la base de toutes nos décisions.
J'ai dit en second lieu que cette mesure est nécessairement utile et avantageuse au point de vue de l'alimentation publique ; et ici je m'appuie bien plus sur des faits que sur des raisonnements.
Notre statistique commerciale constate qu'on importe annuellement en Belgique pour 2 millions de poissons étrangers ; et le tarif des douanes constate, à son tour, que ces importations de poissons étrangers sont grevées de droits exorbitants, de droits qui s'élèvent à 20, 30, 40, 80 et même 100 p. c. Et ce ne sont pas les poissons de luxe qui sont frappés de cette façon. En effet pour les huîtres, si je ne me trompe, il y a une bagatelle d'un et demi p. c. ; pour les poissons frais fins, je ne crois pas que le droit s'élève à plus de 10 p. c ; pour les homards, consommation de luxe par excellence, le droit ne s'élève pas à 7 p. c.
Mais les énormités douanières dont je viens de vous parler n'exercent leurs rigueurs que sur les poissons communs.
Ainsi pour les poissons frais communs dont la valeur moyenne, d'après ce que vient de dire l'honorable M. Van Iseghem, est de 10 centimes par kilogramme, le fisc perçoit à peu près 6 centimes ; donc plus de 50 p. c.
Pour le hareng, le droit est de 29 à 30 p. c., et, dans certains cas spéciaux, de 100 p. c. (Interruption.)
Pour la morue, il existe un droit de 40 à 50 p. c., et, dans certains cas spéciaux de 100 p. c. Eh bien, je dis qu'au milieu d'une crise alimentaire, il est impossible de maintenir ces monstruosités.
Voici le fait que je constate : importation d'une valeur de 2 millions en poissons nonobstant les droits exorbitants et en quelque sorte prohibitifs. Que faut-il en conclure ? J'en conclus d'abord que le poisson étranger n'est pas seulement utile, mais qu'il est nécessaire, indispensable à nos populations, puisque le droit en quelque sorte prohibitif qui en frappe l'entrée ne crée pas une barrière insurmontable à son importation.
J'en conclus, en second lieu, que si ce droit était aboli, si l'obstacle était levé, on importerait du poisson étranger en quantité beaucoup plus forte. Or, cela serait-il utile, cela serait-il avantageux à nos populations ? Cela revient à demander si le poisson peut servir à la nourriture du peuple. L'utilité serait d'autant plus grande que l'approvisionnement de nos marchés laisse généralement à désirer, et qu'on se plaint bien plus de la rareté que du haut prix du poisson.
J'ajouterai qu'il y a un intérêt immense pour le pays à faire affluer autant que possible sur notre territoire le poisson étranger ; non seulement cela donnerait à nos populations une nourriture saine et abondante, mais le poisson laisse une masse de déchets non susceptibles d'être consommés par l'homme, mais qui fournissent un des engrais des plus puissants pour l'agriculture, c'est-à-dire les éléments essentiels pour la production de la viande et du pain.
Messieurs, si nous n'avions pas la pêche nationale, c'est-à-dire si la Belgique ne touchait pas sur une étendue de 14 à 15 lieues à l'empire de la mer, personne ne ferait d'opposition à la mesure que nous réclamons ; tout le monde serait d'accord. Certainement, dirait-on, il faut abolir tout ce qui peut entraver les importations de poisson étranger, il faut faire en sorte que nous en recevions les plus grandes quantités possible et que les prix baissent autant que possible. Mais raisonner autrement à cause de notre pêche nationale, cela revient à dire que l'Océan, cette source inépuisable de substances utiles pour l'homme, serait plus avantageux pour nous si nous en étions éloignés de 4 ou 5 lieues.
Ainsi le voisinage de la mer, que dans l'ordre de la nature on est tenté de considérer comme un bienfait, devient une espèce de contrariété ou même de calamité par suite des effets merveilleux d'un soi-disant système protecteur ! Cela paraît au moins étrange.
Voyons cependant quelle est la situation de cette pêche nationale qui vient se jeter en travers d'une mesure utile. Quand les droits d'entrée seront abolis, cette industrie restera-t-elle sans protection ? Nous avons déjà voté pour 1856 un crédit de 100,000 francs destiné à être distribué en primes à la pêche ; et la section centrale a été unanime pour demander, en faveur de cette industrie, une réduction de 50 p. c. sur le tarif de nos chemins de fer. Je pourrais relever d'autres petites faveurs encore.
Mais si ce régime de privilèges exceptionnels ne suffit pas à la pêche nationale et si elle a besoin de prélever en outre un impôt sur l'alimentation de nos populations, les défenseurs de cette industrie nous condamnent donc à croire qu'elle ne peut vivre qu'aux dépens du pays.
Messieurs, nous avons reçu une foule de réclamations, de pétitions contre la proposition de la section centrale, et ces réclamations, je dois le dire, ont trouvé un éloquent défenseur dans l'honorable M. Calmeyn, qui a été habilement appuyé par l'honorable M. Van Iseghem. Tous les pétitionnaires disent que l'adoption des mesures proposées est la ruine, la mort de cette industrie.
Mais en disant cela et même en se donnant beaucoup de peine pour faire admettre cette appréciation, ils ont la bonté de prouver le contraire.
(page 234) Je tiens en main une pétition qui nous a été transmise par M. le ministre de l'intérieur et qui émane d'hommes très compétents. Voici ce que j'y lis :
« Organe de leurs doléances (c'est-à-dire des doléances des pêcheurs), la commission de pêche en cette ville (Ostende) vous fait remarquer, monsieur le ministre, que la mesure en question, n'aurait d'autre résultat que celui de livrer gratuitement à nos rivaux, les Hollandais, notre intéressante industrie, sans obtenir une baisse des prix sur les lieux de consommation. »
Voilà le langage des pétitionnaires. Mais si l'abolition des droits ne doit pas faire baisser le prix du poisson, où est donc la lésion d'intérêt pour les pétitionnaires ?
M. Van Iseghem. - Je l'ai expliqué.
M. de Naeyer, rapporteur. - Vous l'avez expliqué ; mais votre explication ne m'a guère paru admissible. Car voici une observation excessivement simple et toute de bon sens : si les prix restent les mêmes sur les lieux de consommation, vous aurez donc les mêmes avantages en y envoyant vos produits, vous aurez la même rémunération qu'aujourd'hui. En quoi donc votre position est-elle changée ? Voilà ce que vous devriez nous expliquer. L'intérêt de votre industrie, mais c'est la rémunération de ses travaux ; ce sont les prix, et si les prix restant les mêmes, quel motif avez-vous de réclamer contre l'abolition du droit ? Voulez-vous nous empêcher de manger plus de poisson qu'aujourd'hui ?
Mais voilà au moins une idée étrange de la part de notre pêche maritime, que j'avais toujours cru être destinée à nous faire participer plus largement aux bienfaits de la mer. Ainsi les réclamants en disant que la mesure sera inefficace pour opérer une baisse de prix ôtent tout fondement à leurs réclamations.
