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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 30 janvier 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 596) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et demie ; la séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Saint-Jacqucs-Cappelle demandent qu'il y ait autant d'écoles vétérinaires, d'agriculture et d'horticulture dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes ; que l'enseignement y soit donné dans la langue maternelle et que, si pour l'une ou l'autre branche de l'enseignement on n'établissait qu'une seule école pour tout le pays, les élèves reçoivent les leçons dans la langue parlée dans leurs provinces. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’enseignement agricole.


« L'administration communale d'OEudeghien demande que les habitants de cette commune, dont les récoltes ont été détruites en juillet 1853, soient admis à participer au crédit supplémentaire destine à payer des indemnités de ce chef. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit supplémentaire au budget des non-valeurs pour l'exercice 1854.


« Les bourgmestre, échevins et membres du conseil communal d'Hilleghem, prient la Chambre d'accorder à la compagnie Moucheron-Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand par Sottegem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques propriétaires demandent une loi qui réduise les frais en matière d'expulsion des locataires. »

M. Lelièvre. - L'objet de la pétition est parfaitement justifié, j'aî souvent réclamé les mesures sollicitées par les pétitionnaires, et il est à regretter que le gouvernement n'ait pas cru devoir faire cesser les griefs signalés. Je demande le renvoi de la pétition à la commission qui sera invitée à faire un prompt rapport.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Le sieur Temmerman présente des observations au sujet de la pétition de quelques habitants de Bambrugge, relative à la nomination du bourgmestre de cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des industriels et négociants de Verviers, Ensival, Dison et autres communes de l'arrondissement, demandent la réforme du tarif des dépêches télégraphiques. »

- Même disposition.


« Le sieur Clermont demande que la taxe des lettres soit réduite de moitié. »

- Même disposition.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1855

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIX. Beaux-arts

Article 121

M. le président. - La Chambre est arrivée à l'article 121.

« Art. 121. Académie royale d'Anvers : fr. 28,500. »

M. Dellafaille. - Messieurs, je viens appuyer la proposition faite par M. le ministre de l'intérieur à la section centrale tendant à augmenter l'allocation de 27,500 fr., formant la part contributive de l'Etat dans les frais relatifs à l'Académie d'Anvers, d'une somme de 11,750 fr.

Cette somme peut se décomposer ainsi :

1° Complément de traitement au directeur : fr. 1,000

2° Complément de traitement à l'administrateur : fr. 750

3° Premier subside pour la part contributive de l'Etat dans les dépenses occasionnées par les agrandissements des locaux : fr. 10,000.

Ce premier subside en suppose deux autres également de 10,000 fr., ensemble 30,000 francs, formant la moitié de la somme nécessaire pour compléter les locaux indispensables à l'enseignement académique à Anvers.

Cette somme ne pourra en aucun cas être dépassée ; je ne veux pas rappeler qu'il y a peu d'années la ville d'Anvers consacra une somme de 340,000 francs à ces édifices destinés à l'enseignement artistique national.

Je regrette, messieurs, que dans une circonstance qù j'ai à vous entretenir d'une question d'intérêt général, je doive me servir d'un nom de localité pour vous l'indiquer.

Je n'ignore pas que, circonscrites aux lieux, les questions les plus importantes en reçoivent une atteinte et finissent par s'en amoindrir. Toutefois, l'enseignement de nos Académies et tout ce qui s'y rattaché en Belgique revêt à tel point le caractère de l'intérêt général, qu'il importe peu de savoir où cet enseignement tend à s'accroître et à se développer, pourvu que les avantages qui peuvent en résulter soient au profit de tous.

L'enseignement de l'Académie royale d'Anvers considéré sous ce rapport et apprécié au point de vue des services généraux qu'il a rendus en tout temps et qu'il est appelé, aujourd'hui plus que jamais, à rendre aux arts et aux arts appliqués à l'industrie, cet enseignement, j'en suis persuadé, méritera encore cette fois votre sollicitude et vous fera accueillir avec faveur les propositions qui vous sont faites par le gouvernement. Il en est d'ailleurs de l'enseignement académique comme de l'enseignement universitaire ; nos Académies royales aussi bien que nos universités sont là pour former la jeunesse belge ; et vous signaler les besoins de cet enseignement dans l'une de ces Académies, que ce soit à Bruxelles, à Liège, à Gand, à Bruges ou à Anvers, c'est vous signaler un grand intérêt national.

C'est pour satisfaire à cet intérêt, c'est pour aplanir les difficultés qui entravaient la parfaite organisation de cet enseignement que le gouvernement vous propose d'allouer les sommes demandées.

S'il était convenable que dans cette Chambre je vinsse vous entretenir (page 597) des difficultés que les administrations chargées de la direction de l’Académie d'Anvers ont dû vaincre pour pouvoir aujourd'hui se flatter des l'espoir de se trouver à la veille de compléter l'enseignement académique, ces seules difficultés, si je vous les exposais, suffiraient peut-être pour que vous vous empressiez de les résoudre, en accordant le faible concours que le gouvernement vous propose.

Quand des hommes de science et de mérite se retirent de l'enseignement, quand des illustrations artistiques et littéraires telles que Wappers et Conscience abandonnent la direction d'une Académie, un grand vide, un vide immense se fait sentir, une grande responsabilité en résulte ; car il n'appartient pas alors au premier venu d'en occuper la place, ni aux autorités chargées de présenter des candidats nouveaux, de procéder à la légère à un semblable choix.

Inutile de vous dire les ineffaçables regrets que ces noms ont laissés à Anvers et à l'école flamande tout entière. Nous eussions cessé d'être la terre classique des arts et du goût s'il en eût été autrement.

Vous apprécierez, assez messieurs, que pour succéder à des hommes d'un mérite aussi reconnu, pour assurer le succès de l'école, pour persévérer dans cette voie de développement et de progrès ou l'art était arrivé, il fallait être assez heureux pour rencontrer une seconde fois un de ces artistes d’élite qui joignit à la réputation non seulement le talent et la science, non seulement l'aptitude pour guider l'élève et pour lui communiquer le sentiment intime de l'art et tous ses secrets, mais encore le dévouement nécessaire pour assumer une responsabilité si grande.

Aussi les autorités chargées d'émettre leur avis sur cette importante nomination s'en sont-elles sérieusement préoccupées. Leur choix, qu'elles sont à la veille d'avoir fixé, est un choix tout national, et s'il est vrai que les questions parfois s'ammoindrissent au contact des individualités, il arrive aussi que l'individu, par le mérite et l'importance qui lui sont propres, ajoute un intérêt puissant à la question qu'il importe de résoudre.

Telle est, messieurs, la situation, et si je ne m'inclinais devant les convenances que commande une haute prérogative, j'aurais hâte de vous dire le nom de l'homme éminent dont le caractère noble et élevé inspire le respect et dont le talent et le génie ont su revêtir d'un immortel éclat les plus beaux fastes de notre histoire.

C'étaient là des considérations du premier ordre, qui, au point de vue de l’enseignement artistique national de notre glorieuse école flamande et de son avenir, de cette école, de dignement représentée, à Anvers, par sa nombreuse phalange d'artistes, méritait la plus sérieuse attention.

Mais je restreindrais singulièrement la grande question de l'enseignement donné dans nos Académies, si je me bornais à vous en exposer le seul côté artistique.

Si la demande d'une dépense nouvelle pour l'Académie d'Anvers pouvait être considérée comme une faveur devant profiter à une ville, ou uniquement aux beaux-arts proprement dits, c'est-à-dire, la peinture, la sculpture, la gravure, on conçoit que cette dépense pourrait être considérée comme une dépense de luxe, dont l'opportunité pourrait être mise en doute dans un moment où toutes les dépenses tendent à s'accroître, mais il n'en est pas ainsi.

Sans doute, les arts ont contribué de tout temps à l'illustration de la Belgique, et lui ont donné une importance plus grande que ne comportaient son étendue et sa population ; et à ce point de vue encore, la prospérité de la principale école artistique du pays mérite toute l'attention dû gouvernement et des Chambres. Mais de nos jours, les arts jouent un rôle bien plus important dans la plupart des Etats de l'Europe.

Le sort de l'industrie est, dans des proportions beaucoup plus fortes qu'on ne le croirait au premier aperçu, lié à celui des arts. Tous ceux qui ont visité l'exposition de Londres ont été frappés de la supériorité de l'industrie française sous le rapport du goût. En parcourant les innombrables compartiments de ce bazar où l'Angleterre avait convié le génie, les arts et le travail des deux hémisphères, les produits de tous genre, les tissus de coton, de laine, de toile imprimés, les soieries, les broderies, l'ébénistene, les porcelaines, les bronzes, l'orfèvrerie et enfin les ornements de toute espèce, et parmi tous ces objets ceux dont la forme èt la couleur font en grande partie le mérite, on reconnaissait, sans avoir besoin de s'en assurer autrement, les produits français à leur bon goût et à leur élégance.

Les Anglais eux-mêmes l'ont reconnu, leur presse et les hommes qui, dans ce pays, s'occupent d'industrie en ont été préoccupés, au point qu'on avait songé à appliquer le bénéfice que l'exposition avait laissé pour constituer des établissements destinés à former des artiste qui vinssent en aide à l'industrie ; on sentait qu'eux seuls pouvaient donner aux produits anglais le goût et l'élégance qui distingue la France industrielle.

Il suffit d'examiner les objets qui nous entourent pour s'apercevoir qu'il y en a très peu qui n'exigent pas une forme ou une couleur que l'homme, qui a reçu une instruction artistique, ne puisse perfectionner. C'est là que l'art intervient dans l'industrie, et son rôle tend à devenir tous les jours plus important.

Si l'on veut s'en assurer, que l'on examine la statistique de l'Académie d Anvers pour l'exercice l853-1854 ; outre le caractère d'institut national qu'elle revêt, par la présence d'habitants de toutes nos provinces et même de l'étranger, sur 1,142 élèves qui ont fréquenté ses différents cours, 789 d'entre eux se destinaient à des professions industrielles, et voici la répartition consignée au rapport officiel de cet établissement.

Charpentiers, menuisiers, ébénistes, 268

Orfèvres, ciseleurs, 41

Tailleurs de pierres, marbriers, 41

Forgerons et mécaniciens, 35

Plafonneurs, 12

Carrossiers, 17

Tapissiers, 27

Maçons, 19

Relieurs et imprimeurs, 5

Doreurs, 5

Brodeur, 1

Peintres décorateurs, 122

Constructeurs de navires et voiliers, 35

Métiers divers, 33

Elèves ouvriers, dont la carrière n'est pas encore déterminée, 131

Ensemble 789 élèves destinés à exercer diverses industries.

