(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 35) M. Ansiau fait l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. le président. - Hier il y a eu un doute sur le chiffre de la majorité qui s'était prononcée contre l'amendement de M. Vandenpeereboom. Nous avons proclamé 49 voix contre 42 ; les vérifications auxquelles nous nous sommes livres ont constaté que la majorité a été de 48 contre 43. L'erreur sera rectifiée dans le procès-verbal de demain.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Faes, ancien militaire, demande une pension. »
M. Lelièvre. - La réclamation du pétitionnaire doit être examinée, elle est urgente ; je demande le renvoi de la pétition à la commission qui sera invitée à faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs brasseurs de la ville de Mons deman ent que l'orge soit comprise parmi les céréales à prohiber à la sortie. »
M. Lange. - Je demanderai le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur les denrées alimentaires.
- Cette proposition est adoptée.
« La veuve du sieur Brismoutier, ancien gendarme, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - La députation chargée de présenter au Roi l'adresse en réponse au discours du Trône a été reçue avec le cérémonial accoutumé. Sa Majesté a fait la réponse suivante :
« Messieurs,
« Je vous remercie des sentiments toujours si sympathiques et si dévoués que la Chambre des représentants m'exprime par votre organe.
« Il nous est permis de contempler avec bonheur le tableau des vingt-cinq premières années de notre indépendance nationale. La Belgique et sa dynastie se sont loyalement associées pour assurer et pour consolider cette indépendance, elles ne peuvent que gagner à identifier toujours leurs intérêts et à confondre leurs destinées. »
- Cette réponse sera imprimée et distribuée.
M. le président. - La section centrale, qui a examiné le projet, en propose le rejet.
M. Osy. - Messieurs, je viens combattre la proposition de la section centrale et appuyer le projet du gouvernement.
Vous connaissez, messieurs, l'historique de ce chemin de fer. En 1851, lors de laj discussion du grand projet de travaux publics, un crédit de 500,000 fr. a été alloué pour le chemin de fer de Contich à Lierre. Depuis est survenue la concession du chemin de fer de Lierre à Turnhout, et le gouvernement a accordé, en faveur de cette ligne, un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur une somme qui a été débattue depuis et qui a été fixée de manière que la dépense annuelle à résulter éventuellement de cette garantie, serait de 172,000 fr.
Depuis que le chemin de fer de Turnhout est en activité, le gouvernement a trouvé convenable de faire un arrangement avec la société, non seulement pour faire exploiter la route de Lierre à Contich, mais encore pour que les voyageurs et les marchandises pussent arriver directement à Anvers.
La section centrale n'approuve pas l'arrangement provisoire qui a été fait par le gouvernement. Messieurs, j'ai examiné avec attention les différentes phases de cette affaire, et j'ai trouvé que jusqu'aujourd'hui on a dépensé pour le chemin de fer de Contich a Lierre, quia une longueur de 6 kilomètres à peu près, une somme de 365,000 francs. Mais il faudra encore dépenser 325,000 fr., de manière que ce chemin de fer, qui devait coûter primitivement 500,000 fr., coûtera 690,000 fr. si le gouvernement l'achève. On ne pourra pas avoir sur ce petit tronçon moins de trois remorqueurs.
L'arrangement fait par le gouvernement tend à faire rembourser par la société toutes les sommes qu'il a dépensées jusqu'aujourd'hui, et à exiger de cette société l'engagemeut d'achever entièrement la route depuis Lierre jusqu'à Turnhout.
Comme compensation de ce sacrifice que s'impose la société, le gouvernement consent à ce qu'elle puisse venir directement de Turnhout, avec ses trains de voyageurs, jusqu'à la station d'Anvers et avec ses trains de marchandises jusqu'à l'entrepôt. Si la compagnie du chemin de fer de Turnhout n'a que trois convois aller et venir par jour, ce sera un revenu annuel de 40,000 à 41,000 fr. pour l'Etat. Certainement, pendant l'été, la société aura besoin de plus de trois convois.
Mais je ne vais pas au-delà des trois convois auxquels la compagnie est tenue, et je répète qu'elle aura, de ce chef seul, à payer à l'Etat une somme de 40,000 fr. par an. Ajoutez-y le remboursement de la somme que le gouvernement a déjà dépensée, et vous devez être assurés qu'il s'agit là d'une bonne opération pour l'Etat.
Ce n'est pas tout. Vous savez que Contich est à 10 ou 11 kilomètres d'Anvers, et à 30 ou 32 kilomètres de Bruxelles. Il est impossible d'avoir à Contich une coïncidence de convois pour que les voyageurs, en destination, soit pour Anvers, soit pour Bruxelles, ne soient pas obligés d'attendre.
Il y a toujours un retard forcé pour l'un ou pour l'autre de 3/4 d'heure, Turnhout n'étant qu'à huit lieues d'Anvers, et Lierre à trois lieues, si les voyageurs doivent attendre 3/4 d'heure à Contich, les diligences qui desservent aujourd'hui ces localités pourront continuer à marcher certaines que les voyageurs leur donneront la préférence et qu'elles continueront à faire le transport des voyageurs. Si le chemin de fer de Turnhout ne rapporte rien, vous comprenez que le gouvernement sera tenu de payer le minimum d'intérêt, ce qui peut monter à 160,000 francs.
Je suis persuadé que si la compagnie est autorisée à emprunter le chemin de l'Etat, il n'y aura pas de perte, que la société gagnera au moins les intérêts du capital affecté à la construction et que le gouvernement ne sera pas appelé à payer même une partie de la garantie d'intérêt. Mais si la société ne peut pas aller directement à Anvers, dans l'impossibilité d'établir une coïncidence, le chemin serait inutile pour les voyageurs et les marchandises, et une très facheuse affaire pour la société.
Le gouvernement doit faciliter la circulation non seulement vers Anvers, mais dans toutes les directions.
Quelques personnes pensent que c'est une innovation de la part du gouvernement que d'accorder à une compagnie le parcours sur le chemin de fer de l'Etat.
Messieurs, le gouvernement a non seulement concédé à des sociétés différentes le parcours sur le chemin de fer de l’Etat, mais dans la loi même sur les concessions on a prévu les cas où la faculté d'accorder ce parcours lui serait laissée.
Des recherches que j'ai faites, il résulte que ce parcours sur le chemin de fer de l'Etat a été accordé à sept compagnies, à la société d'Entre-Sambre-et-Meuse, de Marchienne à Charleroi, à la société du chemin d'Erquelinnes à Charleroi, à la société de Châtelineau à Charleroi, à la société de Charleroi à Morialmé et à la société du chemin de fer d'Audenarde à Gand, et à cette dernière, en vertu de la loi sur les concessions que vous avez votée. C'est là un antécédent qui s'appuie sur la loi même.
Il est certain que si le gouvernement vent exploiter ces six kilomètres, il éprouvera un grand préjudice. Je crois qu'il est plus avantageux pour l'Etat de rentrer dans les avances qu'il a faites et de fournir aux populations les moyens d'arriver le plus tôt possible, aussi bien à celles qui se transportent de Contich vers la capitale qu'à celles qui se rendent au chef-lieu de la province. Le moyen que j'indique serait avantageux pour les voyageurs et pour le gouvernement, surtout en ce moment que son matériel est insuffisant pour exploiter le chemin de fer de l'Etat. Le chemin de fer qui va s'ouvrir au mois de mai prochain aura besoin d'un grand matériel, et vous aurez un déficit.
Aujourd'hui déjà il y a des plaintes nombreuses sur l'insuffisance du matériel ; cette insuffisance augmentera si l'Etat exploite la ligne de Contich à Lierre, et c'est ce que vous éviterez en adoptant le projet de loi.
On dira qu'on ne veut pas accorder à une compagnie le droit de passer sur le chemin de fer de l'Etat. Mais, vous comprenez que si ce droit n'est pas accordé à la compagnie, le transport des marchandises d'Anvers à Lierre devra se faire par le matériel de l'Etat, et ce sera une cause de plus pour augmenter l'insuffisance de ce matériel.
Je crois donc que l’intérêt général et le désir que vous avez d'être le plus utile possible à la Campine, doivent vous engager à admettre le projet de loi.
Je ferai d'ailleurs remarquer que la convention qui sert de base au projet a été faite, non par l'honorable M. Dumon, mais par le précédent ministère. Car je trouve que dans l'acte de concession que nous avons voté pour le chemin de fer de Lierre à Turnhout. L'honorable M. Van Hoorebeke a fait prendre à la société l'engagement de reprendre la ligne de Contich à Lierre au prix coûtant, si le gouvernement trouvait convenable de le céder.
