(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 87) M. Ansiau fait l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Maertens lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal et plusieurs exploitants et habitants de Quaregnon présentent des observations en faveur du chemin de fer direct de Saint-Ghislain à Gand par Ath, projeté par les sieurs Delaveleye et Moucheron. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs à Dickelvenne demandent que les vétérinaires non diplômés soient admis à continuer l'exercice de leur profession. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Courtrai déclarent adhérer à la pétition des habitants de Gand, qui a pour objet la prohibition à la sortie du bétail, du beurre, des œufs et des lapins. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les denrées alimentaires.
« Les employés expéditionnaires à la direction des contributions directes à Liège, demandent à participer au crédit de 800,000 fr., destiné à venir en aide à quelques employés de l'Etat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit de 800,000 fr.
« Le secrétaire perpétuel de l'Académie royale adresse à la Chambre 110 exemplaires du n°2 (tome VII) des bulletins de la commission royale d'histoire. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.
« M. Van Remoortere, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée d'Etichove, le 19 octobre 1855, le conseil communal d'Etichove demande la suppression des dépôts de mendicité, en même temps que des modifications aux lois qui régissent le domicile de secours.
Les pétitionnaires se plaignent de la fâcheuse situation dans laquelle se trouve la caisse communale, aussi bien que celle du bureau de bienfaisance, et ils n'hésitent pas à en attribuer la cause au maintien des dépôts de mendicité et aux mauvaises dispositions législatives qui régissent le domicile de secours.
Votre commission, messieurs, partage cette opinion que les pétitionnaires tâchent de rendre évidente au moyen de chiffres et de calculs qu'il est inutile de reproduire ici, d'autant plus que c'est là l'histoire de l'état financier de chacune de nos communes, histoire qui n'est ignorée ni contestée par personne.
Vous le savez tous, messieurs, malgré la plus stricte économie dans les dépenses, nos communes succombent toutes sous le poids des chargée, résultant de l'entretien de leurs malades dans les hospices des villes. Jusqu'à la dernière obole leur est enlevée par les exigences des administrations qui dirigent ces hospices ; par suite aussi des frais considérables qui prennent leur source dans le maintien des dépôts de -mendicité, refuge assez ordinaire de mauvais sujets, comme le dit la pétition, de sujets presque toujours fainéants, paresseux et incorrigibles, véritable refuge de vagabonds qui profitent de la latitude qui leur est accordée pour imposer leur volonté, pour dicter la loi aux administrations communales.
Trop fréquemment il arrive que, lorsque les administrations se refusent à satisfaire à des exigences outrées, une seule famille, par un coupable entêtement, absorbe, en frais de toute espèce, de quoi secourir dix douze familles plus honnêtes, plus réglées et souvent plus malheureuses.
Rien d'étonnant donc de voir tant et tant insister sur la suppression de ces dépôts qui, au surplus, ne sont qu'une déplorable et incontestable école de démoralisation.
Nous constatons avec bonheur et empressement que le gouvernement est animé des meilleures intentions : espérons seulement de le voir bientôt mettre un terme à ses sérieux examens et à ses trop longues délibérations, espérons de voir bientôt surgir le moment de l'action, si désirable, si nécessaire et si impérieusement réclamé par nos malheureuses populations rurales.
Voilà le vœu que nous avons l'honneur d'exprimer, messieurs, en vous proposant l'envoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Lelièvre. - La pétition sur laquelle porte le rapport ayant un trait direct au budget de la justice, j'en demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget.
- Adopté.
M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale, qui a été chargée d'examiner le projet de loi accordant des exemptions aux consuls des puissances étrangères.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La Chambre le met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà.
« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 190,500. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 23,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »
- Adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le chapitre II.
M. Lelièvre. - A l'occasion de ce chapitre, je dois signaler au gouvernement la nécessité de proposer un projet de loi ayant pour objet de réprimer d'une manière efficace les vols de récoltes sur pied qui se commettent dans les campagnes.
Aujourd'hui ces faits graves qui se commettent pendant la nuit et en bande ne sont punis que d'un emprisonnement qui ne peut excéder huit jours et ils sont du ressort des tribunaux de simple police. Il y a urgence à changer cet ordre de choses qui donne lieu aux plus graves abus. En France, le fait dont il s'agit a été prévu spécialement par le Code pénal de 1832 et des peines correctionnelles proportionnées à la gravité du délit ont été prononcées. Je pense que nous devrions suivre cet exemple et protéger ainsi d'une manière efficace la propriété rurale.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale sur le chapitre II est close.
« Art. 6. Cour de cassation. Personnel.
« Charge ordinaire : fr. 215,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,250. »
- Adopté.
« Art. 7. Cour de cassation. Matériel : fr. 5,250. »
- Adopté.
« Art. 8. Cours d'appel. Personnel.
« Charge ordinaire : fr. 540,100.
« Charge extraordinaire : fr. 28,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Cours d'appel. Matériel : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce :
« Charge ordinaire : fr. 1,022,095.
« Charge extraordinaire : fr. 18,216. »
- Adopté.
« Art. 11. Justices de paix et tribunaux de police :
« Charge ordinaire : fr. 345,400.
« Charge extraordinaire : fr. 8,770 »
- Adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le chapitre III.
M. Lelièvre. - Je crois devoir recommander au gouvernement la réforme de nos lois militaires. Nous sommes encore régis par la législation hollandaise du siècle dernier, législation qui n'a plus rien de (page 88) commun avec nos institutions libérales et qui, conférant aux auditeurs militaires des attributions exorbitantes, est tout à fait en opposition avec les principes admis en matière criminelle. Sous le rapport des lois militaires, la Belgique est très arriérée et il y a à cet égard des progrès notables à réaliser. Je pense que M. le ministre de la justice, d'accord avec son collègue de la guerre, ferait chose extrêmement utile au pays en s'occupant le plus tôt possible de cet objet important.
Il y a deux ans, l'honorable M. Orts a déposé une proposition ayant pour objet d'investir la juridiction civile du droit de connaître des délits communs commis par des individus appartenant à l'armée.
J'engage le gouvernement à étudier cette question, afin qu'il puisse être donné suite à une proposition qui a pour but de faire disparaître un privilège qui n'est certainement pas fondé sur les principes du droit.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale sur le chapitre III est close.
« Art. 12. Cour militaire. Personnel.
« Charge ordinaire : fr. 16,070.
« Charge extraordinaire : fr. 4,233. »
- Adopté.
« Art. 13. Cour militaire. Matériel : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 14. Auditeurs militaires et prévôts.
« Charge ordinaire : fr. 29,819.
« Charge extraordinaire : fr. 212. »
- Adopté.
« Art. 15. Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière : fr. 3,540. »
- Adopté.
« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police : fr. 570,000. »
- Adopté.
« Art. 17. Traitement des exécuteurs das arrêts criminels et des préposés à la conduite des voitures cellulaires : fr. 9,800. »
- Adopté.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, à propos de cet article, je crois opportun d'adresser à M. le ministre de la justice quelques mots sur une question locale qui a son importance.
Vous savez, messieurs, car j'ai eu plus d'une occasion de le dire dans cette enceinte, quel résultat désastreux le démantèlement de la forteresse de Philippeville a produit pour la population de cette place qui ne vicait que de sa garnison. Les pétitions des habitants et des administrations communales, en date des 28 janvier et 1er février, qui vous ont été renvoyées le 24 mars 1854, ont constaté et fait connaître au gouvernement les pertes de toutes espèces que subit cette ville et ses droits incontestables à de justes indemnités.
Le gouvernement, jusqu'ici, semble ne s'être préoccupé que bien faiblement de ses réclamations si bien fondées.
Parmi les moyens indiqués pour offrir un dédommagement à cette ville sacrifiée, figure la création d'un tribunal, création, d'ailleurs, nécessitée par le nombre croissant des affaires que fournit la circonscription judiciaire.
Une somme, relativement insignifiante, suffirait à cet établissement ; la plus forte dépense, celle du local, pouvant être évitée par l'appropriation d'un des bâtiments militaires devenus vacants par le retrait de la garnison.
Il y a sur cette question beaucoup à dire, beaucoup de faits à constater, de renseignements à fournir. Je ne faillirai pas à cette tâche quand le véritable moment opportun sera venu. Le gouvernement est loin, je le pense, de posséder tous les éléments d'appréciation qui lui sont nécessaires pour prendre un parti.
Aujourd'hui je n'ai autre chose en vue que d'être instruit de ses intentions relativement au principe. Quand viendra devant la Chambre l'examen du projet de loi relatif à l'organisation judiciaire, la question pourra être traitée à fond au point de vue pratique et utile.
Pour le moment, je demanderai donc uniquement à M. le ministre jusqu'à quel point il a bien voulu examiner personnellement la question de l'établissement d'un tribunal à Philippeville, et si son intention est de coopérer efficacement à cette légitime et facile réparation. Assurément sa réponse affirmative serait déjà pour les habitants de Philippeville et de l’arrondissement une consolation, un apaisement dont ils ont le plus grand besoin.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, l'honorable M. de Baillet demande si j'ai examiné personnellement la question de l'établissement d'un tribunal de première instance à Phiiippeville. Ma réponse sera franchement négative ; j'ai cru pouvoir m'en dispenser ; cette question me paraissait se rattacher au projet de réorganisation judiciaire dont la Chambre sera bientôt saisie.
A la suite de l'adoption de cette loi, il y aura lieu de toucher à quelques circonscriptions, d'opérer quelques augmentations de personnel et de créer peut-être quelques sièges nouveaux ; un travail complet sera fait et la question relative à Philippeville trouvera l'occasion d'être traitée à fond.
« Art. 18. Constructions, réparations et entretien de locaux. Subsides aux provinces et aux communes pour les aider à fournir les locaux convenables pour le service des tribunaux et des justices de paix.
« Charge ordinaire : fr. 35,000.
« Charge extraordinaire : fr. 40,000. »
- Adopté
M. Rodenbach. - Messieurs, la première et la cinquième section ainsi que la section centrale ont critiqué d'une manière assez dure la rédaction non-officielle, le format et la publication du Moniteur ; elles auraient voulu qu'on changeât le format. Mais c'est précisément parce que précédemment on trouvait que le format ancien était mauvais qu'on y a substitué celui que nous avons maintenant. Le format des Annales parlementaires est le même que celui du Moniteur ; on peut très bien en former des volumes. Il est à remarquer que le Moniteur n'est pas un journal ordinaire, mais un journal de collection qu'on doit pouvoir facilement consulter. Je ne vois pas de motif pour changer maintenant le format de cette publication.
On a dit en outre que l'expédition du Moniteur devrait se faire par le chemin de fer comme celle des autres journaux. On oublie qu'un journal officiel, qui est destiné à la publication des lois et doit avoir une date fixe, ne peut pas avoir des éditions du matin, de midi et du soir ; il paraît à 5 heures du matin et ne peut être expédié que par les convois de chemin de fer qui partent après cette heure. On voudrait aussi que le Moniteur donnât promptement les nouvelles comme font les autres journaux ; mais on ne songe pas qu'il faudrait pour cela augmenter le personnel, donner des collaborateurs au directeur, en un mot payer des rédacteurs.
