(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 515) M. Vermeire procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Vermeire présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Le sieur Van Tichelt réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Louis soit exempté du service militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Waerschoot demandent la construction d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Gonrieux demande la création d'un tribunal de première instance à Philippeville. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale de Chastre-Villeroux-Blanmont demandent que les houilles, les fontes et les fers soient soumis à un droit fiscal qui ne dépasse pas 10 p. c. de la valeur. »
« Même demande du conseil communal de Vieux-Genappe. »
« Même demande de quelques habitants de Glabais. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.
« Des habitants d'Oostroosebeke demandent que l'usage de la langue flamande soit obligatoire dans la correspondance administrative, dans les cours et tribunaux, et dans l'enseignement agricole des provinces flamandes. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement agricole et à la commission des pétitions.
« Des habitants de Louvain déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand en date du 25 décembre 1853. »
« Même déclaration d'habitants d'Oeleghem. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Wavre demande la libre entrée de la houille, du fer et de la fonte. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.
« Des habitants d'Ardoye prient la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu d'établir une incompatibilité entre les fonctions d'administrateur, de receveur ou de secrétaire du bureau de bienfaisance et celles de conseillers communaux. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la réorganisation des administrations de bienfaisance.
« Par message du 24 janvier, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre des explications sur les pétitions qui sont relatives aux inondations occasionnées par le Warmbeek, ruisseau de la Campine. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Par message du 27 janvier courant, M. le ministre des finances adresse à la Chambre des explications sur la pétition du sieur Senault. »
- Même disposition.
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plusieurs années j'ai, conjointement avec plusieurs de mes collègues, élevé la voix en faveur des décorés de la croix de Fer.
Vous savez tous que les décorés de la croix de Fer n'ont pour toute pension que 100 fr., tandis qu'on accorde aux légionnaires 250 fr. Il faut convenir que cela ne paraît pas d'une grande justice, car les uns ont comme les autres bien mérité de la patrie.
Messieurs, le nombre des décorés de la croix de Fer diminue tous les jours ; il n'en reste plus que 434. Parmi eux il y en a qui sont dans la misère ; plusieurs ont atteint un âge avancé ; parmi eux se trouvent des pères de famille qui ont beaucoup d'enfants.
Il est vraiment triste de voir en Belgique vivre dans la misère des hommes qui portent le signe de l'honneur. Je crois que le moment est venu, surtout dans cette année calamiteuse, d'améliorer le sort de ces braves. Une propositiou dans ce but, que j'ai signée,vous sera présentée. J'engage M. le ministre de l'intérieur et la chambre à bien vouloir venir en aide à ces hommes de cœur qui ont si puissamment contribué à l'indépendance de notre pays. Car ce sont ces hommes qui nous ont donné notre nationalité. Je compte assez sur les sentiments patriotiques de la Chambre pour croire qu'elle ne les oubliera pas et qu'elle fera un accueil favorable à notre proposition.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis plusieurs années, quand l'article maintenant en discussion s'est présenté à vos votes, j'ai réclamé en faveur des décorés de la croix de Fer.
Les décorés de la croix de Fer ont toutes mes sympathies, parce que ce sont les hommes qui ont fondé l'état actuel des choses, qui ont créé une Belgique indépendante, et qui, au péril de leurs jours, au péril de leur vie, ont été la cause primitive de toutes les libertés dont jouit la Belgique, et du rétablissement de notre nationalité. Or, il me semble, et il m'a toujours paru, que la nation n'était pas très généreuse vis-à-vis des véritables fondateurs de l'indépendance nationale, que c'était se montrer fort peu généreux que de leur accorder une somme de 100 fr. et pas même à tous ceux qui sont pauvres, mais seulement à un certain nombre d'entre eux.
Dans les combats pour l'indépendance nationale, c'est principalement le peuple qui a pris une part très active à la conquête de notre indépendance. Le peuple, qui se battait alors, et qu'on portait en triomphe lorsqu'il vous donnait la liberté, ce peuple n'est pas riche, et maintenant les hommes qui se battaient en 1830 ont 24 ans de plus qu'ils n'avaient à cette époque ; ils atteignent la vieillesse.
Ces hommes sont sujets aujourd'hui à toutes les vicissitudes de l'âge ; leurs infirmités se sont accrues avec les années. La plupart d'entre eux sont mariés et pères de famille. Eh bien, je le déclare, je n'ai jamais pu comprendre comment il se faisait qu'on accorde une pension de 250 fr. aux légionnaires de l'empire français et une pension de 150 francs aux veuves des légionnaires de l'empire, qui n'ont jamais rien eu en France, et qu'on ne donne qu'une pension de 100 fr. aux combattants de septembre dent plusieurs ont été blessés et dont beaucoup se trouvent dans la misère.
Ne donner que 100 fr. aux combattants de septembre et 50 francs à leurs veuves, il y a là un profond oubli de la justice, un profond oubli de ce que nous devons à la nationalité belge.
Je voudrais que les rôles fussent intervertis, je voudrais que ceux qui ont combattu pour la gloire de l'empire français ne fussent point rémunérés d'une manière plus large que ceux qui ont combattu pour l'indépendance de la patrie, qui ont combattu pour créer cette Belgique indépendante qui figure aujourd'hui d'une manière si distinguée parmi les nations de l'Europe. Eh bien, messieurs, est-ce en donnant à ces braves une aumône de 100 fr. que vous croyez acquitter la dette du sang ? Croyez-vous acquitter cette dette sacrée en donnant une aumône de 50 fr. aux veuves de ceux qui sont morts par suite des blessures qu'ils ont reçues en combattant pour notre indépendance ? Je crois qu'il faut revenir à des sentiments plus justes, à des sentiments plus patriotiques. Il faut faire pour les hommes de 1830 ce que l'honneur exige, ce que la patrie exige pour de pareils serviteurs.
Je demande, messieurs, que le crédit soit augmenté ou qu'une loi spéciale soit présentée pour faire, en faveur des combattants de septembre, ce qui est digne d'une représentation nationale qui doit être patriotique avant tout.
M. Thiéfry. - Messieurs, je me joins à mes honorables collègues qui viennent de prendre la parole à l'occasion du crédit porté au budget pour les décorés de la croix de Fer. Il y a peu de jours, on conduisait à sa dernière demeure un de ces décorés, mort dans une misère telle, qu'il a fallu que ses camarades se cotisassent pour le faire enterrer convenablement.
Messieurs, quand on se reporte à l'époque de la révolution de 1830, et qu'on songe au peu de moyens dont les Belges disposaient pour obtenir leur séparation de la Hollande, on apprécie le danger que ces hommes ont dû courir et on ne peut méconnaître que c'est au courage qu'ils ont montré que nous devons, en grande partie, d'être nation. Ils ont puissamment contribué à fonder la nationalité belge, et j'ai la conviction que si M. le ministre proposait une majoration pour venir en aide à ces quelques hommes qui restent encore et qui n'ont ni emploi ni pension suffisante, l'unanimité de la Chambre se joindrait à lui, et adopterait sa proposition.
Après avoir été si généreux pour des étrangers qu'une raison d'Etat nous a obligés de rayer des cadres de l'armée, il n'est pas à supposer qu'il y eût un seul parmi nous qui ne voulût améliorer la position des décorés de la croix de Fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, la position des légionnaires et celle des décorés de la croix de Fer ont été réglées par les législateurs qui vous ont précédés. Je sais qu'il y a une différence, regrettable, entre le chiffre de la pension qui est accordée aux légionnaires de l'empire et celui de la pension que reçoivent les décorés de la croix de Fer.
La pension des légionnaires est fixée depuis 1835. Elle l'a été sous l'empire de l'opinion alors existante que les légionnaires avaient un droit acquis à cette dotation par suite des traités politiques. Un procès avait même été porté à ce sujet devant les tribunaux. Décidé d'abord en faveur des légionnaires, il a été jugé par la cour de cassation qu'il n'y avait pas de droit acquis à leur profit. Néanmoins la législature leur a conservé la dotation dont ils avaient joui, et qui leur était plus que jamais nécessaire.
(page 516) Quant aux décorés de la croix de Fer, je reconnais que leur position n'est pas telle qu'on pourrait le désirer, eu égard aux services qu'ils ont rendus à la cause de l'indépendance nationale. Mais je dois ajouter qu'un assez grand nombre d'entre eux ne sont pas réduits à la chétive pension de 100 fr., qu'ils jouissent encore d'autres indemnités, et que, dans plusieurs circonstances le gouvernement est venu à leur aide par des subsides spéciaux. (Interruption.) Ce n'est pas une aumône ; ces subsides se donnent d'une manière digne et convenable, et ils sont acceptés avec reconnaissance.
Pour niveler les positions, il faudrait un nouveau crédit annuel de 76,000 fr. En présence de la situation du trésor, le gouvernement a pensé qu'il ne pouvait pas proposer à la législature une nouvelle dépense de cette importance. Si les honorables membres qui s'intéressent aussi vivement que nous-même à la position des blessés de septembre, croient avoir une proposition à faire, ils peuvent exercer leur droit d'initiative d'une manière aussi large qu'ils jugeront convenable, et le gouvernement examinera avec bienveillance dans quelles limites il peut s'associera cette proposition.