Messieurs, vous connaissez la position du gouvernement. Vous savez ce qui lui reste à faire pour les stations. Je crains bien que si nous n'adoptons pas la loi, Lierre ne reste encore pendant longtemps sans station définitive. Jusqu'ici rien n'y a été fait ; il s'y trouve seulement un mauvais cabaret où les voyageurs peuvent s'arrêter. Si au contraire le gouvernement cède son chemin de fer, il obligera la société à faire la station. Il en est de même pour Contich. Il ne s'y trouve pas de station. Les voyageurs descendent sur la voie et doivent attendve, dans une maisonnette, le passage des convois d'Anvers à Bruxelles.
Il est temps qu'un pareil état de choses finisse, lorsque nous volons des projets de loi, nous devons en désirer l'exécution. Eh bien, je désire l'exécution complète de ce chemin de fer, et je désire également que le chemin de fer de Turnhout puisse être utile à la Campine. Je crois que la ville de Lierre, la Campine et tous les voyageurs qui (page 36) parcourront cette ligne seront charmés d'être transportés très vite, soit à Bruxelles soit à Anvers.
J'espère donc que les éclaircissements qu'on pourra encore donner feront revenir les membres de la section centrale de leur intention de repousser le projet de loi. Je vois d'ailleurs par les procès-verbaux des sections que celles-ci n'ont pas été hostiles au projet. Il en est qui se sont abstenues jusqu'à ce que des renseignements eussent été donnés par le gouvernement, mais elles ne se sont pas montrées hostiles à la loi.
On ne peut donc dire que c'est l'opinion des sections que vous soumet la section centrale. Je remarque aussi par ces procès-verboux que des sections ont cru que le gouvernement laisserait parcourir gratuitement par la compagnie le chemin de fer de l'Etat. Mais il n'en est rien, nous voyons dans le rapport le tarif des redevances que doivent payer les sociétés qui se servent du chemin de fer de l'Etat, et en appliquant ce tarif, j'ai calculé, je l'ai déjà dit, que pour trois convois seulement, le gouvernement recevra une somme de 40,000 fr. par an, somme qui augmentera encore si la société croit devoir augmenter le nombre de ses convois.
M. Loos. - Je ne rappellerai pas à la Chambre ce que j'ai dit lorsqu'on a proposé l'établissement d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout. Les circonstances ont prouvé que dans toutes mes allégations j'avais parfaitement raison. Il en est cependant une qui a quelque connexion avec le projet de loi actuel, c'est que le chemin de fer vers Turnhout n'était pas établi dans des conditions assez favorables aux rapports existants entre Anvers et Turnhout ; qu'Anvers, plus que tout le reste du pays, avait des relations avec Turnhout, et que c'était dans une direction directe vers Anvers qu'on eût dû établir la ligne. La Chambre en a décidé autrement ; je ne reviens pas sur ce point.
Aujourd'hui il s'agit de céder à la compagnie du chemin de fer de la Campine le petit tronçon de Contich à Lierre. Quels sont les motifs que l'on invoque ? On dit que les voyageurs et les marchandises doivent pouvoir venir de Turnhout à Anvers et d'Anvers à Turnhout sans transbordement à Contich ou ailleurs. Sur ce point, je suis parfaitement d'accord tant avec les demandeurs en concession qu'avec le projet de loi et avec mon honorable ami le baron Osy. Je reconnais aussi que ce chemin de fer doit présenter pour le public toute l'utilité possible. Or, comme c'est de cette utilité qu'on a argumenté, sauf quelques économies de dépenses pour l'Etat sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, il me semble que nous devrions être tous d'accord.
Il n'y a de différence dans nos opinions que celle-ci : c'est que nous demandons que le gouvernement exploite d'Anvers à Lierre et que la compagnie exploite de Lierre à Turnhout, que le matériel de l'un et de l'autre se confonde, comme cela a lieu sur toutes les lignes oh se rencontrent des embranchements ou des correspondances, et que l'un tienne compte à l'autre de l'usage de son matériel. Les voyageurs ainsi n'auront pas à subir le moindre transbordement, n'éprouveront pas la moindre perte de temps, car je suis d'avis que c'est l'exploitation de Lierre, de Turnhout à Anvers qu'il faut surtout avoir en vue, sans y rattacher avec beaucoup d'embarras une correspondance avec Bruxelles. La distance de Contich à Anvers n'est que de quelques kilomètres et les voyageurs de Lierre pour Bruxelles pourront y prendre les convois pour cette dernière ville. Il est impossible de bien desservir les deux correspondances à la fois. Or, comme les relations les plus importantes existent entre Lierre et Anvers, c'est en faveur de ces relations que le chemin de fer doit être exploité.
Mais comment se fait-il que partageant la manière de voir sur laquelle on s'appuie pour faire à la compagnie de Lierre à Turnhout la concession que l'on nous propose, nous ne soyons pas d'accord ? Nous voulons l'exploitalion la plus parfaite, de façon à attirer sur cette ligne le plus grand nombre possible de voyageurs et de marchandises. Le seul point qui nous divise est celui-ci. La compagnie demande la cession de la ligne de Contich à Lierre et demande en même temps à pouvoir circuler sur le chemin de fer de l'Etat de Contich à Anvers. C'est, en d'autres termes, comme si la compagnie du Luxembourg, qui est à la veille d'achever sa ligne de Bruxelles à Namur, demandait à pouvoir aller jusqu'à Anvers. (Interruption.) Il y a 18 kilomètres de Lierre à Anvers. Qu'on ne s'y trompe pas ; un peu plus, un peu moins, le principe est le même. J'y vois une chose : c'est que l'Etat sera complètement dépouillé du bénéfice de l'exploitation. Qu'on ne perde pas de vue qu'il s'établit un chemin de fer de Maestricht à Aix-la-Chapelle. On en fait un de Maestricht à Hasselt. La compagnie de Turnhout arrive à Herenthals.
On vous demandera sans doute une concession pour exploiter de Herenthals à Iïasselt. Cela est très naturel, le projet semble même l'indiquer, et si ma mémoire est fidèle, l'intention en a été manifestée lorsqu'on a présenté le projet de loi accordant la concession. Eh bien, messieurs, voyez-vous la compagnie exploitant non plus la ligne de Turnhout, mais exploitant l'Allemagne aux dépens de l'Etat ! Les concessions de ce genre faites jusqu'ici auront déjà pour conséquence un déficit de 900,000 fr. à un. million dans les recettes du railway national ; si nous continuons à dépouiller ainsi l'Etat au profit des compagnies, les recettes sur lesquelles nous avons compté finiront par faire complètement défaut et il ne nous restera plus que les lignes essentiellement improductives.
Il faut absolument, messieurs, que le gouvernement exploite, je ne dirai pas jusqu'à Contich, mais jusqu'à Lierre. Seulement il doit s'entendre avec la compagnie comme il le fait partout où les lignes de l’Etat touchent à une ligne concédée. Je tiens à ce que le chemin de fer de Turnhout soit exploité de la manière la plus parfaite, mais je ne veux pas qu'on cède le chemin de fer de l'Etat.
Et pourquoi, messieurs, céderait-on le chemin de fer de l'Etat de Contich à Lierre ? Parce qu'il nous reste environ 300,000 fr. à dépenser pour l'achèvement des stations, dont la construction doit être faite à frais communs avec la compagnie. C'est donc à cause de 300,000 francs qu'on voudrait sacrifier tout l'avenir de cette route. Quant à moi, je ne puis consentir à ce qu'on dépouille l'Etat de cette façon.
Je désire que les chemins de fer rendent tous les services dont ils sont susceptibles mais ce ne doit pas être au détriment de l'Etat quand on peut faire autrement. Une autre considération, messieurs, émeut l'honorable baron Osy. Il fait ce raisonnement-ci : Nous avons garanti un minimum d'intérêt à la compagnie de Lierre à Turnhout ; si la compagnie fait des pertes, nous devrons payer ; il faut donc aider la compagnie à faire des bénéfices. Voyez d'ailleurs comme elle est généreuse, elle ne veut pas que l'on comprenne dans le parcours sur lequel porte la garantie d'intérêt, le tronçon de Lierre à Contich.
Je ne crois pas, messieurs, que ce soit là un sacrifice de la part de la compagnie, je crois, au contraire, que ce serait un grand sacrifice pour l'Etat, puisque le tronçon de Lierre à Contich est évidemment le plus productif et doit atténuer les pertes de la ligne de Lierre à Turnhout.
Messieurs, si la ligne de Hasselt à Herenthals doit se faire un jour, et je crois qu'il est dans l'intérêt du commerce qu'elle se fasse, puisqu'elle abrège la route vers l'Allemagne de 35 à 38 kilomètres, si elle doit se faire, je pense que ce doit être au profit de l'Etat ou tout au moins que l'Etat doit atténuer ses pertes par les recettes qu'il opérera sur une partie de la route. Je dis, messieurs, que si vous craignez d'avoir à couvrir les intérêts que vous avez garantis, c'est une raison de plus pour conserver la ligne de Lierre à Anvers, puisque vous trouveriez dans les bénéfices de cette ligne une compensation aux sacrifices que vous auriez à faire du chef de la garantie d'intérêt.
