(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1569) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. Vermeire donne lecture du procès-vcrfcal de !a séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Tirlemonl prie la chambre de s'occuper du projet de loi relatif à l'exécution d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest, par Jodoigne et Tirlemont. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Fleurus à Landen.
« Le conseil communal de Hannut prie la chambre d'accorder à la société Stephens la concession d'un chemin de fer de Huy à Landen par Hannut. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Millen demande que la société concessionnaire d'un chemin dé fer de Hasselt vers Maestricht soit obligée de construire un embranchement de Bilsen à Ans par Tongres, et prie la chambre de rejeter le projet du sieur Benard. »
« Même demande du ceneil communal de Nederheim. »
« Même demande du conseil communal de Genoels-Etieren. »
Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projot de loi relatif à ce chemin de fer.
« Le conseil communal de 's Heeren-EIderen demande que le chemin de fer projeté par le sieur Benard passe par Bilsen et que la compagnie concessionnaire d'un chemin de fer de Ilasselt vers Maestricht soit obligée de construire un embranchement de Bilsen à Ans par Tongres. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Perwez prient la chambre d'accorder au sieur Marchal la concession d'un chemin de fer dit : de la grande Jonction belge. »
« Même demande du conseil communal de Noville-sur-Mehaigne. »
« Même demande du conseil communal de Ramillier-Offus. »
« Même demande du conseil communal de Mont-St-André. »
« Même demande du conseil communal de Saint-Germain. »
« Même demande du conseil communal de Thorembais les-Béguines.»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Fleurus à Landen.
« Plusieurs fabricants à Tournai demandent l'établissement d'un conseil de prud'hommes dans cette ville. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Le Hon. - La ville de Tournai réclame l'institution d'un conseil de prud'hommes comme il y en a dans plusieurs villes de la Belgique. Il existe dans les rapports entre les maîtres et les ouvriers un grand désordre qu'il importe de faire cesser. Je demande un prompt rapport sur cette pétition. Il y a urgence.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Thomas Thompson-Jackson, commandant le navire le Baron Osy à Anvers, né à Witby (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Par messages en date du 3 juin, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi sur les distilleries et transmet le projet de loi de Code forestier qu'il a amendé. »
- Ce projet est renvoyé à la section centrale qui a examiné le projet primitif.
M. E. Vandenpeereboom. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de votre commission sur le projet de loi relatif à l'augmentation de la dotation de l'héritier présomptif de la couronne.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis en tête de l'ordre du jour de lundi.
M. Moncheur. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi relatif au chemin de fr de Hasselt à Maestricht.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mit à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Le gouvernement a déclaré qu'il ne se ralliait pas aux propositions de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je dois expliquer le sens de la réponse que j'ai faite hier, quand M. le président m'a demandé si je me ralliais aux propositions de la section centrale. A la demande de M. le président j'ai répondu : Non ! sauf l’explication que vous allez entendre. Quand la section centrale a manifesté l'intention de scinder le crédit demandé par le gouvernement, elle l'a invité à faire connaître ceux des articles qui étaient les plus urgents et ceux qui peuvent sans trop d'inconvénient être ajournés.
J'ai eu l'honneur de remettre une note à cet égard à la section centrale. Je me suis expliqué en outre sur quelques articles selon moi très urgents et ne comportant pas d'ajournement. La section centrale a fait droit à quelques-unes de mes observations, mais beaucoup d'autres sont restées en dehors de ses propositions actuelles. Ce sont ces articles sur lesquels j'appellerai l'attention de la chambre, et dont je demanderai la discussion immédiate. Voilà dans quel sens je ne puis adhérer aux conclusions du rapport de la section centrale.
Quant aux articles à l'égard desquels il n'y a pas d'inconvenients à ajourner, je me rallie aux propositions de la section central'. Lorsque nous arriverons à la discussion sur les articles, j'indiquerai ceux dont j'ai demande la discussion immédiate. Mais avant tout, je désire prémunir la chambre contre l'effet que pourrait produire le chiffre tel qu'il est présenté par la section centrale sous la dénomination de crédits supplémentaires.
La demande primitive était de 971,000 fr. Pendant l'instruction, on y a ajouté 76,000 fr. Enfin, la section centrale y a ajouté d'office une somme de 300,000 fr.
Permettez-moi de dire quelques mots sur ce chiffre et de le décomposer. D'abord, la demande primitive de 971,000 serait de nature à faire illusion à la chambre si l'on supposait que ce sont des demandes de véritables crédits supplémentaires.
Voici comment se décompose le chiffre ds 971,000 fr. :
217,000 fr., qui ne sont pas du tout des crédits supplémentaires, mais une simple demande de transfert ; ce qui est tout différent ;
289,000 fr., dépense nécessitée par l'exécution des lois et des règlements, et qui n'a pu être couverte par les crédits ordinaires portés au buiget ;
464,000 fr., somme comprenant beaucoup d'articles, sur lesquels il n'y a pas de controverse sérieuse ;
193.000 fr., concernant exclusivement la division des beaux-arts et qui paraissent devoir être l'objet d'une discussion.
Maintenant un mot sur les 300,000 fr. que la section centrale a portés d'office à titre de crédits supplémentaires. C'est une créance que, dit-on, le département de la guerre a à charge du département de l'intérieur. Voici comment on raisonne. Le département de l'intérieur a demandé au département de la guerre des fusils pour la garde civique. Ces fusils sont sortis des arsenaux de l'Etat. Mais, comme s’il s'agissait d'une fourniture faite à des particuliers, le département de la guerre a fait un compte s'élevant à 500,000 fr. à peu près.
Lu département de l'intérieur à cru pouvoir faire un payement de deux cent et quelques mille francs, sur la créance du département de la guerre. Il a cru pouvoir affecter une partie d'un crédit de 500,000 fr. que la chambre avait mis à sa disposition pour l'armement et l'équipement de la garde civique.
Il est resté dû de ce chef une somme de 300,000 fr.Je ne sais pas si quelqu'un peut ici supposer sérieusement que c'est là une créance recouvrable à charge du département de l'intérieur ; et quand, par exemple, lorsque l'Etat a besoin de 20,000 à 30,000 fusils, et qu'il les prend dans les arsenaux de l'Etat, je ne sais si l'on peut croire sérieusement que le département de l'intérieur, qui n'est que l'intermédiaire pour faire arriver ces fusils à leur destination, sera grève d'une dette de 300,000 ou 400,000 fr. Il me semble qu'on ne peut raisonner ainsi et que cela ne peut constituer une créance d'un département à charge d'un autre.
Mais au moins, était-ce un motif suffisant pour que la section centrale se crût autorisée à porter à la charge du département de l'intérieur une somme de 300,000 fr., et à grossir ainsi les crédiys supplémentaires qu'on fait monter à la somme de 1,347,817 fr. ?
Je ne le pense pas, et j'espère que la chambre partagera cet avis. Au surplus, la discussion sur ce point serait entièrement oiseuse ; elle ne peut mener à rien.
Reste le chiffre définitif qui se décompose comme je viens de le faire connaître à la chambre. Lorsque nous aborderons les demandes spéciales de crédits sur lesquelles la chambre est appelée à se prononcer, je donnerai successivement les explications que ces crédits comportent.
M. Osy. - Messieurs, lorsqu'il s'est agi d'élever un monument à Bruxelles, l'honorable M. Rogier nous a accusés, directement ou par insinuation de ne pas vouloir de la Constitution, de ne pas vouloir la maintenir. Eh bien, je prouverai, à l'occasion des crédits qui nous sont soumis aujourd'hui, que c'est l'honorable M. Rogier qui, dans plusieurs circonstances, a violé la Constitution.
Lisez, messieurs, l'article 115 de la Constitution, il dit clairement que toutes les recettes et toutes les dépenses de l'Etat doivent être portées au budget. Or, pendant les quatre ou cinq ans du ministère de (page 1570) l'honorable M. Rogier, vous vous rappelez que non seulement nous avons voté plusieurs crédits in globo, vu les circonstances, mais qu'il nous a demandé des crédits supplémentaires pour des sommes très fortes.
Aujourd'hui, par suite de l'arrivée aux affaires du nouveau ministère, on est obligé de vider le sac, et vous voyez à quel chiffre montent les crédits qu'on nous demande. C'est une affaire d'au-delà de 900,000 fr.
Les crédits supplémentaires, d'abord présentés par M. le ministre de l'intérieur, se montent à 971,000 fr. Quelques jours avant de terminer nos travaux, qui ont été très longs en section centrale, on est venu avec une nouvelle proposition de 70,000 francs, faisant, avec les crédits primitivement demandés, 1,040,000 fr.
Il est vrai, je le reconnais avec M. le ministre de l'intérieur, que dans cette somme il y a des dépenses qui éiaient nécessaires. Mais pourquoi ne pas proposer ces dépenses à la chambre, qui certainement est réunie assez longtemps, avant de les faire ?
Il y a d'ailleurs des sommes très considérables qui sont tout à fait en dehors du budget et qui concernent des objets pour lesquels la chambre ne voulait pas que les crédits votés par elle fassent dépassés.
Sous ce rapport, je prétends que l'article115 de la Constitution a été violé.
Je citerai un autre article de la Constitution ; c'est l'article 17, sur l'instruction. Il dit positivement qu'il n'y aura d'instruction aux frais de l'Etat qu'en vertu de la loi. Cependant, le ministère du 12 août a créé, sans loi, les écoles agricoles. Nous avons réclamé pendant quatre ans ; nous avons demandé qu'on régularisât cette institution par une loi. Jusqu'ici on n'en a rien fait.
