(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 17) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Ansiau communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« La députation permanente du conseil provincial de Namur prie la Chambre d'allouer au budget de l'intérieur les crédits nécessaires pour améliorer la position des employés des administrations provinciales. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget du département de l'intérieur.
« Le conseil communal de Jumet déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Nivelles relative à la construction d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw par Nivelles et Hal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Peltzer prie la Chambre d'augmenter le traitement des préposés de la douane et d'abolir les dispositions qui les obligent à prêter serment lorsqu'ils obtiennent une promotion. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pire, juge de paix à Couvin, propose de porter à 4 p. c. les droits de l'Etat sur les ventes de bois et de récoltes pendantes par racines. »
- Même renvoi.
« Plusieurs fermiers cultivateurs et marchands de bestiaux à Herdersem demandent que les vétérinaires non diplômés soient admis à continuer l'exercice de leur profession. »
« Même demande de fermiers-cultivateurs et marchands de bestiaux à Meen, Berchem, Meldam, Sulsique, Quaremont, Elseghem et Peteghem. »
- Même renvoi.
M. Rodenbach. - Messieurs, la chambre est saisie d'environ 150 pétitions ayant le même que celles dont on vient de faire l'analyse et sur lesquelles il n'a pas encore été fait rapport ; je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Breda, ancien blessé de septembre, demande une pension ou un secours. »
- Même renvoi.
« Les brigadiers, sous-brigadiers et préposés des douanes à Chimay, demandent une augmentation de traitement, ou du moins une classification des brigades par catégorie, si la position de tous les employés subalternes ne pouvait être améliorée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Leenheere, propriétaire de plantations de mûriers et éducateur de vers à soie, prie la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le crédit alloué en faveur de l'industrie séricicole. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget du département de l'intérieur.
« Le sieur Bocquilhon, agriculteur et magnanier à Stabroek, prie la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le subside en faveur de l'industrie séricicole ou de l'indemniser des dépenses qu'il a faites pour sa plantation de mûriers. »
- Même renvoi.
« La députation permanente du conseil provincial du Brabant prie la Chambre d'augmenter le crédit porté au budget de l'intérieur, pour rémunérer les employés des bureaux de l'administration provinciale. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Roulers prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Cand. »
« Le conseil communal de Furnes se prononce en faveur de ce chemin de fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les riverains de la Mandel et de la Lys à Vive-Saint-Bavon, Wacken et Ousselghem demandent l'exécution de travaux qui les mettent à l'abri des inondations. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.
« M. de Liedekerke, retenu par des devoirs de famille, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Vanden Branden de Reeth, retenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter à la Chambre un projet de loi ayant pour but d'améliorer le sort des officiers qui ont combattu en 1830 pour l'indépendance nationale.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.
Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer une demande de crédit extraordinaire de 1,500 mille francs pour des mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières et des indigents.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.
Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. de Perceval. - Au nom de la commission permanente des naturalisations, j'ai l'honneur de déposer plusieurs projets de loi ayant pour objet d'accorder la naturalisation ordinaire à des personnes dont les demandes ont été prises en considération par les deux Chambres.
- Ces projets seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, dans tous les pays qui jouissent des bienfaits du régime constitutionnel et parlementaire, la discussion de l'adresse en réponse au discours de la couronne fournit d'ordinaire au gouvernement l'occasion de développer son programme, et à l'opposition, celle de faire valoir ses griefs et d'exposer ses doctrines.
Mais dans la situation où le pays se trouve placé, en présence des circonstances extérieures, des événements si graves du dehors, je pense qu'un débat politique serait au moins inopportun.
Ces débats sont, vous le savez, de leur nature vifs, irritants ; aujourd'hui que le pays a besoin de l'union, de la concorde de tous ses enfants, ne serait-il pas au moins inopportun, comme j'ai eu l'honneur de le dire, de s'engager dans un débat politique ?
J'aurais donc désiré pouvoir m'abstenir de prendre la parole et me borner à voter purement et simplement l'adresse qui nous est proposée en réponse au discours de la couronne.
De nombreuses questions sont soulevées, il est vrai, dans ce discours ; plusieurs de ces questions sont d'une importance qui n'échappera à personne. Malgré leur gravité, j'aurais persisté à garder le silence, parce que ces questions seront résolues quand elles nous seront présentées nettement par le cabinet ; nous pourrons alors les examiner avec soin, et les discuter avec maturité.
Mais il est un paragraphe du projet d'adresse que je ne crois pas pouvoir voter tel qu'il est rédigé par la commission.
Ce paragraphe est le paragraphe final. Allant en quelque sorte plus loin que le gouvernement, promettant plus que le discours du trône ne demande, la commission d'adresse engage la Chambre à accorder par anticipation au cabinet actuel un concours absolu, sans restriction, sans réserve aucune, un concours non seulement pour les affaires d'ordre matériel, pour les affaires administratives, mais encore un concours en matière politique.
Messieurs, j'ai toujours aimé les positions nettes, franches et loyales ; elles sont, je pense, les plus faciles et les plus honorables, et c'est pour ce motif que je déclare immédiatement qu'il m'est impossible de prendre pareil engagement vis-à-vis du cabinet.
Je m'explique :
Je suis disposé à ne pas faire une opposition systématique au ministère. Je suis décidé à ne pas lui faire une opposition tracassière et de détails, opposition qui entrave la marche du pouvoir et déconsidère l'autorité aux yeux des populations. Je vais même plus loin, car je déclare être prêt, avec d'honorables amis, à soutenir le cabinet toutes les fois qu'il nous présentera des mesures bonnes et utiles, et à les examiner sans arrières-pensée, sans esprit de parti, à les voter franchement et loyalement. Mais je ne puis aller plus loin.
Je ne puis m'engager dans la voie politique où le cabinet actuel sera fatalement entraîné, malgré de bonnes intentions ; en d'autres mots, je ne puis me ranger sous sa bannière ; je ne puis prendre un engagement ni définitif ni temporaire dans la phalange ministérielle qui défendra ce drapeau.
M. Rodenbach. - Ce n'est qu'une formule de politesse.
M. Vandenpeereboom. - Nous ne sommes pas ici pour discuter des formules de politesse, mais pour émettre des votes utiles et positifs.
Je persiste donc à dire que je ne puis m'enrôler d'une manière ni définitive ni temporaire sous la bannière ministérielle. M'est-il possible d'abjurer mon passé, de renier les convictions politiques que j'ai apportées dans cette Chambre et que j'ai conservées intactes jusqu'à ce jour ? Je ne puis et ne veux y consentir.
J'ai dit, messieurs, en commençant ce discours, que je désirais (page 18) éviter toute discussion politique, que je me bornerais à faire une simple déclaration ; je ne chercherai donc pas à caractériser la divergence d'opinion politique qui doit exister entre le cabinet et les membres composant les diverses nuances de l'ancienne majorité parlementaire. Chercher à déterminer la nature de cette divergence d'opinion serait entraîner à un débat inévitable, long mais inutile ; car cette divergence existe ; elle est évidente pour tous et cette divergence d'opinion est même la raison d'être du cabinet actuel.
A quoi, du reste, messieurs, servirait un vote absolu et indéterminé de confiance ? Vous vous le rappellerez, il y a un an en pareille circonstance, avant de voter l'adresse, je fis, en ce qui me concerne, des réserves formelles ; je fis remarquer à la Chambre et au cabinet que le vote de confiance qu'on nous demandait serait un vote inopérant, stérile, sans résultat efficace, que ce vote ne pouvait avoir pour conséquence de donner de la force au ministère ni même de lui prêter quelque consistance. Je vous le demande ; mes prévisions d'alors ne se sont-elles pas complètement réalisées ?
Dans les circonstances actuelles, je comprends qu'il est extrêmement désirable que l'adresse à présenter au Roi soit votée à une imposante majorité. Je désire qu'il en soit ainsi ; c'est pour ce motif que j'aurai l'honneur de présenter un amendement au dernier paragraphe de l'adresse. Cet amendement est dicté par un désir sincère de conciliation.
Je voudrais pouvoir rendre le vote de l'adresse sincère et honorablement possible pour mes amis politiques et pour moi.
Cet amendement a pour objet de promettre au gouvernement notre concours pour tout ce qui concerne la marche des affaires administratives et de réserver toutes les questions concernant les matières politiques.
Telle est la porlée de mon amendement. S'il est admis par la Chambre, je voterai volontiers l'adresse et j'ai la conviction qu'elle serait alors adoptée à une immense majorité. Mon but et mes désirs seraient ainsi atteints.
M. le président. - Voici l'amendement de M. Vandenpeereboom :
« Je propose de remplacer le paragraphe final de l'adresse par la rédaction suivante :
« Le gouvernement de Votre Majesté peut compter sur le concours de la Chambre pour toutes les mesures utiles qu'il croira devoir nous présenter. Nous comprenons l'étendue des devoirs que les circonstances imposent à notre patriotisme. »
M. Vander Donckt. - Dans le discours du trône pour l'ouverture de la session de 1853, je lis le paragraphe suivant : « L'étude des reformes à introduire dans l'organisation judiciaire, dans le régime du notariat et dans les dépôls de mendicité, se poursuit sans relâche. »
Dans la réponse qui a été faite à ce discours, la Chambre a dit ceci : « Le gouvernement, Votre Majesté daigne nous le dire, poursuit sans relâche l'étude des réformes à introduire dans les diverses branches de l'administration de la justice. Il promet d'en préparer d'autres. La Chambre s'estimera heureuse de voir ces efforts aboutir dans le courant de la session présente.
