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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 mai 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

(page 1603) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dumon donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Hampteau demande que le sieur Gatellier soit admis à prouver les avantages de sa méthode d'enseignement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des miliciens de Geronville réclament l'intervention de la Chambre pour faire annuler le tirage au sort des miliciens de cette commune qui a eu lieu le 15 février dernier. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens d'Ath déclarent adhérer à la pétition du cercle pharmaceutique du Hainaut relative à la représentation des pharmaciens dans l'Académie de médecine. »

- Même renvoi.


« Des chaufourniers à Warneton, Werwicq, Menin, Ypres, Boesinghe, Rousbrugge, Haringhe et Reninghe, demandent que la chaux provenant de France soit soumise au droit d'entrée de 10 fr. par 100 hectolitres. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Il est fait hommage à la Chambre d'une brochure intitulée « Handelwys over de middels gebruykt tot de bevryding en genezing van de looszickte, etc, » par André Lefebvre. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« L'administration communale d'Audenarde adresse à la Chambre 108 exemplaires de son mémoire sur la ligne du chemin de fer destinée à relier la ville de Gand au couchant de Mous, par Audenarde, Renaix, Frasnes, Leuze, Péruwelz, etc. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Delehaye. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant un crédit de 500,000 fr. au département de la justice.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la ville de Bruxelles

Discussion générale

La discussion générale continue.

(page 1608) M. Ch. de Brouckere. - L'union fait la force ! telles sont les dernières paroles, messieurs, qui ont retenti dans cette enceinte ; et c'est dans l'intérêt d'un esprit étroit de clocher qu'on a invoqué notre vieil adage national !...

Ailleurs, et en vertu d'un mandat spécial j'ai pu, j'ai dû, dans l'intérêt de la ville de Bruxelles, m'opposer à une aussi grande extension de territoire, dont, à mon avis, la commune de Bruxelles portera pendant longtemps le fardeau ; mais ici, me dépouillant de toute autre qualité, représentant la nation, je viens soutenir de mon vote et de ma parole le projet de loi qui vous a été soumis par le gouvernement.

Messieurs, j'aurai l'occasion, et je dois la saisir, d'établir par des faits que je ne suis ni le promoteur ni le fauteur de la réunion du quartier Léopold, que je me suis constamment opposé à la grande annexion sur laquelle vous avez à délibérer aujourd'hui. Je dois fixer ma position, afin que vous puissiez avoir quelque confiance en mes paroles et ne voir en moi que le député.

Jusqu'ici les orateurs qui ont combattu le projet se sont rencontrés avec les objections qu'a fait valoir le rapport de la section centrale, et cela n'est pas étonnant, puisque, sur trois opposants, deux orateurs faisaient partie de cette section centrale. C'est donc au rapport que je vais m'attaquer.

Ce rapport débute ainsi : « La ville de Bruxelles cherche depuis longtemps à réunir les communes suburbaines à son territoire et à donner ainsi une plus grande extension à l'enceinte de la capitale. » Non.

La ville de Bruxelles a cherché autrefois, et elle revendiquait des droits que personne ne contestera ; mais la ville de Bruxelles, depuis plusieurs années ne cherchait plus ; on est venu au contraire chercher la ville de Bruxelles.

« Cette question est née du moment où la Belgique a constitué Bruxelles capitale du royaume », disait M. le ministre de l'intérieur dans son excellent discours. Quand j'ai entendu ce début, j'ai cru que la question allait être complètement déplacée ; et cependant, M. le ministre de l'intérieur, dans la suite de son argumentation, a prouvé qu'il connaissait parfaitement les antécédents ; mais il me permettra de le lui dire, selon moi, il a manqué de logique en présentant ainsi les faits.

Non, ce n'est pas parce que Bruxelles a été déclaré capitale du royaume, en 1830, que la question est née. Bruxelles comptait autrefois huit cuves : Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Ixelles, Saint-Gilles, Forest, Anderlecht, Laeken et Molenbeek ; de plus, elle percevait l'accise dans deux autres villages : Koekelberg et Etterbeek. Les huit cuves faisaient réellement partie de Bruxelles ; elles ne relevaient d'aucune autorité séparée. Il y avait simplement dans chaque village un officier qui était chargé de distribuer les secours aux pauvres et de dresser les rôles de la contribution foncière. Pour tout le reste, sans exception, les cuves de Bruxelles ne faisaient qu'un.

Un arrêté du comité de salut publie du 14 fructidor an III divisa, sans s'inquiéter en rien des faits préexistants, la Belgique en neuf départements, et détermina la circonscription des cantons dans chacun de ces départements.

Il y est dit : Bruxelles fait un canton ; tel village, Schaerbeek, par exemple, fait partie de tel canton, tel autre village fait partie de tel autre canton, et ainsi d'une manière indirecte, en circonscrivant les cantons. Dans un moment de désordre, Bruxelles s'est trouvé morcelé.

Aussitôt que l'ordre est revenu, la municipalité de Bruxelles a revendiqué ses droits à l'ancienne banlieue ; elle a demandé que Bruxelles et ses cuves, c'est-à-dire que Bruxelles et les faubourgs actuels ne fissent qu'une seule et même commune.

L'empereur, venant dans le pays et ayant visité Bruxelles et ses faubourgs, statua sur ces réclamations par un décret impérial dont on vous a déjà parlé, mais qu'il est essentiel que vous connaissiez.

Voici ce décret :

« A Bruges, le 10 mai, 1810.

« Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du itiiin, médiateur de la confédération Suisse, etc.

« Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur,

« Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

« TITRE II.

« Art. 5. Les portes de la ville de Bruxelles seront tenues ouvertes nuit et jour. Le droit que l'on paye pour les faire ouvrir est supprimé.

« Art. 6. Les contributions pour rachat de l'éclairage et des logements des gens de guerre sont également supprimées.

« Art. 7. Les remparts de la ville de Bruxelles seront détruits. Un boulevard sera planté autour de la ville sur l'emplacement des remparts, et les terrains qui demeureront disponibles seront vendus au profit de la commune.

« Art. 8. A dater de la publication du présent décret, l'octroi municipal sera étendu aux faubourgs.

« Art. 9. Le canal de la ville de Bruxelles sera réparé dans cette campagne.

« La somme de 200,000 fr. à laquelle la dépense est estimée sera avancée par la caisse de la commune.

« Et à défaut de fonds libres dans cette caisse, l'avance en sera faite par notre caisse d'amortissement à qui ladite avance sera remboursée sur les premiers revenus de la ville en 1811. La réparation dudit canal formera toujours le premier article du budget de la ville.

« Art. 10. Nous faisons abandon à la ville de Bruxelles des élangs dont les eaux font mouvoir la machine hydraulique destinée à en donner de l’eau potable à la ville supérieure.

« Art. 11. Ladite machine hydraulique appartenant à la caisse d'amortissement sera vendue par ladite caisse ainsi que tous les droits qui en dépendent, à notre bonne ville de Bruxelles ; le prix en sera fixé à dire d'experts.

« Art. 12. La ville de Bruxelles fera construire une tuerie dans l’emplacement qui sera ultérieurement déterminé.

« Art. 13. Nous cédons et abandonnons à la ville de Bruxelles le marché aux poissons.

« Il y sera fait des réparations pour le rendre plus accessible et plus commode.

« Art. 14. Il sera construit, de même aux frais de la ville, une salle de spectacle et le terrain nécessaire pour cette construction sera acheté par elle.

« Art. 15. Nos ministres de l'intérieur, des finances et du trésor publics sont chargés de l'exécution du présent décret.

« (Signé)Napoléon.

« Par l'Empereur, Le ministre secrétaire d'Etat (signé) H.-B. duc de Bassano.

« Pour ampliation, Le ministre de l'intérieur comte de l'empire, (signé) Montalivet.

« Pour extrait conforme, Le secrétaire général de la préfecture, (Signé) baron Verseyden de Varick. »

Ainsi, messieurs, voilà un décret impérial qui place la ligne d'octroi au-delà des faubourgs et qui, en revanche, impose à la ville un certain nombre de charges : suppression du droit de porte ; il a été supprimé immédiatement : destruction des remparts et établissement de boulevards ; ce n'était pas un objet à exécuter en un jour : construction d'un théâtre ; renouvellement du marché aux poissons, toutes ces obligations ont été successivement accomplies. Mais dès que le décret fut rendu exécutoire, Bruxelles avisa aux moyens de construire un nouveau théâtre et en 1812, M. Damenne, architecte français, qu'on fit venir de Paris, parce que nous étions alors Français, M. Damenne soumit ses plans, qui furent admis par la ville ; les événements seuls en empêchèrent l'exécution immédiate. L'octroi seul ne fut pas étendu : le préfet s'y opposa.

Un honorable orateur vous a dit hier, ou plutôt a cherché à vous dire pourquoi ; il s'est trompé. Le préfet éluda d'abord l'exécution sous de faux prétextes ; mais la municipalité, par des réclamations que je tiens ici et qui portent la date du 17 septembre 1811, s'adressa à ce fonctionnaire pour lui demander de remplir son devoir. Qu'est-ce quî retenait le préfet ? La peur de voir son autorité partagée. Bruxelles, ainsi agrandie, aurait eu un commissaire central de police qui aurait partagé l'autorité du préfet. Voilà pourquoi nous débattons une question qui avait été résolue depuis quarante-quatre ans.

Les événements de 1812 et 1813 arrivant, la volonté du préfet l'a emporté, c'est-à-dire qu'il est resté maître du terrain quand toutes les préoccupations étaient ailleurs, quand de grands événements ruinaient l'empire.

Depuis, en 1814, nos destinées changèrent ; nous fîmes partie du royaume des Pays-Bas, dont Amsterdam était la capitale, la Haye et Bruxelles des résidences ; on ne voulait pas donner à Bruxelles une trop grande importance, on ne voulait pas la laisser s'étendre et devenir la rivale de la ville d'Amsterdam.

La municipalité, cependant, s'adressa au gouvernement, mais celui-ci éluda la question, ne voulut pas faire droit à la demande.

Bruxelles cependant désespérait si peu de réussir qu'elle ouvrait la rue Royale à ses frais et dépens, la rue Royale tant intérieure qu'extérieure, qu'elle faisait alors, ses boulevards qui ont été achevés depuis, pour faire disparaître les remparts ; mais que provisoirement, tant elle était convaincue d'aboutir, elle flanquait de mauvais fossés avec de mauvaises murailles ou de mauvaises palissades pour démarquer la ligne de l'octroi.

En 1840, ce fut le ministre de l'intérieur qui reprit lui-même la question. En 1843, le conseil provincial émit un avis favorable, et le ministre de l'intérieur d'alors, l'honorable M. Nothomb, semblait très incliné à proposer aux Chambres une loi de réunion ; mais ce ministre y mettait pour condition que l'octroi serait remplacé par une capitation, et il envoyait à la ville un modèle d'après lequel certains rôles de la capitalion s'élevaient à 53000 francs. En faisant l'addition de toutes les cotes, on arrivait à un chiffre de 1,400,000 fr., eu sorte que pour réaliser le produit de l'octroi, tel qu'il était alors, il aurait fallu des cotes de 5,000 fr.

La ville de Bruxelles ne jugea pas à propos de répondre à une (page 1609) pareille demande : elle ne voulait pas essayer de remplacer l'octroi. Je m'expliquerai tout à l'heure sur cet impôt ; je n'ai rien à récuser de mon passé. Elle ne voulait pas essayer de remplacer un impôt pour lequel elle n'avait pas de sympathie, par un impôt qu'elle trouvait plus odieux encore, par un impôt qui n'a d'autre base que la volonté des conseillers communaux, que l'arbitraire le plus large.

Messieurs, la ville de Bruxelles avait-elle cependant abandonné toutes ses prétentions ? Voici comment s'exprime le rapport présenté au conseil communal par le collège, au mois d'octobre 1847 : « La manière dont le conseil provincial s'est prononcé sur l'annexion du Quartier-Léopold est une raison de plus pour reprendre avec activité l'étude des grandes et nombreuses questions qui se rattachent à la réunion des faubourgs. La commission se composait primitivement de... vous avez adjoint à la commission M. Ch. de Brouckere, le 27 mars. »

Eh bien, depuis le mois de mars 1847, jusqu'au mois d'octobre 1848, époque à laquelle j'eus l'honneur d'être appelé aux fonctions de bourgmestre, la commission s'est réunie une seule fois pour entendre la lecture d’une note historique. La ville se remuait-elle encore pour la réunion ? Ou avait-elle abandonne à cette époque toute idée de réunion ? Voici comment le collège s'exprimait devant le conseil communal au mois d'octobre 1849 :

« Nous ne nous sommes pas occupés de la question des faubourgs, et nous ne savons, en vérité, si le moment est opportun pour la traiter. Nos voisins s'imaginent que nous cherchons à les incorporer à notre profit : le temps et la réflexion leur feront comprendre que la session leur sera plus utile qu'à nous.

« Chaque fois que nous agitons cette question, nous mettons beaucoup de petites susceptibilités en mouvement et nous provoquons des actes de mauvais voisinage. Il nous semble que nous devons répondre, avec courtoisie, à des tracasseries mesquines, nous montrer bienveillants, faciliter les relations de tous les instants, mais réserver les institutions que nous fondons avec les capitaux des contribuables, à nos administrés exclusivement. Ainsi nous arriverons à une réunion partielle qui serait peut-être la plus désirable pour tous. »

Et, l'année suivante, en 1850 : « Nous persistons à laisser à l'écart la question de la réunion des faubourgs. Nous ne convoitons aucun agrandissement de territoire.... Nous avons la confiance que les communes limitrophes de Bruxelles comprendront que les intérêts de leurs administrés, aussi bien que ceux de la capitale, commandent quelques mesures d'ensemble qui seront une garantie nouvelle de leur indépendance et de notre respect pour leur vitalité propre. »

Et en 1851, toujours au mois d'octobre : « Les liens de confraternité entre la capitale et les communes limitrophes se resserrent de plus en plus.

« Les rivalités, les jalousies de clocher s'oublient, et nous cherchons, avec nos collègues des faubourgs, à prendre des mesures utiles à la population agglomérée qui aux yeux de l'étranger ne fait qu'un tout et porte le nom de Bruxelles. »

Que s'est-il donc passé depuis le mois d'octobre 1851 jusqu'au ler mai 1852 ? A partir de 1850, la ville de Bruxelles était en relations avec le gouvernement pour l'exécution d'un grand projet d'utilité publique et non d'utilité bruxelloise.

Il s'agissait de changer les deux grandes routes qui conduisent de Bruxelles à Wavre par Ixelles et de Bruxelles à Louvain par St-Josse-ten-Noode, et, à l'aide du prolongement de la rue de la Loi, et d'une bifurcation, d'éviter ces grandes pentes qui se trouvent à l'entrée de Bruxelles d'une part et à l'entrée d'Ixelles d'autre part. Il s'agissait en même temps de fournir au gouvernement un champ de manœuvres.