Messieurs, ce n'est pas seulement avec des monuments que nous devons maintenir la Constitution, c'est aussi par nos actes, et certainement des actes valent beaucoup mieux que de vaines parades.
C'est dans cette enceinte que nous devons maintenir la Constitution, et je maintiens que quand le gouvernement croit devoir faire une dépense, il ne doit contracter aucun engagement avant d'avoir obtenu l'assentiment de la législature.
Messieurs, la section centrale a beaucoup travaillé pour pouvoir faire un rapport très circonstancié sur tous ces crédits si nombreux et qui s'élèvent à des sommes si considérables, mais malgré l'extrême activité qu'elle y a mise, il lui a été impossible de faire un rapport pour une somme plus considérable que celle de 600,000 francs, dont elle propose l'adoption. M. le ministre de l'intérieur demande aujourd'hui que nous votions les autres sommes, sans qu'elles aient été l'objet d'un rapport. Ce serait là une marche des plus irrégulières, et j'espère bien que la chambre n'entrera pas dans cette voie.
La section centrale a fait tous ses efforts pour liquider le plus de dépenses possible ; mais, messieurs, il y a des objets tels, qu'il est impossible de les comprendre dans le rapport sans avoir obtenu des informations ultérieures. Ainsi, pour les beaux-arts il y a un tableau par lequel on vous engage à décréter des dépenses sans savoir à combien elles s'élèveront. On a commandé des objets d'art sans qu'on dise ni la somme, ni le sujet, ni la grandeur. Comment voulez-vous qu'une section centrale consciencieuse puisse vous faire un rapport sur de semblables objets, sans avoir obtenu des renseignements ?
Je conjure la chambre de se borner à adopter ce que propose la section centrale ; dès l'ouverture de la session prochaine, la section centrale reprendra ses travaux et elle s'efforcera de compléter son rapport le plus tôt possible.
Je n'entrerai pas, messieurs, dans le détail des chiffres, me réservant de présenter mes observations à mesure que nous examinerons les paragraphes, car je demanderai la division : il y a, en effet, des crédits qui ont été contestés par la minorité de la section centrale et il faut que la chambre soit mise à même d'apprécier les objections qui ont été produites contre ces crédits.
Avant tout, je demande que la chambre ne s'occupe que des 600,000 fr. dont la majorité de la section centrale propose l'adoption.
M. Rogier. - Je prie la chambre de vouloir bien m'accorder pendant quelque temps sa bienveillante attention, et j'exprime de nouveau le regret d'être obligé d'entretenir la chambre de mon administration. Heureusement que nous sommes arrivés à la fin de la session.
A voir la manière dont la section centrale était composée, je devais m'attendre à un rapport sévère, très sévère. Le rapport, je dois le dire, a dépassé mon attente.
A chaque page, à chaque phrase, je rencontre les mots « d'illégalité, d'arbitraire, d'abus, de dépenses d'intérêt personnel plutôt que d'intérêt public, de prodigalités, de mépris des prérogatives parlementaires, d'expédients dépourvus de la prudence la plus vulgaire, d'interprétation arbitraire de la loi qui entraîne les accroissements de dépenses, et tout cela malgré le blâme nettement formulé par la représentation nationale. » Voilà un résumé du rapport de la section centrale.
A côté de toutes ces terribles accusations, j'ai vainement cherché des faits, des preuves ; je ne les ai pas trouvés. Je présume qu'il ressortira de la discussion qu'on a voulu mettre autre chose dans le rapport que des paroles plus ou moins offensantes pour l'ancien ministre, et qu'on établira par des faits qu'il a violé la Constitution et les lois.
L'honorable M. Osy vient de m'accuser en termes exprès d'avoir violé la Constitution ; il a apporté une preuve à l'appui de cette grave accusation ; cette preuve, il ne l'a pas trouvée dans le rapport de la section centrale, bien que la section centrale ait travaillé très longtemps à ce rapport, à ce qu'il semble.
En effet, le projet de loi a été présenté le 28 février, et le rapport, très incomplet, de la section centrale, est du 25 mai ; elle a donc travaillé à ce rapport pendant trois mois, si je ne me trompe.
La preuve que j'ai violé la Constitution, l'honorable M. Osy la trouve dans l'institution des écoles d'agriculture.
Eh bien, les écoles d'agriculture ont été créées par le fait du gouvernement, secondé par la législature.
L'honorable M. Osy, qui a bonne mémoire quand il le veut, doit se rappeler que le premier crédit affecté aux écoles d'agriculture a donné lieu dans cette chambre à une assez longue discussion, que le gouvernement l'a obtenu à titre de subside à décerner aux établissement agricoles qui seraient créés avec son concourt.
Les chambres ont été saisies de la question, elles l'ont résolue par le budget.
Qu'on nous dise donc de quelle manière la Constitution at-elle été violée ? Les dépenses ont-elles été faites sans l'assentiment des chambres ? Au contraire, j'ai porté au budget les dépenses des écoles d'agriculture, et les chambres après discussion les ont votées. Si donc j'ai violé la Constitution, ce qui me causerait un bien vif regret et un très profond chagrin, car je suis très attaché à la Constitution ; si j'ai violé la Constitution, il faudra qu'on cherche d'autres preuves que celle qu'on vient de donner.
L'honorable M. Osy a parlé d'un « sac bien lourd à vider » par l'administration actuelle comme legs de l'administration précédente. Cette métaphore très pittoresque m'a frappé, et je me suis souvenu de l'avoir déjà entendue à une autre époque, et c'était encore l'honorable M. Osy qui s'en servait, non pas à l'égard du ministère du 12 août, mais à l'égard d'un autre ministère.
C'était au mois de décembre 1847 à propos de crédits supplémentaires - car il y eu a eu de tout temps - que le ministère nouveau venait demander pour couvrir des dépenses faites par le ministère précédent.
« Le ministère, disait à cette occasion l'honorable M. Osy, est obligé de vider un sac bien lourd. Les dépenses arriérées, legs du dernier ministère s'élèvent à cinq millions, pour lesquels on a dû nous présenter des crédits supplémentaires. »
Voilà comment s'expliquait l'honorable M. Osy, sur un ancien cabinet dans lequel figuraient ses amis d'aujourd'hui. Cela prouve que l'honorable membre n'en veut pas spécialement, exclusivement aux hommes du ministère du 12 août ; quant aux crédits supplémentaires, ils ne sont pas d'origine récente, ils ont existé en tout temps.
L'honorable membre est sévère pour moi ; il était au moins aussi sévère à l'égard de mes prédécesseurs ; car il a prononcé de leur temps le mot « corruption » ; jusqu'à présent il ne m'en a pas gratifié ; c'est peut-être réservé pour la seconde partie du rapport, car il paraît qu'on a réservé beaucoup de choses pour ce second rapport. Au reste, c'est le seul mot qui manque dans le premier rapport de M. de Man.
Le rapporteur de la section centrale s’est montré, je sais obligé de le dire, préoccupé d'une seule chose, c'est d'établir que parmi tous les crédits demandés, la plus grande partie de tous les crédits demandés, méritait un blâme comme entachés d'illégalité, d'irrégularité, etc.
Le rapporteur commence par grossir le chiffre des crédits supplémentaires. Les crédits demandés par le ministre de l'intérieur s'élevaient à 971,000 fr., une demande postérieure les porta à 1 million 38,000 fr. Cela ne suffisait pas ; il a fallu faire apparaître un chiffre plus considérable pour grossir le sac suivant l'expression de l'honorable M. Osy.
On a découvert que le département de l'intérieur devait 300 mille fr. au département de la guerre, le ministre de la guerre a fait connaître à l'honorable M. de Man que son collègue de l'intérieur était redevable de 300,000 fr. envers son département. Le département de la guerre aurait donc dénoncé au rapporteur une dette de 300,000 fr. à charge de l'intérieur, parce que le ministre de la guerre aurait fourni des fusils au département de l'intérieur. Que dit la loi sur la garde civique ? que les fusils sont fournis par l'Etat ; où prend-on ces fusils ? On les prend dans les arsenaux de l'Etat. C'est le département de la guerre qui est chargé d'approvisionner les arsenaux.
Je sais qu'en 1848 et 1849 le département de l'intérieur chargé de l'armement et de l'équipement de la garde civique demanda, sans que cela pût engager l'avenir, un crédit de 500 mille francs pour cet objet. Depuis, l'armement a dû s'effectuer par les arsenaux de l'Etat. Il serail absurde d'imposer pour toujours à l'intérieur le payement des fusils fournis par le département de la guerre. Il n'y aurait pas d'ailleurs d'économie pour le trésor à faire de pareils transferts. Je ne pense pas que M. le ministre de l'intérieur consente désormais à payer les fusils fournis à la garde civique.
Le rapporteur a été chercher ces 300,000 fr. et a grossi d'autant la demande de crédit de son autorité privée, parce que le chiffre de 1,3000 mille fr. devait à son point de vue faire plus d'effet.
A-t-on eu l'impartialité de reconnaître que tous les crédits demandés n'étaient pas de véritables crédits supplémentaires ? A-t-on eu l'impartialité de reconnaître que dans le million demandé il y avait 217 mille (page 1571) francs à déduire pour dépenses affectées à des services spéciaux lesquelles n'avaient pas pu être faites dans les délais fixés par la loi ? D'abord il y a le palais de Liège ; ce simple poste comporte une somme de 158,000 francs dont on a demandé à faire le réemploi.