C’était en 1853 que le gouvernement, par la bouche royale, nous promettait la réforme des dépôts de mendicité, la réforme de la loi sur le notariat. Nous sommes en 1855 et jusqu'ici rien n'a été fait. Dans le discours d'ouverture, dans la session dernière, on a également fait des promesses ; on nous a promis la présentation de la loi sur le notarial, jusqu'ici cette loi se fait encore attendre. Quant à la question si importante des dépôts de mendicité, le discours du Trône n'en fait plus mention ; on était si bien convaincu de la nécessité de ces réformes qu'on a institué une commission pour prendre des mesures dans ce sens.
Si je ne me trompe, l'honorable ministre de l'intérieur a même fait partie de cette commission. Cette commission a présenté son rapport et jusqu'aujourd'hui nous ne connaissons pas le contenu de ce rapport, aucune mesure n'a été présentée.
Messieurs, je crois pour ma part que la réforme de la législation sur les dépôts de mendicité est le moyen le plus efficace de venir au secours des bureaux de bienfaisance et des communes, surtout des petites communes des Flandres, dont les ressources sont entièrement épuisées. Je prie le gouvernement de ne pas perdre de vue cet objet. C'est peut-être l'objet le plus important que nous aurons à traiter dans cette session.
Je désire que l'honorable ministre veuille nous dire au moins si nous pouvons nourrir l'espoir de voir prendre des mesures à cet égard. Si, dans les circonstances critiques que nous traversons, il est une loi d'actualité, c'est bien celle des réformes à apporter aux dépôls de mendicité.
Je n'ignore pas que le prédécesseur de M. le ministre de la justice actuel nous a dit un jour qu'il n'aimait pas trop à présenter ce projet de loi, parce qu'il devait imposer de nouvelles charges au trésor public. Or, il vous a été adressé une pétition dans laquelle on vous explique de la manière la plus claire l'institution des fermes de bienfaisance. Ces établissements ne coûteraient pas un centime à l'Etat. Il s'agirait seulement d'investir ces institutions de certaines prérogatives au moyen desquelles elles pourraient se livrer à leurs opérations. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet, le moment n'est pas opportun. Mais j'adjure de nouveau le gouvernement de prendre entin une décision quelconque.
Quant au notariat, j'ignore si le gouvernement, en déclarant aujourd'hui que des réformes seront apportées dans l'administration judiciaire, entend y comprendre la loi sur le notariat qui est attendue depuis si longtemps ; car, avouons-le franchement, les menées des notaires dont retentissent constamment les tribunaux sont peut-être en grande partie dues aux lacunes que la législation actuelle présente.
Or, c'est surtout dans les Flandres que ces scandales ont lieu. Il est de plus en plus urgent de prendre des mesures définitives pour rendre les fonctions de notaire honorables et pour les entourer de toutes les garanties possibles. Alors au moins on ne pourra pas accuser le gouvernement de n'avoir pas fait dans cette branche d'administration ce qu'il aurait pu faire.
Je bornerai là mes observations, j'attendrai les explications du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je regrette qu'une indisposition de l'honorable rapporteur de la commission d'adresse l'empêche d'assister à la séance et de nous expliquer le sens que cette commission a entendu donner au dernier paragraphe.
M. le président. - Le sens en sera expliqué par M. de Theux.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - A en juger par les termes mêmes du dernier paragraphe, il ne m'est pas difficile de supposer que l'honorable député d'Ypres a singulièrement exagéré la portée de ce paragraphe. Il a parlé constamment de la promesse d'un concours absolu.
Je ne crois pas qu'il soit entré dans les intentions de la commission d'adresse de proposer à la Chambre de déclarer qu'elle accorde au gouvernement un concours absolu. Un semblable concours n'a jamais été demandé par aucun cabinet.
Nous n'avons pas la prétention de demander à la Chambre un concours absolu. Nous ne demandons pas aux membres qui composent cette assemblée, qu'ils renient leur passé et abandonnent leur bannière pour se ranger sous celle du ministère. Telle n'a jamais été la prétention d'aucun cabinet, telle ne peut être la prétention du cabinet qui est devant vous.
Ce que nous demandons, ce n'est donc pas un vote de confiance. Ces votes de confiance, ainsi que l'a reconnu M. Vandenpeereboom lui-même, ne prouvent absolument rien. Ces votes de confiance ne consistent très souvent que dans des phrases, et en définitive chaque membre de la Chambre conserve sa liberté pleine et entière dans l'appréciation des mesures que le gouvernement soumet à la Chambre.
Tout ce que le cabinet demande, c'est un concours loyal ; ce qu'il demande, c'est que les Chambres ne lui témoignent pas une défiance systématique, qui l'empêche de remplir la mission qu'il a acceptée au milieu des circonstances les plus difficiles.
C'est à la Chambre à voir si le gouvernement est jusqu'à présent resté fidèle au programme de son avènement.
Je ne suis pas d'accord avec l'honorable député d'Ypres, lorsqu'il dit que le concours demandé sera accordé par anticipation. Le gouvernement a déjà posé une série d'actes qu'il soumet, en toute confiance, à l'appréciation de la Chambre et du pays.
Si donc, d'une part, l'honorable député d'Ypres a exagéré la portée de la rédaction de la commission d'adresse, en y voyant la demande d'un concours absolu, d'autre part il voudrait, par son amendement, diminuer outre mesure l'étendue du concours que le gouvernement a le droit d'attendre des Chambres, et sans lequel il ne saurait convenablement diriger les affaires.
On n'a jamais circonscrit le concours des Chambres aux seules matières administratives. Qu'on n'accorde pas un concours absolu, en ce sens qu'on ne subordonne pas ses convictions poliliques à celles du cabinet, c'est ce que nous comprenons ; aussi, ne le demandons-nous pas. Il nous suffit d'avoir le concours loyal des Chambres pour la direction politique et administrative du pays.
La question de confiance n'est pas posée ; le gouvernement et l'organe de la commission d'adresse le déclarent. La Chambre n'a donc pas à la résoudre.
Le cabinet ne se rallie pas à l'amendement de M. Vandenpeereboom.
M. Verhaegen. - Mon honorable ami M. Vandenpeereboom, par l'amendement qu'il a eu l'honneur de proposer, veut éviter une discussion politique, et si je comprends bien les paroles de M. le ministre de l'intérieur, il vient, lui, de la provoquer. (Interruption.) Je ne retire pas le mot ; l'honorable M. de Decker, en répondant à une des observations de mon honorable ami, a fait remarquer que s'il ne s'agit pas de donner un vote de confiance absolue, il s'agit du moins d'apprécier les nombreux actes que le cabinet a posés jusqu'à présent, pour de ces actes posés conclure s'il mérite jusqu'à certain point la confiance de la Chambre.
Voilà bien les mots dont il s'est servi ; s'il faut les prendre à la lettre, la discussion politique est ouverte, elle n'a même plus de limites.
Je ne veux pas néanmoins, pour ce qui me concerne, ouvrir cette discussion sans qu'il y ait nécessité. J'avais pensé que l'on pouvait réserver pour chaque ministre en particulier, alors qu'il s'agirait de la discussion de son budget, les griefs à articuler contre lui, et en attendant ne pas entraver la marche régulière des affaires, la marche de l'administration. Je me proposais cependant de remplir cette année le devoir que j'ai rempli les années précédentes. Les années précédentes, je me suis demandé, et cela dans l'intention d'éclairer le pays, quel (page 19) était le ministère qui se présentait devant la Chambre, quelle était sa couleur, quelles étaient ses tendances.
L'année dernière à pareille époque, faisant preuve de franchise à l'égard même de quelques-uns des membres du cabinet d'alors que nous comptions au nombre de nos amis, je demandai quel était ce ministère, quels étaient ses principes, quels étaient ses appuis ; et d'après ce qui venait de se produire quelques instants auparavant, j'ajoutais que je pensais que la majorité n'appartenait plus à l'opinion libérale, je disais que la majorité était déplacée, qu'il fallait des positions nettes et que c'était à la droite à prendre les rênes du gouvernement. J'aime à rappeler les paroles que je prononçais alors ; je disais :
« Messieurs, on a parlé de franchise : oui il faut être franc. Pour moi je pense que la majorité n'est plus ce qu'elle était et qu'une majorité nouvelle vient de se produire au scrutin secret d'une manière solennelle. Aussi ce moment de retraite auquel M. le ministre des aflaires étrangères faisait allusion tantôt pourrait bien être arrivé.
«J e ne parlerai pas des votes qui ont amené la nomination des président et vice-présidénis, qui se sont faites en quelque sorte de commun accord ; je parlerai seulement du vote le plus important qui puisse se présenter, de celui qui a ameué la composition de la commission d'adresse et dans laquelle ne figurent que des noms appartenant à le droite.
« J'ai appuyé cette assertion par des chiffres et j'ai terminé mes réflexions sur ce point en disant :
« Or, d'après les principes du gouvernement représentatif, quelle est la conséquence de cet état de choses ?
« C'est que la droite est en majorité et même en majorité assez grande ; la conséquence ultérieure, c'est que c'est à la droite à prendre les rênes du gouvernement.
« Car je ne veux pas supposer qu'on veuille faire ses affaires par personnes interposées.
« Si l'on est en majorité, on doit avoir le courage de sa position, on doit faire ses affaires soi-même, et, dans ces circonstances, je viens demander au gouvernement, au ministère qui veut de la franchise et de la netteté, quelle est sa position, quels sont ses appuis ?