Messieurs, je crois que ce qu'il y a de vrai, le voici : les armateurs ont peur de la concurrence étrangère, bien qu'ils disent implicitement qu'elle ne changera pas leur position vis-à-vis du marché intérieur. Mais enfin ils ont peur et la peur est une mauvaise conseillère.
Je crois au contraire que cette concurrence étrangère leur sera utile et avantageuse. Cela leur donnera plus d'énergie et de force réelle que ce malheureux système de protection exagérée dans lequel on les a élevés jusqu'ici. Du reste ce ne sera pas la première fois que la liberté sera plus utile aux industries que la protection, je pourrais en citer d'autres exemples.
Messieurs, cette question du poisson se réduit à des éléments excessivement simples. De deux choses l'une : ou bien les droits que nous voulons aboliront pour effet d'augmenter le prix du poisson, ou bien ils n'exercent aucune influence sous ce rapport. La question se réduit à ceci : le droit que nous voulons abolir rend-il le poisson plus cher, oui ou non ?
Eh bien, je dis que dans les deux cas il est impossible de ne pas adopter notre proposition.
S'il était admis que cette abolition de droits devait opérer une baisse de prix, je vous défie de la repousser. Comment ! lorsque nous sommes en présence d'une cherté de vivres qui pèse si cruellement sur nos populations, nous leur refuserions l'avantage d'avoir, au moins, une denrée alimentaire à meilleur marché ? C'est impossible.
Le but de la loi que nous discutons, mais c'est d'amener autant que possible une baisse sur le prix des denrées alimentaires. Cela est tellement dans les vœux du pays, que la Chambre, pour contenter l'opinion publique, votera probablement une mesure reconnue inefficace et par la majorité du parlement, j'en ai la conviction intime, et par le gouvernement lui-même. Et dans une pareille situation, vous repousseriez, à cause de son efficacité réelle, une proposition de nature à amener la baisse d'une denrée alimentaire !
Je le répète, cela est impossible, car enfin, voici quelle serait la traduction logique de votre résolution. Vous diriez : Attendu que nous voulons faire tout ce qui est humainement possible pour amener une baisse dans le prix des denrées alimentaires ; attendu que l'abolition des droits sur le poisson fera baisser le prix de cette denrée alimentaire, cette abolition ne peut être adoptée comme étant en réalité trop conforme au but que nous nous proposons.
Voilà la traduction logique de votre résolution dans l'hypothèse que je discute. Eh bien, je le demande, en présence d'une pareille résolution, le peuple dont on a tant parlé, mais qui malheureusement ne peut pas se nourrir de paroles, quelque éloquentes qu'elles soient, ne serait-il pas tenté de croire que nous voulons bien le satisfaire avec des apparences, mais que nous lui refusons les réalités ?
Messieurs, on a invoqué, je le sais, d'autres considérations ; mais pour moi, dans les circonstances où nous nous trouvons, je dis que c'est l’intérêt de l'alimentation publique qui doit dominer toutes les considérations, autres cependant que celles de la justice, et sous ce rapport j'ai commencé par justifier la mesure que je défends.
Ainsi on objectera : Si le prix du poisson baisse, les pêcheurs seront ruinés.
Messieurs, cela revient à dire qu'il faut maintenir pour le poisson une valeur artificielle supérieure à la valeur réelle pour faire l'aumône aux ouvriers d'une industrie languissante.
Eh bien, je dis que si cette aumône est reconnue nécessaire, si elle constitue une dette du pays, il serait injuste de l'acquitter au moyen de l'impôt prélevé sur l'alimentation publique, alors que la cherté des vivres pèse aussi cruellement sur les populations.
Mais je pense, messieurs, que c'est à tort qu'on cherche à nous faire résoudre la question par l'intérêt que nous devons naturellement porter à la position malheureuse des pêcheurs ; et à cet égard je vais entrer dans quelques développements.
Depuis quelque temps, chaque fois qu'il s'agit d'ébrécher un peu l'un ou l'autre article de notre bienheureux tarif des douanes, nous voyons se produire ceci : c'est qu'on met en mouvement et même qu'on met en scène les ouvriers employés dans l'industrie qui se croit menacée. Dieu sait si on ne fait pas croire à ces braves gens que le système protecteur a été inventé dans leur intérêt, peut-être même exclusivement dans leur intérêt, tandis qu'il est si facile de prouver que tous les bénéfices de ce système sont mis en poche par les entrepreneurs d'industrie qui ont véritablement tort de s'abriter derrière les misères et les souffrances des classes ouvrières ; or, il y a bien quelque chose de semblable dans l'affaire qui nous occupe.
Les ouvriers de l'industrie dite pêche nationale, ce sont les pêcheurs, ce sont ceux qui fournissent la main-d'œuvre, et c'est sur eux aussi que dans les pétitions et dans les réclamations on cherche à concentrer notre attention. On dirait réellement que dans cette industrie aussi il n'y a pas autre chose que des ouvriers. Il y a cependant aussi les armateurs qui sont les entrepreneurs d'industrie, et qui seuls pourraient être les véritables intéressés au maintien de la protection exagérée qui existe aujourd'hui.
Je crois qu'on a dit avec raison que la position des pêcheurs est généralement malheureuse. D'où je conclus d'abord que cette pêche nationale, qu'on nous représente comme une source de bienfaits, récompense médiocrement les ouvriers qu'elle emploie ; et dans ma manière de voir, ce n'est pas un titre à nos sympathies.
La cause de cet état de choses, quelle est-elle ? Je crois que cela tient au peu de développement que prend notre pêche nationale. Car il en résulte que la main-d'œuvre des pêcheurs étant offerte au-delà des besoins, leur salaire se trouve réduit aux nécessités les plus rigoureuses de la vie, ou en d'autres termes, à sa plus simple expression possible.
M. Sinave. - Ils ont un tantième sur la vente.
M. de Naeyer, rapporteur. - Ils sont payés en nature, mais cela n'empêche pas la justesse de mes observations : le mode de payement est chose indifférente.
La cause du mal, quant aux pêcheurs qui nous intéressent particulièrement, c'est le peu de développement de cette industrie. Or, comment se fait-il que notre pêche ne se développe pas dans des proportions plus larges ? Ce n'est certainement pas à cause de l'insuffisance de notre tarif de douanes ! J'ai eu l'honneur de donner quelques échantillons de notre protection douanière qui a existé jusqu'ici.
Et cependant notre pêche nationale reste insuffisante poura alimenter notre marché ; elle reste impuissante en présence des besoins évidents du pays. Eh bien, je crois que le système d'encouragement que nous pratiquons y est peut-être pour quelque chose.
Il y a au budget 100,000 francs à distribuer en primes. Quand il y a 150 armements qui participent à ces primes, chacun obtient environ 666 francs. Mais s'il y en avait 500, ils n'obtiendraient plus que la moitié de cette somme, s'il y en avait un plus grand nombre, la part de chacun serait encore réduite.