Il faudrait aussi avoir à l'étranger des correspondants comme en ont quelques-uns de nos journaux qui sont très bien servis et qui font usage du télégraphe ; il faudrait dépenser beaucoup d'argent. Or, je ne pense pas qu'avec 116,000 francs par an on puisse faire des frais plus grands que ceux qu'on fait aujourd'hui.
On fait, en outre, observer qu'en France le Moniteur a plus d'abonnés qu'en Belgique ; je répondrai qu'en Belgique tous les hommes en place reçoivent le Moniteur gratis, tandis qu'en France ils sont forcés de s'abonner au journal officiel.
A un autre reproche, celui de manquer d'intérêt, je dirai qu'on reproduit dans le Moniteur les articles d'économie politique du Journal des Débats. J'y ai lu des articles de Michel Chevalier, naguère j'y ai vu la reproduction d'un écrit de M. Thiers.
Il y a trois ou quatre jours, on nous a fait connaître encore dans le Moniteur le mécanisme financier de la Banque d'Angleterre, traduit par le directeur.
Je ne crois pas qu'un journal officiel doive être de la même nalure que les journaux qui se rendent intéressants par leurs nouvelles et par leurs feuilletons. Le Moniteur fait très bien de donner des articles sérieux, savants, instructifs, scientifiques, etc., mais il ne doit point donner des feuilletons romantiques.
Je le répète, le Moniteur français, qu'on dit être intéressant, est un journal qui a des collaborateurs comme les autres journaux, et parmi eux il y en a qui gagnent 15 à 18 mille francs par an, tandis qu'ici nous avons un simple directeur qui ne reçoit qu'environ 5,000 francs par an. Je ne crois pas que la Chambre soit disposée à payer des publicistes à raison de 15 à 18 mille francs.
Je n'en dirai pas davantage, et je suis convaincu que les attaques des deux sections et de la section centrale sont peu fondées.
(page 97) >M. Vander Donckt. - Messieurs, c'est pour un autre genre d'observations que j'ai demandé la parole sur l'article 19 relatif à la publication du Moniteur.
Nous trouvons tous les jours dans la presse la composition des sections centrales de la Chambre et même un compte rendu des travaux des sections centrales. Jamais on n'en trouve un mot dans le Moniteur. Il me semble que les membres de la Chambre sont ceux qui ont le plus grand intérêt à connaître la composition des sections centrales et ce qui s'y passe. Je ne comprends pas comment le Moniteur, qui est un journal sérieux et qui est surtout à l'usage de la Chambre, ne donne pas la composition des sections centrales et même un aperçu de ses travaux comme le donnent les autres journaux.
Non seulement les autres journaux donnent la composition des sections, mais ils donnent la substance de ce qui s'est dit dans ces sections. Pourquoi le Moniteur n'imiterait-il pas cet exemple ?
Je me permettrai encore une autre observation. Je me plaindrai du peu de soin qu'on apporte à la rédaction des tables alphabétiques du Moniteur. Pour que mon observation ne soit pas accusée de vague, je vous citerai un exemple. J'ai pris le nom de notre honorable collègue M. T'Kint
En continuant ces recherches, je trouve les pages 170, 181, 191, 204 et 438 comme renseignant le nom de notre honorable collègue. Il n'y a pas un mot de lui dans ces pages. Les pages 60, 91,185, 193, 200 et 441 ne sont au contraire pas indiquées au nom de notre honorable collègue.
Lorsque l'on rencontre des erreurs aussi graves et aussi nombreuses pour un seul nom, je vous demande à quel chiffre d'erreurs on arriverait en poussant les recherches plus loin.
Je désire que les épreuves du Moniteur soient revues par celui qui est chargé de la rédaction de ces tables, et q’ il examine de nouveau si toutes les indications sont exactes.
Alors au moins nous aurons au Moniteur et des Annales que nous pourrons consulter sans être obligés à des recherches multipliées, pénibles et fastidieuses et qui nous nous font perdre un temps précieux.
(page 88) M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je remercie l'honorable M. Rodenbach d'avoir pris la défense du Moniteur. Je voulais présenter les observations qu'il vient de vous soumettre. J'ai pensé comme lui que les considérations de la section centrale étaient peut-être un peu vives. L'honorable membre vient de vous démontrer qu'elles manquaient de justesse, et je n'ai qu'à me rallier à ce qu'il vous a dit à cet égard.
Puisque je parle du Moniteur, je saisirai cette occasion d'apprendre à la Chambre un détail qui sera de nature à l'intéresser ; c'est que dans le courant de l'été j'ai adressé à MM. les gouverneurs une circulaire pour les engager à intervenir auprès des communes pour qu'elles s'abonnent aux Annales parlementaires. Cet appel a été entendu, et depuis quelques mois le nombre des abonnements nouveaux aux Annales parlementaires s'élève à plus de 500.
L'honorable M. Vander Donckt a signalé comme une omission fâcheuse quelques lacunes que présente le Moniteur relativement à la composition (page 89) des sections centrales. Je m'engage à veiller en ce qui me concerne à ce que cette lacune soit réparée.
L'honorable membre a de plus signalé des défectuosités dans les tables alphabétiques. Je crois que ces défectuosités sont inséparables de toute publication de ce genre. Le Moniteur ne peut pas plus y échapper que d'autres impressions. Cependant je promets de porter mon attention sur ce point et de recommander plus de soin pour l'avenir.
M. Wasseige, rapporteur. - Je n'ai rien trouvé, dans les observations présentées par l'honorable M. Rodenbach, qui soit de nature à faire revenir la section centrale des observations très bénignes qu'elle a faites en ce qui concerne le Moniteur. Ces observations ont été unanimes et ne sont d'ailleurs nullement malveillantes. La section centrale a seulement fait remarquer que le format du Moniteur était incommode que ses suppléments trop nombreux le rendaient difficile à lire. Si le Moniteur n'était qu'un journal officiel qu'on doit collectionner, je comprendrais les observations de l'honorable membre. Mais il y a dans le Moniteur une partie non officielle. C'est à cette partie que la section centrale a fait le reproche de ne pas être intéressante. Pour la rendre plus intéressante, il n'y aurait nullement besoin d'avoir des rédacteurs et des correspondants étrangers.
Il suffirait de mettre un peu plus de soin dans le choix des nouvelles qu'on emprunte aux autres journaux, et il a semblé qu'il serait ainsi très facile de rendre le contenu du journal officiel plus agréable aux lecteurs. La preuve que ce journal ne présente aucun intérêt hors la partie officielle, c'est qu'il compte peu d'abonnés, si même il en a en dehors des personnes qui le reçoivent gratis.
La section centrale cite le Moniteur français. En effet ce journal a l'intérêt qui le fait lire ; l'intérêt du jour, et il est lu avec autant de plaisir que les autres journaux, parce qu'il donne les nouvelles aussi fraîches.
La section centrale a eu soin d'ailleurs de distinguer et de dire qu'on pourrait conserver le format actuel pour les Annales parlementaires.
Quant à l'expédition du journal, on a dit que le Moniteur, s'imprimant la nuit et s'expédiant à cinq heures du matin, il ne pouvait être rendu dans les provinces aussi tôt que les autres journaux.
Je crois que c'est une erreur, car dans la ville que je connais le plus particulièrement, à Namur, l’« Emancipation », l' « Indépendance », et d'autres journaux, imprimés également la nuit, arrivent à 8 heures du matin, par les chemins de fer de Bruxelles à Liège et de Liège à Namur. Le Moniteur expédié par la ligne directe du chemin de fer de l'Etat n'arrive qu'à 11 heures et 1/2 ou midi. C'est ainsi que les journaux dont je viens de parler font connaître les nouvellles, même officielles, trois à quatre heures avant le Moniteur.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire pour justifier les observations de la section centrale et je répète qu'il n'y avait dans son esprit aucune espèce de malveillance pour le Moniteur ni pour le directeur.
M. Rodenbach. - Je crois qu'on pourrait rendre le Moniteur plus intéressant, mais ce serait à la condition de voter des fonds pour un rédacteur ou deux de plus. Un seul homme ne peut pas tout faire.
Quant à l'expédition, je persiste à croire qu'elle doit se faire à la même heure, parce que les lois sont exécutoires quelques jours après leur publication et que dès lors cette publication doit avoir lieu à heure fixe.
On a parlé du Moniteur français ; on a dit qu'il est beaucoup plus intéressant que le Moniteur belge ; mais en France, messieurs, il y a des rédacteurs qui touchent 10, 15 et même 18,000 francs d'appointements.
Or, je ne crois pas que nous soyons disposés à entrer dans cette voie. Ailleurs, nous avons d'autres journaux, et le journalisme est une industrie qui doit aussi être protégée. Elle est aujourd'hui plus prospère qu'autrefois, et je désire que sa prospérité se développe autant que possible. C'est à la liberté de la presse que nous devons nos institutions véritablement libérales, et le pays n'a pas à se repentir d'avoir réclamé cete liberté. Quant à moi, je suis heureux de l’avoir votée.
M. Lebeau. - L'année dernière j'ai appelé l'attention de M. le ministre de la justice, prédécesseur de l'honorable M. Nolhomb, sur une particularité qui se rapporte à l'objet en discussion. Ceux d'entre vous, messieurs, qui lisent régulièrement le Moniteur se seront aperçus qu'il est quelquefois doublé et triplé par l'insertion d'arrêtés accordant des concessions ou autorisant des sociétés anonymes, arrêtés dont les développements sont extrêmement étendus.
Ces publications entraînent des dépenses assez considérables pour le trésor public. J'avais demandé s'il ne serait pas convenable de faite comprendre ces dépenses dans les frais que doivent supporter les intéressés.
A l'occasion de la loi sur les brevets d'invention, nous avons, si je ne me trompe, mis les frais d'instruction, etc., à la charge des intéressés.
Nous pourrions, semble-t il, faire la même chose lorsqu'il s'agit des frais qui sont dans l'intérêt de sociélés particulières.
Sans doute le public a intérêt à connaître les actes dont il s'agit ; mais les sociétés qu'ils concernent ont bien plus d'intérêt encore à en propager la connaissance. L'honorable M. Faider avait promis de prendre en sérieuse considération l'observation que j'avais présentée. Je désirerais savoir si cet examen a eu lieu.
Je ne terminerai pas sans ajouter quelques mots à ce qu'a dit l'honorable M. Rodenbach, à propos des observations présentées un peu légèrement, semble t-il, par la section centrale.