On a trouvé dans un ancien décret impérial qu'on a exhumé que cette obligation incombait à la ville ; je viens d'en produire à mon tour ; tous deux étaient restés à l'état de lettre morte. Aussi on tiendra peu de compte de celui qui est favorable à la ville ; mais on a fait grand cas de celui qui nous était contraire.

On a démontré à l'aide de ce décret que nous devions fournir 25 hectares de terrain avec un minimum de 500 mètres pour le plus petit côté ; c'est-à-dire un carré parfait de 25 hectares de superficie.

A raison de 100 à 200 fr. l'hectare, nous aurions loué des terres dans les environs de Bruxelles ; nous avions ainsi au plus à supporter une charge de 5 mille francs par an ; mais on promettait en 1850 monts et merveilles pour nous faire contribuer à l'exécution du projet.

Le ministre de la guerre devait accorder un subside, le ministre des travaux publics devait en donner un autre, le ministre de l'intérieur promettait aussi un subside ; on devait d'ailleurs abandonner le produit de deux barrières estimé à 23,500 fr. C'était séduisant ! mais petit à petit la proposition changea de nature. L'une promesse de subside fut retirée après l'autre ; le ministre des finances ne crut pas pouvoir céder le produit de deux barrières de l'Etat ; et en définitive, il ne restait à Bruxelles plus rien que le vague.

Si nous voulions porter le champ de manœuvres de 25 à 30 hectares, on nous aurait payé les cinq hectares ; on aurait aussi, comme il s'agissait de deux grandes routes, pavé les voies sur une largeur de cinq mètres.

La ville de Bruxelles allait refuser radicalement de s'associer à ce projet, quand le ministre de l'intérieur nous fit l'ouverture, que ce serait une occasion d'arriver à l'agrandissement de Bruxelles, à l’incorporation du Quartier-Léopold. Je rendis compte à mes collègues d'abord du collège de ces propositions ; puis j'en fis part, en comité secret, au conseil communal tout entier, et me déclarai l'éditeur responsable de ce projet ; car je ne suis pas autre chose.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. Ch. de Brouckere. - Mais tout en adoptant ce projet, nous n'y vîmes pas autre chose, et partout on n'y vit comme nous, pas autre chose qu'un premier pas, non vers cet agrandissement qu'on vous propose, mais vers la réunion de Bruxelles, Schaerbeek, Ixelles et St-Josse-ten-Noode pour en faire une seule agglomération.

Ce fut là notre pensée, et bien que l'honorable M. de Steenhault vous ait dit qu'en janvier dernier, lorsque vous avez décide la réunion du Quartier-Léopold, Bruxelles ne savait pas ce qu'elle voulait, qu'elle n'avait pas d'idée, je puis constater par pièces que, le 15 juillet 1852, cette pensée avait été émise à la commission d'enquête par le délégué de Bruxelles ; elle est tout entière dans le rapport que le collége a fait en octobre 1852, quatre mois avant que le projet fût mis en discussion dans cette enceinte.

Vous savez, d'ailleurs, que cette idée fut admise par le conseil provincial tout entier, à l'exception de quatre membres. Voici les conclusions du rapport qui a été présenté au conseil provincial :

« En conséquence, elle estime qu'il y a lieu d'accueillir la demande faite par la ville de Bruxelles, et d'émettre un avis favorable sur la proposition qui, à ce sujet, vous a été faite par votre députation permanente, mais à condition qu'une juste indemnité soit accordée aux communes de Saint-Josse-ten-Noode et d'Etterbeek, pour le préjudice que la perte du Quartier-Léopold leur occasionnera.

« Elle estime qu'il y a lieu en même temps de maintenir l'avis donné par le conseil en 1843, et d'émettre le vœu d'une incorporation prochaine de tous les faubourgs, ou tout au moins de toute la commune de St-Josse-ten-Noode. »

Il n'y eut que quatre opposants : MM. Laubry, Gillon, de Gronckel et un quatrième membre : mais deux bourgmestres qui pétitionnent aujourd'hui contre l'annexion, MM. Vanderstraeten, bourgmestre d'Ixelles, et Stevens, bourgmestre de Molenbeek, faisaient partie de cette commission qui, à l'unanimité, avait émis le vœu de l'incorporation de tous les faubourgs, qui ne voyait dans le projet qu'un jalon ; ils votèrent de nouveau pour les conclusions de la commission en conseil provincial.

M. Rodenbach. - Ils ne voulaient pas d'octroi.

M. Ch. de Brouckere. - Permettez, je, m'expliquerai tout à l'heure, et je vous prouverai que ce n'est plus l'octroi qui les offusque.

Je reviens un instant sur mes pas. Pendant que nous autres, à Bruxelles, nous renoncions complètement, en 1849, en 1850 et 1851, à l'idée d'agrandissement, en était-il de même dans les communes limitrophes, particulièrement à Saint-Josse-ten-Noode ?

En 1847, la ville de Bruxelles avait fait une réclamation au gouvernement ; elle avait demandé l'exécution de la loi qui oblige les magistrats de l'ordre judiciaire à résider (la loi le dit en termes exprès) dans la commune où est leur siège. Cette requête a été envoyée aux communes de la banlieue, et dans le rapport des bourgmestre et échevins de Saint-Josse-ten-Noode, au mois d'octobre 1849, on trouve ceci : « Vous avez eu aussi à délibérer sur la demande faite par l'administration communale dé Bruxelles, dans le but d'obliger toutes les personnes au service de l'Etat, dont les fonctions s'exercent dans cette ville, à y établir leur résidence. Les considérations que vous avez fait valoir pour démontrer le non-fondement de cette demande semblent péremptoires. Cette demande, qui est en contradiction avec celle de la réunion des faubourgs à la capitale, n'est commandée ni par la loi ni par les considérations d'équité. »

Ainsi, quand nous demandons la réunion, on ne veut pas de la réunion ; quand nous demandons autre chose (et je vous signalerai encore la même anomalie tout à l'heure), on dit que c'est contraire à la réunion.

C'est un singulier moyen pour vivre aux dépens de Bruxelle.

Messieurs, lorsque en 1853 le projet d'annexion du Quartier-Léopold fut présenté à la législature, malheureusement pour Bruxelles, j'en demande pardon à MM. les ministres actuels, le ministère avait changé ; vous savez qu'alors les sections en grande majorité, malgré ce qu'on vous a dit hier, émirent toutes des vœux pour une plus grande annexion. Dans la discussion. M. le ministre de l'intérieur, au nom du gouvernement, se prononça de la manière la plus nette en faveur d'un plus grand accroissement de territoire. L'honorable M. Rogier fit seul des réserves ; il le fit comme député.

Si l'honorable M. Rogier avait été encore ministre, si cette même réserve était sortie alors de sa bouche, je vous avoue franchement que je ne sais pas si j'aurais voté le projet de loi. J'aurais vu pour moi dans le projet une annexion tronquée, devant rester tronquée, une charge fort lourde pour Bruxelles sans aucun avenir, et je ne sais en vérité ce que j'aurais fait.

Je dis donc qu'il est malheureux pour la ville de Bruxelles que les rôles aient été intervertis. Cependant l'honorable M. Rogier n'étant plus gouvernement, je n'avais pas le droit de l'interpeller plus implicitement ; car il ne s'est pas opposé d'une manière explicite à une plus grande incorporation ; il a simplement fait voir les dangers que cette (page 1610) mesure pourrait offrir, les précautions que le gouvernement devrait prendre.

A la suite de l'adjonction du Quartier-Léopold, adjonction qui n'eut lieu que le 9 avril, la commune de Bruxelles délibéra immédiatement sur les conséquences de cette annexion, et dès le 1er mai elle examinait un projet d'incorporation des communes de St-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Ixelles et du Quartier-Louise.

A cette époque, il semblait que nous marchions d'accord avec les faubourgs. Consultez les délibérations des conseils communaux ; voyez le silence presque unanime des habitants ; voyez l'enquête qui a eu lieu et vous en serez convaincus. Je vous dirai plus : nous croyions tellement marcher d'accord, que j'eus des conférences avec un collège échevinal sur des travaux à faire ultérieurement sur la nécessité de ménager l'achat de terrains avant l'incorporation. Nous semblions donc marcher parfaitement d'accord.

Je ne sais quelle mouche a piqué mes collègues ; mais lorsque l'affaire advint au conseil provincial, tout était changé. Je dois vous dire encore, messieurs, que j'étais loin de vouloir une incorporation étendue.

On a beaucoup critiqué mon projet, parce que sous le rapport des formes il laissait à désirer, sans s'inquiéter que c'était par respect pour l'unité communale, pour ne pas diviser les communes, que j'avais agi ainsi.

Car à l'enquête, lorsque le bas Ixelles demanda à faire une commune séparée, vint prouver qu'il était en état de se suffire à lui-même, moi représentant de Bruxelles, j'ai adhéré immédiatement à cette proposition, tellement je tenais peu à avoir un territoire rural.

Le conseil provincial rejeta ou plutôt ajourna le projet ; il dit que ce projet n'était pas assez grand, qu'il voulait la réunion de tous les faubourgs ; qu'ainsi il l'avait toujours entendu : qu'ainsi les Chambres législatives l'avaient en quelque sorte réclamé dans la discussion relative au Quartier-Léopold.

A ce sujet, permettez-moi de revenir sur un fait antérieur, dont l'honorable M. de Steenhault s'est prévalu hier. Il vous a dit, messieurs, que le rapport de la section centrale ne stipulait pas d'une manière claire, d'une manière précise, qu'il fallait une annexion plus considérable. Cela est vrai.

Mais l'honorable M. de Steenhault a oublié de vous dire que j'ai combattu l'opinion du rapporteur, qui était beaucoup plus explicite et qui voulait mettre dans le rapport que l'opinion des sections était qu'il y avait lieu à une incorporation prochaine de tous les faubourgs ; j'ai dû me débattre pour faire adoucir ces expressions, précisément parce que je n'avais aucune envie d'un pareil accroissement.

Vient donc le conseil provincial. Celui-ci ajourne le projet et ne le trouve pas assez grand. Il trouve, et il faut dire les choses comme elles sont, que Bruxelles s'est fait le beau lot ; c'est vrai. Comme bourgmestre de Bruxelles, j'ai pris à cœur les intérêts de Bruxelles, et c'est comme bourgmestre que j'avais à me prononcer.

Oui, Bruxelles s'était fait le beau lot ; elle avait laissé en dehors Saint-Gilles, Anderlecht, Molenbeek-Saint-Jean, Koekelberg, c'est-à-dire les communes qui présentent le moins de ressources. Les états provinciaux ne l'ont pas voulu ainsi ; au point de vue des intérêts de tout le Brabant, ils ont eu raison. Mais le projet revenu à la commune, moi magistrat de la commune, n'ayant à m'inquiéter que des intérêts bruxellois, j'ai combattu la réunion générale. J'avais des idées plus étroites que mes collègues, je l'avoue franchement. J'ai cru qu'ayant un mandat de Bruxelles, je devais veiller aux intérêts de Bruxelles seuls, et ne pas me laisser séduire par des élans de patriotisme, par des raisons de l'intérêt général que je n'avais pas à défendre. Mon opinion eut le dessous.

Le projet vous est présenté par le gouvernement ; et ici je me place dans une sphère encore plus élevée que le conseil provincial du Brabant, je me place dans ma sphère de représentant de la Belgique tout entière, et je trouve qu'au point de vue national, le projet qui vous est soumis vaut mieux que celui que j'ai défendu comme bourgmestre. C'est pourquoi je le défends ici, bien que je l'aie combattu ailleurs.

Et cependant, je suis le point de mire de toutes les attaques. Dans les pétitions que l'on fait circuler, et vous en avez ici un grand nombre, on ne voit autre chose dans la réunion que le but d'étendre la juridiction de la ville pour satisfaire à l'ambition de ses administrateurs.

Et savez-vous comment on parvient à faire signer de pareilles choses ? On envoie aux habitants des faubourgs un petit carré de papier que je ne veux pas qualifier signé Gillon, bourgmestre de Saint-Josse ten-Noode, Vanderstraeten bourgmestre d'Ixelles, Geefs bourgmestre de Schaerbeek, De Greef faisant fonction d'échevin de Schaerbeek, Stevens bourgmestre de Molenbeek, etc., etc.

On y met en parlant d'habitants de Bruxelles : « Ils ont organisé un comité qui est destiné à agir plus particulièrement sur la commune d'Ixelles. Ce comité, qui ne veut à aucun prix de l'abolition de l'octroi, convoquera pourtant les chefs de famille sous le prétexte de rechercher les moyens de supprimer cet impôt odieux, comme l'appelait M. C. de Brouckere, avant d'être bourgmesire de Bruxelles. »

Ce sont mes collègues des faubourgs qui m'adressent ces gentillesses.

Eh bien, messieurs, voyons ! mes collègues des faubourgs ne veulent pas de la réunion et quatre d'entre eux dont deux sont M. Vanderstraeten, bourgmestre d'Ixelles et M. Stevens, bourgmestre, de Molenbeek, ont fait partie de la commission qui disait que l'annexion du Quartier-Léopold n'était qu'un premier pas vers la réunion totale, mais ce dernier a fait la réserve que c'était moins l'octroi ; hier encore il l'écrivait dans « l'Emancipation ». Et voici qu'il signe avec M. Vanderstraeten une pétition commençant par ces mots : « En laissant de côté la question constitutionnelle, la question légale, la question de l'octroi, etc. » et demande le rejet du projet pour sauvegarder l'existence communale.

Ainsi ceux qui étaient les promoteurs d'une annexion plus grande, viennent s'adresser à la Chambre pour combattre toute annexion.

Le rapporteur de la section centrale dit que la minorité a invoqué des raisons de police en faveur de la réunion et il répond : « L'unité de la police judiciaire et répressive existe déjà... La police des faubourgs se fait-elle moins bien qu'en ville ? La chose est loin d'être démontrée. »

L'unité, sous le rapport de la police générale, existe sans doute, mais on conviendra qu'elle donne lieu à beaucoup de détours et à beaucoup de lenteurs. C'est surtout la police des étrangers qu'elle a pour objet. Or, à l'étranger toute l'agglomération est connue sous le nom de Bruxelles, et toutes les fois qu'on fait faire des recherches on écrit de l'étranger : « Il y a à Bruxelles... il doit y avoir à Bruxelles... » et, après avoir fait toutes les recherches, nous n'aboutissons pas, il faut recommencer dans les faubourgs.

C'est peu de chose, et je ne fais pas de cela un argument sérieux ; c'est seulement pour vous faire voir que les choses ne sont pas tout à fait comme on veut bien le dire.