Ces hommes ont compris que l'instruction artistique de l'Académie est la condition indispensable pour réussir dans leurs carrières industrielles.

Aussi, messieurs, dans le remarquable rapport sur l’enseignement des arts en Belgique, fait par M. Alvin à la commission nommée par le gouvernement le 26 septembre 1852, on signale comme une des causes principales du développement de l'art en France et de son application à l'industrie, comme aussi du succès de l'industrie française depuis un demi-siècle, l'existence de l'école destinée à former des dessinateurs industriels et fondée à Paris en 1766, par Louis XV. « On reconnaît, dit ce rapport, si l'on étudie l'organisation de l'école de dessin, de mathématiques et de sculpture d'ornements, fondée en 1766, que cette école, qui a reçu successivement des améliorations, est établie sur les mêmes principes que nos académies. »

Si l'influence de cette école ue se faisait pas sentir, comment expliqueriez-vous autrement la supériorité de ces admirables manufactures des Gobelins, d'Aubusson, de Sèvres, la supériorité des soieries de Lyon, l'art et le goût qui distinguent le travail des métaux, de l'or, de l'argent, des bronzes, supériorité reconnue par le monde entier, supériorité incontestée et incontestable ?

A la page 76, ce rapport nous signale encore, pour mieux faire sentir l'influence des arts sur les industries. « Au moyen âge et jusqu'à la suppression des jurandes et des maîtrises que remplacèrent la liberté individuelle et la concurrence illimitée, l'association de l'artiste et de l'industriel existait... elle produisait ces résultats que nous admirons encore tous les jours quand nous considérons avec étonnement le cachet de l'art et du goût dans les meubles, dans les moindres ustensiles dont se servaient nos pères. »

C'est précisément pour atteindre ee but qu'il importe de développer de plus en plus notre enseignement académique, cet enseignement soumis aux règles du bon et du beau, fréquenté piincipalement par l'ouvrier.

Cet enseignement ne nous fait-il pas obtenir un résultat qui fait l'objet de tous nos vœux, des désirs les plus ardents de cette Chambre : l’amélioration du sort des populations ouvrières ?

Car si nous mesurons avec équité les bénéfices qui résultent pour les différentes classes de la société des éducations qu'elles peuvent se procurer, soit dans les établissements publics, soit dans les établissements privés, nous serons forcés d’en voncennir, les éducations universitaires et celles que l’on obtient dans les établissements d’enseignement moyen sont presque exclusivement au bénéfice des classes ouvrières moyennes et relativement aisées de la société.

Le bénéfice des éducations académiques, éducations entièrement gratuites et données aux heures qui n'arrachent pas l'ouvrier à son labeur ni l'industriel à son travail ; cette éducation et cette éducation seule (car j'en excepte l'éducation primaire que je considère comme une dette sacrée de la patrie à tous les citoyens), le bénéfice de l'éducation académique seul peut constituer la juste part des classes laborieuses à la répartition générale de la science faite par la sociélé à tous ses enfants. La science du bon travail, c'est la science de l'ouvrier, ce sont ses grades académiques à lui, c'est le travail perfectionné, ce sont ses produits rendus séduisants par les charmes que l'art seul sait lui imprimer, qui, doit lui faire obtenir de jour en jour une rémunération plus convenable, et rétablir insensiblement l'équilibre, aujourd'hui rompu, entre ses besoins et ses ressources.

C'est cet enseignement de l'art appliqué à l'industrie qui est donné à l'Académie royale d'Anvers, avec un plein succès, par l'un des architectes les plus célèbres de la Belgique et à qui nous devons les admirables stalles de la cathédrale, œuvre en bois sculpté, la plus remarquable qu'aient produite les temps anciens et modernes, tant sous le rapport du sentiment que de l'exécution. C'est à M. Durlet, que ce cours a ete confié et dont il est dit dans le remarquable rapport fait par M. Alvin, à la page 93 : « Nous pouvons toutefois présenter comme modèle à (page 598) à suivre l’essai (de l'application des arts à l'industrie) qui a été tenté avec un plein succès à l'Académie d'Anvers.

Je me suis peut-être trop étendu, messieurs, sur les avantages qui doivent résulter de cete enseignement, mais d'autres l’ont compris comme moi en instituant dans notre capitale une exposition des arts industriels, et ils sont dignes de la reconnaissance de tous leurs concitoyens. C'est à nous donc de seconder ces efforts en encourageant partout où le besoin s'en fera sentirl es éducations de nos académies qui créent ces hommes d'élite, qui constituent partout l'intermédiaire indispensable entre le travail et la fortune.

Ne faut-il pas admettre que si de nos jours les aspirations vers la science étaient moins nombreuses et plus en harmonie avec les besoins, si les études qui disposent les citoyens à n'être propres qu'aux carrières libérales, scientifiques, littéraires, administratives, si ces études étaient moins suivies, la société ne se trouverait pas en présence de cet innombrable essaim d'hommes d'intelligence, d'hommes lettrés, et je dirai même de science et de cœur, auxquels la fortune publique n'a ni carrière, ni souvent, et je le constate avec douleur, du pain à offrir !

Si la science se trouvait plus souvent combinée avec le travail matériel, grande loi de l'humanité, à laquelle jamais elle ne pourra se soustraire, nous aurions moins de larmes à sécher, et chacun trouverait mieux sa place dans l'organisation de nos sociétés modernes. C'est là, messieurs, un avantage des éducations académiques sur les éducations exclusivement scientifiques. Elles convient les citoyens pour un même ordre d'idées aux destinées ou les plus brillantes ou les plus utiles. L'élève de nos académies devient presque inévitablement ou artiste ou artisan de valeur et de mérite.

Vous me direz que s'il manque son but d'artiste des rangs élevés, sa carrière aussi, peut être compromise. Là certainement une direction intelligente doit, comme partout, guider le jeune homme, mais là le remède se trouve mieux à côté du mal. Le goût trouve aujourd'hui son application dans les plus hautes régions sociales comme dans celles de la vie la plus usuelle.

A toutes les époques d'une civilisation avancée, les arts ont eu une influence marquée sur les destinées et le développement des nations... Les siècles de Periclès, d'Auguste et de Léon X sont là pour le prouver.

Nous assistons, messieurs, au grand moment d'une renaissance universelle. Les chemins de fer qui sillonnent l'Europe, et la navigation à l'aide de la vapeur, ont fait disparaître les distances internationales. Les modèles de l'art, que tous les siècles nous ont légués et qui jadis n'appartenaient qu'à quelques privilégiés de la fortune, sont aujourd'hui du domaine de tous, et ils appartiendront surtout et avant tout à ceux dont l'intelligente promptitude aura su plus tôt et mieux les approprier aux nombreuses industries, dont les produits assurent le bien-être et la prospérité de toutes les classes de la société.

A ce prix messieurs, votre avenir commercial et industriel :

A ce prix l’amélioration du sort des classes ouvrières, l’élévation de de leur niveau moral et matériel ;

A ce prix la richesse nationale aussi bien que sa gloire.

Je voterai donc pour l'allocation qui nous est proposée pour l'Académie royale d'Anvers et j'appuierai en toute circonstance le concours qui nous sera demandé pour l'enseignement des arts et l'application des arts à l'industrie dans toutes les localités du pays, parce que je considère cet enseignement comme un des moyens les plus efficaces de prospérité nationale.

M. Osy. - Après ce que vient de vous dire mon honorable collègue d'Anvers, je n'ai plus rien à ajouter pour appuyer la demande qui vous est faite en faveur de l'Académie d'Anvers. Je regrette que la section centrale ne se soit pas ralliée complètement à la proposition du gouvernement. Le gouvernement demandait une augmentation de 1,730 fr. ; la section centrale n'accorde que 1,000 fr. parce qu'on ne voulait pas avoir un directeur administrateur comme le gouvernement le propose.

Ainsi d'après la proposition du gouvernement, à l'article 121 il faudra, mettre aux voix le chiffre de 29,250 fr. au lieu de 28,300 fr. proposés par la section centrale.

M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, la section centrale s'est, en effet, divisée, encore par égalité de voix, sur l’augmentation demandée pour l'administrateur du matériel de l'Académie d'Anvers. Cet administrateur a aujourd'hui 2,500 francs d'appointements. Le gouvernement propose d'élever ce chiffre à 4,000 francs. C'est une augmentation de 1,500 francs qui serait payée, moitié par l'Etat, moitié par la ville d'Anvers.

La section centrale n'a pas été suffisamment édifiée sur la différence entre le service qui doit être imposé à ce directeur du matériel et le service de l'employé qui remplit aujourd'hui cette fonction. Toujours désireuse de ne pas augmenter sans nécessité les charges de l'Etat, la section centrale s'est, je le répète, divisée ; trois membres ont voté l'augmentation et trois membres l'ont repoussée, de sorte que l'augmentation n'a pas été adoptée.

Voilà, messieurs, comment s'est produit le rejet, par égalité de suffrages, de l'augmentation proposée par le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, la sceuon centrale, dit l’honorable rapporteur, n'a pas aperçu la différence qui existe entre le projet du gouvernement qui consiste à nommer un directeur-administrateur, et l'ancienne situation, dans laquelle il y avait un greffier chargé de toute la partie matérielle.

Cependant, messieurs, cette différence est notable. Dans l'intérêt de l'Académie d'Anvers, on a pensé qu'il fallait dégager la direction qui réunissait jusqu'ici la partie artistique et la partie administrative, qu'il fallait la dégager de tout ce qui était relatif à l'administration proprement dite afin que le directeur pût se consacrer désormais entièrement aux questions d'art.

L'ancien greffier, quelque éminent que fût l'homme charge de ces fonctions, n'avait d'autres attributions que celles d'un employé ; il était chargé de la correspondance. Aujourd'hui le directeur-administrateur qu'il s'agit de créer représentera l'Académie, il sera en rapport direct avec le gouvernement, avec tous ceux qui ont des relations avec l’Académie ; il recevra les visiteurs, il sera chargé de la correspondance avec les artistes, avec les étrangers ; en un mot, ce sera un véritable administrateur.

