(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 1009) M. Calmeyn procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Calmeyn présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le sieur de Tiége demande la snppression de l'article 4 de la loi générale sur la douane du 22 août 1852, relatif à l'importation du gravier. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.
« Plusieurs habitants de Fosse demandent qu'on examine s'il n'y a pas lieu de décider que les fabriques de produits chimiques suspendront annuellement leurs travaux du 1er avril au 1er octobre. »
« Mêmes observations d'habitants d'Asche-en-Refail, de Forville et de Dhuy. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Greefs demande que M. le ministre de la justice soit interpellé sur la suite qu'il a donnée à ses pétitions tendant à obtenir un jugement dans une cause qui est pendante devant le tribunal de Turnhout. »
- Même renvoi.
« Des habibants de Roulers, Westroosebeke et Becelaere réclament l'intervention de la Chambre pour que la douane permette la libre exportation du déchet de lin. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission de naturalisation.
M. de Renesse. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget des dotations pour l'exercice 1856.
- Ce rapport, qui sera imprimé et distribué, est mis à l'ordre du jour, a la suite des objets qui y sont déjà.
M. Calmeyn. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la commission des naturalisations, des rapports sur plusieurs demandes de naturalisation ordinaire. Ces rapports seront imprimés et distribués.
- La Chambre les met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà.
M. Jouret. - Messieurs, le rapport que j'ai reçu ce matin sur un crédit extraordinaire de 2,435,000 fr. au département de la guerre se termine comme suit :
« Par décision, prise en séance du 24 avril, vous avez renvoyé à la section centrale chargée d'examiner le crédit de 2,435,000 francs, une pétition datée d'Ath, le 28 mars dernier. Cette requête émane de l'administration communale de la ville précitée, et elle réclame l'intervention de la législature pour que le département de la guerre fasse exécuter, dans son ensemble, le travail de démantèlement de la forteresse de cette place, s'il ne préfère laisser à la ville l'exécution de ces travaux, moyennant la cession des terrains de la forteresse ; elle demande en outre, que toutes les villes placées dans la même position que celle d'Ath, soient traitées sur un pied d'égalité parfaite.
« La section centrale a l'honueur de vous proposer le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi. »
Je ne puis me contenter, messieurs, de cette proposition, et je viens proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explication.
Si chacun de vous, messieurs, avait pu voir, comme je l'ai vu, l'état de choses que l'on dénonce à votre justice, je n'aurais pas besoin d'appeler votre sollicitude sur la réclamation qui est en ce moment soumise à la Chambre.
A la vue des murailles renversées qui forment autour de la ville d'Ath une énorme ceinture de matériaux informes et de ruines, à la vue des larges fossés sans écoulement, où croupissent des eaux qui exhalent de pernicieuses vapeurs, vous auriez tous été convaincus que cette situation ne pouvait être que passagère, que le mal ne devait durer que le temps rigoureusement nécessaire pour achever les travaux, c'est-à-dire pour enlever les décombres, combler les cavités et niveler le terrain.
Et cependant un organe du gouvernement a proclamé l'étrange résolution d'abandonner la ville d'Ath au milieu des débris qui l'incommodent et la défigurent, et de rendre permanents les foyers d'infection qui menacent la santé publique.
Oui, tel est le sort auquel cette ville est condamnée, s'il faut considérer comme définitive et irrévocable la décision du ministre de la guerre citée dans la pétition.
Est-ce là, messieurs, ce que la Chambre a voulu quand elle a ouvert par la loi du 11 juin 1853, un crédit de 3,500,000 fr. au département de la guerre « pour continuer les travaux de démolition » ?
Si le crédit n'est pas épuisé, pourquoi ne pas l'employer à une destination dont la nécessité est incontestable et l'urgence flagrante ?
S'il est insuffisant, la justice, l'intérêt public n'imposent-ils pas au département de la guerre le devoir de recourir à la législature et de solliciter un supplément d'allocation ?
Ou bien, si une demande de fonds pour cet objet lui inspire une répugnance trop grande, pourquoi n'use-t-il pas du droit que lui confère la loi du 14 mars 1854, de céder à la ville les terrains militaires dont elle a besoin ?
A ce prix, l'administration offre de se charger elle-même, à ses risques et périls, des travaux de démolition et de nivellement.
Voilà, messieurs, quelques points que je prie la Chambre de me permettre de signaler particulièrement au nouveau chef du département de la guerre et sur lesquels j'espère qu'il voudra bien s'expliquer en répondant au renvoi qui lui sera fait de la pétition.
M. de Perceval. - Messieurs, je ne conteste pas à l'honorable M. Jouret son droit de faire une motion d'ordre, mais je pense que la proposition qu'il nous soumet est inopportune en ce moment.
La Chambre n'est pas appelée aujourd'hui à discuter le projet de, loi qui ouvre un crédit extraordinaire de 2,435,000 francs au département de la guerre, et sur lequel j'ai eu l'honneur de faire rapport. J'engage l'honorable membre à ne pas insister ; nous apprécierons la question qu'il soulève quand nous examinerons le projet de loi auquel elle se rapporte tout naturellement. De plus, je ferai remarquer à l'honorable député d'Ath que déjà ce projet de loi est inscrit parmi les premiers objets de notre ordre du jour.
Si l'honorable M. Jouret maintient sa motion, je poserai la question préalable, et je demanderai que la Chambre reprenne son ordre du jour.
M. Vander Donckt. - Messieurs, ce que demande l'honorable député d'Ath se borne à ceci : C'est qu'en même temps que la pétition soit déposée au bureau des renseignements pendant la discussion du projet de crédit, la Chambre en ordonne le renvoi à M. le ministre de la guerre.
C'est un acte de simple complaisance qui ne préjuge rien. L'honorable ministre de la guerre examinera l'affaire. La Chambre sans doute ne se refusera pas à prononcer ce renvoi présenté dans de semblables conditions.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il y a lieu d'ajourner la proposition de l'honorable M. Jouret jusqu'à la discussion du rapport de la section centrale qui a émis une résolution sur la pétition dont il s'agit.
En effet, cette pétition se rattache à un objet dont la Chambre n'a pas à s'occuper aujourd'hui. En ce moment, toute discussion est prématurée, ainsi que vient de le dire l'honorable M. de Perceval.
M. Jouret. - Puisque mon but est atteint, je retire pour le moment ma motion d'ordre ; je la reproduirai au besoin lors de la discussion du crédit de 2,435,000 francs au département de la guerre.
M. de Steenhault. - J'ai l'honneur de déposer les rapports sûr 27 demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Nous avons à nous occuper des amendements qui ont été renvoyés à la section centrale.
Le premier est celui proposé par M. Coomans à l'article 3, qui consiste à ajouter le mot « officielles » au mot « annonces », qui termine le premier paragraphe.
La section centrale en propose le rejet.
M. Lelièvre. - C'est avec raison, selon moi, que la section centrale a repoussé l'amendement de l'honorable M. Coomans. La législation actuelle contient des dispositions contraires à cet amendement. Ce serait donc rétrograder que d'adopter l'innovation proposée par M. Coomans, et, certes, dans une circonstance où il s'agit de propager sérieusement l'usage des poids et mesures métriques, il faut se montrer sévère et écarter toutes dispositions ayant pour conséquence de laisser subsister des babitudes qu'il importe à l'intérêt général de faire cesser.
(page 1010) Quant à la question de savoir si l'infraction à la loi rejaillira sur l'éditeur du journal, l'affirmative n'est pas douteuse. Il ne s'agit pas ici d'un délit de presse, mais d'une loi d'ordre public concernant la police de la presse. Or, le véritable auteur de la contravention, c'est l'auteur de la publication de l'annonce renfermant l'infraction légale ; c'est donc l'éditeur du journal qui sera responsable. Et cette prescription qui découle des principes généraux, ne présente rien d'exorbitant. L'éditeur contrevenant aux lois de police relatives à la presse, encourt nécessairement une responsabilité personnelle qui pèse sur lui comme concourant à la publication.
M. Coomans. - Il y avait deux points dans la proposition que j'ai eu l’honneur de soumettre à la Chambre ; le premier concernait l'obligation imposée aux journaux de ne plus jamais mentionner les anciens poids et mesures, le deuxième point est la question de savoir qui, de l'éditeur du journal ou de l'auteur signataire de l'annonce, payera l'amende.
Sur le premier point, on m'objecte qu'il faut extirper complètement de mauvaises habitudes. Certes il faut recourir à des remèdes héroïques quand on est décidé à extirper de mauvaises habitudes généralement contractées.
J'avoue que l'unité des poids et mesures est très désirable, que le système adopté par le gouvernement mériterait d'être préféré ; mais cette unité n'est-elle pas désirable aussi dans d'autres ordres d'idées où nous n'osons pas l'introduire ? N'est-il pas désirable qu'une nation ait le même culte, parle la même langue, qu'elle n'ait qu'une même opinion sur ses institutions nationales. Cependant qui d'entre nous provoquera des amendes et d'autres peines contrôles dissidents ?
Je conclus de ces observations, sur lesquelles je ne veux pas insister, qu'il n'est pas logique de m'opposer l'utilité d'un régime uniforme pour repousser mon amendement.
Du reste, devant les répugnances de la Chambre, je n'hésiterais pas à retirer mon amendement, si je pouvais renoncer à une proposition que je trouve raisonnable et utile. La Chambre agira dans sa sagesse.
Sur le deuxième point, j'attire plus particulièrement l'attention de la Chambre. C'est une innovation qu'on veut introduire dans la législation sur la presse, mille fois les cours et tribunaux ont décidé que dans les annonces c'est le signataire qui est responsable des faits faux qu'il allègue.
Il arrive à chaque instant qu'un signataire d'annonce impute des faits faux, calomnieux, contre d'autres industriels ou commerçants, est-ce l'éditeur qui est responsable ? Non, d'après la Constitution, oui, d'après la doctrine du député de Namur qui dit que le fait matériel de l'impression étant posé par l'éditeur, c'est celui-ci qui est seul passible de l'amende.
En section centrale la majorité a dit la même chose.
L'éditeur, le rédacteur du journal n'a qu'à s'anstenir de publier l'annonce, a dit la section centrale. Mais l'éditeur, le rédacteur n'a qu'à s'abstenir de publier tous autres articles quelconques ; il est clair qu'il ne sera jamais poursuivi ! Le législateur a déclaré que l'éditeur, le rédacteur était mis hors de cause, quand l'auteur était majeur et domicilié en Belgique. Eh bien, de même l'éditeur doit être mis hors de cause, lorsque l'annonce contenant des indications prohibées est signée ou que la responsabilité en est assumée par l'auteur. Sinon, vous allez créer deux sortes d'annonces, les annonces relatives aux poids et mesures et les annonces relatives à toutes autres choses.
