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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 29 janvier 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 587) M. Maertens procède à l'appel nominal à deux heures et demie ; la séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture da procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Schollaert, Van Bevere et autres membres de la société littéraire dite : « De Eihel », établie à Louvain, demandent que l'enseignement agricole soit donné en flamand dans les provinces flamandes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.


« Les membres du conseil communal, des propriétaires et cultivateurs, à Hever, demandent l'élargissement et l'approfondissement de la Dyle à Hever. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Richelt réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Louis soit libéré du service militaire. »

- Même renvoi.


« La veuve Romedenne-Bodart demande l'intervention de la Chambre pour qu'il soit donné suite à une plainte qu'elle a adressée au département de la justice. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Van Damme, Vander Linden et autres membres du comice agricole du canton de Grammont, demandent qu'il y ait autant d'écoles vétérinaires, d'agriculture et d'horticulture dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes, que l'enseignement y soit donné dans la langue maternelle, et que si, pour l’une ou pour l’autre branche de l’enseignement, on n’établissait qu’une seule école pour tout le pays, les élèves reçoivent des leçons dans la langue parlée dans leurs provinces. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.


« Le sieur Dominique Zimmer, cantonnier à Arlon, né à Dippach (grand-duché du Luxembourg), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Michel, instituteur primaire à Marvie, demande un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des employés des douanes détachés à une fabrique de sucre à Villers-St-Amaud, demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit extraordinaire de 400,000 fr.


« Le conseil communal de Moortzeele prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concession d'un chemin de fer de St-Ghislain à Gand et Terneuzen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Nederbrakel prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer direct de Saint-Ghislain à Gand par Nederbrakel. »

- Même renvoi.


« Le docteur Crommelinck demande un jury central d'examen pour les grades académiques et qu'il soit composé de 25 membres choisis en dehors du corps professoral. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux jurys d'examen.


« Le sieur Goupy de Beauvolers, membre du conseil supérieur d'agriculture, présente des observations sur l'utilité de la Bibliothèque rurale. »

- Dépôt sur le bureau pendant le vote définitif du budget de l'intérieur.


« Le sieur Eliaert, commissaire de police à Vilvorde, demande une indemnité du chel de ses fonctions d'officier du ministère public près le tribunal de simple police du canton. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Ballet demande que le tarif des chemins de fer soit abaissé pour les tuyaux de drainage. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants de Louvain déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand relative au projet de loi sur l'enseignement agricole. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Michelbeke prie la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession du chemin de fer direct de St-Ghislain sur Gand. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Lessines prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concession du chemin de fer direct de St-Ghislain à Gand par Ath. »

- Même renvoi.


« Des fabricants de tabac et détaillants de cigares, a Bruxelles, déclarent adhérer à la pétition des fabricants de tabac d'Anvers relative à la vente des cigares à l'encan. »

M. Vander Donckt. - Cette requête a une très grande importance pour les personnes qui font le commerce des cigares. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Loge réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il soit donné suite à la demande qu'il a adressée au département de la justice. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des fermiers, cultivateurs, marchands de bestiaux gras et commerçants à Coolkerke demandent que les artistes vétérinaires non diplômés soient admis a continuer l'exercice de leurs fonctions. »

« Même demande de fermiers, cultivateurs, marchands de bestiaux gras et commerçants à Gheluwe. »

« Même demande de fermiers, cultivateurs, marchands de bestiaux gras et commerçants à Becelaere, Gheluwe et Dadizeele, Houthem, Oostcamp et Assebroucke et Roulers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Rodenbach. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre les explications demandées sur la pétition de la députation permanente du conseil provincial du Limbourg, tendant à obtenir un subside de 7,000 fr. pour compléter la somme nécessaire pour la construction d'uuc caserne de gendarmerie à Bourg-Léopold. »

- Insertion aux Annales parlementaires.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre trois exemplaires texte français, du 13ème volume de la 2ème série de la Bibliothèque rurale. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1855

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Article 100

M. le président. - La Chambre en était restée à l'article 100.

« Art. 100. Dépenses variables de l'inspection et frais d'administration ; commission centrale ; matériel et dépenses des écoles normales de l'Etat ; écoles normales adoptées ; service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale ; subsides aux communes ; construction, réparations et ameublement de maisons d'école ; encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; subsides aux caisses provinciales de prévoyance ; encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire ; subsides pour la publication d'ouvrages destinés à répandre l'enseignement primaire ; secours à d'anciens instituteurs (article 54 du règlement du 10 décembre 1852) ; subsides à des établissements spéciaux ; salles d'asile et écoles d'adultes, etc. : fr. 1,118,474-84. »

M. de Naeyer, rapporteur. - Je désire soumettre une observation à M. le ministre de l'intérieur. Au chapitre de l'agriculture, nous avons voté une allocation de 5,000 francs pour les conférences agricoles des instituteurs primaires. Je prierai M. le ministre, pour le budget de 1856, d'examiner s'il ne serait pas plus régulier de porter ce crédit au chapitre de l'instruction. Je pense, quant à moi, qu'il y aurait ainsi plus d'homogénéité dans le budget.

Il est à remarquer que ces conférences, aux termes d'un arrêté (page 588) ministériel joint comme annexe, sont la continuation des conférences semestrielles ordinaires des instituteurs ; il me semble donc que ce crédit serait mieux à sa place à la suite de celui qui est destiné à couvrir les frais des conférences ordinaires. En outre, ces conférences sont destinées à compléter les connaissances agricoles que les instituteurs ont puisées dans les écoles normales, surtout en les mettant en rapport avec les conditions culturales des localités où les instituteurs sont appelés à exercer leurs fonctions. Or, l'enseignement agricole des écoles normales figure au chapitre de l'instruction publique, et les conférences qui n'en sont que le complément devraient, ce me semble, figurer dans le même chapitre. Je n'attache pas une grande importance à cette observation que je soumets à l’attention de M. le ministre. Si, après l’avoir examinée, il résout la question d’une manière négative, je ne crois pas que k’insisterai, mais s’il l’a résout d’une manière affirmative, il adoptera suivant moi une marche plus régulière.

(page 595) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je m'étais proposé d'examiner s'il n'y avait pas lieu de faire le transfert que propose l'honorable M. de Naeyer. Il y a une analogie très grande entre les deux objets, et je pense que le transfert pourra s'opérer sans aucun inconvénient.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 101 à 103

« Art. 101. Frais de rédaction du quatrième rapport triennal sur l'état de l'enseignement primaire (article 38 de la loi du 23 septembre 1842) : fr. 3,600. »

- Adopté.


« Art. 102. Fourniture d'exemplaires de ce même rapport pour le service de l'administration centrale : fr. 6,400. »

- Adopté.


« Art. 103. Subsides en faveur des établissements de sourds-muets et d'aveugles : fr. 16,000. »

- Adopté.

Chapitre XVIII. Lettres et sciences

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale sur ce chapitre est ouverte.

M. Dubus. - A l'occasion de ce chapitre je crois devoir appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le bâtiment provisoire construit dans la cour de l'ancien musée. Cette construction a été faite pour l'exposition triennale des objets d'art qui a eu lieu au mois d'août dernier. Le gouvernement, dit-on, aurait l'intention de la laisser subsister pendant quelques années encore, pour éviter de nouvelles dépenses de construction lors de la prochaine exposition triennale.

Quand je considère que ce bâtiment construit en sapin, bois résineux et très combustible, est contigu aux galeries de tableaux, aux locaux des académies de médecine et des sciences et par suite au nouveau musée et aux manuscrits de la bibliothèque de Bourgogne, je me demande s'il n'y a pas imprudence à conserver plus longtemps dans cet endroit cette construction éminemment combustible. Si un incendie devait y éclater, les pertes seraient énormes, et ce qui est bien pis, elles seraient irréparables, car on ne pourrait à aucun prix remplacer les chefs-d'œuvre d'art qui se trouvent en grand nombre dans les différents musées.

Cette construction en bois est d'autant plus extraordinaire que le gouvernement, M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Rogier, si je ne me trompe, dans la crainte d'accident, a nommé il y à quelques années une commission spéciale pour aviser aux moyens d'écarter des musées de l'Etat tout danger d'incendie, et dans ce but on a congédié alors tous les locataires des caves du musée ; on a établi des réservoirs d'eau à différents étages.

Je me demande comment, après avoir pris d'aussi sages mesures, le gouvernement a permis une construction en bois de sapin, et comment il est possible qu'elle soit tolérée plus longtemps ?

En présence de l'affreux sinistre que nous avons eu à déplorer récemment à Bruxelles, il conviendrait, me semble-t-il, de redoubler de prudence, pour éloigner, autant que possible, des établissements de l'Etat, les dangers d'une semblable calamité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, on s'était en effet demandé, au sujet de ces galeries provisoires, s'il ne serait pas utile de les conserver pour d'autres expositions. Mais aucune espèce de résolution n'a pu être prise jusqu'à présent. Le gouvernement a cru devoir s'éclairer des lumières d'une commission spéciale chargée de la conservation des musées. D'ici à peu de jours l'avis de cette commission lui parviendrait l'on pourra prendre une résolution. Mais je comprends la gravité des observations de l'honorable membre, et le gouvernement en fera état dans la résolution qui sera prise.

- La discussion générale est close.

Article 104

« Art. 104. Encouragements, souscriptions, achats, etc.

« Charge ordinaire : fr. 59,800.

« Charge extraordinaire : fr. 15,200. »

M. Dellafaille. - A l'occasion du chiffre de 84,000 fr. alloué au budget à l'article 98 pour encouragements et souscriptions aux lettres et sciences, plusieurs membres de cette Chambre, dans les sections, ont manifesté le désir que des encouragements efficaces soient donnés à la littérature flamande. Je sais que M. le ministre a fait connaître à la section centrale que, d'après lui, le gouvernement n'a jamais, pour l'allocation de ses encouragements, établi de distinction au préjudice de la littérature flamande. M. le ministre dit même que si on veut parcourir les états qui ont été fournis à la législature concernant l'emploi des fonds alloués pour l'encouragement des lettres et des sciences, on verra qu'une part équitable a été faite, non seulement aux publications flamandes, mais encore aux sociétés qui cultivent spécialement cette littérature.

Il serait facile de prouver à M. le ministre que les deux langues sont loin d'être traitées avec la même faveur ; les encouragements donnés aux œuvres écrites en langue française sont bien plus nombreux. Je ne conteste pas le mérite et l'utilité de certains ouvrages publiés en langue française, mais s'il est permis d'établir une comparaison entre les ouvrages français et flamands publiés en Belgique, et de les juger d'après l'accueil que le public leur fait, je me permettrai de constater un seul fait, et ce fait est connu dans la librairie belge, c'est que les ouvrages flamands ont souvent plusieurs éditions et que les ouvrages français parviennent rarement à couvrir les frais de publication.