M. Roussel. - Messieurs, ce n'est pas impunément que les nations, les partis et les individus sont ingrats. Il est une loi de la Providence d'après laquelle l'ingratitude et l'injustice sont punies, même indépendamment des hommes. C'est vous dire, messieurs, que si vous ne récompensez pas justement et légitimement ceux qui vous ont donné votre nationalité, vous la perdrez ; et pourquoi la perdrez-vous ? Parce que ceux qui devraient la défendre n'auront plus aucun intérêt à exposer leur vie et l'avenir de leurs enfants, pour retrouver ensuite une patrie ingrate qui ne leur laisserait que la mendicité.
Messieurs, il existe un grand nombre de décorés de la croix de Fer qui sont dans le besoin et qui se rencontrent malheureux dans notre pays à coté de fonctionnaires grassement rétribués et qui, par l'accumulation de leurs traitements, ont à peu près la moitié du crédit nouveau que nous allons vous demander.
Ces patriotes doivent voir de gros fonctionnaires qu'ils ont faits en risquant leur sang et leur vie ; ils doivent les voir pourvus de toutes les jouissances de la vie. Ces décorés ont notablement servi leur pays, ils ont constitué notre indépendance, et pourtant ils doivent savoir en quelque sorte méprisés par ces hommes qu'ils ont élevés sur le pavois ! Ce n'est jamais sans qu'une larme vienne mouiller mes yeux que j'aperçois une croix de Fer sur un habit râpé.
Une si frappante injustice ne peut pas continuer. Les circonstances sont telles en Europe que nous sentons le besoin de nous rattacher plus que jamais à notre nationalité. Comment obtiendrez-vous des enfants du pays qu'ils versent un jour leur sang pour notre indépendance, si tous les jours ils ont sous les yeux le spectacle d'anciens combattants auxquels on fait la largesse d'une misérable aumône de 100 francs par an, tandis qu'on donne 250 francs aux légionnaires de l'empire ?
Il est impossible d'admettre une pareille anomalie. Aussi, mes honorables collègues, MM. Dumortier et Rodenbach se joignent à moi pour faire la proposition suivante :
« Les soussignés proposent de fixer à 250 francs les pensions accordées aux décorés de la croix de Fer peu favorisés de la fortune et d'augmenter le crédit de 76,000 francs. »
Comment ! messieurs, lorsqu'il s'est agi de la statistique l'on est venu nous menacer de la risée de l'Europe, si nous refusions la somme demandée ! Mais la statistique ne nous montre-t-elle pas les hommes qui ont exposé leur vie pour défendre leur pays sans moyens d'existence ? Nous ne devons pas leur laisser le droit de dire : « Ingrate patrie, tu ne nous donnes pas même à manger ! »
M. Thiéfry. - Je ne puis accepter ni pour mes honorables collègues, ni pour moi, les reproches que l'honorable préopinant vient d'articuler ; la Belgique n'a pas été ingrate ; on a accordé des emplois à tous ceux qui étaient capables d'en remplir un ; il reste cependant quelque chose à faire en faveur des plus nécessiteux, c'est la position de ceux-là que je voudrais améliorer ; mais je n'entends, ni comme le pense l'honorable ministre de l'intérieur, ni comme le veut l'honorable M. Roussel et ses collègues, niveler toutes les positions ; ce ne serait pas juste, puisque vous accorderiez une pension de 250 fr. à tous ceux qui ont été décorés de la croix de Fer. Parmi ces décorés il en est qui ont déjà reçu, à raison de leurs services, un emploi ; d'autres même sont pensionnés. Ceux-là ne devraient pas être compris dans le subside que je réclame de l'Etat. Je crois que l'on serait juste si on augmentait purement et simplement l'allocation d'une somme de...
En majorant, par exemple, le crédit demandé de 20,000 à 25,000 fr. on parviendrait à donner à tous ceux qui n'ont ni pension ni emploi 180 fr. ou un demi-franc par jour.
Il y a 453 décorés ; si on en défalque ceux qui sont pourvus d'un emploi ou d'une pension, il en reste 300 environ qui ne reçoivent que la dotation de 100 fr., c'est la position de ces 300 que je voudrais améliorer au moyen d'une augmentation de subside au budget de l'intérieur.
M. Vilain XIIII. - Qu'on leur donne les 40 mille francs consacrés aux fêtes nationales : c'est le meilleur emploi qu'on puisse en faire.
M. Thiéfry. - Je demande le renvoi de la proposition de MM. A. Roussel, Dumortier et Rodenbach à la section centrale qui, non seulement examinera les conséquences de l'amendement, mais aura égard aux observations qui ont été présentées, et pourra demander des renseignements particuliers à M. le ministre de l'intérieur. De cette manière on arrivera à quelque chose de juste et de raisonnable.
M. Roussel. - Il y a une proposition de renvoi à la section centrale ; je ne m'y oppose en aucune façon. Néanmoins je suis convaincu, d'après ce qui vient de se passer jusqu'à présent dans la discussion du budget, qu'il est impossible que notre proposition ne revienne pas de la section centrale avec l'appui de cette même section. Mais je demande avant tout la permission de répondre à certaines observations présentées par l'honorable M. Thiéfry.
L'honorable M. Thiéfry nous apprend que certains décorés de la croix de Fer ont reçu des emplois. D'abord, je ferai remarquer que les décorés de la croix de Fer dont il s'agit ici sont en général peu favorisés de la fortune, ce qui résulte du libellé même du budget. Ceux mêmes qui sont employés ont des traitements tellement infimes qu'ils ne peuvent suffire à leur subsistance, et encore moins au désir de reconnaissance que nous portons tous dans nos cœurs.
Mais M. Thiéfry oublie que dans ce même article 47 nous trouvons une anomalie : sans qu'on sache si certains légionnaires sont véritablement peu favorisés de la fortune :, on leur donne 250 fr.
- Un membre. - Pas à tous.
M. Roussel. - Pas à tous, soit. Mais n'y a-t-il pas quelques-uns de ces légionnaires qui sont dans la position que l'honorable M. Thiéfry attribue à certains décorés de la croix de Fer ? N'y en a-t-il pas qui possèdent un emploi quelconque ? Je serais très curieux de faire la décomposition du tableau, et vous auriez la preuve que les légionnaires sont évidemment favorisés par la pension de 250 fr. au détriment des décorés. Notre pays ne peut pas permettre plus longtemps une telle inégalité.
Ou ne doit pas récompenser les légionnaires plus que les décorés de la croix de Fer, la position étant égale, c'est-à-dire les uns et les autres étant peu favorisés de la fortune.
On parviendrait, assure-t-on, à l'aide de la proposition qu'on essaye de substituer à la nôtre, à attribuer un demi franc par jour aux plus malheureux des décorés de la croix de Fer. Hélas ! Qu'est-ce donc que ce petit demi-franc par jour pour récompenser de pareils services ? A peine osé-je articuler ces mots : Un demi-franc par jour.
Certes, messieurs, c'est un devoir de travailler pour son pays avec désintéressement ; c'est même quelquefois un devoir de souffrir des injures, des outrages, des injustices, alors qu'on travaille avec désintéressement pour sa patrie. C'est une obligation pour tout le monde, je le reconnais ; mais il est aussi pour la patrie un devoir non moins sacré : quand des hommes ont rendu quelques services éminents et qu'ils sont arrivés au déclin de la vie, la patrie leur doit une autre récompense qu'un demi-franc par jour, surtout lorsque le pain est au prix que vous connaissez.
- Le renvoi de ce chapitre et des amendements à la section centrale est mis aux voix et prononcé.
M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, l'année dernière j'ai appelé votre attention sur une question en quelque sorte toute spéciale pour les Flandres. Je veux parler de la régularisation des anciens règlements concernant les fermiers entrants et les fermiers sortants, qui y sont encore en vigueur.
J'ai engagé le gouvernement à vous présenter un projet de loi ayant pour objet de donner à l'autorité provinciale le pouvoir de réviser ces règlements.
M. le ministre de l'intérieur a bien voulu reconnaître que, tout en respectant le droit de propriété auquel on ne doit porter aucune atteinte, il y aurait avantage à corriger certaines dispositions vicieuses de nos coutumes séculaires. La question devait être soumise à un examen particulier tant au département de l'intérieur qu'à celui de la justice ; jusqu'à présent aucune décision n'est intervenue.
Vous remarquerez, messieurs, qu'il ne s'agit pas ici de mesures générales, d'une modification profonde de notre législation civile ; nous nous bornons à demander que dans les contrées où les anciennes coutumes sont encore en vigueur, les conseils provinciaux puissent les amender selon les besoins actuels de l'agriculture et sauf approbation du gouvernement.