M. de La Coste. - Messieurs, j'entrerai dans un autre ordre d'idées que celui dans lequel se sont placés les deux honorables préopinants. Comme député de l'arrondissement de Louvain, je suis obligé de faire connaître une juste susceptibilité, une crainte qui n'est que trop légitime, si l'on ne me donne au moins quelque garantie.
Je laisse donc un moment de côté les questions qui viennent d'être soulevées ; ces questions sont graves, sans doute, mais qu'il me soit aussi permis d'en poser une. Elle est, si l'on veut, d'intérêt local, mais enfin l'intérêt général comprend l'ensemble de tous les intérêts locaux, et des voies de communication régulières et rapides entre toutes les localités finissent par constituer un grand et immense intérêt général.
Eh bien, messieurs, évidemment, l'intérêt que prennent quelques honorables membres à cette discussion ne concerne pas uniquement l'objet dont nous nous occupons directement, il concerne la jonction de cette voie ferrée, comme ou vient de le dire, avec Hasselt, et l'honorable député de Hasselt, qui siège à côté de moi, ne me démentira pas lorsque je dis que c'est là un motif pour lequel il prend intérêt à cette affaire. Eh bien, messieurs, c'est précisément ce qui fait naître ma crainte. Je me dis : la ville de Diest est à peu près de la même importance que la ville de Hasselt ; elle a, quoique un degré moindre, à peu près les mêmes objets d'activité commerciale ; elle n'a pas le bonheur d'être un des deux chefs-lieux de la province de Limbourg, mais elle est au centre d'un territoire très étendu qui n'a aucune voie de communication perfectionnée.
Si vous prenez un compas ouvert à un rayon de quatre ou cinq lieues, que vous placiez une pointe sur Diest et que vous promeniez l'autre sur la carte, vous embrassez un territoire très vaste, où il n'existe aucune de ces voies de communication régulière et accélérée qu'appelle l'état actuel de la civilisation. Eh bien, messieurs, ce chemin de fer qui va se prolonger sur Hasselt ne va-t-il pas ôter tout espoir, au moins prochain, à la ville de Diest, d'obtenir également d'être relié au railway ?
Nous avions l'espoir, la société concessionnaire de la Campine nous avait donné très positivement l'espoir qu'elle songeait à relier le chemin de fer qu'elle établissait, au chemin de fer de Louvain à la Sambre. Cet important raccordement eût passé par Aerschot ; on n'était plus alors qu'à une courte distance de Diest et on reliait cette ville au moyen d'un embranchement, qui n'aurait guère pu faire défaut.
Ce projet semble s'être évaporé en fumée, et c'est vers Hasselt qu'on veut pousser le chemin de fer de la Campine.
Maintenant quand vous aurez ainsi fait traverser par un chemin de fer le territoire que je viens de vous décrire, ce cercle de 4 à 5 lieues de rayon, non pas vers le centre, mais vers la circonférence, par le chemin de fer de Turnhout à Hasselt dont la voie qui nous occupe est une pierre d'attente, quand vous aurez de la sorte contourné Diest en l'évitant, n'aurez-vous pas concouru de nouveau à éloigner la réalisation de l'espoir que nous avions conçu, en différentes occasions, de voir relier Diest à un chemin de fer ? Le projet primitif du chemin de fer qui devait relier Anvers à l'Allemagne passait par Diest. On a cru faire mieux en faisant passer ce chemin de fer par Malines et Bruxelles. On voit maintenant ce qu'on verra toujours quand on veut embrasser trop d'objets à la fois ; on voit qu'il faudra en venir tôt ou tard à des communications plus directes. Quoiqu'il en soit, la première déception (page 37) pour Diest a été celle-là. Une seconde déception a eu lieu lorsqu'on a concédé le chemin de fer sur Hasselt.
D'après le projet primitif, ce chemin devait bifurquer d'une part sur Hasselt, de l'autre sur Diest. Hasselt a eu sa voie, Diest a été oubliée.
Quand on a concédé le chemin de fer de la Sambre à Louvain, il devait y avoir un embranchement sur Diest ; cet embranchement a été également abandonné.
Lors de la discussion du chemin de fer de la Campine, il a été question, comme je l'ai déjà dit, d'en faire comme un prolongement du chemin de fer de la Sambre à Louvain. C'était là une grande idée.
Vous mettiez la Campine en communication avec les lieux de production de la chaux, du fer et d'autres objets très nécessaires pour l'exploitation de la Campine. D'autres plans destinés à relier Diest au chemin de fer de l'Etat ont également avorté.
C'est dans une semblable situation qu'on me demande de concourir ù un acte législatif qui peut avoir des avantages, mais qui serre un peu plus le lacet passé autour du cou de la ville de Diest ; peut-on exiger raisonnablement de moi que je remplisse un semblable office envers une localité importante à laquelle je dois de l'intérêt ?
Je n'ai pas encore sur cette affaire une opinion arrêtée ; mais j'ai des doutes et je demande des explications, non pas précisément à l'honorable M. Coomans, qui réclame la parole, non pas précisément à l'honorable M. de Theux, par les motifs que j'ai indiqués, mais à M. le ministre des travaux publics. Si l'honorable ministre peut me dire qu'il songe à mettre la ville de Diest, qui est une localité aussi importante que tant d'autres qui jouissent du chemin de fer, à la mettre en communication avec le réseau national, que la loi que je voterai n'y apportera aucun obstacle, alors, j'émettrai un vote affirmalif ; à moins que l'intérêt général n'y mette des obstacles que je ne vois pas bien clairement. Car enfin les objections soulevées jusqu'à présent ne sont peut-être pas tellement graves qu'elles doivent déterminer mon vote ; mais j'avoue que je ne contribuerai pas à causer, par mon vote, un tort peut-être irréparable à une localité à laquelle je porte intérêt et qui en mérite de la part de la Chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, en présentant ce projet de loi à la fin de la dernière session, je ne m'attendais pas à rencontrer l'opposition qui s'est manifestée d'abord dans le rapport de la section centrale et que je retrouve dans les discours des honorables MM. Loos et de La Coste.
Les motifs qui ont déterminé le gouvernement à présenter ce projet de loi, étaient presque connus à l'avance. Car si cela n'a pas été dit publiquement, au moins on l'a fait pressentir souvent depuis la concession du chemin de fer de Lierre à Turnhout.
A toute époque, quand il a été question de ce chemin de fer, on a pensé, on a peut-être même écrit qu'il était convenable de le voir directement relié au chemin de fer de l'Etat. C'est pour satisfaire à ce vœu, que je croyais général, que le département des travaux publics, à une époque où je n'avais pas l'honneur de le diriger, a commencé une négociation avec la compagnie concessionnaire.
Le motif principal qui a dirigé le département dans cette circonstance, est celui-ci : que l'exploitation d'une petite ligne est très difficile, compliquée, onéreuse.
Une exploitation pareille est difficile, à cause du personnel, du matériel peu nombreux, des transports incomplets ; elle est onéreuse et désagréable pour les voyageurs, lente, pénible, coûteux pour les marchandises.
Ce n'est pas la première ligne de l'espèce qui se trouvait entre les mains de l'Etat. Le gouvernement avait déjà antérieurement construit la ligne de Landen à Saint-Trond et en avait commencé l'exploitation.
Il a été démontré par cette exploitation combien il était difficile de satisfaire à toutes les exigences du service. La Chambre, partageant en cela l'opinion du gouvernement, a consenti d'abord à l'aliéner au profit de la compagnie du chemin de fer de Tournai à Jurbise, et en dernier lieu à l'aliéner définitivement en l'abandonnant complètement à la compagnie du chemin de fer de Hasselt à Maestricht.
Ainsi, le département des travaux publics avait devant lui un exemple, exemple ratifié par des votes de la Chambre, votes émis à une forte majorité, et il ne croyait pas présenter devant vous un acte exceptionnel, extraordinaire, digne d'attirer une opposition bien sérieuse, puisqu'il ne faisait en cela que marcher sur les traces que mes honorables devanciers avaient cru pouvoir suivre.
L'abandon qui a été fait de la ligne de Landen à St-Trond n'a pas été fait dans des conditions aussi avantageuses que celles que uous proposons aujourd'hui pour la ligne de Contich à Lierre, car là, l'abandon a été gratuit.
Une véritable prime a été accordée à une compagnie jour prolonger notre railway, tandis qu'ici la compagnie, pour le prolonger, rembourse intégralement à l'Etat la somme qu'il a dépensée jusqu'ici, de manière que la ligne de Lierre à Conticb nous coûtera beaucoup moins que celle de Lierre à Turnbout, puisque pour celle-ci, il y a la garantie d'un minimum d'intérêt et qu'il n'y en a pas du tout pour l'autre.
En m'appuyaut sur un précédent, je croyais avoir posé un acte beaucoup plus avantageux pour l'Etat. Dans le premier cas, il s'agissait d'une concession gratuite ; dans le second cas, l'acte était une véritable vente dont l'Etat sortait parfaitement indemne.