De même il reste sur le crédit de 500 mille francs destiné à l'armement de la garde civique, 52 mille fr. qui n'ont pu être employés. On demande à pouvoir en faire usage. N'eût-il pas été juste de faire remarquer que ce n'était pas une aggravation de dépense, mais l'emploi d'une somme antérieurement votée ?
N'était-il pas impartial de dire que, dans les autres crédits, je viens de parler de réemploi, beaucoup des sommes demandées étaient le résultat inévitable, indispensable de l'application des lois ? Vous avez pour ces dépenses résultant de l'application des lois et règlements légaux un total de 2809000 francs. Je trouve, pour l'instruction primaire, 50,000 francs et 82,000 fr., soit 132,000 fr. qui sont demandés en exécution de la loi d'instruction primaire. C'est ici encore que je dois faire relever l'esprit très sévère et peu impartial qui semble avoir présidé à la rédaction du rapport.
On prétend (c'est une des nombreuses accusations portées contre moi) que ma manière arbitraire d'interpréter la loi est une cause d'accroissement de dépense pour le trésor ; et l'on cite entre autres mon interprétation de la loi sur l'instruction primaire. Or l'interprétation que j'ai donnée à la loi sur l'instruction primaire a pour but précisément de dégrever le trésor.
Cette interprétation est sévère contre les communes ; mais elle est toute favorable au trésor. S'il m'est facile de me rendre compte du but que poursuit le rapporteur de la section centrale, il me l'est moins de comprendre les moyens qu'il emploie pour atteindre ce but ; car il invoque à l'appui de son opinion contre moi un discours de l'honorable bourgmestre de la capitalte qui, soutenant la thèse contraire, prétendait que le trésor était tenu d'intervenir dans les dépenses, du moment que les communes avaient voté leurs revenus.
L'honorable bourgmestre, dans son discours, déclarait que cette interprétation pourrait donner lieu à des dépenses pour l'Etat s'élévant a un million. Je combattis ce discours, je soutins la thèse absolument contraire, la thèse favorable aux intérêts du trésor. Et l'on dit, en toutes lettres dans le rapport, que ma manière arbitraire d'interpréter la loi sur l'instruction primaire donne lieu à une augmentation de dépense, tandis que mon interprétation de la loi sur l'instruction primaire donne lieu à une diminution de dépense.
Je ne comprends donc pas par quelle espèce d'aberration on est venu dans ce rapport qui a coûté tant de peines et d'études rappeler ce discours de l'honorable bourgmestre de Bruxelles.
Quoiqu'il en soit, voilà encore uu poste qu'il aurait fallu déduire du crédit supplémentaire, puisque en définitive l'Etat est obligé de faire la dépense réclamée en exécution de la loi sur l'instruction primaire, et en l'interprétant dans le sens le plus rigoureux contre les communes, le plus avantageux pour le trésor public ; en bonne justice il aurait fallu rayer cette somme des crédits supplémentaires susceptibles de discussion.
Maintenant, reste la troisième catégorie : ce sont les dépenses résultant de l'insuffisance des crédits. Celles-là ne sont pas prescrites par la loi ; ce ne sont pas des réemplois ; ce sont des insuffisances de crédits. En principe est-il juste de soutenir que le ministère est en tout cas responsable de l'insuffisance des crédits portés au budget ? Les crédits sont des présomptions. Quand un crédit est insuffisant, est-ce que le ministre est nécessairement coupable ? Est-ce que le ministre viole la loi, parce qu'il vient demander que l'on comble par la loi l'insuffisance d'un crédit ?
La plupart des dépenses qui vous sont présentées ne sont pas décrétées ; ce sont des propositions de dépenses. Je prends un chiffre, le premier venu : « Subside à la province de la Flandre occidentale, pour l'aider à compléter les frais d'acquisition et d'appropriation de l'hôtel destiné au service de l'administration provinciale : fr. 20,000 fr. »
Il n'y a pas de loi qui prescrive au gouvernement de faire cette demande. Ce n'est pas le réemploi d'une somme qui n'a pas été employée. C'est une proposition nouvelle. Les premiers crédits ont été insuffisants. On vient vous demander 20,000 fr. Libre à la chambre de voter ce crédit, comme elle vote toute espèce de crédit. On demande un supplément de crédit de 20,000 fr. pour une province qui s'est trompée (car on se trompe ailleurs qu'a Bruxelles) dans certaines évaluations.
Le gouvernement a cru qu'il y avait lieu d'accueillir cette demande et de faire une proposition à la chambre. Cette proposition est-elle illégale ? Est-elle arbitraire ? Si vous croyez que la province de la Flandre occidentale n'a pas droit à ces 20,000 fr. refusez la somme. Mais il n'y a pas de violation de la loi ; il n'y a pas d'arbitraire ; il y a une mesure législative à l'égard de la province de la Flandre occidentale.
Autre exemple. Y a-t-il de l'arbitraire, parce que 15,000 fr. sont demandés pour les professeurs qui n'ont pas été replacés dans l'enseignement moyen ?
Eh bien, messieurs, de quoi s'agit-il ici ? En 1853, le budget a porté une somme destinée à indemniser les professeurs qui n'avaient pas été replaces lors de l'organisation de l'enseignement. Pour 1852 ces professeurs n'ont pas reçu d'indemnité. Et que vient vous proposer M. le ministre de l'intérieur ? Il vient vous proposer une allocation par crédits supplémentaires en faveur de ces professeurs pour l'année 1852. Le gouvernement n'a pas accordé cette somme aux professeurs pour une bonne raison, c'est qu'il ne l'avait pas à sa disposition. Mais comme vous l'avez accordée pour 1853, il est juste que vous l'accordiez pour 1832. Maintenant la chambre croit-elle qu'il n'y a pas lieu d'accorder cette somme aux professeurs ? Qu'elle rejette le crédit et tout sera dit : Sa prérogative ne se trouve pas entamée ; c'est une proposition toute d'équité, toute de justice, toute de philanthropie. Est-ce de l'arbitraire ? Est-ce de l'illégalité ? Qu'on me réponde. A des mots offensants, à de vagues accusations j'oppose des faits ; je serais charmé de voir qu'on voulût bien préciser les faits.
Il y en a un qui précède le rapport. Celui-ci est très grave, comme, on va le voir ; j'ai ouvertement porté atteinte à la prérogative parlementaire.
Il y a eu une médaille d'or accordée à un vaccinateur qui n'avait pas pu la recevoir dans le délai prescrit. Remarquez bien ceci, je m'adresse aux observateurs scrupuleux de la loi de comptabilité. Ce vaccinateur avait posé les actes qui lui faisaient mériter la médaille, dans un exercice qui était expiré. Il n'y avait plus moyen d'imputer l'allocation nécessaire pour cette médaille de 105 fr. sur l'exercice expiré.
Qu'a fait le gouvernement ? Il est venu demrnder à la chambre un crédit supplémentaire de 105 fr. pour payer la médaille de ce vaccinateur.
Mais, nous dit le rapport de la section centrale, pourquoi ne pas imputer cette médaille sur l'exercice 1851 ? Si cela eût été fait, messieurs les observateurs si rigoureux des lois de comptabilité, qu'auriez-vous dit ? Vous seriez venus crier bien plus hiat a la violation de la loi, et qui sait ? de la Constitution. La cour des comptes aurait pu répondre au ministre : L'acte pour lequel vous avez imputé une dépense de 105 fr., a été posé en 1852. Vous ne pouvez au budget de 1854 faire des dépenses pour des actes remontant à 1852. Voilà ce que la cour des comptes eût pu répondre, et voilà peut-être ce qui nous eût été reproché comme une grave irrégularité.
Dans tous les cas, je cite cet exemple pour prouver jusqu'à quel point le rigorisme de la section centrale dans son long travail a poussé l'examen des diverses dépenses.
A mon avis, et il y en a d'autres qui partagent cet avis, M. le rapporteur de la section centrale a beaucoup étudié la loi de comptabilité, les questions financières ; mais il a encore quelque progrès à faire dans cette étude.
Il pose carrément certaines doctrines qui, suivant moi, sont très sujettes à contestation. Je ne veux pas prolonger indéfiniment le débat, en entamant une discussion sur ce point avec l'honorable rapporteur. Je fais seulement mes réserves quant à certaines doctrines qu'il a exposées dans son rapport.
Reste, messieurs, le second rapport. C'est peut-être là que l'on démontrera, que l'on mettra à nu les illégalités, les monstruosités qui jusqu'ici ne figurent qu'à l'état de simple assertion. Il paraît que, surtout dans le second rapport, il sera question des allocations du ministre de l'intérieur pour les beaux-arts.
Il est impossible, messieurs, de réfuter d'avance un rapport qui n'est pas encore fait ; je dois l'attendre. Je l'attends au moins aussi rigoureux que celui-ci, quoiqu'il soit difficile d'aller plus loin. Eh bien, je n'en crains pas davantage les conséquences et je vais mettre tout de suite le rapporteur fort à son l'aise.
La somme demandée pour les beaux-arts s'élève à 195,000 fr. On cherchera à établir que j'ai été prodigue pour les beaux-arts. Mais si l'on parvient à faire cette démonstration, j'en serai très reconnaissant au rapporteur. Je le supplie de vouloir bien démontrer à la chambre que le ministre de l'intérieur a été prodigue pour les lettres et pour les beaux-arts. Malheureusement je crois que cette démonstration sera très difficile.
Pour le moment, voici la seule observation que je ferai à cet égard. Les crédits pour les beaux-arts ont été insuffisants de tous temps, M. le ministre de l'intérieur actuel l'a reconnu ; et qu'a t-il dit à la section centrale ?