Sous le rapport de la police judiciaire, on dit : « Tout se concentre dans les mains du procureur du roi. » Eh bien, c'est une grande erreur ; le procureur du roi est nécessairement le chef de tous les officiers de la police judiciaire, mais ce n'est pas le procureur du roi qui ordonne les recherches. Les recherches, quand un délit ou un crime a été commis, se font immédiatement, et, s'il fallait en référer au procureur du roi, ce serait une lettre à écrire, une deuxième lettre à répondre ou des instructions à donner, et pendant ce temps-là, il n'y a plus de flagrant délit ; il n'y a plus, pour ainsi dire, de recherches possibles.

Tout doit se concentrer dans une unité active, agissante, pour la police judiciaire et, messieurs, permettez-moi encore de vous le dire, pour faire la police judiciaire, vous le savez tous, il faut des documents et des documents nombreux ; ces documents ne peuvent pas exister dans les petites communes.

Il y a à la police de Bruxelles, et chacun de vous peut les voir, 6,783 dossiers appartenant à autant d'individus différents, c'est-à-dire que les repris de justice, les gens suspects, les filous sont tous signalés, qu'on connaît leurs antécédents, qu'on a leur signalement. Je le sais, mon Dieu, quelques faits, qu'on se plaît à dénaturer, font plus ou moins d'effet dans le moment actuel, mais j'espère qu'on saura bientôt que tout ce qui se dit à cet égard sont des contes. Je n'ai pas le droit d'entretenir la Chambre de faits qui ne sont pas consommés, mais puisqu'on attaque la police de Bruxelles, permettez-moi de citer un seul petit fait : à l'exposition générale de Londres tous les pays qui avaient exposé furent invités à envoyer un certain nombre d'officiers et d'agents de police. Paris, Francfort, Berlin, Vienne en envoyèrent : Bruxelles en envoya quatre, un officier et trois agents.

Eh bien, nous eûmes le bonheur d'arrêter les seuls filous qui ont été arrêtés au palais de cristal.

Il en a été arrêté trois pendant l'exposition et c'est la police de Bruxelles qui les a arrêtés tous les trois. Permettez-moi d'ajouter qu'ils n'ont pas été arrêtés par hasard ; en les voyant entrer, un agent a dit : Ce sont des filous ! et une heure après on en avait la preuve. (Interruption.) Quand M. Coomans le voudra, je lui citerai cent faits semblables.

La police doit être nombreuse parce qu'il y a des spécialités : 9 hommes sur 10 n'ont pas le tact nécessaire à la police judiciaire, et le dixième dévisagera un homme, rien qu'en le voyant.

La police de Bruxelles, je sais qu'elle sera attaquée ; je ne conteste pas, comprenons-nous bien, je ne conteste ni le zèle ni le dévouement, ni l'intelligence d'aucun de mes collègues ; je n'ai pas l'habitude de payer de la même monnaie ceux qui sont désobligeants envers moi. Je ne conteste l'aptitude d'aucun officier ni agent de police des faubourgs ; mais voici un petit tableau qui, vaut beaucoup de raisonnement.

Il y a dans les communes de Schaerbeek, St-Josse, Etterbeek, Ixelles, St-Gilles, Anderlecht, Molenbeek, Koekelberg et Laeken, pour une population de 88,331 âmes et pour une étendue de 5,941 hectares, il y a 55 officiers et agents de police, y compris les veilleurs de nuit, qui perçoivent ensemble un traitement de 46,169 fr., c'est-à-dire que chaque personne a 840 fr. d'appointements, qu'il y a un agent par 1,606 habitants et par 108 hectares. Il y a à Bruxelles 6 commissaires de police, 28 adjoints et 164 agents, total 198, qui perçoivent entre eux 241,480 fr., c'est-à-dire par homme 1,230 fr., au lieu de 840. Chaque homme n'a qu'une étendue de 3 1/4 hectares au lieu de 108 hectares, et il y en a un pour 816 personnes, tandis que dans les faubourgs il n'y en a qu'un pour 1,606 personnes.

Maintenant je pense bien qu'on ne voudrait pas croire que les hommes de Bruxelles, mieux payés, eussent moins d'activité et moins de zèle, moins de dévouement que ceux des faubourgs, et je vous demande alors si avec un personnel double, dont chaque individu est mieux (page 1611) payé, la police de Bruxelles ne doit pas être mieux faite, non par la nature des hommes mais par le nombre, si elle n'est pas irréprochable quand on veut la comparer à celle des faubourgs. Et quand j'ai dit que la police de Bruxelles comprend 198 personnes, j'ai fait abstraction du corps des sapeurs-pompiers, qui a un service mixte, qui donne tous les jours 43 hommes de garde en dehors de la caserne et 16 hommes de patrouilles de nuit.

Mais, nous dit-on, les règlements sont les mêmes ; les règlements de police, s'ils ne sont pas coulés dans le même moule, ont le même but ; les dispositions sont analogues. Eh bien, messieurs, l'éclairage c'est un objet de police ; or savez-vous le singulier spectacle qui se présente parfois ? C'est qu'il fait clair dans la partie de la Rue Royale qui est Bruxelles, obscur dans la partie de la Rue Royale qui est Saint-Josse-ten-Noode, puis clair, de nouveau, dans la partie de la Rue Royale qui est Schaerbeek. Les uns comptent sur la lune, les autres n'y comptent pas ; les uns éclairent toute la nuit, les autres n'éclairent que jusqu'à une certaine heure.

La prostitution est encore un service de police et un service extrêmement important, sous le rapport de la salubrité publique. Eh bien, je ne connais de règlement sur cette matière qu'à Molenbeek-St-Jean ; il y en a peut-être ailleurs, mais je ne connais que là un règlement complet.

Pour parler d'une petite chose, et la police se compose d'une masse de petites choses, il y a un temps pour les folies du carnaval ; je ne veux pas ici me faire censeur de mœurs, mais il faut que le carnaval finisse une fois ; eh bien, savez-vous ce qui arrive : nous faisons finir le carnaval après le dimanche qu'on appelle le grand carnaval ; nous interdisons les bals masqués après cette époque ; et nous voyons afficher sur les murs de Bruxelles des bals qui se donnent chaque dimanche au théâtre des Nouveautés, (Interruption.)

Je ne critique pas, mais croyez-vous qu'il soit bien facile pour des magistrats d'expliquer à leurs concitoyens pourquoi les uns ne peuvent pas jouir de la même liberté que les autres, quand on leur dit par exemple : Lorsque l'argent va se dépenser ailleurs, pourquoi ne permettez-vous pas qu'il se dépense à Bruxelles ?

Mais, chose plus sérieuse, la commune d’Ixelles a construit un abattoir et, l'abattoir construit, le 12 septembre 1850, elle fait un règlement qui porte :

« Défense est faite de colporter, d'offrir en vente ou de vendre dans les demeures, boutiques, marchés et autres lieux des sections A, B et C, de la viande fraîche de bêtes non abattues dans l'abattoir. »

De telle manière qu'il est défendu de manger à Ixelles de la viande non abattue à Ixelles.

Si toutes les communes des environs en faisaient autant, elles pourraient sans octroi faire renchérir la viande à volonté ; elles nous placeraient dans une singulière position ; mais nous ne les imiterions pas, car il est entré à Bruxelles, en 1853, 766,278 kilog. de viande dépecée. Je continue de lire :

« Les marchands de viande venant des communes voisines ne peuvent traverser la commune, pour se rendre en ville, que pendant le jour et en suivant l'une ou l'autre des deux grandes chaussées qui traversent Ixelles. »

Quand commeuce le jour ? est-ce quand le soleil se lève ? eh bien, en hiver il se lève à 7 heures, et les portes de Bruxelles s'ouvrent à 6. Le parcours de la commune est long et les marchands arrivent trop tard.

La commune de Saint-Josse-ten-Noode, à l'instar de celle d'Ixelles, a fait construire un abattoir. Voici ce que je lis dans le règlement y relatif :

« Il est interdit soit de traverser, soit de parcourir la commune avec du bétail ou de la viande de 10 heures du soir à 5 heures du matin, du mois d’avril au mois d’octobre, et de 9 heures du soir à 6 heures du matin, le reste de l’année. »

Chez nous, pendant les quatre mois d'été, les portes s'ouvrent à 4 heures, que la commune de Schaerbeek suive cet exemple et l'on rendra les approvisionnements de Bruxelles plus onéreux, on pourra même les rendre impossibles.

Voilà un petit échantillon de l'uniformité qui existe dans les règlements de police.

« Si les faubourgs, dit encore le rapport, étaient aussi favorisés que Bruxelles sous le rapport des subsides pour leurs embellissements, ils posséderaient bientôt des monuments, des statues. »

L'année passée, lors du projet d'incorporation du Quartier-Léopold, l'honorable M. Rogier disait :

« On parle des constructions élevées dans la capitale, mais nous avons dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode un monument qui sera peut-être le plus beau monument de la Belgique, je veux parler de l'église Saintc-Marie. »

M. Coomans interrompait :

« Elle est sur le territoire de Schaerbeek. »

Et M. Rogier ajoutait :

« Oui, sur la limite, et ce sera un monument à partager entre la commune de Schaerbeek et celle de Saint-Josse-ten-Noode, l'administration de Saint-Josse-ten-Noode s'est beaucoup occupée de cette construction et y a contribué pour des sommes assez considérables. »

J'ai parcouru les budgets que l'honorable rapporteur a mis à la suite de son rapport pour trouver quels étaient les subsides destinés à couvrir une partie des frais d'érection de ce monument. J'ai trouvé que la commune de Saint-Josse-ten Noode porte : « Subvention pour l'érection de Sainte-Marie, 2,000 fr. » Je n'ai rien trouvé en fait de subside de la part de Schaerbeek. Je vois au budget 700 fr. pour les fabriques de Sainte-Marie et de Saints-Jean-et-Nicolas. Je ne pense pas que cette somme soit affectée à la construction de Sainte-Marie.

Je n'ai pas voulu me donner la peine d'aller rechercher dans les archives de la cour des comptes ou ailleurs qui fournissait les fonds. Mais je veux seulement observer qu'on a tort de parler des subsides que reçoit la ville de Bruxelles.

Les faubourgs, a-t-on dit et répété, contribuent à l'entretien des établissements de Bruxelles ; eh bien, j'ai fait un petit relevé de ce que coûtait l'instruction publique dans les communes des faubourgs et dans la commune de Bruxelles.

Les communes réunies de Laeken, de Molenbeek, de Koekelberg, d'Ixelles, de Saint-Josse-ten-Noode, de Schaerbeek, d'Etterbeek, contribuent ensemble, d'après leurs budgets, pour une somme de 15,206 fr. dans les dépenses de l'instruction publique, et elles reçoivent de l'Etat un subside de 10,554 fr.

Ainsi, pour une population de 80,000 âmes, l'Etat donne un subside de 10,554 fr. et les communes réunies n'allouent pour le même service que 15,206 francs.

La ville de Bruxelles dépense 299,000 fr. ; mais ses écoles moyennes inférieures et ses écoles communales lui produisent 44,000 fr. ; la dépense nette n'est donc que de 255,000 fr.

L'Etat contribue dans cette somme pour un subside de 2,500 fr. affecté au musée, et d'un subside de 20,000 fr. destiné à l'académie des beaux-arts, mais dans ce subside de 20,000 fr., sont compris les 12,000 fr., pour la reprise, non pas de l'établissement communal, mais d'un établissement national qui coûtait plus cher à l'Etat, de l'école de gravure. L'Etat nous a abandonné son école de gravure ; il ne paye que 12,000 fr. pour cet établissement.

Ainsi la ville de Bruxelles ne reçoit de l'Etat qu'un subside total de 10,500 fr. sur une somme de 234,500 fr. qu'elle dépense, non compris 50,000 francs environ de loyer des bâtiments qui lui appartiennent.

Les faubourgs, dit-on, aident à l'entretien de tous les établissements de Bruxelles.

Mais les faubourgs n'aident certainement pas à l'entretien de l'Académie des beaux-arts, car les élèves y sont admis gratuitement ; et sur 2,431 élèves qui ont fréquenté cet établissement depuis huit ans, 634 appartiennent aux faubourgs.

Les faubourgs contribuent-ils à l'entretien de l'université de Bruxelles ? Non ; la ville de Bruxelles donne un subside à l'université ; mais les élèves ne payent rien à la ville ; les élèves payent un minerval dont la ville ne retire rien.

Quant à l'Athénée, c'est un établissement de l'Etat dont la ville ne retire rien, si ce n'est la présence de cet établissement dans son enceinte. L'Etat donne 35,000 francs ; la ville ne doit contribuer dans la dépense que pour un tiers ; or la ville y contribue pour 47,000 francs, indépendamment des locaux qu'elle fournit ; un de ces locaux lui coûte 7,000 francs de loyer.

Toujours est-il qu'il résulte de ces chiffres que la ville de Bruxelles dépense plus de 2 francs par habitant pour l'instruction publique, tandis que Saint-Josse-ten-Noode y consacre moins de 30 centimes. Ixelles et Laeken moins de 20, Schaerbeek 19, Molenbeek et Saint-Gilles 13, Koekelberg et Etterbeek moins de 8 centimes.

Mais la ville de Bruxelles doit ses monuments, ses statues au gouvernement ; on va plus loin, car un écho assez fidèle du rapport ajoute que si la ville veut profiter des avantages que lui donne sa qualité de capitale elle devrait en acquitter les charges, ce qu'elle ne fait pas. On reproche à la ville de Bruxelles ses statues ! La statue de la Place des Martyrs, je crois que la ville de Bruxelles l'a bien méritée ; car je crois que nous avons été les vrais martyrs de la révolution ; sous ce rapport ce monument nous l’avons bien mérité. La statue de Belliard, elle a été élevée sans intervention de la part de l'Etat ; l'Etat n'est intervenu ni directement ni indirectement. Il reste la statue de Godefroid de Bouillon ; certainement c'est un fort beau monument dont on a doté la ville de Bruxelles.

M. Coomans. - Et la statue de Vésale.

M. Ch. de Brouckere. - Je ne puis pas parler de ce que je ne connais pas. Il y a eu une souscription, je ne sais pas ce qu’elle a produit, je ne sais si Bruxelles a contribué, c’était avant mon administration.

La ville de Bruxelles est-elle bien égoïste en fait de monuments ? Je viens de parler de quelques statues.