Je croyais donc que par la combinaison du gouvernement, nous atteignions le double but que nous nous proposions, c'est-à-dire, diminuer, d'un autre côté, la complication du service et les dépenses de l'exploitation, de l'autre, la chance, pour l'Etat, de payer le minimum d'intérêt que l'Etat a garanti vis-à-vis de la compagnie.
L'honorable M. Loos voit un argument sérieux contre le projet du gouvernement, dans la pensée d'exécution d'un chemin de fer dont la réalisation est probablement éloignée, d'un chemin de fer à construire entre Herenthals et Hasselt ; et, dans son opinion, la création de ce chemin de fer serait désastreuse pour l'Etat, si la loi qui vous est proposée était adoptée, tandis que ce désastre serait singulièrement atténué, si la loi était repoussée.
Et cependant le petit ironçon qu'il s'agit d'aliéner n'est que de sept kilomètres, et le transit de l'Allemagne serait compromis si l'Etat concède ce tronçon et il cesserait de l'être si l'Etat conservait ces sept kilomètres. L'honorable membre comprend la section entière de Co-tich à Anvers, ce ne serait plus 7 kilomètres, mais 16.
Qu'est-ce que c'est que 16 kilomètres sur la ligne directe d'Anvers au Rhin ? L'honorable M. de La Coste trouve une objection dans un autre intérêt engagé, il invoque la situation de la ville de Diest. Plusieurs fois cette ville a eu l'espoir de se voir relier au chemin de fer de l'Etat par les travaux des compagnies.
L'honorable membre demande si dans un avenir plus ou moins prochain j'ai l'espoir de construire un chemin de fer destiné à relier à notre réseau cette cité importante. Le système des constructions par l'Etat est abandonné, depuis quelque temps les seules lignes qu'on construise sont toutes des lignes concédées à des particuliers, les unes à titre gratuit, les autres à titre onéreux ; bien que des projets consistant en lignes tracées sur des cartes soient déposés chaque jour, je ne puis dire que quelques-uns de ces projets soient arrivés à maturité d'études et de capitaux, du moins je n'en connais aucun qui se trouve dans ces conditions et qui ait pour objet de relier Diest au réseau national.
Mais je demande quelle influence cela peut avoir sur l'objet qui nous occupe. Le chemin de fer de Contich à Lierre appartient aujourd'hui à l'Etat, que demain il passe entre les mains d'une compagnie, en quoi cela peut-il diminuer les chances de Diest à être reliée au chemin de l'Etat ?
M. de La Coste. - Par l'embranchement sur Hasselt.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Mais si le tronçon dont il s'agit reste à l'Etat, cette section s'exécutera-t-elle moins ? Elle s'exécutera, que la ligne de Contich à Lierre appartienne à l'Etat ou à une compagnie.
L'honorable rapporteur voit un argument sérieux conlre le projet dans la question financière. Suivant lui l'exploitation sera très avantageuse ; par conséquent c'est un véritable cadeau que l'on fait à la compagnie en lui abandonnant cette ligne. Elle ne coûtera que 650 mille francs. L'honorable membre évalue le produit brut à 234,282, elle produit net à je ne sais quelle somme, mais représentint 25 p. c.
C'est une folie, dit-il, c'est un cadeau à la compagnie.
Je prie de remarquer que les bases de ses évaluations sont sans analogie avec le chemin qui nous occupe ; ainsi il a pris la moyenne du mouvement et du produit des chemins de fer de l'Etat.
Or, on sait que les petits parcours occasionnent beaucoup plus de frais que les parcours à longue distance ; ainsi, il y a beaucoup plus de graissages, de repos.
Peut-on comparer les frais d'exploitation d'un tronçon de 5 kilomètres à la moyenne de la dépense du raihvay national ; peut-on comparer les produits de la ligne de Lierre à Contich avec ceux de nos lignes ?
La section de Lierre à Contich est petite, difficile à exploiter, traverse un pays bien peu industriel, peut-on supposer que son produit égalera la moyenne de la recette générale de nos lignes ?
L'expérience est là pour nous démontrer le contraire. Pendant les six mois d'exploitation dont nous connaissons les résultats, les produits ont été tellement faibles qu'on n'a pas cru devoir les faire entrer en ligne de compte.
L'honorable rapporteur a été chercher quel était le produit moyen des chemins de fer exploités par l'Etat ; il a trouvé qu'il était de 36,000 francs par kilomètre et il en a conclu que la ligne de Contich devait rapporter 234,000 francs.
En réalité, le chemin de Contich est loin d'avoir donné de pareils résultats.
Vous voyez comme il y a loin de ce produit aux évaluations du rapporteur ; le bénéfice piésumé a été loin de se réaliser. Vous devez conclure qu'il y a lieu d'abandonner la ligne en question et que personne ne peut penser que nous ferons un beau cadeau à la compagnie. Si l'affaire rapporte l'intérêt ordinaire de l'argent, la compagnie pourra se trouver fort heureuse.
Une autre objection de la section centrale porte sur l'article 12 stipulant l'autorisation à la compagnie de faire circuler son matériel sur le chemin de fer de l'Etat de Contich à Anvers. Cependant ce n'est pas une innovation.
Cette chose se trouve dans beaucoup de conventions, et je n'ai pas de motif de croire que nous ayons fait un mauvais acte d'administration en la stipulant en faveur de la compagnie de Turnhout à Lierre. Ces conventions de parcours réciproque du matériel ont pour but de rendre (page 38) l'exploitation plus facile, plus commode, moins dispendieuse, d'éviter les ruptures de charge, les retards, les transbordements de voyageurs. La nécessité en a été si bien reconnue qu'un certain nombre de compagnies ont obtenu à des conditions différentes la permission de circuler sur le chemin de fer de l'Etat. Ainsi la compagnie d'Entre-Sambre-et-Meuse, de Marchiennes à Charleroi, la compagnie de Charleroi à Erquelinnes, sur la même section de Morialmé à Charleroi, la ligne d'Audenarde à Gand a la permission de faire circuler son matériel sur les lignes de l'Etat.
Les sections ont cru que ce parcours était gratuit, et elles ont demandé qu'on ne l'accordât que moyennant une remise de 50 p. c. du produit brut du transport, comme cela se fait pour le chemin de fer de Jurbise. Je crois que les conditions imposées sont plus avantageuses à l'Etat qu'une remise de 50 p. c. sur le produit brut.
Les calculs de l'honorable M. Osy et ceux qui ont été faits dans mon administration démontrent que ce parcours sera payé à un taux raisonnable et réellement rémunérateur.
De plus, le système adopté a un autre avantage sur celui qui était préconisé par les sections, c'est que la redevance est perçue d'après le nombre des voitures et des locomotives qui parcourent la voie. Au point de vue de la comptabilité, c'est une grande simplification. Il est facile de compter les voitures. Mais le trafic de 50 p. c. entraîne des complications de comptabilité dont on s'aperçoit tous les jours en réglant les comptes des recettes avec la compagnie du chemin de fer de Tournai à Jurbise.
Au reste, si cette convention qui a été critiquée donnait lieu à des inconvénients graves, il serait facile d'y remédier. Ce n'est pas une concession définitive ; c'est un projet de convention. Il avait été élaboré à l'époque où le projet de loi vous a été soumis. Depuis, les objections qui ont été soulevées et que le département des travaux publics a examinées avec une sérieuse attention ont fait arrêter toutes les négociations. La convention reste comme un texte soumis aux délibérations. Mais il n'est pas impossible de l'améliorer. Sous ce rapport, je n'ai aucune espèce d'idée arrêtée ; je suis prêt à introduire, et je ne doute pas que la compagnie ne soit prête à adopter les améliorations propres à faciliter le service et ies relations. Sous ce rapport, j'attendrai de la discussion toutes les améliorations qui pourront être indiquées.
M. Osy. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mois à mon honorable ami M. Loos.
L'honorable député d'Anvers craint que, lorsqu'on fera le chemin de fer d'Herenthals à Anvers cela ne fasse pas beaucoup de tort au chemin de fer de l'Etat, et que les relations directes avec Anvers n'aient lieu par cette voie. Mais ne voyons-nous pas la compagnie du Nord, depuis l'ouverture de la ligne de Bruxelles à Cologne par Sl-Quentin, Erquelinnes et Namur emprunter la ligne de l'Etat de Charleroi à Namur ? Il y a donc des concessions de ce genre déjà faites par la loi. En effet, nous voyons qu'il y a déjà six compagnies qui peuvent faire passer leurs trains sur la ligne de l'Etat.