Ce n'est pas, d'ailleurs, en Belgique seulement que le mérite de la littérature flamande est appréciée, les ouvrages de M. Conscience sont traduits dans toutes les langues de l'Europe. La France et l'Allemagne se disputent aujourd'hui toutes les œuvres de cet homme que l'on peut, à juste titre, nommer le Walter Scott belge.

La Hollande nous envie le célèbre poète Van Beersse, professeur à l'école normale de Lierre.

Van Duyse et Rens, à Gand, Nolet de Brouwcr, à Bruxelles, ne jouissent pas de réputations moins méritées.

La belle traduction des œuvres d'Homère, par l'abbé Cracco, de Courtrai, a démontré aux savants de l'Allemagne la supériorité du flamand sur d'autres dialectes germaniques pour rendre les chefs-d'œuvre de l'antiquité.

En Angleterre, le célèbre savant Bosworth, dont M. Delpierre a traduit l'ouvrage, et en Allemagne, entre plusieurs autres, Jacques Grimm, l'un des hommes les plus savants de notre temps, se sont sérieusement occupés de la langue flamande.

Dans notre propre pays, depuis la mort de Willems et de Delecourt, n avons-nous pas et les Borremans de Liège et les David de Louvain, les Torfs et les Mertens d'Anvers, et de plusieurs autres dont les travaux historiques et littéraires sont des titres suffisants à la langue flamande pour mériter les encouragements les plus empressés du gouvernement. En France, dans le département du Nord, des sociétés se sont constituées pour rétablir et remettre en honneur cette langue, jadis, pour cette partie de la France, la langue nationale. Les ouvrages des Debackere et des de Coussemaker et les rapports établis entre ces sociétés flamandes et celles de la Belgique prouvent qu'aujourd'hui cette belle langue, si utile pour l'étude de toutes les langues du Nord, n'a rien perdu de sa vitalité, et que l'avenir lui promet les destinées les plus brillantes, si sa terre natale, ou du moins ceux auxquels les intérêts du pays sont confiés, savent apprécier, comme il le mérite, cet élément précieux de nationalité.

J'insiste donc pour qu'en toute circonstance le gouvernement accorde son appui à la langue flamande en encourageant les sociétés savantes et les œuvres de mérite qui en sont dignes.

M. Rodenbach. - Je crois devoir appuyer les observations de l'honorable préopinant, notamment en ce qui concerne notre historien Conscience, ainsi que les autres littérateurs flamands MM. Van Duyse, Rens, Nollet de Brouwer, David, Borremans, Mertens, Torfs, etc.

Mais j’ai spécialement demandé la parole lorsque j’ai entendu prononcer le nom de M. l’abbé Craco, qui a professé avec beaucoup de distinction dans plusieurs de nos établissements d’instruction.

M. l'abbé Cracco est mon compatriote ; il est né à Roulers. C'est un vieillard qui peut avoir maintenant au-delà de 70 ans. C'est le premier premier poète flamand qu'il y ait en Flandre et peut-être dans toute la Belgique.

Comme l'honorable M. Dellafaille vient de le dire, il a traduit Homère en langue flamande. Mais il est sans fortune, et il lui est impossible de faire imprimer cette traduction.

Je n'ai pas le bonheur de posséder à fond la langue flamande ; je n’ai pas fait une étude particulière de cette langue, mais ceux qui ont une connaissance spéciale de la langue flamande disent que cette traduction d'Homère est un ouvrage très remarquable qui mérite de grands encouragements, et que le gouvernement devrait faire des sacrifices pour que l'œuvre de notre premier poète flamand ne soit pas perdue pour la littérature belge.

Or, je le répète, il est impossible que M. l'abbé Cracco fasse les frais de cette publication ; son mérite éminent lui a fait obtenir une position honorable au collège de Courtrai, mais cette position ne lui permet pas de faire imprimer ses œuvres.

Je recommande cette question à M. le ministre de l'intérieur. Il nous a dit dans une autre circonstance qu'il connaissait la langue flamande. Je crois qu'il a cultivé cette langue et que, sous le gouvernement des Pays-Bas, il a plaidé en hollandais. Je suis dès lors persuadé qu'il prendra nos observations en mûre considération et qu'il croira, comme moi, qu'il faut protéger le véritable talent, n'importe en quelle langue il se produise.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le gouvernement croit avoir donné depuis longtemps la preuve qu'il encourage par une égale protection et dans une mesure équitable la littérature flamande. Il s'est expliqué à cet égard dans le rapport de la section centrale ; les actes posés par le gouvernement viennent à l'appui de ce que j'ai l'honneur d'avancer, et je me bornerai par conséquent à recommander a la Chambre de maintenir intact le chiffre du crédit de 44,000 fr. pour encouragement aux sciences et aux lettres, si elle veut que cette protection continue à être efficace.

Je pense donc, messieurs, qu'il y a nécessité de maintenir le chiffre de 44,000 francs, afin que le gouvernement puisse continuer à faire ce qu'il croit équitable dans l'intérêt de toutes les littératures, par conséquent, de la littérature flamande comme de la littérature française.,

M. le président. - M. le rapporteur, le chiffre de 59,800 fr. est-il le chiffre du gouvernement ?

M. Rousselle, rapporteur. - Le chiffre du gouvernement était supérieur. Il était en total de 84,000 fr., 63,800 fr. dans la colonne des charges permanentes, et 20,200 fr. dans la colonne des charges temporaires. Le gouvernement a demandé lui-même une réduction de 5,000 francs sur le crédit total, mais dans cette dernière colonne ; cette réduction a été adoptée par la section centrale. Ensuite sur le littera A, un membre a proposé de réduire le chiffre de 44,000 fr. à 40,000 fr. ; la section centrale a voté ce dernier chiffre, le chiffre de 44,000 fr, ayant été écarté par parité de voix. La moitié des membres de la section centrale avait voté pour le chiffre du gouvernement, l'autre moitié avait voté pour le chiffre de 40,000 fr. Si la proposition de la section centrale était admise, il faudrait retrancher du crédit total demandé par le gouvernement une somme de 9,000 fr. ; 5,000 fr. auxquels le gouvernement a renoncé et 4,000 fr. que la section centrale, par parité de suffrages, a retranchés du littera A.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'observation de l'honorable rapporteur est parfaitement juste. Je n'ajouterai qu'un seul mot, c'est que la réduction de 4,000 fr. proposée par la section centrale n'est motivée absolument par rien.

Il faudrait, ce me semble, avoir établi que le chiffre de 44,000 francs, qui figure au budget depuis nombre d'années, est un chiffre excessif. Or, loin d'être excessif, ce chiffre suffit à peine aux besoins les plus impérieux.

M. Dumortier. - Je ne suis pas, messieurs, disposé à demander des réductions sur les encouragements donnés aux sciences et aux lettres. Je sais les services qui peuvent être rendus au moyen d'une bonne distribution de ces encouragements. Pour cela la première condition c'est d'encourager les études sérieuses et de ne point éparpiller les subsides dans une foule de petites dépenses d'une grande inutilité. Mais il me semble que l'augmentation demandée.... (Interruption.) M. le ministre lui-même avait proposé la réduction.

M. le président. - Il y avait une demande de 63,800 fr. aux charges ordinaires et de 20,000 fr. aux charges extraordinaires. M. le ministre a consenti à une réduction de 5,000 fr. sur les charges extraordinaires. Ces charges sont donc réduites, du consentement de M. le ministre, à 15,200 fr. M. le ministre maintien, son chiffre de 63,800 fr. aux charges ordinaires et la section centrale a proposé de réduire ce chiffre de 4,000 fr. Voilà qui est clair, n'est-ce pas ?

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, que le gouvernement reste toujours dans les mêmes conditions. Au fait, la distinction des charges ordinaires et des charges extraordinaires est complètement (page 589) insignifiante quant à la dépense, et je ne conçois pas réellement quel si grand intérêt met la section centrale à établir cette différence entre les charges ordinaires et les charges extraordinaires ; la ; la charge' extraordinaire sera permanente aussi longtemps que vous ne la supprimerez pas.

Je vois à l’article 98, littera C : « Subsides à des élèves de l'enseignement libre supérieur. » D'où provient cette dépense ? De ce que dans la loi du 15 juillet 1849 sur l'enseignement supérieur, nous avons admis que les bourses d'études de 400 fr. seraient exclusivement réservées aux universités de l'Etat. Cette disposition a donné lieu à de vives réclamations dans le pays. Les universités libres ont dit avec raison qu'en Belgique où l’enseignement est libre, les subsides du gouvernement doivent appartenir à l’enseignement, en quelque endroit qu'il se donne ; le gouvernement ne doit pas être investi du droit de donner des bourses à des jeunes gens, à la condition qu'ils suivront exclusivement les cours des universités de l'Etat.

Il est présumable que lorsque nous réviserons la loi sur l'enseignement supérieur, nous ferons disparaître cette disposition et que nous rentrerons dans le système qui nous a régis pendant si longtemps et à la faveur duquel l'élève qui obtenait une bourse faisait ses études dans le pays là où bon lui semblait

Qu’arrivera-t-il alors ? C'est que ces subsides aux élèves de l'enseignement supérieur libre deviendront inutiles, que la somme de 4,800 fr., montant de, ces subsides, rentrera dans le crédit général de l'article 98 et que le gouvernement trouvera dès lors là ce qui lui manque.

D'ailleurs, le crédit mis à la disposition du gouvernement pour encourager les lettres sera plus que suffisant si le gouvernement en fait un bon emploi.

Pour mon compte, j'appuie aussi de grand cœur la publication de l’ouvragé de M. l'abbé Cracco.

Il est à ma connaissance que dans des sociétés réellement éminentes de l’Allemagne et même dans des cours, des parties de ce manuscrit ont été lues et ont excité une admiration unanime. Il serait vraiment regrettable qu'un pareil ouvrage, qui n'est pas d'une vente facile et qui doit honorer beaucoup le pays, ne pût pas être publié. Je pense qu'au moyen d'un subside on pourrait arriver à la publication. C'est une des œuvres littéraires les plus remarquables que la Belgique ait produites depuis longtemps, de l'avis de tous ceux qui sont à même de juger l'œuvre ; quant à moi, je ne suis pas à même de la juger, puisque je ne comprends pas le flamand ; mais aux yeux des nombreuses personnes compétentes qui m'en ont parlé, c'est un travail extrêmement remarquable.

M. le ministre de l'intérieur, avec l'allocation telle qu'elle est proposée, pourra très bien accorder un subside pour cette publication. Que le gouvernement ne se mette pas dans l'habitude de souscrire pour 10 ou 15 exemplaires à tous les rogatons littéraires qu'on publie dans le pays ; qu'il s'occupe seulement des œuvres sérieuses et qui doivent rester, et le crédit sera bien suffisant. Un bon système de répartition, voilà ce qui manque ; ce n'est pas l'argent qui fait défaut, c'est un bon système de répartition.