Il en résulte que MM. les armateurs ont un intérêt évident à restreindre dans certaines limites le nombre des armements, ou si vous l'aimez mieux, ils ont un intérêt évident à limiter le nombre des convives qui viendront s'asseoir au banquet budgétaire. Or, ne le perdons pas de vue, ce sont les armateurs qui disposent du capital employé à notre pêche maritime, qui sont donc les maîtres d'en régler le mouvement à leur guise, et par conséquent suivant leur intérêt.
Je crois donc sérieusement que nous avons empêché le développement de cette industrie à force de vouloir la protéger ou l’encourager, ou pour m'exprimer autrement, la pêche nationale est un enfant gâté dont on a empêché la croissance à force de lui donner des douceurs et des friandises.
Messieurs, on a dit encore, et avec raison, que les pêcheurs ont une vie dure et pénible, même pleine de périls et de dangers. Mais ne confondons pas l'ouvrier avec le maître. L'observation ne s'applique pas en général aux armateurs qui ne vont pas affronter les dangers de la mer, qui ne s'exposent pas aux fatigues de la pêche et aux injures des temps, mais qui restent tranquillement chez eux attendant les arrivages et qui viennent prendre la meilleure part des bénéfices.
L'honorable M. Van Iseghem vous a dit ce qui se passait. Il y a, paraît-il, un tiers pour l'armateur : mais il a en outre certains bénéfices que l'honorable membre n'a pas portés en ligne de compte. Ainsi l'armateur prélève 5 p. c. pour frais d'écriture, puis quelques frais d'administration et menues recettes qui, je pense, élèvent à peu près sa part à la moitié, la prime gouvernementale aussi ne doit pas être perdue de vue.
Eh bien, supposons qu'il y ait une baisse quelconque dans le prix du poisson. Il en résultera que les bénéfices des armateurs diminueraient un peu, mais certainement ils ne seront pas ruinés pour cela.
Ainsi avec un tiers du produit et les autres petits bénéfices, dont j'ai eu l'honneur de vous donner une idée, ils ont pu faire de bonnes affaires. Eh bien, quand ils n'auraient plus que le quart, ils feraient encore des affaires assez bonnes ; surtout en tenant compte des primes du gouvernement et des autres privilèges garantis par nos lois, et les pêcheurs obtenant une part un peu plus large dans le produit, (page 235) conserveraient la même position qu'aujourd'hui, leur salaire payé en nature étant déjà réduit en général à la dernière expression, par les causes que j'ai expliquées, devrait forcément rester le même, quoique établi peut-être sur d'autres bases. Mais, dira-t-on, les armateurs vendraient leurs chaloupes et renonceraient à leur industrie. Je suis bien loin de l'admettre.
Les 100,000 fr. alloués au budget sont là, et ne resteront pas sans emploi ; les armateurs ont goûté de ce fruit ; ils l'ont trouvé bon et ils continueront à le manger aussi longtemps que le budget le produira. Ce n'est pas pour une certaine diminution de bénéfices qu'ils abandonneront une industrie à laquelle ils sont habitués et qu'ils ont su rendre lucrative.
Messieurs, pour rencontrer tous les arguments de mes honorables adversaires, je viens de discuter avec quelques détails une hypothèse qui malheureusement ne se réalisera probablement pas, c'est celle d'une baisse dans les prix par suite de l'abolition des droits de douane, et je crois avoir démontré à la dernière évidence qu'en admettant cependant que la mesure que nous proposons doive produire cet heureux résultat, elle répondrait d'autant mieux aux besoins de la situation et qu'il n'existerait certainement aucune considération assez sérieuse pour la faire rejeter.
J'en viens maintenant à la seconde hypothèse admise par nos honorables adversaires, et que je considère, je l'avoue franchement, comme la plus probable, c'est-à-dire que le dégrèvement des droits de douane, ne fera pas sensiblement baisser le prix du poisson, parce que je ne puis guère admettre que le poisson soit à bon marché, alors que toutes les autres denrées alimentaires sont chères, parce qu'il ne faut pas considérer pour régler les prix la plus ou moins grande abondance de tel ou tel produit particulier, mais l'ensemble des approvisionnements du pays, en fait de substances utiles à la nourriture des populations et qui réagissent nécessairement les unes sur les autres.
Toutefois, en me plaçant dans cette hypothèse posée par les réclamants, encore une fois je ne conçois pas le but de leurs réclamations. Où sont donc leurs intérêts menacés d'être lésés ?
En vérité, pour parler le langage judiciaire, c'est le cas de dire que non seulement leurs réclamations sont dénuées de fondement, mais qu'elles ne sont pas même recevables, car enfin l'intérêt est la mesure des réclamations comme la mesure des actions.
Mais, direz-vous, si la suppression des droits d'entrée ne doit pas amener une baisse dans les prix, à quoi bon votre mesure ? Eh bien, messieurs, je crois que dans cette hypothèse même, que j'admets comme la plus probable, l'adoption de notre proposition produirait des avantages incontestables.
Ces avantages consisteront dans les facilités plus grandes qu'il y aurait pour compléter nos approvisionnements. Ils consisteront en ce que des quantités de poisson plus considérables étant mises à la disposition de nos populations, les besoins diminueront quant aux autres denrées alimentaires.
Or, cela est de la plus haute importance ; permettez-moi d'attirer sur ce point toute votre attention.
Le gouvernement, après avoir étudié soigneusement notre situation, après s'être entouré de toutes les lumières, de tous les renseignements possibles, qu'est-il venu nous dire ? Il est venu déclarer en face du pays que, quoi que nous fassions, nos approvisionnements seront, cette année, difficiles et coûteux. Ce sont les termes mêmes de l'exposé des motifs, page 18.
« Du reste, dit M. le ministre de l'intérieur, quelques mesures qu'on prenne, les approvisionnements seront cette année difficiles et coûteux. »
Voilà notre situation, et je vous demande, messieurs, si dans une pareille situation notre premier devoir n'est pas d'ouvrir de tous côtés les frontières du pays ; si notre premier devoir n'est pas d'établir toutes les facilités possibles afin de faire affluer en Belgique tout ce qui peut servir à la nourriture des populations. Je demande si un obstacle artificiel quelconque, créé par nos lois, peui encore être maintenu, et ne deviendrait pas injuste et profondément odieux !
Dans des questions de cette nalure, messieurs, il est bon de s'éclairer surtout par les faits. Permettez-moi donc de citer un exemple très récent pour prouver combien il est utile de faciliter l'importation d'une denrée alimentaire, alors même que, pour cet article spécial, vous ne pouvez pas espérer une baisse de prix.
Pendant deux années de suite, les honorables membres de cette assemblée se le rappelleront, nous avons discuté la question de savoir si l'entrée du riz devait être rendue libre.