Si le gouvernement devait exploiter comme il exploite la ligne de Jurbise, il aurait une très grande perte ; car M. le ministre des travaux publics vient d'indiquer la recette de plusieurs mois et de faire connaître que la recette est en moyenne de 5,000 fr. par mois. Certainement l'exploitation d'une petite ligne de 6 à 7 kilomètres coûtera plus de 50 p. c. de la recette, ce qui est le taux moyen de l'exploitation de l'Etat ; de manière que les 60 mille francs de recettes seront bien vite absorbés ; car, pour ces 7 kilomètres, vous ne pouvez vous passer de trois remorqueurs. Il faudra un personnel assez considérable. Entre Contich et Lierre, contrée très peuplée où il y a beaucoup de chemins qui traversent le chemin de fer de l'Etat, il faudra un grand nombre de gardes-barrières et par conséquent une très grande dépense pour l'Etat.
L'honorable M. Loos trouve la somme que nous avons à recevoir très petite, parce que nous n'avons que 325 mille francs à recevoir. Mais il faut considérer que l'on nous rembourse les 365 mille francs que nous avons dépensés ; de manière que l'on nous paye en réalité 685,000 fr. Le matériel nous coûterait au moins 300,000 fr. Voilà donc près d'un million que bénéficie le gouvernement.
Je ne veux pas faire les affaires de la compagnie de Turnhout. Je ne considère que l'intérêt du pays. Mais je suis persuadé que si vous n'admettez pas que ce tronçon de chemin de fer soit exploité par la compagnie, s'il doit être exploité par l'Etat, il lui coûtera une somme considérable.
Je pense qu'il est très avantageux de rentrer dans ses débours et de ne pas faire des dépenses nouvelles, notamment pour le matériel qui est déjà insuffisant, ainsi que l'honorable M. Loos et moi avons eu l'occasion de le constater dans le conseil permanent du chemin de fer.
Par ces considérations, je crois qu'il convient d'approuver la convention.
Le gouvernement verra s'il y a des améliorations à introduire dans la convention qui n'est que la conséquence de la concession. On fera toutes les modifications nécessaires, raisonnables.
Il est certain que, quand nous faisons des lois, nous faisons quelque chose de sérieux. Il est certain que, quand nous faisons un chemin de fer dans cette partie du pays, nous voulons que les voyageurs arrivent promptement à Anvers, chef-lieu de la province.
Or, aujourd'hui les départs sont arrangés de telle sorte que toujours on doit attendre trois quarts d'heure. C'est pour éviter ce retard de trois quarts d’heure que le gouvernement a fait cette convention.
Je dis donc que, dans l'intérêt de tous, le projet doit être adopté.
On craint le chemin de fer de Herenthals à Hasselt qui pourra se faire. Je dis que la construction de ce chemin de fer est dans la nature des choses. Vous avez bien accordé la concession d'un chemin de fer de Namur à Liège. Tout le monde prévoyait que tôt ou tard la compagnie du Nord chercherait à établir des trains directs entre Paris et Berlin sans passer par Bruxelles.
C'est ce qui a lieu aujourd'hui. On arrive à Saint-Quentin, de Saint-Quentin à Erquelinnes, et l'on se rend en Prusse par Namur et Liège en quelques heures de moins que par Bruxelles. L'Etat peut y perdre un peu ; mais il faut envisager l'intérêt général, et l'intérêt du public est de voyager le plus économiquement possible.
(page 41) M. Frère-Orban. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable ministre des travaux publics nous dire que la convention qu'il soumettait à l'examen de la Chambre avait déjà des précédents, que déjà des concessions analogues, le parcours sur le chemin de fer de l'Etat, avaient été faites à d'autres compagnies et qu'il s'étonnait par conséquent de l'opposition que le projet de loi rencontrait.
Je pense que l'honorable ministre des travaux publics est dans l'erreur.
L'honorable ministre des travaux publics demande à la Chambre à la fois la faculté de céder le chemin de fer de Lierre à Contich et d'autoriser le parcours sur le chemin de fer de l'Etat de Contich à Anvers. C'est en vertu d'un contrat qui serait passé avec la compagnie que cette cession, sous la condition que je viens d'indiquer, aurait lieu. L'exposé des motifs dit clairement que la simple cession de la voie de Contich à Lierre, est repoussée par la compagnie isolément, que la compagnie n'entend accepter la cession de cette partie du chemin de fer qu'à la condition bien expresse de jouir du parcours sur le chemin de fer de l'Etat.
Oui, messieurs, c'est de la plus haute imporiance. Il en résulte comme conséquence inévitable que la condition que fait la compagnie et que le gouvernement demande à être autorisé à accepter, serait irrévocable, et aurait la même durée que la concession.
C'est bien ainsi que l'entend M. le ministre des travaux publics ? (M. le ministre fait un signe d'assentiment.)
Or, messieurs, il n'existe, à ma connaissance, aucune convention ayant un pareil caractère.
Je conçois parfaitement que le gouvernement établisse de bonnes relations avec les compagnies concessionnaires. Je désire et j'y ai toujours convié, que ces rapports soient bons et loyaux, qu'il y ait avec les compagnies concessionnaires de véritables rapports d'associés. Je désire que les compagnies soient aussi bien traitées que possible ; je désire que les arrangements à conclure avec les concessionnaires soient faits en vue de l'intérêt public.
Nous ne pouvons pas admettre que le chemin de fer ne soit dans les mains de l'Etat que le moyen de doter les compagnies. Les compagnies oni à exécuter loyalement aussi les engagements qu'elles ont contractés vis- à-vis de l'Etat, et il ne faut pas que par des conditions du genre de celle qui nous est proposée, et d'autres dont j'aurai à m'occuper quand l'occasion se présentera, on augmente la somme des avantages qui ont été promis à ces compagnies, en nuisant à la fois à l'intérêt général et au trésor public.
Le gouvernement a fait divers arrangements avec des compagnies pour le passage des convois, l'usage des stations ou le parcours réciproque du matériel sur les voies. J'ai sous les yeux la convention qui a été faite pour le chemin de fer de l'Etat et le raimway concédé de Charleroi à la frontière de France. J'ai sous les yeux la convention réglant les relations provisoires du chemin de fer de Wavre à Louvain, et du chemin de fer concédé de Charleroi à Louvain. J'ai sous les yeux la convention réglant les objets de service entre le railway de l'Etat et le chemin de fer concédé d'Entre-Sambre-et-Meuse. Ce sont les actes auxquels M. le ministre des travaux publics a fait allusion. Or, que lisons-nons dans toutes ces conventions ?
Dans la première, je trouve ce qui suit : « La présente convention recevra son exécution à partir du jour où le chemin de fer de Charleroi à la frontière de France sera mis en exploitation. Elle pourra être dénoncée pour cesser ses effets moyennant avis donné six mois à l'avance. »
Dans l'autre convention, toute récente, du 6 février 1855, il est encore dit : « La présente convention recevra son exécution à partir du jour de la mise en exploitation de la section de Wavre à Louvain.
« Elle sera annulée de plein droit le jour où cette section sera reliée au chemin de fer de Wavre à Charleroi ou à une section de cette voie ferrée. Elle pourra, d'ailleurs, être dénoncée pour cesser ses effets moyennant avis donné six mois à l'avance. »
La même stipulation se trouve encore dans la troisième convention.
Ainsi l'Etat n'est pas engagé d'une manière irrévocable. Il peut, après six mois, recouvrer sa liberté d'action.
(page 42) Il a cru convenable de faire certains arrangements pour le parcours sur les voies de l'Etat du matériel des compagnies. Il a stipulé les conditions qu'il a cru les plus favorables. Mais si dans l'exécution des inconvénients se révèlent, chaque six mois on peut revenir sur ces engagements.
Dans la convention qui nous est proposée, au contraire, on demande que l'Etat s'engage définitivement, irrévocablement, pendant toute la durée de la concession, à accorder le droit de parcours à la compagnie du chemin de fer de Turnhout à Lierre.
La différence est donc essentielle. Il est impossible d'établir la moindre analogie entre l'un et l'autre cas. Aussi le gouvernement n'a-t-il pas demandé à la Chambre d'être autorisé à faire les conventions auxquelles on fait allusion, tandis qu'il se croit obligé de réclamer une autorisation expresse pour signer définitivement le contrat exorbitant dont nous nous occupons.
Je ne dis pas, messieurs, qu'il n'y ait quelque chose à faire avec la compagnie de Lierre à Turnhout. Je crois qu'il y a des arrangements à prendre. Il faut les faire en vue de servir le mieux possible les intérêts publics, sans préjudicier à la compagnie, en lui étant même favorable, comme on le doit, sans nuire toutefois à l'Etat. Il y a des arrangements à prendre, on peut en imaginer de divers genres. L'honorable M. Loos a indiqué un mode parfaitement admissible ; c'est une convention en vertu de laquelle le gouvernement ferait l'exploitation jusqu'à Lierre, y viendrait prendre les convois de la compagnie, à des conditions à convenir et ferait ainsi cesser tous les inconvénients que l'on signale pour essayer de justifier le projet de loi. Le service serait ainsi parfaitement assuré ; le public n'aurait pas à en souffrir.