D'abord l'honorable M. Wasseige voudrait que le Moniteur pût lutter de vitesse avec les journaux particuliers pour les nouvelles. L'honorable membre oublie que c'est surtout au moyen des dépêches télégraphiques, dépêches qui coûtent très cher, que ces journaux ont à cet égard le pas sur le Moniteur, la priorité de nouvelles. J'ajoute que ces journaux, parlant en leur propre nom, ne doivent pas apporter la même circonspection dans la publication de nouvelles de ce genre qui sont souvent très délicates pour les gouvernements voisins. Ces journaux doivent naturellement, dis-je, apporter moins de circonspection, moins de maturité d'examen que le journal officiel, dans l'insertion de ces nouvelles.
On veut que le Moniteur soit amusant. J'entends pour la première fois élever une semblable prétention. S'il voulait l'être, dans le sens usuel du mot, nous devrions le rappeler à l'ordre, car il ne pourrait l'être qu'à l'aide de nouvelles plus ou moins hasardées, à l'aide de polémiques plus ou moins vives et personnelles, contre lesquelles chacun de nous pourrait avoir à protester. Cela est absolument impossible. Je dis que le Moniteur est condamné à n'être pas ce qu'on appelle amusant. J'ajoute qu'il est très intéressant, ce qui est autre chose.
Le Moniteur, grâce à l'instruction, au zèle, à l'intelligence de l'homme qui le dirige et qu’on ne paraît pas apprécier assez, le Moniteur, dis-je, grâce à cette circonstance, a tout l'intérêt que comporte une publication de ce genre. Il contient des documents qui supposent la connaissance de plusieurs langues dans le personnel de la rédaction, car plusieurs de ces documents sont traduits.
Quant à moi, je lis le Moniteur, non pour m'amuser, mais pour m'instruire ; et souvent il m'instruit ; il renferme une série d'articles littéraires, philosophiques et économiques très bien choisis, très bien traduits et dont la lecture ne peut qu'être intéressante et instructive.
Je n'en dirai pas davantage ; je ne veux pas abuser des moments de la Chambre pour un objet qui n'est pas en lui-même assez important pour occuper plus longtemps l'assemblée.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'examinerai volontiers la proposition que vient de faire l'honorable M. Lebeau. Cependant, à la première vue, il me semble qu'il ne faut pas confondre la publicité, à laquelle une société est intéressée, avec la publication qui est d'intérêt général et que, d'ailleurs, la loi prescrit. Les statuts d'une société, de l'être nouveau auquel le gouvernement donne le jour par l'insertion au Moniteur, appartiennent au domaine public ; le public a grand intérêt à les connaître.
M. Coomans. - Messieurs, je conviens qu'avec les ressources restreintes dont le gouvernement dispose, il serait difficile d'améliorer la rédaction du Moniteur ; mais je dois m'associer cette fois encore aux critiques qui vous ont été présentées relativement au format...
M. Lebeau. - Je vous abandonne le format.
M. Coomans. - Ce format est mauvais à tous les points de vue ; le journal est illisible, du moins n'est-il pas lu, et je dis que c'est grand dommage, tant pour le gouvernement que pour le trésor.
Un journal officiel doit être lu, celui-ci ne l'est pas...
M. Lebeau. - Si ! si !
M. Coomans. - Je regrette que M. le ministre de la justice qui vous a donné le nombre des abonnés aux Annales parlementaires ne nous ait pas indiqué celui des abonnés au Moniteur. (Interruption.)
Je suis très curieux de le connaître. Je parle des abonnés qui payent, bien entendu ; je crois que le nombre en est très restreint.
Quel que soit du reste, ce nombre, on peut l'accroître ; on l'accroîtra, en faisant du Moniteur un journal qui puisse être lu dans les lieux publics et qu'on ne serve pas aux lecteurs par morceaux, comme on leur sert le Moniteur.
Le Moniteur se compose souvent de plusieurs feuilles séparées et qu'il est difficile de rejoindre ; ce n'est qu'un ramassis de feuilles détachées. Substituons-y un véritable journal, je crois que sans accroître les dépenses, on pourrait grandement améliorer la publication du Moniteur, d'autant plus que le moment où une semblable réforme peut le mieux se faire approche, je veux parler du 1er janvier.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, d'après une note que m'a remise l'administration, je constate que le nombre des abonnés au Moniteur et aux Annales réunis est de 488, et aux Annales seules, de 435.
M. Coomans. - Un journal à 400 abonnés est un misérable journal.
M. Dumortier. - Messieurs, je dois saisir cette occasion pour me plaindre très fortement de la manière dont se font les tables des Annales parlementaires ; je crois qu'il vaut mieux n'avoir pas de tables du tout que d'en avoir d'aussi fautives.
Il m'est arrivé ces jours derniers de devoir recourir à des discours qui ont été prononcés dans la dernière session par plusieurs membres de la Chambre, et j'ai trouvé qu'il y avait dans les indications beaucoup plus d'erreurs que de réalités. (Interruption.)
Je demande que l'honorablie M. Lebeau, qui m'interrompt, veuille faire la vérification, en ce qui le concerne personnellement, et je pose (page 90) en fait, sans l'avoir examiné, que la moitié des indications qui se rapportent à cet honorable membre, sont erronées.
Quand on a des Annales parlementaires, il faut qu'il y ait des tables bien faites ; il ne faut pas de tables qui soient un tissu d'erreurs. Vous perdez plus de temps à rectifier une erreur qu'à chercher vous-même.
Je signale ce fait à M. le ministre de la justice. Je ferai remarquer que beaucoup de membres de la Chambre ont fait la même vérification, et m'en ont également parlé, en s'en plaignant vivement. Je crois que le gouvernement ferait fort bien de faire cesser cet abus.
Rien n'est plus facile que de faire de bonnes tables ; il ne s'agit que de dépouiller jour par jour les Annales parlementaires ; alors on n'est pas exposé à commettre des erreurs ; mais si on attend la fin de l'année pour faire ces tables, alors c'est bien plus difficile ; pour ma part, j'en sais quelque chose ; j'ai été dans l'occasion de faire parfois des travaux de ce genre ; il n'existe pas au monde de besogne qui exige une plus grande tension d'esprit. Mais si l'on dépouille les Annales jour par jour, vous aurez des tables bien faites ; et vous aurez un avantage, c'est que huit jours après la clôture de la.session, vous aurez vos tables.
Or, je demeure convaincu que les tables ne se font pas ainsi ; j'en juge ainsi, d'une part, par les fautes considérables qu'elles renferment, en second lieu par le temps très long qui s'écoule entre la clôture de la session et l'envoi des tables.
Puisque j'ai la parole et qu'il est question du Moniteur, je parlerai de nouveau d'une chose à laquelle j'attache un certain prix ; on dira que c'est un peu tardif, mais j'en ai déjà entretenu plusieurs fois la Chambre ; il s'agit du fâcheux système introduit il y a dix ans, de couper le Moniteur en deux. Il faut convenir que cette mesure est réellement déplorable ; les volumes du Moniteur ne sont plus des volumes, ce sont des cubes qui ont une superficie égale en hauteur, en largeur et eu profondeur, on les appelle, je le répète, des volumes, mais ce sont en réalité des cubes qu'on ne sait où placer ; car il n'est pas possible de placer ces cubes dans une bibliothèque.
Si je compare ce volume avec les grandes publications, je ne puis qu'éprouver un vif regret de cette malencontreuse transformation. Le Moniteur français existe depuis soixante ans, eh bien, à une légère augmentation près, il a conservé son format primitif, aussi la collection forme-telle un magnifique ouvrage de bibliothèque. Le Staats-Courant a également conservé le même format depuis son origine, les journaux anglais, dont l'origine date de loin, sont dans le même cas ; on ne s'est pas avisé d'en changer le format.
Je crois que c'est sous le ministère de M. Lebeau, en 1831, qu'on a changé le format de notre journal officiel.
M. Lebeau. - Je suis le père du Moniteur et du grand format.
- Un membre. - C’est sous le ministère de M. d'Anethan qu'on y a substitué le format actuel.
M. Thiéfry. - Le format actuel est le meilleur et le plus commode qu'on puisse avoir.
M. Dumortier. - Je puis affirmer que vous êtes seul ou presque seul de votre avis.
Quand il y a de grandes collections, on ne s'avise pas de les couper en deux, ou l'on fait preuve de défaut complet de goût bibliographique. C'est ce qu'on a fait quand on est venu réduire le format du Moniteur et lui donner cet aspect que vous savez.
C'est une chose très malheureuse ; toutes les personnes qui s'occupent de bibliographie sont unanimes pour le déplorer.
Nous approchons du 1er janvier ; je suis d'avis qu'à partir de cette époque on rétablisse le Moniteur dans son format primitif.
« Art. 19. Impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires, pour laquelle il pourra être traité de gré à gré : fr. 116,000. »
- Adopté.
« Art. 20. Abonnement au Bulletin des arrêts de la cour de cassation : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 21. Publication d'un recueil des anciennes lois des Pays-Bas autrichiens, de la principauté de Liége et d’autres pays, dont le territoire est compris dans le royaume de Belgique ; publication d’un recueil d’instructions-circulaires émanées du département de la justice, depuis la réunion de la Belgique à la France, en 1795 ; impression d’avant-projets de lois et autres documents législatifs : fr. 15,300. »
- Adopté.
« Art. 22. Traitement d'employés attachés à la commission royale de publication des anciennes lois, nommés par le gouvernement : fr. 2,700. »
- Adopté.
« Art. 23. Persions civiles : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art 24. Secours à des magistrats et à des employés près des cours et des tribunaux, ou à leurs veuves et enfants mineurs qui, sans avoir droit à une pension, ont des titres à un secours, par suite d'une position malheureuse : fr. 11,500. »
- Adopté.
« Art. 25. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés de l'administration centrale du ministère de la justice, ou à des établissements y ressortissant, qui se trouvent dans le même cas que ci-dessus : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 26. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés des prisons, se trouvant dans le même cas que ci-dessus : fr. 3,000. »
- Adopté.
M. Verhaegen. - Dans la discussion générale, j'ai reproché à M. le ministre de la justice une soumission aveugle aux exigences du clergé, et je me suis réservé d'entrer dans des détails sur ce point lors de la discussion des articles.
Je saisis l'occasion qui m'est offerte au chapitre VIII pour donner suite à cette réserve, et je n'hésite pas à dire tout d'abord que la soumission à laquelle j'ai fait allusion est telle, que M. le ministre est allé jusqu'à convier une administration communale à la violation de la loi, et à lui transmettre des ordres qui, si elle les avait exécutés, l'auraient infailliblement exposée à des poursuites correctionnelles du chef de violation de sépulture.
C'est, messieurs, avec une profonde répugnance, avec un véritable dégoût que je vais vous narrer les faits qui se passent dans la commune de St-Pierre-Capelle, près d'Enghien ; mais je me hâte de déclarer que je n'avancerai aucun fait qui ne soit appuyé de pièces authentiques.