La commission de l'Académie a voulu pour ces fonctions un homme attachant en quelque sorte toute son existence à ces fonctions, et sous ce rapport un traitement de 4,000 fr. a paru ne pas s'écarter d'une juste modération. A cet égard nous devons accorder quelque confiance à l'administration de l'Académie et à la ville d'Anvers, car c'est la ville d'Anvers qui concourt avec le gouvernement à couvrir toutes les dépenses que l'Académie occasionne.

D'ailleurs, messieurs, n'y eût-il que la considération que j'ai fait valoir en commençant et qui consiste à représenter désormais les fonctions d'administrateur comme beaucoup plus complètes qu’elles ne l'étaient autrefois, elle suffirait largement pour déterminer l’adoption du traitement de 4,000 fr.

Il s'agit d'une somme de 750 francs pour l'Etat, d'une somme égale pour la ville d'Anvers, afin que le traitement actuel de 2,500 fr, puisse être porté à 4,000 fr.

Quant au crédit demandé pour compléter le traitement du directeur, la section centrale ne le conteste pas ; je me permettrai cependant pour que la Chambre n'hésite pas à voter le crédit, de faire ressortir en peu de mots l'importance plus grande qui est attachée aujourd'hui aux fonctions de directeur.

Pour donner à cette direction toute la valeur qu'elle doit avoir, le conseil académique et l'administration communale d'Auvers, d'accord avec le gouvernement, ont pensé qu'il fallait désormais attacher le directeur d'une manière complète et absolue à l'Académie ; dès lors, l’ancien traitement a paru insuffisant ; on propose 6,000 fr. Quand'on considère que les fonctions de directeur vont être confiées à un des artistes les plus éminents du pays, on reconnaîtra que ce traitement n'est pas exagéré.

Je m'expliquerai tantôt sur la nécessité de voter le crédit de 10,000 fr. demandé comme charge extraordinaire et destiné à aider la ville d'Anvers à couvrir les frais de construction d'un atelier et d'un logement pour le directeur de l'Académie.

M. Loos. - Messieurs, après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, je me bornerai à répondre à une objection que fait la section centrale. La section centrale a envisagé les fonctions d'administrateur d'une manière trop matérielle, si je puis m’exprimcr ainsi ; elle a considéré l'administrateur qu'il s'agit de nommer comme une espèce d'économe, chargé seulement de la comptabilité des sommes mises à la disposition de l'Académie ; elle a dit : « il s'agit d'une dépense annuelle de 60,000 fr. et pour gérer une semblable somme, on veut nommer un administrateur au traitement de 4,000 fr. »

La section centrale ne s'est pas rendu bien compte des fonctions de l'administrateur. Jusqu'à présent il existait un greffier ; ce greffier, en effet, n'avait qu'à tenir la comptabilité, à recevoir les inscriptions, outre quelques autres occupations inhérentes aux fonctions de ce genre. Mais le directeur partageait avec le greffier le soin de l'administration de l'Académie. Nous avons pu reconnaître que ces soins distrayaient inutilement le directeur de l'enseignement, et qu'au point de vue de l’enseignement, il était préférable de dégager les fonctions de directeur des occupations qui appartiennent à l'administration.

Ainsi, par exemple, nous avons trouvé que les élèves retireraient beaucoup plus de fruit des collections qui sont mises à leur disposition, s'il y avait un administrateur qui pût les guider dans les recherches qu'ils ont à faire. L'Académie possède une bibliothèque entièrement appropriée à sa destination. ; elle a des collections de plâtres, de gravures, de médailles, etc., qui ne produisent pas tout le bien qu'on peut en attendre, à défaut d'un fonctionnaire qui soit constamment présent à l'Académie et qui puisse guider les études des élèves dans ces collections.

C'est ce qui a décidé le conseil d'administration de l'Académie, de même que la ville d'Anvers, à s'imposer des sacrifices, pour pouvoir nommer à ces fonctions un homme capable de les remplir.

On s'est encore trompé sur l'élévation du traitement qui serait attaché aux fonctions d'administrateur. On a proposé 4,000 fr. ; mais on ne doit pas perdre de vue qu’il serait impossible à l'administrateur de remplir convenablemcnt ses fonctions, s’il n'avait sous ses ordres un (page 599) commis ; il y a un commis aujourd'hui, ce commis est payé par le greffier ; à l'avenir il devra être payé par l’administrateur ; mais ayant à rendre plus de services qu'il n'en a rendu jusqu'ici, il doit être mieux payé ; il ne peut pas recevoir un traitement inférieur à 1,000 francs.

Il ne restera donc à l'administrateur que 3,000 francs.

Maintenant mettez en rapport les fonctions que l'administrateur de l'Académie aura à remplir et celles qu'ont à exercer les administrateurs des universités de l'Etat, et demandez-vous alors s'il y a proportion entre les traitements attachés respectivement aux deux fonctions ; je le répète, le traitement de l'administrateur se trouvera, par le fait, réduit à 3,000 fr. C'est moins que le conseil d'administration n'avait proposé ; c'est le chiffre auquel le département de l'intérieur a réduit les propositions qui lui ont été faites. Je crois que ces propositions sont extrêmement modestes ; je serai, pour ma part, fort heureux, si avec ce sacrifice, on parvient aux résultats qu'on est en droit d'attendre de cette institution.

M. Lebeau. - Messieurs, avant d'avoir entendu les honorables députés d'Anvers, j'avais quelques doutes sur l'opportunité de l'allocation à l'égard de laquelle la section centrale s'est divisée ; je pensais qu'à l'instar de ce qui se passe dans un grand établissement artistique de Bruxelles, on pouvait, sans créer un administrateur, séparer les fonctions de directeur de toute préoccupation de comptabilité et d'administration. En effet, il n'y a pas de choses qui aillent moins ensemble que la culture des arts et l'administration proprement dite ; il est donc désirable que cette séparation soit complète.

Mais avant d'avoir entendu les honorables députés d'Anvers, je me demandais s'il était bien indispensable de créer à l'Académie de peinture un administrateur rétribué par l'Etat dans une proportion assez élevée, J'avais pour moi l'expérience d'un établissement qui n'est pas sans analogie avec l'Académie d'Anvers, dont le personnel est très considérable, car il compte de 400 à 500 élèves et qui est administré par une commission dont les membres exercent gratuitement leurs fonctions, avec l’aide d’un simple secrétaire qui est rétribué de la manière la plus modeste.

Cette commission administrative, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, dégage complètement la direction de toute préoccupation administrative.

J'ai toutefois, en entendant surtout l'honorable M. Loos, compris qu'il n'y avait pas une analogie parfaite entre les deux établissements ; il y a d'abord un plus grand nombre d'élèves à l'Académie d'Anvers qu'au Conservatoire de Bruxelles, quoique le nombre des élèves de ce dernier établissement soit déjà, comme je l'ai dit, très considérable ; il peut y avoir d'autres dissemblances résultant du caractère purement technique des deux instituts ; il est évident que les procédés sont très diiférents et que cela peut justifier une mesure spéciale pour l'Académie d'Anvers.

Je ne me rassoirai pas sans me féliciter des paroles généreuses et élevées que nous ont fait entendre les honorables députés d'Anvers dans cette discussion.

Je suis heureux, par exemple, de voir qu'une fois sur le terrain, l'honorable M. Osy se rapproche quelque peu de ceux qu'il combattait si énergiquemeni au nom des abus de la centralisation et au nom surtout de la Constitution, si audacieusement violée, disait-il, dans l'institution dcs écoles d'agriculturc instituées par arrêté royal, tout comme la grande Académie de peinture d'Anvers... Vous voyez que sur le terrain des arts, on parvient à se rapprocher ; c'est une raison pour que nous nous hâtions de donner les mains à ce rapprochement inespéré. Pour le sceller, je voterai avec plaisir la proposition faite en faveur de l'Académie d'Anvers.

M. Osy. - Je remercie l'honorable préopinant de l'appui qu'il veut bien donner à la proposition relative à l'Académie d'Anvers, mais je ne puis admettre la comparaison qu'il a faite ; l'Académie d'Anvers existait avant 1830. Il y a une très grande différence entre l'Académie d'Anvers et beaucoup d'autres établissements gérés par le gouvernement. L'Académie d'Anvers, ce n'est par le gouvernement qui la gère ; il ne donne qu'un subside à la ville d'Anvers, subside qui n'est pas aussi considérable que la somme affectée par la ville à son Académie.

Maintenant M. Lebeau veut mettre cette Académie en parallèle avec les écoles d'agriculture qui ont été formées depuis six ans en dehors de la loi.

C'est sous ce rapport que je les ai critiquées.

Puisque j'ai la parole, je dirai un mot sur un article qui vient après celui qui nous occupe et auquel il a fait allusion.

Je regrette que les conservatoires ne soient pas restés comme auparavant des institutions communales comme l'Académie d'Anvers.

Avant 1830 et sous le gouvernement belge pendant deux ou trois ans, l'Etat ne donnait qu'un subside à Bruxelles ainsi qu'à Liège pour leurs conservatoires ; on donnait 4 mille florins pour le conservatoire de Bruxelles et autant pour le conservatoire de Liège.

Depuis que le gouvernement s'est emparé de l'administration de ces institutions, la dépense s'est élevée de 4 mille florins à 30 mille francs pour le conservatoire de Bruxelles et à 22 mille francs pour le conservatoire de Liège. Voilà où vous a conduits l'intervention directe du gouvernement dans l'administration de ces établissements !

Le gouvernement n'intervient pas dans l'administration de l'Académie d'Anvers, il ne fait que donner un subside. Comme je l'ai dit dernièrement, je voudrais qu'on en revînt, pour les conservatoires, au régime suivi pour l'Académie d'Anvers, que l'administration appartînt aux villes, que le gouvernement se bornât à donner des subsides

La proposition de M. Deliége peut vous faire voir où nous conduira l'organisation actuelle des conservatoires, il faudra donner des pensions aux professeurs.

M. Deliége. - J'ai demandé la parole pour rectifier l'erreur que vient de commettre l'honorable M. Osy, en prétendant que le conservatoire de Liège était d'abord un établissement communal.

La commune de Liège n'est intervenue que pour donner un subside et le local. C'est en vertu d'un arrêté royal, sur lequel la commune de Liège n'a pas été consultée, que le conservatoire de Liège a été établi ; il en est de même du conservatoire de Bruxelles. L'arrêté a créé quatre conservatoires sans consulter les autorités provinciales ou communales.,

Je faisais partie des états provinciaux de Liège, Ce n'est qu'après la création du conservatoire de Liège, pour leur demander, de l'argent, qu'on à consulté les Etats provinciaux.