Le gouvernement de cette époque combattit la mesure tout comme l'honorable ministre des finances ou l'honorable ministre de l'intérieur combattra probablement la libre entrée du poisson, parce que, messieurs, il faut bien le dire, malgré toutes les divergences possibles d'opinion, il y a certains rapports de similitude entre tous les ministres présents, passés et futurs. On nous disait donc : Mais vous allez sacrifier un revenu considérable. En effet il s'agissait de 300,000 francs et d'après les quantités importées depuis lors, la recette irait peut-être aujourd'hui à un million.
On disait, en outre : Mais cela ne fera pas baisser les prix ; vos populations ne seront pas soulagées : c'est de l'argent jeté dans la poche du commerce et pourquoi cet excès de générosité à l'égard du commerce, lui qui n'a pas d'entrailles !
Mais heureusement l'honorable M. Manilius avait pris la question à cœur, il tint bon et ferme et avec quelques coups de massue appliqués d'une main vigoureuse et habile, il renversa complètement tous ces arguments spécieux ; la libre entrée du riz fut décrétée. Ce vote fut un bienfait pour le pays.
Je défie qui que ce soit de la remettre encore en question, personne n'oserait plus remettre cette mesure en question, tellement on est convaincu qu'elle a été bienfaisante pour le pays. (Interruption.) A la vérité, il ne paraît guère que cela fît baisser le prix du riz. On dit même à mes côtés qu'il est aujourd'hui plus cher ; mais les facilités accordées au commerce eurent pour résultat d'augmenter considérablement les importations de cette denrée, les quantités importées ont été triplées et à peu près quadruplées sous l'influence bienfaisante de la liberté. Le riz a pris une part plus large dans l'alimentation publique, et par conséquent nos besoins ont été beaucoup diminués, quant aux autres substances servant à la nourriture de nos populations ; voilà les bienfaits incontestables de cette mesure, voilà comme elle a contribué efficacement à soulager la situation, voilà comme elle a dû nécessairement exercer une influence utile sur le niveau général des prix.
Il en sera de même, messieurs, pour le poisson. L'abolition des droits ne fera pas baisser le prix, admettons-le puisque les pétitionnaires nous le disent, mais des facilités plus grandes accordées à l'importation nous amèneront des quantités plus considérables de cette substance alimentaire ; le poisson qui est certainement une nourriture aussi substantielle que le riz, prendra une plus large part dans la consommation de nos populations et par conséquent les besoins seront moindres pour les autres denrées alimentaires qui, veuillez bien le remarquer, ne pourront s'acheter qu'avec de grandes difficultés et à des conditions onéreuses ; le gouvernement lui-même qui a soin de nous en avertir, et nous obtiendrons ainsi des bienfaits absolument analogues à ceux qui nous ont été procurés par la libre entrée du riz.
Dans une séance précédente l'honorable M. Coomans m'a paru attacher une importance trop médiocre à l'abolition de ce droit sur le poisson. Cela ne m'étonne guère, car enfin les droits sur le riz, les droits même sur le grain, les droits sur le bétail, ce sont là des bagatelles aux yeux de l'honorable membre aussi longtemps que ce grief énorme résultant des octrois communaux n'aura pas disparu. C'est là son « Delenda Carthago ». Moi non plus, je ne suis guère partisan des octrois communaux et si un jour je puis être de quelque utilité à mon honorable ami pour faire disparaîre ces appareils excessivement gênants pour une foule de Belges, je m'estimerai heureux.
Toutefois les octrois communaux ne n'empêcheront pas d'abolir d'autres abus moins criants si l'on veut, mais cependant réels. En cette matière surtout il est impossible de tout faire à la fois ; l'essentiel est de commencer par quelque chose.
Du reste, ne perdons pas de vue que tous les Belges n'ont pas l'honneur de vivre sous le magnifique régime des octrois communaux ; cet honneur est réservé, rigoureusement parlant, à un septième ou à un huitième de nos populations, aux habitants de nos grands centres de lumière et de civilisation. Il y a bien dans quelques-unes de nos villes secondaires quelque chose qui ressemble aux octrois communaux, de petits lambeaux de ce système. Mais cela est moins effrayant. De compte fait, il y a environ 3 ou 4 millions de Belges qui ne goûtent pas les douceurs du régime des octrois communaux, et qui ne sont pas tentés de les goûter, mais qui en général n'ont aucune répugnance pour le poisson non grevé de droits de douanes.
Messieurs, il y a aussi dans cette question du poisson des choses assez curieuses ; par exemple, on avoue assez généralement que le poisson est cher. Comment, d'ailleurs, soutenir le contraire ? Mais on prétend qu'il n'a pas subi de renchérissement, et que, par conséquent, il serait déraisonnable de vouloir obtenir une baisse dans les prix ; en d'autres termes, la cherté serait garantie par une espèce de prescription de nouvelle invention et très peu admissible surtout dans les circonstances actuelles.
Mais on va plus loin ; on recherche les causes de la cherté, les armateurs d'Ostende jurent leurs grands dieux que les droits de douane n'y sont pour rien ; cependant ils réclament le maintien de ces droits, quoiqu'ils soient inefficaces, probablement à une espèce d'amour platonique pour la douaue. Ils prétendent que la véritable coupable, c'est la minque escortée par les octrois municipaux et par la défense du colportage.
Voilà, selon eux, voilà l'hydre qu'il faut abattre, car non seulement elle rend le poisson plus cher, mais elle le dévore. Quand on lui présente trois poissons pour les vendre, elle en absorbe deux au moins et il en reste à peine un pour les consommateurs. Voilà pourquoi le poisson est non seulement cher, mais si peu abondant. Abolissez donc cette minque et vous aurez trois fois autant de poisson que maintenant.
Si nous interrogions également les administrations communales, Dieu sait si elles ne nous diraient pas que la minque, les octrois municipaux et la défense de colportage y sont bien pour quelque chose ; mais qu'en définitive le poisson est cher parce qu'il arrive sur nos marchés en trop faibles quantités ; enfin, que la voracité de la minque est certainement un fantôme et que le poisson est trop peu abondant, parce que notre pêche maritime, trop occupée peut-être des intérêts de notre future marine militaire, en produit trop peu et que le poisson étranger est réellement repoussé par des droits en quelque sorte prohibitifs.
(page 236) Vous voyez, messieurs, qu'on se renvoie la balle, et pour faire cesser ce jeu-là, je voudrais diminuer le nombre des joueurs. Je commencerai donc par mettre la douane de côté.
Ainsi, l'honorable M. Coomans aurait plus de facilité pour attaquer directement cette minque terrible qui lui cause tant de tracasserie ; d'autre part, nous aurions pris une mesure utile qui, dans tous les cas, nous donnerait la facilité de compléter nos approvisionnements, et qui, par conséquent, serait une chose éminemment précieuse pour faire face aux besoins de la situation sur laquelle le gouvernement a éveillé toute notre sollicitude.