C'est un principe très dangereux ; c'est un principe nouveau, inconstitutionnel que vous introduisez dans nos lois.
Je le répète, il y a des jugements de tribunaux et des arrêts de cour qui ont mis hors de cause des éditeurs, des rédacteurs pour des annonces signées. Il est certain que si un individu signait, à la dernière page d'un journal, une annonce qui traitât de voleur un autre individu, ce ne serait pas l'éditeur qui serait poursuivi, ce serait l'auteur de l'annonce. Je ne vois pas qu'il y ait utilité à modifier ce principe dans la circonstance actuelle.
M. Moreau, rapporteur. - Je désire répondre quelques mots aux observations présentées par l'honorable M. Coomans.
En principe vous avez décidé que les poids et mesures métriques seraient exclusivement employés dans les transactions commerciales ; eh bien, pour être conséquent, vous devez également décider que l'emploi de leurs dénominations sera aussi exclusif.
Je ne comprends pas comment l'honorable M. Coomans peut tant insister sur l'adoption de son amendement, s'il admet le principe de la loi, s'il reconnaît que c'est faire chose nécessaire et utile que de répandre l'usage du nouveau système.
Veuillez bien le remarquer, l'amendement de l'honorable M. Coomans présuppose l'emploi simultané et facultatif des poids et mesures nouveaux et celui des mesures anciennes, sinon il n'aurait pas sa raison d'être, car à quoi bon permettre l'emploi de dénominations anciennes dans une annonce, si vous défendez à l'auteur de cette annonce de peser sa marchandise avec des poids anciens, pour en calculer le prix de vente et le faire connaître au public ?
Trouverait-il par hasard quelque avantage ce marchand à peser d'abord ses denrées avec des kilogrammes, puis à en faire la réduction en livres pour insérer ensuite le résultat de son calcul dans des annonces ?
Vous le voyez, messieurs, l'amendement de l'honorable M. Coomans n'a d'autre but que de perpétuer l'usage des mesures anciennes, vous ne pouvez donc l'adopter sans vous montrer inconséquents.
L'honorable M. Coomans persiste à voir dans l'article 3. Une grave atteinte à la liberté de la presse.
Du reste, si je ne me trompe, je crois que l’honorable membre sera seul en Belgique et en France qui ait donné cette portée à une mesure d'ordre public commandée dans un but d'extirper des préjugés et des habitudes mauvaises.
L'honorable membre persiste également à soutenir que l'auteur de l'article sera seul responsable de la contravention.
Quant à moi, je ne partage pas cette opinion ; et je cite à l'appui le dernier paragraphe de l'arrêté du 16 août 1823, qui porte ;
Il sera procédé contre les imprimeurs ou éditeurs en contravention à ces dispositions conformément aux lois en vigueur, c'est-à-dire, conformément à la loi de 1818, qui commine des peines qui sont la sanction de tout arrêté royal. Ce n'est donc pas là une innovation, comme le dit l'honorable M. Coomans.
Je ne sache pas que cette disposition ait jamais été attaquée comme inconstitutionnelle ou illégale et certes ces infractions n'ont jamais été déférées au jury.
L'éditeur d'un journal doit être soumis, comme tous les citoyens, aux lois de police qui concernent sa profession ; c'est en donnant volontairement la publicité aux dénominations de poids et mesures prohibés qu'il a contrevenu à ces lois, de même que l'aurait fait l'imprimeur d'une affiche renfermant de pareilles dénominations, il doit donc répoudre de ce fait défendu devant la justice répressive.
- L'amendement proposé par M. Coomans est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Au paragraphe 2 de l'article 3, M. le ministre de l'intérieur a proposé de substituer la date du 1er janvier 1856 à celle du 1er juin 1855.
- Cet amendement, admis par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. Deliége a proposé de remplacer le paragraphe 3 de l'article 3 par les dispositions suivantes ;
« Sont exceptés de cette mesure ;
« 1° Les actes de commerce relatifs aux affrètements, et expéditions pour l'étranger, ainsi que les actes en général dans lesquels on doit faire mention de fonds étrangers, de négociations étrangères ou de biens immeubles situés en pays étranger, ainsi qu'aux actes portant consentement à radiation ;
. « 2° La désignation de rentes ou créances résultant d'actes antérieurs à la loi qui a introduit le système décimal en Belgique. »
- La section centrale propose l'adoption de cet amendement avec la suppression des mots « de fonds étrangers ».
M. Lelièvre. - Au lieu de l'amendement de l'honorable M. Deliége, j'aurais préféré voir adopter la proposition émise par un membre de la section centrale et repoussée à égalité de voix par cette section ; proposition ainsi conçue :
« Toutefois, un arrêté royal pourra déterminer dans quel cas et dans quelles conditions il sera permis d'employer des dénominations de poids et mesures à l'étranger dans les actes ci-dessus mentionnés, et de reproduire textuellement les anciennes dénominations dans les actes des notaires et autres officiers. »
L'amendement de M. Deliége présente une disposition trop restreinte ; il peut se trouver d'autres hypothèses où il soit équitable de maintenir les anciennes dénominations, surtout lorsqu'il s'agit de poids et mesures en usage à l'étranger.
J'estime donc que l'amendement de M. Deliége n'est pas assez général et qu'en conséquence il serait préférable de se référer aux exceptions qui pourraient être établies par arrêté royal.
D'un autre côté, je demanderai s'il y aura contravention à la loi en discussion lorsqu'il s'agira de dénominations énoncées dans des actes passés à l'étranger dont on fera usage en Belgique.
Il ne devrait pas en ce cas exister de contravention, mais le projet est muet sur cette question importante qui devrait être tranchée dans la loi. Cette considération vient encore à l'appui de la proposition faite en section centrale.
M. Deliége. - L'amendement que vient de reproduire l'honorable M. Lelièvre a été présenté en section centrale et y a été repoussé par 3 voix contre 3. Alors, d'après les observations que j'ai présentées l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre a réuni l'unanimité.
Remarquez-le bien, messieurs, l'amendement que vient de reproduire l'honorable M. Lelièvre, n'est fondé que sur ceci ; c'est qu'il peut se présenter d'autres hypothèses où l'on aurait besoin d'insérer dans un acte la mention de poids et mesures qui ne font pas partie du système décimal. Depuis que ce motif a été donné, les auteurs de l'amendement ont eu le temps d'examiner s'il y en avait d'autres à prévoir ; combien en a-t-on trouvé ? Pas une seule.
M. le ministre a fait étudier la question. Mon amendement a subi, dans un pays voisin, l'épreuve des deux chambres. Je le crois donc complet ; je crois qu'il est impossible de citer des cas qui n'y seraient pas compris.
Messieurs, je voudrais pouvoir donner mon approbation à l'amendement présenté en section centrale par un honorable membre et qui est reproduit par l'honorable M. Lelièvre ; mais, comme vous le savez (page 1011) tous, la question de savoir si l’on peut employer, dans certains actes, des poids et mesures non métriques, cette question a été décidée en sens divers par des ministres différents ; je crains qu'après avoir porté un arrêté dans un sens, on en porte un en sens contraire et qu'alors nous nous retrouvions devant des impossibilités.
Il est souvent impossible, messieurs, de réduire les anciennes mesures en mesures décimales.
Ainsi, par exemple, il y a des rentes créées en « setiers mesure comble » ; il est impossible de dire en mesure métrique ce que c'est qu'un setier mesure comble, au moins les réducteurs ne le disent pas.
Il y a des notaires qui pensent et qui écrivent que cela fait 245 litres « mesure comble », parce que, dans les réducteurs, il est dit qu'un muid fait 245 litres ; mais on comprend que c'est là une erreur évidente.
Ainsi, en voulant réduire les anciennes mesures en mesures métriques, on s'expose à introduire dans un acte un changement à la constitution primitive de la rente.
Je le répète, messieurs, je crois que l'amendement est complet. Il a été tiré de la législation d'un pays voisin où il a été reconnu complet.
Nous devons éviter, quant à ce qui en fait l'objet, les conséquences des variations qui peuvent s'opérer dans la jurisprudence ministérielle. La Chambre doit, comme j'ai eu l'honneur de le dire, rassurer ceux qui veulent sincèrement que le système métrique soit une bonne fois inauguré en Belgique.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je croîs que la pensée qui a dicté l'amendement de l'honorable M. Deliége est parfaitement d'accord avec l'esprit de l'article 3 de la loi, tel qu'il est modifié par la section centrale. En effet, si nous sommes parfaitement libres d'ordonner que, dans tous les actes passés à l'intérieur, on ne fasse usage exclusivement que de dénominations métriques, nous devons cependant avoir égard aux dénominations employées à l'étranger, chaque fois qu'il s'agit d'actes venant de l'étranger ou en rapport avec l'étranger.
La question qui nous divise est celle de savoir si les nouvelles exceptions proposées par l'honorable M. Deliége doivent se trouver dans la loi même ou bien dans l'arrêté d'exécution. Il y a des raisons à opposer à l'une et à l'autre manière de voir ; à ceux qui prétendent qu'il faut énoncer ces exceptions dans un arrêté, on peut objecter que les exceptions proposées sont si importantes qu'il y a quelque danger à les reléguer dans un arrêté d'exécution. Ensuite, l'honorable M. Deliége vient de faire observer avec raison que les arrêtés se prenant dans la suite des temps, à des points de vue souvent différents, ils peuvent se trouver en contradiction les uns avec les autres ; et nous retomberions ainsi dans le régime des arrêtés que la présentation du projet de loi actuel est appelée à faire cesser.
Il vaudrait mieux écrire les exceptions dans la loi même. On peut dire, à la vérité, que cela est difficile et dangereux, parce qu'on ne sait pas si les exceptions qui ont été indiquées sont les seules qu'il faudra admettre.
Il se peut que plus tard, après la mise à exécution de la loi, on trouve'qu'il faut appliquer la disposition exceptionnelle de l'article 3 à d'autres cas que ceux qui sont prévus par l'amendement de l'honorable M. Deliége. Mais, messieurs, on peut dire aussi que l'amendement, ici qu'il est rédigé, comprend à peu près, dans sa généralité, tous les cas qui pourront se présenter. L'amendement est d'ailleurs conçu dans les mêmes termes que la loi hollandaise.
Il est donc à présumer que la plupart des exceptions qui pourront se présenter dans la pratique sont prévues par l'amendement de l'honorable M. Deliége.