« Si le ministère reste tel qu'il est, c'est le ministère de la majorité, c'est un ministère de droite. Or, quant à moi, cela ne me convient pas, et vous comprenez dès lors que je ne puis pas voter d'une manière affirmative, sur la question de confiance posée par le cabinet. »
Messieurs, la majorité en effet était à la droite et le ministère qui n'a pas consenti à tous égards à être un ministère de droite est tombé et s'est retiré. Est venu le ministère actuel. Certes, aucun de ses membres ne niera qu'il appartient à un ministère de droite pur sang ; c'est ce que je tiens à constater aux yeux de la Chambre et du pays.
Le ministère que nous avons est un ministère de droite, il ne s'agit pas pour lui de se donner le titre de modérateur, de conciliateur, ce sont là des mots qui ne viennent pas à propos. Nous sommes en face d'un ministère catholique, d'un ministère de droite pure. J'aime les positions nettes, ce que j'ai dit l'année dernière s'est confirmé, ce que je désirais, dans l'intérêt de la franchise, est arrivé.
Aussi, je n'adresserai pas à ce ministère le reproche de servir son parti, de venir en aide à ses amis, en un mot, de faire tous les jours des nominations catholiques. C'est là son affaire, et nous devions nous y attendre. J'adresserai plutôt le reproche aux ministères libéraux de ne pas avoir fait comme lui.
Il faut dire la vérité. On fait toujours allusion à des complications extérieures, aux difficultés du dehors ; il semble vraiment que pour cela il faille avoir la bouche close. Songez-y bien, mes chers et honorables amis, nos adversaires ne tiennent pas ce langage. Ils marchent toujours et les affaires extérieures ne les arrêtent pas. Je crains fort qu'un jour nous ne soyons dupes de cette tactique. Quant à moi, je n'y donnerai pas les mains.
Je constate donc de nouveau pour qu'on le sache bien que nous sommes en face d'un ministère catholique pur, et qu'il fait les affaires de son parti, ce qui est dans la nature des choses. Aussi, quelles que soient ses tendances, je ne lui ferai pas une opposition tracassière et systématique. Chaque fois qu'il nous présentera de bons projets, je les accepterai, je les appuierai, je les voterai. Mais chaque fois qu'il voudra faire prévaloir ses principes politiques, je le combattrai ; chaque fois qu'il présentera des mesures que je croirai attentatoires à nos libertés, je ferai mes efforts pour les faire rejeter, j'élèverai la voix, je signalerai ces mesures, ces violations à l'attention du pays et j'espère bien qu'alors à la suite de toutes ses fautes accumulées, comme l'a dit mon honorable ami, il finira par succomber. Voilà la déclaration que j'avais à faire.
Quel que soit le sort de l'amendement, je voterai conlre l'adresse.
M. de Theux. - On a désiré savoir quelle est la pensée renfermée dans le dernier paragraphe de l'adresse. Certainement la pensée de la commission n'a pas été de faire abandonner à certains membres leurs convictions politiques. La commission n'ignore pas qu'il y a dans la Chambre des convictions différentes en matière politique. Elle n'a voulu demander à personne l'abandon de ses convictions, de sa dignité personnelle. Mais ce que la commission a fait, elle a cru devoir le faire, elle a suivi en cela les précédents de la Chambre. C'est ainsi que l'année dernière l'adresse porte : « Nous assurons à V. M. ce loyal concours que vous réclamez de nous. »
La Chambre n'a pas fait la moindre difficulté d'adopter ce paragraphe, quoique les opinions fussent les mêmes qu'aujourd'hui. Il n'ost pas survenu de changement dans les opinions.
M. Lebeau. - Il y a eu un changement de cabinet.
M. de Theux. - Il y a eu un changement de cabinet. Mais évidemment tous les membres de la Chambre ne partagent pas plus les opinions du cabinet qu'ils ne les partageaient alors.
Nous avons vu que, dans les dernières années du régime parlementaire en France, on soulevait des questions de cabinet à propos de la discussion de l'adresse, ces discussions inauguraient les sessions, et l’l'histoire nous a appris ce qui est advenu.
En Angleterre, où le gouvernement représentatif est beaucoup plus ancien, on suit une autre marche. Quelle que soit l'opposition, elîe accepte une adresse rédigée par un membre de la majorité appartenant à l'opinion ministérielle. Les questions politiques sont réservées pour le cours de la session.
C'est ainsi que, dans la dernière session du parlement, malgré le vote de l'adresse, un dissentiment considérable s'est manifesté pendant le cours de la session.
Il n'y a, du reste, dans les expressions de l'adresse aucun engagement politique. Mais il y a cet engagement de loyauté qu'un parlement peut prendre de faire les affaires du pays, ce concours loyal à des intentions droites, à des mesures de modération. Cela n'empêchera pas la Chambre d'apprécier les mesures qui seront proposées. C'est une déclaration d'ensemble. Elle n'est pas refusée au gouvernement daps les pays où le régime parlementaire est très ancien et le mieux connu.
Je ne vois pas pourquoi la Chambre ferait cette année une difficulté qu'elle n'a pas faite l'année dernière ; car il y a dissentiment politique entre des membres de la Chambre et le cabinet. Personne ne prétendra qu'il y avait communauté absolue de principes entre tous les membres de la Chambre et le cabinet. Il n'y en a pas davantage en ce moment. On sait parfaitement que cela n'existe pas, mais ce que la Chambre peut voter en toute sûreté, c'est un concours loyal à des intentions droites, à des mesures de modération.
M. Orts. - Si jamais j'ai pu croire à l'adoption d'un amendement par la Chambre, si jamais je me suis cru le droit d'espérer que le ministère se rallierait à la proposition d'un membre de cette Chambre, c'est lorsque j'ai entendu la lecture des termes si convenables dans lesquels l'honorable député d'Ypres a promis au gouvernement le concours de la Chambre. Il me semblait exprimer si parfaitement les intentions de la Chambre entière, que je m'étonne sincèrement devant l'hésitation du gouvernement et de l'organe de la commission d'adresse, alors que le pays éprouve, de l'aveu de chacun, un impérieux besoin du concours de tous les bons citoyens. M. le ministre de l'intérieur résiste néanmoins ; il ne veut pas de cet amendement qui me paraît formuler nettement la promesse du seul concours que le gouvernement peut attendre de l'unanimité dans la Chambre. Il le repousse parce qu'il veut trois choses et ces trois choses, selon lui, ne sont pas dans l'amendement.
Il ne se contente pas d'un concours restreint aux mesures administratives. Il réclame davantage. Or ce quelque chose au-delà de l'amendement, ce ne peut être qu'un vote de confiance, la promesse d'un concours politique. Ce concours, nous ne pouvons l'accorder franchement, sincèrement. Le peut-on attendre de la part d'une opinion qui n'est pas représentée, certes, par les hommes tenant aujourd'hui dans leurs mains la haute direction des affaires du pays ? M. le ministre veut en second lieu ce concours, parce qu'il n'est pas le représentant d'un cabinet nouveau. « Nous avons, dit-il, une politique, un programme que vous connaissez ; nous avons posé des actes depuis quelques mois ; la réponse de la Chambre au discours de la couronne doit contenir l'approbation de notre conduite politique dans le passé. »
Eh bien, messieurs, cette approbation, nous ne pouvons pas, honorablement pour nous, la donner. Exposer les motifs que nous avons et ne pas la donner, c'est amener fatalement une discussion politique ; elle devient immédiatement inévitable. Opposition parlementaire, nous devons au public les motifs de nos actes et de nos votes. Les exposer, c'est ouvrir cette discussion que nous désirons épargner au pays par l'amendement proposé.
M. le ministre de l'intérieur repousse l'amendement, par une troisième considération : qu'il limiterait trop le concours promis en réservant l'appréciation ultérieure et du passé politique du ministère et de son présent et de son avenir. Le ministère s'amoindrirait en l'acceptant. Jamais cabinet, selon lui, n'aurait poussé aussi loin la modestie ou l'abnégation. Messieurs, rien d'anomal, cependant, ne caractérise la situation faite au cabinet par la proposition que nous discutons.
Des gouvernements placés en Belgique, dans une situation analogue à celle qu'occupe incontestablement le ministère aujourd'hui, placé entre des opinions qui se balancent au sein du parlement, et entre lesquelles ce ministère a la prétention de demeurer, sinon neutre, un moins impartial, les cabinets antérieurs placés dans cette situation, n'ont pas demandé davantage à la Chambre. Rappelons-nous, messieurs, la première adresse votée en réponse au discours du Trône, sous le cabinet dont parlait tout à l'heure l'honorable M. de Theux, sous le cabinet qui a immédiatement précédé le ministère de l'honorable M. de Decker. A cette époque, le chef du cabinet expliqua que le concours réclamé dans le discours de la Couronne était limité soigneusement à trois objets précis et déterminés, à l'égard desquels aucun dissentiment sérieux ne pouvait s'élever sur les bancs de la Chambre.
Il réclamait le concours de toutes les opinions pour le maintien de la nationalité, elle n'est pas aujourd'hui en péril et nous n'en parlons pas ; le maintien intact de nos institutions, chacun de nous le veut encore ; enfin pour des mesures utiles, dans l’ordre des intérêts matériels et (page 20) destinées à venir au secours des classes souffrantes de la société. Messieurs, c'est un concours de ce genre que l'honorable M. Vandenpeereboom vous propose de promettre au cabinet. Ce seul concours nous pouvons le donner honorablement pour nous, comme il peut être seul accepté honorablement par nos adversaires politiques, qui, j'en suis convaincu, ne voudraient pas, pour la dignité du pays, de notre abdication ou de notre apostasie.