Jamais jusqu'en 1843 l'ordre et la concorde n'avaient cessé de régner à St-Pierre-Capelle : l'administration communale y était respectée, l'autorité ecclésiastique s'entendait à tous égards avec l'autorité civile.
Il en fut tout autrement depuis l'arrivée du desservant actuel, qui date du 6 avril 1843. Ce desservant, en effet, voulut dès le principe s'arroger le pouvoir suprême ; il chercha par tous les moyens possibles à entraver la marche de l'administration communale et à se mettre au-dessus d'elle ; mais cette administration résista courageusement et parvint à faire respecter l'autorité civile avec l'appui des ministères précédents.
Il fallait l'avènement du ministère actuel pour permettre à M. le desservant de renouveler les prétentions les plus exorbitantes, prétentions qui viennent d'obtenir, grâce à l'honorable M. Nothomb, un succès complet.
Dans la nuit du 27 au 28 mai dernier, un ouvrier meunier fut trouvé mort près du moulin, dit le vieux moulin, à St-Pierre-Cappelle ; d'après les informations prises, cet ouvrier en état d'ivresse était tombé du haut du moulin.
Il s'agissait de pourvoir à l'inhumation de ce malheureux. M. le desservant s'opposa à ce que le corps fût enterré dans le cimetière, et prétendit, sans donner aucune raison, qu'il devait être relégué à l'extérieur de l'enceinte. L'intervention de l'administration communale devint dès lors nécessaire, et cette administration, poursuivant la voie qui lui avait été indiquée par un précédent ministère, fit, après toutes les démarches et précautions que dictaient les convenances, procéder à ilinhumation du nommé Vanheck dans le cimetière dont, non seulement elle avait la surveillance et la police, mais encore à l'égard duquel elle exerçait une autorité.
C'est ainsi que MM. les bourgmestre et échevins s'adressèrent à M. le juge de paix du canton d'Enghien, qui leur dicta la ligne de conduite qu'ils avaient à suivre, ligne de conduite qui était en tous points conforme à celle qui leur avait été dictée par un précédent cabinet. C’est encore ainsi qu'une démarche préalable fut faite près de M. le desservant pour le prier de faire connaître à l'administration communale les motifs de son opposition, alors que M. le desservant, d'une manière brusque, déclina le pouvoir de l'autorité communale.
Et il eût été impossible à M. le desservant d'indiquer les motifs de son opposition ; car le cimetière de St Pierre-Capelle est un et indivisible, tous les habitants, sans exception d'un seul, y professent la religion catholique, apostolique et romaine.Il1 n'y a donc pas différents cultes en présence dans cette commune et dès lors il n'y a pas, il ne peut pas y avoir, des parties séparées dans le cimetière. Aussi, n'était ce pas dans une partie distincte du cimetière, mais en dehors de l'enceinle que M. le desservant voulait faire enterrer Vanheck.
Tous ces faits sont constatés par un procès-verbal dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture Le voici :
« L'an mil huit cent cinquante-cinq, le trente du mois de mai, à huit heures du matin, nous soussigné Philippe Joseph Lescreve et Charles-Joseph Avaux, respectivement bourgmestre et échevin de la commune de Saint-Pierre-Capelle, arrondissement judiciaire de Mons, province de Hainaut, ayant été informés que M. Dooms, desservant de cette commune, refusait son ministère pour l’inhumation du corps du nommé François Vanheck, mort accidentellement dans cette localité le vingt-sept mai courant, nous avons requis le nommé Pierre-Joseph Everaert, fossoyeur, de creuser une fosse dans la ligne ordinaire du cimetière pour y déposer et inhumer le corps du nommé Vanheck. Le vingt-neuf de ce mois à une heure et demie de relevée, le fossoyeur est venu nous déclarer que M. le desservant lui défendait de creuser cette fosse sous peine de le priver de son emploi s’il le faisait.
(page 91) « Dans cette circonstance et en vue d'éviter des désordres et du scandale, nous avons trouvé convenable que l'un de nous se serait rendu auprès de M. le juge du canton d'Enghien, afin de voir ce qui nous restait à faire, Le bourgmestre se chargea de cette mission et se rendit accompagne de notre secrétaire communal chez ce magistrat et là il fut arrêté qu'un réquisitoire serait adressé au commandant de la brigade de gendarmerie à Enghien de se rendre, le trente de ce mois à 6 heures du matin à la maison communale pour seconder la police, s'il y avait lieu.
« Ensuite et vu la défense faite au fossoyeur, nous avons requis les nommés Jean-Baptiste Wayembergh et Jean-Baptiste Vanholder, ouvriers actuellement employés aux travaux de la voirie vicinale de cette localité, à l'effet de se rendre à cinq heures du matin pour creuser ladite fosse et pour le cas que quelqu'un serait venu faire opposition à leur travail, de se retirer et de venir nous en faire rapport à la maison communale où nous nous serions trouvés avec la gendarmerie.
« Cette opposition eut lieu en effet par M. le desservant, et les ouvriers se retirèrent, et vinrent nous en faire rapport.
« Alors nous avons chargé M. le commandant de la gendarmerie de se présenter chez M. le desservant pour connaître les motifs de cette opposition. M. le commandant fut très mal reçu et M. le desservant d'une manière brusque déclina le pouvoir de l’autorité communale.
« En suite de cette démarche, nous nous sommes rendus au cimetière accompagnés de la gendarmerie et de notre garde champêtre, et là nous avons ordonné aux prénommés Wayembergh et Vanholder de reprendre leur travail.
« La fosse étant faite, ces ouvriers sont allés chercher le cercueil dans lequel était déposé le corps de Vanheck et sont arrivés au lieu de la fosse ; alors M. le desservant accompagné de M. Bauwens, son vicaire, des sieurs Ferdinand Borremans, clerc et Jean-Sylvestre Vanhove, président du bureau des marguillers de l'église, vint nous intimer d'une manière violente qu'au nom de la loi et de la liberté des cultes il protestait absolument contre la profanation que nous faisions ici et que nous aurions eu de ses nouvelles.
« Nonobstant les entraves apportées, l'inhumation eut lieu en présence d'une foule de monde.
« (Signé) P.-J. Lescreve, bourgmestre et J. C.-J. Avaux, échevin.»
M. le desservant de St-Pierre-Capelle, dans l'habitude de regimber contre les actes de l'administration communale et de substituer sa volonté à celle de l'autorité civile, protesta contre l'inhumation de Vanheck et s'adressa au gouvernement qui n'hésita pas à lui venir en aide, et à condamner ainsi l'acte posé par ses prédécesseurs.
En effet, après l'échange de quelques missives, M. le ministre de la justice, par l'intermédiaire de M. le gouverneur du Hainaut, intima l’ordre à l'administration communale de faire procéder à l'exhumation du corps de Vanheck et de le faire déposer dans la partie, d'après lui, non bénite du cimetière ; je dis, d'après lui, car ce n'était qu'un prétexte qui avait été inventé après coup par M. le desservant, dans l'ordre de donner à sa prétention une apparence de couleur. Nous l'avons déjà fait remarquer et nous le prouverons ultérieurement, il n'existait à Saint-Pierre-Capelle qu'un seul et même cimetière pour tous les habitants professant tous le même culte.
L'administration communale se refusa à exécuter l'ordre de M. le ministre, et elle a bien fait. Si elle avait obéi, elle se serait rendue coupable d'une profanation, d'une violation de sépulture, punie de peines correctionnelles par le Code pénal qui nous régit.
Dans la lettre à M. le commissaire d'arrondissement du 23 juin 1855, MM. les bourgmestre et échevins avaient justifié d'avance les motifs de leur résistance à l'ordre de M. le ministre.
Voici cette lettre :
« St-Pierre-Capelle, le 23 juin 1855.
« Monsieur le commissaire,
« En réponse à votre lettre du 11 de ce mois, nous avons l'honneur de vous faire connaître qu'il n'existe au cimetière de cette commune aucune place distincte pour l'inhumation des personnes appartenant à des cultes différents ou à qui les secours religieux seraient refusés par l'autorité ecclésiastique.
« Cependant, depuis que nous avons reçu l'injonction par la lettre de M. votre prédécesseur, en date du 30 décembre 1845, n° 5, 265, d'exhumer le corps d'un nommé Dehantschutter, asphyxié par submersion, qui avait été inhumé en dehors du cimetière par les ordres du clergé, nous avons fait creuser une fosse au cimetière où ce cadavre fut enterré.
Postérieurement il paraît que M. le curé s'est permis de faire à l'endroit où Dehantschutter avait été inhumé une espèce de démarcation au moyen de quelques buissons.
« Nous saisissons cette occasion, M. le commissaire, pour vous faire connaître que M. le curé ne cherche qu'à entraver la marche de notre administration, et que si l'autorité supérieure tolère ses procédés dont nous avons malheureusement déjà une série, il ne restera au pouvoir civil d'autre moyen que celui de fléchir et de se rendre ainsi le jouet d'un prêtre emporté, brutal et qui n'épargne, soit en chaire, soit en public, aucune autorité, si haut qu'elle soit placée.
« En effet, depuis le 6 avril 1843, date de son arrivée comme desservant de cette commune, la discorde, qui n'avait jamais existé parmi les habitants, a trouvé un champ qui s'élargit de jour en jour, et qui finira par quelque sinistre.
« Pour justifier nos assertions, nous avons cru utile de joindre à l’appui de la présente :
« 1° La correspondance relative à l'inhumation de Dehantschutter en 1-45, où le clergé ordonna l'inhumation en dehors de l'enceinte du cimetière.
« 2° La correspondance relative à l'entrave apportée en 18-4 par M. le curé, en défendant de faire sonner la cloche de retraite à l'heure fixée par le règlement de police.
« 3° La correspondance relative à la location des biens de la fondation Van der Eycken où M. le curé, malgré l'invitation faite par M. le gouverneur, de surseoir à cette location, ordonna de la poursuivre, en déclarant qu'il en assumait toute la responsabilité.
« 4° La correspondance relative à la construction d'une école qui a eu lieu sans intelligence, sans plan, sans devis estimatif sans adjudication, et, chose inouïe, au mépris des lois et arrêtés en vigueur, sans autorisation.
« 5° La correspondance relative au défrichement sans autorisation d'un petit bois appartenant à la fabrique.
« 6° Un extrait d'un discours pastoral, prononcé le 26 novembre 1854 à la suite de la réélection du bourgmestre.
« 7° Un extrait de l'« Union », journal de l'arrondissement de Soignies, du dimanche 17 juin 1855, n° 24, au sujet de l'inhumation de Vanheck que la présente a pour objet. »
Les bourgmestre et échevins avaient aussi directement répondu à la missive du 16 août par leur lettre du 9 septembre, dont je dois également vous donner lecture :
« St-Pierre-Capelle, le 9 septembre 1855.
« Monsieur le commissaire,
« En réponse à votre lettre du 16 août dernier, n°1161, nous avons l'honneur de vous faire counaître qu'il n'existe dans le cimetière de cette commune aucune place distincte pour l'inhumation des personnes appartenant à des cultes différents.