A la mort de notre malheureuse Reine, une souscription nationale a eu lieu ; plus du tiers de la souscription du pays entier a été recueillie à Bruxelles. La souscription de Bruxelles dépasse 70 mille francs, elle dépassait ce chiffre à une époque déjà reculée, et des versements ont eu lieu depuis. La ville de Bruxelles, quand il s'est agi de l'exécution, a-t-elle revendiqué le moindre droit au monument ? Dès la première réunion qui a eu lieu, c'était sous le ministère de M. Rogier, le délégué de Bruxelles a déclaré immédiatement, il l'a fait presque seul, il a déclaré que la ville de Bruxelles entendait verser sa quote part (page 1612) au gouvernement pour un monument à faire comme il lui conviendrait ; il a de plus ouvert l'avis que ce n'était pas à Bruxelles que le monument devait se trouver. Qu'on prenne les procès-verbaux... Un honorable député de Gand me regarde. Gand, comme d'autres villes, voulait un monument à elle, et ce n'est qu'après bien des hésitations qu'on s'est décidé à se réunir à la souscription nationale.

J'ai dit que nous avions un beau monument dans le Godefroid de Bouillon et un autre dans la statue de la place de Martyrs ; mais l'entrepôt est un monument ; la caserne du Petit Château est un autre monument, les boulevards sont des 'monuments qui nous ont coûté énormément. Quand il en sera temps, nous présenterons le compte de ce que les boulevards nous ont coûté.

Nous avons décidé la construction d'une église. Avant de mettre la main à l'œuvre sommes-nous venus demander des subsides au gouvernement ? Sous peu de jours on mettra en adjudication les fondations de Ste-Catherine. Dans le Quartier-Léopold, que faisons-nous ? Un monument qui nous coûtera un million. L'année dernière la ville de Bruxelles a consacré 300,000 fr. à rendre le théâtre digne de la capitale.

Nous nous occupons en ce moment de l'exécution d'un des plus vastes projets qu'une ville puisse exécuter, de la distribution d'eau potable dans la ville et dans les faubourgs, qui coûtera à la ville 4 millions et demi, sommes-nous venus demander à l'Etat des subsides ? On ajoute et l'on a mauvaise grâce de dire : A Bruxelles, quand vous donnez des fêtes, c'est toujours avec les deniers de l'Etat. En 1853, la ville de Bruxelles a dépensé en fêtes publiques 126,250 fr., et les habitants y ont concouru, par souscription, pour 50 mille fr., ce qui fait 176 mille francs.

Autre grief. La ville de Bruxelles perçoit 18 centimes additionnels sur la contribution foncière, et cette lourde charge irait retomber de tout son poids sur les communes environnantes qui en sont aujourd'hui affranchies. Bruxelles est gratifiée d'un octroi énorme ; on veut faire entrer dans le rayon de l'octroi toutes les communes suburbaines.

Un honorable député qui faisait partie de ma section a dit : Je ne veux pas du projet, parce que le rejet sera un moyen de hâter la suppression de l'octroi. La ville de Bruxelles qui veut la réunion s'évertuera à trouver les moyens de se défaire de son octroi. Une fois l'octroi aboli, la réunion ira toute seule.

Oui, la ville de Bruxelles a étudié la question de l'octroi ; la ville de Bruxelles n'est pas plus engouée de l'octroi que le bourgmestre de Bruxelles qui a conservé toutes les opinions qu'il avait émises avant d’être bourgmestre, dût-on les appeler opinions révolutionnaires, comme on l'a fait ce matin dans un journal qui appartient à un de nos collègues. On a cru me jouer un tour en citant, sans me nommer, un débris d'un mémoire que j'avais écrit. Un autre membre l'interpellant pour savoir le nom de l'auteur, je m'empressai de dire que c'était moi.

Ce que j'écrivais alors, je l'écrirais encore comme citoyen. Comme bourgmestre, ayant à exprimer la même opinion, j'y mettrais un peu plus de formes ; c'est tout naturel ; de même quand je parle devant vous, je mets un peu plus de formes que quand je parle dans la rue.

J'ai dit : Les octrois sont injustes, vexatoires, onéreux ; mais j'ai ajouté, je crois que c'est dans la même phrase, que la capilation était d'un arbitraire révoltant.

On aurait bien dû citer toute mon opinion.

Au conseil communal, j'ai émis la même opinion, cela est su de ceux qui veulent mettre le bourgmestre en opposition avec le citoyen. C'est en discussion publique au mois de décembre 1848, et pour la seule fois depuis six ans que j'ai l'honneur d'être bourgmestre, j'ai quitté le fauteuil pour cette question spéciale, précisément parce que je suis un des adversaires lèe plus prononcés dé l'octroi.

Mais j'ai toujours dit, de tout temps, dans tous mes écrits, partout, que, je n'étais pas un démolisseur, que je ne voulais pas abattre sans réédifier. Et permettez-moi de vous le dire, si je n'ai pas insisté dans cette Chambre, si je n'ai pas usé de mon droit d'initiative, c'est que l'honorable M. Frère, ministre des finances, a déclaré carrément qu'il ne voulait pas du projet de la commission, qui est, selon moi, le seul rationnel et qui consistait à faire une permutation entre les droits indirects des villes et les impôts directs de l'Etat.

Messieurs, je me suis tenu pour battu quant à présent ; je ne suis pas de ces hommes qui ont une impatience très grande d'arriver à toutes leurs idées ; parce'que c'est le moyen de n'en faire réussir aucune. Je ne suis plus d'un âgé à soutenir le poids d'une discussion, à prendre l'initiative, à prendre devant vous la responsabilité d'une grande proposition. Ce n'est pas le courage qui me manque ; dans un temps où il fallait du courage pour prendre l'initiative, j'ai su la prendre. Mais aujourd'hui il ne faut plus de courage. J'appuierai néanmoins de toutes mes forces une proposition 'conformé aux idées que j'ai exprimées.

En second lieu je ne voulais pas me mettre en opposition avec le ministère.

Je ne me mettrai pas non plus en opposition avec le ministère actuel sur une question comme celle-là, malgré toute l'importance que j'attache au système que j'ai préconisé. Si je n'en avais pas été grand partisan, il m'aurait suffi d'émettre, comme les autres membres, mon opinion dans le sein de la commission en 1848. Mais j'ai appuyé cette opinion d'un mémoire exprès, et ce mémoire je ne l'ai pas retiré ; s'il en manque, ceux qui en désirent, je leur en donnerai.

Je n'ai rien retiré. Mais je prétends encore que j'aime mieux l'octroi ou que je le déteste moins, si vous le voulez, que la capitation. Avec l'octroi il n'y a pas de petite passion ou de petite vengeance possible ; avec la capitation on est à la merci de l'autorité communale.

Mais, a dit l'honorable M. Laubry, vous nous promettez l'octroi et il vous manquera de l'argent pour faire une nouvelle ligne d'octroi ; les fossés actuels resteront et nous aurons l'avantage d'être fouillés, d'être visités dans nos promenades.

Est-ce sérieusement que devant cette Chambre on tient un pareil langage ? Croit-on qu'en Belgique il y ail un seul magistrat municipal, un seul qui veuille prendre la responsabilité de visiter les personnes dans les promenades ?

Nous n'aurons pas d'argent pour faire un mur ! Mais l'honorable M. Laubry n'a pas lu l'exposé des motifs. L'exposé des motifs vous fait comprendre que si l'on ne peut pas englober tout cet énorme territoire, et mon opinion personnelle est qu'on ne le mettra pas entièrement dans l'octroi, il y a une ligne naturelle d'octroi.

J'ai peut-être trop de présomption ; mais je crois que le conseil communal reconstitué adopterait au moins de mon projet la nouvelle ligne d'octroi, celle qui consiste à prendre pour limite le chemin de fer du Luxembourg, aujourd'hui déplacé, parce que toute l'agglomération bruxelloise se trouve en deçà de ce chemin. La ligne se ferait donc sans bourse délier, et ce ne serait pas le défaut d'argent qui priverait la nouvelle commune de Bruxelles de cette ligne.

Un mot encore, messieurs, sur l'octroi.

Je viens de vous dire que la commune de Bruxelles, dès 1848, s'était prononcée contre l'octroi ; et l'on nous demande aujourd'hui d'abolir l'octroi avant d'incorporer les faubourgs. Ce sont les faubourgs qui nous le demandent.

Voici, messieurs, comment les communes considèrent la question de l'octroi.

Lorsqu'on leur a demandé en 1848 comme à nous, ville de Bruxelles, quelle était leur opinion sous le rapport de l'octroi, la commune de St-Josse-ten-Noode, c'est ce que nous apprend un extrait de son rapport annuel du 12 octobre 1849, signé Gillon et Kint Van Assche, se prononce ainsi :

« Parmi les affaires dont vous vous êtes occupés, s'est présentée la grave question de la suppression des octrois. Vous avez constaté qu'en 1842 et 1843 plusieurs administrations communales avaient tenté l'abolition de ces contributions indirectes, mais que force avait été de les rétablir immédiatement, tant le nouveau mode d'impôt avait jeté de perturbation dans les finances des localités où l'essai avait eu lieu ; que la suppression des octrois nécessiterait évidemment une révision générale de toutes les contributions directes et indirectes perçues au profit de l'Etat, des provinces et des communes, et qu'il serait inopportun d'apporter maintenant des changements dans l'assiette des impôts. »

Ainsi, quand nous votions pour la suppression de l'octroi, nous qui l'avons, la commune de Saint-Josse-ten-Noode, qui ne l'a pas, trouva qu'il ne fallait pas supprimer les octrois. Mais la commune de Saint-Josse-ten-Noode n'était pas seule ; il résulte du rapport de la députation du conseil provincial en 1850 que la commune d'Anderlecht est la seule qui se soit prononcée sans restriction pour la double mesure proposée par les auteurs du rapport qui vous a été communiqué. Toutes les autres communes ont voté pour le maintien de l'état de choses actuel.

Mais nous avons sur la contribution foncière 18 centimes additionnels, qui vont peser de tout leur poids sur les communes annexées.

Messieurs, à la suite du rapport de la section centrale se trouve le rôle de la voirie de la plupart des communes, et à l'aide de ce rôle et du budgel combinés, je suis arrivé au résultat suivant :

(Une seule commune a des centimes additionnels sur les patentes ; je n'en ferai pas mention§

Centimes additionnels extraordinaires respectivement, sur la contribution personnelle et sur la contribution foncière :

Commune de Laeken, 6 et 6.

Commune de Saint-Gilles, 2 et 4.

Commune de Molenbeek, 6 et 4.

Commune de Koekelberg, 8 et 8.

Commune d’Ixelles, 2 et 3.

Commune de St-Josse-ten-Noode, 15 et 15.

Commune de Schaerbeek, 6 et 3.

Commune d’Anderlecht, 2 et 3.

Et enfin la ville de Bruxelles 18 sur le foncier seulement

Or, à Bruxelles, l'impôt sur le personnel rapporte environ 1,200,000 fr. ; l'impôt sur le foncier rapporte en principal 650,000 fr., donc pour Bruxelles chaque centime sur le personnel équivaut à peu près à deux centimes sur le foncier. En appliquant tout au foncier, l'état actuel des choses se comporte comme suit :

Laeken, 18 ; Saint-Gilles, 10 ; Molenbeek, 14, Koekelberg, 24 ; Ixelles, 8 ; Saint-Josse-ten-Noode, 45 ; (page 1613) Schaerbeek, 12, Etterbeck, 6, Bruxelles, 18.

La moyenne de toutes les communes est 17, et nous en payons 18. Voilà la grande difféTence.

Messieurs, je ne vous en retiendrai pas des dettes de Bruxelles. Seulement si l'on faisait valoir cet argument, je prouverais que les ressources de Bruxelles, par ses rentes, par ses propriétés et ses marchés, ne présentent qu'une différence de 70 mille francs sur les dettes qu'elle a contractées, antérieurement à l’emprunt spécial pour les travaux relatifs à l'alimentation d'eaux et au Quartier-Léopold ; et que, par contre, Bruxelles présente aux communes à annexer un revenu de 500,000 fr. du chef des hospices, et de 300,000 fr. de la bienfaisance, tant en rentes qu'en fonds de terre.

L'honorable M. de Steenhault a bien voulu vous demander hier ce que le Quartier-Léopold avait gagné à son annexion à la ville de Bruxelles. Il demeure cependant assez prés du Quartier-Léopold pour pouvoir faire la réponse en même temps que la demande.

Messieurs, le Quartier-Léopold a gagné une grande chose ; c'est de ne pas être morcelé. Le tracé primitif du chemin de fer du Luxembourg coupait le Quartier-Léopold en deux d’un bout à l'autre. Lorsque nous avons eu pris possession du Quartier-Léopold, nous avons écrit et nous nous sommes hâtés d’écrire - la loi n'a été promulguée que le 9 avril - nous avons écrit dans le même mois à l'administration communale de Saint-Josse-ten-Noode pour savoir si elle avait été consultée, si elle avait donné un acquiescement.

La commune de St-Josse-ten-Noode nous a répondu le 28 avril qu'elle n'avait pas été consultée, qu'elle ne pouvait nous fournir aucun document, mais qu'elle croyait bien que les propriétaires avaient été convoqués au gouvernement provincial.

Nous avons fait diligence ; nous avons tâché de faire suspendre les travaux ; nous avons trouvé un propriétaire sur le terrain duquel on devait passer et qui s'y est opposé, qui a voulu être évincé par autorité de justice et dans l'intervalle, nous sommes parvenus à faire une convention avec la Société du Luxembourg pour détourner du Quartier-Léopold - quant à la station, il était trop tard, elle était presque faite - tout le reste de la voie de raccordement, depuis la rue Belliard jusqu'à la chaussée de Louvain. Cela a coûté à la ville de Bruxelles 100,000 francs. Ils ne sont pas encore tous payés, mais ils ne tarderont pas à l'être.

C'est un premier sacrifice que nous avons fait au Quartier-Léopold, et je crois que les habitants de ce quartier ne nieront pas que cette mesure a singulièrement augmenté la valeur de leurs propriétés ; je ne dis pas la propriété de chacun individuellement, mais la plus grande partie des propriétés.

Quant aux services publics, il y a au Quartier-Léopold autant d'officiers et d'agents de police préposés à la surveillance de ce quartier seul qu'il y en avait dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode, telle qu'elle était avant la réunion du Quartier-Léopold à la ville. La police du Quartier-Léopold seul nous coûte 25,270 francs.

Nous avons fait immédiatement éclairer le Quartier-Léopold la nuit entière ; c'est une mesure qui a été prise dès le 1er mai. Nous avons déjà augmenté actuellement de 12 réverbères l'éclairage de ce quartier, et il sera encore augmenté.

Nous avons pour le nettoyage et le balayage plus de voitures au seul Quartier-Léopold qu'il n'y en a jamais eu dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode, et j'ai de bonnes raisons de le savoir.

En un mot, le Quartier-Léopold, qui devait être si profitable à Bruxelles, produit, je pense (je n'ai pas les documents, ce sont ces messieurs de St-Josse-ten-Noode qui les ont encore, et ce sont eux qui l'ont dit dans un mémoire l'année dernière) ; le Quartier-Léopold rapporte 35,000 fr. ; et la première année il a coûté à la ville de Bruxelles, pour la police, l'éclairage, le pavage et les égouts, 49,270 fr. ; je ne comprends pas dans cette somme le prix de l'égout de la rue de la Loi. Cette année le Quartier-Léopold nous coûtera 57,470 fr. du chef des quatre services, et je ne compte pas les 100,000 francs que nous devons donner pour le redressement du chemin de fer.