Le conseil provincial de la Flandre orientale pour ainsi dire à l'unanimité, il y a deux ans, s'est prononcé pour la révision. Les comices s'en sont vivement préoccupés et ont fait entendre d'incessantes réclamations.
Il faudrait des motifs bien graves pour s'opposer à une amélioration qui a une très grande importance pour les Flandres. J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien nous faire connaître les intentions du gouvernement à cet égard.
Messieurs, j'ai remarqué que la section centrale propose l'adoption du crédit de 9,000 fr. demandé pour le service du drainage. Cependant en reconnaissant que l'intervention de l'Etat en cette matière a produit d'heureux résultats, elle engage le gouvernement à faire disparaître ce crédit du budget de 1855.
L'Etat, dit le rapport, ne doit pas faire ce qui peut être fait par les particuliers ; son intervention est superflue.
Il me sera facile, je pense, de démontrer que cette opinion est au (page 517) au moins hasardée et que son adoption aurait des conséquences fâcheuses.
On ne peut méconnaître ni l’influence exercée par l'intervention de l'Etat sur le développement du drainage en Belgique, ni la sagesse des mesures qui ont été prises pour faire adopter et pour répandre cette importante amélioration agricole.
En 1850, lorsque le gouvernement a donné la première impulsion aux travaux d'assainissement, deux propriétaires, dont l'un siège sur les bancs de la Chambre, pratiquaient le drainage anglais ; l'un depuis quinze ans, l'autre depuis quatre ans. Non seulement l'exemple de ces hommes de progrès n'avait pas rencontré d'imitateurs, mais je puis affirmer que leurs travaux furent longtemps le point de mire des attaques et des sarcasmes des cultivateurs voisins ! Que s'est-il passé, au contraire, depuis que le gouvernement a pris à cœur de doter le pays du drainage ? Une révolution complète et profonde s'est opérée dans les idées, et les cultivateurs, indifférents et incrédules dans le principe, en sont venus à drainer, pendant l'année 1853, une étendue de plus de 3,000 hectares.
Ce résultat est dû en grande partie, on ne saurait le contester, à l'intelligente intervention de l'Etat. Il est dû au zèle et au dévouement sans bornes des fonctionnaires chargés du service.
Des travaux d'essai ont été entrepris à la demande des comices afin de décider les cultivateurs à améliorer leurs terres humides, des publications qui ont eu les honneurs de la réimpression à l'étranger, ont été distribuées et enfin des cours gratuits ont été donnés et se donnent encore avec un empressement qu'on ne saurait assez louer.
Mais la lumière n'a pas encore été portée sur tous les points du pays, et la série d'expériences et de démonstrations à faire est loin d'être complète.
Il reste, d'après les renseignements que j'ai recueillis, un grand nombre de districts agricoles dans lesquels aucun travail régulier n'a été exécuté jusqu'ici. Lorsqu'il s'agit de faire des essais dont les résultats seront décisifs, lorsqu'il s'agit de lutter avec l'esprit de routine, l'antipathie que toute innovation soulève, il faut recourir à la science et surtout à l'expérience acquise. Il serait dangereux d'abandonner des travaux de cette espèce à des ouvriers peu instruits et n'ayant le plus souvent aucune notion du nivellement.
En supprimant prématurément, comme la section centrale le conseille, un personnel qui, moyennant une faible subvention, a déjà rendu et est appelé à rendre encore d'importants services, on compromettrait l'avenir du drainage et on s'exposerait à perdre le fruit des sacrifices déjà faits.
La France, moins avancée que la Belgique en ce qui touche au progrès agricole, comprend plus largement l'importance de la question du drainage. Le gouvernement français fait des sacrifices pécuniaires considérables pour propager cette amélioration ; en outre, il a décidé que l'étude du drainage ferait désormais partie du programme de l'école spéciale des ponts et chaussées et de celle des mines. Il a chargé un grand nombre d'ingénieurs de prêter un concours actif aux cultivateurs qui entreprennent des travaux d'assainissement.
Il y a loin d'un système de protection intelligente, à celui qui consisterait à laisser l'application du drainage, encore incomplètement répandu dans le pays, à la merci de l'ignorance. Ce serait un acte de parcimonie que rien ne justifie et que de graves raisons repoussent.
Je suis persuadé que parmi les agronomes qui siègent sur les bancs de la Chambre il s'en trouvera un grand nombre qui partageront cet avis.
Enfin, messieurs, il est à remarquer que sur la somme de 9,000 francs portée au budget pour le drainage, il y a 2,500 francs qui ne constituent, à proprement parler, qu'un transfert, puisque le chef de ce service fait partie du corps des ponts et chaussées.
Il ne reste donc comme dépense extraordinaire qu'une somme extrêmement faible, eu égard aux résultats obtenus. J'espère que, contrairement à l'opinion de la section centrale, le gouvernement la maintiendra au budget de 1855.
Je terminerai, messieurs, en développant très brièvement les considérations qui me guideront dans le vote que la Chambre sera appelée à émettre sur le haras, compris dans le chapitre en discussion.
Je sais que la science hippique demande des études assidues, des recherches plus approfondies que celles auxquelles il m'a été possible de me livrer. Je m'en rapporterai donc bien moins à mon expérience personnelle qu'aux lumières des hommes spéciaux qui siègent dans les comices et dans les commissions provinciales des Flandres.
Je ne crains pas de dire que dans nos provinces, l'immense majorité des agriculteurs est contraire au système qui a été suivi jusqu'à présent. Cette opposition grandit d'année en année, parce qu'en dépit de toutes les réclamations, l'administration semble s'obstiner à ne tenir aucun compte des véritables besoins de l'agriculture.
Les traités hippiques s'accordent à considérer le cheval arabe comme le meilleur type régénérateur. Quelques éleveurs ont obtenu, grâce à ce croisement, des produits distingués, des chevaux élégants, je ne le conteste pas. Mais une longue expérience a démontré que nos cultivateurs n'ont aucun bénéfice à élever des chevaux de luxe. Ils y ont renoncé. Ils préfèrent s'en tenir au cheval de trait demandé à tout âge, recherché même par les marchands étrangers. Or, les hommes les plus compétents pensent que la race forte et robuste des Flandres doit être améliorée par elle-même ou par des types analogues, tels que l'étalon boulonnais qui sort de la même souche que le cheval flamand.
Malheureusement les bons reproducteurs indigènes sont rares et le besoin s'en fait tellement sentir, qu'il est arrivé que, faute de mieux, la commission d'expertise a dû admettre des étalons non pas de 4, mais de 3 ans. Plus tard la surveillance du gouvernement suffira, mais pendant quelques années encore, il devra intervenir d'une manière plus efficace ; soit en accordant des primes, soit en envoyant dans nos stations des étalons de premier choix, mais des chevaux de trait au lieu de coursiers impétueux et rapides que nous ne pouvons pas utiliser. Si l'administration veut maintenir le haras uniquement dans le but de créer une nouvelle race de chevaux de luxe et sans tenir compte dos besoins réels de l'agriculture, je voterai contre le crédit demandé pour l'achat d'étalons.
M. de Ruddere. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la discussion du budget du ministère de l'intérieur pour 1854 pour motiver mon vote sur le chapitre IX, agriculture, article 52. Déjà dans la session dernière je me suis exprimé contre toute exposition, concours et écoles agricoles comme étant dans les Flandres sans utilité. Quand j'examine le libellé de cet article qui comprend une somme de fr. 429,500 y compris fr. 162,000 pour matériel du haras de l'Etat et achat d'étalons, je ne puis concevoir comment on s'est laissé entraîner à des dépenses aussi énormes durant tant d'années sans compensation pour le pays, car en définitive le haras n'a pas répondu au but qu'on s'est proposé, il est donc inutile de le maintenir tel qu'il est organisé, et, sa suppression même serait chose désirable dans un moment où l'état de nos finances exige impérieusement de maintenir l'équilibre entre les recettes et les dépenses.
Messieurs, les sacrifices que l'Etat a faits pour son expérimentation, depuis 1849 que les écoles, expositions et concours ont été introduits, doivent suffire pour s'arrêter dans cette voie. La dépense s'est élevée, pour ces cinq années, à environ 1,300,000 francs. S'il y a des économies à faire, je crois, messieurs, que c'est sur cet article qu'il faut les faire ; et le moment est des plus opportuns, en face de la crise alimentaire qnî amènera cette année un grand déficit dans nos finances, car vous n'ignorez pas, messieurs, que tout nouvel impôt sera impopulaire ; donc il faut restreindre nos dépenses pour faire face aux besoins actuels. J'appelle votre attention sur ce point, en présence de la formation d'une grande association qui vient de s'établir sous le nom de Société centrale d'agriculture de Belgique ; cette société promet d'établir des expositions et d'introduire toutes les améliorations dont est susceptible l'agriculture. Pareille institution répondra mieux à ces besoins que tout ce que pourra entreprendre le gouvernement et sans qu'il en coûte rien au trésor. J'ai foi dans son avenir, parce que des hommes pratiques s'en occuperont, ce qui sera une garantie de sa prospérité. Laissons donc à la nouvelle société sa liberté d'aclion et que l'Etat cesse d'intervenir dans l'agriculture dont les dépenses ont été aussi onéreuses au trésor, sans amener aucune amélioration. Par la suppression de ce crédit on pourra combler en partie le déficit qui est résulté de la libre entrée des denrées alimentaires.