« Le crédit annuel pour les beaux-arts est insuffisant ; il est grevé d'ailleurs, et cela s'est fait à toutes les époques, d'engagements antérieurs ; si j'étais débarrassé de ces engagements, si j'avais mon crédit entièrement libre pour 1853, peut-être alors pourrais-je marcher. »
Qu'a fait la section centrale ? Elle a dit à M. le ministre de l'intérieur ; eh bien ! liquidons le passé ; vidons le sac, selon l'expression énergique et pittoresque qu'on a employée. Vous voulez avoir votre année 1853 entièrement libre et dégagée ; faites en masse une demande de crédits supplémentaires.
M. le ministre de l'intérieur n'a eu garde de manquer à une invitation aussi séduisante, il a réuni, et il a bien fait, tout ce qu'il y avail d'engagements antérieurs, et le voilà libre pour 1853. mais pour l'exercice 1854, M. le ministre de l'intérieur reconnaissant qu'en effet le chiffre pour les beaux-arts était insuffisant, viens vous demander une augmentation de 38,000 fr.
38,000 fr. par an, cela fait pour cinq ans 190,000 fr. ; de telle sorte que mon honorable et très favorisé collègue se trouvant parfaitement à l’aise dans son budget de 1853, se trouvant déchargé de tout le passé, (page 1572) va aborder l’exercice de 1854 avec une augmentation pure et nette de 38,000 fr. Je l’en félicite.
Mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que l'insuffisance du crédit pour les beaux-arts était au moins de 38,000 fr. par an, puisque, malgré cette décharge de tout le passé, M. le ministre de l'intérieur vient encore vous demander, et vous le croirez, je suppose, à moins de vous défier de tous les ministres, une augmentation de 38,000 fr. pour les beaux-arts. Si donc des crédits supplémentaires vous sont demandés pour les beaux-arts, c'est que l'allocation était insuffisante, et que tous les ministres qui se sont succédé, depuis le premier jusqu'au dernier, ont reconnu cette insuffisance.
J'espère qu'à l'avenir, si l'allocation de 38,000 fr. est accordée, les crédits supplémentaires disparaîtront non pris entièrement, ils ne disparaîtront jamais entièrement, mais seront diminués. Car je serais le premier à mettre un frein à des dépenses qui porteraient à mes yeux un caractère d'exagération.
Je n'abandonnerai pas l’article des beaux-arts, sans dire un mot d’une dépense dont je sais qu’on a fait grand bruit, dont on se réserve sans doure encore de faire grand bruit, mais qu’il est indispensable d’introduire dès maintenant dans la discussion.
Il y a eu un arrangement pris avec un artiste, avec un artiste très distingué qui, par suite des retards qu'on apporte à la liquidation des subsides qu'il réclame, se trouve dans une position dont tous les amis des arts voudraient le voir sortir. Cet arrangement a été pris de mon temps. Je suis prêt à le défendre, et lorsque nous en viendrons à l'article beaux-arts, si M. le ministre de l'intérieur ne fait pas une proposition...
M. le président. - Elle est faite.
M. Rogier. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur. Alors nous aurons à nous expliquer sur cet arrangement qui, je le sais, a donné lieu à beaucoup de critique de la part de certains honorables membres.
En définitive, messieurs, je crois avoir démontré que le rapporteur de la section contrôle a d'abord exagéré sans nécessité aucune le chiffre des crédits demandés, qu'il y a joint une somme de 300,000 fr., qui ne doit pas y figurer, que, dans les crédits demandés, il y a des sommes qui ne constituent pas des dépenses nouvelles, qui sont des dépenses qu'on n'a pas pu effectuer dans les délais voulus, mais dont il n'était pas possible de faire l'économie, parce qu'elles sont affectées à des services spéciaux, tels que le palais de Liège et la garde civique ; que d'autres dépenses n'ont été faites que par une stricte interprétation de la loi ; que pour ces dépenses, loin d'avoir interprété la loi dans un sens défavorable au trésor, je l'ai interprétée, au contraire, dans un sens favorable au trésor ; qu'il y a une troisième catégorie de dépenses, celles qui ne constituent pss une obligation pour l'Etat et qui se divisent de la manière suivante :
1° De simples propositions de dépenses nouvelles que la chambre est entièrement libre de rejeter ; telle est la somme demandée pour l'hôtel du gouvernement provincial à Bruges ;
2° Des dépenses concernant les beaux-arts ; pour celles-là, certainement il y a des engagements pris, je ne les nie pas, je les avoue hautement, je les justifierai. Pour ces dernières dépenses, évidemment il y a insuffisance du budget, les faits que j'ai signalés le prouvent surabondamment, puisque M. le ministre de l'intérieur, malgré tout l'esprit d’économie qu’il annonce, malgré les intentions qu’il a manifestées dans cette enceinte, malgré cela, M. le ministre de l'intérieur, dont vous ne devez pas avoir la moindre défiance, a été obligé de demander un crédit supplémentaire de 38,000 fr. par an.
Je termine, messieurs, par une réflexion générale. La section centrale a mis trois mois à éplucher minutieusement tous les crédits demandés ; il serait malheureux, après un aussi long travail, de ne pas mettre la main sur l'une ou l'autre dépense qui n'aurait peut-être pas été faite selon toute la rigueur de la loi ou des règlements.
Je ne blâme pas les membres de la chambre qui s'occupent avec soin, avec minutie, des dépenses des ministres, c'est là une prérogative et une prérogative essentielle de la chambre ; je crois qu'il est très utile qu'il y ait dans la chambre des esprits sévères qui s'occupent avec soin des détails de toutes les dépenses des ministres ; mais ce qui serait non moins utile c'est qu'un peu plus d'impartialité présidât au compte rendu des résultats obtenus par les recherches auxquelles on s'est livré ; c'est qu'on ne cherchât pas à ne trouver que des irrégularités, que l'on reconnût franchement ce qu'il y a de régulier et qu'on réservât la critique pour ce qui est réellement irrégulier.
Je n'admets pas qu'il y ait des crédits irréguliers, mais je conçois qu'il y en ait auxquels vous ayez cru reconnaître ce caractère, et c'est pour ceux-là que vous auriez dû réserver vos critiques ; mais en criant à tout bout de champ à l'irrégularité, à l'illégalité, à la prodigalité, vous jetez une grande défaveur sur vos travaux et cela est fâcheux.
Messieurs, en ce qui concerne les crédits supplémentaires, je finirai par l'exposé d'une simple théorie que je prierai soit l'honorable rapporteur de la section centrale soit l'honorable M. Osy de vouloir bien combattre. Voici, messieurs, cette théorie.
« Plus la chambre adressera des critiques sévères aux demandes de crédits supplémentaires, plus les ministres grossiront les chiffres des divers articles, pour ne pas se trouver dans le cas de venir avec des demandes semblables. »
Et c'est, messieurs, ce qui se passe aujourd'hui. On pratique cette incurie. M. le ministre de l'intérieur, qui a annoncé dès l'abord, une grsnde aversion pour les crédits supplémentaires, qu'a-t-il fait pour y échapper ? Il est venu grossir l'article de son budget pour 1854. Le crédit de 1854 est plus élevé que celui de 1853. De cette manière on espère échapper aux crédits supplémentaires. Eh bien, c'est la pratique de la théorie que je viens de rappeler et sur laquelle je ne serais pas fâché de connaître l'opinion de l'honorable M. de Man et de l'honorable M. Osy.
(page 1577) M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, le gouvernement a transmis à la section centrale un projet de loi qui tend à allouer des fonds peur couvrir des dépenses considérables faites irrégulièrement pour la plupart ; car elles sont dépourvues de crédits législatifs. La seciion centrale a compris immédiatement que l'époque de l'année était trop avancée pour pouvoir faire sur un projet de loi aussi compliqué un rapport précédé d'une instruction suffisante dans le courant de cette session. Elle a compris surtout qu'il était impossible que le projet fût discuté avec fruit dans cette enceinte.
L'état de fatigue où se trouve la chambre après une session qui se prolonge outre mesure, ces bancs dégarnis prouvent que les prévisions de la section centrale étaient fort justes, qu'elles n'étaient pas dénuées de fondement, vous le reconnaîtrez sans difficulté.
Quel parti la section centrale a t-elle adopté ? Elle a partagé son travail en deux parties ; la décision, qu'elle a prise d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, n'est en réalité que celle qui a été adoptée par la section centrale, qui a été chargée d'examiner le projet de crédits supplémentaires demandés en 1851 pour le même département de l'intérieur, et dont l'honorable M. Deliége a été le rapporteur.
La section centrale a été d'abord d'avis de renvoyer le tout à la session prochaine. Mais comme, parmi les dépenses proposées, il en était un certain nombre qu'il était impossible de contester et qui étaient d'ailleurs peu sujettes à critiquer, ce que j'ai constaté dans mon rapport, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Rogier, la section centrale consentit à les comprendre dans un premier rapport, et elle adopta le parti de renvoyer à un second qui serait présenté à la session prochaine, les dépenses qui exigeaient plus de recherches, parce qu'elles étaient plus contestables.
Ce parti était fort sage, car quel moyen pouvons-nous opposer à un mal qui semble devenir chronique, si ce n'est un examen approfondi, suivi d'une discussion sérieuse, le recours au contrôle de la publicité, un appel à l'opinion publique ?
L'honorable M. Rogier, ancien ministre de l'intérieur, dont nous avons à contrôler les actes, n'a pas manqué de vous rappeler, pour inculper la section centrale, que le projet de loi a été présenté, il y a trois mois, que dès lors nous avons eu tout le loisir de l'examiner.