J'ajouterai d'ailleurs que sur les différents littéras que renferme l'article 98, il reste chaque année des excédants.

Ainsi il y a des prix quinquennaux, il y a les publications des documents espagnols, il y a les publications de chroniques belges inédites ; il se passe bien des années où l'on ne publie rien, il reste alors des sommes disponibles.

Je pense que le chiffre de la section centrale peut être admis et qu'au moyen des excédants que chaque année amène, le gouvernement peut faire beaucoup de bien. (Interruption.)

Je ne parle pas des excédants des années antérieures, je parle des sommes mentionnées sous tel ou tel littera qui, ne recevant pas l'emploi spécial auquel elles sont destinées, peuvent être reportées sur tel ou tel autre littera du même article.

Les litteras ne sont que des indications sur lesquelles on ne vote pas. On vote sur le chiffre global de l'article. Le gouvernement est libre de transférer d'un littera à l'autre.

M. de Perceval. - Je trouve dans le rapport de la section centralen au littera a, une proposition de réduction de 4,000 fr., et je constate avec quelque surprise que l'honorable rapporteur n'entre dans aucun détail pour expliquer les motifs de cette décision. Pourquoi est-elle prise ? Quelles sont les raisons majeures qui ont déterminé la section centrale à diminuer l'allocation pétitionnée par le gouvernement pour l’encouragement des lettres et des sciences ? La section centrale ne blâme nullement la manière dont le crédit a été employé ; elle n'en conteste ni l'utilité ni la judicieuse distribution qui en a été faite ; elle ne dénonce aucun abus.

Je me demande, dès lors, pourquoi elle veut réduire de 4,000 fr. une allocation que nous votons chaque année ? Quelles sont donc, qu'on me le dise, les puissantes considérations qui ont amené l'adoption de cette malencontreuse proposition de réduction ? Quant à moi, je suis d’avis que le crédit de 44,000 francs est non seulement utile, mais qu'il est nécessaire et peu élevé. Il importe à la législature de le voter, pour encourager quelque peu d'une manière efficace les lettres en Belgique. Les honorables MM. Dellafaille et Rodenbach ont cité des noms de littérateurs flamands qui ont des droits à la sollicitude de la législature, tels que M. Cracco, de Roulers, etc., et bien d'autres qu'il me serait possible de désigner également. Il est très difficile de concilier les idées émises par ces deux honorables membres (idées que j’appuie, du reste, de toutes mes forces), avec la proposition de la section centrale.

Avant de m'asseoir, je dois appeler l'attention du gouvernement sur l'incontestable nécessité d’encourager sérieusement et énergiquement la littérature flamande. Elle est, à elle seule, un des éléments les plus puissants de la nationalité belge.

L'honorable M. Dumortier trouve qu'on gaspille trop les fonds de l'Etat, qu'on a tort de les distribuer par petites sommés de 200, de 300 francs, quand on veut encourager les lettres et les sciences.

L'honorable membre perd de vue que dans notre pays, surtout dans nos provinces flamandes, il existe un grand nombre de sociétés dramatiques et littéraires qui s'occupent exclusivement de la langue flamande, et auxquelles le gouvernement peut allouer avec utilité, avec opportunité, de légers subsides s'élevant à 200 ou à 300 fr. ; car ces faibles sommes suffisent souvent pour relever ces associations, pour stimuler le zèle des membres qui les composent, pour imprimer l'élan aux travaux auxquels ils se livrent. Le gouvernement doit protéger, patroner ces sociétés dramatiques et littéraires qui nous rappellent les vieilles chambres de rhétorique, si puissantes, si florissantes au XIVème, au XVème et au XVIème siècle.

J'engage M. le ministre de l'intérieur à encourager efficacement la littérature flamande, et les hommes distingués et patriotes qui se livrent d'une manière sérieuse à l'étude de cette littérature. Qu'il place également sous l'égide du gouvernement, qu'il subsidie nos belles et imposantes sociétés dramatiques et littéraires ; elles sont dignes à tous égards de son bienveillant intérêt, car, je n'hésite pas à le dire, elles sont les glorieuses héritières de nos célèbres chambres de rhétorique.

M. Rousselle, rapporteur. - Si l'honorable préopinant avait jeté les yeux sur le rapport, il aurait vu qu'il n'y avait pas eu de décision formelle prise par la section centrale en ce qui concerne le retranchement des 4,000 fr. dont il s'agit. Quant au rapporteur, il doit dans la mesure de ses forces rendre compte des décisions de la section centrale telles qu'elles sont formulées dans les procès-verbaux. Il ne doit passe permettre de rien ajouter. Voici ce que dit la section centrale sur l'article en question : Un membre propose une réduction de 4,000 fr. Cette réduction compenserait, dit-il, l'augmentation de pareille somme pétitionnée pour la carte géologique.

Ce sont là tous les développements que le membre qui avait fait la proposition y avait donnés.

La section centrale vote le chiffre le plus élevé, 44,000 fr. ; il est rejeté par parité, 3 voix contre 3.

Il m'est impossible de développer les motifs du membre qui a fait une proposition pour laquelle je n'ai pas votée.

Par suite, un membre propose de mettre aux voix le chiffre de 40 mille fr. Les membres qui n'avaient pas voulu retrancher 4 mille fr. étaient obligés de voter pour 40 mille fr., ils aimaient mieux 40 mille fr. que rien.

M. de Perceval. - Je fais observer à l'honorable M. Rousselle que j'avais, tout autant que lui, lu attentivement le rapport. Je n'y ai pas trouvé ce qu'il m'importait de connaître, c'est-à-dire les motifs pour lesquels la section centrale proposait une réduction de 4,000 fr. sur le crédit de 44,000 fr.

« Un membre, dit le rapport, propose une réduction de 4,000 fr. cette réduction compenserait, ajoute-t-il, l'augmentation de pareille somme pétitionnée pour la carte géologique. »

Mais si la confection de la carte géologique réclame une somme de 4 mille francs, élevez le crédit destiné à cet objet ; mais de grâce, n'enlevez pas cette somme à une allocation destinée à encourager les lettres et les sciences.

Je ne comprends pas cette conduite, et je la combats parce qu'elle n'est point justifiée.

- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix. Il est adopté.

Articles 105 à 116

« Art. 105. Bureau de paléographie annexé à la commission d'histoire, personnel : fr. 3,000. »

- Adopté.


« Art. 106. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; etc. : fr. 45,000, dont 40,000 francs, à inscrire à la colonne des charges ordinaires et 5,000 francs à la colonne des charges extraordinaires. »

- Adopté.


« Art. 107. Observatoire royal ; personnel : fr. 14,840. »

- Adopté.


« Art, 108. Observatoire royal ; matériel et acquisitions : fr. 7,160. »

- Adopté.


« Art. 109. Bibliothèque royale ; personnel : fr. 26,680. »

- Adopté.


« Art. 110. Matériel et acquisitions : fr. 33,320. »

- Adopté.


« Art. 111. Musée royal d'histoire naturelle ; personnel : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 112. Matériel et acquisitions : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 113. Subsides à l'association des Bollandistes, pour la publication des Acta Sanctorum : fr. 4,000, à porter, dans la colonne, des charges extraordinaires et temporaires. »

- Adopté.


« Art. 114. Archives du royaume ; personnel : fr. 24,250 dont à porter, dans la colonne des charges ordinaires fr. 23,750 et dans la colonne des charges extraordinaires fr. 500. Total égal à fr. 24,250. »

M. le président. - La section centrale admet cet article sous la condition de diminuer l'article 116 de 500 francs.

- Cette proposition, à laquelle M. le ministre de l'intérieur se rallie, est adoptée.

L'article est adopté.


« Art. 115. Matériel : fr. 2,600. »

- Adopté.


« Art. 116. Frais de publication des inventaires des archives : fr. 4,000. »

M. le président. - Attendu que l'on a transféré sur l'article 114 une dépense de 500 fr., qui précédemment était imputée sur ce crédit, la section centrale est d'avis qu'il y a lieu de réduire l'article à 3,500 fr.

- L'article est adopté avec ce chiffre auquel le gouvernement se rallie.

Article 117

« Art. 117. Archives de l'Etat dans les provinces ; personnel : fr. 14,425. »

M. Maertens. - Comme le gouvernement doit s'occuper l'année prochaine de la réorganisation du personnel des administrations provinciales pour établir plus d'égalité dans la position de ces fonctionnaires, je crois que c'est le moment d'appeler l'attention de M. le ministre sur une catégorie exceptionnelle d'employés, les archivistes dans les provices. La position de ces fonctionnaires dans la Flandre orientale diffère essentiellement de celle qui est faite à leurs collègues dans d'autres provinces, notamment de ceux de la province de Liège. En effet, l'archiviste adjoint à Gand n'a qu'un traitement de 1,600 fr., tandis que le conservateur adjoint de Liège a un traitement de 2 000 fr., par conséquent 400 fr. de plus. Je crois que dans l'intérêt de l'équité il conviendrait d'égaliser complètement ces traitements.

Sous un autre rapport, les traitements des archivistes à Gand sont encore tout à fait exceptionnels : ils ne sont pas alloués entièrement sur le budget de l'Etat ; ils sont payés moitié par l'Etat, moitié par la province. Je ne critique pas ce mode de rétribuer qui constitue une affaire à régler entre l'Etat et les provinces ; mais il en résulte qne ces fonctionnaires sont dans une position inférieure, eu égard à leur pension, puisqu'elle ne peut être calculée que sur la moitié de leur traitement. Je propose au gouvernement d'examiner s'il ne conviendrait pas de leur appliquer le système admis par le département des travaux publics pour la part contributive de la province dans le traitement du corps des ponts et chaussées qui est porté au budget provincial à titre d'abonnement.

Je recommande ces questions au gouvernement, espérant qu'il voudra y avoir égard, lors de la présentation du budget de l'intérieur, pour l'exercice prochain.

M. Dumortier. - A l'occasion de cet article, j'aurai deux observations à présenter : la première, c'est qu'il serait à désirer, ainsi que bien des fois déjà je l'ai dit dans cette enceinte, qu'on rendît aux diverses provinces les archives qui les concernent, et qui se sont trouvées momentanément déposées à la suite du traité de Campo-Formio dans les archives générales. Il existe, dans les archives générales, indépendamment des dépôts principaux qui en forment le centre, et qui doivent nécessairement y rester, des archives provinciales relatives aux principales villes du royaume, qui sont là en quelque sorte improductives, car ceux qui vont travailler aux archives du royaume s'occupent des questions générales. Ce n'est que dans les provinces qu'on s'occupe des questions spéciales relatives aux localités.

Ensuite, l'accumulation des archives sur un point déterminé peut offrir de grands dangers. Qu'un incendie éclate, et tous les documents seront détruits. Si vous avez réuni à Bruxelles les archives de l'Etat et des provinces, vous aurez perdu à la fois toutes les richesses historiques et littéraires, tandis qu'en laissant dans les archives provinciales les archives qui concernent les localités, vous êtes plus sûrs de conserver les documents nécessaires pour l'histoire nationale.