Le principe inséré dans l'amendement, je suis très étonné, pour ma part, de le voir combattre par l'honorable membre qui vient de se rasseoir. Ce principe il le défendait devant la Chambre il y a sept ans.
En 1847, lorsque le ministère né des élections de cette année, réclamait un concours politique complet, dévoué, que sa situation d'alors lui commandait absolument d'obtenir d'une majorité nouvelle, l'honorable M. de Theux s'est levé au nom de la droite entière, et a dit : Vous sortez de tous les précédents, l'adresse est régulièrement rédigée de manière à pouvoir être votée par toutes les opinions de la Chambre ; or, il nous est impossible d'accorder notre concours politique au cabinet ; sans renoncer à nos opinions, sans abdiquer ; nous nous abstiendrons. Que l'honorable M. de Theux veuille bien me permettre de lui lire un passage de son discours de 1847, pour faire voir combien mes assertions sont exactes.
« Messieurs, il était dans les usages de répondre au discours du Trône par une adresse que tous les membres pussent voter, bien que leurs opinions ne fussent pas les mêmes. Aussi, à moins que l'opposition n'eût résolu de poser la question de cabinet, dès l'ouverture de la session, l'adresse élait adoptée à la presque unanimité des voix. »
Au lieu de s'abstenir, sans essayer d'amender, l'honorable député d'Ypres présente un amendement afin de nous permettre de voter pour. Il montre pour le cabinet de 1855 une bienveiilauce, un esprit de conciliation que l'honorable M. de Theux et ses amis n'offraient pas au ministère de 1847.
L'honorable M. Vandenpeereboom est, à un second point de vue, plus obligeant, je dirai, que l'honorable M. de Theux ; il offre de donner au gouvernement d'aujourd'hui, dans l'adresse même, cette promesse d'impartialité que l'honorable M. de Theux se contentait de donner dans son discours, n'engageant ainsi que sa loyauté personnelle au lieu d'engager ses amis politiques et la Chambre elle-même par un vote.
Rappelant avec aussi peu de bonheur la discussion de l'an dernier, l'honorable M. de Theux a assimilé l'adresse et la demande de concours du cabinet d'alors à l'adresse dont nous nous occupons.
Celte assimilation est la meilleure preuve que l'honorable M. Vandenpeereboom a parfaitement compris ce que demande le cabinet et ce que ni lui ni ses amis ne peuvent accorder. En effet, à la différence de ce qui s'était produit la première année de l'existence du cabinet précédent, l'an dernier, une demande explicite, formelle de concours politique était demandée à la Chambre et les paroles prononcées dans cette circonstance par le chef du cabinet ne laissaient aucun doute à cet égard.
Le ministère était venu demander un concours efficace dont sa force ébranlée lui faisait une nécessité ; la majorité le lui promit.
Vous savez, messieurs, comment la promesse fut tenue. La majorité assura au ministère une pleine confiance dans son passé, dans son présent et dans son avenir. Ce qu'il voulait, il l'obtint d'elle. Mais l'honorable M. de Theux a oublié que précisément parce que le cabinet voulut cette adhésion, un certain nombre de membres ont protesté, ont voté contre l'adresse, pourquoi ? Parce qu'ils n'avaient pas confiance et qu'on réclamait un vote de confiance.
Si, maintenant, cette confiance politique n’était pas réclamée par le ministère d'aujourd'hui il faudrait, pour le constater, que nous eussions à cet égard quelque chose de positif et de net, où le trouverons-nous ? Est-ce dans les paroles de M. le ministre de l'inlérieur ? Mais qu'il veuille bien alors définir, au moins, ce qu'il demande en fait de concours. Le concours qu'il réclame, jusqu'où s'étendra-t-il ? Où en sera la limite ? S'agit-il d'aller jusqu'au concours politique inclusivement ou exclusivement ? Exclusivement je l'accorde ; inclusivement, je le refuse.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, avant de répondre à quelques honorables préopinants, je tiens à constater que la provocation à ces débats n'est pas venue de moi.
L'honorable M. de Theux, en l'absence du rapporteur de la commission d'adresse, vous déclare nettement, messieurs, quelle a été l'intention de la commission en vous proposant la rédaction dont nous nous occupons. Il nous a dit que cette rédaction n'implique en aucune façon ce qu'on est convenu d'appeler une question de confiance. Il vous a fait remarquer qu'il est entré, pour ainsi dire, dans les usages de la Chambre d'offrir au gouvernement un concours loyal, c'est-à-dire un concours impartial, expectant, un concours qui ne va pas jusqu'à accorder la confiance, mais qui, aussi, n'implique pas la défiance systématique.
C'est entre ces deux extrêmes que nous devons rencontrer le véritable sens de la rédaction proposée.
Il ne faut pas y voir un vote de confiance ; encore une fois, le gouvernement n'en veut pas provoquer ; mais il ne faut pas non plus donner au paragraphe le caractère d'un vote de défiance. Or, c'est là, évidemment, la portée de l'amendement proposé par l'honorable député d'Ypres. (Interruption.)
Si telle n'est pas la signification de l'amendement, alors il est beaucoup plus simple de s'en rapporter aux explications données au nom de la commission d'adresse, et de dire : Tout le monde se réserve le droit d'examiner ultérieurement les actes du gouvernement, sans entendre abdiquer ses opinions.
L'année dernière, le gouvernement déclarait aussi que, pour lui, il ne s'agissait pas d'obtenir un vote de confiance. Le gouvernement comprenait qu'il fallait laisser la plus grande latitude aux députés. Le gouvernement a besoin d'un concours loyal, c'est-à-dire de l'impartialité dans l'examen des actes soumis à la législature. Voilà dans quel sens le gouvernement demande l'appui de la Chambre, et ainsi, l’on ne s'écarte en aucune manière des précédents. Tout le monde conserve la liberté de ses opinions. Le gouvernement ne demande en aucune façon une confiance illimitée, une espèce d'approbation anticipée de tous les actes qu'il va présenter.
Il sait parfaitement qu'il existe et qu'il existera, aussi longtemps qu'il y aura des Chambres, des opinions différentes et il reconnaît à toutes également le droit de se manifester.
Mais quand un gouvernement est, comme le cabinet actuel, arrivé aux affaires d'une manière régulière, ce qui n'est contesté par personne, quand il s'est conduit avec loyauté et qu'il est entré franchement dans les voies de la modération, il a le droit de demander aux Chambres un concours loyal.
En faisant cette demande, il est fidèle à toutes les traditions parlementaires. Il ne s'aventure pas dans des demandes de confiance qui sont inutiles ; mais il ne peut pas non plus accepter un vote de défiance ; or, c'est dans ce sens qu'il interprète l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom. Ce que le gouvernement demande, c'est un concours loyal et impartial laissant à chacun l'entière liberté de ses opinions.
M. Devaux. - Messieurs, j'ai toujours désiré les positions franches L'année dernière, lorsque la discussion de l'adresse s'est présentée, j'ai voulu une situation nette pour tout le monde. Je n'ai pas dit que je prenais la demande de concours pour une formule, pour une phrase de politesse qui n'engageait à rien. A la demande de concours j'ai répondu très expressément que ce concours, je l'accordais. Cette année, messieurs, la même demande nous est faite, et je ne puis prendre cette demande pour un lieu commun, banal, un non sens, une équivoque, à laquelle on donne tel sens qu'on voudra. Le sens du discours du trône est on ne peut plus clair. Après avoir parlé de toutes les lois particulières qui nous seront présentées, le discours du trône, sortant des spécialités, parle de la politique générale du gouvernement, il la caractérise, et, immédiatement après, réclame en conséquence pour le gouvernement le concours des Chambres. Assurément, on ne saurait être plus clair.
C'est bien le concours politique qu'on nous demande. Je ne cherche pas à faire de l'opposition au ministère, je l'ai bien prouvé dans la session précédente, mais je ne puis pas accorder au ministère ce que les hommes d'une autre opinion n'ont pas le droit de me demander. Je ne puis m'engager d'avance envers eux sur des questions politiques. Et en demandant non pas à exprimer dans l'adresse un refus de concours, mais à réserver l'expression de toute opinion sur la politique future du ministère, je crois faire assurément acte de modération en même temps que de franchise.
Il y aurait, messieurs, infiniment moins de modération en même temps que de loyauté, à alléguer qu'une promesse de concours n'engage à rien, et à prendre sa revanche dans des questions administratives comme nous l'avons vu faire ici sur d'autres bancs.
Pour nous, après avoir dit très ouvertement que nous ne voulons pas nous engager sur les questions politiques dans l'adresse, nous saurons, quand viendront les questions administratives, venir en aide au gouvernement pour les résoudre au mieux des intérêts du pays, en les considérant isolément en elles-mêmes, et sans nous souvenir de nos dissentiments politiques.
Voilà jusqu'où nos engagements peuvent aller, mais où ils doivent s'arrêter. Pour l'honneur de nos débats et la dignité de notre pouvoir, je ne puis admettre que lorsque le gouvernement a solennellement demandé aux Chambres leur concours et que celles-ci l'on solennellement promis dans les termes les plus exprès et les plus étendus, il n'y ait là qu'un échange de mots sans valeur. C'est un des actes parlementaires les plus importants de la Chambre dans ses rapports avec le gouvernement, cette déclaration de sympathie politique n'est rien moins que le baptême parlementaire du cabinet.