Je répondrai que l'examen en sections a absorbé d'abord quelque temps. La section centrale s'est réunie dès que les rapporteurs ont été nommés. Elle s'est empressée de dépouiller les procès-verbaux. Ces procès-verbaux constataient des demandes nombreuses de renseignements.
Ces demandes ont été transmises à l'administration, et ce n'est que le 2 mai que les réponses ont pu être examinées par la section centrale. Depuis lors, nous nous sommes réunis chaque semaine au moins ; un travail préparatoire avait été réclamé du rapporteur, et je puis déclarer ici que j'y ai mis toute l'activité désirable. Je te nais à ne mériter aucun reproche, car je les prévoyais.
Mais je n'avais accepté la mission délicate qui m'avait été confiée qu'à la condition d'avoir devers moi le temps de faire une instruction complète.
Sur ces entrefaites la section centrale m'autorisa à adresser de nouvelles demandes de renseignements au gouvernement. Ces réponses m'étaient indispensables pour compléter mon travail. Je ne reçus d'éclaircissements que sur un seul objet, l'exposition de Londres.
Afin de presser le dépôt du rapport, je n'insistai pas pour obtenir les autres réponses ; elles concernaient d'ailleurs, pour la plupart, des dépenses que la section centrale avait classées dans son second rapport.
Je conclus de ce qui précède, que nul reproche fondé ne peut lui être adressé. Notez, messieurs, que le travail est considérable, ingrat ; la vérité est difficile à découvrir. Les bureaux sont intéressés à ne pas laisser voir le mauvais côté des questions.
Aussi sont elles souvent exposées d'une manière obscure.
L'honorable député d'Anvers a insisté surtout sur ce que le rapport de la section centrale serait entaché de partialité.
A l'entendre, il n'aurait posé aucun acte irrrégulier.
Les dépenses qu'il a faites seraient d'une légalité irréprochable. C'est de la partialité que de prétendre trouver à y redire.
Eh bien, je dis que s'il y a quelque chose de partial ici, c'est la manière toute bienveillante avec laquelle l'honorable M. Rogier dépeint ses actes administratifs.
D'après l'ex-ministre de l'intérieur, ses actes de dépenses ne méritent aucun reproche, comment se fait-il donc alors que l'honorable M. Piercot, ministre de l'intérieur d'aujourd'hui, nous déclarait naguère, pour nous déterminer à passer sur les suppléments nécessaires pour couvrir les dépenses de son prédécesseur, qu'il était décidé à obliger ses subordonnés à entrer dans une voie régulière ? Cet aveu ne prouve-t-il pas, que les actes que nous discutons sont irréguliers ?
Voulez-vous savoir, messieurs, comment il se fait que l'honorable député d'Anvers se juge si favorablement lui-même, qu'il traite de partialité le rapporteur de la section centrale.
Cela provient de ce que notre honorable collègue n'est pas d'accord avec nous sur la signification des mots : « crédit législatif ». D'après lui, et c'est la théorie qu'il a développée déjà bien des fois, un crédit est une présomption de dépense, dont l'administration a la faculté de dépasser le chiffre. Et moi je prétends qu'un crédit est un moyen de service limité qu'on ne peut dépasser sans violer la loi qui l'a autorisé, sans violer la Constitution, sans renverser tout notre système du vote préalable des budgets par la législature.
Vous voyez maintenant, messieurs, d'où provient notre désaccord. Mais je crois que vous partagez mon avis, que vous êtes de mon opinion. Elle ne sera contestée par personne, je l'espère.
L'honorable M. Rogier s'est retranché ensuite derrière quelques dépenses inévitables, que le rapport de la section centrale aurait rangées avec une intention évidente parmi les dépenses irrégulières.
Il a parlé du palais de Liège.
Mais si l'honorable député qui m'accuse de partialité avait examiné mon rapport avec un peu plus d'impartialité, avec un peu moins de prévention, il y aurait vu qu'une réserve très nette et très impartiale a été faite à l'égard de cette dépense.
Une réserve a été faite aussi à l'égard des dépenses qui ont excédé les crédits destinés au service sanitaire du bétail, bien que ces dépenses eussent pu être réduites, j'en suis convaincu, si l'administration eût exercé un contrôle plus sévère sur cette branche de service. Car là encore il y a un laisser-aller, qui multiplie les dépenses, sans que le pays y trouve une compensation suffisante.
Les dépenses relatives à l'instruction primaire ont fait également le sujet d'une réserve.
Mais l'on a cru pouvoir me mettre à ce propos en contradiction avec moi-même.
La loi sur l'instruction, m'a-t-on objecté, a été interprétée par le gouvernement non pas de manière à augmenter les dépenses, mais de manière à les diminuer.
Voici quel a été mon but en reproduisant le fragment d'un discours remarquable prononcé le 16 décembre 1852 par l'honorable M. Ch. de Brouckere.
Mon but a été de rappeler, que l'esprit de la loi de 1842 exige que le service de l'instruction primaire soit une charge presque exclusivement communale ; telle est la portée de l'article 20.
Qu'il y a lieu de pourvoir législativement à l'interprétation de l'article 23, dont l'application neutralise en partie le principe posé par l'article 20, que perpétuer le désaccord qui existe entre les deux articles, c'est autoriser l'arbitraire administratif ; le gouvernement se croira toujours permis de dépasser les crédits du budget, tout en ne remplissant qu'imparfaitement les obligations qui dérivent de l'article 23.
Le but que le rapport de la section centrale a eu en vue, a été le même que celui de l'honorable député de Bruxelles ; la mise en demeure pour l'administration de présenter un projet de loi.
J'en viens aux dépenses qui concernent l'armement de la garde civique.
D'après l'honorable M. Rogier, il ne s'agirait ici que d'accorder à l'administration la disposition entière du crédit de, 500,000 fr., qui a été alloué pour l'armement de la garde civique, de mettre à sa disposition la partie de ce crédit encore disponible que la clôture de l'exercice lui a enlevée.
Je ferai remarquer que cette observation n'est pas tout à fait exacte, je tiens ici le compte détaillé de l'emploi des 500,000 fr., et je trouve que ce crédit a été dépassé de 40,000 fr. environ.
Ce crédit a été dépassé pour des motifs qu'il me semble difficile de justifier. Mais, je tiens à ne pas entrer dans les détails. Cette dépense a été ajournée au deuxième rapport. Quand le moment sera venu, il me sera facile d'établir qu'une somme notable a été dépensée en pure perte.
J'ai augmenté mal à propos le découvert du département de l'intérieur, en portant à son compte une somme de 500,000 fr. qui serait encore due au département de la guerre pour l'armement de la garde civique.
C'est le reproche qui m'a été adressé.
Voici ce qui est arrivé : Comme la section centrale tenait à connaître tous les engagements du département de l'intérieur, je me suis permis de m’adresser à M. le ministre de la guerre afin de savoir si le département de l’intérieur n’était pas redevable de quelque somme à la manufacture d’armes de Liége pour l’armement de la garde civique. M. le ministre de la guerre me répondit que le département de l’intérieur devait encore à la manufacture d’armes à Liége une somme de 300,000 francs et que 243,532 fr. 98 c. avaient été payés en quatre mandats.
Maintenant l'honorable M. Piercot, d'accord avec son prédécesseur, l'honorable M. Rogier, prétend que son département ne doit plus rien au département de la guerre.
Je lui demanderai alors comment il se fait que son département a déjà payé une somme de 243,532 fr. 98 c ?
Si c'est au département de la guerre de prélever sur son budget les sommes nécessaires à l'armement de la garde civique sans indemnité du département de l'intérieur, alors il est clair que les 500,000 fr. que nous avons votés au département de l'intérieur auraient dû être alloués au profit du département de la guerre.
Et si le département de la guerre est obligé de couvrir les frais de l'armement des gardes civiques, je demande dans quel but le ministre de l'intérieur a demandé à la chambre un crédit de 500,000 fr. pour couvrir cette dépense.
Qu'on réponde à ces questions, et si on le fait d'une manière satisfaisante, je conviendrai que le département de l'intérieur n'est pas redevable de 300,000 fr. au département de la guerre.
Messieurs, j'ai dit en commençant que la section centrale avait cru qu'il était convenable de ne pas engager une discussion trop longue quand (page 1578) la session est sur le point de finir, quand les bancs de cette chambre deviennent déserts à cause de la fatigue que font éprouver des travaux multipliés.
Cette fatigue je l'éprouve moi-même ; je crois que nous avons quelque droit à rentrer dans nos familles, et à nous occuper de nos propres affaires, après nous être occupés aussi longtemps de celles du pays.
Eh bien, c'est quand l'assemblée est dans une disposition semblable, que le gouvernement insiste afin que le crédit soit voté presqu'intégralement avant de nous séparer.
C'est évident, on veut un vote, et on veut éviter un examen approfondi.
Or, messieurs, ce n'est pas en procédant ainsi que vous opposerez une barrière à ce système qui tend à grossir le budget primitif, par un budget supplémentaire, que vous n'avez pas voté.
Ce n'est pas ainsi que vous arrêterez un système de dépense, qui est la suppression du vote législatif des dépenses.
Ce n'est pas ainsi que vous maintiendrez une des prérogatives les plus précieuses que nous assurent nos institutions constitutionnelles.
Je maintiens donc le système proposé par la section centrale. J'espère, messieurs, que vous lui accorderez votre appui.