M. Vander Donckt. - J'ai déjà eu l'honneur, dans une séance précédente, d'appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur le tableau des cours d'eau qui nous a été remis ; je vous ai dit que ce tableau contenait une lacune relativement à la Flandre orientale, que pour cette province il n'indiquait pas un seul cours d'eau ni une seule petite rivière qui donnent lieu à des inondations périodiques plus ou moins désastreuses.
Aujourd'hui, après avoir pris des renseignements, je suis fondé à dire que jamais on n'a demandé à la direction des ponts et chaussées de la Flandre orientale l'indication de ces cours d'eau et de ces petites rivières. Pour les autres provinces, au contraire, cette indication a été faite de la manière la plus minutieuse.
Je trouve à notre budget une allocation à titre de frais d'inspection des chemins vicinaux et des cours d'eau. Mais comment est-il possible que l'on fasse l'inspection des cours d'eau dans notre province, alors qu'on a poussé la négligence jusqu'à ne pas même les indiquer dans le tableau ?
Messieurs, la province de la Flandre orientale a décrété un règlement à cet égard, et il devrait être mis à exécution depuis plusieurs années. Mais jusqu'ici les plans et dossiers se trouvent encore à l'administration provinciale, et on n'y donne aucune suite. Les plans des cours d'eau qui devaient recevoir la sanction de la députation permanente, se trouvent encore en premier état. Vous comprenez, messieurs, la confusion, qui doit en résulter. Comment ! on ordonne l'inspection des cours d'eau, et les plans ne sont pas seulement arrêtés ! Vous comprenez qu'il y a là une lacune sur laquelle j'appelle toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre des travaux publics.
Quant au tableau qui nous a été distribué, je persiste à demander qu'il soit complété ou qu'il soit déclaré défectueux et nul, pour qu'on n'en tire pas de nouveau des conséquences au détriment de notre province, comme on l'a déjà fait pour d'autres objets et spécialement dans la province de Hainaut, où l'on a déduit de ce tableau défectueux des statistiques et des conséquences, que vous aurez trouvées dans des pièces qui nous ont été distribuées et qui sont tout à fait préjudiciables aux intérêts de la province que j'ai l'honneur de représenter.
J'ai un mot à dire encore sur les haras.
(page 518) Plusieurs honorables membres se sont demandé : Allez-vous voter la suppression du haras, la suppression du subside pour achat d'étalons ? Je suis un des signataires de l'amendement ; mais mon intention n'est nullement de nuire au but que l'on s'est proposé par l'institution du haras, de nuire à l'amélioration de la race chevaline. Mais nous avons la conviction, comme déjà vous l'a dit un honorable préopinant, que le mode suivi actuellement ne convient pas à nos provinces et qu'il vaudrait mieux, au lieu de centraliser cette administration, accorder plus de latitude aux autorités provinciales qui sont beaucoup mieux à même de juger quels sont les étalons qui conviennent à leurs provinces respectives. Car, dans notre pays, si restreint qu'il soit sous le rapport du territoire, il y a une différence énorme dans les diverses classes de chevaux qu'il s'agit d'améliorer et de perfectionner.
Si l'on se bornait donc à accorder aux provinces qui feraient des sacrifices pour l'amélioration de la race chevaline, un subside égal ou proportionné à ces sacrifices, on atteindrait infiniment mieux le but. Car, en définitive, que résulte-t-il de cette centralisation de l'administration ?
Il en résulte que les plaintes, que les réclamations des conseils provinciaux sont prises beaucoup trop peu en considération, et cependant le gouvernement devrait en tenir compte ; car je le répète, les autorités provinciales sont des autorités émanant du pouvoir électif et elles sont infiniment mieux à même de juger de l'intérêt de leurs provinces que ne l'est le gouvernement central.
Je crois donc que notre amendement devrait être adopté. Mais loin de vouloir supprimer l'allocation, dans l'intérêt du perfectionnement et de l'amélioration de la race chevaline, nous croyons au contraire qu'il faudrait la répartir entre les provinces et donner ainsi plus de suite aux observations des conseils provinciaux, des autorités provinciales à cet égard.
M. le ministre de la justice (M. Faider) dépose le rapport demandé par la Chambre, relativement à l'exemption des droits de timbre, d'enregistrement et de greffe en faveur des actes relatifs à l'expulsion de certains locataires.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, j'ajouterai d'abord quelques explications aux observations pleines de sens et de vérité qui vous ont été présentées par l'honorable M. T'Kint, concernant les droits des fermiers sortants. C'est là, comme vous le savez, un usage qui n'existe que dans les Flandres. Dans les Flandres seules, le fermier qui quitte une explotation rurale a droit à une indemnité pour les frais de labour, des engrais enfouis dans la terre et des semailles profitant au fermier qui lui succède.
Voici comment cela se pratique.
Les baux ordinairement finissent à Noël. Eh bien, à l'arrière-saison, le fermier, qui doit quitter à Noël, fume encore ses terres, les laboure et les ensemence. On fait l'évaluation de la bonification qui en résulte et elle lui est remboursée par le fermier qui lui succède.
Cet usage n'existe, je pense, que dans les Flandres.
Nos praticiens croient assez généralement que cet usage a été maintenu en vertu de l'article 1778 du Code civil, conçu en ces termes :
« Le fermier sortant doit aussi laisser la paille et les engrais de l'année, s'il les a reçus lors de son entrée en jouissance ; et quand même il ne les aurait pas reçus, le propriétaire pourra les retenir suivant estimation. »
Messieurs, suivant moi, c'est une erreur. Il n'est pas question dans cet article de frais de labour, de semailles ni même d'engrais déjà appliqués à la terre ; je pense que l'usage dout il s'agit est resté en vigueur et doit continuer à recevoir son application en vertu de l'article 1135 du Code civil ainsi conçu : « La convention oblige non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l’usage ou la loi donne à l'obligation d'après sa nature. »
En vertu de cet article, cet usage que je viens de vous faire connaître est implicitement adopté dans toutes les conventions qui ne contiennent pas une clause contraire. Du reste sur ce point il n'y a pas de contestation, le principe de l'indemnité est admis, mais c'est l'évaluation de l'indemnité qui fait naître de grandes difficultés en l'absence de règles précises et officiellement constatées.
Je n'ai pas à examiner non plus quels sont les avantages du principe de cette indemnité au point de vue de la production agricole. Je puis me dispenser de le faire puisque ces avantages sont reconnus en général par les propriétaires et les cultivateurs des Flandres et que mon but n'est aucunement de faire adopter dans les autres provinces ce qui se pratique dans les Flandres.
La manière d'évaluer les bonifications dont je viens de parler, messieurs, a fait l'objet de plusieurs anciens règlements, de plusieurs anciennes commues ; mais ces règlements et ces coutumes sont tombés en désuétude et l'on n'a plus, pour se guider, que des usages locaux non-écrits variant pour ainsi dire d'une commune à l'autre. C'est là un état de choses excellent pour les avocats, mais détestable pour les fermiers et les propriétaires.
Ainsi que l'honorable M. T'Kint de Kaeyer l'a dit à la Chambre, cette question a beaucoup occupé les comices agricoles, les associations agricoles des Flandres, elle a même donné lieu à plusieurs écrits et mémoires plus ou moins remarquables. Un ancien notaire de Ninove, notamment, M. Dedeyn, a exposé cette matière avec beaucoup de lucidilé dans un écrit qui sera consulté avec fruit par tous ceux qui désirent se mettre au courant de cette pratique agricole usitée dans les Flandres.
Le conseil de notre province s'en est occupé à son tour et a demandé que la législature voulût bien autoriser les conseils provinciaux à réviser et modifier, suivant les usages actuels, les anciens règlements sur la matière et les mettre ainsi en harmonie avec les progrès de l'agriculture. C'est à ce degré d'instruction que l'affaire se présente aujourd'hui.
Messieurs, je ne sais pas quelles sont les grandes difficultés qui s'opposent à l'adoption de cette proposition du conseil provincial de la Flandre orientale. Réduisons l'affaire à ses plus simples proportions.
La Flandre n'a pas la prétention de faire adopter par les autres provinces le régime dont je viens de parler ; si elles veulent l'adopter, elles pourront le faire en introduisant dans les baux une clause stipulant une indemnité au profit du fermier sortant et à la charge du fermier entrant pour les différentes causes que j'ai indiquées.
Nous n'avons pas non plus l'intention de toucher à la législation en ce qui concerne les droits respectifs du fermier sortant et du fermier entrant ; tout ce que nous demandons, c'est que ces usages locaux, qui donnent lieu à une foule de contestations, puissent être régularisés, puissent être constatés d'une manière officielle, et il me semble que cette demande est bien raisonnable.