Les conservatoires de Liège et de Bruxelles sont donc des établissements qui appartiennent et qui ont toujours appartenu au gouvernement. En effet, par l'arrêté royal d'institution, il était affecté une somme de 4,000 florins, non à titre de subside, mais pour fonder l'école.

C'est ce qui sera prouvé quand M. le ministre de l'intérieur accomplira la promesse qu'il a faite de présenter un projet de loi pour rendre justice aux professeurs des conservatoires royaux ; j'aurai alors l'honneur de prouver que le gouvernement, en rendant justice aux professeurs du conservatoire de Liège, en leur faisant stricte justice, y gagnera au lieu d'imposer une charge à l'Etat.

- Le chiffre du projet du gouvernement, 29,250 francs, est mis aux voix et adopté.

Articles 122 à 134

« Art. 122. Part contributive de l'Etat dans les dépenses d'agrandissement et d'appropriation des locaux, laquelle ne pourra, dans aucun cas, dépasser la somme de trente mille francs. Premier tiers, charge extraordinaire et temporaire : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 123. Conservatoire royal de musique de Bruxelles : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 124. Conservatoire royal de musique de Liège : fr. 22,000. »

- Adopté.


« Art. 125. Musée royal de peinture et de sculpture ; personnel : fr. 5,900. »

- Adopté.


« Art. 126. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 23,400. »

- Adopté.


« Art. 127. Musée royal d'armures et d'antiquités ; personnel : fr. 3,800. »

- Adopté.


« Art. 128. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 8,000. »

- Adopté.


« Art. 129. Entretien du monument de la place des Martyrs, des jardins et des arbustes ; salaires des gardiens : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 130. Deuxième cinquième du crédit de 518,000 fr. alloué par la loi du 21 juin 1853, pour l'achèvement de la colonne du Congrès national, charge extraordinaire et temporaire : fr. 103,100. »

- Adopté.


« Art. 131. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique, avec le concours des villes et des provinces. Médailles à consacrer aux événements mémorables : fr. 10,000. »

— Adopté.


« Art. 132. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes dont les ressources sont insuffisantes pour la restauration des nonuments ; travaux à faire pour la restauration et la conservation de l'ancien phare de Nieuport ; subsides pour la conservation d'objets d'art appartenant aux administrations publiques, aux églises, etc. ; travaux d'entretien aux propriétés de l’Etat qui ont un intérêt exclusivement historique : fr. 35,000. »

- Adopté.


« Art. 133. Commission royale, des monuments ; personnel : fr. 2,600. »

- Adopté.


« Art. 134. Matériel et frais de déplacement : fr. 5,400. »

- Adopté.

Article 125 (du budget de l’exercice 1854)

M. Dellafaille. - Je demande à faire une observation sur un article qui ne figure plus au budget. Je remarque dans le rapport de la section centrale la note suivante :

(page 600) « Ici vient se placer une observation de la deuxième section, relative à la suppression d'un crédit de 25,000 fr. alloué au budget de 1854 (article 125), avec cette rubrique : « Exposition nationale des beaux-arts ». Cette section se plaint de ce qu'aucune allocation n'ait été faite pour des expositions du même genre à Anvers et à Gand ; :et, à l'unanimité des sept membres présents, elle émet le voeu que ces trois expositions soient mises à l'avenir sur la même ligne, soit pour l'allocation, soit pour le refus d'un subside.

« L'attention de M. le ministre ayant été appelée sur cette observation et ce vœu, il a répondu on ces termes :

« Il n'est pas possible d'accueillir ce vœu a moins d'imposer à l'Etat des dépenses exagérées.

« L’exposition triennale de Bruxelles est la seule qui ait un caractère gouvernemental, attendu qu'elle est décrétée et organisée directement par le gouvernement lui-même.

« Les autres expositions, dont on ne méconnaît pas l'importance, d'ailleurs, sont placées sous la direction de sociétés particulières et le patronage des administrations communales, et ne relèvent pas de l'Etat.

« L'exposition de Bruxelles ayant donc un caractère exceptionnel, un caractère gouvernemental, il est tout naturel qu'elle soit favorisée par une dotation spéciale inscrite au budget.

« Le gouvernement, toutefois, ne s'est jamais refusé à encourager les expositions d Anvers, de Gand, de Liège ou d'autres chefs-lieux de province. Sans les mettre sur la même ligne que l'exposition de Bruxelles, il leur a accordé des subsides relativement considérables ; il est intervenu par des achats, des souscriptions et par d'aulres encouragements encore, et même par des récompenses honorifiques. »

Je vous avoue franchement que je ne comprends pas dans quel sens cette exposition est plus gouvernementale que toute autre. Je crois que les titres qui peuvent faire conférer à des localités ou à des associations qui organisent les expositions la qualité de nationale peuvent être obtenus par d'autres localités, aussi bien que par la ville de Bruxelles. Les villes de Gand et d'Anvers et même les villes de Bruges et de Liège possèdent depuis extrêmement longtemps des expositions. Il serait très fàchcux de voir des expositions qui donnent lieu à des dépenses considérables être reléguées à l'arrière-plan, ne pas être traitées comme d'autres expositions. Toutes les dépenses qui se font en Belgique sont soumises à un système généralement admis, celui d'une équité parfaite et de subsides proportionnels aux sacrifices que l'on s'impose, proportionnés aussi au mérite des institutions qui les réclament.

Pour apprécier le mérite vraiment national des associations artistiques d'Anvers et de Gand, il importe de remonter à l'histoire de ces expositions et des associations qui les ont formées, et vous jugerez mieux alors, messieurs, des titres qu'elles ont acquis à la juste et bienveillante intervention de l'Etat.

L'association qui s'est formée à Anvers, pour protéger les beaux-arts, existe depuis 1793. Je ne puis dire à quelle époque a été fondée celle de Gand.

De 1793 à 1813, l'association d'Anvers, malgré des ressources alors restreintes, a protégé, dans la limite de ses moyens, les beaux-arts et leurs productions d'une manière fort efficace.

En 1813, les ressources de cette société augmentèrent par le grand nombte des contribuables qui y donnèrent leur concours, et l'on parvint à organiser la première exposition.

En 1814, Gand organisa une exposition. Bruxelles en organisa également une en 1815, à l'aide des ressources de sociétés particulières créées à l'instar de celle d'Anvers.

Ces trois sociétés persévérèrent jusqu'en 1830. Mais vers cette époque la société de Bruxelles déclina à tel point qu'il ne lui fut pas possible d'organiser l'exposition où figura le fameux tableau de Wappers représentant la « Famine de Leyde » et le dévouement héroïque de son bourgmestre Van der Werf.

Ce fut le gouvernement qui se substitua alors à la société devenue impuissante, et les ressources isolées de l'Etat vinrent remplacer le concours des particuliers et de la commune.

Depuis cette époque et redoublant de zèle et de dévouement, les associations de Gand et d'Anvers réussissaient à réunir au bout de trois ans, au moyen de leurs cotisations, une somme de 30,000 fr. L'association d'Anvers recevait de la ville un subside de 5,000 fr. et de la province un subside de 1,500 fr.

Sous le gouvernement néerlandais, des arrêtés royaux de 1817 et 1827 organisèrent d'abord trois expositions générales a Anvers, à Bruxelles et à Gand, puis trois autres expositions : deux à Amsterdam et une à la Haye. De manière que tous les six ans ces villes avaient une exposition, sauf Amsterdam qui en avait deux.

Pour subsidier ces expositions, le gouvernement accorda par arrêté royal une somme de 20,000 fl. pour acheter des tableaux, et pour faire face à toutes les dépenses qui devaient résulter de ces expositions.

Depuis 1830 le gouvernement belge a agi tout autrement, il est vrai ; il a accordé des subsides à Gand et à Anvers, de même qu'à Liège et à Bruges.

Mais ces subsides sont loin d'être en rapport avec les sacrifices que ces localités s'imposent, et qui s'élèvent, pour chaque exposition, à près de 40,000 fr.

Anvers et Gand ont continué de faire des sacrifices considérables. Au lieu d'agir en cette circonstance comme il le fait pour l'instruction publique, la voirie vicinale, etc., au lieu de leur donner des subsides proportionnés aux dépenses qu'elles s'imposent, le gouvernement semble agir en sens inverse, et en accordant à Gand et à Anvers des allocations de 4,000 et 6,000 fr., tandis qu'il accorde 25,000 fr. à Bruxelles, il semble augmenter pour celle-ci ses largesses en raison même de l'exiguïté des sacrifices qu'elle s'impose. Un semblable système s’écarte de toutes les règles de l'équité, et je ne puis admettre que ce soit ainsi qu'un gouvernement, qui tient à voir les beaux-arts prospérer et se développer en Belgique, puisse agir. C'est vouloir leur déclin, et provoquer inévitablement leur perte.

Les arts ne sé déplacent ni ne se transplantent point ; leur origine et leur développement dans telle localité ou dans telle autre est souvent un mystère qui échappe à toute appréciation.

Il en est des arts comme des sciences, comme de l'industrie, comme du commerce ; ils préfèrent tel rivage à tel autre ; telle terre leur apparaît hospitalière, telle autre ne leur présente pas les conditions voulues de développement et de splendeur.

Nul doute, messieurs, que les conditions matérielles qu'un gouvernement fait aux arts par ses encouragements honorifiques et pécuniaires ne puissent leur être ou favorables ou nuisibles... Le gouvernement peut seul aujourd'hui substituer son action à celle de ces grandes existences, à celle de ces corporations puissantes d'autrefois, à ces jurandes, à ces maîtrises qui jadis patronnaient les arts ; mais qu'il s'en acquittet alors avec cette intelligente équité qui a fait le succès de ces institutions d'un autre âge. Ces institutions existaient partout, et encourageaient les arts, là où ils se trouvaient, là où ils s'étaient implantés, là où ils brillaient ; là aussi elles leur venaient en aide.

Un gouvernement qui voudrait faire des arts et de leurs produits l'apanage d'une localité plutôt que d'une autre, aurait la force, je veux bien le reconnaître, de préjudicier dans des proportions très considérables à leur développement dans telle autre localité et peut-être d'y ternir leur gloire, cette localité eût-elle été leur berceau et leur patrie préférée ; mais je lui dénie les moyens d'action et la puissance nécessaire pour les faire naître et prospérer au gré de ses caprices.