Messieurs, un mot maintenant sur la distinction du poisson de luxe et du poisson commun. Je ne fais pas cette distinction ; voici pourquoi : je la crois très propre à flatter les préjugés populaires ; je crois que c'est un excellent moyen d'obtenir une certaine popularité et quelquefois une source féconde de mouvements oratoires, mais enfin cette fameuse distinction ne résiste pas à un examen sérieux. Il me paraît évident que les approvisionnements d'un pays, en fait de denrées alimentaires, forment un tout dont toutes les parties sont solidaires entre elles. Ainsi, si vous mettez plus de substances alimentaires à la disposition des riches, les riches, à leur tour, laisseront plus de substances alimentaires à la disposition des autres classes de la société.
Je crois que cela a été prouvé à la dernière évidence, par l'honorable M. Julliot qui doit avoir été d'autant plus généralement compris dans cette circonstance qu'il s'agit bien moins d'une question d'économie politique, que d'une question de bon sens.
D'autre part, le produit des droits d'entrée sur les poissons fins, comme j'ai eu l'honneur de le dire, est à peu près insignifiant. Je pense que ce droit devrait être aboli, ne fût-ce que comme mesure de simplification de notre tarif de douane.
Voilà les motifs qui me portent à persister dans les conclusions de la section centrale, en émettant même le désir de voir surgir une proposition plus large, et écartant les restrictions relatives au hareng.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai écouté avec la plus grande attention l'honorable préopinant. L'honorable membre pense qu'en abolissant le droit d'entrée sur le saumon, le turbot, les huîtres, les écrevisses, en un mot sur toute espèce de poisson de luxe, on créera une sorte de panacée qui va nourrir la classe peu aisée de la société.
D'abord avec la section centrale, l'honorable préopinant veut laisser entrer librement les poissons étrangers, même les poissons de luxe. Mais, messieurs, si vous abolissez le droit d'entrée, croyez-vous que la classe bourgeoise et la classe ouvrière puissent par cela même se nourrir de turbot, de saumon, d'écrevisses, d'huîtres ? Evidemment non, vous voyez que quand on outre un principe, on arrive à des conséquences exagérées.
Messieurs, je crois qu'il serait fort imprudent d'abolir brusquement le droit d'entrée sur le poisson. Cette mesure aurait notamment pour résultat de mettre sur le pavé une foule de pêcheurs que les bureaux de bienfaisance devraient nourrir.
Mais ce droit protecteur qu'on accorde à nos pêcheurs est-il donc si considérable ? Il produit 250,000 francs.
Si vous voulez être conséquents, vous ne pouvez pas supprimer ce droit, sans faire disparaître d'autres droits protecteurs. En effet vous accordez une protection douanière considérable aux fers, 40 à 50 p. c, vous accordez une protection de la même importance à l'industrie cotonnière, vous protégez enfin l'industrie de la laine et une foule d'autres industries. Or, est-ce être conséquent, est-ce être logique, que de dire : « Toutes ces protections si considérables, nous les laissons debout ; mais quant à la protection dont jouissent les pêcheurs, nous allons la biffer d'un trait de plume. » Voilà, messieurs, ce que propose la section centrale, et voilà ce que l'honorable préopinant vient soutenir.
Messieurs, voyons ce qui se passe ailleurs. Nous avons des voisins puissants en matière commerciale, nous avons des voisins immensément riches, notamment les Anglais.
Eh bien, qu'est ce qu'on fait dans ce pays ? Est-ce que la pêche n'est pas protégée ? Y a-t-il oui ou non un tarif prolecteur ? Oui, et la protection qu'il consacre est très considérable. La Hollande, pays de liberté commerciale comme l'Angleterre (ou pour mieux dire qui entrent dans le grand système, mais n'y sont encore très avancées que pour les céréales seulement), eh bien, la Hollande protège-t-elle sa pêche ? Il n'y a pas de pays qui protège davantage cette industrie ; et nous, nous voudrions être plus libéraux, plus instruits en matière commerciale, en économie politique que la première nation manufacturière et industrielle du monde, que l'Angleterre, que la France et la Hollande qui peuvent aussi être considérées comme les émules de l'Angleterre sous le rapport mercantile ! La France aussi accorde une haute protection à sa pêche. Il ne faut pas croire que ce soit seulement dans l'intérêt des pêcheurs que ces nations protègent cette industrie, mais aussi pour former des capitaines, des lieutenants et des matelots pour leur marine marchande ; quand on va chercher à l'étranger les officiers dont la marine a besoin, on s'expose à confier la conduite de ses bâtiments de commerce à l'écume de la marine des pays voisins. En encourageant la pêche comme le font toutes les puissances, vous y attirez des jeunes gens qui deviennent d'excellents hommes de mer.
Je suis, comme je l'ai déjà dit, grand partisan des idées de liberté sur lesquelles on appuie la proposition que je combats ; mais je dois en revenir à nos puissants voisins qui ne veulent pas abaisser leurs barrières douanières ; la preuve en est que l'immense majorité du revenu de l'Angleterre provient encore en grande partie de la douane ; la France est encore plus exagérée dans ses impôts douaniers.
Si dans cette situation vous prétendiez proclamer seuls et les premiers, le grand principe de la liberté illimitée du commerce, mais dès les premières années vous seriez ruinés, vos ouvriers seraient sur le pavé ; dans le Hainaut l'industrie métallurgique notamment en laisserait près de sept mille sans ouvrage, l'industrie des Flandres, de Gand particulièrement qui est protégée dans ses manufactures de coton, de laine et de fil par des droits élevés, serait également obligée de renvoyer des milliers d'ouvriers ; vous réduiriez votre population à l'état de celle du Portugal et de l'Epagne, au moins pendant plusieurs années, car je ne dis pas qu'avec nos aptitudes industrielles, commerciales et agricoles nous ne finirions pas par nous relever et redevenir un peuple industriel et agricole, mais nous devrions passer par une longue série de calamités, de souffrances et de misères. C'est parce que je veux épargner ces épreuves à mes compatriotes que je refuse d'entrer dans cette voie et que je veux continuer à accorder à nos pêcheurs la protection dont ils jouissent.
Ce qui m'a encore confirmé davantage dans mon opinion, c'est que j'ai vu des chiffres éloquents dans « l'Emancipation » de ce jour où l'on nous dit que pour entrer en Belgique, le turbot étranger ne paye qu'un droit de 6 p. c. à la valeur, ce qui se réduit à 3 ou 4 p. c. parce que les déclarations sont toujours faites au-dessous de la valeur réelle ; le saumon qui est aussi un aliment de luxe ne paye que 8 p. c., tandis que la morue qui est un aliment de la classe bourgeoise peu aisée paye 60 p. c. ; est-ce là, je vous le demande, un tarif protecteur des ouvriers ? Ce qui sert à son alimentation paye 60 p. c. de droit, tandis que l'alimentation du riche ne paye que 6, 7 et 8 p. c, les écrevisses, les huîtres qui ne paraissent que sur la table des riches, ne payent qu'un droit insignifiant.
Jetons encore un coup d'œil sur d'autres poissons, le hareng, par exemple, ce poisson paye un droit exorbitant qui s'élève parfois à 100 p. c.