Dans le système que propose le gouvernement, il est évident qu'on cède des avantages considérables à la compagnie. En vain nous dit-on que l'Etat a garanti un minimum d'intérêt, sur la section de Lierre à Turnhout, et que la compagnie ne réclame rien pour l'exploitation de la ligne de Lierre à Contich.
Le gouvernement fait l'aveu dans l'exposé des motifs qu'il renonce, au profit de la compagnie, à un accroissement de recettes ; qu'il donne ainsi, en réalité, une garantie de minimum d'intérêt indéterminée et illimitée, ce qui est beaucoup plus sérieux qu'une garantie connue et limitée, en faveur de l'exploitation de cette ligne.
« Il est facile de comprendre, dit le gouvernement, que la compagnie aurait, en effet, un très grand intérêt à ce que ses convois pussent arriver jusqu'à la station d'Anvers et partir de ladite station. Cela serait également avantageux à la fois au public et à l'Etat : ce dernier est intéressé à ce que la ligne de Lierre à Turnhout, pour laquelle le gouvernement garantit un minimum d'intérêt, se trouve, à tous égards, dans des conditions d'exploitation aussi favorables qu'il est possible.
« A la vérité, on renoncerait, jusqu'à un certain point, pour la partie de la ligne du Nord s'étendant de Contich à Anvers, au bénéfice de l'accroissement des recettes des chemins de fer de l'Etat, qui devait résulter de la construction de l'embranchement de Contich à Lierre ; mais l'Etat resterait en possession du bénéfice de l'accroissement des recettes dont il s'agit, non seulement pour la partie de la ligne du Nord s'étendant de Contich à Bruxelles, mais aussi pour les lignes de l'Est et de l'Ouest qui s'embranchent à Malines et à celle du Nord. »
Ainsi vous le voyez, messieurs, le gouvernement reconnaît qu'il renonce, au profit de la compagnie, à un accroissement de ses recettes, et il se fait un mérite de ne pas avoir abandonné le même bénéfice, quant aux directions du Nord, de l’Est et de l'Ouest !
Je le répète, messieurs, la convention proposée me semble tout à fait exorbitante, et comme il s'agit d'un premier acte soumis à la Chambre, qui peut entraîner les conséquences les plus graves, je croîs que la Chambre fera bien de ne point le sanctionner.
Que le gouvernement essaye d'un autre arrangement avec la compagnie, qu'on ajourne l'examen du projet, j'y consens très volontiers, mais l'accepter, dès à présent, me paraît impossible. Nous ne savons pas quelles peuvent être les conséquences d'un acte semblable. Que demanderont les autres compagnies ?
On a cité la compagnie du Luxembourg : mais elle aura un argument très puissant à faire valoir ; elle sera reliée à la station du Nord ; lorsque la ligne sera entièrement achevé, elle aura à faire un parcours très considérable, elle dire : Laissez-moi passer jusqu’à Malines, jusqu’à Anvers. (Interruption). Il y aura plus d’arguments en faveur de la compagnie du Luxembourg, au point de vue de l’intérêt général, vu l’importance de cette ligne, qu’il n’y en a en faveur du petit chemin de fer de Lierre à Anvers.
Puis, messieurs, voyez quels sont ces grands avantages que veut faire la compagnie pour le service du public. La compagnie dit : Laissez-moi aller directement de Lierre à Anvers ; il n'y aura plus ni retards, ni transbordements, les voyageurs seront entièrement satisfaits. Oui, les voyageurs qui iront de Lierre à Anvers, mais les particuliers qui iront de Lierre à Malines ? On ne s'en occupe pas. Ceux-là pourront attendre.
M. Coomans. - On établira la coïncidence.
M. Frère-Orban. - On l'établira pour aller à Anvers. Le gouvernement peut le faire par le moyen que l'honorable M. Loos a indiqué. Il pourrait le faire encore, par exemple, en cédant l'exploitation de la ligne jusqu'à Contich et en établissant la coïncidence et vers Anvers et vers Malines. Dans le système de la compagnie, on n'évitera le changement de voitures que dans une direction.
M. Coomans. - C'est une erreur.
M. Frère-Orban. - Comment pouvez-vous dire que c'est une erreur ? La compagnie demande uniquement à établir des convois directs sur Anvers ; quant aux voyageurs qui voudront aller à Malines, est-ce que la compagnie les y conduira également ? Evidemment non. (Interruption.)
Ainsi, messieurs, les avantages pour le public sont très médiocres, et d'ailleurs, on peut les lui donner par une convention analogue à celles qui ont été faites avec d'autres compagnies, sans renoncer à aucun des bénéfices que les nouveaux chemins de fer doivent procurer à l'Etat.
Enfin la concession est irrévocable, elle consacre un droit de parcours sur la voie de l'Etat et quels que soient les inconvénients que l'expérience ferait reconnaître, il deviendrait impossible de les faire cesser.
(page 38) M. de Theux. - Messieurs, la principale objection qui est faite à la convention, a été présentée par l'honorable M. Loos. Il a prévu l'éventualité du prolongement du chemin de fer de Lierre à Hasselt pour former une deuxième ligne vers l'Allemagne. Eh bien, il me semble qu'il y aurait moyen de prévoir cette éventualité dans le contrat, si un jour le gouvernement et les Chambres avaient l'intention de prolonger ce chemin de fer aux frais de l'Etat. Pour ce cas, le gouvernement pourrait stipuler la résiliation du contrat moyennant le remboursement de la somme payée par la compagnie et des frais d'établissement des stations. De cette manière l'objection de l'honorable M. Loos vient à tomber complètement.
Pour le cas où le chemin de fer serait concédé, l'objection n'a pas de valeur, elle n'a de valeur que pour le cas où il serait exécuté aux frais de l'Etat. Eh bien, pour ce cas M. le ministre des travaux publics pourrait stipuler la résiliation, moyennant le remboursement du capital payé et des dépenses faites pour les stations.
Messieurs, cette ligne est dans les éventualités ; elle sera peut-être d'une nécessité bien démontrée pour soutenir la concurrence avec la Hollande, qui établit une voie de communication plus économique avec l'Allemagne ; d'autre part, elle entre dans le système de défense militaire que le gouvernement a adopté. Elle pourrait avoir pour objet de donner un plus grand développement au commerce maritime du port d'Anvers. Je pense donc que l'éventualité peut se réaliser, mais il est très facile de la prévoir dans la convention.
A part cette éventualité, messieurs, je ne vois réellement pas d'objection sérieuse contre la convention, car le gouvernement n'a pas entrepris l'exécution du chemin de fer de Contich à Lierre dans un but de spéculation ; il ne l'a entreprise que dans le but de donner satisfaction à une ville importante de la province d'Anvers, à la ville de Lierre. Je ne pense pas que l'exploitation de ce petit tronçon de chemin de fer puisse présenter un avantage à l'Etat, sauf le seul cas, je le répète, où le chemin de fer devrait être prolongé aux frais du trésor vers Hasselt.
L'honorable M. de la Coste a cru que l'intérêt de la ville de Hasselt était en opposition avec l'intérêt de la ville de Diest ; je ne crains pas de rassurer l'honorable membre ; ces deux villes sont voisines et ont exactement le même intérêt. La ville de Hasselt verra toujours avec plaisir la ville de Diest obtenir des voies de communication. L'honorable membre peut être parfaitement assuré que lorsqu'il y aura des projets sérieux de communications à établir par Diest, la ville de Hasselt fera tous ses efforts pour seconder la ville de Diest.
M. Loos. - Messieurs, j'ai écouté avec beaucoup de soin le discours de l'honorable ministre des travaux publics. Je dois déclarer, et la Chambre sera sans doute de mon avis, que l'honorable ministre n' a en aucune façon réfuté les objections que j'ai présentées.
Je le répète, il est clair pour moi que l'on veut dépouiller l'Etat, et si ce n'est pas là ce que l'on veut, je déclare que je n'y comprends plus rien.
Que nous dit-on pour appuyer la concession demandée ? On fait valoir ce que M. le ministre des travaux publics appelle les embarras, les ennuis d'une petite exploitation ; il a défini ces embarras et ces ennuis avec beaucoup de soin ; mais je prie l'honorable ministre de vouloir remarquer qu'il n'a fait, je le prie de me permettre cette expression, qu'enfoncer une porte ouverte.
En effet, je reconnais ces ennuis et ces embarras ; et j'adjure l'administration d'y mettre un terme. Oui, les habitants de Turnhout et de Lierre ont raison de se plaindre de la manière dont la ligne est exploitée aujourd'hui, et l'Etat eût fait fort sagement d'y pourvoir depuis longtemps.
Pourquoi avoir laissé subsister ces embarras, quand on pouvait faire mieux ? Je crois que sous ce rapport il faut donner satisfaction à la compagnie, je crois qu'il faut l'affranchir de ces transbordements, de ces temps d'arrêt qui causent une perte de temps si grande aux voyageurs.