Evidemment le règlement de ces indemnités usitées dans les Flandres ne peut pas faire l'objet d'une loi générale, qui serait d'abord de l'hébreu pour la plus grande partie du pays.
Le conseil provincial a donc demandé à pouvoir faire lui-même un règlement sur cette matière, attendu qu'il s'agit d'un objet intéressant tout spécialement la province, mais ayant certains rapports avec la législation générale, sans pouvoir jamais porter atteinte à cette législation ni affecter des intérêts autres que ceux de la province dont il s'agit ; je le répète, je ne vois pas quelles sont les prétendues difficultés qui s'opposent à ce que le gouvernement donne suite à une demande si juste, si simple et si légitime.
Craindrait-on, par exemple, que si une loi accordait d'une manière générale aux conseils provinciaux le droit de faire des règlements, on ne fît de ces règlements dans les provinces où les usages dont il s'agit n'existent pas ? Cette crainte me paraît chimérique, d'autant plus que les règlements faits par les conseils provinciaux n'ont force obligatoire que lorsqu'ils ont été approuvés par le gouvernement. Le gouvernement sera donc toujours à même d'empêcher cette espèce d'empiétement des conseils provinciaux. Mais il serait extrêmement facile de remédier sous ce rapport à tout inconvénient, à toute crainte quelconque, en formulant la loi que nous demandons à peu près en ces termes : « Dans les provinces où il existe des règlements, des coutumes ou des usages accordant au fermier sortant une indemnité pour frais de culture, frais de semailles, frais de fumure ou autres améliorations, ces règlements, coutumes ou usages pourront être revisés par les conseils provinciaux. »
Voilà, messieurs, ce que demande la Flandre orientale, et je ne vois pas pour quel motif on le lui refuserait. Il n'y a pas d'abus de pouvoir possible, car l'autorisation ne serait accordée qu'aux provinces où il existe des règlements, coutumes ou usages ; là où il n'en existe pas, la loi ne recevra pas d'application, mais là où il en existe, comme dans les Flandres, la loi pourra produire des effets très utiles.
Sous le gouvernement hollandais on a reconnu aux états provinciaux le droit de faire des règlements de cette espèce. Pourquoi serait-on aujourd'hui plus rigoureux en ce qui concerne les attributions provinciales ? On me dira que les propriétaires pourraient faire insérer dans les actes de bail des clauses destinées à prévenir les contestations dont je viens de parler ; mais les difficultés subsisteraient toujours pour les baux verbaux que la loi autorise et qui sont assez nombreux dans les Flandres, et puis il serait bien difficile de mettre dans chaque bail un règlement sur cette matière ; ce serait là une tâche bien rude pour MM. les notaires rédacteurs et pour peu que leur rédaction fût en défaut, les difficultés et les contestations recommenceraient. Je recommande de nouveau cet objet à l'attention de M. le ministre et je désire que la question reçoive enfin une solution satisfaisante pour les grands intérêts qui sont en jeu.
Je crois maintenant devoir présenter quelques observations sur plusieurs mesures mentionnées dans ce chapitre comme encouragements accordés à l'agriculture. Et d'abord quelques mots sur les expositions agricoles. En 1848, 1849 et 1850 j'ai suivi d'assez près ces expositions, j'ai même pris quelquefois une part plus ou moins active à leur organisation et je dois déclarer que j'en suis devenu moins partisan par la pratique et que l'expérience a détruit un peu mes illusions. Cependant je ne repousse pas absolument les expositions agricoles, je les admets encore, mais dans des limites plus restreintes.
. Il y a eu, messieurs, comme vous le savez, des expositions d'instruments aratoires, des expositions d'animaux domestiques et des expositions de produits agricoles ; j'admets les deux premières, mais, je le répète, dans certaines limites : je m'expliquerai tout à l'heure sur la troisième catégorie.
(page 519) Quant aux expositions d'animaux domestiques, j'y vois cet inconvénient, c'est que jusqu'ici on a donné une trop grande prépondérance aux concours pour le bétail gras et qu'on a peut-être trop négligé les animaux reproducteurs. Ces concours excitent beaucoup de curiosité, je dirai même d'admiration, parce qu'ordinairement on y voit figurer de véritables merveilles ; mais voici un inconvénient que j'y trouve.
C'est que, pour être couronné dans ce concours-là, vous êtes obligé de fabriquer des produits qui ne couvrent pas les frais de production. Cela est tellement vrai que les concurrents qui n'obtiennent pas la prime qui est allouée sont presque toujours constitués en perte. Je dirai même que ceux qui obtiennent la prime sont à peine couverts de leurs frais de production.
Sous ce rapport, il est nécessaire de se renfermer dans de justes limites, car il serait réellement nuisible d'encourager trop fortement une industrie qui ne reproduirait pas les valeurs qu'elle consomme, quelque merveilleux d'ailleurs que soient ses produits, alors surtout que ces produits n'ont aucun mérite artistique durable qui pourrait compenser les pertes matérielles par des jouissances immatérielles.
Ce n'est pas que je veuille repousser absolument les concours du bétail gras ; ils offrent certains avantages que je n'ai pas besoin de détailler, puisque ces concours ne sont aucunement en danger, mais je pense que le côté de la question que je viens de faire ressortir mérite quelque attention, parce qu'en toutes choses l'excès est nuisible.
Il y a un autre inconvénient à aller trop loin dans cette voie : c'est qu'en définitive les animaux qui figurent dans le concours de bétail gras sont destinés à passer immédiatement à la boucherie ; or, dans plusieurs localités on accorde même les primes pour ainsi dire les plus fortes aux jeunes animaux, aux génisses, par exemple, les plus parfaites de graisse et de conformation. Cependant, il est évident que ces jeunes bêtes, par cela même qu'elles sont remarquables sous le rapport de la conformation, auraient pu être employées très utilement à la reproduction, au point de vue de l'amélioration des races ; sous ce rapport encore, il est nécessaire de se prémunir contre toute exagération. Cela revient à dire qu'il faudrait peut-être accorder plus d'importance aux concours entre les animaux reproducteurs.
Les expositions nous viennent de l'Angleterre ; eh bien, au milieu de leurs excentricités, les Anglais ont toujours leurs idées de bon sens ; aussi vous ne trouverez pas en Angleterre cette grande prépondérance des concours de bétail gras. On y attache plus d'importance aux concours d'animaux reproducteurs. Malheureusement on emprunte souvent aux Anglais leurs excentricités en laissant de côté les correctifs de bon sens que ce peuple éminemment pratique a toujours soin d'y apporter.
J'en viens maintenant aux expositions d'instruments aratoires.
Ici encore je reconnais l'utilité des expositions. Mais encore une fois il ne faut pas les prodiguer. Je suis loin de croire que les instruments aratoires employés en Belgique ne soient plus susceptibles d'amélioration. Dans cette partie, comme dans d'autres, nous avons des progrès à faire. Cependant il ne faut pas se mettre dans l'idée que nos cultivateurs agiraient sagement en mettant au rebut les instruments aratoires dont ils se sont servis jusqu'ici pour en adopter d'autres qui, dans certaines circonstances, peuvent être meilleurs que ceux qu'ils emploient. Pour réaliser une utopie pareille, ils ont trop de bon sens et trop peu d'argent.
Nous avons à Haine-Saint-Pierre un atelier d'apprentissage pour la fabrication des instruments aratoires ; je ne blâme pas cette institution d'une manière absolue ; je crois même que, d'après le système d'administration que nous avons suivi jusqu'ici, il y a des interventions gouvernementales qui sont plus susceptibles de critiques ; je crois que cet établissement peut donner une impulsion utile, afin qu'on s'adonne plus en Belgique à la construction d'instruments aratoires perfectionnés. Mais ici encore en voulant faire trop de bien, on pourrait faire beaucoup de mal. Ce qu'il faut craindre surtout, c'est que cette institution ne vienne paralyser les efforts de l'industrie privée, lui faire une concurrence réellement nuisible et décourageante pour les constructeurs du pays. (Interruption.)
M. Faignart. - Cela les éclaire !
M. de Naeyer, rapporteur. - Cela les éclaire, me dit-on ; oui, pourvu que cela ne les empêche pas de vendre leurs produits ; pourvu que l'établissement se renferme dans les limites de sa destination qui est de former de bons ouvriers et non de faire la concurrence aux bons constructeurs, travaillant avec leurs propres capitaux. Or, sous ce rapport, je dois dire que j'ai entendu quelquefois des plaintes.
Nous aurons à examiner plus tard la question de l'utilité de l'atelier d'apprentissage de Haine-Saint-Pierre. Je ne veux donc pas me prononcer en ce moment pour son maintien ou sa suppression. La question est tenue en suspens. Je veux seulement attirer l'attention du gouvernement sur cette considération : c'est qu'il serait détestable que cette institution vînt faire concurrence à des constructeurs du pays qui ont aussi leur mérite et d'autant plus de mérite qu'ils travaillent avec leurs seuls capitaux sans rien demander à l'Etat.