Une telle déclaration de sympathie politique, le ministère a-t-il pu l'attendre de la part des hommes même les plus modérés qui siègent sur ces bancs ? Notre sincérité, nos convictions, notre honneur politique ne nous la défendent-ils pas ?
Si l'on ne voulait pas de discussion à cet égard, il fallait être plus réservé dans le discours du trône et dans le projet d'adresse. Si l'on voulait un discours de conciliation, il ne fallait pas demander un vote politique. Si l'on ne voulait pas demander un vote politique, il fallait être exprès, clair dans les termes. Je me rallie à l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom parce qu'il a ce caractère ; il est clair, il permet à la Chambre d'être très modérée, de faire la grande part aux besoins administratifs ; mais en même temps il réserve les opinions politiques ; il ne force pas les hommes qui ont des convictions politiques à en faire le sacrifice au cabinet.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - J'aime aussi les positions (page 21) nettes ; je les ai toujours voulues comme député ; je les veux encore comme ministre. Je déclare donc que le cabinet ne demande pas un vote de confiance, mais je déclare aussi qu'il n'accepte pas un vote de défiance.
M. Verhaegen. - Je désire répondre un mot à ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas lui qui a provoqué ce débat. Messieurs, je fais un appel à vos souvenirs, l'honorable M. de Decker n'a-t-il pas dit en réponse aux observations de mon honorable ami M. Vandenpeereboom qu'il ne demandait pas un vote de confiance absolue ; mais qu'il demandait un vote de confiance au moins pour les actes que déjà le ministère avait posés ? Et c'est dans ce sens encore qu'il vient de s'expliquer. Le ministère, a-t-il dit, a posé des actes et des actes assez nombreux pour qu'on puisse se formuler une opinion sur sa politique. N'est-ce pas nous dire : Examinez ces actes et après cet examen, donnez en âme et conscience un vote de confiance ou un vote de défiance.
Messieurs, la seule concession que je puis faire, c'est de ne pas examiner pour le moment ces actes auxquels M. le ministre fait allusion, et dans lesquels, je l'annonce dès à présent, je trouve des violations formelles de nos lois organiques ; je ne veux pas soulever la question pour le moment ; mais je ne puis par le vote qu'on nous demande donner ma confiance au ministère pour les actes qu'il a posés. Or, n'est-ce pas M. le ministre de l'intérieur qui, en venant parler de ces actes qu'on peut apprécier, vient ouvrir la discussion politique ?
Quant à moi, je reste dans ces termes excessivement simples : Je suis en face d'un ministère de droite pure ; c'est une majorité de droite qui l'appuie ; sa politique est une politique de droite. Je l'examinerai en temps et lieu au sujet de chacun des actes qu'il a posés, et je choisirai pour cela l'occasion du budget de chacun des ministres. C'est tout ce que je veux faire en ce moment, et je crois qu'on ne peut pas en demander davantage.
Quant au vote de l'adresse, la position sera excessivement nette : que le ministère, acceptant sa position qui n'est que la conséquence de sa couleur, demande à la Chambre une promesse de confiance. La majorité qui lui est acquise se prononcera pour lui, et l'opposition tout entière se prononcera, je l'espère, contre lui. C'est dans l’ordre ; c'est dans les principes du gouvernement constitutionnel.
Pourquoi biaiser, pourquoi vouloir tourner la difficulté ? Il faudra bien l'aborder un jour ou l'autre. Eh bien, pour ne pas prolonger cette discussion, votons sur le paragraphe final de l'adresse ; que celui qui veut donner sa confiance au ministère dise oui, que celui qui ne peut la lui accorder dise non.
M. Lebeau. - Messieurs, l'opinion à laquelle j'appartiens peut revendiquer en ce moment l'honneur de donner un exemple de modération. Il est positif que les membres de la gauche se bornent en ce moment à exercer un simple droit de défense, car il y va de leur honneur politique. Il y a dans le discours de la Couronne, pour quiconque veut faire franchement usage de son bon sens, la demande formelle d'un concours politique, bien que le mot n'y soit pas. Le projet d'adresse offre ce concours politique dans des termes plus énergiques que ceux dont on s'est servi dans le discours de la Couronne.
Messieurs, il suffit de remettre sous les yeux de la Chambre, sans commentaire, le texte même du paragraphe qui fait l'objet de la discussion actuelle, pour en être pleinement convaincu. « Le gouvernement de Votre Majesté, dit l'adresse, réclame notre loyal concours en échange de ses droites intentions et de la modération qui est la règle de sa conduite ; ce concours ne lui fera pas défaut. »
Je le demande, le thurifère le plus fervent d'un ministère pourrait-il trouver une formule qui atteste plus énergiquement ses sympathies ? J'en appelle non seulement à la franchise, mais au bon sens de chacun
Pour sortir des nuages, pour arriver à du précis, savez-vous ce qu'on veut nous faire approuver à l'avance ? Les actes annoncés par le discours même de la Couronne. C'est d'abord la condamnation d'un projet de loi qui a occupé vivement l'opinion publique et qui avait trouvé dans les rangs de la gauche un accueil qui ne paraissait pas devoir lui être réservé dans d'autres rangs ; c'est de plus l'annonce que ce retrait sera suivi d'un nouveau projet de loi destiné, sans nul doute, à soulever les passions du pays au moment même où l'on s'en va criant bien haut : Modération ! modération !
Elle est belle, cette modération qui se caractérise par le double fait du retrait d'une loi qui avait satisfait beaucoup d'esprits modérés et de l'annonce d'un projet nouveau qui est destiné, très probablement, à mettre les passions politiques aux prises.
Voilà l'approbation que l'on vous demande à l'avance, voilà quelle serait la portée de l'adresse qui vous est soumise, si on n'adoptait pas l'amendement de l'honorable M. Vandenpeereboom.
Nous, qui sommes la gauche, l'opposition, on nous provoque, savez-vous à quoi ? Tout simplement à une apostasie.
Nous ne répondons pas à cette provocation par une provocation, car nous disons au ministère ; Nous voulons vous voir à l'œuvre, voir venir vos actes ; s'ils sont utiles, nous les approuverons ; nous n'imiterons pas certains hommes qui ont trouvé autrefois le moyen de mettre de la passion politique partout, d'en faire voir même à propos d'une loi sur l'entrée du foin dans le pays, et à propos d'autres misères de ee genre.
Jamais ce rôle ne sera le nôtre. Nous répudions cette politique comme contraire à notre dignité, comme contraire aux intérêts du pays. Mais ce que nous refusons, car notre honneur l'exige, c'est la promesse de notre concours politique que le cabinet n'a pas la franchise de nous demander en termes explicites et qu'il veut en quelque sorte nous escamoter.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je désire répondre deux mots à M. le ministre de l'intérieur qui a mal saisi la portée de mon amendement, mais d'abord je répéterai que j'ai exprimé le désir, et je l'exprime encore, de pouvoir éviter toute discussion politique, sérieuse et vive. Pareil débat ne serait-il pas inopportun dans les circonstances actuelles ? Dans les paroles que j'ai prononcées, j'ai évité tout prétexte à discussion. Je n'ai fait allusion à aucun fait, à aucun acte, à aucun précédent ; je me suis borné à faire connaître que je ne pouvais m'engager à donner mon concours politique au cabinet. Je n'ai pas été plus loin. Si donc une discussion surgit, c'est parce que les défenseurs du cabinet l'ont provoquée, en demandant l'approbition des actes posés par lui depuis son avènement au pouvoir.
Il me reste à donner une explication sur l'amendement même. Cet amendement, je le déclare, n'implique ni confiance, ni défiance à l'égard de la politique ministérielle ; nous nous abstenons en ce moment de juger cette politique, cette abstention résulte clairement du texte de l'amendement, il suffit de le lire pour en être convaincu.
Je propose de dire : « Le gouvernement de Votre Majesté peut compter sur le concours de la Chambre pour toutes les mesures utiles qu'il croira devoir nous proposer. Nous comprenons l’étendue des devoirs que les circonstances imposent à notre patriotisme. »
Ce texte n'est-il pas clair et précis ? Pouvons-nous dire d'une minière plus catégorique que notre concours est acquis au gouvernement jusqu'au concours politique exclusivement, ainsi que l'a déjà déclaré mon honorable ami M. Orts ?
Mais nous ne pouvons aller plus loin ; nos opinions politiques c'est notre passé, nous ne pouvons, nous ne voulons les abjurer, nous ne consentirons jamais à transiger sur ce point. Pouvons-nous, dans de pareilles conditions, promettre honorablement notre concours politique au cabinet ?
Telle est la portée de notre amendement et je m'étonne que le gouvernement ne s'y soit pas rallié.
M. de Theux. - Messieurs, je m'étonne que l'honorable M. Lebeau ait prêté à la commission d'adresse une pensée qui n'est pas la sienne. L'honorable membre vous dit : « Voyez jusqu'où on vous engage ! On vous engage à blâmer le projet de loi sur les administrations charitables que le gouvernement a annoncé vouloir retirer, et à approuver à l'avance celui qui est destiné à le remplacer. »
Eh bien, la meilleure preuve de la modération de la commission, c'est précisément la rédaction du paragraphe relatif à cette importante mesure.
« La Chambre apportera dans l'examen du projet de loi relatif aux institutions de bienfaisance et aux fondations de charité qui va nous être présenté, l'attention sérieuse qu'exige l'importance même des graves intérêts qui s'y rattachent. »
Or, messieurs, peut-on s'exprimer en termes plus modérés ? Toutes les opinions sont réservées. Il n'y a ni désapprobation quant à l'ancien projet, ni approbation quant au projet nouveau ; seulement la Chambre annonce qu'elle examinera avec le soin qu'exige l'importance de la matière.