Sachons respecter, messieurs, sachons conserver et maintenir tous les éléments de prospérité et de gloire nationale. Je n'en connais point d'autres, du moins en Belgique, que ceux qui sont nés de la liberté.

Les arts sont libres et indépendants par essence, ils ont besoin de réflexion, d'étude, de silence et de retraite. Le bruit des grands centres leur est souvent préjudiciable. Voyez l'Allemagne !

En dépit des efforts constants et des libéralités prodigieuses de la cour de Prusse pour attirer les artistes à Berlin, l'école de Düsseldorf jette plus d'éclat, et éclipse incontestablement la capitale ; c'est encore l'école de Düsseldorf qui fournit à Munich le plus grand nombre de ses artistes.

S'il était question, messieurs, d'introduire les beaux-arts en Belgique, on pourrait hésiter sur le choix des moyens ; la centralisation pourrait être préconisée ; mais heureusement les beaux-arts constituent le plus ancien, sans contredit, et un des plus importants éléments de la nationaluité belge.

Et d'ailleurs, quand on compare les résultats de la centralisation et de la diffusion des arts, quand on compare la France et son centre unique à l'Italie avec ses écoles florentine, siennoise, ombrienne, pisane, romaine, padouane, vénitienne, polonaise, et tant d'autrès, luttant de génie ; ou notre école flamande, resplendissant tantôt à Bruges, à Gand, à Anvers, à Bruxelles ou ailleurs, quel doute reste-t-il que les arts ne subissent aussi cette grande loi qui subordonne l'élévation de l'édifice à la base que l'on se plaît à lui assigner ?

Il serait donc infiniment dangereux, messieurs, de modifier un régime et de changer des conditions qui leur ont assuré depuis des siècles dans notre patrie une si brillante existence. Il serait en outre injuste de créer avec les fonds généraux, avec les ressources provenant de tous, un centre unique, exclusif, absolu qui absorbât la plus grande partie des crédits mis à la disposition du gouvernement, qui décourageât les efforts faits par toutes les grandes communes du pays.

Le gouvernement, représentant de toutes les provinces belges, doit protéger, sans exclusion, les arts dans toutes les localités où ils fleurissent, il doit venir en aide à tous les efforts, soit des villes, soit des associations. C'est à la fois l'encouragement le plus utile et le plus efficace aux beaux-arts, comme il est aussi le plus équitable et le plus national.

Je soutiens donc que le crédit de 25,000 fr. devrait être maintenu au budget, afin qu'un partage égale en fût fait entre les villes qui peuvent organiser des expositions nationales. Ce n'est pas au gouvernement qu'il appartient de délivrer le brevet de nationalité des expositions. Il faut que ce brevet soit obtenu par le mérite des localités qui les organisent, et à ce titre les expositions de Gand et d'Anvers peuvent se soumettre sans crainte au jugement du pays et de l'Europe artistique tout entière.

M. Maertens. - J'adhère complètement aux observations que vient de présenter l'honorable M. Dellafaille.

Je déplore que nos expositions de province ne reçoivent pas du gouvernement un encouragement suffisant. Nous recevons à la vérité quelques subsides pour achat de tableaux, mais ils tendent à diminuer d'année en année. Les villes de Gand et d'Anvers ont cependant autant de titres que la capitale aux faveurs du gouvernement ; elles peuvent invoquer un droit d'ancienneté parfaitement légitime, puisqu'elles ont pris l'initiative de nos expositions publiques.

(page 601) L'honorable préopinant, en insistant sur ce droit, a commis involontairement une erreur historique que je crois devoir rectifier dans l'intérêt de ma ville natale qui peut réclamer une place bien distinguée dans nos annales artistiques. C'est en effet à Gand et non pas à Anvers que fut organisée la première exposition d'objets d'arts, par l'entremise de notre Académie royale.

Cette institution est une des plus anciennes de la Belgique ; elle fut fondée en 1751, par un peintre gantois, nommé Philippe Marissal, au moyen de souscriptions recueillies chez les principaux citoyens de la ville. Ses progrès furent rapides, et trois ans après sa fondation, elle fut honorée de l'illustre patronage de Charles de Lorraine, gouverneur général de nos provinces.

Le 28 mai 1770 le magistrat de Gand imprima un caractère public à cette institution privée en lui donnant une organisation légale. Le 14 septembre de l'année suivante, l'illustre impératrice Marie-Thérèse qui témoigna tant de sympathie pour nos belles provinces, comprenant toute l'importance de cette institution artistique, daigna lui donner le titre d"Académie royale des beaux-arts, titre dont elle s'honore encore aujourd'hui.

Enfin, au mois de mai 1792 l'Académie ouvrit sa première exposition publique. Elle ne réussit que dans des proportions fort modestes, car on n'y réunit que 126 œuvres parmi lesquelles on distinguait peu de tableaux.

Cependant le principe des encouragements pour la peinture fut posé par un concours pour une tête d'expression.

Le sujet couronné se trouve encore au Musée de Gand comme témoin permanent de la noble initiative de la commune gantoise.

Les expositions se continuèrent sans interruption lorsque en 1811 la ville de Bruxelles suivit l'exemple de la ville de Gand. Anvers enfin entra dans la même voie, et ces trois villes s'associèrent pour établir les expositions triennales qui existent encore aujourd'hui, par suite de la sanction légale qu'avait reçue sous le gouvernement précédent le système qu'ils avaient inauguré.

Nous nous appuyons sur ces précédents pour obtenir justice du gouvernement. Si on veut donner aux expositions de Bruxelles un caractère national, elles le conserveront toujours, puisque les récompenses nationales, telles que médailles et décorations, ne sont accordées qu'aux exposants à Bruxelles. Ce sont ces distinctions seules qui peuvent donner le caractère de nationalité et non de simples subsides pour lesquels nous réclamons une équitable répartition. Nous ne voulous, du reste, pas être exclusifs ; si d'autres villes font les mêmes efforts daus l'intérêt des arts, je les recommande également aux faveurs du gouvernement.

Je crois devoir insister sur un fait qui ajoute encore à nos titres, c'est que les frais matériels de nos expositions sont couverts par des contributions annuelles payées par les membres de la société, de telle sorte que l'argent affecté aux encouragements reçoit cette destination dans toute son intégrité, aucune partie n'en est distraite pour autre chose. Sous le rapport de l'emploi qui en est fait, on atteint au point de vue de l’encouragement un double but, encouragement direct pour l'artiste exposant en achetant ses meilleures productions, encouragement indirect aux jeunes générations qui veulent s'initier dans la carrière des arts, en plaçant les acquisitions faites dans notre musée où elles leur servent de modèle dans leurs études.

Je termine ici mes observations ; je les crois trop puissantes pour que le gouvernement n'en tienne pas compte, et j'espère que pour nos prochaines expositions, le gouvernement ne lésinera pas en faisant droit à nos légitimes instances, surtout eu égard aux strictes règles de l'équité et aux sacrifices individuels que nous savons nous imposer pour étendrè l'importance de solennités publiques.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Toutes les villes qui organisent des expositions ont, je le reconnais sans difficulté, des titres à la bienveillance du gouvernement et aux encouragements qu'il donne aux arts par les subsides portés au budget. En fait, c'est le régime qui est pratiqué par le gouvernement, et si, à raison de son caractère exceptionnel, il y a une exposition centrale à Bruxelles tous les trois ans, si cette exposition est favorisée par un crédit spécial de 25,000 francs à raison des dépenses extraordinaires qu'elle occasionne, c'est qu'on y fait un appel général, non seulement aux artistes belges, mais aussi aux artistes de tous les pays étrangers.

En fait, les expositions locales telles que celles qui ont lieu à Gand, à Anvers, reçoivent à peu près les mêmes encouragements que l'exposition centrale organisée à Bruxelles. Elles reçoivent des subsides et désormais, il sera possible aussi de les encourager par des achats de tableaux.

Je dis que le gouvernement procède envers les villes de Gand, d'Anvers et de Liège comme il procède envers celle de Bruxelles par les encouragements qu'il accorde sur le crédit goderai porté au budget des beaux-arts.

Quand des tableaux se présentent dans ces expositions qui paraissent dignes de figurer dans un des musées de l'Etat, le gouvernement achète dans la limite des crédits qui sont mis à sa disposition. Ainsi, il procède à Gand, à Anvers, à Liège ; ainsi il a procédé récemment à Bruxelles.

Je la reconnais, toutefois, des encouragements, plus considérables résultent de la part que prennent les particuliers à l'exposition de Bruxelles par voie de souscription. Sous ce rapport, un fonds considérable a pu être mis à la disposition de la commission d'organisation et d'achat, et la plupart des peintres, tant nationaux qu'étrangers, y ont trouvé des avantages considérables.

Jusqu'à présent les fonds votés au budget pour l'encouragement des arts ont été employés d'une autre manière, en grande partie an moins. Ainsi l'on employait une partie des subsides de l'Etat en commandes.

Le gouvernement a reconnu depuis quelque temps que ce mode d'encouragement donnait lieu à de grandes difficultés et qu'il était convenable d'introduire un nouveau système qui consistera désormais, pour la plus grande partie des fonds disponibles, à acheter des tableaux dont le mérite aura été reconnu dans les expositions publiques, Sous ce rapport, le système que j'indique pourra être mis en pratique à Gand, à Anvers, à Liège, comme il l'a été récemment à Bruxelles.

Voilà comment j'entends l'égalité qui doit exiger entre toutes les villes qui ont des expositions d'objets d'art.

Quant à la somme de 25,000 fr., si la législature voulait la voter annuellement, comme l'a demandé l'honorable baron Dellafaillé pour venir en aide aux villes qui ont des expositions, il est évident que ce serait un encouragement très digne, très louable.

Le gouvernement n'aurait aucune objection à faire en principe. Mais resterait à voir si, dans l'état de nos finances, il est possible de donner une extension aussi considérable à nos encouragements annuels. Si au lieu de 25,000 fr. que nous avons aujourd'hui pour faire des achats d'objets d'art, le gouvernement pouvait disposer d'une somme double qui serait appliquée, non seulement à Bruxelles, mais à Gand, à Liège, à Anvers, en achat de tableaux dignes de figurer dans nos musées ; je le reconnais, ce serait un encouragement des plus utiles. Le gouvernement n'a pas manqué de recommander à la législature d'augmenter le chiffre du crédit annuel.