Je me suis opposé à la concession de cette ligne ; mais maintenant que la concession est faite, je désire qu'elle soit aussi avantageuse à la compagnie que favorable aux localités desservies par la ligne.
Que me répond-on, quand je fais envisager l'importance que la ligne peut acquérir, et les pertes que l'Etat pourrait éprouver ?
On me répond par des faits analogues qui se sont passés ; on dit que puisque nous perdons déjà 90,000 fr. par une déviation sur un point important de nos lignes, ce n'est pas la concession actuelle qui doit nous arrêter. Mais peut-on argumenter de ces pertes pour engager la (page 39) Chambre à entrer plus avant dans cette voie ? Moi, je l'adjure de s'arrêter, maintenant qu'elle est consultée, et de déclarer qu'elle ne veut pas perdre davantage, et qu'elle veut profiter des avantages que les lignes de l'Etat sont susceptibles de procurer.
On l'a dit avec raison sur un des bancs de la Chambre, il faudra consentir un jour aux transports vers l'Allemagne par la ligne d'Anvers à Lierre, ne fût-ce que pour parer à la concurrence que peut nous faire la Hollande. A ces transports viendront s'en joindre d'autres. Je suis de l'avis de l'honorable M. de La Coste : Diest doit être reliée au chemin de fer.
Eh bien, si Diest est reliée au chemin de fer vers Anvers, vers Maestricht et Hassell, ne tiendra-t-elle pas à être reliée aussi à la ville de Louvain avec laquelle elle a le plus de relations ? Et à Louvain, que rencontre-t-on ? Le chemin de fer vers Charleroi, vers Namur, vers Liège.
Eh bien, toutes les relations du pays avec Anvers se trouveront en quelque sorte entre les mains d'une compagnie, tandis qu'aujourd'hui c'est en définitive le gouvernement qui tient cette importante tête de pont qui est Anvers et qui fournit une alimentation abondante à tous les chemins de fer. Vous avez le plus grand intérêt à conserver cette position. Lors de la discussion de la loi concédant le chemin de fer de la Campine, on a cherché à vous émouvoir par l'importance que cette ligne pourrait acquérir en nous la faisant envisager comme la voie la plus directe vers la Hollande.
Les concessionnaires se sont même réservé le droit exclusif, pendant un certain nombre d'années, d'établir et d'exploiter la ligne de Turnhout àTilbourg. Eh bien, le gouvernement, en conservant son tronçon de Contich à Lierre, aura sa part de tous ces transports. Et pourquoi faire bon marché de ces bénéfices ? J'entends toujours dans cette Chambre des plaintes sur le faible produit du chemin de fer ; et quand on propose de l'augmenter ou du moins de le sauvegarder, on voudrait en gaspiller une partie essentielle au profit d'une compagnie ! Je ne comprendrais pas une pareille manière d'agir.
Messieurs, donnons à la compagnie ce qu'elle demande, donnons-lui des transports directs vers Turnhout, elle ne peut demander plus, à moins qu'elle ne veuille dépouiller l'Etat.
Je dois encore un mot de réponse à une argumentation qui s'est produite. On a dit : Vous garantissez un minimum d'intérêt ; ce minimum s'élève à 172,000 francs ; or, si vous ne votez pas le projet de loi en discussion, vous aurez à payer ces 172,000 francs ; mais si, vous votez la loi, la compagnie exploitera d'une manière favorable et productive, et vous n'aurez pas à desservir des intérêts aussi importants. N'est-ce pas convenir que sur la ligne d'Anvers à Lierre on fera de gros bénéfices, que ces bénéfices diminueront les pertes de la compagnie et que dès lors vous aurez moins d'intérêts à payer ? Ces bénéfices, l'Etat peut les faire lui-même, et pour le surplus il remplira ses engagements envers la compagnie.
Ainsi, nous aurons fait une chose utile à la compagnie et aux habitants des localités desservies par cette ligne, en leur accordant des transports directs vers Anvers, sans rompre charge, soit à Contich, soit à Lierre ; bornons-nous à cela, nous aurons fait tout ce que l'on nous demande, ou du moins tout ce que raisonnablement on peut nous demander.
M. Malou. - Messieurs, la question peut être posée comme le fait l'honorable M. Loos. Quel est ici l'intérêt du chemin de fer, quel est l'intérêt financier engagé dans cette question ?
Je crois qu'il est très facile d'établir que l'Etat, en faisant cette convention avec la compagnie du chemin de fer de Lierre à Turnhout, fait une bonne affaire. C'est bien là, je crois, la seule chose qui préoccupe l’honorabe M. Loos.
Messieurs, il y a d'abord un fait très remarquable sur lequel j'appelle toute l'attention de la Chambre. Dans la loi des travaux publics, il y avait plusieurs tronçons de chemin de fer (c'est le mot consacré), dont la concession était autorisée. Eh bien, tous les travaux dont la concession était permise par la loi de 1851 ont trouvé des amateurs, à l'exception des tronçons de chemin de fer.
Et pourquoi ? Parce qu'il est démontré par l'expérience de chaque jour que rien n'est plus désastreux pour une compagnie que d'avoir une exploitation qui se borne à quelques kilomètres et que c'est une masse de faux frais qui empêche non seulement d'atteindre une recette convenable, mais qui rompt pour elle toute espèce de proportion entre la recette nette et la recette brute.
Messieurs, je me demande si l'Etat ne subira pas la loi commune à tous les tronçons de chemins de fer ; je me demande si l'Etat obligé de satisfaire aux besoins des populations, peut exploiter convenablement la ligne de Lierre à Contich et ne pas être en perte du chef de cette exploitation.
Messieurs, si je suis bien informé, c'est l'administration du chemin de fer de l’Etat qui, instruite du résultat de l'exploitation faite en de pareilles conditions, a témoigné le désir qu'il y eût de l'unité dans le service ; quand on a présenté le système du parcours sur le chemin de fer de l'Etat et celui d'une part dans les recettes brutes, c'est, dis-je, l'administration du chemin de fer de l'Etat qui a considéré le droit de parcours comme plus avantageux que l'attribution d'une partie de la recette brute. Ce sont lâ des faits qui ne seront pas révoqués en doute par le ministre des travaux publics qui sait ce qui s'est passé. Je dis donc que c'est l'administration du chemin de fer de l'Etat qui a trouvé le droit de parcours plus avantageux au trésor que l'attribution d'une partie de la recette brute.
Voyez ce qui se passe maintenant à titre provisoire. L'exploitation se fait par la compagnie ; eh bien, pour qu'il y eût un parcours assez étendu, pour que l'exploitation fût dans des conditions normales, il faudrait que la recette du chef des transports de Contich à Lierre dépassât 80 mille francs par jour pour que l'Etat fît une mauvaise affaire ; la recette qu'on indique prouve qu'on a excessivement de profit à adopter ce système. On dit que nous avons posé un précédent extrêmement grave, et que nous allons faire passer le mouvement d'Anvers par la ligne de Turnhout. Si cette crainte est fondée, il faut introduire une clause résolutoire à la condition de rembourser à la compagnie les dépenses qu'elle aura faites. Mais c'est une erreur de dire que nous posons un précédent.
L'honorable M. Frère a cité les conventions faites avec des compagnies pour l'usage réciproque du matériel ; ces conventions sont différentes de celles par lesquelles le droit de parcours est établi. Les conventions pour l'usage réciproque du matériel, je les connais, j'en ai signé quelques-unes, mais j'ai signé aussi des cahiers de charges où le gouvernement accorde le droit de parcours, et même l'impose, parce qu'il trouve avantageux de le faire.
Le gouvernement l'a imposé quand il se trouvait dans l'obligation de créer un service spécial pour un parcours dont la longueur était insuffisante pour le rémunérer de la dépense qu'il avait à faire. Voilà quand le droit de parcours a été établi, parce qu'alors le gouvernement avait intérêt à imposer aux compagnies concessionnaires l'obligation de faire elles-mêmes ce service. Je prendrai des exemples dans les faits qui me sont connus. Le chemin d'Entre-Sambre-et-Meuse arrive à Marchienne.
L'Etat aurait-il intérêt à dire : Je vous arrête à Marchienue ; je ferai la traction de la marchandise de Marchienne à Charleroi ! Une expérience de huit jours suffirait pour démontrer que si l'Etat organisait un service pour un parcours de cinq kilomètres, il se constituerait de gaieté de cœur en perte.
Maintenant il applique le même principe ; dans toutes les conventions que je connais, il l'impose aux compagnies ; à la compagnie de Charleroi à Louvain, qui transporte les houilles des plateaux de Gilly et de Lodelinsart dans la vallée de la Sambre, il a dit : Je vous concède des embranchements à la condition que vous parcourrez les chemins de fer de l'Etat en payant une redevance, parce que si je devais organiser un service spécial dans toutes les directions, vous me constitueriez en perte. Je demande une redevance pour l'usage de la voie.