J'espère que vous tiendrez à respecter votre règlement. Il exige que tout vote sur un article de loi soit précédé d'un examen et d'un rapport de la section centrale nommée par vous.
Or, M. le ministre de l'intérieur vous demande de passer outre, de voter plusieurs articles de dépense qui n'ont pas subi l'examen de la section centrale.
Il vous propose de voter des dépenses à propos desquelles le gouvernement n'a pas encore produit les éclaircissements qui lui ont été demandés.
La chambre, est souveraine, je le sais. Vous statuerez comme vous l'entendrez, mais ne prononcez pas la déchéance de vos prérogatives, la déchéance de votre section centrale.
En agir ainsi ce serait décourager ceux d'entre nous qui consentent à se charger d'un mandat fort pénible, puisqu'il consiste à vérifier la légalité des actes administratifs de ceux de nos collègues qui ont été ministres.
L'honorable député d'Anvers s'est plaint longuement des termes du rapport de la section centrale. Il est sévère, rigoureux ; il me semble même avoir entendu dire, qu'il contenait des paroles offensantes ; il n'y manque que le mot corruption, a-t-on ajouté.
Mais voyons si ce rapport mérite tant de courroux. Que contient ce rapport ? Il contient quelques considérations théoriques sur les inconvénients qui résultent de la violation des lois de crédits, quelques considérations applicables même à tous les ministres passés, présents ou futurs, qui se sont cru permis de violer les Constitutions tout en prétendant les honorer par des monuments érigés sans le concours de la représentation natioi aie.
Et quelles sont ses conclusions ? Le rapport conclut à l'adoption d'un crédit de plus de (.00,000 fr. Il vous propose de décharger l'ancien ministre de l'intérieur de toute responsabilité quant à cette somme.
Il vous propose de passer l'éponge sur bien des irrégularités.
Je vous le demande, messieurs, la section centrale pouvait-elle en faire moins sans manquera son mandat ?
Cependant l'honorable M. Rogier a déclaré que notre rigorisme avait dépassé toutes les limites, qu'il était difficile d'aller plus loin ; ce sont ses propres termes.
Eh bien, je soutiens que nous aurions pu aller plus loin, nous aurions pu proposer un vote de blâme.
Nous ne l'avons pas fait, mais nous pourrions cependant y venir, car l'honorable M. Rogier n'a pas l'air repentant de sa conduite passée.
Nous aurions même pu aller plus loin encore.
Savez-vous ce que nous eussions pu vous proposer ? C'eût été de rejeter une partie quelconque du crédit demandé, et de charger l'ordonnateur de couvrir cette dépense de ses propres deniers. Nous ne l'avons pas fait non plus.
Cependant le sénat, cette grave assemblée des pairs du pays, en a donné exemple. Le sénat, par l'organe de l'une de ses commissions, a proposé le 12 novembre 1851, quand l'honorable M. Rogier était tout-puissant, la commission du sénat, dis-je, qui avait été chargée d'examiner un autre crédit supplémentaire considérable, a proposé de rejeter une somme de 15,874-60, qui représentait la dépense qui avait excédé le crédit destiné aux fêtes de septembre.
Alors comme aujourd'hui l'on a soutenu que ce crédit n'est qu'une présomption de dépenses qu'il est permis de dépasser.
Aussi malgré cet avertissement sévère, malgré ce blâme, on n'a pas manqué de dépasser le même crédit l'année suivante, en 1852, et cette dépense est l'une de celles qui sont comprises dans le crédit proposé par le gouvernement et sur lesquelles vous aurez à délibérer.
Maintenant que l'honorable député d'Anvers persiste et soutient que tout a été pour le mieux dans son amendement, que son système de dépense ne mérite aucun blâme.
Nous verrons quel parti il nous reste à prendre pour provoquer la condamnation définitive de ce système.
Un mot encore à propos de la nomenclature de dépenses que M. le ministre de l'intérieur vient de remettre à M. le président, et qu'il vous demande de voter sans examen préalable de la section centrale, dans un moment, où fatigués comme nous le sommes, on est incapable de discuter avec fruit.
J'espère, messieurs, que vous accueillerez, comme elle le mérite, une proposition de cette nature.
J'espère que vous ne prononcez pas la déchéance de votre section centrale et de son rapporteur.
Je me verrais obligé de m'abstenir de prendre part à la discussion, et cela même dans l'intérêt de la dignité du mandat dont je suis revêtu.
J'ai accepté ce mandat, croyant avoir l'appui de la majorité de cette chambre ; cet appui m'est indispensable pour le remplir convenablement.
Si vous me retirez cet appui en adoptant la proposition du gouvernement, il ne me restera qu'à m'abstenir, il ne me restera plus qu'à imiter les ministres qui n'ont plus de majorité suffisante pour exister. Mon devoir m'obligera peut-être de donner ma démission. J'ai dit.
(page 1572) M. le président. - Voici la proposition déposée par M. le ministre de l'intérieur :
(Il est donné lecture de cette proposition.)
M. Osy. - Comme vient de le reconnaître M. Rogier lui-même, quand mes amis étaient au pouvoir, comme toujours, j'ai consciencieusement rempli mon devoir en éclairant la chambre sur les dépenses irrégulières ; je suis toujours resté le même.
L'honorable M. Rogier s'est beaucoup récrié contre les expressions qui se trouvent dans le rapport. Si l'honorable membre voulait lire les procès-verbaux des sections, il verrait que ce ne sont pas les expressions de la section centrale, mais des sections.
Plusieurs sections ont insisté pour que des demandes de crédit aussi irrégulières ne se renouvelassent plus.
La deuxième section a formulé un blâme à l'unanimité de ses membres présents...
M. Rogier. - Combien étiez-vous ?
M. Osy. - àù propos d'un système de dépenses qui rend le vote du budget illusoire.
La cinquième section a demandé qu'un blâme fût formulé par la section centrale, etc. »
Voilà ce que je trouve dans les rapports des sections, la section centrale n'a fait que le répéter ; nous n'avons même pas été aussi loin que les sections voulaient, nous n'avons pas proposé d'émettre un blâme, mais nous avons dû faire connaître ce que disaient les sections.
Dans ma section les amis de M. Rogier ont protesté contre ces dépenses irrégulières et proposé d'infliger un blâme. Il faut convenir que les expressions contre lesquelles M. Rogier se récrie ne sont pas l'opinion de la section centrale, mais des sections.
Maintenant il est certain que nous n'avons pas été aussi loin qu'on nous engageait à le faire, puisque nous n'avons pas formulé de blâme. Nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour faire un rapport sur les articles sur lesquels nous avions des renseignements suffisants ; nous nous sommes occupés des demandes du gouvernement ; la majorité a décidé qu'elle ne s'occuperait pas des demandes sur lesquelles les renseignements lui manquaient.
Le gouvernement vous demande de voter sur ces demandes avant d'avoir un rapport définitif ; vous ne suivrez pas cette marche, c'est bien assez, à la veille d'une séparation, de voter des crédits aussi considérables que ceux que nous vous proposons ; si vous discutez sans avoir un rapport sur les articles que nous proposons de renvoyer à la session prochaine, comme mon collègue M. de Man, je m'abstiendrai de prendre part à la discussion.
M. de Renesse. - Messieurs, je ne comptais pas prendre part à la discussion, si l'honorable M. Rogier n'avait émis une certaine théorie sur les crédits supplémentaires, que malgré l'opposition, la critique de la chambre, il y aurait néanmoins, chaque année, lieu à proposer de pareils crédits.
L'article 115 de la Constitution est formel ; il stipule que toutes les recettes et les dépenses de l'Etat doivent être portées au budget et dans les comptes ; il me semble en résulter à l'évidence qu'il n'appartient pas à un ministre d'augmenter indirectement les budgets des dépenses, c'est aux chambres seules à fixer et à voter les budgets, sans cela l'on augmenterait indéfiniment les dépenses de l'Etat, et il faudrait nécessairement voter de nouvelles recettes pour y subvenir ; s'il y a nécessité absolue de faire une dépense non prévue au budget, il faudrait demander l'autorisation aux chambres, avant d'engager le gouvernement. Nous avons déjà, depuis quelques années, augmenté notablement les contributions, il est temps que l'on s'arrête dans cette voie ; le meilleur moyen de sauvegarder notre nationalité, c'est de diminuer les charges des contribuables, déjà assez lourdes, et de ne pas suivre les errement de l'ancien gouvernement, qui augmentait constamment les dépenses au moyen d'un budget occulte.
Quant à moi, je ne veux plus admettre de pareilles dépenses extraordinaires, pour lesquelles l'on n'aurait pas voté de crédits préalables ; d'autres honorables collègues, sous ce rapport, pensent comme moi, et si un ministre voulait continuer à faire des dépenses sans autorisation préalable des chambres, il finirait par tomber sous la désapprobation du pays.
M. le président. - La proposition suivante vient d'être déposée :
« Je dtmaiide que la chambre décide la question de savoir s'il y a lieu de discuter des crédits sur lesquels la section centrale n'a pas fait de rapport.
« (Signé) de Man d'Attenrode. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer à la chambre mon opinion sur les crédits supplémentaires en général. Je n'en suis pas partisan, je l'ai dit, et je tâcherai de démontrer à la chambre, par la pratique administrative, que je n'en (page 1573) présenterai que dans des cas tout à fait exceptionnels ; lorsqu'un ministre doit engager sa responsabililé personnelle, pour une éventualité qu'il n'a pu prévoir. Mais nous devons être justes envers tout le monde, et reconnaître que, sous les administrations précédentes, on avait toujours demandé des crédits supplémzntairzs.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Jamais comme à présent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je n'en ai pas fait le compte d'une manière rigoureuse. Ce que je sais, c'est que, sous tous les ministères, des crédits supplémentaires ont été demandés et que la chambre les a votés.