Messieurs, j'en viens aux expositions des produits agricoles proprement dits ; je dois le dire, d'après les faits que j'ai observés, je ne puis pas me montrer favorable à celles-là.
Ces expositions, si on les veut sérieuses dans le système suivi jusqu'ici, sont tout simplement des impossibilités ; car dans toute exposition il faut nécessairement que le mérite des exposants, quant aux produits faisant réellement l'objet du concours, puisse être apprécié, constaté avec connaissance de cause ; sinon ce n'est plus une chose sérieuse. Or, que se propose-t-on dans les expositions de produits agricoles ? Mais évidemment de décerner des primes pour les cultures les plus remarquables de froment, seigle, colza ou autres plantes agricoles. Or, pour faire ici une appréciation tant soit peu fondée, il faudrait se trouver devant le champ couvert de récoltes. Alors encore ce serait extrêmement difficile. Ici je parle d'après ma propre expérience.
Je fais partie d'un comice agricole qui a organisé des visites des exploitations rurales, dans le but de décerner des primes aux fermiers qui apporteraient dans leur culture le plus de zèle et d'intelligence. Des commissions ont été envoyées dans les diverses communes de la circonscription du comice pour recueillir à cet égard des renseignements et inspecter chaque exploitation concurrente dans tous ses détails ; j'ai eu l'honneur d'en faire partie à différentes reprises, et comme les tournées avaient lieu au milieu des chaleurs de l'été, je puis vous dire que j'ai acquis assez péniblement le droit de parler un peu de cette question. Or nous étions en compagnie d'hommes qui ont vieilli dans la culture et qui souvent ont été dans le cas de faire des expertises agricoles.
Eh bien, nous avons été fort embarrassés pour nous prononcer sur le mérite d'une culture, quand nous avions le champ devant nous. C'est l'appréciation de l'ensemble qui est particulièrement difficile, et comment voulez-vous qu'on puisse prononcer avec connaissance de cause, quand on n'a d'autre moyen d'appréciation sous les yeux qu'un simple échantillon ? Or c'est ainsi que cela se pratique nécessairement.
Dans les expositions dont je parle on ne vous donne que des échantillons, aussi le jury, quoique composé des hommes les plus intelligents et les plus habiles en agriculture, est nécessairement amené à décerner souvent les médailles à des cultivateurs qui ont eu l'art d'exhiber de jolis échantillons, mais qui sont loin de se distinguer par une culture intelligente, puisque, en définitive, le jury ne peut juger que le mérite des échantillons qui sont loin d'être toujours conformes à la réalité.
Ces considérations prouvent que les expositions dont il s'agit ici sont impossibles si on les veut sérieuses, et quand elles n'ont pas ce caractère elles ne font que provoquer des sarcasmes et des plaisanteries qui, après tout, sont peu propres à faire progresser l'agriculture.
Si j'ai bonne mémoire, le conseil supérieur d'agriculture s'est occupé des mesures qui pourraient être adoptées pour remédier aux inconvénients que je viens de signaler ; il s'agirait, si je ne me trompe, d'organiser des formalités de contrôle dans chaque village. Un délégué devait venir, au moment de la récolte, sur la pièce de terre et constater que l'échantillon destiné à l'exposition est vrai et sincère, qu'il n'y a sous ce rapport ni fraude ni triage, et même cet échantillon devrait être muni en même temps d'une espèce de sceau afin d'empêcher toute fraude ultérieure.
Voilà bien des formalités et qui ont une certaine ressemblance avec celles qui servent à constater un corps de délit en matière de justice répressive ; malgré cela on ne parviendrait pas au but qu'on se propose ; toutes ces grandes précautions ne seraient pas prises au sérieux. Je ne crains pas de dire qu'elles ne serviraient encore une fois qu'à fournir matière aux sarcasmes et aux plaisanteries.
J'ai entendu faire cette comparaison : nous avons des expositions de fleurs, pourquoi n'aurions-nous pas des expositions de produits agricoles ? Mais la différence est du tout au tout. Dans les expositions de fleurs, c'est le produit concurrent tout entier qui est tous les yeux du jury qui peut ainsi se prononcer en pleine connaissance de cause ; or, encore une fois, pour les produits agricoles, il vous est impossible d'avoir autre chose qu'un échantillon dont on ne parviendra jamais à constater la sincérité d'une manière sérieuse.
Tout ce qu'on pourrait faire en fait de produits agricoles, si on tient à maintenir ce genre d'expositions, c'est d'accorder des primes pour les collections de variétés les plus rares et les plus remarquables ; alors le jugement porterait réellement sur les objets exposés et ne serait plus basé sur la supposition que toute une pièce de froment, par exemple, est conforme au petit échantillon placé sous les yeux du jury.
Messieurs, il est un autre point sur lequel je présenterai quelques observations, c'est, la Bibliothèque rurale. Si je ne me trompe, cette idée de créer une Bibliothèque rurale est venue à l'honorable M. de Theux. Je crois que c'est lui qui a signé l'arrêté.
M. Rogier. - C'est moi !
M. de Naeyer, rapporteur. - Ce sera alors l'honorable M. Rogier. Cette Bibliothèque rurale figure au budget depuis cinq ans, si je ne me trompe.
Elle aurait donc coûté à l'Etat 30 à 40 mille francs.
C'est une idée comme une autre, mais je vous avoue franchement qu il me paraît qu'elle coûte un peu cher, mise en regard des avantages qu'elle produit.
En parlant ainsi, je m'expose probablement à un reproche d'obscurantisme ; cependant le ton de la Bibliothèque rurale, dans ma manière de voir, c'est de répandre assez peu de lumière.
Je crois avoir lu à peu près tous les petits traités qui ont été publiés par cette bibliothéque ; quoique je ne sois pas très savant en agriculture, je dois dire que ces petits traités ne m'eut pas appris grand-chose. Je dois cependant en excepter quelques-uns, et surtout le traité sur le drainage publié ce dernier lieu ; c'est un ouvrage très instructif, il émane (page 520) d'un ingénieur, jeune encore, mais d'un mérite réel, et qui, au début de sa carrière, peut déjà se flatter d'avoir rendu à son pays de grands services.
Dans la plupart de ces traités j'ai rencontré des choses parfaitement connues des cultivateurs et qui ne sont guère propres à les faire progresser dans leur art. J'y ai rencontré en outre une foule de répétitions ; ce qui est déjà exposé dans un traité est très souvent reproduit dans plusieurs autres, ce qui en augmente considérablement le nombre sans en augmenter l'utilité. En résumé, je pense que les petits traités qui sont réellement bons eussent été également publiés sans l'intervention du gouvernement et que le résultat le plus clair de cette intervention a été de livrer à la publicité ceux qui ne sont que très médiocres. L'utilité de l'intervention du gouvernement aurait dû consister ici principalement à donner une certaine impulsion à la presse agricole. Or, je crois que c'est le contraire qui a eu lieu, et c'est ainsi que des écrivains agricoles et même des membres de cette chambre qui s'occupaient de publications très utiles à l'agriculture ont cessé, dès que le gouvernement a jugé convenable d'éditer toute une bibliothèque.
Voilà comment la publication dont il s'agit aura peut-être été nuisible en arrêtant les efforts de l'industrie privée. Voilà comment, en voulant éclairer le pays agricole avec les meilleures intentions du monde, on pourrait avoir, malgré soi, entravé l'expansion de la lumière et empêché le pays de s'éclairer par lui-même.
Maintenant, je ne suppose pas qu'il soit dans les intentions du gouvernement de publier éternellement celle Bibliothèque rurale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Nous la publierons aussi longtemps que l'intérêt de l'agriculture l'exigera.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je voudrais savoir combien de temps il croit qu'il sera nécessaire de publier de petits livres pour l'agriculture ; car si je ne me trompe, je crois qu'en dehors de cette publication il n'y en aura plus guère d'autres, et je désire, moi, qu'il y ait dans le pays une presse agricole sérieuse en dehors de l'intervention du gouvernement.
Je dirai maintenant quelques mots de l'inspection des cours d'eau. Je crois que c'est un service nouveau qu'on veut organiser. Quant à l'inspection des chemins vicinaux, nous aurons l'occasion d'en parler sur le chapitre Voirie vicinale. Certainement, il y a quelque chose à faire, quant aux petits cours d'eau.
Je ne prétends pas que cette branche de service soit partout dans un état satisfaisant. Mais enfin croyez-vous que nous obtenions de bons résultats en établissant une seconde administration centrale pour les cours d'eau ? Les petits cours d'eau se trouvent en connexité intime avec les rivières et les fleuves dont le service est confié dans chaque province aux ingénieurs ressortissants au ministère des travaux publies. Si maintenant vous établissez pour ces petits cours d'eau d'autres ingénieurs ressortissant au département de l'intérieur, n'aurez-vous pas nécessairement des conflits ? Les petits cours d'eau me paraissent être un objet d'intérêt tout à fait local, dont les propriétaires riverains ont, avant tout, à s'occuper. Ce qu'il y a à faire pour introduire ici une amélioration réelle, c'est d'établir des wateringues, c'est-à-dire des associations de riverains. Voilà un système qui existe dans les Flandres, et qui a produit d'excellents résultats. C'est, en quelque sorte, l'administration des pères de famille gérant leurs propres intérêts.