« Comme Vanheck appartenait et professait la religion catholique, ainsi qu'il conste de la déclaration ci-jointe délivrée par M. le bourgmestre de la commune de Thollembeek, lieu de son domicile, nous ne pouvons que persévérer dans les rapports que nous avons eu l'honneur de vous faire parvenir, sous la date des 23 et 25 juin dernier, d'autant plus que notre devoir commande impérieusement, non de mortifier ni déshonorer la famille du défunt, mais bien de la protéger ainsi que le prescrit l'arrêté royal du 19 novembre 1828.
« Il est aussi de notoriété publique que le jour de l'événement Vanheck assistait à la grande messe dans l'église de St-Pierre-Capelle, ce qui corrobore la déclaration de M. le bourgmestre de Thollembeek. »
Vous venez de voir, messieurs, que l'administration communale de Saint-Pierre, en procédant, comme elle l'a fait le 30 mai 1855, à l'égard de l'inhumation du nommé Vanheck, s'est borné à se conformer aux injonctions d'un précédent ministère à l’égard de l'inhumation d'un nommé Dehantschutter, et cette pièce que je dois aussi vous mettre sous les yeux va prouver à la dernière évidence qu'il n'existe au cimetière dont il s'agit aucune place distincte qui, dans l'opinion de M. le desservant, pourrait servir de sépulture aux mécréants. Voici cette pièce :
« Soîgnies, le 30 décembre 1845.
« M. le bourgmestre,
« J'ai transmis à M. le gouverneur votre réponse au sujet de l'inhumation de Dehantschutter en dehors du cimetière de votre commune.
« Par dépêche en date d'hier, ce haut fonctionnaire me charge de vous rappeler que la police des cimetières appartient aux administrations locales et non aux membres du clergé. Vous devez faire préparer dans le cimetière une fosse pour Dehantschutter et le faire exhumer pour le placer dans cette fosse. Vous ferez en sorte cependant de ne pas donner à cette translation de la publicité et de la faire faire sans éclat pour éviter tout trouble ou rassemblement.
« Le commissaire royal d'arrondissement,
« (Signé) Leroy. »
Tel était l'ordre du ministère d'alors.
M. Malou. - Quel était ce ministère ?
M. Verhaegen. - Je vais vous le dire. D'abord vous, M. Malou, vous en faisiez partie, puis M. d'Anethan était votre collègue à la justice et l'honorable M. Mercier était gouverneur du Hainaut.
Toutes ces observations de M. les bourgmestre et échevins ne touchèrent pas M. le ministre ; c'était un parti pris et par missive du 2 octobre dernier il réitéra l'ordre de procéder à l'exhumation.
Je vais encore vous lire cette pièce. La voici :
« Soignies, 2 octobre 1855.
« Messieurs, votre rapport relatif à l'exhumation du cadavre de François Vanheck, enterré dans la partie bénite du cimetière de Saint-Pierre-Capelle a été transmis à M. le ministre de la justice qui vient de faire connaître qu'il a mûrement étudié la question et qu'il n'a pu que persister dans la décision que je vous ai communiquée le 16 août dernier.
« Avant tout, dit M. le ministre, je dois faire observer que le (page 92) bourgmestre de Thollembeek n'est pas compétent pour déclarer que le défunt appartenait à la religion catholique, apostolique et romaine ; en conséquence, son certificat n'est d'aucune valeur à l'effet de faire décider si le cadavre de cet homme doit être inhumé dans la partie bénite du cimetière. »
« Dans sa lettre du 9 août, le collège des bourgmestre et échevins parle de son devoir d'une manière dont je ne veux relever ni l'intention ni la forme ; il semble oublier que son devoir impérieux est de se soumettre avant tout au décret du 23 prairial an XII. Or, l'article 15 de ce décret porte : que chaque culte doit avoir un lieu d'inhumation particulier ; en conséquence, l'administration doit s'abstenir de faire inhumer dans le cimetière réservé aux catholiques le cadavre d'un individu auquel le clergé a refusé la sépulture ecclésiastique.
« Je n'admets pas l'exactitude de l'allégation de ladite administration, savoir qu'il n'existe dans le cimetière de cette commune aucune place distincte pour l'inhumation des personnes appartenant à des cultes différents.
« Cette place existe, en effet, depuis 1845, au plus tard ; car, à cette époque, le cadavre d'un nommé Jean-Baptiste Dehantschutter qui s'était suicidé, y fut déposé, et l'administration locale elle-même fait connaître dans son rapport du 23 juin dernier qu'il a été établi en cet endroit une espèce de démarcation au moyen de quelques buissons.
« L'endroit où fut inhumé Dehantschutter peut servir actuellement à la sépulture de François Vanheck ; l'article 6 du décret précité du 23 prairial an XII permet d'ouvrir une fosse pour une nouvelle sépulture après un espace de cinq ans. »
« Les instructions concernant l'exhumation de ce cadavre auraient donc dû être exécutées immédiatement ; car c'est inutilement retarder une solution arrêtée.
« Enfin, ajoute M. le ministre, s'il n'existait pas à Saint Pierre-Capelle de place distincte pour l'inhumation des personnes n'appartenant pas au culte catholique, ce serait le cas d'en créer une. »
« Je ne puis donc, messieurs, que vous inviter de nouveau à la prompte et ponctuelle exécution des instructions contenues dans ma lettre du 16 août dernier.
« Vous voudrez bien m'informer sans délai de la suite qui sera donnée à cette affaire. »
« Le commissaire d'arrondissement,
« P. de Smet. »
Depuis, avertis par la rumeur publique, la veuve et les représentants de Van Heck, crurent de leur devoir d'intervenir. Qu'y a-t-il, en effet, de plus sacré, de plus inviolable qu'un tombeau devant lequel doivent se taire toute rancune, tout esprit de parti ?
Le 24 octobre 1855, indignée de ce qui se tramait dans l'ombre, ils firent signifier par le ministère d'un huissier l'opposition formelle à l'administration communale d'obéir aux ordres du gouvernement, la rendant responsable de toute violation de sépulture. (Interruption.)
Je ne sais si nous avons un ministère de plus, un ministère des interruptions et des grognements.
Les représentants de Vanheck firent donc signifier, le 24 octobre 1855, l'exploit que voici :
« L'an mil huit cent cinquante-cinq, le vingt-quatre octobre,
« A la requête de Marie-Florence Pierret, veuve de Pierre-François Vanheck, fileuse, demeurant à Thollembeek, agissant tant en nom personnel que comme tutrice légale de Léocadie, Louis-Philippe, Hippolyle, Mélanie et Hortense Vanheck, ses cinq enfants mineurs retenus de son mariage avec ledit Vanheck.
« Attendu que ma requérante, malgré l'invraisemblance du fait, a appris par la rumeur publique, qu'étant sur le point de céder à la pression d'un pouvoir latent, l'autorité se disposerait à faire exhumer le cadavre de son mari, pour le faire inhumer dans un autre endroit du cimetière de Saint-Pierre-Capelle, destiné, d'après ce qu'on prétend, à servir de sépulture aux mécréants ;
« Attendu que telle exhumation serait un opprobre immérité fait à la mémoire de son défunt époux, et porterait en même temps gravement atteinte à l'honneur, à la considération et à l'avenir de ma requérante et de ses enfants ;
« Attendu que non seulement le bourgmestre a la police et la surveillance des cimetières, mais qu'il en a l'autorité ;
« Attendu que son défunt mari a, depuis son baptême jusqu'à son dernier soupir, fait partie de la communion catholique, apostolique et romaine, et qu'il en a toujours religieusement observé les pratiques ;
« Vu le décret du 23 prairial an XII ;
«S i est-il que je, Florestan Simon, huissier près le tribunal de première instance séant à Mons, de résidence à Braine le-Comte, dûment patenté, soussigné, à la requête que dessus, ai par les présentes fait défense à M. le bourgmestre de Saint-Pierre-Capelle de faire exhumer le cadavre du mari de ma requérante, ou de laisser procéder à cette illicite opération et je l'ai sommé de s'y opposer non labialement mais coercitivement à péril d'être pris à partie tant civilement que criminellement du chef de violation de sépulture et d'être personnellement responsable de tous dommages-intérêts, indemnités et réparations quelconques ;
« Et pour que mondit sieur bourgmestre n'en ignore, je lui ai laissé étant en son domicile et parlant à son épouse ainsi déclarée copie du présent dont le coût est de seize francs quatre-vingt-dix-neuf centimes.
« (Signé) : F. Simon. »
Enfin les bourgmestre et échevins répondirent à la dernière dépêche du 2 octobre par une lettre du 31 octobre qui est marquée tout à la fois au coin de la fermeté, de la prudence et de la modération et que voici :
« St-Pierre-Capelle, le 31 octobre 1855.
« Monsieur le commissaire,
« En réponse à votre lettre du 2 de ce mois, n°1161, nous avons l'honneur de vous mander que nous ne pouvons que suivre la voie qui nous a été indiquée par le ministère précédent et que la mesure qui alors a été prise est aujourd'hui un fait accompli, avec d'autant plus de raison qu'une mesure contraire pourrait être considérée comme une violation de sépulture et que nous ne pouvons pas nous exposer à des poursuites criminelles ou correctionnelles dont nous menacent déjà la veuve et les enfants du défunt Vanhecke comme conste de l'exploit de l'huissier Simon, de résidence à Braine-le-Comte, en date du 24 de ce mois et dont vous trouverez ci-joint une copie simple.
« Dans tous les cas, l'opinion publique partage entièrement la marche que nous avons suivie.
« Et s'il pouvait y avoir des doutes sur une question de cette importance en présence du conflit qui surgit à la suite d'opinions diverses manifestées par le ministère actuel et par celui auquel il a succédé, en présence de l'opinion publique, en présence enfin des prétentions formulées par les représentants légaux du défunt, il y aurait tout au moins lieu à faire lever ces doutes par les tribunaux, seule autorité compétente pour décider la question. »
Et maintenant le ministère délibère de nouveau. Que fera-t-il dans la position difficile qu'il s'est créée ?
S'il persévère dans sa téméraire injonction, il sera réduit à faire procéder d'office à l'exhumation, car l'administration persévérera dans son refus de violer la loi, et ne voudra pas se rendre coupable d'une violation de sépulture, car elle se rappellera l'article 360 du Code pénal qui porte en termes : Sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de dix à deux cents francs quiconque se sera rendu coupable de violation de tombeau ou de sépulture, sans préjudice de toutes peines du chef d'autres crimes ou délits qui pourront y être joints.
S'il recule, il aura compromis la dignité du pouvoir et mis à nu la soumission qu'il avait montrée dans le principe aux exigences de M. le desservant.