Maintenant qu'il me soit permis de dire un mot sur l'attitude que je regrette d'avoir vu prendre à l'honorable rapporteur de la section centrale. Il se plaint d'abord de ce que, pour plusieurs articles qui font l'objet de la discussion, le gouvernement n'a fourni que des renseignements incomplets ou tardifs.
Je crois cependant pouvoir affirmer qu'aussitôt que des renseignements ont été demandés au gouvernement, il s'est empressé de les fournir. De plus, en section centrale, j'ai fait connaître les articles sur lesquels le gouvernement demandait un rapport immédiat. La section centrale et le rapporteur ont pensé qu'il fallait fractionner le projet de loi, et ne présenter qu'un travail incomplet. Il ne dépend pas du gouvernement de faire en sorte que le rapport soit général.
Mais ce qui dépend de lui, ce qu'il doit faire, c'est de prouver l'urgence des crédits demandés. Entre la section centrale et lui il y a un juge qui doit nous mettre d'accord, c'est la chambre.
Je pense qu'il n'est pas possible (parce que cela n'est pas juste) de prononcer la question préalable sur tels et tels articles du projet de loi que j'indiquerai. A cet égard, je ferai appel à votre équité...
M. Orban. - Ainsi, en section centrale nous n'avons pas été équitables ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Vous êtes équitables. C'est pour cela que je fais un appel à votre esprit d'équité.
Avant donc que la chambre statue sur la motion, je demande à indiquer les articles sur lesquels le gouvernement croit qu'il est nécessaire de statuer immédiatement, et à faire connaître les motifs d'urgence que j'ai à faire valoir. Ensuite, si la chambre le croit utile, elle provoquera une instruction ultérieure.
M. le président. - Je dois dire qu'en section centrale M. le ministre de l'intérieur a demandé un rapport immédiat sur la plupart des articles compris dans la note qu'il vient de déposer sur le bureau. La section centrale par 3 voix contre 2 a décidé que ces articles ne seraient pas compris dans le premier rapport, mais elle a été appelée par le ministre à délibérer sur ces articles.
La parole est à M. Ad. Roussel.
M. Rogier. - Je l'ai demandée.
M. le président. - Vous l'aurez. Mais M. Ad. Roussel a la parole avant vous sur la motion d'ordre.
M. Rogier. - Cette motion est inconstitutionnelle.
M. le président. - On peut discuter là-dessus.
M. Roussel. - Je ne pense pas que, dant l'état des choses, la chambre puisse voter sur les articles non compris dans le rapport de la section centrale. Pour ma part n'ayant pas trouvé l'examen de ces articles dans le rapport, je ne me suis nullement préparé à la délibération sur ces points. En effet qu'est-ce qui se trouve en discussion ? C'est évidemment le projet présenté par le gouvernement en tant qu'examiné par la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est le projet du gouvernement.
M. Roussel. - Le projet du gouvernement, sur lequel ont été fournis les renseignements que doit nous donner la section centrale.
Avant d'arriver à la chambre, une affaire doit être instruite ; sans cette nécessité, l'on ne comprendrait pas l'existence d'une section centrale et d'un travail en sections.
Non seulement nous ne possédons point un examen de la section centrale, mais nous n'avons pas même sous les yeux le procès-verbal des travaux de notre propre section. Nous n'avons plus qu'un souvenir confus des observations qui ont été faites dans notre section et nous connaissons bien moins encore les études faites dans les autres sections de la chambre.
Comment pourrait-on, en matière de finances, et d'allocation de crédits, passer outre sous prétexte que les objets dont il s'agit sont tellement simples qu'il suffira des explications de M. le ministre de l'intérieur ? Vous savez tous par expérieuce combien le travail des sections centrales est approfondi ; combien, parfois, ce travail est peut-être supérieur à nos délibérations en séance publique, parce que là, dans le négligé d'une réunion intime, on présente des observations plus détaillées qu'en public.
Messieurs, pour ma part je dois protester contre la proposition de nous faire voter des articles qui n'ont pas été l'objet d'un rapport de la section centrale et sur lesquels nous ne connaissons pas l'opinion des sections. Ce mode de procéder est tout à fait insolite et contraire au règlement. Il est d'autant plus inopportun, que nous nous trouvons à la fin d'une session et qu'on ne s'occupe pas des objets de cette importance lorsque chacun est désireux d'en finir.
M. Rousselle. - J'avais demandé la parole pour faire quelques observations au sujet des articles concernant l'instruction primaire. Mais comme on soulève en ce moment une question préalable, je veux en dire d'abord deux mots.
Je ne pourrais pas soutenir la proposition des honorables membres. Je la crois absolument contraire à nos institutions et à notre règlement. Dans quelle situation sommes-nous ? Nous sommes vis-à-vis d'un projet de loi que le gouvernement avait présenté. Ce projet a été examiné, approfondi dans la section centrale.
La section centrale a pensé devoir scinder le projet du gouvernement. Elle a donné des éclaircissements sur les articles qu'elle a admis dans sa proposition. Mais le gouvernement, par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, a déclaré ici ce qu'il avait déjà dit dans la section centrale, qu'il admettait la distraction d'un certain nombre d'articles, qu'il n'admettait pas la distraction d'autres articles. Nous sommes donc en présence du projet du gouvernement.
Eh bien, messieurs, que se passe-t-il dans l'ordre ordinaire, lorsqu'il y a un projet de loi sur lequel la chambre délibère ? C'est que les articles qui ne sont pas admis par la section centrale, mais que le gouvernement maintient, sont mis en discussion suivant la présentation du gouvernement.
Maintenant lorsque ces articles viendront, lorsque M. le ministre aura expliqué ses raisons, si la chambre ne trouve pas ces raisons suffisantes, elle pourra renvoyer à la section centrale pour examiner, pour approfondir davantage et ensuite venir faire un rapport à la chambre ; mais je ne crois pas que nous puissions suivre une autre marche, qui serait, à mon avis, très irrégulière.
Messieurs, puisque j'ai la parole, la chambre me permettra de présente une seule observation pour repousser ce que l'honorable M. Rogier vient de dire...
M. le président. - Ne sortons pas de la question préalable.
M. Rousselle. - Je prendrai la parole ultérieurement.
M. Ch. de Brouckere. - Je ne conçois rien à la doctrine que vient d'émettre l'honorable M. Roussel.
Il vient nous dire : Je n'étais pas préparé, donc, je ne puis pas discuter. Mais avec une pareille doctrine il serait impossible d'amender aucun projet, de présenter ici des amendements.
L'honorable M. Roussel n'a pas la prétention, je pense, de prévoir et d'étudier les amendements qui surgissent de la discussion, et cependant il est forcé de les supporter, de les discuter.
Sans doute, si M. le ministre de l'intérieur voulait forcer la main de la chambre, et représenter le projet du gouvernement en entier, il y aurait lieu d'aviser ; et il me semble que ce que la chambre pourrait faire de mieux, ce serait de renvoyer le tout à la section centrale : mais s'il ne s'agit que de quelques amendements, de quelques articles qui ont pu échapper à la section centrale et sur lesquels M. le ministre peut donner des éclaircissements, je ne concevrais pas que la chambre se liât maintenant par un vote qui exclurait toute espèce d'amendement aux propositions de la section centrale. La chambre violerait son règlement en admettant la proposition de l'honorable M. de Man.
Messieurs, il y a des faits que la discussion fera ressortir. Si sous des dénominations que j'appelle fausses, permettez-moi de le dire, dans ces demandes de crédits, si sous la dénomination d'encouragements à donner aux beaux-arts, on a compris des dettes, pouvez-vous repousser le crédit qui vous est demandé pour payer ces dettes ? Ainsi, le gouvernement doit à la ville de Bruxelles, non pas des subsides volontaires, mais des subsides qu'il est obligé de lui payer en vertu d'un contrat, parce que la ville remplit des obligations pour l'Etat. Eh bien, l'Etat n'a pas payé la ville de Bruxelles en 1851 ni en 1852. Je crois que la chambre doit vouloir que les dettes de l'Etat soient payées, qu'elles le soient de bonne grâce et à l'échéance.
M. de Man d'Attenrode. - Ce sont les dettes des ministres et non les nôtres.
M. Ch. de Brouckere. - Les communes ne connaissent que l'Etat, c'est avec l'Etat qu'elles ont traité. Je cite la ville de Bruxelles ; je pourrais citer d'autres communes. La ville de Bruxelles a repris un établissement de l'Etat ; il l'a repris moyennant un subside de 12,000 fr. par an. Eh bien, cette charge, l'Etat ne l'a payée ni en 1851 ni en 1852.
M. de Man d'Attenrode. - Qu'est-ce que c'est que cette charge ?
M. de Brouckere. - Ce sont 12.000 fr. que le gouvernement doit par année à la ville de Bruxelles pour avoir repris l'école de gravure. Et ne croyez pas qu'on lui ait fait un grand cadeau ; la ville est prête à rendre cet établissement comme elle l'a reçu, plutôt aujourd'hui que demain ; par conséquent, ce n'est pas une grande faveur qu'on lui a faite. Mais il y a contrat avec l'Etat et depuis deux aas notre budget est en souffrance.
Je sais que la ville Bruxelles peut attendre le payement d'une somme de 24,000 fr. Mais cela arriverait à une ville plus petite ou à une commune qui n'a pas de ressources, pourriez-vous laisser ainsi les finances de cette commune en souffrance ?