Mais vous vous rappelez que l'année dernière un honorable député d'Anvers a fait la motion d'augmenter le chiffre ordinaire du crédit, et que le gouvernement l'a appuyé, et vous savez le sort qu'a obtenu cette proposition. La Chambre n'a pas cru qu'il fût possible d'augmenter le chiffre dont il s'agit, et il a fallu se renfermer dans les limites ordinaires du budget.

Toujours est-il vrai que toutes les villes à expositions ont une part aussi équitable que possible dans les avantages que peut faire le gouvernement à l'aide du crédit dont il dispose.

Je crois ces explications de nature à rassurer les honorables membres qui ont pensé que les encouragements de l'Etat n'é'a'ent accordés qu'aux expositions qui ont lieu à Bruxelles.

M. Osy. - Messieurs, l'arrêté royal de 1827, qui se trouve à la suite du rapport de la section centrale, vous montre que le gouvernement mettait autrefois les trois expositions de Bruxelles, d'Anvers et de Gand sur la même ligne et accordait à chacune de ces expositions une somme de 20,000 florins, pas du tout pour des constructions, mais pour acheter des tableaux par l'entremise d'une commission.

Je conviens, messieurs, que comme il s'agit d'une affaire financière, l'arrêté de 1827 n'est plus en vigueur ; mais il me paraît juste que le gouvernement suive la marche indiquée par cet arrêté, c'est-à-dire que les trois expositions soient mises entièrement sur la même ligne, qu'on achète pour la même somme dans chaque exposition et qu'on accorde les mêmes faveurs aux étrangers n'importe la ville où ils exposent.

Que fait-on, messieurs ? A la dernière exposition d'Anvers, le gouvernement n'a donné que 6,000fr. A Gand il n'a donné que 2 ou 3,000fr. A Bruxelles, au contraire, il a été accordé l'année dernière 25,000 fr. pour le matériel seulement. A Gand les frais de matériel sont couverts par les souscriptions des habitants. A Anvers il y a eu, en 1852, une exposition extrêmement remarquable qui. certes, n'était pas au-dessous de celle de Bruxelles de l'année dernière ; eh bien, les étrangers qui sont venus exposer à Anvers n'ont rien obtenu. Si le gouvernement accorde toutes ses faveurs à Bruxelles, les artistes n'exposeront plus qu’à Bruxelles.

Je demande, messieurs, avec mes honorables collègues, MM. Dellafaille et M. Maertens, qu'on accorde les mêmes avantages aux trois villes et qu'on ne dépense plus en bâtiments des sommes qui doivent (page 602) exclusivement servir à l'achat de tableaux. Il y a à Bruxelles un Musée qui appartient au gouvernement, eh bien, qu'on fasse comme on fait à Anvers et à Gand, qu'on expose au Musée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il est insuffisant.

M. Osy. - Il me paraît cependant qu'il ne faut pas employer les fonds votés pour les beaux-arts à construire des bâtiments qu'on démolit le lendemain. Les fonds doivent être consacrés à l'achat des tableaux désignés par la commission que nomme le gouvernement. Alors il n'y aura pas de faveurs, et les encouragements se donneront véritablement au mérite.

M. Dumortier. - Les honorables députés d'Anvers et de Gand viennent de soulever une question qui est certainement bien digne d'intérêt, puisqu'elle concerne les encouragements donnés aux artistes en Belgique. Ces honorables membres demandent que les trois expositions soient considérées comme nationales, qu'elles soient placées sur la même ligne et que le même crédit soit affecté à chacune d'elles.

Je pense, messieurs, que nul ne contestera que les expositions d'Anvers et de Gand sont aussi nationales que celle de Bruxelles ; il y a toutefois une différence, c'est que l'exposition de Bruxelles réunit les œuvres des artistes de tout le pays et en très grand nombre, tandis que les expositions d'Anvers et de Gand sont souvent composées principalement d'œuvres des artistes appartenant à ces localités. Je ne conteste pas qu'à Anvers surtout, où se trouve le noyau brillant de notre école flamande, les expositions sont souvent très remarquables et très riches mais, malheureusement, on ne peut pas en dire toujours autant des expositions de Gand.

J'ai été plusieurs fois visiter l'exposition de Gand, et je dois dire qu'au point de vue seulement du nombre de tableaux Gand est parfois à une distance considérable de Bruxelles. (Interruption.) Mais, messieurs, vous savez très bien que souvent l'exposition de Gand ne renferme pas le quart des œuvres d'art qui se trouvent réunies à Bruxelles. Or, comment pouvez-vous mettre sur la même ligne une exposition qui se composera, par exemple, de mille tableaux et une exposition qui n'en comptera que 200 ? L'égalité qui, au premier aspect, paraît être la justice, devient alors une véritable injustice, un privilège.

Ce n'est pas tout, messieurs, il est une considération qui vous aura tous frappés, c'est que les fonds que nous avons alloués à Bruxelles l'ont été principalement pour la création d'un local destiné à recevoir les objets d'art. (Interruption.) D'ailleurs, Bruxelles n'a pas de locaux pour les expositions, tandis que Gand et Anvers en ont. Il en résulte que les fonds votés tous les trois ans pour l'exposition de Bruxelles sont employés à la création d'un local et n'y suffisent même pas ; rien de ce crédit ne contourne en achat d'œuvres d'art. On demande la même somme pour Anvers et pour Gand, mais là il n'y a point de locaux à construire, que ferez-vous donc de cette somme ?

C'est un privilège que vous réclamez au nom de l'égalité, puisque les locaux qu'il faut construire à Bruxelles existent chez vous.

Pour mon compte, messieurs, je désire vivement que le local qui a été construit cette année puisse être consolidé de manière à servir pendant un certain nombre d'années.

Alors, aussi longtemps qu'il durera, le gouvernement pourra consacrer à des acquisitions les fonds qui jusqu'ici ont été employés en constructions ; car, cette année, le gouvernement n'a pu acquérir, faute de ressources, que deux tableaux à l'exposition de Bruxelles.

Maintenant, messieurs, les ressources des expositions de beaux-arts ne consistent pas seulement dans les subsides accordés sur le budget ; il y a des ressources bien plus considérables : vous avez les entrées, les catalogues, vous avez ensuite les loteries au bénéfice des exposants. Ces ressources ne font défaut ni à Anvers ni à Gand, et elles viennent singulièrement à la décharge des frais des expositions.

Mais voici le nœud de la question. Si j'ai bien compris mes honorables collègues, leur but serait que les objets d'art achetés par le gouvernement dans les expositions d'Anvers et de Gand, demeurassent dans ces villes. (Interruption.)

Pour mon compte, je dis que nous ne pouvons pas avoir en Belgique des musées de tableaux modernes de tous côtés ; si nous voulons, comme nous le devons, montrer à l'étranger ce qu'est notre école actuelle, il faut que Bruxelles, pour la Belgique, comme Paris, pour la France, que Bruxelles réunisse les œuvres que le gouvernement achète. Je sais bien que les acquisitions, faites depuis 25 ans, se trouvent singulièrement dispersées ; mais si la Chambre alloue la somme qui est nécessaire pour consolider les constructions qui viennent d'être exécutées, il est certain qu'il sera possible de réunir dans cette capitale les œuvres d'art achetées depuis 25 ans et éparpillées dans des locaux différents. Ainsi, n'est-il pas déplorable qu'il faille aller à la cour de cassation, au milieu d'une séance, pour voir le magnifique ouvrage de Gallait ? Je ne sais où se trouvent les toiles de Wappers et de de Keyser. Nous avons fait, depuis 25 ans, des acquisitions continuelles ; où tout cela se trouve-t-il ? Personne n'en sait rien. Je sais que quelques tableaux de ce genre se trouvent à l'ancienne cour...

- Une voix. - Et dans les ministères.

M. Dumortier. - Nous n'achetons pas de tableaux pour décorer les ministères, mais pour faire une galerie nationale. Figurer dans la galerie des peintres vivants, c'est un des plus grands encouragements que nous puissions accorder à un artiste.

En France, quand un artiste a vendu au gouvernement un tableau qui est placé au Luxembourg, il est casé, il est artiste. Les artistes regardent comme un bienfait l'acquisition d'une de leurs œuvres pour le Luxembourg.

En Belgique, si le gouvernement acquiert un tableau, où va-t-il ? Il va orner les salons des ministres et il devient complètement inconnu tant pour l'artiste et pour ceux qui dans le pays s'occupent de l'histoire de l'art que pour les étrangers.

Messieurs, je n'ai pas l'espoir de faire passer cette année un crédit plus considérable pour les beaux-arts ; j'avais appuyé l'année dernière la demande d'augmentation qui avait été faite par le gouvernement, toutefois, nous n'avons pas réussi ; mais je demande qu'au moins dans la répartition de la somme on tienne compte des différences que présentent les expositions ; qu'on veuille bien ne pas comparer les expositions beaucoup moins considérables à l'exposition triennale de Bruxelles ; qu'on tienne compte de cette circonstance que, pour l'exposition de Bruxelles, des fonds sont votés uniquement pour des constructions ; je demande que si le gouvernement fait des acquisitions aux expositions de Gand et d'Anvers, ces acquisitions ne soient pas abandonnées aux villes d'Anvers et de Gand, mais qu'elles aillent enrichir le musée de l'Etat.

M. Maertens. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Dumortier a prétendu que la ville de Gand avait moins de titres à obtenir des subsides du gouvernement, parce que ses expositions étaient loin d'avoirl'importance de celles d'Anvers et de Bruxelles. Numériquement, peut-être, les expositions de Gand sont inférieures à celles de Bruxelles. Cependant le nombre des tableaux exposés n'est pas aussi minime qu'on semble le croire ; mais quant à leur mérite, ils peuvent lutter avec ceux envoyés aux expositions des deux autres villes.

Celle de l'année dernière a compté 800 à 900 numéros, et une exposition qui se compose d'un pareil nombre de tableaux ne me semble pas digne de mépris. Nous avons eu d'ailleurs, à la dernière exposition, des tableaux du plus grand mérite ; car si l'honorable M. Dumortier était venu la visiter, il aurait été étonné en visitant celle de Bruxelles d'y trouver beaucoup de connaissances et cela parmi les meilleures toiles.