Ainsi, la procuration donnée par un étranger, qui contiendrait des dénominations étrangères de poids et mesures et qu'il s'agirait d'introduire en Belgique, rentrerait sans doute dans la catégorie des actes en faveur desquels on établit une exception par l'amendement dont il s'agit. D'ailleurs, il restera toujours la ressource de l'application de la loi par voie d'analogie aux cas non prévus expressément, mais rentrant dans le même ordre d'idées.
M. Deliége. - Je propose un léger changement de rédaction à mon amendement qui serait ainsi conçu ;
« Sont exceptés de cette mesure ;
« 1° Les acics de commerce relatifs aux affrètements et expéditions pour l'étranger et en général ceux dans lesquels on doit faire mention de négociations étrangères ou de biens immeubles situés en pays étranger ou qui portent consentement à radiation.
« 2° La désignation de rentes ou créances résultant d'actes antérieurs à la loi qui a introduit le système décimal en Belgique. »
- L'amendement de M. Deliége, avec le changement de rédaction qu'il a proposé, est mis aux voix ei adopté.
L'article 3, ainsi modifié, est ensuite mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous passons à l'article 5.
« Art. 5. Les dispositions sur le système décimal des poids et mesures seront applicables aux poids médicinaux immédiatement après la publication de la nouvelle pharmacopée. »
M. le ministre de l'intérieur propose d'ajouter à l'article 5 le paragraphe suivant ;
« Toutefois, pendant deux ans à partir de cette publication, les médecins pourront continuer à se servir des dénominations anciennes, et, dans ce cas, les pharmaciens sont tenus d'inscrire sur l'ordonnance la conversion, de ces anciennes dénominations en dénominations nouvelles. »
La section centrale propose la suppression de l'article 5.
M. Vander Donckt. - Messieurs, pour le cas où M. le ministre de l'intérieur se rallierait à la proposition de la section centrale, je renoncerais à la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je ne m'y rallie pas.
M. Vander Donckt. - Dès lors, je suis obligé entrer en matière.
Messieurs, l'article 5 a dû nécessairement émouvoir les hommes de l'art, les praticiens, les docteurs en médecine qu'on veut assujettir, dans la rédaction de leurs ordonnances, à des dénominations métriques, à des dénominations de poids et mesures.
Vous comprenez combien il est difficile à un ancien praticien, quand il se trouve au lit du malade, de devoir rédiger son ordonnance en poids médicaux, pour se conformer à la loi. C'est une prescription qui est révoltante en quelque sorte et très dangereuse. Elle est dangereuse en ce sens qu'on expose les hommes de l'art à des méprises qui peuvent mettre en danger la santé de leurs malades.
Le gouvernement a cru obvier à cet inconvénient en proposant un amendement aux termes duquel la disposition ne serait mise en vigueur que dans deux ans.
Je conçois qu'à la rigueur on applique cette disposition aux jeunes praticiens ; mais quant aux anciens praticiens, ils ne s'y soumettront pas. Quel sera le moyen de contrôle qu'on emploiera pour constater les contraventions ?
Les énonciations de poids et mesures, dans les ordonnances des médecins, sont des signes conventionnels auxquels tous les profanes de l'art ne comprennent rien ; c'est une lettre cachetée pour eux ;
Du reste, quand le docteur en médecine est d'accord avec son pharmacien, il n'y a pas moyen de contrôler. Certes, le pharmacien ne dénoncera pas le médecin qui l'honore de sa confiance et de sa pratique ; comment voulez-vous contrôler cette contravention ?
Comme l'a parfaitement bien dit la section centrale, que vient faire dans la loi dont nous nous occupons, une disposition relative aux poids médicinaux ?
Nous sommes à la veille de discuter la loi sur l'art de guérir ; le projet a été communiqué à l'Académie de médecine qui l'a déjà examiné et émis son opinion. M. le ministre de l'intérieur est déjà probablement en possession des délibérations de l'Académie.
Je vous demande, messieurs, s'il ne serait pas beaucoup plus rationnel d'insérer dans cette loi des dispositions prescrivant l'emploi des poids et mesures nouveaux dans la médecine. La pharmacopée n'est pas encore éditée ; elle est encore à l'état de projet. C’est ce qui a engagé l'honorable ministre de l'intérieur à proposer de ne mettre l'article 5 en vigueur qu'après un délai de 2 ans.
Mais, je le répète, n'est-il pas beaucoup plus rationnel de supprimer cet article dans le projet ? n'y a-t-il pas une véritable anomalie à l'y conserver ?
Dans la loi sur les poids et mesures, quels sont les fonctionnaires qui sont chargés de constater les contraventions ? Ce sont les commis des accises, les agents de l'enregistrement, etc. Je vous le demande, ces hommes sont-ils compétents pour constater les contraventions commises par les docteurs en médecine, quant à l'emploi des poids et mesures anciens ou nouveaux ?
Ils sont d'autant plus incompétents que c'est, comme je l'ai déjà dit, au moyen de signes conventionnels que les médecins forment leurs ordonnances. Les contraventions ne peuvent être constatées valablement que par les commissions médicales provinciales ou par toute autre autorité médicale qui a connaissance de l'objet ; alors on peut contrôler et engager les praticiens à se soumettre à la loi. Mais introduire incidemment dans une loi générale sur les poids et mesures, un article concernant les poids et mesures médicinaux, cela ne se comprend pas. C'est pour ces motifs qtie j'ai eu l’honneur de proposer en section centrale la suppression de l'article 5. Tous mes honorables collègue de cette section ont été si convaincus de l'impossibilité d'exécution qu'à l'unanimité la proposition a été adoptée.
On a donc prononcé la suppression de cet article, sauf à reproduire dans la loi sur l'art médical telle disposition que la Chambre trouvera convenable.
Si l'on persistait à maintenir cet article, le délai de deux ans qu'on accorde pour son application ne serait pas un tempérament suffisant ; il faudrait faire une exception pour tous les hommes actuellement diplômés, et ne faire la loi que pour les docteurs qui seront reçus à l'avenir.
On peut introduire cette exception sans inconvénient, les docteurs aujourd'hui diplômés ont été instruits dans le système des anciens poids et mesures de par le gouvernement. Aujourd'hui le gouvernement revenant sur ses pas par une rétroactivité qu'on voudrait donnera la loi, prescrirait une chose très dangereuse dans la pratique. Combien d'erreurs se commettent déjà avec le système actuel ! combien ne serez-vous pas exposés à en voir commettre davantage par les pharmaciens et les médecins, si vous les obligez à changer de système de poids et mesures ? Je crois donc qu'il est très sage de supprimer cet article, sauf à reproduire la disposition dans la loi sur l’art médical.
(page 1012) M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je crois devoir maintenir l’article 5 et le paragraphe additionnel que j'ai proposé.
Messieurs, nous devons savoir une fois pour toutes si nous considérons, oui ou non, l'introduction du système métrique décimal comme un bienfait. Si c'est un bienfait, qu'on ait le courage de poursuivre la réalisation et l'adoption de ce système pour toute espèce de transactions. C'est en conséquence de ce principe que je crois devoir insister sur l'application du système métrique aux poids médicinaux.
Y a-t-il un motif pour faire une exception en ce qui concerne les poids médicinaux ? Tout au contraire. Si l'exactitude rigoureuse des poids et mesures est obligatoire, nécessaire quelque part, elle doit l'être surtout en matière de préparations médicinales. Là, la moindre méprise peut entraîner les catastrophes les plus graves, les plus irréparables. Si jamais il faut des garanties de sécurité, c'est lorsqu'il y va de nos intérêts les plus chers, de l'intérêt de notre conservation. Pour avoir ces garanties, il faut pouvoir, avec toute la précision possible, vérifier les poids médicinaux. Pour les vérifier, il faut des types quelconques, décimaux ou autres. Il est indispensable d'avoir un système uniforme à l'aide duquel on puisse vérifier les poids médicinaux dans l’intérêt de la sécurité et de la santé publiques.
On l'a si bien compris, que déjà en 1817, on a fait une loi expressément pour appliquer le nouveau système métrique renouvelé en 1816 aux poids médicinaux. Pourquoi ? Parce qu'on reconnaissait dès lors la nécessité d'avoir surtout des garanties au point de vue de la santé, de la vie des citoyens.
Aujourd'hui, et c'est ce que paraît ne pas se rappeler l'honorable membre, il existe donc des types, mais ils sont quelque peu différents, de fait et de nom, de ceux qui résulteraient de l'application de la loi actuelle aux poids médicinaux. Dans les pharmacies on n'est pas admis légalement à faire des préparations de la manière la plus arbitraire, d'apiès les habitudes de telle ou telle localité. Il y a un système de poids médicinaux établi depuis 1817 et qui est vérifié comme le sont les poids et mesures du commerce ordinaire.
L'honorable membre paraît se révolter à l'idée que les pharmaciens soient soumis à la vérification à laquelle sont assujetlis tous les citoyens. Mais ils le sont légalement aujourd'hui ; il s'agirait seulement de changer quelque peu les poids médicinaux, pour les mettre en rapport avec notre système général des poids et mesures. Ainsi l'application d'une loi qui semble révolter l'honorable membre ne serait que la continuation de ce qui se fait aujourd'hui, sauf de légers changements à introduire avec le temps.
En France, dcpuis 1840, la loi des poids et mesures est appliquée aux poids médicinaux ; il en est de même en Hollande. Je ne sache pas qu'il en soit résulté le moindre inconvénient, la moindre répugnance de la part des pharmaciens ou des hommes de l'art.
D'après l'honorable M. Vander Donckt, il ne faudrait pas introduire cette disposition daus la loi actuelle, elle y est déplacée. Elle me paraît, au contraire, parfaitement à sa place ici.
C'est dans une loi sur les poids et mesures que doit se trouver une disposition appliquant le système décimal à la spécialité de poids appelés poids médicinaux.
Dans aucune autre loi, pareille disposition ne se trouverait mieux à sa place que dans celle-ci.
L'honorable membre voudrait qu'on ajournât une pareille disposition jusqu'à la discussion de la loi sur l'art de guérir ou la publication de la nouvelle pharmacopée. Pourquoi cet ajournement ? Ce n'est pas un ajournement, c'est au fond un rejet définitif que l'honorable membre désire ; car les observations qu'il a présentées contre l'introduction de la disposition dans la loi actuelle, il devra les représenter quand on s'occuprra de la loi sur l'art de guérir et de la nouvelle pharmacopée. Que l'honorable membre soit franc, ce qu'il veut, c'est qu'il n'y ait aucune disposition prescrivant l'application du nouveau système aux poids médicinaux. Les vieux praticiens ne s'y soumettront pas davantage quand elle sera présentée dans une autre occasion.