Cette rédaction doit faire comprendre que c'est dans la même pensée qu'est rédigé le paragraphe final. La commission était composée d'hommes assez fermes pour dire ouvertement leur pensée. Si nous avions eu l'intention d'engager la Chambre dans une voie où certainement plusieurs membres n'auraient pas voulu suivre la commission, nous n'eussions pas hésité à formuler notre opinion d'une manière claire et péremptoire sur le paragraphe relatif aux institutions charitables. Le rapprochement de ces deux paragraphes fournit la preuve la plus certaine de la modération qui a présidé à la rédaction de l'adresse.
La commission n'a nullement engagé les opinions politiques d'aucun membre de cette Chambre ; elle a voulu se référer aux précédents de la Chambre qui a voté sans difficulté telle adresse, quoique certains membres de la Chambre fussent en dissentiment politique avec le cabinet alors au pouvoir ; elle a voulu suivre l'exemple si sage du parlement anglais, et éviter les écueils que n'a pas su éviter la chambre des députés de France. Ce sont ces débats irritants, ces questions de cabinet incessamment posées, à propos d'adresse, et en toute occasion, qui ont amené en France la chute du gouvernement parlementaire ! Certes, la Belgique a marché dans une voie de modération dont elle ne doit pas se départir, alors surtout que nous sommes en présence d'un cabinet récemment arrivé aux affaires et en face d'une situation très grave. Ce serait la première fois qu'un fait de cette nature se serait produit, qu'on aurait voulu en quelque sorte, par un paragraphe incidentel à l'adresse, arriver à une question de cabinet.
- La discussion générale du projet d'adresse est close.
- La Chambre passe à la discussion des paragraphes.
« Sire, les témoignages réitérés de confiance et de haute estime que (page 22) V. M. continue à recevoir des gouvernements étrangers, et que votre fils bien-aimé, le Duc de Brabant, a été heureux de recueillir dans les pays qu'il a visités, sont la récompense de la conduite loyale et digne que la Belgique et son Roi ont su tenir, et dans laquelle ils veulent persister. La nation entière s'associe au sentiment de bonheur et de légitime fierté qu'en a éprouvé votre cœur de père et de Roi. »
- Adopté.
« La sécurité intérieure dont nous jouissons a développé l'activité agricole, industrielle et commerciale dans presque toutes nos provinces, et le travail pour les classes ouvrières y est abondant. Malheureusement, le pays n'a pu échapper aux atteintes de la crise des subsistances qui nous imposent des épreuves douloureuses que les autres nations traversent comme nous, et peut-être avec moins de moyens d'y résister. »
- Adopté.
« Le cœur paternel de V. M. s'est ému de cette situation que la Providence, nous en avons l'espoir, saura rendre passagère ; déjà une impulsion heureuse a été donnée aux administrations locales, aux associations particulières et aux dévouements individuels, qui ont mis l'intelligence de la charité, toujours ingénieuse et féconde, au service des classes qui souffrent du prix élevé des denrées alimentaires. »
M. Dumortier. - Messieurs, le paragraphe dont il s'agit, relatif à la crise des subsistances, mérite toute l'attenlion de la Chambre, puisqu'elle fixe l'attention la plus sérieuse du pays ; je croirais manquer au plus impérieux de mes devoirs si je gardais le silence alors qu'il est question de porter au pied du trône les vœux de l'assemblée sur cette question si grave, si sérieuse, si palpitante d'intérêt.
Messieurs, notre mission est ici de rassurer un peu les populations ; notre mission est de faire en sorte que le peuple ne se trompe pas sur la véritable situation des faits, et aussi de stimuler le gouvernement dans la voie qu'il doit suivre pour arracher le peuple à une crise considérable dont il est difficile de prévoir l'issue.
On me dira peut-être que je devrais attendre la discussion de la loi sur les denrées alimentaires. Si je ne l'ai pas fait, le motif est bien simple, le projet de loi est présenté, il est vrai, mais un mois peut s'écouler avant qu'il arrive à la discussion. Des lors il me paraît incontestable qu'il n'est pas possible de laisser un temps aussi long se passer sans que nous entretenions la Chambre de cette question.
Messieurs, la situation du pays en cette matière a été présentée sous plusieurs points de vue. On a cru que le pays était dans un déficit de céréales tel, qu'il y avait apparence d'une disette. Je ne partage pas du tout cette opinion.
Je n'envisage pas la question des denrées alimentaires sous un seul et unique point de vue ; je l'envisage dans son ensemble.
La question ainsi envisagée, le pays est dans l'erreur en ce qui concerne l'alimentation du pays. Je me pose cette question : Y a-t-il en présence du haut prix des céréales un déficit réel, sérieux, important dans les substances alimentaires ?
Eh bien, dussiez-vous m'accuscr de paradoxe, je dirai avec franchise que je ne puis admettre que l'approvisionnement du pays présente l'énorme déficit que l'on suppose. Permettez-moi quelques mots d'explication. L'alimentation du peuple ne se compose pas uniquement de froment ; huit denrées y concourent ; le froment, le seigle, l'orge, le sarrasin... (Interruption.) Je prie M. Vandenpeereboom de ne pas m'interrompre.
M. Vandenpeereboom. - Si vous me faites rire, ce n'est pas ma faute, c'est la vôtre.
M. Dumortier. - Ce que je dis vaut bien votre amendement.
Je disais donc que l'alimentation n'employait pas seulement le froment, mais diverses denrées qui ont chacune leur importance, et qui sont le froment, le seigle, le sarrasin, l'avoine, l'épeautre, l'orge.
On membre : Le foin.
M. Dumortier. - Il y a de quoi être révolté quand on entend dans une assemblée législative une semblable interruption, dans une discussion comme celle dont il s'agit. Du foin ! c'est là peut-être ce que vous voudriez faire manger au peuple ?
M. Prévinaire ; - Vous le mangez sous forme de viande.
M. Dumortier. - Si votre système de libre échangiste tend à faire manger du foin au peuple, je me félicite de ne l'avoir jamais admis.
Il y a encore un tubercule qui sert beaucoup à l'alimentation publique, la pomme de terre. Or, quand j'envisage la situation des récoltes de ces diverses denrées, je dis que, comme ensemble, l'approvisionnement ne présente pas, cette année, le déficit qu'on prétend exister chez nous.
Il y a, dit-on, un déficit considérable quant au froment, cela est vrai, mais l'excédant de la récolte de l'année dernière est là pour largement combler le déficit.
L'année dernière, M. Piercot disait, dans cette enceinte, qu'il y avait un déficit de 750,000 hectolitres.
On l'a affiché dans toutes les communes de la Belgique, il n'en est pas une seule où l'on n'ait affiché une circulaire portant qu'il y avait un déficit annuel de 750,000 hectolitres de froment.
Eh bien, qu'est-ce qu'a amené cette récolte en déficit de 750,000 hectolitres ? Dès la fin de juillet, on a consommé le grain de la récolte de cette année-là, et aujourd'hui encore le pays ne consomme que du grain de cette même récolte ; dans ce qui vient sur nos marchés la récolte dernière n'entre que pour une quantité infiniment petite.
Ainsi vous avez eu au moins pour quatre mois d'approvisionnements sur cette même récolte à laquelle il manquait 750,000 hectolitres. Quelle est donc la situation ? C'est que la Belgique, avec la production du froment, n'a qu'à pourvoir aux huit autres mois de l'année. En envisageant la situation à ce point de vue, il y a assez de froment dans le pays pour suffire à tous les besoins.
La récolte du seigle est variable. Dans certaines provinces, il y a déficit ; dans d'autres, il y a excédant. Mais si les semailles faites avant l'hiver donnent quelques manquants, il y a avantage pour ce qui concerne le marsage. Là vous avez une récolte si abondante que depuis un grand nombre d'années on n'avait rien vu de semblable. Pour l'avoine, double récolte.
Pour les fèves, qui entrent pour beaucoup dans la consommation, double récolte.
Pour les pommes de terre, la récolte est tellement considérable que depuis dix ans, on n'en a pas vu une pareille, ni d'une qualité comparable à celle de cette année.
Il est donc incontestable que la Providence nous a accordé une ample compensation du manquant en froment, et que l'alimentation proprement dite est assurée en Belgique pour tout le cours de l'année.
Mais, me direz-vous, d'où peut-il provenir que nous ayons les grains à un prix aussi élevé qu'ils sont maintenant ? Vous le savez comme moi, il n'y a pas d'exemple que le pain soit arrivé, en novembre, au taux où il est aujourd'hui, et déjà il est incontestable que les salaires sont moins que jamais en rapport avec le prix des denrées alimentaires.
D'où vient cette étrange anomalie ? Permettez-moi de vous en dire la cause. Il y a d'abord cette cause générale : la force de l'exemple ; le froment a manqué dans une grande partie de la France, et nous avons des prix qui tiennent beaucoup des prix de la France.
En second lieu, il y a un fait qu'on ne peut méconnaître, c'est que les bonnes années dont les fermiers ont profité, les ont rendus assez riches pour qu'ils ne soient pas pressés de vendre. C'est ce qui fait qu'ils restent détenteurs de grains.
Il y a une troisième cause, c'est qu'aujourd'hui les productions des champs ne vont pas directement du producteur au consommateur, qu'ils passent par une foule d'infermédiaires, qui font subir aux céréales l'effet de la fameuse livre de beurre de Charles-Quint.