Mais, j'en conviens, l'intérêt public est ici également en jeu. L'Etat doit donc intervenir dans certaines limites, non pour se charger des dépenses, mais pour surveiller, contrôler et coordonner la gestion des intérêts particuliers avec les exigences du régime général des eaux. Sous ce rapport, l'unité de service est indispensable, et ce but sera totalement manqué si on institue des agents spéciaux ressortissant directement au département de l'intérieur.
D'ailleurs, pourquoi créer encore ici un nouveau rouage, puisque aujourd'hui les ingénieurs dans chaque province sont certainement à même d'indiquer, de provoquer et de surveiller toutes les améliorations dont les petits cours d'eau sont susceptibles ?
J'engage donc fortement M. le ministre à y songer sérieusement, avant de donner suite à l'organisation d'un nouveau service.
Messieurs, je finirai par un dernier mot sur le drainage.
Le drainage, je n'ai pas besoin d'entrer dans des explications à cet égard, est l'amélioration la plus importante qui ait été réalisée dans l'agriculture depuis bien des années. Tout le monde aujourd'hui est d'accord là-dessus. On a pu avoir des doutes sur les premiers essais, parce que leur exécution laissait à désirer.
Mais depuis qu'un ingénieur très distingué est allé étudier le drainage en Angleterre et s'est donné beaucoup de peine pour le propager dans ce pays, le drainage a souvent produit des merveilles, et les mesures prises par l'honorable M. Rogier pour répandre dans toutes les parties du pays les bienfaits de cette grande amélioration, lui font certainement beaucoup d'honneur.
Or, il existe aujourd'hui à la propagation du drainage un obstacle sur lequel je voudrais appeler l'attention du gouvernement. C'est qu'il y a pénurie d'agents draineurs. Je connais une foule de travaux qui ne se font pas parce qu'on n'a pas un ingénieur draineur à sa disposition et les ingénieurs du gouvernement sont surchargés de besogne.
Faut-il augmenter le nombre des ingénieurs du gouvernement ? Tel n'est pas mon avis. Mais je crois qu'il y aurait peut-être quelques mesures à prendre pour augmenter dans le pays le nombre des personnes initiées à l'art de drainer. Je voudrais, par exemple, qu'on annexât à notre école des ponts et chaussées ainsi qu'à notre école des mines un cours de drainage. En France cela se pratique.
Remarquez, messieurs, qu'en demandant ce cours de drainage à notre école des ponts et chaussées et à notre école des mines, mon intention n'est pas de faire des draineurs des fonctionnaires publics. Car vous savez que ces écoles ne sont pas seulement destinées à fournir à l'Etat des fonctionnaires instruits qu'elles ont aussi pour but de fournir des hommes capables à l'industrie privée.
Une autre mesure peut être pourrait produire de bons résultats. Beaucoup de géomètres à la campagne se sont faits agents draineurs et même il y en a qui conduisent très bien ces travaux, qui s'y entendent à merveille.
Ne pourrait-on, lorsque des jeunes gens se présentent pour passer leur examen de géomètre, exiger qu'ils passassent en même temps un examen sur le drainage ?
Aujourd’hui les hommes intelligents et un peu actifs en même temps, qui ont quelques idées de géométrie et de nivellement, parviennent à se mettre assez facilement au courant des bons procédés de drainage. Sous ce rapport, l'ouvrage qui a été publié par M. Leclercq, l'ingénieur dont j'ai eu occasion de vous parler tantôt, a rendu de grands services.
Je connais des géomètres qui se sont mis à bien étudier cet ouvrage, qui ont ensuite demandé à pouvoir suivre de près quelques travaux exécutés par le gouvernement et qui, de cette manière, parviendront en peu de temps à se mettre parfaitement au courant de l'art de drainer. Si donc, on exigeait de la part de ceux qui se présentent pour être admis comme arpenteurs jurés, un examen sur l'art de drainer, je crois qu'on propagerait beaucoup dans le pays, la connaissance du drainage, et que l'on aboutirait à ce résultat d'avoir dans le pays un plus grand nombre d'hommes au courant de cette opération. Ce serait un grand bien. Car, je le répète, ce qui entrave le plus aujourd'hui cet élan qui se manifeste de tous côtés pour l'assèchement des terres humides, c'est le manque de bons agents draineurs.
Un autre inconvénient résulte de l'état de choses actuel. Des propriétaires, à cause des difficultés qu'ils éprouvent pour avoir à leur disposition de bons agents draineurs, croient pouvoir s'en passer. Ils se disent : J'ai vu des drainages, j'ai vu comment ils s'exécutaient : je suis à même de conduire ces travaux sans l'intervention d'un homme de l'art. Or, plusieurs propriétaires, en agissant ainsi, sont arrivés à de fâcheux résultats, parec que leurs travaux étaient mauvais.
Messieurs, j'aurais encore à présenter quelques observations sur le haras. Mais je pense qu'il y aura une discussion spéciale à cet égard, et je me bornerai pour le moment à ces observations.
M. le président. - M. de Perceval a présenté un amendement par lequel il propose la suppression du service du défrichement dans la Campine. Cet amendement sera imprimé et distribué.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je crois devoir donner immédiatement quelques explications en réponse à certaines questions spéciales qui m'ont été adressées par les honorables préopinants, notamment par l'honorable M. T'Kint de Naeyer et par l'honorable M. de Naeyer.
Je réponds d'abord aux observations qui ont été faites quant aux usages existants dans les Flandres, pour le règlement des droits entre les fermiers sortants et les fermiers entrants.
Cette question, messieurs, a été l'objet d'un examen attentif de la part de deux départements ministériels, celui de la justice et celui de l'intérieur ; et cet examen a conduit au résultat suivant : on a pensé que les droits existant entre les fermiers sortants et les fermiers entrants appartiennent à l'ordre des intérêts civils, qu'il n'est pas possible de faire régler administrativement. Et cette observation répond à la question qui a été faite, s'il y avait lieu d'inviter les administrations provinciales des Flandres à recueillir les différents usages locaux et à en faire l'objet d'un règlement général.
Le gouvernement a donc pensé qu'il n'était pas possible de faire traiter par des assemblées administratives et politiques, des objets qui appartiennent aux droits civils et qui sont exclusivement du domaine législatif.
Non seulement, messieurs, le gouvernement a fait de la question une étude personnelle, mais il l'a soumise en fait, à toutes les assemblées qui pouvaient le plus utilement l'éclairer de leurs avis, notamment les commissions d'agriculture, les administrations provinciales elles-mêmes et le conseil supérieur d'agriculture. Or, il est à remarquer que les commissions d'agriculture, pour la plupart, sinon toutes, ont exprimé l'avis qu'il serait extrêmement dangereux de toucher administrativement, et par voie réglementaire, à des usages qui empruntent leur autorité à un régime quasi conventionnel. C'est ainsi que s'était exprimée notamment la commission d'agriculture de la Flandre. C'est ainsi que se sont exprimées d'autres commissions d'agriculture encore, et que le conseil d'agriculture a formulé son avis.
Le conseil d'agriculture a estimé qu'il était prudent, dans cette matière, de ne pas toucher, par des règlements, à des objets qui doivent être laissés à l'appréciation libre des parties contractantes et qui peuvent être, dans tous les cas, réglés par des conventions.
Il a donc paru beaucoup plus sage de procéder en cette matière par la voie d'instructions, par la voie de persuasion, en invitant les fermiers et en invitant les propriétaires à préciser autant que possible les (page 521) objets qui doivent être réglementés entre eux, lorsqu'on entre dans une ferme ou lorsqu'on en sort.
Le gouvernement a pensé qu'il était très sage d'imiter leur réserve.
Dans cet état de choses, messieurs, et en présence de l'opinion exprimée par les jurisconsultes, qu'on ne pouvait pas transmettre aux conseils provinciaux le droit de régler de semblables matières, il n'y aurait qu'un seul parti à prendre, ce serait de faire régler la matière législativement.
Mais ces usages locaux n'existent, à ce qu'il paraît, que dans les Flandres ; ce n'est que là, au moins, qu'ils existent d'une manière assez générale pour qu'on puisse y attacher de l'importance ; or, est-ce bien le cas de créer une législation pour une seule province ?
Nous ne l'avons pas pensé, messieurs, et nous croyons que ce qu'il y a de plus de sage à faire c'est de laisser aux particuliers le soin de régler leurs intérêts comme ils l'entendent, toutefois après les avoir éclairés autant qu'il est possible de le faire.
On a demandé aussi, s'il ne serait pas convenable de déférer aux juges de paix la connaissance des difficultés qui surviennent entre le fermier sortant et le fermier entrant ? L'opinion du ministre de la justice a été, qu'on pouvait sans inconvénient faire examiner cette question par la commission qui s'occupe de la révision de tous les services judiciaires ; je pense que cette commission parviendra à lui donner une solution conforme aux intérêts respectifs des fermiers et des propriétaires.