J'ai demandé qu'il pût entrer librement, je sais qu'il y a un traité avec la Hollande et que cela vous oblige à certain tempérament ; mais le hareng de Norwége et d'Ecosse se vend sur les lieux 15 fr. les 100 kilog. et avant d'être mangé à Bruxelles il coûte 44 fr. 80 c. L'honorable préopinant a dit que la minque et l'octroi ne faisaient rien ; mais c'est précisément là ce qui élève considérablement le prix du poisson.
Le cabillaud par exemple que vous aurez acheté 3 ou 4 francs à Ostende, à Nieuport ou à Blankenberghe vous reviendra à Gand et à Bruxelles de 6 à 7 francs ; vous voyez que tous ces droits de minque et d'octroi exercent une grande influence sur le prix du poisson, une influence bien plus grande que le droit de douane, et vous empêchez même le colportage du poisson dans certaines villes.
L'honorable préopinant a commis encore une erreur, quand il a dit que le pêcheur était désintéressé dans la question et qu'on le payait à la journée ; cela n'est pas exact, car le pêcheur est associé, il est payé au marc le franc du produit de sa pêche.
Je crois donc que, pour la pêche comme pour les autres industries, on aurait tort de vouloir lever tout à coup les barrières douanières.
Je suis autant que personne disposé à entrer dans les voies libérales, mais il faut être circonspect, avoir égard à ce qui se passe chez nos voisins. Si nos voisins veulent faire un pas, je consens à en faire deux, mais je ne veux pas que le pays soit dupe. Or, vouloir qu'un petit pays de 4 millions et demi d'habitants commence l'inauguration de ce système, vouloir prendre l'initiative de supprimer les douanes, renvoyer nos 5 à 6 mille douaniers, quand on les maintient autour de nous, ce serait une véritable duperie. La Belgique est trop sage, elle réfléchira longtemps et mûrement avant de mettre des milliers d'individus sur le pavé et de ruiner un nombre considérable de fabricants et de commerçants.
- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'honorable député d'Alost a commencé par constater combien sont élevés les droits qui frappent à l'entrée la plupart des poissons provenant de la pêche étrangère. Ces droits sont en effet très élevés, souvent exorbitants. Je le reconnais avec lui. Je ne cherche pas à les justifier pour le moment. Toutefois, il doit m'être permis de constater à mon tour que ce ne sont pas seulement les droits sur les poissons qui sont si élevés, que notre tarif en contient encore d'autres tout aussi élevés. Il doit m'être permis de demander si, sans enquête préalable, incidemment à propos d'une crise, il faut, sans s'attaquer à l'ensemble d'une situation, dégrever exceptionnellement ce qui rentre dans la matière de l'alimentation publique.
Si vous ne pouvez ou ne voulez pas le faire pour d'autres articles du tarif, si vous voulez vous borner à dégrever incidemment quelques-uns des objets de consommation, vous risquez de tomber précisément dans ces injustices que l'honorable membre nous fait un devoir d'éviter.
En effet, messieurs, l'honorable membre dit que la libre entrée du poisson est, d'après lui, d'abord une mesure commandée par la justice, ensuite une mesure utile.
Elle serait juste, c'est possible ; mais, d'autre part, que l'honorable membre veuille l'avouer, avec moi, il n'y a peut-être pas un seul article de notre tarif qui consacre les principes d'une justice absolue. Ce que le gouvernement doit rechercher, c'est d'arriver à la plus grande somme de justice distributive ou relative, entre tous les intérêts particuliers qu'il s'agit de combiner en vue de l'intérêt général.
La libre entrée du poisson serait utile, dit l'honorable M. de Naeyer.
(page 237) Cependant, messieurs, la fin du discours de l'honorable membre n'est pas, d'après moi, tout à fait d'accord avec cette prémisse. En effet, l'honorable membr 'a fini par reconnaître, à plusieurs reprises, que la libre entrée du poisson n'en ferait pas baisser les prix. Or, quel est le but que nous poursuivons en présence de la crise qui afflige le pays et dont nous voulons tous conjurer les maux et les dangers ? Le but que nous voulons atteindre, c'est évidemment d'arriver à une baissé des prix, c'est de rendre les'objets à consommer accessibles à une classe qui, aujourd'hui, ne peut pas y atteindre.
Mais, dit l'honorable membre, si le prix ne diminue pas, au moins la liberté que je veux proclamer aura pour résultat d'étendre la consommation.
Voilà, messieurs, ce que, pour ma part, je ne conçois pas. Je ne conçois pas que les prix restant les mêmes, la consommation s'étende.
L'honorable membre n'a pas tenu compte d'un phénomène économique digne cependant de toute notre attention : c'est qu'au milieu du renchérissement général des denrées alimentaires, le poisson n’a pas haussé de prix. Ce fait démontre précisément que la consommation ne s'étendra pas par l'adoption de la libre entrée.
Il est évident que si le poisson était un aliment aussi nécessaire, aussi recherché que le dit l'honorable membre, que si la consommation en était susceptible de s'étendre sans diminution des prix, il est évident qu'en présence du renchérissement de tous les autres objets de consommation, le poisson eût également renchéri.
Ainsi, messieurs, aucun des deux buts que nous devons nous proposer ne sera atteint.
Les prix du poisson ne baisseront pas, d'après les aveux mêmes de l'honorable membre, et par conséquent la consommation n'en descendra pas à ces classes de la société à la portée desquelles nous voudrions le mettre. En deuxième lieu, la consommation du poisson ne s'étendra pas, par cela même que les prix ne baisseront pas, et que, aujourd'hui, en présence de la hausse de toutes les denrées, les prix du poisson sont restés les mêmes.
Ce n'est pas tout, messieurs ; il y a, en dehors de la question de justice, en dehors de la question d'utilité, d'autres considérations encore dont la Chambre et le gouvernement doivent tenir compte. L'honorable membre le reconnaît lui-même. Si, dit-il, nous n'avions pas de pêche nationale, personne ne s'opposerait à la libre entrée.
Cela est évident ; mais cela prouve précisément qu'il y a ici autre chose encore à considérer que le prix du poisson, encore un autre intérêt qu'il faut savoir combiner avec les exigences de la consommation, c'est-à-dire l'intérêt de la pêche nationale.
Cette considération, messieurs, est puissante. Nous allons peut-être décider du sort d'une branche importante du travail national. Nous avons fait des sacrifices considérables, de longs efforts pour créer une pêche nationale ; nous ne devons pas aujourd'hui compromettre cette industrie, la compromettre surtout sans obtenir le moindre avantage au point de vue du grand but que nous devons nous proposer par la loi actuelle.
Ensuite, messieurs, il faut que le gouvernement et la législature montrent un peu d'esprit de suite. Un gouvernement qui a tout fait pour créer une pêche nationale, ne peut pas, sans se compromettre, venir ensuite sacrifier à la légère les grands intérêts de cette pêche. D'ailleurs, la pêche n'est pas seulement un grand moyen de travail pour des populations intéressantes, c'est aussi une pépinière de matelots pour notre marine. Et vous savez, messieurs, qu'en Belgique on ne se plaint que trop du manque de matelots. Le manque de matelots est un grand obstacle au développement de notre marine ; on est obligé de prendre presque tous les capitaines à l'étranger. Dans la plupart de nos familles il y a une grande répugnance pour ce métier.