D'un autre côlé, vous donnez aux habitants des localités des moyens d'étude qui leur manquent, quand ils sont obligés de venir chercher les documents dans la capitale.

Je voudrais qu'il s'opérât une décentralisation, d'autant plus que nos archives, grâce au conservateur qui y met une grande activité, tendent toujours à s'agrandir.

Mais comment se fait-il que les archives qui appartiennent notamment à la ville de Bruxelles se trouvent aux archives générales et pas aux archives de Bruxelles ?

Comment les archives de la province de Namur ne se trouvent-elles pas dans la province de Namur ?

Comment les archives de I'évêché de Tournai ne se trouvent-elles pas à Tournai ? Ainsi du reste.

J'avoue que je ne comprends pas bien cette manie de vouloir tout centraliser.

Ainsi que je viens de l'expliquer, c'est gênant pour les personnes qui s'occupent d'études historiques, et c'est dangereux. J'appelle de nouveau, comme je l'ai fait bien des fois, l'attention du gouvernement sur ce point.

D autre part, je désirerais que le gouvernement fît des efforts nouveaux, sérieux, persévérants auprès de la cour de Vienne pour obtenir la restitution de nos anciennes archives qui y sont encore.

Il est évident que ces archives ne sont d’aucune utilité à Vienne, tandis qu'elles ont une grande importance pour notre pays. Je sais que la diplomatie n'aime pas ces réclamations qui lui donnent du souci et quelquefois du désagrément.

Mais le gouvernement devrait insister pour qu'il fût fait droit à nos réclamations dont personne ne peut contester le fondement puisque, par les traités, il est stipulé que la Belgique doit rentrer en possession de ses propres archives.

Il me semble que le moment est favorable pour demander avec chance de succès la restitution des archives que nous avons encore en Allemagne.

Un autre point qui concerne plus particulièrement l'article en discussion, c'est la nécessité de mettre de l'ordre, non seulement dans les archives des grandes provinces, mais aussi dans celles des provinces de moindre grandeur. Je connais des localités que je pourrais citer où les archives sont dans un désordre épouvantable, où il ne se fait rien, exactement rien, ni pour le classement, ni pour la mise en ordre des archives. J'engage vivement le gouvernement à prendre des mesures, pour que les fonctions d'archiviste dans les provinces deviennent enfin sérieuses là où elles ne le sont pas. Car je sais qu'il y a des villes où ces fonctions sont extrêmement sérieuses et je citerai mon honorable et savant ami, M. Polain, à Liège, l'honorable archiviste de Gand, celui de Mons, qui ont fait des classifications parfaites, qui se sont donné beaucoup de peine et qui méritent toute notre reconnaissance et celle du pays. Mais il en est de même dans toutes les localités, et je voudrais que le gouvernement veillât surtout et spécialement sur les localités où les archives sont en désordre.

Il y a plus, les communes vont jusqu'à vendre leur dépôt d'archives, malgré la loi communale. Lorsque nous fîmes la loi communale, nous y introduisîmes une disposition qui avait pour but d'empêcher ces dilapidations. Eh bien, on entend dire à chaque instant que de petites localités ont vendu leur dépôt d'archives. Les archives, surtout celles qui sont écrites sur peau de veau sont très recherchées pour faire des cardes. Eh bien, c'est une chose déplorable que dans un pays éclairé on vende au poids des archives pour servir aux mécaniques de l'industrie.

Je dis que le gouvernement devrait exercer sur ce point une surveillance continue et perpétuelle. Il ne suffit pas que les archives de Bruxelles soient dans un ordre parfait, que celles de Gand ne laissent rien à désirer, que celles de Mons soient dans un ordre remarquable ; il faut veiller sur les autres archives, et c'est pour appeler l'attention du gouvernement sur ces divers points que j'ai pris la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le gouvernement n'a pas perdu de vue la surveillance qu'il doit exercer sur tous les dépôts d'archives, et je puis donner l'assurance à l'honorable M. Dumortier que très fréquemment, à l'occasion des subsides demandés au gouvernement par les villes, il prescrit des mesures d'ordre qui produisent de bons effets.

Je ne dis pas qu'il n'y a plus rien à faire. L'ordre ne renaît pas en un jour dans les localités où l’on ne s'était pas occupé jusqu'ici de la conservation des archives. Mais le gouvernement veille à ce que, dans tous les dépôts, rien ne périclite et chaque jour nous faisons des progrès dans la voie de la conservation.

Il est un autre fait plus important sur lequel l'honorable M. Dumortier a appelé l'attention du gouvernement. Il désire qu'on fasse des démarches pour obtenir la restitution d'archives, appartenant à la Belgique et qui se trouvent dans des dépôts étrangers.

Déjà des démarches très actives ont été faites auprès des gouvernements étrangers, et je puis ajouter que dans le courant de 1854, ces démarches ont été généralement couronnées de succès.

Ainsi, le gouvernement autrichien a accueilli avec bienveillance les réclamations du gouvernement belge ; des mesures sont prises de commun accord entre M. le ministre d'Autriche et notre représentant à Vienne, dans le but de régulariser ce qui concerne les archives appartenant à la Belgique. Le représentant du gouvernement belge a trouvé un accueil non moins bienveillant après du gouvernement espagnol, et des résultats importants ont été obtenus, quant à la recherche des archives qui intéressent l'histoire de notre pays.

En ce qui concerne les mesures d'ordre en général, je puis affirmer que dans plusieurs de nos provinces les archives sont tenues avec le plus grand soin, et que le gouvernement apporte la plus grande surveillance à ce qu'il en soit partout de même. Mais, je le répète, tout ne peut se faire en un jour, et si des provinces laissent encore à désirer sous ce rapport, nous continuerons à recommander l'adoption des mesures les plus utiles.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 118 et 119

« Art. 118. Frais de recouvrement de documents provenant des archives, tombés dans des mains privées ; frais d'acquisition ou de copies de documents concernant (page 591) l’histoire nationale ; dépenses de matériel des dépôts d'archives dans les provinces ; subsides pour le classement et pour la publication des inventaires des archives aux provinces, aux communes, aux établissements publics ; dépenses diverses relatives aux archives : fr. 3,500. »

- Adopté.


« Art. 119. Location de la maison servant de succursale au dépôt des archives de l'Etat : fr. 3,000. »

- Adopté.

Chapitre XIX. Beaux-arts

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale sur ce chapitre est ouverte.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, je remarque par le rapport de la section centrale qu'il s'est produit à la quatrième section une proposition, tendant à inviter le gouvernement à acheter un orgue qui serait placé dans l'église de Ste-Gudule et qui servirait pour les leçons du Conservatoire de musique.

. Cette proposition a été communiquée au gouvernement qui s'est montré disposé à l'accueillir. Im paraît qu'il ne demande pas mieux que de faire la dépense, pourvu que la Chambre lui accorde les fonds.

C'est assez naturel, le gouvernement en général ne pense pas que dépenser de l'argent soit la partie la plus difficile de l'art de gouverner. Il ne paraît évident qu'on a voulu donner au budget de 1855 le germe d'une nouvelle dépense, dans l'espoir de le voir éclore au budget de 1856.

C'est pourquoi je viens dès maintenant m'opposer au développement de cette nouvelle plante parasite.

Je suis toujours peiné, messieurs, lorsque je vois émaner des sections de la Chambre de nouvelles propositions de dépenses purement facultatives.

Qu'on veuille bien se donner la peine de jeter les yeux sur notre budget, et certainement on y trouvera, en fait de dépenses, une collection de variétés qui est de nature à satisfaire tout le monde.

Il est peu de choses ayant un nom quelconque qui ne figurent au budget pour une somme quelconque. D'ailleurs veuillez remarquer, qu'alors même que nous éviterions avec le plus grand soin d'adopter de nouvelles dépenses facultatives, alors même que nous élaguerions un assez bon nombre de superfétations, nous sommes encore menacés de voir chaque année grossir le chiffre de notre budget.

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, il est assez probable que chaque année M. le ministre devra nous demander de nouveaux renforts au chapitre de l'instruction publique, et cela par une raison fort simple, parce que les établissements officiels du gouvernement ont une lutte très rude à soutenir contre les établissements privés marchant sous le drapeau de la liberté qui est la grande force du pays.

Je suis donc décidé à m'opposer à toute nouvelle dépense facultative et je voudrais que les honorables membres qui veulent sincèrement que le gouvernement à bon marché devienne une vérité en Belgique, adoptent une bonne fois le même principe sans y faire à tout moment des exceptions. Si chacun conserve ses amours, il sera bien difficile de progresser. Car comment faire entendre raison aux amoureux ?

Je sais bien qu'on pourra faire ressortir la grande utilité de cette nouvelle dépense, en disant, par exemple, qu'il s'agit de développer la musique religieuse, avec laquelle il ne faut pas se mettre en désaccord, sons peine de gâter la bonne harmonie.

Enfin, il y a tout un tas de considérations en quelque sorie stéréotypées et parfaitement connues d'avance, qu'il est très facile de faire valoir pour aggraver toujours la situation de nos malheureux budgets.

Mais certaines considérations tenant à un autre ordre d’idées exercent sur mon esprit une impression beaucoup plus forte. D'abord en décrétant une dépense quelconque, nous commençons toujours par faire une chose essentiellement nuisible, car toute dépense cache un impôt qui est toujours nuisible, parce qu'il détourne une partie du capital social de sa destination normale, parce qu'il enlève aux contribuables des ressources dont ils sont à même de faire un excellent usage.

On me dira : Mais il s'agit d'une bagatelle, il ne s'agit que de 100,000 fr. Je dis que cet argument est un véritable sophisme parce que c'est en multipliant les bagatelles qu'on arrive aux grosses sommes. Un million est certainement une somme très forte, et un centime n'est presque rien, et cependant un million n'est qu'une addition de centimes.

Ensuite veuillez remarquer, messieurs, que quand nous votons une dépense le sacrifice que nous imposons aux contribuables est toujours supérieur à la somme réellement employée à la dépense. L'argent, en sortant de la poche des contribuables, ne fait pas du tout boule de neige ; il doit subir le frottement d'une foule de rouages qui tous lui enlèvent quelque chose.

Il y a quelques jours, l'honorable M. Julliot évaluait ces faux frais à 15 p. c. ; eh bien, il n'allait pas assez loin, il ne comptait qu'avec le département des finances ; mais il y a, en outre, les rouages administratifs proprement dits qui certes ne fonctionnent pas gratuitement. Il faut une masse d'écritures avant d'arriver à une décision, puis il y a des mesures à prendre pour en assurer l'exécution, il faut ordonnancer la dépense, l'annoter sur une foule de registres ; en définitive, quand la somme est réellement employée, 100 francs payés par les contribuables ne font plus que 60 ou 65 fr, tout au plus.