La population de Bruxelles, vous dit-on pour vous effrayer, sera sans aucun rapport avec le reste de la population ; et l'honorable rapporteur, grossissant les choses comme tout le monde, voit déjà une population de 400,000 âmes.

Messieurs, il est facile, quand on prend pour les uns les éventualités de l'avenir, et pour les autres les faits actuels, de trouver qu'il y a discordance. La population effective de l'agglomération tout entière sur laquelle vous êtes appelés à délibérer, est de 243,000 âmes ; mettons en chiffre rond 250,000. Eh bien, 250,000 sur une population totale de 4,500,080 âmes, cela fait 1/18 de la population.

Le Danemark compte une population de 2,279,000 âmes ; sa capitale a 129,000 âmes ; c'est 1/18.

Les Etats pontificaux ont 2,908,000 âmes ; Rome en a 171,000 ; c'est 1/17.

La Toscane a 1,761,000 âmes ; Florence en a 110,000 ; c'est 1/16.

Le Portugal a 3,412,000 âmes ; Lisbonne 241,000 ; c'est 1/16.

Enfin, le royaume de Naples, en y comprenant la Sicile, compte une population de 6,640,000 âmes, et la ville de Naples en a 416,000 ; c'est l/16.

Je vous cite des petits Etats, parce que je dois comparer un petit Etat à de petits Etats. La capitale de celui de ces Etats dont la population comparativement est la moindre, a une population relative égale à celle qu'aurait Bruxelles, et toutes les autres en ont une plus grande. A-t-on jamais dit que dans aucun de ces Etats, il y avait une tête sans corps ou que le corps n'était pas proportionné à la tête ?

Est-ce de l'étendue de territoire que l'on propose d'annexer qui vous vous plaignez ? Il est trop grand ? Messieurs, Bruxelles aurait 2,495 hectares, c'est-à-dire moins de 2,500 hectares ; Liège a 1,878 hectares, Auvers en a 1,882, Gand en a 2,316.

Il y a donc ici 170 hectares de moins qu'il y en aurait à Bruxelles. Est-ce que c'est trop ? En comparant la seconde ville du royaume, sous le rapport de la population, à la première, est-ce trop de 170 hectares de plus pour celle-ci ? Mais Malines, Malines qui est à nos portes, a 550 hectares de plus que Bruxelles. Voilà donc réduits à leur plus juste valeur, tous ces arguments que l'on tire du territoire et de la masse de la population !

Messieurs, je laisse, de côté le reste de l'argumentation du rapport de la section centrale. Suivant moi, la majorité n'a détruit en rien les arguments de la minorité. Le projet de loi ne se borne pas seulement à agrandir le territoire de Bruxelles ; il contient deux autres parties : l'une relative à l'administration communale ; l'autre concerne les impôts.

Je sais, messieurs, qu'on fait valoir l'argument qu’il ne faut pas amoindrir les franchises communales.

Mais d'abord, comment n'est-on pas resté fidèle à ce principe lorsqu'il s'est agi de reconnaître les dépenses que Bruxelles avait faites pour la révolution, de l'indemniser, en quelque sorte, en achetant ses musées et sa bibliothèque ? Un membre qui faisait partie de ma section, disait : « Je ne veux pas de l'agrandissement, parce qu'il en résulterait un amoindrissement des franchises communales ; et je ne veux pas d'un amoindrissement des franchises communales. » Eh bien, ce même membre a voté, en 1842, une disposition ainsi conçue :

« Les droits attribués en ce qui concerne l'approbation des budgets et des comptes... » (resté dans la plume du sténographe).

Quant à moi, messieurs, je ne me suis jamais fait illusion : lorsque j'ai eu l'honneur de proposer au conseil communal, non pas l'agrandissement de Bruxelles, tel qu'il vous est soumis aujourd'hui, mais la réunion des communes de Schaerbeek, de Saint-Josse-ten-Noode, d'Ixelles et du Quartier-Louise ; c'est-à-dire, de porter la population de Bruxelles à 210,000 âmes, j'ai carrément posé comme condition un changement à la loi communale, et j'ai proposé au conseil communal d'abandonner au Roi le droit de choisir le bourgmestre en dedans, ou en dehors du conseil, et de lui donner le droit de révocation ; de le choisir librement et sans être lié par la députalion permanente ; de le destituer ou de le révoquer sans être obligé de faire valoir, à l'appui, des motifs de négligence grave ou d'inconduite notoire. Ma proposition a été repoussée. Depuis lors, le gouvernement a conçu un projet ; il l'a conçu sur d'autres bases, et je vous avouerai franchement que, quand j'en ai eu connaissance, j'y ai trouvé, de la part du gouvernement, un désir manifeste de concilier la loi communale avec l'action du pouvoir central.

Dans le principe, et préoccupé de cette crainte de voir l'administration communale divisée en deux, de voir, comme à Paris, la police et l'administration divisées ; dans la crainte de conflits perpétuels et inextricables, j'avais trouvé ces dispositions bonnes.

Messieurs, ces craintes de voir un jour ici ce qu'on appelle un préfet de police, ces craintes ne sont pas sans fondement, et, permettez-moi de le dire, ce serait une bien autre violation de la loi communale que toutes celles qu'on propose.

Je dis que ces craintes ne sont pas si chimériques ; car, dans l'une des sections représentée par l'honorable M. Laubry à la section centrale, on n'a pas voulu examiner ce projet d'annexion : on s'est posé trois questions, et la question de centralisation de la police a été résolue affirmativement.

Eh bien, pour moi, c'est ce qui pourrait arriver de pis ; et je désirerais que quelqu'un voulût me dire où l'action de la police commence et où elle finit.

Je voudrais bien qu'on me dît si cette séparation de la police et de l'administration, à Paris, n'a pas été une cause d'émeutes ? Quand la police est séparée de l'administration, les officiers, les agents de police ne sont plus qu'une seule chose ; ils n'ont plus qu'un contact avec les habitants, ils n'apparaissent à ceux-ci que pour les châtier, que pour les punir ; ce sont des hommes réprouvés par tout le monde, parce que ce sont des oiseaux de mauvais augure, devant lesquels on tremble dès qu'on les voit. Quand, au contraire, la police et l'administration marchent ensemble, le mauvais côté a une compensation : l'officier et l'agent de police interviennent continuellement dans l'action de la charité publique ; continuellement c'est à eux que les pauvres vont révéler leurs besoins.

Je dispose d'une certaine partie des deniers publics pour les pauvres et il ne m'est pas arrivé une seule fois, depuis six ans, de donner un secours sans avoir pris l'avis du commissaire de police, tant je tiens à rattacher la police par un bon côté à la population, afin qu'elle produise sur celle-ci un effet moral salutaire, et qu'elle ne lui apparaisse pas constamment comme une institution antagoniste et tracassière. Sous ce rapport, un grand progrès a été réalisé.

Il y a quelques années, quand la police devait arrêter un homme, la population était en émoi, et l'on criait haro ! sur la police. Aujourd'hui la police procède à toutes les arrestations que la sécurité publique (page 1614) commande, et personne ne s'en mêle parce qu'on sait que l'officier de police n'est pas seulement préposé à ces fonctions pénibles, et qu'il a d'autres attributions qui le recommandent à la considération publique.

Permettez-moi, messieurs, à ce propos de vous citer un fait ; la prudence m'oblige à me renfermer dans les faits : après chaque émeute, après chaque révolution dont Paris a été le théâtre, quelles victimes avez-vous vues ? Une fois, des agents de police, une autre fois, des gardes municipaux ; une autre fois, des gendarmes de Paris ; et cela est si vrai que l'on a dû successivement changer leur dénomination.

En 1830, on a changé le nom des gendarmes de Paris, qui n'étaient pas à confondre avec les gendarmes de l'Etat ; on les a changés en gardes municipaux, tant leur nom était devenu impopulaire. En 1848, quelles ont été les victimes ? La garde municipale. Eh bien, prenez-y garde ! la séparation de la police et de l'administration est ce qui peut arriver de pis, et je vous avoue qu'ayant été battu sur l'opinion que j'avais émise, je me serais rallié au projet du gouvernement. Mais la réflexion m'a fait revenir sur ma première idée, et je préfère de beaucoup le bourgmestre nommé dans le conseil ou hors du conseil, comme le Roi le jugera convenable, mais continuant à faire partie du conseil s'il est nommé dans le conseil et présidant le conseil s'il n'en fait point partie.

Après y avoir réfléchi j'ai trouvé que le bourgmestre doit emprunter sa principale force de sa position, et que c'est lui ôter toute force morale devant la population que de l'exclure forcément du conseil communal. Je veux, au contraire, que quand le bourgmestre est choisi par le Roi en dehors du conseil il puisse faire consacrer, en quelque sorte, sa nomination par l'élection ; et cela arrivera à Bruxelles, chaque fois que le bourgmestre prendra les intérêts de la commune à cœur, chaque fois qu'il sera digne de sa position. L'honorable ministre de l'intérieur s'est trompé gravement, suivant moi, quand il a dit : « Un bourgmestre ayant derrière lui l'élection se préoccupera de son élection future. »

Messieurs, cela peut arriver dans les petites communes, cela ne peut pas arriver dans une grande ville. Ce serait là un très mauvais calcul, et permettez-moi de vous citer un fait qui m'est personnel. Tout le monde sait que je ne badine pas avec les règlements ; j'ai toujours dans l'esprit ce vieux proverbe : Hoe wel en zie niet om, fais ce que dois, advienne que pourra. » Je crois avoir été beaucoup plus sévère qu'aucun de mes prédécesseurs. Eh bien, qu'est-il arrivé ? Lorsqu'il s'est agi de mon élection municipale, en 1848, on disait alors qu'il était question de moi pour les fonctions de bourgmestre ; je n'ai obtenu que 1,492 voix sur 2,345, un peu plus que la majorité ; je suis passé le troisième avant-dernier au conseil.

En 1850, j'étais en fonctions depuis deux ans, et j'ai été envoyé dans cette Chambre par 5,700 voix. J'ai toujours fait mon devoir, peut-être avec trop de franchise, peut-être trop rondement, c'est possible, c'est là mon défaut et, ma foi ! je m'en suis bien trouvé.

Je dis que celui qui viendrait se préoccuper de pareils calculs serait un homme perdu, par cela même qu'il calculerait.

Il reste, messieurs, un troisième parti, et je vous demande pardon d'être si long, je n'ai plus que quelques mots à dire.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit : Nous avons fait la juste part des faubourgs en n'élevant la taxe personnelle et la patente que d'un dixième d'année en année, jusqu'à ce que les faubourgs soient arrivés au taux de Bruxelles. Eh bien, je réponds : Non, vous n'avez pas fait la part aux faubourgs, pardonnez-moi le mot, vous avez commis une injustice : la loi de 1822 sur la taxe personnelle divise le pays en communes suivant la popnlation ; si vous aviez toujours appliqué cette loi, je dirais : Vous faites bien de l'appliquer aux faubourgs ; mais depuis 1822 la population d'un grand nombre de communes a changé, beaucoup de communes devraient être dans une classe supérieure à celle à laquelle elles appartiennent, y avez-vous eu égard ? Les avez-vous surtaxées, ou plutôt avez-vous exécuté la loi pour elles ? Non. Pourquoi donc l'exécuteriez-vous pour les faubourgs ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y aura de changé pour les faubourgs ? Ils appartiendront à une commune plus peuplée, mais pourquoi payeraient-ils plus lorsque d'autres communes également plus peuplées ne payent pas davantage ?

Exécutez la loi partout, et alors votre tempérament sera juste ; et si vous ne l'exécutez point partout, laissez les faubourgs dans la position où ils se trouvent, jusqu'au moment où les lois sur la patente et sur la contribution personnelle seront révisées. Il arrivera du projet ce qui pourra, mais je voterai contre cette disposition, que j'ai déjà combattue dans ma section et dans la section centrale.

Puisque la Chambre est divisée sur les questions de détail, je demanderai que l'on commence par voter sur le fait, c'est-à-dire sur le principe de la loi, afin que la loi ne soit pas rejetée par des considérations secondaires qui laisseraient subsister dans toute sa force le fait principal, c'est-à-dire la possibilité d'une réunion future. Si le principe de la réunion passe, il sera temps de s'entendre sur les accessoires ; s'il est rejeté, chacun saura à quoi s'en tenir, une fois pour toutes. Permettez-moi de le dire, on n'administre pas tant que de pareilles questions sont pendantes ; toute amélioration est impossible dans une situation provisoire. Les faubourgs, comme Bruxelles, ont besoin d'une solution nette, tranchée.

(page 1603) - M. le président donne lecture des amendements suivants, proposés par MM. Orls, Anspach, Cans et Ad. Roussel :

« Art. 12. Le bourgmestre de Bruxelles est nommé et révoqué par le Roi.

« Le Roi peut choisir le bourgmestre de Bruxelles en dehors du conseil et parmi les électeurs communaux âgés de 25 ans, la députation permanente entendue.

« Art. 14. Les attributions de police, conférées au collège échevinal par le paragraphe premier de l'article 96 de la loi du 30 mars 1836, et par le premier membre de phrase de l'article 97 de la même loi, sont transférées au bourgmestre de Bruxelles.

« Art. 15. Supprimer ce qui implique le maintien de l'article 94 de la loi communale.

« Art. 17. Pour la première fois, le Roi détermine, sur la proposition du bourgmestre, le nombre des commissaires de police et des adjoints. Ce nombre ne pourra être diminué qu'avec l'autorisation du Roi.

« Il ne pourra être créé ultérieurement de nouvelles places de commissaires de police et d'adjoints que par une loi, ou par le Roi, du consentement du conseil communal.

« Les adjoints aux commissaires de police sont nommés par le conseil communal, sous l'approbation du gouverneur de la province.

« Ces adjoints sont en même temps officiers de police judiciaire, exercent, en cette qualité, sous l’autorité des commissaires de police, les fonctions que ceux-ci leur ont déléguées.

« Le conseil communal ne peut supprimer ces fonctions d'adjoints qu'avec le consentement du Roi.

« Ces commissaires-adjoints sont toujours révocables par le conseil, sons l'approbation du gouverneur.

« Art. 22. Le traitement du bourgmestre de Bruxelles, tel qu'il est fixé actuellement, est maintenu : il ne pourra être diminué qu'avec le consentement du Roi.

« Art. 24 à 26. A remplacer par la disposition suivante :

« Jusqu'à la révision des lois sur la contribution personnelle et sur les patentes, les taxes actuellement établies dans les parties de la ville de Bruxelles, extra muros, sur les portes et fenêtres, et l'impôt sur les patentes, seront provisoirement maintenues.