Ceux qui veulent le maintien de l'article 5 sont seuls conséquents. On a commencé par proclamer la nécessité de l'exécution rigoureuse du système métrique dans toutes les transactions. En appliquant ce système à la spécialité desp oids médicinaux, la Chambre sera conséquente avec le principe admis aux articles premier et 13.
Encore une fois, si nous considérons l'application générale du système des mesures métriques comme un bienfait, appliquons-le aussi aux poids médicinaux.
La nouvelle pharmacopée va être publiée d'ici à quelques mois peut-être ; nous ferons chose utile aux pharmaciens en les habituant au nouveau système. La nouvelle pharmacopée étant formulée d'après un système nouveau, ce sera rendre un vrai service aux pharmaciens que de les préparer à l'applicatiou future du système nouveau qu'ils trouveront dans la nouvelle pharmacopée.
Je comprends qu'on demande du temps pour se préparer à l’appliquer ; et c'est par égard pour les habitudes prises que j'ai proposé d'accorder une tolérance de deux ans.
Eu France, on avait laissé trois ans ; mais cette tolérance avait été admise pour l'application générale du système, c'était un régime transitoire pour les poids et mesures de tout genre. C'est déjà une faveur, que l'article 5, paragraphe 2 consacrerait dans l'intérêt des médecins et des pharmaciens.
C'est par considération pour les usages reçus dans les diverses provinces du pays que, contrairement à ce qu'on fait pour tous les autres citoyens, on propose de tolérer l'application provisoire des anciennes dénominations aux poids médicinaux.
Il me semble qu'avec ce tempérament il n'y aura guère d'inconvénients ; car l'honorable membre, le sait bien, il y a aujourd'hui un système légal de poids chez les pharmaciens ; il est vérifié comme tous les autres ; seulement, il n'est pas en rapport avec les dénominations officielles adoptées pour toutes les autres transactions.
C'est une exception qu'il ne faut pas permettre ; il vaut mieux avoir des dénominations uniformes.
M. Vander Donckt. - L'honorable ministre de l'intérieur ne m'a pas compris ou a feint de ne pas me comprendre. (Interruption.)
Il est loin de ma pensée de vouloir m'opposer à l'introduction du système décimal dans l'art de guérir plutôt que daus telle ou telle branche. L'honorable ministre dit : Il faut que cet article soit inséré dans la loi. Mais tout en l'insérant dans la loi, il est tellement convaincu qu'il ne peut le mettre à exécution immédiatement qu'il propose lui-même d'en retarder de deux ans l'exécution.
Je n'ai pas pour but de m'opposer à l'application du système décimal à la pharmacie, aux jeunes docteurs, à l'enseignement universitaire. Mais je dis que cette tolérance est insuffisante, et qu'elle doit être sans limites pour les anciens praticiens qui, habitués à l'ancien système, seraient dans le cas de faire des erreurs qui coûteraient peut-être très cher à leurs malades.
L’honorable ministre m'a en quelque sorte accusé d'ignorer qu'il y avait un système décimal en vogue. Pendant les 30 ans de ma pratique, j'ai eu aussi mon système complet de poids et mesures médicaux métriques. Mais l'honorable ministre de l'intérieur, s'il est bien informé, conviendra avec moi que jamais, jusqu'ici, ce système n'a été mis en usage. Qu'il veuille prendre des informations chez des pharmaciens, et il apprendra qu'aucun médecin ne donne d'ordonnance d'après le nouveau système. Nous faisons chaque année poinçonner les poids ; et c'est à cela que se bornent toutes les formalités, nous renfermons ces poids dans une bonne boîte ; et nous nous servons de poids à notre convenance.
Voilà ce que c'est que le système introduit en 1817. J'en appelle à tous les anciens praticiens. Ils repondront qu'ils ne font pas usage du nouveau système métrique. Si vous voulez le leur imposer, ils étuderont la loi, parce que vous ne pourrez les mettre en contravention.
J'en fait cette observation, et le ministre s'est gardé d'y répondre, parce que c'est impossible. Comment les tribunaux, qui n'y connaissent rien, pourraient-ils contrôler les ordonnances envoyées par les médedins aux parmaciens ?
Ce n'est que par les commissions médicales que l'on peut faire constater les contraventions.
N'est-ce pas une disposition qu'il conviendrait d'insérer dans la loi sur l'art de guérir ? N'est-ce pas là qu'elle doit trouver sa place ? Loin de m'opposer à l'introduclion du nouveau système, je l'approuve, mais je n'en admets pas l'application immédiate. M. le ministre propose lui-même un délai de deux ans. Je lui demanderai si d'ici là il n'aura pas présenté le projet de loi sur l'art de guérir, si vivement attendu par tous ceux qui appartiennent à cet art. C'est à cette loi que devrait être ajournée la disposition dont nous nous occupons. Je me propose de faire alors les observations que je jugerai à propos de faire.
Quant à l'exécution, l'honorable ministre ne m'a pas répondu, quand j'ai dit que les contraventions à la loi sur les poids et mesures seraient constatées par les commis des accises et par les employés de l'enregistrement ; ces derniers ajoutés par amendement et incapables de constater ces contraventions.
Je reste convaincu que la disposition a sa place naturelle dans la loi sur l'art de guérir ; je persiste à soutenir les conclusions de la section centrale ; je conserve l'espoir que la Chambre les adoptera.
M. Coomans. - Je dois le dire, le langage que tient aujourd'hui l'honorable M. Vander Donckt est fort étrange après celui qu'il a tenu l'autre jour. Il a fait un brillant éloge du système décimal ; il a insisté sur la nécessité de l'introduire de force dans nos mœurs. Il a accueilli avec indignaiion l'amendement que j'ai présenté, et qui tendait simplement à permettre aux journalistes de mentionner à côté des nouveaux poids et mesures les anciens.
L'honorable membre a repoussé cet amendement avec une très grande force... de langage.
Je ne sais si c'est à cause de cela que la Chambre l'a rejeté. Mais j'ai gardé souvenance du discours de l’honorable membre, et s'il nous considère comme si malades en matière de poids et mesures, je lui dirai ; « Medice, cura te ipsum ».
Quoi ! messieurs, il nous sera défendu, non pas seulement de peser et de mesurer avec d'anciens poids et mesures, mais de les mentionner ; ce fait nous sera défendu sous peine d'amende, et de prison en cas de récidive, et messieurs les médecins et apothicaires pourront continuer « in œ ernum » à se servir des anciens poids, dont je me défie énormément en ce moment, puisque l'honorable membre déclare qu'ils sont inintelligibles, que personne n'y entend rien.
Je vous avoue que cette sorte de révélation que nous fait l'honorable M. Vander Donckt me réconcilie un peu avec le système métrique, en tant qu'il faille l'appliquer de force à la médecine.
Nous ne pouvons admettre de semblables exceptions. Il faut que tout le monde adopte le système métrique, même les médecins, et les (page 1013) pharmaciens, ou que nul ne soit obligé de s'en servir. Je ferai remarquer à l'honorable membre que si les pharmaciens et les droguistes peuvent se servir des mesures mystérieuses, cabalistiques auxquelles ils tiennent tant, ils pourront aussi les faire annoncer dans les journaux. Qui empêchera les pharmaciens d'apprendre au public qu'ils ont à vendre des scrupules de telle ou telle drogue ? Le journaliste seul sera mis à l'amende pour avoir inséré l'annonce ! Cela ferait un mauvais effet sur le public. Il faut que la docte faculté, précisément parce qu'elle est docte, se conforme la première à la loi.
M. Verhaegen. - Il ne faut pas traiter légèrement cette question ni la tourner en ridicule. Je trouve qu'il y a beaucoup de vrai dans les observations de l'honorable M. Vander Donckt, et je prie la Chambre de les prendre en sérieuse considération. Il est d'ailleurs compétent en pareille matière, et son opinion n'est pas à dédaigner. Certes, il a pu trouver, et je trouve aussi que le système métrique est un système dont il faut favoriser l'adoption, que c'est un bon, que c'est un beau système. Mais à tout système, quelque bon qu'il suit, il est permis d'apporter des exceptions.
Je pense, et à raison de certains faits, je suis à même d'étayer mon opinion, qu'il y aurait des dangers non seulement pour la santé, mais pour la vie des hommes, à adopter la disposition telle qu'on la veut.
Qu'on le remarque bien, messieurs, ce n'est pas seulement au pharmacien que l'on s'adresse ; ce n'est pas seulement le pharmacien à qui on vient demander un médicament, que l'on oblige à se servir des nouveaux poids. C'est le médecin aussi que l'on a en vue, et c'est le médecin qui, sous peine de… est obligé de mentionner dans ses prescriptions les poids et mesures métriques. Or, messieurs, il est évident que ceux qui ont fait leurs études lorsque le système était en vigueur auront l'esprit imbu des anciennes dénominations, et il ne faudra qu'un moment de distraction pour donner lieu aux plus fâcheux résultats.
Pour ne donner qu'un seul exemple, nous avons dans les dénominations métriques des mots entre lesquels il n'y a que la différence d'un « i » et d'un « a ». Cependant ces mots ont une signification tellement différente que la différence des résultats est énorme. Ainsi entre le mot « décigramme » et le mot « décagramme », il n'y a que la différence d'un « i » et d'un « a. » Un décagramme c'est 10 grammes ; un décigramme c'est la dixième partie d'un gramme ; doue le décigramme est la centième partie d'un décagramme.
Je vous le demande, si un ancien praticien est obligé d'aller prendre ses dénominations dans le système métrique, s'il prescrit à son malade un remède qui soit d'une certaine force, et qu'au lieu de lui donner un décigramme d'une substance, il lui donne un décigramme en mettant par erreur dans sa prescription un « a » au lieu d'un « i », quels seront les résultats ?
Si la vie d'un homme doit dépendre d'un « i » ou d'un » « a, pour le bon plaisir de faire adopter sans exception le système métrique, je vous avoue que je recule devant ces conséquences.
Mais pour exécuter la loi, il faut s'adresser à celui qui emploie les poids. Je crois que, dans le système de la loi, c'est à celui qui se sert des poids que l'on s'adresse ; c'est à l'auteur principal de la contravention ; c'est donc au pharmacien.
Messieurs, si un ancien médecin, persévérant dans son système, donne une prescription avec la mention d'anciens poids et d'anciennes mesures, le pharmacien devra-t-il refuser la prescription ? Dans le système de la loi, il le devra.