Voilà une des plus grandes causes du mal actuel. On ne peut assez regretter que les dernières années qui se sont écoulées aient amené ce triste résultat que les grains, au lieu d'être vendus directement par le fermier au consommateur, soient vendus par les fermiers à des intermédiaires, qui ne leur font pas obtenir un plus haut prix, mais qui font payer un plus haut prix aux consommateurs.
Ces facteurs ruraux vont de terre en terre, de culture en culture, engagent ceux-ci à ne pas vendre, achètent à ceux-là pour revendre. C'est un malheur pour le pays. J'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur ces manœuvres, et je l'engage à nous présenter un projet de loi qui frappe d'une forte patente ces facteurs ruraux qui ne font que faire hausser le prix des grains au détriment du consommateur et du producteur.
Une autre cause, c'est cet usage de notre pays d'avoir des marchés à des époques différentes. Par ce fait des différences de dates des marchés de la semaine, il arrive que nous voyons souvent des grains faire la navette d'un marché à l'autre. Le commerce des grains qui se fait ainsi et qui, en dehors du commerce maritime, n'est pas à proprement parler un commerce, ne voit que le bénéfice qu'il peut retirer entre le producteur et le consommateur.
Le seul moyen de mettre un terme aux abus résultant de ce commerce serait de fixer tous les marchés du pays à un même jour, par exemple au vendredi, et d'interdire l'expédition des cours d'un marché à l'autre, par le télégraphe, pendant la durée du marché.
Je sais qu'on viendra contester ces faits. On prétendra qu'il y a du danger à dire de pareilles vérités. Pour moi, je dis qu'il n'y a jamais de danger à dire ce que tout le monde sait. Mais il y a un danger très grand à nier ce que tout le monde sait.
Avec ce système on arrive à ne jamais porter remède au mal, tandis que quand tout le monde connaît le mal, on applique le remède ; c'est donc rendre service à la chose publique et empêcher les abus. Le jour où le pays sait qu'on s'occupe de porter remède aux abus qu'il connaît,, il attend pacifiquement la solution.
Vons comprenez donc combien cette discussion est importante, combien il est utile de venir, dans la discussion de l'adresse, parler de cette question qui occupe le pays, qui l'occupe plus que la prise de Sébastopol. Le pays s'occupe avant tout de son alimentation, et pour mon compte jé désire voir le gouvernement entrer dans une voie plus directe que celle où il est entré.
Je ne méconnais pas ce qu'il a fait dans cette question ; mais je dois le dire, j'ai toujours en une très grande peur des circulaires, elles effrayent plus qu'elles ne servent. Lorsque M. Piercot a fait afficher dans tous les villages du pays sa fameuse circulaire, il a posé un acte qui dans d'autres pays l'aurait fait mettre en accusation.
(page 23) Quel a été, messieurs, le résultat de cette circulaire ? C'est que huit jours après qu'elle avait été affichée dans toutes les communes, il y avait dans le pays entier une hausse considérable sur les grains. Pourquoi ? Le jour où vous êtes venu dire au paysan : Il y a un déficit de 750,000 hectolitres, le paysan s'est dit : Il faut tenir nos grains ; nous les vendrons plus cher plus tard. Vous eussiez été commerçant, vous eussiez été paysan, vous en auriez probablement fait autant. Le paysan ignorait qu'il y avait un déficit de 750,000 hectolitres. Il a fallu que ce fût le gouvernement qui vînt l'éclairer à ce sujet ; et bientôt la renommée, qui sait grossir les choses, a fait croire aux paysans qu'il y avait un déficit de deux ou trois mois de récolte, et qu'il fallait s'attendre à voir arriver les grains à un prix fabuleux.
Ces circulaires sont des choses funestes, et pour mon compte je saisis l'occasion actuelle pour dire ma manière de voir d'une manière très nette, très franche, très catégorique sur la circulaire à laquelle je fais allusion et qui a complètement desservi le pays.
L'honorable M. Piercot venait dire au pays qu'il lui manquait 750,000 hectolitres de grains. Je répondrai oui et non. Oui, la Belgique peut manquer de 750,000 hectolitres de grains, lorsque les pommes de terre sont malades, lorsqu'elles ne valent rien, lorsqu'il faut que l'ouvrier consomme exclusivement du grain. Mais le jour ou la récolte des pommes de terre réussit, vous ne pouvez pas compter pour rien les produits considérables qu'elle fournit à l'alimentation. Cette récolte entre pour beaucoup dans l'alimentation populaire et ce déficit dont vous parlez finit par disparaître. C'est ainsi que le trop plein si considérable de la récolte précédente qui dure encore aujourd'hui, est dû certainement en grande partie à ce que pendant l'été les pommes de terre ont été excellentes et que l'ouvrier a consommé en grande partie ces pommes de terre au lieu de pain. Les ayant à bon marché, il les a préférées au pain, et dès lors il y a eu une diminution considérable dans la consommation des grains.
Voici la vérité en matière de statistique. Les chiffres sont vrais ; mais la signification qu'on leur donne n'est pas toujours exacte.
Je dis donc que le pays était trompé lorsqu'on est venu lui dire qu'il manquait 750,000 hectolitres de grain, comme le pays serait trompé aujourd'hui si l'on venait lui dire qu'il n'a pas assez pour pourvoir à son alimentation, parce qu'il y a un déficit sur le froment et sans tenir compte des autres produits. En pareille matière, il faut envisager toutes les cultures dans leur ensemble.
Car, vous ne l'ignorez pas, la meunerie, pour faire de la farine, ne se borne pas à moudre du grain, à moudre du froment ; elle livre au moulin de l'orge, de l'avoine, des féveroles, du sarrasin ; tout cela finit par entrer dans la consommation et augmente considérablement le produit de ce froment que vous avec récolté en grain sur la terre.
En envisageant donc la récolte dans son ensemble, je maintiens que le déficit dont on a parlé n'existe pas, et que c'est surtout à de vaines terreurs, à la terreur produite par cette fatale circulaire, à l'exemple de ce qui se passe dans le voisinage, que nous devons le haut prix des grains.
Je pourrais signaler d'autres motifs encore. Il est un fait qu'on ne peut révoquer en doute, c'est que tous les petits journaux à bon marché, qui se répandent chez tous les paysans et auxquels il y a des abonnements innombrables uniquement parce qu'ils vous donnent la cote des grains sur tous les marchés de la Belgique et de l'étranger, ne sont pas de nature à amener une réduction des prix des céréales ; et dans mon opinion, cette cause n'est peut-être pas la dernière pour nous expliquer les hauts prix dans lesquels nous sommes entrés.
En présence de ces prix excessivement élevés, messieurs, que faut-il faire ? Les grains sont arrivés au prix de 40, de 42, j'ai vu le prix de 45 francs sur le marché de Tournai, par hectolitre de froment. Chaque marché nous amène une nouvelle hausse et nous avons à craindre de voir les prix augmenter encore.
Or, dans l'état actuel des choses, il est un fait que nul ne peut nier, c'est que les salaires ne sont aucunement en harmonie avec le prix des denrées alimentaires de première nécessité. Je ne parle pas de la viande ; l'ouvrier ne peut pas s'en nourrir. Je ne parle pas du beurre ; il doit s'en passer. Je ne parle pas des œufs ; ils s'exportent presque tous. Mais le pain et les pommes de terre devraient rester pour lui à un taux raisonnable ; il serait à désirer, et vous désirez tous que l'ouvrier, avec le prix de sa journée, avec le prix de ses sueurs, pût gagner son alimentation et celle de sa famille. Malheureusement il est loin d'en être ainsi. Nous revenons de nos provinces, nous revenons de nos arrondissements, chacun de nous peut se dire que dans notre province, dans notre arrondissement, dans la localité qu'il habite, il y a des plaintes unanimes sur l'état de disette des ouvriers.
On s'est dit : Laissons faire le commerce ; il ne nous manquera jamais de grain. Cela est parfaitement juste ; je reconnais cette vérité : laissez faire le commerce, il ne vous manquera jamais de grain. Mais j'ajouterai : il ne vous manquera jamais de grains ; seulement le commerce vous les fera payer à son bénéfice le plus grand qu'il pourra. Nous voilà donc arrivés à marcher dans la voie de la hausse. Car il est bien certain que le commerce ne viendra jamais vendre le grain pour ne pas faire de bénéfices. Lorsque le grain était à 20 ou 25 fr. l'hectolitre, on pouvait se reposer sur le commerce seul. Mais en est-il de même aujourd'hui que les céréales sont arrivées à ces prix fabuleux que nous voyons chaque semaine hausser encore ?
Je dis que compter en pareil cas sur le commerce, c'est acquérir l'assurance que nous aurons des denrées alimentaires, mais ce n'est pas du tout nous donner l'assurance qu'il y aura un mieux-être pour l'ouvrier qu'il y aura un mieux-être pour le petit boutiquier, qu'ily aura un mieux-être pour le petit bourgeois, qui souffre autant que le peuple, car il doit cacher ses douleurs.
Pour mon compte, dussent bien des opinions se rebeller contre moi, je déclare formellement que dans un petit pays comme le nôtre, avec les facilités que nous avons, je ne connais en résumé qu'un seul et unique système, c'est que le gouvernement, me semble-t-il, aurait dû prendre sous sa responsabilité de faire venir un certain nombre d'hectolitres de grains des pays de production, sans passer par la main des intermédiaires, pour les faire vendre par les villes aux prix coûtants, sans y rien perdre, mais sans y rien gagner.