Il y avait un tableau qui à lui seul pouvait faire le mérite d'une exposition : c'est la magnifique toile du « Marché aux chevaux » de Rosa Bonheur.

Et à propos de cette toile, je dois faire ressortir de nouveau comment la ville de Gand sait encourager les arts. La gracieuse artiste a reçu des membres de la société un cadeau magnifique pour la remercier de l'envoi de son œuvre. Ce procédé a été suivi à d'autres époques pour les artistes de talent qui venaient briller à nos expositions.

L'honorable M. Dumortier qui est natif de Tournai, qui a si souvent exalté la gloire de son compatriote le grand peintre Gallait, ne doit pas ignorer que cet artiste a reçu de la ville de Gand son premier encouragement. Gallait avait pris part à un concours public, et y avait remporté la médaille. L'artiste par reconnaissance a exposé à Gand la plus belle toile qu'il ait produite : « l'Abdication de Charles-Quint », et la ville de Gand, à son tour, s'est montrée reconnaissante envers lui, en lui décernant une palme en or.

Je trouve fort étonnant que l'honorable M. Dumortier veuille déprécier ici l'importance des expositions locales ; et cependant peut-il nier qu'à la dernière exposition de Gand, il n'y ait eu des tableaux du plus grand mérite qui ont fait l'admiration de tous ceux qui les ont vus, et qui feraient l'ornement de toute autre exposition ?

J'ai cru devoir, messieurs, protester contre les paroles de l'honorable membre. A protection égale de la part du gouvernement, la société de Gand saura lutter contre toutes les autres, et je suis persuadé qu'à la prochaine exposition, si l'honorable M. Dumortier veut bien la visiter, il aura une tout autre idée de la manière dont nous savons attirer les artistes par les légitimes récompenses que nous savons leur décerner.

M. Dellafaille. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier prétend que les villes de Gand et d'Anvers demandent un privilège, en sollicitant un subside aussi élevé que celui qui est accordé a Bruxelles ; il a dit : « Les villes d'Anvers et de Gand possèdent des locaux pour leurs expositions, et la ville de Bruxelles n'en possède pas. » Mais à qui les villes de Gand et d'Anvers doivent-elles ces locaux, si ce n'est aux sacrifices qu'elles se sont imposés ? Je ne vois pas qu'il faille ajouter d'autres avantages à ceux dont jouit la ville de Bruxelles comme capitale. Si la ville de Bruxelles veut un local pour ses expositions, qu'elle en crée un, et qu'au besoin elle demande au gouvernement un subside pour couvrir une partie de la dépense, je n'y trouve rien à redire.

Messieurs, à Anvers nous nous contentons de borner nos expositions à la contenance du local que la ville a créé ; sans doute nous voudrions aussi les étendre, nous voudrions aussi attirer les artistes étrangers en plus grand nombre, et nous y réussissons même en partie ; mais comme, à Bruxelles, on fait plus d'achats, on donne plus de décorations et plus de subsides, il est naturel que Bruxelles attire plus d'étrangers qu'Anvers et Gand.

Ce que nous demandons, ce n'est pas un privilège ; nous demandons une répartition égale des subsides qui sont mis la disposition du gouvernement pour encourager les arts.

Je partage à certains égards l'opinion de l'honorable M. Dumortier, (page 603) en ce qui concerne la réunion, dans un seul Musée national, des chefs-d'œuvre, achetés par le gouvernement.

J'applaudirai à la création d'un semblable musée. Mais partout où l’art existe en Belgique, il est nécessaire d'avoir des modèles, et j'apprécie comme une dépense fort utile celle qui se fait pour l'acquisition des tableaux, des statues et des plâtres qui contribuent au maintien des arts et à leur développement partout où nous avons des Académies.

M. Dumortier. - Je ne conçois pas comment il est possible de se tromper comme on le fait. Est-ce que la construction d'un local est un encouragement donné aux arts ? Cela ne met pas un centime dans la poche d'un seul artiste A Bruxelles,ou doit construire un local et vous voudriez avoir, pour acheter des tableaux, une somme égale à celle affectée à la construction de ce local. Mais c'est là un privilège que vous demandez pour achat de tableaux. Je regrette que la Chambre n'ait pas admis le crédit que je proposais d'affecter à l'acquisition de tableaux.

Le gouvernement n'a pu en acquérir que deux à la dernière exposition. S'il avait eu à sa disposition les 25 mille francs qu'on voudrait consacrer aux expositions de Gand et d'Anvers, il aurait acquis plus de deux tableaux. Je comprends la vivacité que j'ai provoquée chez l'honorable député de Gand qui m'a répondu ; c'est qu'il voudrait que les tableaux achetés avec les fonds de l'Etat à l'exposition de Gand restassent à la ville de Gand.

La Ville de Gand fait un accueil généreux aux artistes qui répondent à son appel ; je rends hommage à sa conduite, mais aussi je veux que les tableaux achetés avec les deniers de l'Etat ne restent pas aux villes où ont eu lieu les expositions auxquelles ils ont figuré ; ils doivent être concentrés dans la capitale. Je suis convaincu que si on consultait les artistes à cet égard, ils se rangeraient à mon avis.

M. de Naeyer, rapporteur. - La discussion à laquelle nous assistons prouve de nouveau que le système d'encouragements à distribuer par le gouvernaient offre réellement les inconvénients les plus graves. En effet, cela éveille toutes sortes d'exigences et d'appétits que le gouvernement se trouve dans l'impossibilité de satisfaire, et il en résulte des discussions qui ressemblent beaucoup aux querelles de ménage, dans lesquelles chacun crie au plus fort afin d'obtenir la plus grosse part possible. Maintenant s'il s'agit uniquement de partager le gâteau, je n'ai pas grand-chose à dire. Mais je crains que sous toutes ces réclamations relatives à l'inégalité de partage, il ne se cache quelque proposition tendante à obtenir une augmentation de crédit à cet égard. Je prierai l'honorable ministre de vouloir se rappeler le vote émis par la Chambre l'année dernière, et qui doit lui donner l'intime conviction que toute proposition de ce genre serait repoussée à une grande majorité, car la Chambre est chaque année moins disposée à aggraver la situation des budgets pour des dépenses purement facultatives.

Chapitre XX. Service de santé

Discussion générale

M. Rodenbach. - A propos de la discussion du chapitre XX, je me permettrai de faire une interpellation à M. le ministre, à l'effet de savoir si la législature sera bientôt saisie de la nouvelle loi médicale.

Il est important que le corps médical soit informé du moment où la nouvelle loi sora présentée à la Chambre, afin qu'il ait le temps de transmettre ses vœux et de faire valoir ses droits à une législation compatible avec ses légitimes intérêts, et les besoins de l'humanité souffrante.

Je trouve mon interpellation d'autant plus urgente, qu'il y a doute si les lois françaises sur la médecine sont encore en vigueur en Belgique ou bien si elles ont été rapportées en 1818 sous le royaume des Pays-Bas.

J'ajouterai qu'il y a urgence qu'on nous soumette une nouvelle loi parce qu'il faut promptement une amélioration, pour ce qui concerne les médecins des pauvres.

Je me bornerai à ce peu des mots.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je désire répondre à l'interpellation de l'honorable M. Rodenbach. Il existe en effet un projet de loi sur l'art de guérir. Il a été communiqué à une commission spéciale et à l'Académie de médecine. L'Académie a disct'é à plusieurs reprises ce projet. Je n'ai pas encore reçu son travail définitif. Un fait nouveau m'obligera peut-être à présenter des dispositions additionnelles. Un arrêt de la cour de Bruxelles a déclaré que toutes les lois antérieures à 1818 sur l'art de guérir étaient abrogées. Si cet arrêt est maintenu, il y aura lieu de modifier le projet de loi.

De là un retard dans la présentation de ce projet à la Chambre. Je restreindrai le délai autant que possible, mais je ne saurais indiquer d'une manière précise l'époque à laquelle le projet pourra être présenté à la Chambre.

M. Lelièvre. - Je suis charmé d'apprendre que le gouvernement partage mon opinion sur la nécessité de présenter le plus tôt possible un projet de loi sur l'art de guérir. Il est reconnu que l'état de choses actuel donne lieu à de graves inconvénients, et que la loi de 1818 n'est plus en harmonie avec nos institutions.

C'est ainsi que l'organisation des commissions médicales est entièrement vicieuse. Aujourd’hui les membres de ces commissions ont un caractère d'inamovibilité qui est loin d'être favorable au progrès. Il est évident que le principe électif, qui devrait être établi, a pour conséquence de stimuler le zèle des individus appelés à faire partie des commissions dont il s'agit et permet de remplacer les membres qui n'ont pas rempli convenablement leur mandat.

Quant à l'Académie de médecine, il est certain que ses statuts doivent être revisés et subir de profondes modifications. L'état de choses actuel a donné lieu à des abus réels. Il n'est pas possible que le même individu puisse se maintenir perpétuellement dans les fonctions de la présidence. Il n'est personne qui n'aperçoive les inconvénients de semblable régime. D'un autre côté on abuse du subside alloué par la législature, on accorde des indemnités contrairement à tous les usages adoptés dans les sociétés savantes.

Enfin jusqu'à présent rien n'a été changé à l'ordre de choses qui a été si vivement critiqué l'année dernière dans cette enceinte. Je me trompe, messieurs, les membres de l'Académie réunis en assemblée générale sè sont permis de protester de la manière la plus inconvenante contre ce qui avait été dit au sein du parlement.

Quant à moi, messieurs, j'appuie l'amendement de M. Osy comme propre à faire cesser un état de choses qui aurait pour conséquence inévitable la ruine de l'institution qu'il importe de maintenir dans toute sa valeur.

M. Vander Donckt. - Je regrette sincèrement de devoir revenir chaque année sur la même observation relativement à l'art de guérir. Depuis de nombreuses années, le gouvernement a promis la présentation d'un projet de loi sur l'art de guérir, attendu avec la plus vive impatience.

Les honorables préopinants vous ont déjà signalé le triste état dans lequel se trouve la législation concernant l'art médical. Ce ne sont pas les hommes de l'art, le public médical, tout le monde, le public en général souffre de ce retard. Ne nous faisons pas illusion, la loi doit être faite pour le public plutôt que pour les médecins.