Certes, l'alternative n'est pas belle.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, la Chambre comprendra qu'il m'est impossible de suivre l'honorable préopinant dans le long réquisitoire qu'il vient de prononcer contre moi. S'il m'avait fait l'honneur de me prévenir de l'interpellation qu'il se proposait de m'adresser, je me serais mis en mesure de soutenir le débat, je me serais entouré de toutes les pièces de cette affaire et la discussion aurait pu aboutir. Tout ce que je puis me rappeler en ce moment c'est que j'ai trouvé cette affaire engagée lors de mon entrée au département de la justice ; je n'y ai remarqué que les caractères d'une affaire ordinaire, tellement ordinaire que c'est à peine si je me souviens du nom de la commune et des individus dont il s'agit. Elle ne m'a pas frappé un instant, j'y ai vu une affaire administrative des plus simples, ne reflétant pas une ombre de clérical ou d'exigence émanant de quelque pouvoir occulte. C'est une affaire dans laquelle j'ai appliqué les principes qui régissent la matière, c'est-à-dire le décret du 25 prairial an XII. Je me fais fort de prouver, si la Chambre le désire, que je me suis borné à concilier deux grands intérêts : la liberté des cultes et le sentiment religieux.
M. Verhaegen. - Je suis loin de me refuser à une remise ; une remise s'accorde toujours. Je ne puis cependant admettre le prétexte qu'invoque M. le ministre de la justice. Je n'accepte pas non plus le reproche de ne lui avoir pas communiqué les pièces.
L'affaire est toute récente ; M. le ministre s'est trompé quand il a dit qu'il avait trouvé cette affaire engagée à son entrée au ministère, car l’individu est mort le 28 mai, et c'est le 31 mars que l'administration dont il fait partie s'est formée.
En outre cette affaire a donné lieu à une correspondance très vive, elle a été sérieusement examinée, car M. le ministre dit dans sa correspondance qu'il l'a sérieusement étudiée et l'administration communale s'est refusée à exécuter les ordres du gouvernement, elle lui a dit en face : Je n'exécuterai pas vos ordres ! Et elle a bien fait. Je vous demande si c'est la une affaire ordinaire. Je n'accepte pas cette défaite.
M. le président. - L'intention de M. Verhaegen et de M. le ministre est d'ajourner le chapitre VIII à demain. (Adhésion.)
Nous passons au chapitre IX.
M. le président. - M. Moreau a déposé un amendement qui consiste à réduire de 100,000 à 80,000 fr., pour le supprimer en 1857, le crédit destiné aux frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu.
La parole est à M. Moreau pour développer son amendement.
M. Moreau - Je l’ai développé hier.
(page 93) M. Rodenbach. - Je viens combattre cet amendement.
J’ai demandé à la séance d'hier qu'on fît table rase des dépots de mendicité. J'ai proposé un système nouveau, j'ai demandé la décentralisation. Je veux qu'il n'y ait pas de locaux de luxe, de nouveaux hospices à établir. Je veux que chaque ville, chaque commune entretienne ses pauvres, empêche la mendicité, qu'elle donne de l'ouvrage à ceux qui en ont besoin, et, quant aux vagabonds et aux malfaiteurs, on doit les faire reconduire par la gendarmerie dans leur commune, où l'on doit les protéger et leur donner de l'ouvrage. J'ai donné un exemple emprunté aux Flandres et notamment à l'arrondissement de Roulers. J'ai parlé de 25 hospices de vieillards soutenus par les bureaux de bienfaisance. Avec un léger subside de 16 p. c. par individu, l'on peut subvenir à leurs besoins
Il en serait de même des mendiants, des vagabonds, pourvu que le gouvernement donnât des subsides pour acheter ou louer quelques parties de terres. Cela ne coûterait pas 1,200,000 fr. On cherche des économies : ce serait une véritable économie de 800,000 fr., car je suis convaincu qu'avec 400,000 fr. on pourvoirait à tous les besoins.
Je combats la proposition de réduire le chiffre de 20,000 fr. Quand il s'agit d'une dépense de 1,200,000 fr., réduire de 20,000 fr. c'est marchander, c'est liarder, si je puis m'exprimer ainsi. Si vous voulez détruire cette lèpre des dépôts de mendicité, dont on ne veut plus en France, dont on ne veut plus nulle part, vous devez attendre un moment moral et après un mûr examen résoudre à fond cette question qui est extrêmement grave.
M. de Steenhault. - Je ne suis pas le partisan des dépôts de mendicité, je les crois une institution détestable qui nous a fait un mal immense. Chaque année, depuis que j'ai l'honneur de siéger ici, je réclame leur suppression, et cependant je ne puis, à mon grand regret, m'associer à la proposition de l'honorable M. Moreau.
Quoique parfaitement fondée, cette proposition me paraît inadmissible dans ce moment, et je ne crois pas que l'honorable membre lui-même persiste quand il aura réfléchi aux inconvénients qui en résulteraient, et voici pourquoi :
Sans compter, messieurs, que nous ne pouvons pas convenablement changer incidentellement toute une législation par le vote d'un budget de dépenses, la suppression des dépôts est-elle réalisable sans changer toute la législation ? Je ne le pense pas.
Les dépôts de mendicité ne sont pas l'objet principal de la législation existante, ils n'en sont que le corollaire, que la conséquence, mais la conséquence nécessaire.
Vous ne pouvez toucher aux dépôts de mendicité sans rendre votre législation boiteuse, souverainement injuste, ou parfaitement inapplicable.
Quoique vous considériez ces établissements comme lieu d'asile ou lieu de répression, avant de les supprimer, vous aurez à définir quand la mendicité et le vagabondage, qui ne constituent pas des délits par eux-mêmes, qui ne sont coupables que par les circonstances qui les accompagnent, seront punis, et de quelle nature sera la répression.
Du reste, messieurs, je me joins de grand cœur aux honorables membres qui demandent la révision complète de cette législation.
Si je me taisais cette année, c'est par découragement, parce que je commençais à désespérer.
La suppression des dépôts ne fait pour moi aucun doute. Je dirai même plus : je vais plus loin que beaucoup d'entre vous qui réclament leur suppression, et je prétends que vous ne gagnerez rien à les supprimer, si vous les remplacez par des fermes-dépôts, en quelque sorte communaux, comme l'ont demandé MM. T'Kint et Rodenbach.
Vous ne feriez que répartir sur le pays entier un réseau de petits dépôts, avec tous les inconvénients que vous signalez aujourd'hui pour les grands et qui ne vous manqueront pas au bout d'un certain temps.
C'est toujours le même principe, et là est le mal. C'est le principe qui est mauvais.
Le principe de ces établissements est un premier pas de fait vers le droit au travail, à l'entretien, et pour qu'il n'entraîne pas avec lui des abus intolérables, il faudrait commencer par réformer l'humanité.
Vous ne ferez jamais qu'avec ce principe-là vous n'ayez bientôt exubérance et que la fainéantise ne s'autorise de ce prétendu droit pour vivre sans peine et sans souci.
Le travail naturellement rebute l'homme. Il cherchera toujours à y échapper.
Il faut qu'il lui soit en quelque sorte imposé.
Cette obligation du travail, vous ne la trouvez que dans la nécessité ou la moralité, et les dépôts de mendicité sont la négation absolue de ces deux conditions.
Le travail n'y est qu'accessoire. La démoralisation y est profonde.
Tout en étant donc au fond parfaitement d'accord avec l'honorable M. Moreau, je ne demanderai cependant pas la suppression immédiate des dépôts.
Je me bornerai à prier M. le ministre de bien vouloir faire distribuer le rapport de la commission instituée pour la révision de la loi et à lui demander l'engagement de présenter à la fin de cette session ou tout au plus tard dans les commencements de la prochaine, un projet de révision complet.
Voilà deux ans, nous disait-il hier, que cet objet se trouve à l'étude à son département. C'est pour moi une raison de plus de penser que ma demande n'a rien d'exorbitant.
Quant à la question d'argent, M. le ministre, qui nous l'opposait hier, n'a pas à s'en préoccuper.
Quand le projet sera discuté, ce sera à la Chambre à décider si cette considération est de nature à en rendre l'ajournement nécessaire.
M. Verhaegen. - Messieurs, je dois encore fixer l'attention de la Chambre sur une nouvelle violation de loi de la part de M. le ministre de la justice, et en même temps sur un fait qui, pour me servir d'une expression très douce, témoigne d'une légèreté inconcevable. Il s'agit d'un arrêté du 9 octobre dernier qui statue sur une difficulté qui a surgi entre la ville d'Anvers et la ville de Bruxelles, au sujet de l'entretien à l'hôpital St-Pierre à Bruxelles d'une fille qui avait son domicile de secours à Anvers.
Cette affaire, messieurs, est de la plus haute gravité ; elle est en même temps de la plus haute importance pour la ville de Bruxelles.
Aux termes de la loi de 1845, tout indigent a droit à des secours provisoires dans la ville où il se trouve, sauf à cette dernière à récupérer ses avances contre la ville où ledit indigent a son domicile de secours. M. le ministre de la justice, par l'arrêté qu'il a contre-signé, déclare qu'il y a à cette loi de 1845, générale dans ses termes et dans son esprit, une exception pour les cas d'une maladie toute spéciale, pour la syphilis ; en outre par cet arrêté, il donne à la malheureuse dont le nom est en jeu la qualification de prostituée, alors que c'est une simple servante qui ne figure sur aucune liste de prostituées dans aucune ville de la Belgique. Il lui imprime pour sa vie entière le stigmate de la prostitution.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Et c'est moi qui ai fait cela ?
M. Verhaegen. - Je vais vous le prouver.
M. Prévinaire. - Vous en avez la responsabilité.
M. Verhaegen. - Voici le Moniteur, partie officielle, du 23 octobre :
« L'arrêté que j'ai l'honneur de soumettre à la signature de Votre Majesté décide la question de savoir si les frais de traitement, dans les hôpitaux, des filles publiques atteintes de maladies syphilitiques, doivent rester à la charge de la commune dans laquelle elles se livrent à la prostitution, ou si ces frais doivent lui être remboursés par la commune du lieu du domicile de secours, conformément à l'article 13 de la loi du 18 février 1845.
« J'ai consulté les députations permanentes des conseils provinciaux du royaume ; six de ces collèges ont exprimé l'opinion que ces frais doivent rester à la charge de la commune où la fille publique a exercé la prostitution. Cependant un d'entre eux fonde uniquement son opinion sur des motifs d'équité ; quant aux autres collèges, ils pensent que le traitement des maladies syphilitiques dans les hôpitaux étant par lui-même une mesure de salubrité locale, c'est aux communes auxquelles cette salubrité importe à en supporter les frais aux termes de l'article 131, n°11, de la loi du 30 mars 1836 ; qu'il paraîtra toujours immoral de faire supporter cette charge par les établissements de bienfaisance.
« Ce système me paraît seul conforme à l'esprit de la législation. Lorsque l'administration de la commune où les filles publiques se livrent à la prostitution, sur la surveillance qu'elle organise, prend des mesures pour assurer les effets de cette surveillance, son but n'est pas de soulager l'indigent sans ressources, et de prendre une mesure dans l'ordre de la bienfaisance, seul objet de la loi du 18 février 1845.