Je suppose un cas urgent ; je suppose un malade qui ait immédiatement besoin d'un médicament. Le médecin lui donne une prescription avec la mention d'anciens poids et d'anciennes mesures ; que fera le pharmacien. Refusera-t-il ou donnera-t-il l'ordonnance ? Dans le système de la loi, il devra refuser pour ne pas être en contravention. A moins que vous ne vouliez faire une distinction et c'est ce qu'il faudrait faire, me semble-t-il, entre le médecin et le pharmacien, et laisser le médecin libre, sauf au pharmacien à faire la réduction, pour le bon plaisir du système métrique auquel vous ne voudriez pas apporter d'exception.
Ensuite, messieurs, nous avons non seulement les médecins ordinaires que j'appelle allopathes ; nous avons aussi les médecins homéopathes ; comment exprimeront-ils un décimillionième de substance ? de quelle manière exécuteront-ils la loi ? C'est une observation qui a déjà été produite en section centrale.
Que faut-il faire ? Faut-il dispenser les médecins dont le diplôme date de telle époque et n'obliger à l'observation de la loi que les médecins qui auront étudié sous l'empire de la législation nouvelle ? Je ne crois pas qu'il soit digne de la législature de faire une pareille exception.
Faut-il appliquer la loi aux pharmaciens et exempter les médecins ? Dans ce cas il faudrait dire dans l'amendement présenté par M. le ministre : « Toutefois, les médecins pourront continuer à se servir, etc. » C'est-à-dire que les pharmaciens seraient seuls tenus d'exécuter la loi en ce sens qu'ils seraient obligés de faire la réduction. Mais cet état de choses présenterait aussi des dangers.
J'aimerais mieux, comme l'honorable M. Vander Donckt, voir disparaître l'article et laisser la science libre de faire ce qu'elle a fait jusqu'à présent.
Le système métrique n'en souffrira pas. Il sera adopté pour toutes les transactions en général, sauf pour ce point seul qui touche de si près à la santé et je dirai même à la vie des hommes.
M. de Theux. - Cette question n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire.
D'un côté, il est certain qu'il est extrêmement utile que les poids légaux soient introduits dans les pharmacies.
D'autre part, il est certain aussi qu'on s'expose à de graves erreurs si l'on oblige les anciens praticiens à. se servir du système métrique. Alors même qu'ils seront en état de faire la réduction des poids et mesures anciens dans le système métrique dans l’étude de leurs cabinets, il n'en est pas moins vrai que, devant écrire des ordonnances au lit du malade, ce qu'ils sont toujours dans le cas de faire, ils sont exposés à se tromper. On est préoccupé de l'état du malade, on est pressé, une erreur est facilement commise dans une rédaction. Il me paraît donc extrêmement difficile de prescrire aux médecins de se servir, dans leurs ordonnances, des dénominations nouvelles ; cela me paraît même impossible pour ceux qui, dans leur jeunesse, ne les ont pas employées. Il y a plus, les pharmaciens ne sont pas encore tous familiarisés avec le système métrique. Tout à l'heure un de mes collègues citait ce fait. : Un médecin fait une ordonnance en poids métriques, le pharmacien ne s'est pas trouvé en état de l'exécuter, et il a fallu qu'un autre médecin fît la traduction. Vous voyez, messieurs, que la chose n'est pas facile.
Pour moi, messieurs, je ne ferais pas de difficulté d'adopter la disposition du gouvernement qui a pour objet de rendre le système métrique obligatoire, quant aux médicaments, deux ans après la promulgation de la pharmacopée ; mais, en ce qui concerne les médecins, la mesure me semble d'une application extrêmement difficile.
Le médecin n'a pas été obligé de subir un examen sur le système métrique et alors même qu'il serait en état de faire la comparaison des deux systèmes, ayant l'un et l'autre sous les yeux, il est toujours à craindre qu'il ne se trompe dans un moment d'urgence.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, permettez-moi de présenter encore quelques observations en réponse à ce qui a été dit par les honorables préopinants.
Il reste toujours vrai, en principe, que s’il faut, quelque part, de sérieuses garanties en ce qui concerne les poids et mesures, c'est en matière de préparations pharmaceutiques. Là, la moinde erreur peut avoir les résultats les plus graves. Or pour vérifier les poids en usage dans les pharmacies, encore une fois, il faut des types ; il faut ou ceux que nous proposons ou ceux qui sont en usage.
Trouvez-vous que le système actuel produise de si graves inconvénients ? Eh bien, il n'y a que quelques subdivisions et quelques dénominations à changer. Quel danger cela peut-il entraîner ? On dit que la moindre distraction peut produire des désastres, mais il en est de même aujourd'hui. Aujourd'hui la moindre distraction d'un médecin ou d'un pharmacien peut nous enlever la vie, il ne finit pour cela ni décigrammes ni décagrammes.
Du reste, messieurs, le système métrique est déjà appliqué à la médecine en France et en Hollande ; je crois qu'il en est de même en Allemagne et dans la plupart des autres pays. Je ne vois pas qu'il en soit résulté ces graves inconvénients qu'on semble redouter chez nous.
Maintenant, messieurs, ce que disent les honorables membres tend, non pas à faire ajourner la mesure, mais à combattre le système en lui-même. C'est dire que ni l'honorable M. Verhaegen, ni l’honorabe M. Vander Donckt ne veulent au fond l'application du système métrique aux poids médicinaux.
« Mais, dit l'honorable M. Vander Donckt, quels seront nos moyens, de contrôle et de sanction ? » Je crois, messieurs, que les officines des pharmaciens sont soumises au moins à une visite par an, sinon à deux, de la part des commissions médicales. C'est là un moyen de sanction efficace.
On dit que les anciens médecins n'appliquent pas le système métrique. C'est possible ; mais ce n'est pas une raison pour ne pas proclamer le système métrique dans son entier. Messieurs, il y a des défauts, d'application partout. Tous les boutiquiers n'appliquent pas non plus le système métrique, tous les négociants en ne l’appliquent pas. Il faut compter sur l'action du temps et surtout sur l'influence de l'enseignement.
L'enseignement universitaire, l'application de la nouvelle pharmacopée, tout cela contribuera à généraliser l'usage du système métrique dans les prescriptions pharmaceutiques ; mais en attendant n'abandonnons pas le principe, parce que nous ne pouvons pas immédiatement en généraliser l'application.
- La clôture est demandée.
M. Vander Donckt (sur la clôture). - Je demande, messieurs, à répondre quelques mots à l'honorable M. Coomans. Il s'agit d'un fait personnel.
M. Verhaegen. - J'avais demandé la parole pour répondre à M. le ministre de l'intérieur sur la différence qu'il y a entre les transactions proprement dites et ce qui regarde la science médicale.
M. Coomans. - Je me suis levé pour la clôture, mais puisque l'honorable M. Vander Donckt désire me répondre, je prie la Chambre de bien vouloir l'écouter.
M. de Mérode. - L'observation de l’honorable M. Verhaegen est très juste ; il y a ici une circonstance particulière ; il ne faut pas traiter la question médicale comme celle qui concerne la vente d'objets ordinaires.
(page 1014) Il est très important de ne pas imposer aux médecins des obligations qui puissent les embarrasser. Si la Chambre est parfaitement éclairée qu'elle prononce la clôture, mais quant à moi je désirerais que la question fût élucidée d'une manière complète.
- La clôture est mise aux voix, elle n'est pas prononcée.
M. Vander Donckt. - Messieurs, dans quel but voulons-nous introduire le système décimal ? C'est pour avoir un système uniforme dans les transactions, et c'est surtout, comme l'a fort bien développé l'honorable M. Rodenbach, pour empêcher que les classes ouvrières ne soient dupées par ceux qui se servent des anciens poids. Les anciens poids ne sont plus soumis à aucun contrôle, et dès lors pour empêcher la fraude il faut bien généraliser l'usage des poids métriques. Mais cela n'est pas applicable à la médecine. Le médecin ne peut pas tromper son malade en se servant dans ses prescriptions des anciens poids et mesures, car en définitive, son plus grand intérêt comme celui du malade, c'est que la guérison ait lieu le plus tôt possible. Que la guérison soit obtenue au moyen des anciens poids ou au moyen du système nouveau, cela est complètement indifférent, et vous-mêmes, quand un jour, à ce qu'à Dieu ne plaise, vous serez alités, vous désirerez que le docteur donne son ordonnance en poids anciens.
Maintenant, M. le ministre de l'intérieur m'a répondu qu'il y avait un contrôle chez les pharmaciens de par les commissions médicales. Mais dans ce cas, vous devez insérer dans les lois sur les poids et mesures les commissions médicales à côté des commis des accises et des employés de l'enregistrement, si vous voulez que la loi s'applique à la médecine.
Cela prouve une fois de plus combien il est peu régulier d'introduire dans la loi générale sur les poids et mesures une disposition concernant l'art médical.
Maintenant, je répondrai quelques mots à l'honorable M. Coomans, qui m'a reproché d’être contraire à la loi dans un cas et favorable dans un autre.
Messieurs, il y a une distinction essentielle qui ne vous aura pas échappé. Dans le système général, ce que l'honorable M. Coomans demande, c'est de perpétuer les anciennes dénominations ; or, c'est ce que la Chambre ne veut pas. Quant à la médecine, il en y a pas les mêmes inconvénients. Comme je viens de le dire, on ne favorisera pas les transactions frauduleuses, on ne nuira pas à la classe ouvrière, aux petits détaillants.
Tout cela n'est pas applicable à la médecine, et c'est dans ce sens que la section centrale a partagé mon opinion, c'est-à-dire qu'elle n'a pas vu non plus les avantages qui devraient résulter de l'application immédiate du système décimal aux poids médicinaux.
Comme l'a fort bien dit l'honorable M. de Theux, la disposition peut se concevoir pour les docteurs en médecine qui seront reçus à l'avenir, après avoir suivi l'enseignement universitaire ; mais quant aux anciens praticiens, je tiens à faire cette observation ; non seulement cela ne leur a pas été enseigné à l'université ou dans les écoles de médecine, mais dans toutes les pharmacopées, dans tous les ouvrages qui ont traité « ex professo » de l'art médical, on emploie les anciennes mesures. Or, un praticien trouve dans un ouvrage de médecine telle ordonnance, il veut l'appliquer, il sera obligé de recourir au tarif pour traduire sa recette. C'est une tracasserie qu'on suscite aux praticiens et qu'ils n'exécuteront pas. (Aux voixi Aux voix !)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Encore quelques mots à l'honorable préopinant qui, par la spécialité de ses connaissances dans la matière, pourrait exercer une certaine influence sur vos esprits.