Si le gouvernement eût agi de la sorte, s'il avait fait venir quelques centaines de mille hectolitres de grains, pas même un demi-million d'hectolitres, il est certain que les ouvriers auraient eu dans le cours de cette année de quoi se nourrir d'une manière suffisante, et cela sans arriver à la situation déplorable dans laquelle il se trouve.
En effet, nous avons vu, il y a à peine un mois, que le prix de revient des grains venant de l'Amérique n'était guère que de 30 à 32 fr. Si le gouvernement eût fait venir 400 ou 500 mille hectolitres de grains, s'il les eût répartis entre toutes les villes, surtout dans les villes manufacturières, s'il les eût laissé vendre par les soins des villes, au prix coûtant, il n'y perdait pas un centime et il donnait du pain aux ouvriers, à très bon marché. Cela eût amené un deuxième résultat, c'est que la consommation se trouvant diminuée de tout ce qui était ainsi fourni par l'intermédiaire des administrations communales, au moyen de grains tirés de l'étranger, il y avait nécessairement tendance à l'abaissement général des prix.
Maintenant, messieurs, que s'est-il passé ? Le gouvernement n'a pas cru pouvoir prendre cette mesure. Je ne prétends pas lui en faire un reproche ; il n'a pas voulu engager sa responsabilité, peut être ne lui a-t-on pas donné de pareils conseils, mais certaines villes, dans le pays, avaient déjà opéré de cette manière il y a deux ans et elles ne s'en sont pas mal trouvées.
En France, le gouvernement a pris des mesures pour que l'armée tout entière fût alimentée au moyens de grains étrangers, et je félicite MM. les ministres de la guerre et des travaux publics d'avoir fait la même chose, l'un pour l'armée, l'autre pour les prisons, qui auraient été, sans cela, alimentées aux dépens des produits de l'intérieur. Mais, si en France et en Belgique, le gouvernement est si bien placé pour faire venir des grains en faveur de l'armée, pourquoi ne pourrait-il pas le faire également en faveur des populations des villes ?
Beaucoup de villes ont fait venir des céréales de l'étranger et les ont vendues à des prix très bas, souvent à prix réduit aux ouvriers d. leurs localités ; pourquoi donc, lorsque les villes ont donné cet exemple, pourquoi n'en agirions-nous pas de même, pourquoi n'ouvririons-nous pas un crédit au gouvernement, à l'effet de faire venir des lieux de production une certaine quantité de grains qui serait, plus tard, mise à la disposition des villes pour être vendues au prix coûtant aux classes nécessiteuses ?
Mais, messieurs, ce n'est point là un système nouveau. Quand la disette était très grande en Irlande, qu'a fait le gouvernement anglais ? Mais il a fait venir des quantités considérables de maïs pour favoriser l'alimentation du peuple.
En 1817, le roi Guillaume a fait venir des quantités considérables de grains de la Baltique, qui ont été vendus à des prix très bas. C'est par suite de ces moyens qu'on a amené une réduction des prix.
Vous voyez donc, messieurs, que les exemples ne manquent pas.
Dans la situation actuelle, je sais que plusieurs villes s'occupent très sérieusement de cette question. Dans la ville que j'habite, à Tournai, on vient de faire des essais de panification en introduisant une quantité considérable de maïs dans le pain ; on est arrivé ainsi à faire un pain réellement excellent pour l'ouvrier et qui ne se vendra qu'aux deux tiers du prix ordinaire. Voilà, messieurs, une chose excellente, mais si les administrations doivent faire tout cela par elles-mêmes, si elles ne sont pas secondées par le gouvernement, elles feront sans doute quelque bien, mais elles se ruineront pour avoir donné un bon exemple.
Si, au contraire, le gouvernement faisait venir du grain et du maïs des lieux de production, et qu'il les vendît aux villes au prix coûtant, il amènerait des résultats extrêmement avantageux.
Je sais bien qu'on viendra me dire : « Mais quand aurez-vous ce grain ? » Messieurs, ma réponse est bien facile : nous ne sommes qu'au commencement de la crise, nous ne sommes qu'en novembre, et le prix des grains peut s'élever jusqu'au mois de juin. Ce sera aux mois de mars et d'avril que vous aurez à faire les plus grands efforts, car c'est alors que les prix s'élèvent le plus. Eh bien, c'est à cette époque que vous aurez vos approvisionnements et que vous pourrez ainsi venir en aide aux populations manufacturières.
Dans les campagnes les ouvriers souffrent sans doute beaucoup, mais la situation n'y est pas à comparer à celle des centres industriels : l'ouvrier de la campagne récolte lui-même une partie des denrées qu'il consomme ; son jardin produit des légumes, il s'arrange avec le fermier pour avoir quelque partie de terre où il obtient sa provision de (page 24) pommes de terre, d'autre part, il existe encore dans les campagnes un système de patronage au moyen duquel le fermier fait des avances en grains aux ouvriers, qui se récupèrent ensuite lorsque le travail devient plus productif. Dans les localités manufacturières il en est autrement : là l'ouvrier n'a pas de jardin, il faut qu'il achète tout : légumes, pommes de terre, pain ; il n'a aucune ressource et il est privé de cet antique patronage qui existe encore dans les campagnes.
C'est donc dans les villes manufacturières que les besoins sont incomparablement les plus grands et que dans les moments difficiles on voit quelquefois se produire (ce qui, j'espère, n'aura point lieu), tout autre chose que de l'ordre. C'est là que le gouvernement devrait intervenir, et, pour mon compte, j'appelle son attention la plus sérieuse sur les mesures à prendre, afin de ne pas laisser l'alimentation publique à la merci du commerce. Je demande qu'il intervienne dans une proportion quelconque et qu'il fasse au moins quelque chose pour faciliter les efforts des communes. Envoyer des circulaires, c'est une très belle chose, mais donner le moyen de faire aboutir les circulaires, donner du pain, c'est une chose infiniment meilleure.
Messieurs, je me bornerai à ce peu de mots pour le moment. L'heure de lever la séance est arrivée. Je verrai demain si j'ai encore quelque chose à ajouter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Il m'est impossible de laisser accuser M. Piercot en son absence, par mon excellent ami, alors que c'est moi qui suis le vrai coupable de la circulaire. (Interruption.) Je ne l'ai pas rédigée c'est vrai et je ne l'aurais peut-être pas rédigée absolument comme elle l'est, mais j'en ai été l'inspirateur.
Il faut remarquer, messieurs, que la situation de l'année dernière était toute différente de la situation actuelle. L'année dernière la récolte était excellente en Belgique et les populations s'étonnaient, en présence de cette récolte, que les prix fussent si élevés.
J'ai cru alors devoir conseiller au gouvernement d'éclairer les populations ; or, on ne pouvait le faire qu'en leur disant que dans les meilleures années nous devons toujours tirer une certaine quantité de grains de l'étranger et que les grains étrangers n'arrivent en Belgique que quand les prix y sont aussi élevés ou un peu plus élevés qu'en Angleterre et en Hollande.
L'honorable M. Piercot n'a pas dit seulement aux cultivateurs : « Il y a manquement de 750,000 hectolitres » ; mais il a immédiatement ajouté : « Ce manquement sera rempli ; ne vous effrayez pas. Toutefois, il ne le sera que quand les prix en Belgique seront au niveau des prix anglais et des prix hollandais. »
Du reste, il est impossible d'attribuer à cette circulaire le haut prix des denrées alimentaires, que nous avons vu, l'année dernière, en Belgique ; car s'il en était ainsi, la circulaire aurait fait sentir son effet en Angleterre, en France et en Hollande. Les prix n'ont pas été plus élevés. (Interruption.) Il est possible que les prix se soient élevés quelque jours après la publication de la circulaire ; mais ce renchérissement n'a été que momentané.
Les prix n'ont pas été plus élevés en moyenne dans notre pays qu'en Hollande et en Angleterre. (Nouvelle interruption.) Ils ont peut-être été plus élevés de quelques centimes ; soit, je suis fâché d'être complètement en désaccord avec mon honorable ami, M. Dumortier ; mais je ne puis attribuer à la circulaire ce plus haut prix de quelques centimes qu'a subi la moyenne belge à l'égard de la moyenne anglaise et de la moyenne hollandaise ; je l'attribuerais bien plutôt à la prohibition des grains à la sortie. Cela n'empêche pas que le gouvernement ne vous propose encore la prohibition cette année ; mais c'est à un autre ordre d'idées que s'applique cette mesure.
J'ai voulu, messieurs, en prenant la parole, réclamer ma part de responsabilité dans la circulaire qui vous a été dénoncée.
M. Dumortier. - Mon honorable et excellent ami est bien complaisant en voulant prendre la responsabilité de cette circulaire ; car, si ma mémoire est fidèle, son but à lui était de provoquer une circulaire pour rassurer les cultivateurs ; or, la circulaire que j'ai dénoncée a été faite pour les effrayer.
M. Prévinaire. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel quand l'honorable membre qui a précédé M. le ministre des affaires étrangères prétendait que c'était faire preuve d'une indifférence coupable, que c'était abandonner l'intérêt des populations ouvrières, que de ne pas adopter entièrement ses vues économiques.
Ce reproche s'adressait à toutes les personnes auxquelles il a fait allusion et notamment à moi qu'il avait cité nominativement. Vous avez entendu, messieurs, l'honorable membre présenter la nomenclature de tous les articles qui servent à l'alimentation des populations ; j'ai ajouté à cette nomenclature le foin ; en effet, le foin sert à l'alimentation de l'homme, mais pas directement : il lui arrive comme alimentation, sous forme de viande ; l'honorable membre ne peut pas le contester.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.