Je dirai quelques mots aussi de certains services dépendants du chapitre de l'agriculture et que l'honorable M. de Nayer a rencontrés dans ses observations.
Les cours d'eau et la voirie vicinale ont été l'objet d'une recommandation spéciale de la part de l'honorable membre, en ce sens qu'il serait désirable qu'on arrêtât le plus tôt possible tous les plans de la voirie vicinale, et qu'on décidât les questions qui se rattachent aux cours d'eau. Messieurs, ces services font actuellement l'objet d'une étude toute particulière, et le budget contient une proposition qui a pour but de permettre au gouvernement de faire pour les cours d'eau ce qu'il a fait pour les chemins vicinaux, c'est-à-dire de faire établir un état général de tous les cours d'eau et d'amener un régime tel qu'on puisse les utiliser de la manière la plus conforme aux intérêts de l'agriculture.
L'honorable M. de Naeecr a parlé des expositions agricoles, des expositions de bestiaux et des expositions d'instruments aratoires. Quant aux expositions agricoles, l'honorable membre en a critiqué la forme actuelle ; il y a trouvé surtout cet inconvénient, qu'on n'expose, dit-il, certains produits de l'agriculture que par voie d'échantillons. Il est d'avis qu'on devrait faire porter l'examen sur une étendue plus grande, qu'on devrait, par exemple, contrôler le mode de culture. Il y aurait peut-être des améliorations à réaliser sous ce rapport, mais il faut bien reconnaître que les expositions agricoles sont encore une institution à l'essai ; et cependant, elles ont produit, eu général, des résultats satisfaisants.
Je n'en veux d'autre preuve (et ceci répond, je pense, à beaucoup de critiques), je n'en veux d'autre preuve que l'opinion généralement exprimée par tous les hommes spéciaux, par tous les corps qui s'occupent depuis quelques années, en Belgique, de l'agriculture et des encouragements à y donner. Ainsi, les commissions d'agriculture, les comices agricoles et le conseil supérieur d'agriculture s'empressent de reconnaître que les exposilions agricoles sont le meilleur moyen de stimuler l'introduction des meilleurs systèmes de culture et des instruments aratoires les plus perfectionnés. Que veut-on de plus que l'opinion de tous ceux qui s'occupent par état et non point par intérêt, mais par dévouement, des questions relatives à l'agriculture ?
Cela veut-il dire qu'il n'y ait aucune réforme à introduire dans l'organisation de ces exposilions ?
Pas le moins du monde ; mais ici comme toujours, le gouvernement n'a qu'une réponse à faire, c'est qu'il est attentif à tout ce qui peut intéresser le développement de l'agriculture et amener l'introduction des meilleurs systèmes, ainsi que l'emploi des instruments les plus parfaits.
En ce qui concerne les expositions d'instruments aratoires, l'honorable membre les a trouvées, en général, utiles ; mais il a pensé aussi qu'il ne fallait pas y donner une trop grande extension ; qu'il fallait les renfermer dans des limites plus étroites que celles dans lesquelles on les a organisées jusqu'ici. Eh bien, je pense que, si l'honorable membre avait pu prendre une connaissance exacte de la manière dont le gouvernement a procédé, il aurait reconnu qu'il n'est pas possible d'être plus modeste qu'on ne l'a été en Belgique.
Voici ce qui s'est fait. A la suite d'un arrangement intervenu entre le gouvernement et une société industrielle, cette société admet dans ses ateliers quelques jeunes gens auxquels le gouvernement accorde, sons le nom de bourse, un léger subside afin de leur permettre d'étudier la manière de faire de bons instruments aratoires. Cela se fait à Haine-St-Pierre, et cette école a obtenu l'approbation des hommes pratiques tant au sein des Chambres qu'au dehors.
Je puis donc rassurer l'honorable membre en ce qui concerne l'école de Haine-St-Pierre ; car elle est établie dans des proportions très restreintes et ce sont des sommes très minimes qu'on emploie pour permettre à quelques élèves de résider dans cette localité.
L'honorable membre a parlé de la Bibliothèque rurale ; il a dit que cette institution pourrait produire de bons résultats, mais qu'à l'exception d'un ouvrage...
M. de Naeyer, rapporteur. - Il y en a trois ou quatre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - ... qu'à l'exception de quelques ouvrages, de l'un desquels il a fait à juste titre l'éloge, les livres compris dans cette publication n'avaient généralement rien appris de nouveau. Enfin il a demandé si le gouvernement avait l'intention de continuer la publication dont il s'agit et dans quelles limites il se renfermerait ?
Messieurs, c'est avec beaucoup de raison que l'honorable membre a fait l'éloge de quelques ouvrages compris dans la Bibliothèque rurale, mais je pense que la justice qu'il lui a rendue n'est qu'imparfaite et que les éloges auraient dû s étendre à la généralité des ouvrages dout cette bibliothèque se compose.
Si l'on veut être édifié sur l'utilité des ouvrages publiés dans la Bibliothèque rurale, je citerai l'opinion des agronomes les plus distingués de l'Europe qui ont félicité le gouvernement belge de l'initiative, prise par lui, de la publication, sous les formes les plus simples, des notions qui intéressent le plus l'agriculture ; je citerai l'exemple que donnent en ce moment les gouvernements voisins qui s'assimilent tous le mode qui a été adopté en Belgique pour ces sortes de publications.
Mais, dit-on, on ne publie rien de nouveau. Ce sont tous faits connus depuis longtemps. A quoi bon dépenser de l'argent pour cela ?
Messieurs, nous n'avons pas la prétention d'inventer toujours des choses nouvelles en agriculture ; mais ou a cru utile de faire un choix parmi les faits bien connus, à l'usage surtout d'un public qui lit très peu, je parle des campagnards.
Je dis que ces ouvrages ont précisément été imaginés afin de servir d'aliment à ces intelligences, honnêtes mais simples, qui n'ont pas le temps d'aller puiser dans de gros livres la connaissance de toutes les découvertes dues aux sciences physiques et chimiques. Sous ce rapport encore, le gouvernement a droit à la reconnaissance de notre agriculture.
« Jusqu'où, me dit-on, irez-vous avec la publication de la Bibliothèque rurale ? » Je ne puis l'indiquer ; tant que le gouvernement trouve quelque chose d'utile dont la connaissance importe à l'agriculture, il le fera publier ; tant qu'il y aura des procédés utiles à faire connaître, il en propagera la connaissance, comme il l'a fait pour le drainage. Et à propos de drainage, je remercie l'honorable M. de Naeyer de la justice qu'il a rendue au traité qui a été publié sur cette matière dans la Bibliothèque rurale ; cet ouvrage mérite complètement l'éloge qu'on lui a décerné ; non seulement il est parvenu à mettre à la portée de toutes les notions relatives au drainage, mais ce livre est écrit avec l'autorité que donne une science certaine, et avec des formes simples qui le rendent accessible à toutes les intelligences. Cette publication a encore été pour les gouvernements étrangers un motif pour féliciter la Belgique d'avoir donné ce nouveau témoignage d'intérêt à l'agriculture.
L'honorable M. dû Naeyer a parlé de l'utilité qu'il y aurait à comprendre désormais les notions relatives au drainage dans les études auxquelles se livrent certains praticiens, notamment les géomètres. Je crois, en effet, qu'il est extrêmement utile de généraliser les connaissances nécessaires à l'application du système de drainage ; mais le moyen le plus efficace pour parvenir à ce but, ce sont les écoles d'agriculture. Là est la place naturelle de ce genre d'instruction.
Quant aux cours d'eau, l'honorable membre pense qu'il n'est pas nécessaire de créer une administration spéciale pour ce service dont l'importance ne lui échappe cependant pas.
Que l'honorable membre se rassure encore : le gouvernement ne propose pas la création d'une administration spéciale nouvelle ; mais il a cédé à une recommandation qui est partie de la législature, qu'il fallait soumettre tous les cours d'eau à un régime régulier, afin d'utiliser cette source précieuse de la richesse publique dans l'intérêt de notre agriculture.
A cette fin, il fallait commencer par avoir un état complet de tous les cours d'eau qui sillonnent la surface de la Belgique ; il fallait, après avoir fait l'étude des différentes localités que ces cours d'eau traversent, proposer des mesures efficaces pour fertiliser les terres. Or, quelle dépense en résultera-t-il pour l'Etat ? Quatre mille francs, à répartir entre quelques auxiliaires que nous proposons d'adjoindre au service existant de l'inspection de l'agriculture.
Je pense avoir répondu à la plupart des observations qui ont été présentées par les honorables préopinants ; je me réserve de m'expliquer sur la question des haras, quand les auteurs des amendements qui ont été déposés, les auront développés.
- La clôture de la discussion générale du chapitre XI est prononcée.
La séance est levée à 3 1/2 heures.