Eh bien, je dis qu'une opération qui consiste à enlever aux contribuables une partie de leurs ressources, pour les soumettre tout d'abord à des faux frais s'élevant de 35 à 40 p. c. est une très mauvaise opération, une opération qui ne peut se justifier que par la nécessité la plus absolue. Quand cette nécessité existe il faut bien la subir ; mais hors de là, je dirai toujours : non.

Je crois, messieurs, que quand il s'agit de toutes dépenses facultatives, nous n'avons pas assez de confiance dans les forces du pays, nous ne comptons pas assez sur les ressources que peuvent donner l'esprit d'association, je dirai même l'énergie des efforts individuels.

Ainsi, vous supprimeriez tous le chapitre qui nous occupe en ce moment, croyez-vous que les beaux-arts périraient en Belgique ? J'en ai une plus haute idée : le culte du beau, le culte de l'art est très vivace en Belgique, il est profondément enraciné dans nos mœurs ; je crois que c'est là que réside leur véritable force et non pas dans le budget. Si l'on supprimait tous ces encouragements mesquins, je ne puis pas leur donner un autre nom, je dis qu'à l'instant même vous verriez se former en Belgique des associations qui accorderaient aux artistes une protection bien plus efficace, bien plus intelligente que celle du budget.

Mais, direz-vous, pourquoi ces associations ne se forment-elles pas ? Messieurs, c'est tout simple, parce qu'on croit que tout est fait quand la providence gouvernementale fonctionne. C'est là une idée malheureuse que je tâcherai, autant qu'il est en mon pouvoir de déraciner.

On veut aujourd'hui préparer le terrain dans le but de demander prochainement l'intervention de l'Etat pour un orgue qui doit coûter 150,000 fr. ; eh bien ! messieurs, est-ce la peine, à Bruxelles, dans une ville où il y a des ressources immenses, et tant de familles opulentes dont les beaux-arts font les délices, est-ce la peine de s'adresser aux contribuables ?

Mais, mon Dieu ! il est positif que si cette dépense est reconnue nécessaire ou util, elle se fera sans l'intervention du gouvernement,

Mais on veut essayer d'abord s'il n'y a pas moyen d'obtenir quelque chose, et du moment qu'il sera posilif que l'Etat ne veut pas intervenir, la dépense se fera et produira des résultats plus utiles. Vous aurez alors, si je puis m'exprimer ainsi, un enfant de la liberté, et ces enfants sont toujours plus robustes que les enfants de l'impôt qui sont ordinairement atteints de phthisie.

Chose déplorable, messieurs, chaque fois qu'une idée utile se fait jour et qu'on ne trouve pas immédiatement sous la main les moyens d'exécution, de manière qu'il ne faille que se baisser pour les ramasser, c'est toujours au gouvernement qu'on s'adresse, c'est le gouvernement qui doit tout faire.

Je concevrais cela si le gouvernement avait des ressources inépuisables, s'il avait une caisse qu'il suffît d'ouvrir pour y trouver de quoi faire face à tous les besoins ; mais le gouvernement, messieurs, c'est le plus pauvre de tous ; il n'a rien, et c'est à lui qu'on aime le moins à donner. Cela est tellement vrai, que s'il n'avait pas les porteurs de contraintes ses caisses seraient constamment vides.

D'ailleurs, messieurs, une autre raison doit nous déterminer à mettre un terme à tous ces petits encouragements qui se produisent sous mille noms divers, c'est qu'il est déplorable pour la dignité parlementaire que nous ayons à nous occuper de toutes ces petites misères ; il est déplorable que nous devions dépenser ici et notre temps et l'argent des contribuables à discuter des crédits de 1,000, de 2,000 et de 3,000 francs.

On me dira : Ne les discutez pas. En effet, on peut voter sans discussion et même sans examen, c'est possible et même très commode ; mais, dans ma manière de voir, quand une dépense est digne de notre vote, elle mérite notre examen, et l'examen parlementaire c'est la discussion.

Certes, messieurs, ce n'est pas pour mon plaisir que je discute ces choses, car cela commence à m'ennuyer profondément, et c'est pour ne plus devoir m'en occuper à l'avenir que je voudrais les voir disparaître.

Jusqu'à ce qu'il en soit ainsi, il faudra bien discuter les crédits quelque faibles qu'ils soient, car sans cela tout l'art de faire avaler un gros budget consisterait à l'administrer en petites pilules, et alors évidemment MM. les ministres ne seraient plus compétents.

Je me résume, messieurs, en disant que je m'efforcerai toujours à réduire autant que possible toutes les dépenses facultatives qui figurent au budget et que je m'opposerai toujours énergiquemcnl à ce qu'on y en introduise de nouvelles.

M. Van Overloop. - Messieurs, la discussion soulevée par l'honorable M. de Naeyer est, comme il l'a dit lui-même, prématurée. Il ne s'agit pas aujourd'hui de savoir si une allocation nouvelle sera introduite au chapitre des Beaux-arts, oui ou non ; il s'agit uniquement de savoir si le gouvernement est disposé à accorder un subside sur le budget prochain pour l'érection d'un orgue à l'église de Sainte-Gudule. Voilà tout ce dont il s'agit. (Interruption.)

Si l'on proposait une réduction au chapitre des beaux-arts, je comprendrais l'interruption, mais on n'en propose pas. Or, qui dit que le gouvernement, réalisant ses bonnes dispositions, proposera une augmentation ? Personne. N'est-il pas possible qu'il détache une somme du chapitre pour l'affecter à l'orgue ? On ne doit pas préjuger.

Quoi qu'il en soit, meneurs, il importe que la Chambre sache exactement de quoi il s'agit. Le rapport de la section centrale porte :

(page 592) « La 4ème section demande qu'une somme de 10,000 francs, soit affectée à l’achat d'un orgue, pour l'une des églises de la capitale, et qui servirait à donner des leçons aux élèves du Conservatoire. »

M. le ministre de l’intérieur, à qui cette demande a été communiquée, a remis à la section centrale la note que nous transcrivons ici :

« L'établissement de la classe d'orgue au Conservatoire a déjà rendu de très grands services à l'art musical et spécialement à la musique religieuse.

« Malheureusement, les élèves ne peuvent pas tirer tout le fruit désirable des leçons du maître distingué qni dirige cette classe, à défaut d'un instrument convenable.

« En effet, les orgues qui existent, non seulement dans la capitale mais dans tout le pays, sont anciennes, et sont loin en arrière des progrès que la science a fait faire à cet instrument.

« Il serait donc hautement désirable qu'il y eût à Bruxelles un instrument qui permît à la fois, à l'élève de travailler à perfectionner ses études, et au maître de faire apprécier son talent. Mais il est à remarquer qu'un instrument pareil coûterait une somme très élevée, 150,000 francs au moins. Aucune fabrique d'église ne possède les ressources nécessaires pour s'imposer une pareille dépense, et le concours de l'Etat serait indispensable pour arriver au but proposé. Ce concours devrait probablement atteindre la moitié de la dépense.

« Le gouvernement n'a pas pensé que, dans l'état actuel des finances, il pût faire une proposition de ce genre, il le regrette vivement. »

La section centrale ayant insisté, M. le ministre de l'intérieur a adressée l'honorable rapporteur la lettre ci-après :

« Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, il m'a été impossible de consentir à aucun retranchement du chiffre de 15,000 francs affecté aux concours, dans le chapitre des beaux-arts.

« Mais appréciant l'utilité de préparer les voies à l'acquisition d'un orgue modèle, j'espère pouvoir proposer au budget de l'exercice 1856, un premier fonds destiné à cet objet, après m’être entendu toutefois préalablement avec le conseil de fabrique de l'église de Sainte-Gudule et la ville de Bruxelles. »

En résumé donc la proposition est celle-ci : un orgue est indispensable à Bruxelles ; tâchons d'en faire ériger un dans l'église de Sainte-Gudule, à l'aide de souscriptions particulières et avec le concours de la fabrique, de la commune de la province et finalement de l'Etat, si on ne parvient pas à ce résultat sans l'intervention de l'Etat.

Je dis qu'un nouvel orgue est nécessaire. L'honorable M. de Naeyer a fait une allusion à mes opinions sur la non-intervention de l'Etat. Messieurs, mes opinions ne sont jamais absolues. (Bruit.) Je ne comprends pas ces exclamations ; j'ai toujours soutenu que l'intervention du gouvernement n'est légitime que lorsqu'elle est nécessaire, c'est-à-dire lors que, soit les particuliers, soit les communes, soit les provinces sont dans l'impossibilité (je ne dirai pas absolue, mais relative) de faire une chose utile à tous.

Maintenant, je le demande, l'intervention du gouvernement dans l'espèce serait-elle utile, oui ou non ?

Nous avons à Bruxelles un Conservatoire de musique ; dans ce conservatoire, se donne un cours d'orgue, par un professeur que la Belgique peut-être n'apprécie pas assez, mais que l'étranger nous envie... (Interruption.)

La Belgique, me dit-on, l'apprécie assez ; tant mieux, je m'en félicite. Toujours est-il qu'il se donne un cours d'orgue au Conservatoire de musique de Bruxelles et que le savant professeur qui le dirige n'a pas à sa disposition un instrument suffisant pour faire comprendre à ses élèves tout le mérite de l'enseignement de l'orgue, pour produire en définitive de bons fruits ; voilà ce qui est incontestable.

Un orgue est donc indispensable, si l'on veut faire en sorte que le Conservatoire de musique de Bruxelles produise tous les résultats que nous avons le droit d'en attendre. Eh bien, ces résultats, nous ne pouvons pas les obtenir, à moins qu'il n'y ait à Bruxelles uneorgue convenable. Où devrait-on placer cet orgue ? Non pas au Conservatoire assurément, mais dans une église ; et dans quelle église ? A Sainte-Gudule ; pourquoi ? Parce que c'est à Sainte-Gudule qu'ont lieu toutes les cérémonies publiques et conséquemment parce que l'érection d'un orgue dans cetlt église aura pour résultat de donner un certain éclat à nos cérémonies. A ce titre donc, l'intervention du gouvernement se justifie ; comme elle se justifie par la nécessité de ne pas faire de dépenses en partie inutiles au Conservatoire pour l'enseignement de l'orgue.

Il y a plus, et ici je m'adresse particulièrement à mon honorable ami M. de Naeyer ; qui de vous, lorsqu'il se trouve le dimanche, par exemple, dans une église de village ; qui de vous ne se sent pas ému, lorsque au lieu d'entendre cette suave musique religieuse qui élève l'âme, en entend des airs d'opéra dans les moments les plus solennels de la messe ? Or, comment faire disparaître ce mal ? En enseignant l'orgue, en produisant d'excellents organistes qui fassent dans les églises une musique qui convienne aux églises et non pas une musique d'opéra.