« Ces amendements impliquent le maintien de l'article 11 adopté avec un amendement par la section centrale, des articles 16, 18, 19 et 20 du projet primitif, et la suppression des article 10, 13, 21 et 23, paragraphe final du même projet. »

- Ces amendements seront imprimes et distribués ; ils seront développés lors de la discussion des articles.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l’intérieur

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi tendant à ouvrir au département de l'intérieur un crédit nouveau de 73,598 fr. 79 cent, pour payer des dépenses qui se rapportent à des exercices antérieurs à 1854 ;

« 2° Un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département de l'intérieur, d'abord, un crédit de 100,000 francs pour mesures à prendre dans l'intérêt de l'industrie typographique par suite de la convention conclue entre la Belgique et la France ; ensuite un crédit de 43,266 fr. 67 cent, pour l'exécution de la convention.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de ces deux projets de loi, qui seront imprimés et distribués. La Chambre les renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la réunion de faubourgs à la ville de Bruxelles

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, si je pouvais me tromper sur la nature de mon mandat, si je ne me considérais que comme député de Bruxelles, je voterais, tout d'abord, contre le projet de loi parce que l'intérêt bien entendu de la ville de Bruxelles s'oppose à la réunion.

Je pourrais à cet égard entrer dans de longs détails, mais à quoi bon ? Les hommes les plus compétents sont d'accord sur ce point. Dans la séance d'hier, mon honorable ami M. Thiéfry s'exprimait ainsi : « L'incorporation des faubourgs devant être très onéreuse à la ville, l'administration communale de Bruxelles répondit en 1840 à l’honorable M. Liedts qui, en sa qualité de ministre de l'intérieur, avait provoqué l'examen des grandes questions qui se rattachent à la réunion, qu'elle ne pouvait prendre aucune résolution à ce sujet avant que sa situation financière ne fût améliorée, etc. »

L'honorable M. de Brouckcre, bourgmestre de Bruxelles, partage cet avis. Il l'a dit au sein de la première section et il vient de le répéter il n'y a qu'un instant.

Ainsi, c'est aux dépens de la situation financière de la ville de Bruxelles, devenue plus prospère, que la réunion est demandée aujourd'hui. Que les habitants de Bruxelles ne le perdent point de vue !

S'agit-il bien, après cela, pour Bruxelles de venir invoquer des droits, car droits et sacrifices sont des mots qui se contredisent ?

Et quels droits la ville de Bruxelles vient-elle invoquer ? Des droits puisés dans la féodalité et dans l'arbitraire impérial.

Ce qui le prouve, c'est d'un côté l'article 213 de la coutume de Bruxelles commenté par Christyn, et de l'autre côté le décret du 10 mai 1810.

La juridiction que Bruxelles exerçait sur sa cuve ne peut, certes, fournir aucun argument à ceux qui voudraient faire valoir en sa faveur des droits de propriété, car cette juridiction n'était pas limitée à la cuve proprement dite ; les articles 6 et 7 de la coutume attribuaient à l'amman pouvoir et autorité sur les chefs mayeries de Merchtem, d'Assche, de Capelle-op-den-Bosch, de Campenhout, de Rode, et lui reconnaissaient le droit « d'en mander les officiers en fait de subsides extraordinaires et autres services du prince et du Brabant,» et d'après l'article 9, la ville avait de plus le droit de faire exécuter les sentences échevinales dans tout le plat pays du Brabant.

Il résulte de là que si la ville, en invoquant ces anciens titres, avait des droits à faire valoir, non seulement sur l'ancienne cuve, mais encore sur plus de la moitié de la province, ce seraient des droits de seigneurie et non des droits de propriété.

Tout le monde connaît la source du décret impérial de 1810.

Voilà donc pour la ville de Bruxelles.

Maintenant, la grande majorité des habitants des faubourgs, faisant partie,comme la ville de Bruxelles, de l’arrondissemcnt qui m'a envoyé dans cette enceinte, s'opposent aussi à la réunion et donnent à cet égard d'excellentes raisons.

(page 1604) Je dis et j'ai le droit de dire, la grande majorité, car les protestations unanimes de toutes les administrations communales sont là pour le démontrer.

J'attache peu de prix aux pétitions individuelles, tout en protestant de mon respect pour le droit de pétition. Aussi, quelque nombreuses qu'elles soient contre la réunion, je les abandonne volontiers à la critique de l'honorable M. Thiéfry ; mais je vais me servir d'un de ses arguments pour lui prouver toute l'importance des pétitions émanant des administrations communales.

Les administrations communales représentent bien certainement les habitants de leurs communes, chaque fois qu'il s'agit d'intérêts communaux, car ces administrations sont les fruits de l'élection populaire, et îl ne peut y avoir d'intérêt communal plus vital que celui qui se rattache à l'existence même d'une commune.

Eh bien ! dans l'occurrence, les administrations de toutes les communes suburbaines, remplissant un devoir sacré, prenant en main les intérêts de tous, ont protesté unanimement, publiquement et énergiquement contre le projet de loi que nous discutons, et nous avons aujourd'hui le droit de dire, en invoquant la maxime de l'honorable M. Thiéfry dont, lui, a fait une fausse application, que les habitants qui n'ont pas réclamé contre la protestation faite en leur nom par leurs magistrats municipaux sont censés y avoir adhéré par leur silence. Je dis plus, ils sont censés avoir ratifié l'acte posé d'une manière si solennelle, car il est de principe que celui qui se tait consent ; mais dans le cas seulement oit il doit parler.

Nous pouvons donc laisser de côté les pétitions individuelles qui sont surabondantes en tant qu'elles s'opposent au projet, et ne tenir compte que de celles qui appuient la réunion ; mais ces dernières se réduisent à très peu de chose ; on sait d'ailleurs comment ces pétitions se sont produites. Il n'y a que quelques intérêts privés qui les aient dictées.

Ainsi, messieurs, puisque l'intérêt bien entendu de la capitale s'oppose à la réunion, et que les faubourgs n'en veulent pas en déclarant qu'ils n'acceptent pas l'aumône que, par humanité, suivant mon honorable ami M. Thiéfry, on vient leur offrir au nom de la ville de Bruxelles, je devrais, même en ne me considérant que comme le représentant d'une localité, voter contre le projet de loi.

Mais je ne me considère ni comme le représentant de la capitale, ni même comme le représentant de l'arrondissement de Bruxelles, ce serait rapetisser mon mandat, méconnaître mes obligations ; je suis, comme vous tous, messieurs, le représentant de la nation tout entière, et dès lors les intérêts généraux doivent seuls me servir de guide.

Or, les intérêts généraux s'opposent à l'adoption du projet de loi, et c'est ce que je vais avoir l'honneur de vous démontrer.

Le gouvernement, en vous proposant de faire de Bruxelles une capitale qui, eu égard à la population du pays, sera beaucoup plus considérable que la plupart des capitales de l'Europe vous demande, et j'ajouterai sans détours, doit vous demander des garanties dans l'intérêt du pouvoir exécutif. Ces garanties se résument dans des modifications à la loi du 30 mars 1836 et constituent autant d'atteintes aux franchises communales qui sont la force et l'orgueil de la Belgique.

Pour mon compte, quelles que puissent être les circonstances et sous aucun prétexte je ne consentirai jamais à me rendre solidaire de pareilles atteintes.

Je n'ai pas oublié la mémorable discussion de 1842 à laquelle je me fais honneur d'avoir pris une large part ; les principes que je cherchais à faire prévaloir alors et qui ont prévalu en 1848 sont encore les principes qui me guident aujourd'hui.

C'est une question toute nationale, une question qui se rattache au caractère du peuple belge, que celle que soulève pour la quatrième fois le projet de loi.

La liberté communale est la première de toutes les libertés d'un peuple, c'est elle qui fait sa force, son énergie, sa sagesse ; c'est à elle que la Belgique a dû sa prospérité au moyen âge, c'est à elle qu'elle devra sa durée et sa puissance. C'est donc vainement que l'on chercherait de nouveau à saper une institution que le pays veut conserver, car je le crains bien, messieurs, on commencerait par la capitale et on finirait par toutes les villes importantes du royaume.

C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Nous sommes libres, mais nous avons besoin d'être forts. C'est pour cela que nous ne pouvons point consentir à porter la moindre atteinte aux libertés communales.

Ce sont les institutions communales qui mettent la liberté à la portée du peuple, qui lui en font goûter l'usage paisible et l'habitude de s'en servir. Il serait injuste de concentrer la liberté dans les régions supérieures et de l'arracher à ceux qui, au prix de leur sang, en ont jeté les preniieis fondements.

Notre Constitution, la plus libérale du monde, répondait à toutes les exigences, elle avait sanctionné les principes de la république avec les formes monarchiques.

En 1831, on avait admis l'élection directe, par le peuple, des bourgmestres et écbevins.

En 1836, il faut bien en convenir, on a porté une première atteinte aux principes proclamés en 1831 en ce qui concerne les libertés communales.

Car, ne nous le dissimulons point, l'élection directe, c'est le principe de la république.

La nomination des bourgmestres et échevins hors du sein du conseil, c'est l'absolutisme, c'est le principe tout opposé.

La nomination par le roi dans le sein du conseil, c'est la monarchie tempérée, c'est le principe que vous avez admis en 1836.

Ces distinctions, nous les trouvons établies dans les discours des orateurs français, lors de la discussion de la loi de 1831.

Les paroles de M. de Montalembert à la chambre des pairs sont surtout remarquables. Il établissait la distinction que je viens de faire. Il trouvait bon le projet basé sur le principe de la monarchie tempérée, mais il aurait voulu plus, il aurait voulu le principe de l'élection directe par le peuple.

« Je le répète, disait-il, et je le répéterai toujours, il n'y a de salut pour la France, surtout depuis la révolution de juillet, que dans l'appui des masses, mais pour avoir cet appui il faut leur donner une large intervention dans l'administration de leurs intérêts locaux. »

Qu'aurait dit M. de Montalembert s'il avait parlé pour la Belgique, peuple infiniment plus sage de l'aveu de tous, en présence d'une constitution dix fois plus libérale que la charte française, puisque l'article 25 proclame que tous les pouvoirs émanent de la nation.

Le Congrès national a voulu satisfaire toutes les opinions, étouffer tous les partis. Il satisfait d'abord les partisans de la république en consacrant des principes républicains sous les formes monarchiques.

En dépassant la limite de 1836, en retournant à l'absolutisme dans le principe de la nomination des bourgmestres hors du conseil, on s'expose à faire naître de nouveaux prétextes, à encourager de nouvelles exigences.

Qu'on ne me dise pas qu'il ne s'agit que d'une exception pour la ville de Bruxelles, car, ainsi que je l'ai fait remarquer, on ne manquera pas, en alléguant des motifs semblables, d'étendre celle exception à toutes nos villes importâmes.

D'ailleurs, ne serait-ce pas déjà un danger assez grand que de froisser les susceptibilités de la capitale dans laquelle, au lieu de citoyens, on ne trouverait plus que des administrés et des fonctionnaires au lieu de magistrats municipaux ?

Èt, messieurs, qu'on ne le perde pas de vue. La Belgique ne date pas de 1830 ; la liberté pour nous n'a pas son berceau dans 1789. C'est au xue siècle que les Belges oui créé leurs communes et fondé leurs franchises.

Dans la discussion de 1842, l'honorable M. Nothomb, que nous rencontrions alors comme adversaire implacable, nous citait plusieurs ordonnances des XIIIème et XIVème siècles à l'appui de son système de restriction, mais nous lui répondions que c'était précisément dans ces mêmes temps que les provinces et les villes se liguèrent pour mieux résister à l'oppression.

Nous citions entre autres la confédération entre Anvers et Turnhout de 1261 ;

Celle de 1275 entre Gand, Malines, Louvain, Bruxelles, Lierre et Tirlemont ;

Celle de 1315 entre le Brabant et la province de Malines ;

Celle de 1328 entre Louvain, Bruxelles et Anvers ;

Celle de 1347 entre les villes du Brabant et du pays de Liège ;

Celle de 1354 entre les villes du Brabant et celles d'Outre-Meuse.

Toutes ces lignes ayant pour objet le maintien ou le rétablissement des franchises communales.

Et on voudrait qu'au XIXème siècle, siècle de lumières et de progrès, Bruxelles, capitale, reniât ses précédents en sacrifiant ses franchises à une question d'ambition ou d'amour-propre !

L'honorable M. Nothomb parlait encore de trois commotions politiques remarquables et des réactions qui les accompagnèrent, la première, au XVème siècle ; la deuxième, au XVIème siècle, et la troisième, au XVIIIème siècle ; mais nous rétorquions contre lui les arguments qu'il voulait tirer de ces événements, car ses citations étaient ou erronées ou incomplètes.

Charles le Téméraire, le dernier duc de Bourgogne, tué devant Nancy le 5 janvier 1477, avait lassé le peuple par son despotisme.

La duchesse Marie, sa fille, réclama ses droits : on voulut bien les reconnaître, à condition qu'elle rétablît immédiatement les privilèges violés par son père et notamment les franchises communales. Ce fut Bruxelles, Bruxelles dont je suis fier, qui la première vint réclamer avec toute l'énergie dont elle était capable, le privilège de choisir ses magistrats municipaux.

Par lettres patentes, données à Gand le 11 février 1477, Marie réintégra le peuple dans ses anciens privilèges, c'était la condition de son avènement.

A peine assise sur le trône, elle rétracta les concessions qu'elle avait faites et elle osa prendre pour prétexte qu'elles lui avaient été extorquées par violence ; Marie et Maximilien, par lettres patentes du 22 juin 1480, abrogèrent les privilèges restitués par la patente du 11 février 1477.

Voilà en deux mois ce qui se rattache à la première commotion, celle du XVème siècle.

Dans la révolution du XVIème siècle, on voit se reproduire les mêmes causes suivies des mêmes effets. Cette fois encore le despotisme avait excité dans tous les cœurs une haine violente.

Le besoin de garanties contre le retour d'une domination tyrannique était généralement senti ; toutes les réclamations faites à cette époque par les représentants du pays déposent de ce sentiment.

Voulez-vous une nouvelle preuve du droit qui compétait au peuple d'élire ses magistrats, vous la trouverez dans les lettres patentes de (page 1605) Charles V du 14 février 1522 ; ces lettres patentes portent que l'empereur retire aux communes le privilège d'élire leurs magistrats (ce qui démontre à l'évidence qu'elles en jouissaient auparavant), et il donne pour motif que « ce privilège était de grande charge et dommage aux bourgeois ; qu'il l'était surtout aux gens de métier, lesquels lorsqu'ils étaient créés prévôts, jurés, mayeurs ou échevins, négligeaient les travaux de leurs métiers, et laissaient par là leurs femmes et leurs enfants sans moyens d'existence, etc. »

Toutes ces allégations, dit M. Gachard dans son Précis du régime municipal, étaient peut-être mal fondées, peut-être aussi n'étaient-elles que des prétextes, comme on en trouve aisément, lorsqu'on est le plus fort pour justifier ses actes.