Loin de la décourager, il faudrait donc encourager notre marine, d'autant plus dépourvue de matelots que, dans ces derniers temps, un grand nombre de marins ont déserté pour aller chercher fortune dans les régions aurifères..
L'honorable membre, auquel je réponds, prétend qu on doit commencer par supprimer les droits d'entrée sur le poisson, bien qu'il reconnaisse qu'il existe, à l'intérieur, d'autres charges qui continueront de grever le poisson et d'en restreindre la vente et la consommation. Je ne partage pas cette manière de voir. D'après moi, il ne serait pas juste de commencer par faire un sacrifice aux dépens du trésor public, lorsque l'on est convaincu que ce sacrifice sera inutile aux populations.
Or il est évident pour tout le monde que les droits de douanes ne sont pas la cause principale de la cherté relative du poisson.
Et puis, messieurs, l'honorable membre ne tient aucun compte des traités existants. Ily a encore là un molif d'être fort prudent, et d'y regarder à deux fois.
Messieurs, vous le voyez, les motifs abondent pour que la Chambre, incidemment, sans aucune espèce d'enquête, ne résolve pas une question à laquelle se rattachent des intérêts de plus d'un genre, des intérêts des plus sérieux, et cela sans atteindre aucun des buts que, seuls, nous devons nous proposer dans cette discussion.
M. Van Overloop, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Van Iseghem a accusé la section centrale d'une certaine légèreté. Il importe que je prouve à la Chambre et à l'honorable M. Van Iseghem surtout, que ce reproche est immérité. Je le comprends dans la bouche de cet honorable membre, député élu par Ostende ; mais je pense quelfa Chambre ne partagera pas son opinion.
Messieurs, en lisant la longue ériumération de l'article premier du projet de loi, la section centrale s'est demandé : N'existe-t-il donc pas d'autres denrées alimentaires qui pourraient venir en aide à la consommation de nos concitoyens ? Le poisson se présentait naturellement, on ne peut plus naturellement.
Or, messieurs, quels sont les droits qui grèvent le poisson de provenance étrangère ? J'ai pris dans le tableau général du commerce, notice analylique,page 18, les détails suivants : '
« Morue en Saumure, 44 p. c en principal
« Harengs, autres qu'en saumure, 29 6 p. c. en principal
« Plies séchées, 29 4 p. c. en principal
« Harengs en saumure, 28 p. c. en principal
« Poissons frais non spécialement tarifés, 18 9 p. c. en principal
« Stockfisch, 4 p. c. » et non pas 1 p. c. comme on l'écrit.
Voilà ce qui se trouve dans les documents que le gouvernement met à la disposition des membres de la Chambre.
Malgré ces droits qui sont, pour ainsi dire, prohibitifs, il est entré (je ne parle que de la morue et du poisson frais, puisque les pétitions d'Ostende ne demandent plus le maintien des droits que sur la morue et le poisson frais) ; malgré ces droits, il est entré :
En 1852,1,147 tonnes de morue.
En 1853, 1,265 tonnes
Et en 1854, 1,044 tonnes
En fait de poisson frais, il est entré :
En 1852, 684,371 kilogrammes.
En 1853, 790,241 kilogrammes.
En 1854, 767,726 kilogrammes.
Or, messieurs, que s'est dit la majorité de la section centrale, et je l'avoue, je faisais partie de cette majorité, quant à la question de principe, celle de la pêche nationale n'étant pas alors en discussion ? Elle s'est demandé si, en présence de droits élevés, il entre en Belgique une quantité considérable de poisson étranger, n'en entrera-t-il pas infiniment plus au cas que nous supprimions ces droits élevés ? La réponse a été toute simple : il en entrerait davantage.
Il nous faut donc (c'était la conclusion naturelle), il nous faut donc, s'est dit la majorité, demander la libre entrée du poisson étranger. Une seule réserve doit être faite, c'est la réserve de nos relations internationales, cette réserve a été faite par l'amendement que la section centrale a mis à la proposition principale de décréter la libre entrée du poisson.
Oa fait à la conclusion de la section centrale deux objections.
La première est déduite de l'intérêt de la pêche nationale. Vous tuez, nous dit-on, la pêche nationale !
La seconde est déduite du malheureux sort que l'adoption de la proposition de la section centrale ferait aux pêcheurs.
Quant à la première objection, celle qui est déduite de l'intérêt de la pêche nationale, je regrette de le dire, je ne puis partager l'opinion de l'honorable ministre de l'intérieur.
Veuillez, messieurs, ne pas perdre de vue ce qui a été fait relativement à la pêche nationale.
Par la loi du 25 février 1842 de grandes faveurs ont été accordées à cette pêche Ces faveurs les voici : Liberté absolue à l'entrée du poisson provenant de la pêche nationale, droit quasi prohibitif sur le poisson de provenance étrangère.
Ce n'est pas tout : Limitation quant au transit, comme vous l'a dit mon honorable ami, M. Manilius, du poisson étranger. Ce n'est pas tout eucore : prime de 100,000 fr au profit de la pêche nationale ; et puis encore : exemption du droit d'accise sur le sel, toujours au profit de la pêche nationale. Voilà les faveurs que la loi du 25 février 1842 a accordées à la pêche.
Voyons maintenant les résultats obtenus à l'aide de ce système de faveurs, et la Chambre appréciera. La pêche du hareng n'existe plus , la Flandre maritime l'avoue.
D'après la statistique, en 1841, donc avant la loi de 1842, il y avait 180 chaloupes destinées à la pêche nationale,
En 1850, il y en avait 204.
Vous avez donc, sous le régime de cette loi excessivement protectrice de 1842, obtenu une augmentation de 24 chaloupes de pêche.
Le tonnage de ces 24 chaloupes représentait, toujours d'après la statistique :
En 1841, 4,960 tonneaux.
En 1850, 5,470 tonneaux.
Différence, 510 tonneaux.
Voyons maintenant le personnel d'équipage, ce qui me paraît ici l'affaire importante.
Ce personnel se composait en 1841 de 1,048 marins ; en 1850 de 1,182 marins.
Ainsi, vous avez, obtenu de 1842 à 1850, au moyen des faveurs de la loi de 1842, une augmentation de 24 chaloupes de 510 tonneaux, de 134 marins.
(page 238) Je vous demande, messieurs, si, en présence de pareils résultats, on peut croire que le régime de faveur établi pour la pêche nationale doit être maintenu dans l'intérêt même de cette industrie. Quant à moi, je ne le pense pas.