A ce point de vue, l'érection à Bruxelles d'un bon orgue destiné à former de bons organistes, est un besoin tout à fait général.

Il est encore un autre ordre d'idée que je puis invoquer contre mon honorable ami, M. de Naeyer ; certes, nul ne contestera les sentiments patriotiques de l'honorable membre ; eh bien, je fais un appel à son patriotisme ; mon honorable ami est trop savant pour ignorer que la Belgique doit sa gloire, doit l'avantage d'attirer sur elle l'attention de toutes les puissances, au développement qu'elle a donné aux beaux-arts, et notamment à la musique.

L'honorable M. de Naeyer est un des signataires de la proposition tendant à faire augmenter de 200,000fr. le crédit de la voirie vicinale ; eh bien, que l'honorable M. de Naeyer me permettre de le lui dire, ce n'est point par cette voie que la Belgique arrivera à la postérité.

Il ne reste à relever un dernier point : on cherche à me mettre en contradiction avec moi-même ; mais si, comme mon honorable ami M. de Naeyer, je suis hostile à l'intervention de l'Etat lorsqu'elle se produit sous forme de subsides éparpillés sur une foule de personnes, cette hostilité cesse lorsque je crois cette intervention nécessaire et qu'elle doit avoir pour résultat le bien de la généralité, lorsqu'elle a pour objet, non plus des personnes, mais des choses vraiment utiles.

Pour prouver que je partage l'opinion de mon honorable ami sur l’intervention gouvernementale en matière de beaux-arts, que la Chambre me permette de lui donner lecture de quelques passages d'un discours prononcé le 24 septembre 1854, par un homme dont personne ne contestera la compétence, par M. Navez, parlant en sa qualité de directeur de la classe des beaux-arts. Voici ce que disait M. Navez dans la séance du 24 septembre 1854 :

« C'est surtout dans les lettres, dans les arts, que cette domination délétère (la centralisation qui absorbe toute la richesse, toute la puissance, toute la gloire de la nation) exerce sa funeste influence. Les capitales sont nécessairement le siège des pouvoirs de l'Etat et des principales institutions du pays. Devenues ainsi de grands foyers de lumières, elles les projettent sur ceux qui les entourent. Mais que d'intelligencces perdues dans l'éloignement, dans l'isolement ! que de génies s'étiolent à défaut d'émulation et des retentissants applaudissements de la foule ! Combien d'esprits élevés se sont abrutis dans le matérialisme, après avoir perdu ce que Dieu a donné à l'homme de plus cher et de plus précieux, le génie et la liberté !

« Heureusement il n'en a pas été ainsi dans notre belle patrie. Ici chaque ville a eu sa puissance et sa gloire, son indépendance et ses libertés ; aussi voyez quelles nobles luttes, quelles généreuses rivalités entre ces communes fières encore des monuments qu'elles ont élevés afin de perpétuer, dans les générations futures, les patriotiques sentiments qui les ont animées. Tous, soit qu'ils rappellent nos vieilles franchises, soit qu'ils expriment la foi religieuse de nos pères, ont des caractères distinctifs, et, pour ainsi dire, individuels ; ils sont purs de toute domination, de toute pression despotique...

« Parcourez les contrées où l'homme est privé de son existence nationale, de ses droits politiques, et vous serez douloureusement frappé de leur stérilité. On a bien pu y élever quelques monuments d'utilité publique ; mais ils se ressentent de la volonté et de la direction uniforme d'une énervante centralisation ; et tout le luxe, tout l'éclat qu'on a pu leur donner, ne remplissent pas le vide de l'âme : ils ne sont que l'expression banale d'un système soumettant tout à une formule, à une physionomie identique...

« Dans notre pays, la liberté a créé l'art ; son indépendance, et- sa sincère piété l'ont soutenu. Aussi longtemps que ces sentiments ont dominé, il ne s'est jamais abandonné aux funestes entraînements de la mode, ni laissé dominer par les caprices de la courtisanerie. Sur lui l'action du gouvernement fut nulle ; il resta grand, parce qu’il ne se prostituait à aucune espèce de faveur ni d'avantages mercantiles ; ce ne fut que sous le règne heureux de Marie-Thérèse qu'il fut soumis a une haute protection ; mais alors il était déjà en décadence, et les événements successifs ne lui permirent pas d'en ressentir l'influence...

« Nos plus beaux monuments d'architecture, de sculpture, de peinture sont dus aux communes et à leurs énergiques appuis : les corporations et les métiers...

« L'art, dès qu'il dévia de ce principe, trébucha sur le chemin que la soif de l'or avait rendu glissant. Il s'imbut des détestables principes imposés trop souvent par d'ignares administrations. »

Malgré ces idées, le savant M. Navez concluait, dans l'intérêt, de l'art, à l'intervention de l'Etat pour la création d'un musée national et pour la décoration des édifices religieux.

C'est que là, il considérait l'intervention de l'Etat comme une chose nécessaire, parce que, sans cette intervention, ces véritables encouragements de l'art ne se réaliseraient pas.

Telles sont aussi, messieurs, mes idées sur l'intervention du gouvernement en fait d'arts et je m'appuie, comme vous le voyez, sur des hommes compétents. Quoique ma manière d'apprécier le fait particulier dont il s'agit soit contraire à celle de mon honorable ami M. de Naeyer, je partage en général les idées qu'il a émises dans son discours. Moi aussi je crois que l'artiste n'est vraiment grand que lorsqu'il se sent indépendant et qu'il n'est indépendant que lorsqu'il ne se courbe pas, lorsqu'il ne se fait pas le courtisan des dépositaires du pouvoir.

M. Vandenpeereboom. - Je ne suivrai pas l'honorable nombre dans les développements qu'il a cru devoir donner à propos de l'orgue à placer dans l'église de Sainte-Gudule.

Je partage cependant son goût pour la musique religieuse et son admiration pour le grand artiste dont la Belgique peut être fière. Mais les sympathies et l'admiration doivent avoir des bornes et ces bornes (page 593) sont, d’après les notions les plus élémentaires de l'économie politique, les exigences rigoureuses du budget.

On prêche contre l'intervention de l'Etat même quand il s'agit des chemins vicinaux. L'honorable membre est un des plus ardents adversaires du système d'intervention de l'Etat et pour des objets peut-être utiles mais non indispensables, il déroge à son système, il trouve le budget assez large pour permettre des allocations de pur agrément.

Les motifs qu'il a fait valoir en faveur de son opinionne me touchent guère.

Il me semble d'ailleurs qu'il y aurait danger à confondre le Conservatoire avec l'église de Sainte-Gudule.

Le Conservatoire doit rester sous la direction du gouvernement, et l'église ne doit pas servir à donner des leçons à de jeunes artistes. Chaque chose doit être et rester à sa place et j'établis une distinction essentielle entre des objets qu'on ne doit pas confondre.

Si l'on établissait à Sainte-Gudule un orgue destiné aux leçons du Conservatoire, il n'y aurait pas moins de raisons pour en établir, aussi dans une église, à Gand et a Liège, où il existe des conservatoires, à Bruges, à Ypres et dans d'autres villes qui ont des écoles de musique bien organisées.

Ce qui se ferait pour Bruxelles devrait se faire pour beaucoup d'autres localités. La musique religieuse est utile dans la capitale, mais elle ne l’est pas moins dans les provinces. Nous avons des instruments tellement détestables dans nos églises de village, que des subsides, si on devait en donner, seraient mieux placés dans les paroisses rurales que dans la collégiale de Sainte-Gudule.

Je ne sais en outre pas si le clergé consentirait à ce qu'on donnât des leçons de musique dans l'église de Sainte-Gudule. Il consentirait difficilement, je pense, à transformer une des plus belles églises en Académie de musique, ce serait peu convenable et je déclare que, pour ma part, je trouverais pareille transformation peu digne du culte.

M. Van Grootven. - Je partage entièrement l’opinion émise par l’honorable M. de Naeyer, et si la question du subside de 10,000 fr. était soumise à la Chambre, je voterais contre la proposition. Mais la Chambre n’est pas encore saisie et je puis dire, à mon tour, que l’honorable M. Van Overloop s’est livré à une discussion prématurée, reproche qu’il adressait à M. de Naeyer.

Il s'est étendu très longuement et sans but pour le moment sur la nécessité d'établir un orgue à l'église de Sainte-Gudule et de l'intervention de l'Etat pour en supporter une partie des frais.

Un membre de la quatrième section a demandé qu'une somme de 10,000 francs fût portée au budget de 1856 pour cet objet.

Je n'examinerai pas jusqu'à quel point il convient de discuter, à propos du budget de 1855, une allocation indiquée pour figurer dans le budget de 1856. Quoi qu'il en soit l'honorable M. de Naeyer a très bien réfute d'avance tout ce qu'on pouvait faire valoir en faveur du subside de 10,000 fr.

Quant à moi, messieurs, je désire que M. le ministre de l'intérieur ne porte pas à son prochain budget la somme qu'on sollicite en ce moment. Quand nous avons besoin d'orgues, nous ne venons pas demander de subside au gouvernement qui aurait raison de le refuser.

Mais c'est, dit-on, pour le Conservatoire royal de musique Je le sais bien, messieurs ; nous payons déjà pour ce conservatoire royal 50,000 fr. par an ; je ne critique pas l'élévation du chiffre, mais je le cite pour expliquer mon opposition à ce qu'on fasse de nouvelles dépenses pour cette institution.

Les fabriques d'églises de la ville de Gand et des autres localités des Flandres construisent leurs orgues à leurs frais. Quand nous demandons, par exemple, tm subside pour notre conservatoire de musique, on nous le refuse ; quand nous sollicitons une augmentation de subside pour notre Académie des beaux-arts on nous alloue 4,000 francs alors qu'on en accorde 25,000 à Bruxelles.

Encore une fois je ne critique pas l'élévation de ce chiffre, quoique déjà la capitale soit largement dotée. Mais je dis que c'est un motif pour nous limiter dans cette voie et écarter la proposition d'un subside pour la confection d'un orgue à Sainte-Gudule.

Je prie donc M. le ministre de l'intérieur de ne pas portera son budget de 1856 l'allocation demandée dans le rapport de la section centrale.

Je pense que ces courts débats suffisent pour écarter cette malencontreuse proposition et qu'on fera bien d'adopter l'ordre du jour sur cette question.

(page 595) M. Lebeau. - J'aurais voulu que cette discussion n'eût pas commencé ; elle est née des quelques lignes insérées dans le rapport de la section centrale. Mais je ne puis laisser clore ce débat au gré de certains orateurs qui ont attaqué vivement de simples idées insérées dans ce rapport, sans faire aussi à mon tour quelques observations. Puisqu'elle est née, cette discussion, et qu'on lui a même donné certains développements, je crois qu'il convient, qu'il est équitable, qu'il y va de votre impartialité, d'écouter encore quelques paroles en sens contraire à celui des deux orateurs que vous venez d'entendre.