La troisième commotion, savoir la révolution brabançonne de 1790, n'offre pas de meilleurs arguments en faveur du système restrictif.

Tout ce qui est établi par l'histoire, c'est que les ordres des citoyens s'adressèrent à Joseph II avant de recourir au moyen extrême d'insurrection, que le prince resta sourd à leurs justes réclamations et que sa déchéance fut prononcée par les états.

Les gouvernements, qui se sont succédé pouvaient puiser d'utiles leçons dans les commotions politiques auxquelles la Belgique a été en butte, ils les ont oubliées ou ils n'ont pas voulu se les rappeler.

Après que nous fûmes débarrassés de la tutelle de la sainte alliance, une constitution nous fut imposée ; elle consacrait certains principes de liberté, qui, s'ils eussent été respectés, eussent puissamment servi le roi et la nation ; mais malheureusement elle avait laissé au souverain la faculté de régler, par des arrêtés, les institutions provinciales et communales, et cette faculté contribua par la suite à sa perte.

Guillaume, comme tant d'autres, s'était d'abord rendu au voeu des populations belges, mais ensuite, comme tant d'autres, il est revenu sur les concessions qu'il avait faites.

Les articles 64 et suivants du règlement organique des villes du 12 mai 1817 consacrent l'élection directe des membres du conseil conformément à l'articles 133 de la loi fondamentale. Les votants nomment d'abord un collège électoral.

D'après l'article 36 nul ne peut être bourgmestre ou échevin s'il n'est membre du conseil et l'article 37 dispose que les bourgmestre et échevins sont nommés par le Roi sur une liste triple qui lui est présentée par le conseil.

Pendant plus de 7 ans ce règlement fut en vigueur, jamais le moindre inconvénient n'a été signalé, l'ordre et la tranquillité régnaient partout.

L'époque fixée par la loi fondamentale approchait où les règlements locaux passaient de plein droit dans la Constitution et par suite n'auraient jamais pu être modifiés ou révoqués que de commun accord entre le Roi et la législature.

Guillaume profita de cette circonstance pour corriger le règlement de 1817, c'est-à-dire pour détruire les garanties populaires et restaurer l'absolutisme.

En 1824 il fit un nouveau règlement pour les villes, qu'il fit suivre, 1825, d'un règlement pour le plat pays.

D'après ces règlements les bourgmestre et échevins peuvent être pris hors du conseil communal, ils sont nommés par le roi, sans présentations, toutefois le roi ne peut ni les suspendre ni les révoquer.

Le peuple, comprenant toute l'importance des franchises communales, n'a cessé de réclamer jusqu'à la révolution ; il a redemandé avec instance les dispositions du règlement du il mai 1817. C'était un des griefs qui ont donné lieu à la commotion de 1830.

Le gouvernement provisoire par son arrêté du 16 octobre 1850 s'empressa de rétablir les franchises communales qui étaient l'objet des vœux de la nation ; il proclama l'élection directe, par le peuple, des bourgmestres, échevins et conseillers de régence ; cet arrêté portait les signatures des honorables MM. Rogier et Félix de Mérede.

Plus tard, le gouvernement provisoire, dans son discours d'ouverture du Congrès national, en parlant des réparations auxquelles le peuple avait droit, cita, en première ligne, les élections populaires des bourgmestres et des régences.

La Constitution de 1831 a proclamé à son tour, comme un principe général, l'élection directe pour les institutions provinciales et communales et des commissaires du gouvernement près les consuls provinciaux. C'était déjà un retour, il faut bien le dire, sur l'arrêté et le discours, du gouvernement provisoire.

En 1836, ainsi que nous l'avons dit, après de longues et vives discussions, la législature prit un terme moyen pour concilier la règle avec l'exception. Par forme de transaction, il fut décrété que non seulement les bourgmestres, chefs des administrations communales, pourraient être soustraits à l'élection directe, mais qu'il en serait de même des échevins, à condition que pour les uns et pour les autres le choix du Roi ne pût porter que sur les membres du conseil.

Cette loi avait à peine cinq ans d'existence, que le gouvernement, sans même avoir pour lui l'expérience du temps, chercha déjà à la renverser, et il y parvint en 1842 : c'était sous le ministère de l'honorable M. Nothomb.

C’était aussi à cette époque néfaste qu'une proposition de fractionnement surgit dans cette enceinte et y fut accueillie. La loi de fractionnement fut abrogée plus tard.

Toute la phalange libérale avait fait de grands mais inutiles efforts pour s'opposer à ces mesures réactionnaires que le pays sut apprécier dès le principe à leur juste valeur.

J'ai relu les divers discours que j'ai prononcés dans la mémorable discussion de 1842, et mes convictions sont restées ce qu'elles étaient alors ; elles sont mêmes devenues plus fortes.

Je dois à la justice de déclarer que quelques membres qui d'ordinaire ne marchent pas sous notre bannière avaient joint leurs voix aux nôtres pour faire maintenir intactes des libertés qu'eux aussi considéraient comme la force et la gloire du pays. J'aime à croire que leurs opinions sont restées les mêmes. A côté de nos noms figuraient en 1842 ceux des honorables MM. de Decker, Doignon, Dumortier, Rodenbach et Dubus aîné.

D'après la loi de 1842 le roi nommait le bourgmestre soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs de la commune âgés de 25 ans accomplis.

Dans la majorité qui a voté cette loi, il se trouvait, je le sais, un nombre de membres qui ne voulaient adopter qu'une mesure administrative et qui ne partageaient pas les craintes que nous avions manifestées. Or, qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement a abusé de cette mesure qu'on considérait comme purement administrative, c'est qu'il en a fait une mesure politique.

Le libéralisme revenant au pouvoir, après avoir constaté les abus de la faculté accordée naguère au gouvernement, ne tarda pas à proposer à la législature le retrait de au loi de 1842 et la remise en vigueur du principe de la loi de 1836. Il déposa dès le mois de février 1848 un projet de loi dans ce sens. Ce projet accordait néanmoins au roi, pour des cas très rares, le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil parmi les électeurs de la commune âgés de 25 ans, mais de l'avis conforme de la députation permanente.

Voici ce que disait notre honorable président dans la séance du 25 février 1848 :

« La nomination du bourgmestre par le roi dans le sein du conseil était une transaction acceptable entre divers principes, entre divers intérêts ; c'était une combinaison destinée à concilier.

« Ils ont été bien mal inspirés ceux qui en 1842 ont donné au roi le droit de nommer les bourgmestres en dehors du conseil ; ils ont porté par là une grave atteinte aux droits des communes, ils ont froissé un des sentiments les plus vifs du pays ; les Belges, nous Liégeois surtout, ont toujours attaché un grand prix au maintien de leurs franchises. »

Mon honorable ami M. Delfosse, après avoir démontré que le gouvernement avait abusé de la loi de 1842 pour s'en faire une arme politique, ajoutait :

« Le projet de loi n'est pas, à la vérité, un retour pur et simple à la loi de 1836 ; il permet encore de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, de l'aris conforme de la députation permanente, mais cette dernière condition nous donne la garantie qu'on n'usera de la faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil que dans des cas extrêmement rares, que dans le cas où il n'y aurait pas moyeu de trouver dans le conseil un seul homme pouvant ou voulant accepter les fonctions de bourgmesire. »

L'honorable M. H. de Brouckere, alors notre collègue, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, répondant à l'honorable M. Castiau qui ne voulait admettre aucune exception à la nomination du bourgmestre dans le conseil, pas même de l'avis conforme de la députation permanente, s'exprimait ainsi dans la même séance du 23 février :

« L'opposition que fait l’honorable M. Castiau au projet du gouvernement est fondée sur cette considération, que dans les conseils communaux on trouvera toujours au moins un homme capable d'être bourgmestre et disposé à accepter ces fonctions. Il est donc complètement inutile, d'après l'honorable membre de prévoir le cas où, dans l'intérêt public, il faudrait prendre le bourgmestre en dehors du conseil.

« Messieurs, je puis déclarer à la Chambre que dans ma carrière administrative, j'ai rencontré des cas où il y avait impossibilité absolue de trouver parmi les conseillers communaux un bourgmestre ou capable ou qui voulût accepter ; et si l'honorable M. Castiau veut en avoir la preuve, je le prie de relire l'enquête qui a été publiée en 1842... »

L'honorable M. de Brouckere, après avoir cité un fait qui s'éyait passé sous son administration dans la province d'Anvers, ajoutait :

« La loi du 30 mars 1836 présentait donc évidemment une lacune en ce qui concerne la nomination des bourgmestres.

« C’est, messieurs, ce qui a amené la modification votée en 1842.

« Mais dans la majorité qui a voté cette modification il se trouvait, j'en suis certain, un grand nombre de membres qui ne voulaient adapter qu'une mesure administrative. Or qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement a abusé de cette mesure purement administrative ; c'est qu'il en a fait une mesure politique ; c'est qu'il y a puisé des moyens d'influence ; et voilà, messieurs, ce qui a amené les récriminations contre cette modification à la loi de 1836, et voilà ce qui a mis le gouvernement dans la nécessité de revenir à une législation plus sage.

« Selon moi, messieurs, le projet du gouvernement répond à toutes les nécessités et prévient tous les abus.

« Il répond à toutes les nécessités, car il est certain que lorsqu'il s sera impossible de trouver duus une comme un bourgmesire (page 1606) convenable la députalion permanente n'hésitera pas à émettre l'avis qu'il y a lieu de prendre le bourgmestre en dehors du conseil.

« Il préviendra les abus, parce qu'aucune députation permanente dans le royaume ne comentira à ce qu'on prenne un bourgmestre en dehors du conseil dans des vues politiques, dans des vues d'influence.

« Elle ne consentira pas, comme cela est arrivé dans le passé, qu'au lieu de prendre un bourgmestre en dehors du conseil dans l'intérêt de la commune on le fasse contre l'intérêt de la commune. »

Dans la éance du 24 février, le projet de loi fut adopté à l'énorme majorité de 62 voix contre 10 et la loi de 1836 fut remise en vigueur avec la seule modification que pour des cas très rares, à savoir lorsqu'il serait impossible de trouver un bourgmestre convenable parmi les membres du conseil, le roi pourrait nommer en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députalion permanente.

Et aujourd'hui, le croirait-on ?, comme prix de l'annexion des faubourgs à la ville de Bruxelles, le gouvernement vient nous demander le retour à la loi néfaste de 1842 ; il va même beaucoup au-delà ; car d'après le projet, non seulement le gouvernement pourra dans tous les cas nommer le bourgmestre en dehors du conseil, mais on étend considérablement les attributions de ce bourgmestre et on porte ouvertement atteinte aux prérogatives de la commune.

M. le ministre de l'intérieur ne s'en est pas caché et je le remercie de sa franchise, ce n'est pas cette fois par mesure administrative que dans le projet qui nous est soumis, le gouvernement sollicite des modifications à là loi communale, c'est bien décidément dans un but politique, et cela est si vrai que l'honorable M. Piercot nous a annoncé qu'il demanderait à la Chambre, lors de la discussion des articles, de commencer cette discussion par l'article 12 relatif à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, bien résolu qu'il était de retirer le projet de loi, si cet article venait à être rejeté.

Voici ce que disait l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance d'avant-hier.

« Le gouvernement devrait, lui responsable, aller demander à un pouvoir d'une autre origine, qui n'a aucune responsabilité, la permission de choisir librement son représentant dans la capitale !

« Non seulement un pareil système n'est pas logique, mais les conséquences pourraient en être tellement exorbitantes que je ne concevrais pas un gouvernement qui consentirait à réunir, sous une direction unique, une population de 300,000 à 400,000 âmes, s'il ne possédait pas la liberté de nommer et de révoquer le chef de la police d'une semblable commune librement et sans partage d'autorité avec qui que ce soit. »

Plus loin :

« La section centrale n'a pas admis l'article 12 et elle a rejeté toutes les autres dispositions du chapitre III comme conséquence de la résolution prise de ne pas admettre de modification à la loi communale.

« Comme cet article 12 renferme le principe fondamental du projet en ce qui concerne les conditions sous lesquelles le gouvernement propose de décréter la réunion, il nous semble que c'est sur ce point que la discussion devra d'abord porter, parce que de son adoption ou de son rejet peut dépendre l'utilité d'examiner les autres dispositions du projet. »

Voilà donc l'intention du gouvernement bien arrêtée de ne pas consentir à l'annexion des faubourgs à la capitale si de son côté la législature ne consent pas à apporter d'importantes modifications à la loi communale et à lui donner ainsi des garanties d'ordre et de stabilité que réclame, dit-il, une responsabilité plus grande qui va peser sur lui.

Le ministère persévérera-t-il jusqu'au bout dans cette intention ou bien fera-t-il des concessions pour accréditer son projet de loi, sauf à provoquer plus tard des mesures qu'il se voit dans l'impossibilité de faire admettre aujourd hui et à renouveler alors la fâcheuse campagne de 1842 ? C'est ce que la suite de la discussion va nous apprendre.

Les craintes manifestées par le gouvernement ne sont pas, toutefois, sans fondement, mais je suis loin d'admettre, avec lui, que le bourgmestre nommé dans le sein du conseil communal ne soit pas indépendant, et cède le plus souvent à des préoccupations électorales, car c'est là une injure gratuite jetée à la face de nos magistrats municipaux.

La capitale de la France, divisée en 14 arrondissements ou mairies, est administrée par un préfet ayant à ses côtés un conseil de 32 membres dont les attributions sont limitées.

Ce conseil ne peut se réunir que sur la convocation du préfet ; ses réunions sont peu fréquentes et il ne délibère que sur des objets déterminés.

En outre, la loi donne au gouvernement la faculté de dissoudre les conseils communaux.

Ce sont là des garanties que la France a cru devoir se donner contre une commune trop grande et trop puissante ; elle n'a pas oublié que, sous l'ancienne révolution, la commune de Paris n'avait pas cessé de lutter avec la Convention, la plus formidable des assemblées, et qu'elle avait fini par l'absorber.

En Belgique on veut créer une capitale de 300,000 à 400,000 âmes, qui, pris égard à la population du pays, sera beaucoup plus considérable que la plupart des capitales de l'Europe ; cette capitale sera plus considérable aussi qu'aucune de trois provinces de Namur, de Limbourg et de Luxembourg, et c'est pour quoi le gouvernement veut faire de Bruxelles une nouvelle, une dixième province. C'est bien là le sens du discours du ministre de l'intérieur. Or nos provinces se trouvent administrées par un gouverneur qui est l'agent du gouvernement ; le conseil provincial ne peut se réunir qu'une fois par an en session ordinaire, la durée de cette session est de 15 jours, et avec le consentement exprès du gouverneur elle ne peut être prorogée au-delà de 4 semaines. Enfin les attributions du conseil provincial sont restreintes.