Le corps médical lui-même, représenté par ses hommes les plus distingués, par l'Académie de médecine, a émis un avis favorable a l'opinion que je défends.
Dès 1842, cette Académie a été consultée sur l'introduction du système métrique des poids et mesures en matière pharmaceutique. Permettez-moi de vous donner lecture des deux premières phrases de son rapport ;
« Les avantages que le système des poids et mesures décimaux métriques présente ont engagé la commission à en adopter exclusivement l'usage dans les opérations pharmaceutiques. La loi à intervenir pour la publication de la pharmacopée nouvelle obligera sans doute les médecins à formuler leurs ordonnances d'après ce système, etc. »
En 1847, l'honorable M. de Theux, alors ministre de l'intérieur, a été consulté par son collègue du département des finances sur la question de savoir s'il y avait lieu de provoquer l'application du système métrique aux poids médicinaux. Voici ce que répondait l'honorable ministre de l'intérieur ;
« L'Académie de médecine a été consultée sur le point de savoir s'il convient de changer le poids médical, et c'est sous les dénominations décimales que sont énoncées les qualités de substances à employer pour la confection des préparations pharmaceutiques comprises dans la pharmacopée nouvelle.
« Une des dispositions du projet de loi qui sera présenté à la législature pour l'introduction de ce nouveau Codex, tendra donc nécessairement à rendre l'emploi des mêmes dénominations décimales obligatoire pour les prescriptions des médecins, etc. »
Ainsi, l'honorable M. de Theux avait cru devoir consulter en 1847 l'Académie de médecine, et, d'après le rapport de cette Académie, cet honorable ministre avait annoncé à son collègue du département des finances qu'il ne perdrait pas de vue cet objet et qu'il proposerait, dans la nouvelle loi sur les poids et mesures, l'emploi du système métrique pour les poids médicinaux.
Il résulte de ces faits que l'autorité, qui est spécialement chargée de représenter officiellement les intérêts de la docte faculté, a positivement déclaré en 1842, par l'organe de son rapporteur, qu'il y avait lieu de prescrire l'application des dénominations métriques aux poids médicinaux ; et je ne vois pas qu'à cette époque les dangers, dont parle l'honorable préopinant, aient si fortement préoccupé les hommes de la science, mieux à même que nous de les entrevoir et de les signaler.
M. Verhaegen. - Messieurs, les dernières raisons que vient de faire valoir M. le ministre de l'intérieur doivent avoir pour conséquence l'ajournement de cette question jusqu'au moment oh la Chambre discutera la loi sur l'art de guérir.
En effet, si j'ai bien compris l'Académie de médecine qui, d'ailleurs, ne s'est pas toujours trouvée d'accord avec les autres corps savants, l'Académie a pensé, il est vrai, qu'il conviendrait d'introduire le système métrique ; mais elle a énoncé cette opinion au sujet de la loi dont il s'agissait alors et qui était relative à l'art de guérir.
Lorsque le moment sera venu de discuter cette loi, les hommes compétents auront eu le temps d'éclaircir la question, et nous pourrons, à notre tour, l'examiner à fond, en la mettant, d'ailleurs, en rapport avec les dispositions principales relatives à l'art de guérir ; alors on pourra prendre des dispositions sans danger ; on pourra opposer peut-être à l'autorité de l'Académie de médecine d'autres autorités ; l'Académie n'est pas, d'ailleurs, infaillible ; elle ne donne pas des raisons très plausibles à l'appui de son opinion.
Messieurs, on perd de vue le véritable objet de la loi que nous discutons. Pourquoi veut-on établir l'uniformité des poids et mesures ? C'est dans l'intérêt des transactions commerciales proprement dites. Il faut l'uniformité des poids et mesures pour prévenir les tromperies dont les acheteurs peuvent être victimes de la part des vendeurs ; c'est là le but de la loi ; je défie qu'on m'en indique un autre. Or, ce but n'existe pas, lorsqu'il s'agit de prescriptions que fait un médecin et qu'on envoie à un pharmacien. Il n'y a pas, d'ailleurs, comme on l'a fait observer avec raison, de contrôle possible de la part de l'acheteur ; c'est la confiance qu'on a dans un pharmacien, dans son expérience et dans sa science qui fait qu'on s'adresse à lui plutôt qu'à tel autre.
C'est un objet de science proprement dit qui n'a rien de commun avec ces transactions ordinaires, avec ces opérations d'intérêt purement matériel dont je parlais tout à l'heure ; nous sommes ici dans un tout autre ordre d'idées.
La loi que nous discutons a le but que j'ai signalé ; mais quand il s'agit de malades, de médecins et de pharmaciens, c'est tout autre chose ; on pourrait craindre que le pharmacien ne donnât pas assez quand c'est son intérêt ; mais le grand danger le plus souvent, c'est qu'il donne trop. C'est là que la vie est en danger. Ne perdons donc pas de vue le véritable but de la loi.
L'honorable M. Vander Donckt a dit ; Vous aurez beau faire et beau dire, vous ne parviendrez jamais à faire que les anciens praticiens se servent des nouvelles dénominations. Si nous voulions, nous pourrions citer des hommes très considérables qu'on regarde comme les princes de la science, qui prescrivent encore avec les anciennes dénominations.
Il y a des choses pour ainsi dire intraduisibles en poids ; que ferez-vous, quand vous rencontrerez : autant de gouttes de tel ou tel médicament ? cela échappera aux dispositions de la loi, vous ne pourriez dire à quelle quantité cela correspond en système métrique ; pour les prescriptions de l'homéopathie, c'est la même chose.
Il est un argument que j'ai présenté, auquel on n'a pas répondu et sur lequel je voudrais qu'on s'expliquât. Un homme est en danger, il faut un médicament sur-le-champ, le médecin prescrit avec d'anciennes dénominations ; la loi a passé comme on la propose, on se présente chez le pharmacien ; le pharmacien répond ; Je ne peux pas exécuter cette ordonnance, je serais en contravention. Le malade n'aura pas son remède, il mourra dans l'intérêt du système métrique ; aujourd'hui on meurt dans l'intérêt de la science, à l'avenir on mourra dans l'intérêt du système métrique, ce sera un progrès.
M. de T'Serclaes. - L'honorable M. Verhaegen et plusieurs autres préopinants ont soutenu que le but exclusif du projet de loi est de régler les transactions commerciales, et qu'à tort on veut en étendre l'application aux prescriptions médicales. C'est une grave erreur qu'il importe de rectifier en premier lieu, parce qu'elle atteint le principe même de la disposition qui nous occupe ; non seulement la loi doit empêcher qu'il y ait fraude sur le poids et la mesure des denrées qui servent à l'alimentation et aux divers besoins du peuple, mais il est bien plus important encore qu'elle prévienne les erreurs bien plus funestes, qui peuvent avoir une influence directe sur la vie et la santé des habitants. L'application d'un système légal aux poids médicinaux est d'autant plus essentielle, que c'est le seul moyen d'établir régulièrement la responsabilité du médecin qui prescrit et du pharmacien qui exécute l'ordonnance.
Si les poids et les mesures médicinaux ne sont point réglés par la loi, s'ils dépendent d'une fixation purement arbitraire et conventionnelle, il (page 1015) n'y a plus aucun moyen de punir la cupidité et l'ignorance, et vis-à-vis du malade et du médecin, le pharmacien cesse d'être responsable de la stricte exécution de l'ordonnance. Le droguiste est obligé d'avoir un poids légal, une mesure légale, afin que si le médecin commet une erreur, il puisse se justifier et faire retomber la responsabilité sur celui à qui elle incombe. Cette seule observation me semble suffisante pour justifier l'introduction dans la loi d'un article relatif aux poids médicinaux.
Les autres nations ont parfaitement compris cette nécessité. C'est ainsi qu'en France, en Hollande et ailleurs on a réglé les matières comme on propose de le faire maintenant chez nous.
Si les adversaires de l'article 5 sont dans le vrai, la condamnation absolue de tout le projet de loi est prononcée. Comment ! les anciens poids et les anciennes dénominations ont été supprimés depuis 60 ans en Belgique, depuis l'invasion française en 1794 ; il a été défendu d'en faire usage ; après plus d'un demi-siècle, vous allez avouer votre impuissance de faite comprendre et appliquer par des hommes d'étude, des docteurs, des savants, la combinaison des mesures décimales, et vous voudriez en imposer l'application et l'usage de vive force à de pauvres ouvriers, à de misérables détaillants, à des campagnards ignorants, illettrés ?
C'est là une contradiction manifeste ; si les impossibilités et les dangers dont on vous parle existaient réellement, ce serait faire la plus sanglante injure au corps médical belge.
M. le ministre de l'intérieur vous a dit d'ailleurs qu'il ne s'agissait aujourd'hui que de changer la dénomination du système établi en 1816.
Les médecins ont donc eu trente-huit ans, pour se familiariser avec le système métrique décimal ; s'ils ne savent pas l'appliquer aujourd'hui à leurs recettes, c'est qu'ils n'ont pas voulu se donner la peine de l'apprendre ; et certes, cette négligence mérite d'être réprimée et punie. Mais bien loin de là, on vient de vous prouver que c'était à la demande du corps médical, représenté par l'Académie de médecine, que l'application du système métrique aux poids médicinaux avaii été maintenue et introduite dans le projet de loi.
Les divisions décimales sont passées dans la pratique chez les ntlions qui nous environnent, les ouvrages scientifiques nouveaux emploient presque tous les mesures nouvelles de capacité et de poids. (Interruption.)
J'entends dire : C'est une erreur ! Je maintiens qu'il en est ainsi dans tous les ouvrages français, allemands, hollandais. On a plaisanté sur la médecine homéopathique ; eh bien, lisez les livres qui en traitent, et dites-moi si vous n'y voyez pas à chaque page, au lieu de scrupules ou de je ne sais quel autre poids suranné, des quantités indiquées en décilionièmes et autres infiniment petits décimaux.
La section centrale vous propose la suppression de l'article 5 ; cet article est cependant la forme la plus adoucie qu'il soit possible d'imaginer, pour amener les anciens praticiens à l'observation de la loi. On n'impose l'obligation de faire usage du système décimal pour les poids médicinaux que quand la nouvelle pharmacopée aura été publiée. Les médecins sont donc avertis dès aujourd'hui de se préparer à l'application du système, pour l'époque de la publication de cette pharmacopée ; premier délai, et Dieu sait quand le Code pharmaceutique paraîtra !
Outre cela, M. le ministre de l'intérieur vous propose, après ce premier délai écoulé, d'accorder encore deux ans pour faciliter l'usage et l'emploi des dénominations légales. Peut-on se montrer plus tolérant, plus facile, quand on a en vue un but sage, éminemment utile, et dont les conséquences seront avantageuses à la société entière ?