L'on a dit encore, à cette occasion, qu'il ne fallait jamais voter ici que des dépenses nécessaires, indispensables ; qu'il fallait proscrire en général les dépenses dites facultatives, les réduire, du moins, de plus en plus, en présence de la situation de nos budgets. On a dit cela surtout pour justifier le vote émis en faveur de l'augmentation apportée à l'allocation proposée au budget pour la voirie vicinale. Ce mot « utilité » n'a pas de sens absolu. Il y a, par exemple, des utilitaires qui placent l'utilité dans les choses d'un intérêt purement matériel ; et il y a des utilitaires qui font la part la plus large à l'intérêt moral, à l'intérêt intellectuel.

Il y a des hommes qui mettent en première ligne, c'est l’universalité presque, le plus immatériel de tous les intérêts ; qui lui subordonnent avec raison tous les autres.

Au-dessous de celui-là il y a l'intérêt moral, l'intérêt intellectuel. Parmi ceux-ci, s'il en est un dont le caractère soit respectable et digne de nos plus vives sympathies, c'est l'intérêt qui se rattache aux beaux-arts, et, messieurs, quand on parle de beaux-arts en Belgique, ne sent-on pas que jamais pays n'a plus eu le droit et le devoir de se rappeler l'adage que « noblesse oblige » ?

Est-ce qu'une grande partie de la gloire nationale en Belgique, presque toute son antique renommée, n'est pas due à la culture des beaux-arts, à la protection intelligente et incessante que les pouvoirs publics ont accordée à leur développement ? Ce sont les plus belles pages de notre histoire que celles de l'art en Belgique, et l'on ne s'en souvient peut-être pas assez dans nos temps modernes.

Il ne faut voter, dit-on, que des dépenses nécessaires, indispensables. Les dépenses facultatives doivent être impitoyablement supprimées. Et les honorables membres qui soutiennent ces principes viennent de voter, non pas une allocation d'un demi-million pour les chemins vicinaux, allocation que j'aurais votée avec eux, mais une augmentation de 200,000 francs, malgré l'opposition consciencieuse et persévérante du gouvernement, malgré les réclamations les plus énergiques que, dès l'année dernière, M. le ministre des finances faisait entendre, vous disant qu'on ne pouvait entrer dans cette voie sans risquer de rompre l'équilibre de nos budgets. On n'en a tenu aucun compte.

Sont-ce bien là cependant des dépenses indispensables, nécessaires ? Non, ce sont des dépenses utiles, éminemment utiles sans doute, mais rien de plus.

M. Coomans. - Indispensables !

M. Lebeau. - Indispensables, dites-vous ; mais ne voyez-vous pas, s'il en était ainsi, que vous faites le procès à toutes les administrations qui se sont succédé depuis notre révolution jusqu'en 1840 ? Ne voyez-vous pas que vous faites le procès à une notable fraction de la législature de 1841, qui, lorsque le ministère dont j'avais l'honneur de faire partie est venu proposer pour la première fois de faire intervenir le trésor public dans les dépenses des chemins vicinaux, a fait à cette initiative, dont je m'honore, une opposition implacable ?

C'est une chose non moins remarquable, non moins triste, que l'opposition soulevée aujourd'hui, non par une proposition, mais par la simple émission d'une idée, d'un vœu en faveur de l'établissement, dans notre magnifique temple de Sainle-Gudule, d'un orgue qui, par la perfection que la science de la mécanique a apportée à cet instrument, réponde aux besoins de l'époque ; cela est triste, surtout dans un pays où l'on possède un artiste qui, il y a quelques mois à peine, dans la capitale de la France, dans une réunion d'artistes, convoqués par l'archevêque de Paris, pour solenniser l'inauguration du nouvel orgue de St-Eustache, a été proclamé, à l'unanimité de la presse de cette capitale, le premier organiste du monde.

Savez-vous à quoi est réduit cet artiste éminent, si haut placé par l'étranger ? Il est réduit, s'il veut faire connaître et apprécier le talent qu'il possède, à passer la frontière et à aller en Suisse, en Hollande ou à Paris pour se faire entendre.

On vous renvoie, quand il s'agit de dépenses facultatives de ce genre, à en revenir aux dépenses indispensables. Mais pourquoi donc ne tient-on pas le même langage quand il s'agit de dépeuses, utiles si vous voulez, mais auxquelles les parties les plus directement intéressées pourraient à la rigueur suffire ?

Ma sympathie pour la voirie vicinale est connue : j'en ai donné des preuves non équivoques. Je puis à cet égard rappeler encore mes antécédents, ceux de mes amis.

Mais, à défaut de l'action gouvernementale, l'intérêt privé ne pourrait-il à la rigueur y suppléer ? Ignore-t-on ce qu'ajoute à la valeur des propriétés l'amélioration des chemins vicinaux ? Les premiers intéressés ici ne sont-ce pas les propriétaires et les fermiers ? Quant à moi, j'en sais quelque chose. Si peu propriétaire que je sois, je sais ce qu'une route, un chemin vicinal apportent d'accroissement à la valeur de la propriété funcière ; je sais ce qu'au bout de quelque temps, l'établissement ou l'amélioration d'une route, d'un chemin vicinal donne d'avantages non seulement au fermier, mais aussi au propriétaire. Qu'on ne vienne donc pas dire que, laissé à lui-même, ce grand intérêt manquerait complètement d’appui et de sympathie. Cela n’est pas plus vrai pour la voirie vicinale que pour les beaux-arts ; cela l’est beaucoup moins peut-être.

Si donc, on appliquait ici l'argument de l'honorable M. de Naeyer, à savoir que ce sont ceux qui profitent le plus d’une dépense qui doivent seuls la payer, ne pourrait-on soutenir à la rigueur que ce seraient les fermiers, les propriétaires qui devraient se charger exclusivement de cette dépense ? N’ont-ils pas, en effet, un immense intérêt à l’amélioration de la voirie vicinale ?

J'ai entendu se produire un singulier scrupule. Un honorable préopinant, qui semble déjà voir un orgue monumental établi à (page 596) Sainte-Gudule, crie à la profanation ! Disons d'abord qu'il n’y a pas de voyageur, passant à Fribourg, qui, demandant à entendre l'orgue de la cathédrale, n'y soit immédiatement admis.

A Paris, où je ne pense pas que l'on soit porté, en ce moment, à profaner les temples, ni surtout que le clergé donne l'exemple de cette profanation, il y a eu récemment des concours publics d'orgue à la Madeleine, à Ste-Eustache, à St-Vinccnt-de-Paul, partout où il y a des orgues construites d'après les procédés modernes, J'ai déjà rappelé la récente inauguration où l'art belge a tenu une place, si honorable. C'était là pourtant une cérémonie non religieuse.

Je rappellerai qu'ici on se montre plus catholique que le pape. M. le doyen de Ste-Gudule, si j'ai bien compris sa pensée dans un entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec lui, à l'occasion du projet dont nous nous occupons incidemment, ne serait pas aussi, effrayé, semble-t-il, que l'orthodoxe préopinant qui vient de mettre en avant le respect dû aux temples, en voyant l'orgue projeté servir parfois à l'enseignement de jeunes artistes, pourvu que jamais, lorsqu'il s'agit d'offices, lorsque les fidèles sont réunis pour prier, les orgues ne soient détournées de leur principale et haute destination. Hors de ce cas-là, il n'y a pas le moindre scandale à ce que, à portes closes, ou dans des circonstances exceptionnelles, les élèves viennent essayer devant des artistes, et même devant un certain nombre d'amateurs choisis, de prouver qu'ils ont profité des efforts déployés par leurs maîtres pour leur apprendre la science si intéressante et si utile de ce magnifique instrument.

On a voulu me mettre, à propos de la campagne qu'on a faite contre la centralisation, en contradiction avec moi-même. C'est ce qu'a fait l'honorable M. de Naeyer dans des termes très flatteurs, dans des termes dont je lui serais plus reconnaissant si, sous l'éloge, je ne soupçonnais pas une petite ruse de guerre.

On a voulu me mettre en contradiction avec moi-même au sujet de ce que j'ai écrit en faveur de la décentralisation. J'ai déjà prouvé dans un vote récent que j'étais moins centralisateur que l'honorable M. de Naeyer, mon contradicteur, puisque je n'ai pas voulu mettre, comme lui, dans les mains du ministre une somme de 200,000 fr., qu'il ne demandait pas, qu'il repoussait.

L'honorable membre est donc, en cette occasion, plus centralisateur que moi de 200,000 francs ; car il faut plus d'écritures et peut-être plus d'employés à l'administration centrale pour répartir convenablement cette nouvelle somme.

Messieurs, il ne faut rien exagérer. Si l'on suivait à la lettre les observations, si spirituelles qu'elles soient dans la forme, présentées par l'honorable M. de Naeyer ; si, comme il le veut avec quelques amis, on laissait à l’intérêt individuel le soin de pourvoir à toutes les dépenses non exclusivement nécessaires, non absolument indispensables, dans la sévère acception du mot, à l'heure qu'il est vous n'auriez à Bruxelles ni le monument de la place des Martyrs, ni l'admirable statue de Godefroid de Bouillon, ni la colonne du Congrès, pour laquelle, vous le savez, on a fait appel à l'intérêt privé. Faut-il le dire ? je n'ose pas qualifier le fait, et je me borne à l'allusion : un monument d'une nature bien autrement religieuse et bien autrement fait pour émouvoir tous les cœurs, et sur tous les cœurs belges, serait-il en voie de construction et d'achèvement si l'on n'eût fait appel qu'à l'intérêt privé ? Sans l'intervention du pouvoir central, sans l'intervention du gouvernement, où en serait en ce moment l'exécution de ce projet ?

Messieurs, restons fidèles à nos antécédents. Soyons économes, prudents, mais n'exagérons rien et évitons tous de nous laisser aller à un positivisme contraire à notre caractère, à un utilitarisme desséchant. Gardons-nous bien de mettre jamais à la place d'élans généreux un étroit esprit de calcul. Gardons-nous soigneusement de ces tristes idées qu'on a vues éclore dans d'autres lieux et dans d'autres temps, où l'on parlait de labourer le jardin des Tuileries, de peur que nous aussi nous n'en arrivions un jour à voir surgir le projet de labourer le Parc pour y planter des pommes de terre.

(page 593) M. de Naeyer. - Je ne rencontrerai pas toutes les observations de l'honorable M. Lebeau ; cela pourrait nous conduire trop loin. Je me bornerai à attirer un moment votre attention sur deux ou trois points qui me paraissent surtout devoir être relevés.

Messieurs, quant à l'orgue dont nous nous sommes occupés, je ferai remarquer que les journaux nous ont annoncé, il y a peu de jours, qu'on est venu en BeIgique commander, pour une église de Paris, un orgue qui coûtera 200,000 à 300,000 fr. Et savez-vous comment cette dépense sera couverte ? Au moyen du produit de souscriptions. Je vous demanderai si la liberté est moins puissante en Belgique qu'en France.