« Elle se propose exclusivement de satisfaire à un intérêt spécial de localité, que les articles 96 et 131, n°11 de la loi du 30 mars 1836, me paraissent confier à sa vigilance.
« Il est incontestable, et il n'est pas contesté que les frais de surveillance sanitaire des prostituées, tels que ceux qui résultent de visites fréquentes, du renvoi en observation de celles de ces filles dont la santé est douteuse, etc., rentrent dans la catégorie des frais relatifs à la salubrité, que la loi du 18 février 1845 n'a pas eu en vue. Or ces frais procèdent du même principe que les frais de guérison. Si les dépenses relatives à la surveillance tiennent à des mesures de salubrité locale, il n'est pas possible de considérer les dépenses faites à fin de guérison, qui ne sont elles-mêmes qu'une conséquence de cette surveillance, de considérer, dis-je, ces dépenses comme résultant d'un secours accordé pour motif de bienfaisance à la décharge de la commune du domicile.
« Surveillance et guérison sont ici deux termes inséparables, ayant un caractère également préventif ; où l'une n'a pu préserver du mal, c'est à l'autre à intervenir, et les frais qui en résultent ayant la même origine, doivent suivre le même règlement.
« Cette vérité paraît avoir été sentie par les conseils communaux du royaume. Presque tous leurs règlements sur la prostitution comprennent les dispositions qui concernent la surveillance, comme celles qui concernent la guérison, sous la dénomination de mesures de police et de salubrité. Et, en effet, le traitement est ordonné à titre de surveillance, et ne peut en être séparé.
« L'objet de la loi du 18 février 1845 est de régler, entre les communes du royaume, le payement d'une dette qui a pour toutes son principe et son but dans une obligation mutuelle, basée sur les devoirs imposés à la bienfaisance publique. Or, les frais de surveillance et de guérison des prostituées surgissent à raison de la prostitution même, dont certains besoins d'un ordre spécial nécessitent la tolérance dans les grands centres de (page 94) population. Occasionnés par la prostitution et faits pour elle, ils sont nécessaires, non point parce que l'humanité les commande, mais parce que la prudence les conseille.
« Il est vrai que la loi du 13 février 1845 ordonne le remboursement, par la commune du domicile de secours, des frais de traitement médical
« La fille publique, guérie, retourne à l'exercice de la prostitution, pour rentrer à l'hôpital dès qu'elle est atteinte de nouveau. Il y a là une succession de frais sanitaires qui deviendraient intolérables pour la commune du domicile et qui, évidemment, ne peuvent être compris dans la catégorie des secours provisoires dont la loi du 18 février 1845 prescrit le remboursement.
« Les dispositions de quelques articles de cette même loi apportent à ce système une nouvelle démonstration. Mais à cet égard, je crois pouvoir me référer aux motifs de l'arrêté que j'ai l'honneur de soumettre à l'approbation de Sa Majesté. »
« Léopold, etc.,
« Vu les avis des députations permanentes des conseils provinciaux du Brabant et d'Anvers, relativement au différend qui s'est élevé entre les villes de Bruxelles et d'Anvers, au sujet du remboursement des frais de traitement de Dewolf (Marie), envoyée à l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, le 29 juillet 185i4 pour y être traitée, comme fille publique atteinte d'une maladie syphilitique ;
« Considérant qu'il est incontestable, et qu'il n'est pas eu effet contesté que les frais de surveillance sanitaire des prostituées, tels que ceux qui résultent de visites fréquentes ou périodiques, de mise en observation, en cas de suspicion, et d'autres de même nature, sont à la charge de la commune à laquelle cette surveillance importe ;
« Considérant que les frais de traitement des prostituées atteintes d'une maladie syphilitique, et les frais de surveillance sanitaire reposent sur le même principe, et résultent d'une seule et même obligation ;
« Que par conséquent on ne peut admettre que les premiers soient remboursables si les seconds ne le sont pas ;
« Considérant que la loi du 18 février 1845, invoquée par la ville de Bruxelles, a pour objet de régler l'obligation générale imposée à toutes les communes du royaume, de venir au secours de l'indigent, afin que l'une ne puisse se soustraire à ce devoir d'humanité, en le faisant retomber sur une autre ; d'où la conséquence que le soin de réglementer la prostitution ne rentre pas dans le domaine de cette loi ;
« Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 13 février 1845, la dépense, pour être remboursable, doit résulter d'un secours auquel l'homme nécessiteux a droit ; qu'aux termes de l'article 19 de cette loi, aucune autre dépense n'est remboursable, pas même celle qui résulterait d'un secours accordé par motifs de justice et d'humanité ;
« Considérant que la dépense faite pour la guérison d une prostituée a son principe et sa fin en dehors de ce droit à l'assistance, que peut invoquer l’indigent an nom de la nécessité ;
« Considérant que la dépense, pour être remboursable, doit en outre s'offrir avec le caractère d’une avance (article 12 combiné avec l'article 21) ; que, pour qu'il en soit ainsi, la commune qui réclame d'une autre le remboursement de ses débours, doit avoir payé la dette de celle-ci ;
« Considérant que l'obligation de réglementer la prostitution naît de circonstances spéciales, laissées à l'appréciation des communes où elles se présentent ; que, particulière à certaines localités, cette obligation ne se produit pas pour la généralité des autres, et que dès lors, ces dépenses ne peuvent jamais avoir le caractère d'une avance ;
« Par ces motifs,
« Attendu que la demande en remboursement des frais d'entretien, occasionnés à la ville de Bruxelles par Dewolf (Marie) a pour objet des frais d'entretien d'une nature différente de ceux qui font l'objet de l'article 12 de la loi du 18 février 1845, et dont l'article 13 de cette loi prescrit le remboursement aux communes, domicile de secours ;
« Attendu que les frais de traitement de la prostituée, comme telle, concernent exclusivement un intérêt local, étranger aux devoirs qui incombent à la bienfaisance publique :
« Vu l'article 20 de la loi du 18 février 1845 ;
« Sur la proposition de Notre Ministre de la justice,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Article unique. La ville de Bruxelles est déclarée non fondée dans la demande qu'elle a formée, en vertu de l'article 13 de la loi précitée du 18 février 1845, du chef des frais d'entretien qui lui ont été occasionnées par Dewolf (Marie), fille publique, envoyée, comme telle, à l'hôpital Saint-Pierre, le 29 juillet 1854. »
Je le répète, messieurs, le fait qu'on a mentionné en toutes lettres dans l'arrêté royal et dans le rapport qui le précède, est absolument inexact. La fille Marie Dewolf n'est pas une fille publique-, et elle n'a pas été envoyée à l'hôpital Saint-Pierre comme prostituée. La preuve en est dans le rapport du 8 novembre courant mois, qui a été soumis au conseil général des hospices de la ville de Bruxelles, puis transmis à l'autorité communale et qui doit se trouver aujourd'hui entre les mains de M. le ministre de la justice.
Voici la partie de ce rapport qui concerne l'objet dont je m'occupe :
« Messieurs, je dois de nouveau signaler au Conseil une décision de l'autorité supérieure, basée sur un fait complètement inexact.
« Ce rapport est suivi d'un arrêté royal, daté du 9 octobre, qui déclare la ville de Bruxelles non fondée dans sa réclamation en payement des frais occasionnés à l'hôpital Saint-Pierre par Marie Dewolf.
« Cet arrêté royal porte entre autres :
« Attendu que la demande en remboursement des frais d'entretien occasionnés à la ville de Bruxelles par Dewolf (Marie) a pour objet des frais d'entretien d'une nature différente de ceux qui font l'objet de l'article 12 de la loi du 18 février 1845 et dont l'article 13 de cette loi prescrit le remboursement aux communes domicile de secours ;
« Vu, etc.
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. unique. La ville de Bruxelles est déclarée non fondée dans la demande qu'elle a formée, en vertu de l'article 13 de la loi précitée du 18 février 1845, du chef des frais d'entretien qui lui ont été occasionnés par Dewolf (Marie), fille publique, envoyée comme telle à l'hôpital St-Pierre, le 9 juillet 1854. »
« Sans m'arrêter à la question de savoir si les considérations sur lesquelles s'appuient le rapport adressé au Roi par M. le ministre de la justice et l’arrêté royal du 9 octobre dernier, pour décider que le traitement des prostituées, atteintes de la syphilis, incombe aux communes où elles se livrent à la prostitution, sont ou non fondées en droit, je crois devoir relever que le principe que tend à faire prévaloir ledit arrêté n'est pas applicable à Marie Dewolf.
Celle-ci n'est pas une fille publique, et elle n'a pas été envoyée comme telle à l'hopilal Saint-Pierre, ainsi que le porte inexactement l’arrêté royal du 9 octobre.
« Marie Dewolf est une servante et non pas une prostituée ; elle n'a pas été envoyée, mais elle s'est rendue volontairement à l'hôpital Saint-Pierre le 29 juillet 1854 pour y recevoir les soins que sa maladie réclamait. Lorsque le différend existant entre l'administration et la ville d’Anvers, au sujet du payement des frais d'entretien de Marie Dewolf, a été soumis à la décision de l'autorité supérieure, le conseil a eu soin d'y annexer copie des pièces de la correspondance échangée au sujet de cette affaire, et ces pièces constatent, d'une manière péremptoire, que Marie Dewolf n'est pas une prostituée et qu'elle n'a pas été envoyée à l'hôpital Saint-Pierrc par la police.
« Il s'ensuit de deux choses l'une, ou que l'on ne s'est pas donné la peine de lire les pièces ou que l'on a voulu, sans motif ni raisons, imposer la charge de l'entretien de Marie Dewolf à la ville de Bruxelles, quoique, d'après le rapport adressé au Roi, et les considérants sur lesquels s'appuie l'arrêté royal du 9 octobre, cette charge ne lui incombait pas.
« Il est d'autant plus regrettable que l'on ait apporté si peu de soin dans l'examen de l'affaire dont il s'agit ou tant de partialité dans la décision, qu'indépendamment de la charge que veut imposer injustement à la ville de Bruxe.lcs l'arrêté royal du 9 octobre dernier, celui-ci donne à Marie Dewolf, et cela publiquement, une qualification injurieuse qui est de nature à lui ôter, peut-être pour toujours, ses moyens d'existence.
« Quoi qu'il en soit, j'ai l'honneur de prier le Conseil de bien vouloir examiner si, pour les motifs qui précèdent, il n'y a pas lieu de demander la révision de l'arrêté royal du 9 octobre dernier.