On prétend qu'il sera difficile d'atteindre et de réprimer les contraventions ; je n'en crois rien, et il me semble qu'en cela nous pourrons aussi bien réussir que nos voisins, chez lesquels une volonté persistante et énergique dans ce qui est bien a fini par triompher de toutes les oppositions.
L'honorable M. Verhaegen se rappellera parfaitement comme moi un procès qui a fait assez de bruit à Bruxelles. Un pharmacien avait mal compris ou a excédé la dose d'une ordonnance dans une proportion énorme, le malade avait succombé, mais on a établi judiciairement, et avec facilité, le corps du délit ; la répression ne sera pas plus difficile pour les faux poids médicinaux que pour les autres.
On nous a parlé des erreurs funestes qui peuvent se commettre par l'oubli ou l'ignorance des termes ; des erreurs aussi graves sont possibles et plus fréquentes encore lorsque le médecin ne reconnaît pas la maladie ou lorsqu'il fait une prescription erronée ; il est du devoir du médecin de s'éclairer et de s'instruire dans la mesure de sa capacité, de son temps et de ses forces ; et l'application des mesures décimales est certes moins difficile que la diagnostique ou la thérapeutique des maladies. La loi ne peut prévoir ni empêcher tous les abus, elle doit voir seulement ce qui est juste, utile et pratique.Les types des anciens poids médicinaux n'existent plus depuis cent ans ; c'est par hasard qu'on en retrouve dans quelques vieilles pharmacies, quelle précision, quelle exactitude, quelle responsabilité pouvez-vous attendre des médecins ou des pharmaciens, lorsqu'ils se servent, pour déterminer des quantités, de poids et mesures arbitraires, purement conventionnels, dont il est impossible de contrôler l'étalon ? Cet état de choses n'est-il pas plus dangereux que les erreurs possibles que l'on nous signale ?
Un honorable orateur nous a entretenus du cas où la vie d'un homme peut dépendre des lettres « a » et « i » confondues ou mal placées ; cet argument nous toucherait si l'on pouvait nous prouver que la même chose ne peut pas se produire avec les dénominations anciennes.
Quant aux signes conventionnels usités pour les ordonoances médicales, on peut très bien en introduire dans la pharmacopée d'analogues aux poids décimaux, et ces signes nouveaux deviendront aussi intelligibles aux pharmaciens, que les signes cabalistiques employés aujourd'hui.
Tels sont, messieurs, les motifs de bon sens et de raison qui me semblent militer en faveur de l'adoption de l'article 5 et de l'amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur. Il y a nécessité manifeste, vœu des médecins instruits, pratique des nations voisines, et prescription légale qui date de trente-huit ans !
M. de Theux. - Nous devons être saisis bientôt d'un projet de loi sur l'art de guérir, et la pharmacopée annoncée depuis bien longtemps ne tardera pas à être publiée. Je crois que ces deux choses doivent paraître simultanément, et qu'à cette occasion nous pourrons avec le plus de sûreté prendre une résolution sur la question qui nous occupe. En attendant, M. le ministre de l'intérieur pourra consulter les commissions médicales. Chacun pourra faire attention aux observations qui ont été faites. S'il résulte de l'espèce d'enquête que l'on fera qu'on peut, sans danger, prescrire aux médecins de se servir dans leurs ordonnances des poids et mesures légaux, naturellement nous sanctionnerons cette prescription avec empressement ; mais je ne sais si tous les médecins sont aujourd'hui en mesure de se servir des dénominations légales de poids et mesures ; je n'ai pas cette conviction absolue ; cela me suffit pour m'empêcher de voter cette proposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Comme les lois relatives à l'introduction de la nouvelle pharmacopée et à l'art de guérir ne tarderont pas à être présentées, je consens à l'ajournement de la disposition qui concerne les poids médicinaux. D'ici là, on pourra s'entourer de nouvelles lumières.
- L'ajournement de l'article 5 est prononcé.
M. le président. - La Chambre passe à la discussion de la proposition faite par la section centrale de remplacer la date du 1er juin 1857 (pour la marque des futailles employées pour la vente des boissons) par celle du 1er janvier 1858 (commencement de l'article 9.)
M. Allard. - Je crois ce délai trop court.
Il arrive souvent que les futailles sont hors des brasseries pendant 7 ou 8 ans.
Il y aura donc beaucoup de contraventions. Je propose de dire « le 1er janvier 1860 », au lieu de « le 1er janvier 1858 ».
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il n'y a pas de raison pour ne pas mettre aussi bien le 1er janvier 1870. Il est évident que si l'on y met un peu de bonne volonté il n'y aura guère de contraventions, Le cas dont parle l'honorable M. Allard est exceptionnel ; j'ai de la peine à croire qu'il se présente souvent. Si l'on retarde l'application de la loi jusqu'au 1er janvier 1858, c'est-à-dire pendant deux ans et demi, on aura tout le temps nécessaire pour faire appliquer aux futailles la marque voulue, c'est-à-dire le nom du vendeur et la contenance.
Je ne puis croire que ce nouveau retard qu'on propose soit quelque chose de sérieux.
M. Allard. - Probablement M. le ministre de l'intérieur ignore la manière de fabriquer la bière dans certaines parties du pays. Il en est où la bière ne se boit que 15 mois après sa fabrication. A Bruxelles, il y a de vieilles bières qu'on garde pendant 4 et 5 ans. Irez-vous dans tous les établissements où l'on vend de la bière pour y appliquer la marque. Comment fera-t-on pour appliquer la marque au fer rouge à des futailles superposées dans des caves où il y en a plus de cent, et où il est impossible d'arriver à toutes ?
Au reste, les brasseurs ne s'inquiéteront pas beaucoup de marquer leurs futailles ; ils pourront y indiquer la contenance qu'ils voudront. Mais la plupart de ces futailles ne rentrent qu'au bout d'un certain nombre d'années.
Les employés qui sont tous les jours dans les brasseries auront tous les jours des procès-verbaux à dresser, puisque tous les jours ils verront rentrer des futailles qui ne seront pas marquées.
Je persiste à proposer la date du 1er janvier 1860.
- L'amendement de M. Allard est mis aux voix et rejeté après deux épreuves.
La proposition de la section centrale est adoptée.
M. le président. - La Chambre passe à la discussion sur les articles 10 et 11.
M. Vanden Branden de Reeth. - Il me semble, messieurs, qu'il y a une espèce de contradiction entre le but que l'on veut atteindre par le projet de loi que nous discutons et les amendemçnis proposés aux articles 10 et 11.
Tout le monde est d'accord qu'il faut propager par tous les moyens possibles et légaux le système en fait de poids et mesures qui fait l'objet de la présente loi, système d'ailleurs qui devrait être en vigueur depuis un grand nombre d'années. Voilà évidemment le but que l'on veut atteindre, sans cela le projet n'aurait pas de raison d'être, il faudrait continuer le système d'excessive tolérance qui a prévalu jusqu'ici. Eh bien, d'accord sur le but, l'on vous propose de supprimer en partie les moyens de l'atteindre, en réduisant outre mesure le nombre d'agents nécessaires pour la bonne exécution de votre loi.
Je dis, messieurs, qu'un seul fonctionnaire par province, même deux, comme on le propose en dernier lieu, pour faire la vérification des poids et mesures de toute cette province, c'est imposer uue besogne presque impossible, et qui, dans tous les cas sera mal faite, et d'un (page 1016) autre côté, c'est rendre toute surveillance illusoire ; car en fait ce sont les vérificateurs qui seuls aujourd'hui constatent les contraventions ou au moins signalent les abus aux officiers de police chargés de poursuivre les contraventions.
Il y a aujourd'hui 26 vérificateurs des poids et mesures. C'est peut-être trop.
Mais, l'on est venu vous proposer d'abord de réduire le nombre à neuf supprimant d'un seul trait de plume les deux tiers de ces employés. C'est une réforme par trop radicale que je ne puis appuyer. Il est vrai que l'auteur de la proposition l'a modifiée ensuite en portant le nombre des vérificateurs éventuellement à deux par province. Mais je dois encore rejeter cette modification parce qu'elle est insuffisante. D'ailleurs, messieurs, il est à remarquer que M. le ministre de l'intérieur n'est pas obligé, dans le règlement spécial qu'il fera en exécution de la loi, d'adopter le nombre de 26 agents ; il peut modifier ce qui existe aujourd'hui, mais il me semble que ce travail doit être laissé à sa libre appréciation, parce que seul il possède les éléments nécessaires pour faire une bonne subdivision et pour connaître quels sont les besoins du service.
Quant à l'inspecteur, il me paraît que ce fonctionnaire est indispensable si l'on veut conserver de l'unité dans l'administration ; la surveillance des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement, dont on vous parle, ne figure ici, permettez-moi de vous le dire, que pour mémoire, et si vous voulez rendre une administration régulière, ne prenez pas de mesures illusoires.
L'on a dit encore, le nombre des employés du département de l'intérieur est énorme, il y a bien plutôt lieu de le diminuer que de l'augmenter... Je suis parfaitement de cet avis.
Il résulte, dit-on encore, de cette augmentation continuelle de personnel administratif des dépenses nouvelles qui chaque année viennent grever les budgets de l'Etat... Cela est encore parfaitement juste.
Mais, messieurs, cet argument que l'on fait souvent valoir, et qui a une grande valeur, n'est pas d'une application universelle comme on paraît le croire. Parce que dans certaines parties de l'administration il y a un nombre surabondant de fonctionnaires, est-ce bien là un motif pour empêcher la nomination d'un inspecteur dans une autre partie tout à fait distincte ? S'il y a des réformes à introduire, qu'on les introduît là où elles sont nécessaires ; en agir autrement, mais ce serait désorganiser.
Quant à la dépense, mais je crois pouvoir dire qu'il n'y aura pas de ce chef d'augmentation dans la dépense. Il y a aujourd'hui, comme nous l’avons déjà dit, 26 vérificateurs. Il est plus que probable que ce nombre sera réduit dans le travail de subdivision que fera M. le ministre. Eh bien, il suffira de réduire d'un ou de deux le nombre des fonctionnaires actuels, pour qu'il y ait compensation dans la dépense. J'engage donc le gouvernement à maintenir les articles 10 et 11 du projet primitif.
Messieurs, puisque les articles que nous discutons se rapportent au personnel du service des poids et mesures, je désire répondre quelques mots à des observations qui ont été présentées dans une des séances précédentes.