C'est cette idée qui devrait guider le gouvernement ét l'engager à présenter le plus tôt possible un projet de loi sur cette matière. Lorsque ce projet a été annoncé, les hommes de l'art s'en sont préoccupés, ils se sont réunis en congrès ; ce congrès médical était composé des représentants de toutes les localités du pays ; il s'est réuni à Bruxelles, il a prié le ministre de lui communiquer le projet ; mais le ministre a refusé net.

On l'a communiqué à l'Académie de médecine.

L'Académie, si elle avait fait tout ce qu'un corps délibérant dans l'état de nos institutions doit faire, elle aurait discuté publiquement, ouvertement, au vu et au su de tout le monde ; chacun de nous aurait pu avoir connaissance de ses délibérations.

Je ne comprends pas comment il est possbile qu'un cabinet qui arbore si haut le drapeau libéral, permette encore des discussions de cette nature et qui intéressent à un aussi haut degré le public. Quand il s'agit d'un projet de loi qui doit être soumis à nos délibérations et discuté en pleine Chambre, on refuse de nous éclairer par les discussions publiques de l'Académie de médecine et, en communiquant au congrès médical le projet, d'apprécier les discussions publiques de cette réunion d'hommes de l'art les plus compétents qui ont pratiqué dans les campagnes et autres localités de la Belgique.

Mais non, il paraît que le gouvernement a consenti ou toléré au moins à l'Académie de médecine de délibérer en secret. Il nous est connu que tous les honorables membres de ce corps savant ne sont pas aussi bien d'accord au sein de l'Académie que nous le sommes au sein de cette Chambre.

Sur un objet qui intéresse à un aussi haut degré la santé publique, les discussions devraient être publiques. Tout le monde devrait pouvoir s'éclairer au contact de ce corps éminemment apte à discuter ces questions.

Si ce corps, usant de toute impartialité, voulait prendre connaissance de ce que le congrès médical a fait, ce serait le moyen d'avoir une bonne loi, tandis que si, aujourd'hui, on vient proposer un projet de loi dont l'honorable M. Lelièvre vient de sigualer un des principaux abus concernant l'inamovibilité des membres des commissions médicales, c'est ce vice radical dans la loi que nous serons obligés de combattre de toutes nos forces.

Cette disposition vicieuse qu'on a proposée, et sur laquelle on semble insister systématiquement jusqu'ici, va diamétralement à rencontre des institutions libérales qui nous régissent et qui veulent la liberté de se choisir par l'élection les autorités dans chaque branche d'administration.

Comment, on se servira encore de l'éteignoir ! Ce vil instrument qui est exclu, depuis notre émancipation politique, des corps délibérants, des corps constitués légalement, irait se réfugier dans l'Académie de médecine !

C'est un anachronisme au beau milieu du XIXème siècle ; non seulement pour la discussion de la loi, mais pour la réforme des statuts, il aurait fallu adopter une bonne fois la publicité.

Je regrette qu'un corps aussi haut placé dans l'opinion publique s'écarte d'une manière absolue des principes libéraux professés par tous les Belges.

Puisque notre honorable président ne désire pas que je continue la discussion sur les statuts de l'Académie, je réserverai mes observations ultérieures sur cet objet, quand nous en serons arrivés à cet article.

Articles 135 et 136

« Art. 135. Frais des commissions médicales, provinciales ; police sanitaire et service des épidémies : fr. 38,700. »

- Adopté.


« Art. 136. Encouragements à la vaccine ; service sanitaire des ports de mer et des côtes ; subsides aux sages-femmes pendant et après leurs études ; subsides aux communes en cas d’épidémie ; impressions et dépenses imprévues : fr. 26,300. »

- Adopté.

Article 137

« Art. 137. Académie royale de médecine : fr. 20,000. »

M. Osy. - J'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant :

« Académie de médecine (allocation pour 9 mois) : fr. 15,000. »

A l'occasion du budget de 1854, lorsqu'il s'agissait de l'Académie de médecine, il s'est élevé, dans le sein de la Chambre, des critiques sur la manière dont ce corps savant était dirigé. Alors le gouvernementa pris formellement l'engagement de faire réviser les statuts de l'Académie de médecine et son administration financière. Je sais qu'après le vote, M. le ministre de l'intérieur a écrit à l'Académie, pour faire exécuter la promesse qu'il avait faite à la Chambre, Voilà un an que cette promesse a été faite. Je regrette qu'il n'ait pas adressé une lettre de rappel, pour que, dans la discussion du budget de l'exercice 1855 nous sachions ce qu'a fait l'Académie.

L'Académie a nommé une commission de trois membres, chargée de préparer la révision de ses statuts et de son administration financière. Cette commission a fini son travail ; on l'a remis au président de la commission, qui l'a gardé pendant trois mois, sans que le président de l'Académie ait fait venir à l'ordre du jour la discussion du rapport de la commission. Par lassitude, deux membres de la commission ont été obligés de donner leur démission. Cette démission a été donnée en séance publique ; on a trouvé moyen de ne pas en faire connaître les raisons au public. Depuis cette séance, on a nommé une nouvelle commission. Voici un an que nous avons demandé la révision, et nous ne pouvons l'obtenir.

Tout se fait à l'Académie d'une manière extraordinaire : la majorité est formée par des fonctionnaires publics tout à fait dépendants du président. Les membres indépendants qui forment la minorité ne peuvent se faire entendre. Cependant vous comprendrez que, d'après toutes les discussions qui ont eu lieu à la session dernière et que je ne veux pas rappeler, il est temps que le gouvernement remplisse les promesses qu'il nous a faites.

Nous pourrions supprimer entièrement le crédit. Mais comme je ne veux pas désorganiser, et comme la dignité de la Chambre exige qu'il soit pris une mesure, je propose de ne voter les fonds que pour neuf mois. Au mois de novembre, nous verrons ce que le ministre aura obtenu de l'Académie et de son président. Si le gouvernement n'a pas fait exécuter alors la volonté du parlement, nous devrons aller plus loin.

Comment ! nous a-t-on dit l'année dernière, dans tous les corps savants, aucun président ne se fait payer. Il se fait payer, parce que les comptes n'ont jamais été rendus à l'Académie. Le président s'alloue un traitement de mille francs pour présider l'Académie. Comment ! un fonctionnaire, qui reçoit des départements de la guerre, de la marine, de l'intérieur et de la justice, qui reçoit, contrairement à la Constitution, les sommes les plus considérables par cumul, comment le gouvernement permet-il de recevoir encore mille francs, comme président d'un corps savant ?

Je ne puis m'expliquer comment le gouvernement, après un an, n'a pas obtenu justice. Vous vous rappelez la proposition de l'honorable M. Julliot ; elle a été retirée sur la promesse de M. le ministre de l'intérieur de faire réviser l'organisation de l'Académie.

Il y a plus de neuf mois que la commission a fait son rapport ; il n'a pas été mis à l'ordre du jour. Après la démission de deux membres, dont j'ai parlé, on a nommé une nouvelle commission qui n'a rien fait. Pour la dignité de la Chambre, il est temps que cela finisse.

J'insiste donc sur la proposition que j'ai eu l'honneur de faire. Au mois de novembre, si les statuts ont été révisés, nous pourrons allouer le complément.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, c'est la seconde fois que l'on fait entendre dans cette enceinte les accusations les plus imméritées contre l'Académie de médecine et contre son honorable président.

En réalité, de quoi s'agit-il ?

Dans la dernière session, la Chambre a exprimé le vœu que l’on procédât à la révision des statuts de ce corps savant.

Dès le mois de mars, le gouvernement s'est mis à ce sujet en rapport avec l'Académie et l'a invitée à délibérer sur les modifications à proposer.

Une commission a été nommée dans le sein de cette compagnie. Un premier travail fut préparé ; mais des dissentiments éclatèrent parmi les membres de la commission, et elle ne put aboutir à une conclusion.

Bientôt après, une seconde commission fut instituée, chargée de poursuivre l'œuvre de la révision. Elle n'a pas encore termine son travail. Cela exige du temps et une étude approfondie.

D'un autre côté, la commission se compose de personnes qui ne résident pas toutes à Bruxelles ; et on profite, autant que possible, pour les réunir, des réunions ordinaires mensuelles, afin d'éviter des frais de déplacement. Quoiqu'il en soit, je suis informé que le travail de la commission est fort avancé et qu'il ne tardera pas à parvenir au gouvernement.

Les griefs reprochés à l'Académie, sous ce rapport, par l'honorable M. Osy, ne sont donc pas fondés, et l'amendement qu'il propose est complètement inutile. L'Académie ne verrait dans son adoption que la déclaration d'un blâme qu'elle n'a pas mérité.

Les explications dans lesquelles l'honorable M. Osy est entré, tendent, en outre, à jeter de la défaveur sur le président de ce corp savant. On prétend qu'il exerce sur ses collègues une influence despotique. Messieurs, cela n'est pas exact, et il faut bien peu connaître les éléments dont se compose l'Académie de médecine pour avancer qu'elle accepterait une influence prépondérante quelconque. Il règne dans ses discussions une indépendance complète, et son président dirige les travaux de cette assemblée avec toute la mesure que réclame l'accomplissement de cette difficile et délicate mission.

On revient à tort sur la question de l'indemnité qui est attribuée au chef de l'Académie. Cet incident a été vidé l'année dernière, et il a été démontré que ce léger prélèvement sur le budget de l'assemblée n'était autre chose que la représentation de certains frais auxquels il est impossible de se soustraire quand on préside un corps quelconque.

Il est vrai, comme on le dit, que dans les autres Académies le président ne reçoit pas d'indemnité ; mais c'est que l'organisation y est différente. Là il y a un secrétaire perpétuel qui jouit d'un trajtement convenable. Ici il n'y en a point, et le président est obligé de prendre une part active aux travaux administratifs de l'Académie. Cette circonstance justifierait, à elle seule, l'allocation d'une indemnité.

Quoi qu'il en soit de ce traitement dont on a faisant de bruit l'année dernière, et qui, en définitive, n'est autre chose qu’une indemnité de 1,000 fr., si après l'examen que le gouvernement aura fait des statuts, il s'aperçoit qu'il y aurait utilité à changer le mode d'administration et à le rapprocher du système suivi dans les autres Académies, il adoptera, le système qui se conciliera le mieux avec les intérêts de la science et la dignité du corps.

Je ne pense donc pas, messieurs, qu'il y ait de justes motifs pour accepter l'amendement proposé par l'honorable M. Osy.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.