Donc, pour être logique, le gouvernement vous demande de faire du bourgmestre de Bruxelles une espèce de gouverneur et du conseil communal une espèce de conseil provincial.

Il ne peut pas consentir à ce qu'un conseil communal, émanation d'une population de 300,000 à 400,000 âmes, ayant à sa tête un homme pris dans son sein et par conséquent fruit de l'élection populaire, un conseil ayant d'autant plus d'importance qu'il siège dans la capitale, puisse se réunir tous les jours, délibérer sans réserve sur tous objets d'intérêt eommunal et sous prétexte d'intérêt communal contrôler, critiquer les actes du gouvernement sans même que celui-ci ait la faculté de le dissoudre, faculté qui d'ailleurs serait illusoire et même dangereuse.

Le gouvernement a donc fait ses conditions, elles sont rigoureuses mais nécessaires peut-être, car quels que soient la sagesse et le patriotisme de nos populations, le législateur doit parer à toutes les éventualités de l'avenir.

Je ne sais pas si les partisans quand même de l'annexion acceptent ces conditions, mais quant à moi, comme Belge et comme Bruxellois, je les repousse de toute l'énergie de mon âme. Je ne consentirai jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être, à abandonner aucune de nos franchises communales, à porter la moindre atteinte à la loi de 1836, combinée avec celle de 1848. Je ne consentirai jamais à rayer Bruxelles de la liste des communes belges. L'érection de Bruxelles en province serait l'anéantissement de Bruxelles comme commune, en même temps qu'elle serait l'anéantissement de six communes suburbaines.

C'est ici, messieurs, le point culminant de la discussion. Aussi je défie mes honorables contradicteurs de répondre au dilemme que je vais leur poser.

Ou l'annexion serait votée par les Chambres sans qu'il soit apporté aucune modification à la loi de 1846 combinée avec la loi de 1848, et dans cette hypothèse, c'est le pouvoir exécutif qui est menacé. Le gouvernement a proclamé cette vérité en termes explicites et il l'a appuyée de raisons qu'il serait difficile de renverser.

Ou l'annexion ne serait votée que sous la condition écrite dans les articles 12 et suivants du projet, et dans ce cas ce sont les libertés communales qui sont sacrifiées. Il faudrait rester sourd aux enseignements de l'histoire pour ne pas être convaincu qu'un régime exceptionnel, favorable au pouvoir central, puisse longtemps subsister à l'état d'exception. Une fois appliqué à Bruxelles, le système de la mise en tutelle des communes serait bientôt étendu à Gand, à Liège, à Anvers, à des villes de second ordre peut-être ; le discours de l'honorable ministre de l'intérieur justifie déjà ces appréhensions. « On admettra sans doute bien, disait l'honorable ministre au début de la discussion, que dans des grandes villes la direction de la police est entourée d'obstacles sérieux qui rendent parfois assez difficile le choix du bourgmestre dans le sein du conseil. Or, combien ces difficultés ne s'aggravent-elles pas en présence d'une agglomération de 300,000 habitants ! » Que nos grandes villes se tiennent pour dûment informées.

Il y a donc dans l'annexion des faubourgs à la capitale ou danger pour l'action du pouvoir exécutif, ou danger pour les franchises communales. Je ne veux ni de l'un ni de l'autre de ces extrêmes, et c'est principalement par ce motif que je suis hostile au projet.

L'annexion, d'ailleurs, présente, dans mon opinion, des dangers réels au point de vue national.

La réunion c'est la centralisation, et la centralisation contraire à nos mœurs ce n'est pas seulement une menace pour la liberté, mais c'est encore pour la nationalité belge un élément de dissolution. Je n'entrerai pas dans des détails à cet égard, convaincu que je suis d'être compris par la Chambre et par le pays.

Qu'on ne m'objecte pas que je combats l'aggrandissement de la capitale et que cet agrandissement existe de fait, car grande est la différence entre l'agglomération de fait dont nous sommes fiers et heureux dans l'intérêt de Bruxelles, comme dans l'intérêt des faubourgs, et l'agglomération de droit résultat d’une unité administrative qui, dans notre manière de voir, présente les plus graves inconvénients. Il ne faut pas que Bruxelles soit accusée d'ambition inconsidérée par nos villes de province, il ne faut pas qu'on lui suppose l’intention de pouvoir se dire un jour : « La Belgique, c'est moi. »

Et au point de vue de la police que les partisans de l'annexion ont tant à cœur, il n'y a, quoi qu'on dise, absolument rien à craindre.

La police se divise en trois grandes branches :

1° La police générale dite administration de la sécurité publique ;

2° La police de répression dite judiciaire ;

3° La police locale.

L'unité existe évidemment pour les deux premières branches : l'une rentre dans les attributions de l'administration de la sûreté publique, dont l'action s'étend sur tout le royaume ; l'autre est exercée par le procureur du roi dans toute l'étendue de son ressort.

Il n'y a donc aucun danger lorsqu'il s'agit de faits de nature à compromettre la sûreté de l'Etat ou même de simples faits constituant des crimes ou des délits, car l'administrateur de la sûreté publique et le procureur du roi ne se trouvent pas arrêtés dans leurs investigations aux portes de la ville, leur juridiction s'étend sur (page 1607) et les administrations des communes suburbaines sont obligées en tout temps et en toutes circonstances de leur prêter main forte.

Il ne reste que la troisième branche, la police locale, pour laquelle l'unité manque.

Mais qu'on ne l'oublie point, il y a une grande différence entre une administration unique et des administrations uniformes. L'uniformité d'action est beaucoup plus efficace que l'unité d'action.

L'unité d'action laisse certes beaucoup à désirer sur un trop grand nombre. Ainsi, personne n'osera soutenir que la police locale, dont la direction est abandonnée à un seul homme dans une ville de 300,000 à 400.000 âmes, ne fasse plutôt défaut que la police confiée à des agents actifs et intelligents dans des agglomérations moins importantes.

Pour démontrer cette assertion, je ne puis mieux faire que de laisser parler l'honorable M. de Ch. Brouckere, dont personne ne contestera la compétence en pareille matière.

A propos de l'annexion du Quartier-Léopold, le 5 juin 1852, l'honorable bourgmestre de Bruxelles, comme vous l'a rappelé l'honorable M. de Steenhault, disait au sein du conseil communal :

« Voilà trois ans que j'écarte cette question, parce que je trouve que la police d'une ville de 150,000 habitants et d'un périmètre tel que celui que nous avons, le contact direct que doit avoir le chef d'administration avec une pareille population, est déjà une tâche assez rude. »

Oui, nous le disons avec l'honorable M. de Brouckere, cette tâche est déjà assez rude, et on veut la rendre plus rude encore, nous pouvons ajouter impossible à remplir d'une manière convenable, en incitant le chef de l’administration future en contact avec une population double dans une ville d'un périmètre cinq fois plus considérable.

Lorsque l'année dernière j'ai vote l'annexion du Quartier-Léopold, je partageais les appréhensions de l'honorable M. de Brouckere ; aussi ne l'ai-je votée que comme une nécessité au point de vue du prolongement de la rue de la Loi, mais dans mon intention c'était bien là l'extrême limite.

L'impossibilité de bien administrer quant à la police une agglomération de 300,000 à 400,000 âmes est donc clairement démontrée et je ne reviendrai plus sur ce point.

Maintenant s'il n'y a pas d'unité quant à la police par rapport à la ville et aux faubourgs, en ce sens que la police est aux mains d'administrations différentes, il y a à coup sûr uniformité de vues dans les règlements de la ville et des communes environnantes, sinon dans les termes, tout au moins dans les obligations qu'ils consacrent.

Et même si cette uniformité n'existait pas partout, il serait facile de la compléter et de l'étendre par un concours commun, et si une loi devenait indispensable pour assurer ce concours, je n'hésiterais pas à l'appuyer de mon vote.

Quant à la voirie et aux embellissements qui servent encore de prétexte aux partisans du projet, il n'y a aucun danger sérieux dans le maintien d'administrations différentes. Depuis longtemps le gouvernement a pris des mesures auxquelles nous ne pouvons qu'applaudir. Dès 1828, des plans généraux furent successivement décrétés, coordonnés dans leur ensemble par l'arrêté royal du 25 avril 1846. Ces plans reçoivent une exécution régulière, et un ingénieur des ponts et chaussées est chargé de surveiller cette exécution.

Si d'autres besoins se faisaient sentir, d'autres plans encore pourraient être arrêtés, coordonnés, et de nouvelles mesures dans le sens de celles que nous avons indiquées pourraient être prises.

On nous a beaucoup parlé du mur et du fossé d'enceinte qui gênent la circulation et qui sont d'un aspect désagréable. Eh bien, personne ne s'oppose, ni dans la ville ni dans les faubourgs, à ce qu'on fasse disparaître ces mur et fossé, et pour mon compte je le désire vivement.

Il est vrai que pour atteindre ce but il faut ou abolir l'octroi ou reculer l'enceinte.

Quant à moi, je ne veux pas reculer l'enceinte au-delà des limites du Quartier-Léopold, car ce serait l'absorption des communes suburbaines. Je ne veux pas quintupler le périmètre de Bruxelles, je ne veux pas soumettre cent ou cent cinquante mille de mes concitoyens à l'octroi qu'iis ne payent pas aujourd’hui.

Je veux l'abolition de l'octroi, mais je ne me contente pas de paroles, il me faut des faits ; c'est un impôt que j'ai toujours combattu et que je ne cesserai jamais de combattre aussi longtemps que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte. Le maintien de l'octroi est donc encore un des motifs de mon opposition au projet de loi.

Mais le maintien de l'octroi et le rejet du projet de loi n'impliquent pas même le maintien de ce mur et de ce fossé qui font l'objet de tant de réclamations, car ces mur et fossé sont principalement ceux qui séparent la ville du Quartier-Léopold, et ceux-là doivent disparaître, comme conséquence de l'annexion que nous avons proclamée l'année dernière ; il serait d'ailleurs possible, à peu de frais, là où le besoin s'en ferait sentir, de remplacer une partie d'autres murs et fossés par une clôture plus convenable. N'est-ce pas à la sollicitude et au zèle de notre honorable collègue le bourgmestre de Bruxelles que nous devons, la belle grille qui entoure le parc ?

J'aurais à répondre encore à bien d'autres objections, mais je sens que j'ai déjà été bien long et il me tarde de terminer ; je ne dirai plus qu'un mot et cela en réponse à une objection qui est dans toutes les bouches et qui cependant n'a rien de solide.

Les faubourgs, dit-on, jouissent des nombreux avantages qu'offre la capitale sans contribuer à aucune charge.

Mais, messieurs, les faubourgs jouissent des avantages de la capitale au même titre que les villes de province, dont plusieurs, par suite des facilités de communication qu'offrent nos voies ferrées, sont à ses portes.

La capitale a un immense intérêt à attirer dans son sein les habitants de tous les points du pays sans en excepter ceux des faubourgs, car sans ce grand concours de consommateurs et d'acheteurs, le commerce de Bruxelles ne pourrait pas subsister ; si Bruxelles offre des avantages aux habitants du dehors, c'est donc uniquement à son profit.

D'ailleurs les faubourgs payent ce qu'ils demandent à Bruxelles : hôpitaux, octrois, spectacles, chaises du parc, chaises dans les églises et beaucoup d'autres choses encore. Je dis « octrois », car M. le ministre de l'intérieur vous l'a dit dans son discours, les habitants des faubourgs trouvant en ville des denrées de meilleure qualité que chez eux, se résignent facilement à comprendre dans les prix qu'ils payent les droits d'octrois ; je dis encore « spectacles », car il est évident pour tout le monde que les divers théâtres, beaucoup trop nombreux pour Bruxelles, ne pourraient pas vivre sans le concours des faubourgs.

Je le dis sans crainte d'être démenti, qu'on ôte la population suburbaine et les ressources de la ville se trouveraient réduites de moitié.

Enfin, s'il était possible de soutenir que les charges de la capitale doivent être supportées par tous ceux qui jouissent de ses avantages, elles devraient alors être réparties sur le pays tout entier ; mais il serait manifestement injuste de les faire peser sur des communes isolées, par le seul motif que le hasard les a placées aux portes de Bruxelles.

Mais puisqu'on a parlé d'avantages qu'offre aux faubourgs le voisinage de la capitale, avantages qu'ils n'obtiennent pas pour rien, il serait juste du moins de ne pas laisser dans l'oubli les charges considérables que ferait peser sur eux leur annexion à la ville sans leur donner un équivalent de bénéfices.

Les charges qui seraient le résultat de l'annexion vous ont été énumérées par plusieurs honorables orateurs, et je ne reviendrai pas sur ce point. Je me bornerai seulement à faire remarquer que ces charges seraient loin d'être compensées par des bénéfices équivalents et que tout au contraire les facilités de rapports administratifs qui existaient entre les habitants des communes suburbaines et leurs magistrats municipaux leur seraient enlevées.

En effet, aujourd'hui les habitants des communes suburbaines sont peu éloignés du centre de leurs administrations communales, la maison communale est pour eux, au point de vue temporel, ce que leur paroisse est au point de vue spirituel. Après la réunion ils seraient éloignés de la maison communale, quelques-uns d'eux de plus de trois quarts de lieue, car telle est la distance au moins de l'extrémité de leurs communes à l'hôtel de ville de Bruxelles. Que dirait une population de 300,000 à 400,000 âmes obligée de se priver des paroisses disséminées sur son territoire pour se contenter d'une seule et même église ?

Il y aurait des succursales, des bureaux accessoires, je le sais, mais ces bureaux accessoires, ces succursales ne seraient que des intermédiaires entre les administrés et l'administration supérieure, et pour quiconque connaît les rouages administratifs il est évident que si on veut obtenir une prompte expédition des affaires, c'est au centre qu'il faut s'adresser.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, je m'arrête, car en entrant dans des considérations d'un ordre secondaire je craindrais de distraire votre attention de la question vitale du débat, je me résume donc et je dis :

Je ne veux pas du projet de loi parce que pour donner des garanties au pouvoir exécutif je devrais sacrifier des libertés qui font la gloire et le bonheur de mon pays.

Je ne veux pas du projet parce qu'il fait de Bruxelles une dixième province à côté de la province de Brabant et qu'ainsi il efface la capitale de la liste des communes de la Belgique.

Enfin je ne veux pas du projet parce qu'il implique le maintien de l'octroi, et que je ne veux pas soumettre 150,000 âmes de plus à un impôt que je considère comme odieux et que je combats depuis 18 ans dans cette enceinte.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.