L'Etat peut-il avoir intérêt à organiser un service spécial pour le parcours de Contich à Lierre ? Il n'est personne ayant participé à l'exploitation d'un chemin de fer qui ne réponde : L'Etat a intérêt à ce que le service soit fait sans solution de continuité, par celui qui exploite le chemin concédé. Cela ne peut pas faire l'ombre d'un doute ; j'en appelle à ceux qui ont la moindre expérience d'une exploitation de chemin de fer. M. le rapporteur voudrait qu'on perçût une partie de la recette brute, mais alors ce n'est pas 50 p. c. mais 75 p. c. qu'il faudrait demander de cette recette.
J'entends : quand on vous demandera d'aller à Anvers on parcourra le chemin de l'Etat dans tous les sens, et celui qui exploitera le moins, ce sera l'Etat. Je demande que l'on concède le droit de parcours, droit distinct de l'usage du matériel, toutes les fois que l'intérêt de l'Etat est d'accord avec l'intérêt des compagnies ; que l'Etat dise : Je refuse le parcours quand j'ai intérêt à effectuer l'exploitation, mais je l'accorde quand j'ai intérêt à le faire. Je crois que dans la circonstance actuelle, l'Etal a intérêt à donner le droit de parcours. On dit que l'Etat organisera le service et on invente un service pour 5 ou 6 kilomètres de Lierre à Turnhout.
S'il ne le peut à raison de la recette minime, il fera une perte considérable.
- Une voix. - Il y a celui d'Anvers à Lierre.
M. Malou. - Il lui faut un service en dehors de sa ligne pour aller de Lierre à Anvers ; le mouvement du trafic ne l'indemnisera pas des frais que ce service lui imposera.
Messieurs, l’Etat ne peut pas réellement organiser ce service sans qu'il soit doublement onéreux à raison de sa position.
La compagnie, ayant le droit de parcours jusqu'à Anvers, pourra desservir très convenàblement à peu de frais l'intérêt public. Avec le droit de parcours, elle aura sa coïncidence vers Anvers. Dans l'autre système, l'Etat devrait faire des convois spéciaux.
Dans toutes les conventions qui ont été passées nous voyons l'Etat céder le droit de parcours, partout où l'exploitation, qui aurait été onéreuse pour lui, ne l'est pas pour les compagnies.
M. Tesch. - On paraît être d'accord qu'il y a lieu d'introduire dans la convention des modifications. Je crois que, dans cette position, il y aurait lieu d'ajourner le débat.
M. Dumortier. - Quelles sont ces modifications ?
M. Tesch. - Si l'honorable membre avait écouté, il aurait entendu que l'honorable M. de Theux a déclaré qu'il faudrait introduire une clause de résilialion pour le cas où la ligne serait prolongée vers Hasselt.
(page 40) L'honorable M. Malou a indiqué un cas de résiliation analogue. Il y a bien d'autres modifications à introduire dans cette convention.
Je crois que, dans cette situation, ce qu'il y aurait de mieux à faire ce serait d'ajourner à un mois.
D'ici là, M. le ministre des travaux publics aura le soin d'examiner lui-même. L'affaire sera beaucoup plus élucidée qu'elle n'est maintenant. Il pourra se mettre en rapport avec la compagnie, et conclure une convention qui sauvegarde tous les intérêts et qu'il soumettra aux délibérations de la Chambre. Il me semble que ce sera beaucoup plus utile.
Je propose donc l'ajournement à un mois.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - La convention qui est jointe au projet de loi est un projet discuté avec la compagnie, sur lequel nous étions d'accord. J'ai dit de plus que je croyais la compagnie disposée à admettre certaines modifications à cette convention. Cette assurance m'a été donnée à l'époque où la Chambre allait entamer cette discussion, qui n'a pu avoir lieu à cause de l'époque ordinaire de la séparation de la Chambre. Ces modifications que la compagnie était prête à accepter n'avaient pas de rapport avec la modification indiquée par l'honorable M. de Theux. Les clauses de résiliation n'ont pas été discutées. Il y a d'autres modifications qui ont été indiquées comme devant être admises par la compagnie.
Sous ce rapport, je n'ai aucune espèce d'objection à accepter l'ajournement proposé par l'honorable M. Tesch. Si les objections étaient reconnues sérieuses, on pourrait modifier.
Dans l'invervalle des deux sessions, je n'ai pas repris la négociation, parce qu'il m'a paru nécessaire de connaître l'opinion de la Chambre et de respecter son droit de contrôle. L'article 2 avait pour but de saisir la Chambre de la question. Je suis d'accord avec l'honorable M. Frère, c'est pour la première fois que par une loi ce droit est concédé ; mais ce n'est pas la première fois qu'il est concédé par des conventions même irrésiliables. Je veux bien examiner de nouveau l'affaire. Je ne vois aucun inconvénient à l'ajournement à un mois.
M. Dumortier. - Je regrette ces ajournements qui, en fin de compte, ne font que ramener un peu plus tard la discussion.
La discussion avait fait un grand pas par le discours de l'honorable M. Malou, qui avait montré à l'évidence que cette concession, loin d'être désavantageuse à l'Etat, lui était au contraire très avantageuse. Je nie suis toujours occupé des intérêts de l'Etat en matière de chemin de fer. Je partage complètement l'opinion de mon honorable ami.
M. le président. - Vous n'avez la parole que sur la motion d'ordre.
M. Dumortier. - Oui, M. le président, c'est sur la motion d'ordre que je parle.
Quant à moi, je trouve qu'il serait déraisonnable d'ajourner l'examen du projet de loi, sous le prétexte que le chemin de fer de Lierre à Contich pourra un jour être utilisé par le chemin de fer qui sera créé dsns une éventualité quelconque entre Anvers etllasselt ; car ces deux chemins de fer tomberaient à angle droit l'un sur l'autre. Dans aucune hypothèse l'un de ces chemins de fer ne pourrait utiliser l'autre.
Je dis donc que cet argument est sans valeur, et qu'il ne devrait pas occasionner un retard au projet de loi.
M. Frère-Orban. - Le gouvernement s'étant rallié à la proposition d'ajournement, je me bornerai à prier M. le ministre des travaux publics, lorsque cette affaire nous sera soumise de nouveau, de soumettre à la Chambre un exposé de tout ce qui a été stipulé avec les compagnies quant au parcours de leur matériel sur le chemin de fer de l'Etat.
Il est de la plus hante importance que la Chambre soit éclairée à cet égard. On reconnaîtra bientôt tout ce qu'il y a d'extraordinaire dans la convention qui nous est soumise.
Je demande aussi que si M. le ministre ouvre de nouvelles négociations avec la compagnie, il ne donne qu'un caractère temporaire aux arrangements qu'il jugerait utile de nous proposer. Si des inconvénients se révélaient dans l'exécution, il serait du moins possible d'y porter remède.
M. Coomans. - Bien que le service du chemin de fer de la Campine soit aujourd'hui déplorable, je ne m'oppose pas à l'ajournement à un mois, parce que je suis convaincu que, quand la Chambre aura mûrement réfléchi et qu'elle sera en possession des renseignements qu'a demandés l'honorable M. Frère, le vote sera immédiat.
Je ne m'oppose donc pas à l'ajournement du vote. Mais je demande s'il ne conviendrait pas d'achever cette discussion préparatoire où nous avons déjà eu les lumières de plusieurs membres.
Je suis bien convaincu que notre temps ne sera pas perdu, parce que l'honorable ministre des travaux publics et la compagnie auront plus d'éléments d'appréciation sous les yeux. Pour ma part, j'étais prêt à répondre à diverses objections spécieuses qui ont été présentées. J'espérais pouvoir rectifier les assertions de plusieurs honorables collègues. Cependant si l'on veut ajourner, et si l'on ne croit pas à l'utilité d'un débat plus approfondi, je n'insiste pas.
M. le président. - Je dois faire remarquer que l'ajournement suspend toute discussion sur le fond.
M. Prévinaire, rapporteur. - Je ne m'oppose pas à l'ajournement. Cependant, je dois constater que la proposition en a surgi un peu tard. Il eût été infiniment préférable que cette discussion n'eût pas été abordée, que de la voir aborder dans les termes où elle l'a été. Des hérésies complètes ont été alléguées par les défenseurs du projet. Je tiens en main le texte des pièces que la Chambre peut avoir sous les yeux et qui contredisent de la manière la plus formelle tout ce qui a été allégué quant à la nature des conventions.
M. le président. - Il s'agit pour le moment de l'ajournement. Vous constaterez ces faits plus tard ; l'occasion s'en présentera.
M. Prévinaire. - J'accorde mon vote à l'ajournement, tout en regrettant de ne pouvoir rectifier les erreurs qui ont été commises. En prononçant ces paroles, je reste dans les mêmes termes que l'honorable M. Coomans, qui, lui aussi, vient de dire qu'il regrettait de ne pouvoir rectifier les erreurs commises par d'autres orateurs.
- La proposition d'ajournement à un mois est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 4 heures et demie.