M. Lebeau. - Oui.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je n'accepte pas cela ; je repousse cette idée pour l'honneur de mon pays.

M. Lebeau. - Les faits sont là.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il n’y a pas de faits ; c’est une simple idée qui s'est fait jour ; et du moment qu'une idée se présente, comme ce n’est que trop habituel en Belgique, on tourne les regards vers le gouvernement. Or, je le répète, je maintiens que les beaux-arts ne périraient pas en Belgique parce qu'ils disparaîtraient du budget ; nous ne les verrions pas moins fleurir, soit à l'aide des efforts habituels, soit par l'esprit d'association.

On nous objecte constamment notre vote pour la voirie vicinale ; on dit : Vous vous déclarez l'ennemi de l'intervention du gouvernement, au budget de l'intérieur, mais vous défendez ce système au budget des travaux publics.

Messieurs, il suffit d'une simple explication pour éclaircir cette position, et vous verrez qu'elle est très nette et qu'elle n'implique aucune contradiction.

L'intervention du gouvernement en matière de travaux publics est un système que nous avons trouvé établi et qui évidemment ne peut recevoir son exécution que d'une manière successive. En matière de travaux publics surtout, il est impossible de tout faire en même temps, mais si l'on s'arrêtait en quelque sorte à moitié chemin, qu'en résulterait-il ? Mais les injustices les plus criantes pour les provinces, pour les localités dont les intérêts seraient restés en souffrance.

Ainsi, vous avez jeté des millions dans la vallée de la Meuse ; vous avez dépensé des millions dans la Campine, et quand il s'agit d'exécuter des travaux dans le Hainaut, dans les Flandres, dans les provinces que j'appellerai les nourricières du trésor public, on prétend que pour être fidèles au principe de la non-intervention, il nous serait défendu de rien voter. Mais il y a une chose qui, pour les hommes raisonnables, domine tous les systèmes du monde, c'est la justice, qui ne permet pas que la Belgique soit divisée en quelque sorte en deux parties, dont l'une serait condamnée à supporter presque tous les sacrifices, tandis que l'autre aurait été appelée à recueillir presque toutes les faveurs, Et quant à notre vote en faveur de la voirie vicinale, il se justifie absolument par les mêmes motifs. Que de sommes énormes n'avons-nous pas dépensées pour la construction de chemins de fer et de canaux !

Or, peut-on contester que ces admirables voies de communication profitent surtout au commerce et à l'industrie et aux grands centres de population ? Je ne prétends pas qu'ils sont inutiles pour l'agriculture, mais jetez les yeux sur le mouvement qui s'opère sur vos voies ferrées et dites-moi si les produits agricoles qui y circulent ne sont pas, en quelque sorte, insignifiants, en comparaison des autres marchandises ; et d'ailleurs, combien n'est-il pas de communes en Belgique complètement isolées de votre magnifique railway national et qui se trouvent dans l'impossibilité la plus absolue d'y aboutir à cause de la situation déplorable de la voirie vicinale ? Et cependant l'industrie agricole, ne le perdez pas de vue, c'est la première de toutes vos industries, seule elle contribue plus à la richesse nationale que toutes les autres réunies. Est-ce donc une faveur que vous lui accordez en votant une somme insignifiante en comparaison des sacrifices immenses faits dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, afin de pouvoir intervenir pour une faible part dans les dépenses nécessaires pour l'amélioration de ses voies de communication ?' Je prétends au contraire que ce n'est qu'une justice incomplète.

On vous parle d'intérêts moraux, d'intérêts de la civilisation, mais je n'hésite pas à soutenir que le plus grand, le plus puissant moyen d'élever même le niveau intellectuel des campagnes, c'est de faciliter leurs relations avec nos grands centres de population, c'est de leur accorder de bons moyens de communication ; car la civilisation, après tout, c'est le développement de la sociabilité qui reste en quelque sorte paralysée parmi les populations rurales par cela même qu'elles sont isolées de nos grands centres de lumières et de civilisation.

On prétend que nous avons renforcé la centralisation au chapitre de la voirie vicinale. Mais on perd de vue que nous avons formellement annoncé l'intention d'introduire dans ce service une véritable mesure de décentralisation en abandonnant aux provinces lesoiu de faire la répartition entre les communes.

M. Lebeau. - Vous réservez au gouvernement les fonctions de caissier.

M. de Naeyer, rapporteur. - Le gouvernement est un excellent caissier ; cela n'a jamais été mis en doute.

M. Vandenpeereboom. - L'honorable M. Lebcau vient de nous présenter une revue artistique de la Belgique et de célébrer le culte des arts pratiqués depuis si longtemps dans notre pays. Ce n'est pas la première fois que l'honorable membre nous trace des règles et nous pose des principes ; pour ma part, je l'écoute toujours avec plaisir ; car je rends hommage à sa vieille expérience. Aujourd'hui j'ai à le remercier, en outre, du certificat d'orthodoxie qu'il m'a décerné.

Si j'ai demandé la parole, c'est pour protester contre la péroraison du discours que l'honorable membre vient de prononcer. En terminant, l'honorable M. Lebeau a laissé entendre que ceux d'entre nous qui croyaient devoir mettre certaines limites à l'intervention de l'Etat, au moins en matière de dépenses facultatives et de pur agrément, étaient des matérialistes absolus, des utilitaires et qui, en définitive, trouveraient bon, d'après l'expression pittoresque, mais peu flâneuse, qu'on labourât le parc pour y planter des pommes de terre.

(page 594) Je dois protester contre de pareilles métaphores. Sur les bancs de cette chambre, chaque fois qu'une question d'art a été soulevée, on a trouvé un loyal concours pour la soutenir et la défendre.

Je crois donc que de pareils reproches ne peuvent être adressés à personne ; et quant à moi, je voterai toujours avec empressement, dans les limites du juste et du possible, les crédits qu’on nous demandera pour le développement des beaux-arts qui, depuis des siècles, font la gloire de la Belgique, Mais je ne puis croire que la gloire artistique de la Belgique dépende d'un orgue qu'on placera à Saiute-Gudule aux frais de l'Etat.

Il me semble qu'il y a, dans le discours que nous venons d'entendre, beaucoup d'exagération, et qu'on transforme une question d'art en une question de principe, Sous d'autres rapports, messieurs, on rencontre dans le discours de l'honorable membre des comparaisons qui manquent d'exactitude.

L'honorable membre est venu nous dire : Sans l'intervention du gouvernement en matière de beaux-arts, vous n'auriez pas le monument de la place du Congrès, vous n'auriez pas la magnifique statue dc Godefroid de Bouillon ; vous n'auriez pas le monument de la place des Martyrs.

Mais quelle comparaison peut-on établir entre ces monuments et l'établissement d'un orgue à l'église de Sainte-Gudule ?

Le monument de la place des Martyrs est un monument national ; c'est un légitime hommage à rendre aux citoyens qui sont morts pour notre indépendance, quel rapport y a-t il entre le monument que la nation a élevé à des hommes qui se sont si généreusement dévoués, et l'orgue de Ste-Gudule ? Quel rapport y a-t-il entre l'orgue dc Sainte-Gudule et Godefroid de Bouillon, cette grande illustration du pays ? Enfin, messieurs, qu’y a-t-il encore de commun entre la colonne du Congrès, ce monument érigé à l'immortelle assemblée qui a fait notre Constitution, et l'orgue de Ste-Gudule ?

J'avais donc le droit de dire qu'il y a une singulière exagération dans le discours de l'honorable membre, que ses comparaisons manquent de justesse, et que la gloire de la Belgique ne serait compromise en rien si le gouvernement refusait d'intervenir pour une somme quelconque dans l'érection d'un instrument fort beau et fort utile sans doute, mais qui, cependant, n’est pas indispensable. D'ailleurs, messieurs, cette intervention aurait pour conséquence, sous peine de ne pas être juste pour tout, de forcer le gouvernement à intervenir également dans l’érection d’orgues dans d’autres localités, notamment dans les grandes villes où il existe des conservatoires de musique.

C’est donc pour protester contre les dernières paroles de l'honorable membre et pour lui donner l'assurance qu'il me trouvera toujours pour allié quand il s'agira de faire une campagne dans l'intérêt des arts, que j'ai cru devoir prendre la parole.

M. Van Grootven. - Après les observations de MM. de Naeyer et Vandenpeereboom, il me reste bien peu de chose à dire.

Je tiens cependant à rectifier un fait avance par l’honorable M. Lebeau.

Je suis de ceux qui ont voté l’augmentation de 200,000 fr. pour la voirie vicinale et je m’en applaudis.

Je n'ai pas voulu entraver des travaux commencés et dont l’utilité est incontestée.

Mais, dit l'honorable membre, ceux qui ont voté cette augmentation, contrairement à l'opinion de M. le ministre des finances, ont mal fait, en ce sens qu'ils ont rompu l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat.

Messieurs, je commence par constater que M. le ministre des finances était absent lors de la discussion de ce crédit. Ensuite, messieurs, pour vous prouver que l'équilibre entre les recettes et les dépensés n’est pas rompu, je n'ai qu'à vous citer le résultat du vote des budgets. Lorsque nous avons voté le budget des voies et moyens de 1855, ce budget soldait par une insuffisance de 60,000 fr. sur les dépenses présumées ; depuis, nous avons voté les autres budgets, non compris celui de l'intérieur, et nous pouvons dire que l'ensemble de tous les budgets de 1855, laissera disponible un excédant de 7 à 800,000 fr. J'en appelle à l'honorable M. Rousselle qui a été rapporteur du budget des voies et moyens.

D'ailleurs, messieurs, ce que je dis est tellement vrai que l'honorable ministre des finances est venu lui-même nous présenter le lendemain du jour où nous avons voté les 200,000 fr. pour la voirie, un projet de loi qui entraînera une dépense nouvelle pour 1855 de 400,000 fr. Si l'équilibre était rompu entre les recettes et les dépenses, comme on veut le faire accroire, M. le ministre n'aurait pas manqué, sans doute, en nous proposant cette dépense, d'indiquer, en même temps, des voies et moyens pour les couvrir. Eh bien, messieurs, cela n'est pas nécessaire ; la situation des budgets, tels que nous les avons votés, permet très bien de faire la dépense dont il s'agit sans créer de nouvelles ressources.

Cela est incontestable, les chiffres sont là. Nous n'avons donc pas rompu l'équilibre entre les recettes et les dépenses en votant le crédit de la voirie vicinale ; c'est tout ce que je tenais à prouver, à la Chambre ; c'est du reste le seul argument de l'honorable M. Lebeau qui n'eût pas été complètement réfuté par les honorables préopinants.

- La discussion sur l'ensemble du chapitre est close.

Article 120

« Art. 120. Subsides à de jeunes artistes, pour les aider dans leurs études, etc. : fr. 120,000. »

- Adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.