L'on a prétendu que ce service avait donné lieu à des plaintes et à des abus, et l'honorable M. de Perceval a même été jusqu'à dire que les vérificateurs, n'ayant que six semaines ou deux mois de besogne, employaient les neuf ou dix mois de repos qui leur restaient à vexer et à molester leurs concitoyens.
J'ignorais qu'il y eût en Belgique une catégorie de fonctionnaires, dont l'unique occupation, pendant neuf ou dix mois de l'année, consistât à vexer et à molester leurs concitoyens, et j'aurais lieu de m'étonner que dans notre libre Belgique, où le moindre abus est aussitôt signalé par la presse, un pareil état de choses eût pu se tolérer pendant vingt-cinq ans.
Je crois que les plaintes dont on vous parle ne doivent être accueillies qu'avec une certaine réserve, daus ce sens que tout ce qui donne lieu à une certaine gêne, à certaines obligations à remplir, à certaines prescriptions légales à observer, rencontre toujours des objections, car l'homme est porté par sa nature à se plaindre de tout ce qui lui impose une certaine contrainte. Les plaintes, en pareilles matières, pour avoir quelque valeur, doivent être précisées.
Je puis dire, quant à ce qui est à ma connaissance, que dans la localité que j'habite les fonctions de vérificateur sont exercées par le même agent depuis vingt-cinq ans, et que jamais je n'ai entendu articuler aucune plainte à sa charge.
Pour ce qui concerne les abus, il faut bien s'entendre sur la portée que l'on veut donner à ce mot.
Les vérificateurs n'ont d'autre obligation à remplir envers les assujettis que de poinçonner les poids, mesures ou balances qui leur sont présentés, et si un travail supplémentaire est nécessaire pour les rajuster, le vérificateur n'est pas tenu de faire ce travail sans aucune rétribution. L'assujetti, d'ailleurs, peut s'adresser, pour cet objet, à des hommes de métier ; il est libre à cet égard ; mais il est toujours plus avantageux pour lui de s'adresser à l'agent chargé de la vérification qui a les instruments nécessaires pour ces opérations de peu d'importance, d'ailleurs ; et dans ce cas, la légère rétribution qu'il perçoit n'est qu'une justre rémunération d'un service rendu en dehors de ses obligations. Dès lors, le fait que je signale et auquel on a pu faire allusion, ne constitue pas un abus. Je pense que cette faculté de rajuster les instruments servant au pesage et au mesurage sera laissée aux vérificateurs, qu'il y aurait seulement lieu, ; peut-être, à faire un tarif pour fixer la rétribution, mais une mesure d'exécution qui regarde M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, avant d'arriver à la discussion des amendements de l'honorable M. de Perceval actuellement en discussion, je crois nécessaire de revenir un instant sur une autre disposition qu'il avait proposée dans une séance précédente et qui était relative au rajustage. L'honorable membre proposait de faire opérer gratuitement ce rajustage dans les bureaux. Il a retiré cet amendement, parce que j'avais pris l'engagement indirect d'insérer une disposition analogne dans les règlements. Après information ultérieure, je dois à cet égard quelques explications à l'honorable membre, pour que cet engagement ne soit pas considéré comme devant conduire plus loin qu'il n'est possible d'aller.
Autrefois on payait une rétribution, même pour le poinçonnage.
En 1832, on décida que, pour le fait même du poinçonnage, il n'y aurait plus de rétribution. Mais autre chose est le rajustage ; et c'est ce qu'on a parfaitement distingué dès 1832.
Voici comment s'exprime à cet égard la circulaire ministérielle du 21 mars 1832 ;
« Tout instrument de mesurage et de pesage soumis à la vérification et au poinçonnage sera présenté au vérificateur dans un état tel que le poinçon puisse y être appliqué immédiatement ; et par conséquent aucune rétribution quelconque ne sera dorénavant exigée de ce chef par ledit fonctionnaire. »
Il était donc entendu de la part de l'administration que si le vérificateur ne percevait plus de rétribution pour le poinçonnage, c'était à condition que les assujettis présentassent leurs instruments dans un état tel que ces instruments pussent être immédiatement poinçonnés et qu'il n'y eût pas obligation pour l'agent de l'administration de se livrer à un travail préparatoire au poinçonnage.
Messieurs, cette distinction a été constamment maintenue par l'administration des poids et mesures. J'ai sous les yeux des circulaires ministérielles de 1845 et de 1847. Une décision du 20 août 1845 porte :
« Que les vérificateurs se chargeant des apprêts nécessaires pour l'application du poinçonnage, pourront recevoir une indemnité de 10 et de 6 centimes, selon les cas. »
Par une circulaire, en date du 23 décembre 1847, le ministre des finances déclara « que les frais de rajustage ne tombaient pas à charge des vérificateurs ; que ces agents ne sont pas tenus d'ajuster les poids ; que s'ils le font, ils ont droit de ce chef au remboursement des frais que ce rajustage leur a occasionnés. »
Ainsi, messieurs, il a toujours été entendu que pour les travaux préparatoires au poinçonnage il y aurait encore lieu à indemnité. Ce n'est pas ici un salaire accordé pour rémunérer le travail même du vérificateur ; c'est une indemnité du chef de certains déboursés faits par le vérificateur ; car il faut un outillage, il faut du plomb, de l'étain, du combustible. Ces frais matériels du rajustage sont si considérables que des vérificateurs estiment que, dans leur ressort, ces frais de fournitures, faits par eux, s'élèvent à 1,000 ou 1,500 francs par an.
Il est impossible de supprimer cette indemnité ; il faut bien rendre aux vérificateurs le montant des avances qu'ils doivent faire pour l'ajustage. Quant au poinçonnage il n'y a plus de rétribution de ce chef. Du reste, et cela se voit tous les jours, les fabricants peuvent, dans leurs ateliers et sous les yeux du vérificateur, faire faire ce travail d'ajustage par leurs propres ouvriers et, par conséquent, sans avoir à payer aucune espèce de rétribution. Cela leur est libre aujourd'hui. Il serait même désirable que le rajustage pût toujours se faire en dehors de l'intervention du vérificateur.
Je tenais, messieurs, à donner ces explications, parce qu'il m'est impossible de m'engager à supprimer toute espèce d'indemnité perçue par les vérificateurs pour travaux de rajustage opérés sous leur direction.
J'arrive à la proposition faite par l'honorable M. de Perceval, de réduire considérablement et systématiquement le nombre des vérificateurs.
Messieurs, le travail des vérificateurs est plus étendu qu'on ne le suppose au premier abord ; et je demande à la Chambre la permission d'entrer dans quelques détails pour le lui faire comprendre.
Il y a d'abord une vérification périodique qui se fait au chef-lieu d'arrondissement, où se trouve le bureau du vérificateur.
Il y a ensuite des tournées dans toutes les communes où il y a une recette de contribulions directes. Ces vérifications périodiques qui se font au chef-lieu et dans les communes, prennent déjà une série de jours dont l'ensemble équivaut à trois ou quatre mois. Mais en dehors de la vérification périodique, il y a la vérification première des instruments neufs. Pour opérer cette dernière vérification, le vérificateur est obligé, deux ou trois jours par semaine, de se trouver à son bureau, et là on vient lui présenter les objets nouvellement fabriqués et qu'on a l'habitude de faire poinçonner avant qu'ils soient mis en usage. Le nombre de ces objets est extrêmement considérable et il augmente d'année en année. Pour donner une idée de l'importance des opérations auxquelles se livrent les vérificateurs, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre le résumé d'un tableau de ces opérations. En 1841, on a poinçonné en Belgique 1,584,000 pièces, et en 1852, on en a poinçonné 2,299,000.
En admettant, selon l'amendement de M. de Perceval, le nombre de neuf vérificateurs, il y aurait pour chacun d'eux environ 900 pièces à (page 1017) poinçonner par jour. Ces chiffres, messieurs, doivent nous mettre en garde contre ce qu'il peut y avoir de séduisant dans la réduction du nombre des vérificateurs. N'oublions pas de remarquer, en outre, que la loi actuelle va étendre considérablement les attributions et les travaux des vérificateurs.
Ainsi, messieurs, la réduction du nombre des vérificateurs, telle que la propose l'honorable membre, est matériellement impossible puisque déjà aujourd'hui on exprime le regret de ce que la vérification se fait parfois et forcément d'une manière peut-être trop précipitée, trop superficielle.
Il y a, messieurs, une autre considération qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'en définitive la loi sur les poids et mesures doit être exécutée de façon à nuire le moins possible à l'intérêt des assujettis, et qu'il faut bien ne pas les soumettre à des voyages qui pourraient devenir une source d'embarras et de frais. Aujourd'hui déjà, ils doivent se transporter au bureau du vérificateur avec des balances et d'autres ustensiles qui ont un certain poids ; si vous augmentez la distance, en réduisant le nombre des vérificateurs, vous rendez cette charge plus onéreuse au petit négoce.
Ainsi, messieurs, en présence de la besogne qui augmente d'année en année, en présence de l'augmentation d'attributions qui résulte de la loi nouvelle, il est indispensable de maintenir, en thèse générale, le nombre actuel des vérificateurs.
D'ailleurs, messieurs, il est probable que la réduction du nombre des vérificateurs ue produirait pas d'économie sensible. Les sommes alllouées par le gouvernement aux vérificateurs comprennent les traitements proprement dits et les frais de tournée. Or, les frais de tournée resteraient au moins les mêmes ; car les vérificateurs auraient des grandes distances à parcourir, tandis qu'ils sont aujourd'hui disséminés dans le pays et qu'ils n'ont que de courtes tournées à faire.
Ensuite, quant aux traitements mêmes, on y gagnerait fort peu à diminuer le nombre des vérificateurs ; on serait probablement obligé d'ici à peu de temps d'augmenter la somme allouée à ceux qui restent, leur besogne se trouvant singulièrement étendue, et leur carrière ingrate n'offrant, par exception, aucune chance d'avancement.
Je crois donc, messieurs, qu'il y a lieu, quant à présent, de maintenir le nombre des vérificateurs.
J'ajoute cependant qu'au fur et à mesure des extinctions, il y aurait peut-être moyen de supprimer quelques-uns des bureaux de vérification ; mais ces suppressions ne peuvent pas se faire systématiquement et à la minute.
Tout ce que je puis faire, c'est de chercher à réaliser des économies, quand, par suite d'extinctions, elles deviendront possibles et que le bien du service n'aura pas à en souffrir.
M. le président. - La parole est à M. de Perceval.
M. de Perceval. - Je désire répondre à l'honorable ministre de l'intérieur. Mais je demande que la discussion soit remise à demain ; il est près de cinq heures.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 5 heures moins dix minutes.