En ce qui concerne la seconde objection, celle qui consiste à dire qu'on réduirait à la misère les pêcheurs exclusivement occupés à la pêche nationale ; incontestablement si cette objection était fondée, il n'est pas un membre de cette Chambre qui ne se dît ; « Pour venir en aide à des malheureux, il ne faut pas augmenter leur nombre ! » Mais peut-il en être ainsi ?
Remarquez d'abord qu'on ne demande plus aujourd'hui le maintien des droits que sur la morue et sur le poisson frais. La conséquence de ce fait me paraît être la reconnaissance par les pêcheurs eux-mêmes que la pêche des autres poissons continuera, puisque les principaux intéressés ne demandent plus le maintien des droits que sur la morue et sur le poisson frais.
Quant à la morue, il n'y a que la ville d'Ostende,. qui soit réellement intéressée à cette pêche. Les documents qui vous ont été fournis par le gouvernement prouvent à l'évidence, comme on peut le voir, p. 100 des annexes au projet de loi, qu'Ostende a eu en 1854, 116 armements pour la pêche d'été, 4 pour la pêche d'hiver, que Nieuport a eu 7 armements pour la pêche d'été et 7 pour la pêche d’hiver. Heyst, Blankenberge, à Adinkerke, Bruges, n'ont fait aucun armement pour la pêche à la morue.
Quant à la pêche du poisson frais, il suffit encore de jeter un coup d'oeil sur les documents que je viens de citer pour être convaincu qu'Ostende y entre pour plus des deux tiers. La conséquence de ces faits me paraît être qu'on a fait signer des pétitions en faveur notamment de la morue, par des personnes qui probablement ne savaient pas ce qu'elles signaient. Cela me paraît de toute évidence. Car il nous est arrivé des pétitions du Blankenberghe et de Heyst et d'Adinkerke réclamant le maintien des droits sur la morue, alors cependant qu'aucune de ces localités n'est intéressée à voir maintenir les droits sur ce poisson. Ces observations et surtout le discours de mon honorable ami M. de Naeyer, vous convaincront, je l'espère, messieurs, que la secondé objection faite à la proposition de la section centrale n'est pas plus fondée que la première.
Messieurs, je ne dirai pas avec l'honorable M. de Naeyer que le prix du poisson ne baissera pas. Quant à moi, je crois que si l'on en vient à abolir les droits sur les poissons de provenance étrangère, il est évident que ces poissons qui entrent aujourd'hui malgré des droits exorbitants, entreront en beaucoup plus grande quantité, et que l'offre étant plus grande, les prix devront baisser. Il résultera nécessairement de l'adoption de la proposition de la section centrale que les armateurs feront moins de bénéfices. Mais peut-il être question d'une diminution de bénéfices (non pas d’une perte) lorsqu’il s’agit du grave intérêt qui nous préoccupe ?
Enfin, mesiseurs, remarquez-le bien, lorsqu'il s'est agi de l'abolition du droit bien plus important sur l'entrée du bétail, la question de savoir si les fermiers perdraient par suite de cette abolition n'a pas le moins du monde embarrassé la Chambre ; on a tout simplement supprimé le droit.
Remarsuez aussi, messieurs, qu'apres l'abolition du droit sur le poisson de provenance étrangère, la pêche dite nationale sera encore très bien favorisée. Elle conservera encore une prime de 100,000 fr. et l’exemption du droit sur le sel. Elle sera, par conséquent, encore infiniment plus favorisée que les cultivateurs qui ont été privés du bénéfice qu'ils trouvaient dans le droit d'entrée sur le bétail provenant de l'étranger, sans compensation aucune.
Tels sont, messieurs, les motifs qui ont déterminé la majorité de la section centrale à demander la libre entrée du poisson, sauf, en ce qui concerne le hareng, l'exception faite à cause de nos conventions avec la Hollande et avec l’Angleterre.
Maintenant la Chambre jugera s'il est vrai, comme l'honorable M. Van Iseghem l'a avancé, que la section centrale a agi avec légèreté.
Le droit d'octroi est-il la principale cause de la cherté du poisson ? A cet égard, messieurs, je me suis donné la peine de prendre des informations et voici ce que j'ai appris :
Le 20 novembre dernier, le poisson frais se vendait à la minque de Bruxelles, 11 centimes. C'était le prix net qui revenait au marchand d'Ostende. Qu'a-t-il fallu ajouter à ces 11 centimes ? D'abord 15 p. c de frais de transport, ensuite 12 p. c. de droits de minque et d'octroi et 3 p. c. de frais de commission, garde, etc., total 28 p. c. Ainsi le droit d'octroi ne s'élève qu'à 12 p. c, tandis que nous demandons la suppression d'un droit qui s'élève à 19 p. c. et à 44 p. c.
Encore un mot, messieurs, et je termine : La section centrale a été si pleine de sollicitude pour les pêcheurs d'Ostende, de Nieuport, de Blankenberghe, d'Heyst, etc., qu'elle a émis à l'unanimité le vœu de voir réduire de 50 p. c. le prix de transport du poisson par le chemin de fer de l'Etat.
Si, messieurs, la section centrale a proposé l'abrogation du droit, sans distinguer entre le poisson de luxe et le poisson commun, c'est par une raison fort simple : en 1854 l'importation du poisson étranger a produit 216,722 fr.
Dans cette somme la morue, les harengs, les plies, le poisson frais, le stokfisch, figurent pour fr. 198,271.
Il reste pour le poisson dit de luxe un produit de 18,451 francs. Or la section centrale s'est demandé si pour la perception d'une somme de 18,451 francs, il convient de charger les douaniers d'une besogne très considérable. Elle s'est dit : Non, et voilà pourquoi elle n'a pas cru devoir distinguer entre le poisson de luxe, et les autres espèces de poisson.
Je crois, messieurs, ne pas devoir en dire davantage pour prouver que c'est à bon escient et nullement avec légèreté que la section centrale a proposé la suppression du droit d'entrée sur le poisson de provenance étrangère.
M. le président donne lecture des amendements suivants :
« Amendement présenté par MM. Le Bailly de Tilleghem et Rodenbach.
« Art. 2. § 1er. Après le mot : « sarrasin », ajouter : « les féveroles ».
« § 2 (nouveau). Sont également prohibés à la sortie : le beurre et les œufs.
« Le bétail, savoir : les taureaux, les bœufs, les vaches, les taurillons, bouvillons et génisses, les veaux, les moutons et agneaux, les cochons, payera, à la sortie, un droit de 15 p. c. ad valorem. »
« Amendement à la proposition de MM. Le Bailly de Tilleghem et Rodenbach, présenté par M. de Moor.
« Est excepté de la mesure qui précède le bétail exporté par la frontière méridionale (bureau de Heer), depuis la rive droite de la Meuse jusqu'à Aubange.
« Art. 3 (nouveau) proposée par MM. Orts, Tesch, de Steenhaut et Mascart.
« Jusqu'au jour où sera levée la prohibition à la sortie des denrées alimentaires, il sera perçu à la sortie des houilles un droit de douane de 5 p. c. à la valeur. »
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
La séance est levée à 4 heures et demie.