« Je joins à mon rapport une déclaration de la police constatant que Marie Dewolf n'a jamais été inscrite comme prostituée à Bruxelles. »
Il a déjà été assez malheureux, pour la fille Dewolf, d'avoir été séduite et d'avoir été victime d'un abus de confiance peut-être. (Interruption.) Lorsque, dans un arrêté royal on imprime à une malheureuse le stigmate de la prostitution qui lui restera pour toujours, je crois qu'il y a là quelque chose d'odieux et qu'il importe que la réparation soit aussi publique que l'injure l'a été. Quant à moi, je crois remplir un devoir de bon citoyen en m'efforçant de démontrer que le fait allégué dans l'arrêté royal est un fait inexact.
Maintenant M. le ministre va nous dire sans doute qu’il n'est pas responsable de cette allégation ; mais qui donc en sera responsable si ce n'est pas lui ?
(page 95) N'ai-je pas eu le droit de dire, en commençant, que c'est un acte marqué au coin de la légèreté la plus grande, pour me servir, je le répète, d'une qualification aussi douce que possible ?
Ainsi, messieurs, en fait l'arrêté manque de base et fût-il vrai en droit, autant que cela n'est pas, qu'une prostituée, doit être guérie aux frais de la ville où elle a exercé la prostitution, cela ne s'appliquerait pas à Marie Dewolf, puisqu'elle n'est pas une prostituée.
Mais l'arrêté manque également de base en droit et il constitue une violation formelle de la loi de 1845. Toutes les subtilités qu'on rencontre dans les documents relatifs à cet acte ne peuvent point faire fléchir la loi.
La loi de 1845 met à la charge de la commune du domicile de secours les frais avancés pour l'indigent qui a été guéri dans une autre commune et elle ne fait aucune distinction. L'article 12 est général et l'article 13 n'en est que le corollaire ; je défie M. le ministre de trouver quoi que ce soit dans la loi de 1845, qui puisse l'autoriser à faire l'exception qu'il a faite par son arrêté du 9 octobre.
Si les considérations qu'a fait valoir M. le ministre de la justice étaient fondées, ce qui certes n'est pas mon avis, il y aurait lieu à faire une loi nouvelle, il y aurait lieu à faire une exception pour le cas dont il s'agit ; mais aussi longtemps que l'exception n'a pas été faite, la loi doit recevoir son exécution, et M. le ministre s'est mis par l'armé du 9 octobre au-dessus de la loi.
Mais, messieurs, examinons ces considérations Elles seraient bonnes peut-être, si on pouvait obliger la ville où se trouve la prostituée, à la faire guérir ; mais l'arrêté, quoiqu'il soit, ne pourra jamais avoir ce résultat et qu'arrivera-t-il ? C'est que la ville et notamment la ville de Bruxelles renverra à leurs communes respectives toutes les filles qui, à Bruxelles, seraient atteintes de la syphilis.
En comprenez-vous la conséquence ? Evidemment la ville de Bruxelles ne peut pas être obligée à faire guérir, malgré elle et sans obtenir la restitution de ses avances, toutes les filles, en grand nombre, qui se trouveraient dans son enceinte. Elle renverra donc à Anvers, à Gand, dans toutes les communes du plat pays, toutes les malheureuses qui se trouveraient dans cette position. Encore une fois, comprenez-vous les conséquences d'un pareil état de choses ?
M. Coomans. - On ne peut pas les renvoyer.
M. Verhaegen. - Je serais charmé que l'honorable M. Coornans voulût bien prouver son assertion.
Non, vous ne pouvez pas les renvoyer, si vous exécutez la loi de 1845 dans le sens que j'y attache et je vais le prouver.
J'ai dit qu'il y a un principe général dans la loi de 1845 ; ce principe est écrit dans l'article 12.
« Art. 12. Tout indigent, en cas de nécessité, sera secouru provisoirement par la commune où il se trouve. »
L'article 13 corrobore l'article 12 ; il est ainsi conçu :
« Art. 13. Si la commune où des secours provisoires sont accordés n'est pas le domicile de secours de l'indigent, le recouvrement des frais pourra être poursuivi et obtenu conformément aux articles suivants.
« Le remboursement ne pourra être refusé sous le prétexte que l'individu secouru n'était pas indigent, sauf le recours que pourra exercer contre celui-ci la commune qui aura effectué le remboursement. »
L'article 17, que cite l'honorable M. Coomans en m'interrompant, est ainsi conçu :
« Art. 17. Le renvoi pourra être différé, lorsque l'état de l'indigent l'exigera.
« Il pourra n'avoir pas lieu, si l'indigent est admis ou doit être traité dans un hospice ou institut spécial qui n'existerait pas dans la commune où il a son domicile de secours. »
Dans ce cas-là, la ville où existe cet hospice spécial a certes le droit, aux termes de l'article 13, de demander la restitution des avances. Ainsi, on ne peut pas renvoyer les filles de cette espèce, si on exécute la loi. Mais si vous dites aux villes où de pareilles fuies se trouvent : « Nous ne restituerons rien, c'est à vous de les guérir, » la ville répondra : « Je n'ai à guérir personne et je renvoie la fille dans la commune où elle a son domicile de secours, ou je la fais entrer comme vagabonde à l’établissement de la Cambre. »
Est-ce cela que l'on veut ? C'est la mesure que la ville de Bruxelles prendra, d'après ce que me dit l'honorable M. Thiéfry, si l'arrêté était exécuté de cette manière.
En résumé, cet arrêté viole la loi de 1845 et consacre une monstruosité qu'il est de la dignité et de la bonne foi du gouvernement de réparer publiquement, j'en adjure M. le ministre de la justice. S'il a été induit en erreur, qu'il confesse cette erreur à la tribune et qu'il rende à la fille Dewolf la justice qui lui est due ; car quel que soit le malheur qui puisse arriver à une fille de cette classe, il ne faut cependant pas la ranger dans une catégorie à laquelle elle n'appartient pas.
M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, s'il était vrai que la malheureuse, dont a parlé l'honorable M. Verhaegen, quoique atteinte d'une maladie houteuse, ne pouvait pas être qualifiée comme elle l'a été dans l’arrêté royal, ce ne serait point à moi qu’il serait possible de reprocher la grande publicité que cette erreur (si erreur il y a) va recevoir.
Si l'honorable membre n'avait réellement eu en vue que l’intérpet de cette fille, il eût évité l'éclat de la tribune : une simple réclamation suffirait pour faire rectifier les faits, dès qu'ils étaient reconnus inexacts.
Mais tout en proclamant la nécessité d'une réparation, à raison d'une publication faite dans un journal qui ne sort guère du cercle officiel, c'est dans cette enceinte que l'on vient donner lecture d'une délibération qui m'est destinée, dit-on, et dont je n'apprends l'existence qu'en même temps que vous tous, messieurs.
Quoi qu'il en soit, on comprend que j'ai besoin de consulter le dossier. Tout ce que je puis faire remarquer dès à présent, c'est que je n'ai certainement point inventé les faits à raison desquels était débattue la question sur laquelle je me suis prononcé.
Voilà pour la question de fait.
Quant à la question de droit, je déclare ne pas vouloir entamer une discussion sur ce point avec l'honorable préopinant. Ma réponse est au Moniteur ; j'y ai développé les raisons qui m'ont fait adopter cette jurisprudence.
Si j’avais inauguré une doctrine pareille à celle que préconise l'honorable M. Verhaegen, c'est alors que j'aurais encouru des reproches mérités et je me serais plutôt coupé la main que de chercher à étayer sur le texte de la loi, la justification d'une odieuse immoralité.
J'adjure la Chambre de vouloir bien relire attentivement le rapport que j'ai adressé au Roi et les considérants de l'arrêté ; elle appréciera le système que j'ai embrassé de concert avec six députations permanentes, les commissions d'hospices de plusieurs grandes villes ; entre autres la commission des hospices de Gand qui s'est prononcée très récemment dans le même sens.
Je borne là mes observations, je répète encore en terminant que je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans la discussion de la question du droit.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne comprends vraiment pas les arguments de M. le ministre de la justice ; il voudrait s'être coupé la main, plutôt que d'avoir adopté une jurisprudence contraire à celle que nous combattons ; mais à ce compte M. le ministre de la justice aura donc à se couper la main chaque fois qu'il posera des actes de cette nature et que ces actes donneront lieu à des critiques.
L'honorable ministre nous convie à lire son rapport. J'ai lu ce rapport. J'ai passé en revue toutes les raisons sur lesquelles M. le ministre s'est appuyé dans ce document, et j'ai dit à la fin de mon discours : « Les raisons que M. le ministre de la justice a donnés, ne peuvent pas faire fléchir les dispositions formelles de la loi de 1845. »
A mon tour, j'adjure la Chambre de vouloir bien peser les raisons que j'ai données contre le rapport, et l'on verra s'il y a violation ou non de la loi de 1845.
C'est une loi très simple, le texte ne comporte pas d'exception. L'article 12 est formel, l'article 13 corrobore l'article 12, et l'article 17 que m'objectait l'honorable M. Coomans, vient encore à l'appui de mon opinion.
Un seul mot sur la question de fait. On dit que c'est moi qui ai donné de l'éclat à cette affaire, et que s il y a un mauvais côté pour cette malheureuse fille, c'est à moi qu'on doit l'attribuer.
Messieurs, qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai trouvé au Moniteur, dans le Journal officiel, c'est-à-dire dans l’acte le plus public qu'il puisse y avoir, j'ai trouvé une qualification qui est erronée. Et que suis-je venu dire à la tribune ? Je suis venu dire que c’était là le résultat d'une légèreté inconcevable, qu'il y avait erreur. Comment pouvais-je rendre service à une malheureuse dont la réputation a été injustement flétrie, si ce n'était en venant attaquer une qualification qui se trouvait dans les colonnes du Journal officiel ?
M. Wasseige. - L'interprétation donnée par M. le ministre de la justice à la question de savoir par qui doivent être supportés les frais résultant du traitement des prosliiuees dans les hôpitaux syphilitiques n'est pas nouvelle ; déjà sous les administrations précédentes elle avait été résolue dans le même sens par la plupart des députations permanentes et notamment par celle de la province de Namur qui toujours a mis à la charge des communes où étaient situés les hôpitaux syphilitiques, l'entretien des prostituées qui s'y faisaient traiter. En effet, il ne s'agit pas ici de l'application des dispositions de la loi de 1845 sur le domicile de recours.
Les prostituées dont il s'agit dans l'espèce ni sont pas des indigentes et l'obligation qui leur est imposée de se faite traiter dans des établissements spéciaux dérive d'un véritable règlement de police communale, c'est une question d'hygiène ; or, ce règlement est essentiellement dans l'intérêt de la commune qui le fait, et pour sauvegarder la santé de ses habitants, il est donc de toute justice que la commune à l’avantage de laquelle ce règlement s'exécute supporte seule les frais qu'occasionne son exécution, toute autre interprétation serait souverainement injuste, et ce n'est que par la confusion de deux choses essentiellement distinctes, que l’honorable M. Verhaegen a cru devoir appliquer à ce cas les dispositions de la loi de 1845 sur le domicile de secours dont il ne s’agit nullement dans l’espèce.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.