Il y a donc certains amendements que M. le ministre proposera et qu'il expliquera. Si ces explications sont suffisantes pour la majorité, elle passera outre. Si elles ne sont pas satisfaisantes, nous remettrons le vote du crédit à l'année prochaine. Mais de grâce, ne nous lions pas par un vote exclusif et général, par une proposition manifestement contraire au règlement de la chambre.
(page 1574) M. Orban. - Il est évident que non seulement la marche que vous propose de suivre M. le ministre de l'intérieur serait une violation du règlement, mais que ce serait la première fois qu'une semblable violation du règlement aurait été posée par la chambre.
En effet, messieurs, jamais jusqu'aujourd'hui il n'est arrivé à la chambre de discuter une proposition sans qu'un rapport ail été fait par une commission ou par une section centrale. Je défie qu'on cite une seule loi, une seule proposition, quelque minime qu'elle puisse être, qui n'ait pas été l'objet d'un rapport avant la discussion. (Interruption.)
M. David. - Et le budget de la guerre de 1851 ?
M. Orban. - Je dis que dans les inombrables précédents parlementaires qui doivent nous guider il est impossible d'en citer un seul qui consacre une semblable violation du règlement. Le règlement exige qu'un rapport soit fait sur toute proposition, et jamais on n'a passé outre à une semblable obligation. En voulez-vous la preuve, messieurs ? C'est qu'une proposition de loi présentée à la chambre par le gouvernement, proposition à laquelle il attachait la plus grande importance, la loi sur le crédit foncier, se trouve arrêtée au sénat par suite de l'absence de rapport de la commission qui a été chargée de l'examiner. Ce refus de déposer le rapport a vivement contrarié le gouvernement ; et malgré cela, le gouvernement n'a pas osé passer outre en l'absence de rapport ; tant cet élément préalable à toute discussion est indispensable.
Voilà, messieurs, la preuve la plus manifeste qu'un rapport est indispensable pour que l'on discute une proposition.
Mais, messieurs, si un refus calculé peut porter obstacle à la discussion d'une proposition, que direz-vous du retard apporté à la présentation d'un rapport, par suite des difficultés que présente l'affaire à examiner, de la nécessité de recueillir des renseignements indispensables ? Eh bien, messieurs, c'est le cas qui se présente maintenant, c'est parce que la section centrale, à laquelle vous avez renvoyé ce projet, n'a pas pu se procurer les renseignements nécessaires, qu'elle a été obligée de vous présenter le rapport incomplet.
En effet, messieurs, ce n'est point par notre négligence qu'il en a été ainsi : nous avons été réunis à cinq reprises différentes, pendant cinq séances de plus de deux heures chacune nous nous sommes occupes de ce projet, et si nous n'avons pas présenté uu rapport plus complet c'est parce que réellement la chose nous a été impossible.
Qu'est-ce en réalité, messieurs, que le projet qui vous est soumis ? il s'agit moins d'une loi unique que de 40 projets de crédits supplémentaires qui auraient pu être présentés isolément et qui eusseut été présentés isolément, sans l'engagement pris par M. le ministre de l'intérieur de réunir tous ces crédits et de les présenter globalement.
Ainsi, messieurs, ce n'est point un projet unique, ce sont, en réalité, quarante projets de crédits supplémentaires. Eh bien, si refusant de scinder ce travail, comme nous en avions le droit, nous avions dit : Il est impossible de présenter consciencieusement un rapport complet avant la séparation de la chambre, si nous n'avions pas fait le rapport qui est sous vos yeux, si vous vous trouviez en l'absence de tout rapport, serait-il venu à l'idée de quelqu'un de demander la mise à l'ordre du jour du projet ?
Assurément, non, et parce que nous avons jugé à propos de présenter un rapport sur les affaires qui ont pu être instruites, pouvez-vous en conclure qu’il y a lieu de s’en passer ?
Il y aurait à cela réellement quelque chose d'étrange : Quoi ! vous vous prononceriez sans examen préalable précisément sur les questions que la section centrale a dû ajourner parce qu'elles étaient trop épineuses, parce qu'elles exigeaient un examen plus approfondi ! Mais ce serait vraiment tourner en dérision la section centrale que vous avez chargée de l'examen du projet et qui, je puis le dire, s'est acquittée de cette tâche de la manière la plus consciencieuse.
M. Roussel. - Messieurs, un honorable préopinant a, ce me semble, confondu deux questions tout à fait distinctes : celle de savoir si l'on pourrait passer outre nonobstant la proposition de la section centrale de rejeter un article, et celle de savoir si en l'absence de toute espèce de rapport sur une série d'articles portant allocation de crédits supplémentaires, il est possible à la chambre de discuter ces dispositions et de forcer chacun de ses membres à voter sans connaissance de cause.
Nous ignorons ce qui s'est passé dans les sections, et nous ne connaîtrons de ces crédits que ce qu'il plaira à M. le ministre de l'intérieur de nous en dire. Peut-on soutenir, dans un tel état de choses qu'il est utile de voter des crédits sans instruction préalable en présence des articles 38 et 39 du règlement qui exigent une discussion dans les différentes sections suivie d'un examen en section centrale et d'un rapport ?
Mais, objecte l'honorable membre auquel je réponds, il sera désormais impossible d'amender un projet de loi. Messieurs, le règlement fait une distinction sérieuse entre une proposition de loi et un amendement. L'amendement n'est qu'un simple accessoire. Dans l'occurrence, il s'agit d'un projet de loi présenté par le gouvernement et qui doit suivre la filière indiquée par le règlement de la chambre.
Veus êtes tellement scrupuleux à cet égard, tellement convaincus de la nécessité d'un examen préalable que souvent vous renvoyez à la section centrale de simples amendements, et lorsqu'il s'agit d'une proposition de loi, la chambre voterait en l'absence de toute instruction !
L'honorable membre a abandonné le terrain des principes pour aborder le détail particulier de certains articles qui lui paraissent urgents. J'ai déclaré d'avance qu'il m'est impossible de traiter les questions de détail, qu'en l'absence de tout travail de la section centrale je n'ai pas été à même de me préparer à la discussion de ces questions ; je ne puis donc pas suivre l'honorable préopinant sur ce terrain. Peu m importe du reste qu'un article intéresse telle ou telle commune, tel ou tel particulier ; avant de sanctionner le payement d'une dette il faut que je connaisse cette dette et que j'apprécie sa légitimité.
Or, je ne puis connaître tout cela que par les investigations des sections et de la section centrale.
C'est une vieille tradition en Belgique que les états provinciaux ou généraux (car nous avons toujours eu des états), que les états ne votaient aucun crédit sans connaissance de cause. Nous savons que nos pères étaient fort difficiles sur cet article ; nous ne devons point, messieurs, répudier les louables exemples qu'ils nous ont laissés.
Quant à moi, si la chambre repousse la question préalable, je compte bien m'abstenir sur les crédits qui n'auront pas été l'objet d'un examen préalable.
M. Dumortier. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'houorable M. de Brouckere soutenir qu'adopter la proposition faite par l'honorable M. de Man, ce serait violer le règlement. Je crois que c'est diamétralement le contraire qui est vrai, et je suis profondément convaincu qu'adopter la proposition de l'honorable M. de Brouckere et passer à la discussion des articles présentés par l'honorable M. Piercot, ce serait la violation la plus flagrante du règlement.
En effet, messieurs, le règlement après avoir déterminé la manière dont la chambre examine les projets de lois présentés par le gouvernement ajoute, article 55 :
« Ce rapport contient, outre l'analyse des délibérations des sections et de la section centrale, des conclusions motivées.
« II sera imprimé et distribué au moins deux jours avant la discussion en assemblée générale, sauf les cas où la chambre en décide autrement. »
Eh bien, messieurs, je le demande, de quel côté est la violation du règlement ? C'est évidemment du côté de ceux qui prétendent faire voter sans examen la partie du projet sur laquelle la section centrale n'a pas encore pu faire rapport.
L'honorable membre dit que tous les jours on vote des amendement séance tenante, mais je ferai remarquer à l'honorable membre qu'il ne s'agit point ici d'amendements. Les articles qu'on veut nous faire voter ne sont en aucune manière des amendements, ce sont des parties de lois à l'égard desquelles il nous faut des conclusions.
Au surplus, la théorie de l'honorable M. Ch. de Brouckere revient à ceci et j'avoue qu'il m'est impossible de le suivre dans cette voie, je le regrette beaucoup, car je me rapporte volontiers à son opinion, il le sait bien ; mais enfin sa théorie revient à ceci que, quand le gouvernement a fait une dépense à tort et à travers, la chambre doit la voter. (Interruption.) C'est la conséquence directe de la théorie de l'honorable membre ; je sais que cela n'est pas dans son intention, mais cela résulte de la théorie qu'il défend.
Je dis, moi, que quand un ministre a fait une dépense en dehors de la Constitution et qu'il vient demander à la chambre un crédit pour la payer, c'est un motif pour la chambre de se livrer à un examen plus sévère de la dépense.
Je ne fais ici allusion à aucune administration spécialement. Le système que je défends, je l'ai soutenu depuis la révolution jusqu'aujourd'hui. Je n'ai jamais été partisan de crédits supplémentaires ; je les ai combattus pendant 22 ans, chaque fois que l’occasion s'en est présentée ; pourquoi ? Parce qu'en définitive ce système est la suppression du pouvoir parlementaire ; et quand cette suppression a eu lieu en fait, évidemment la chambre doit se livrer à uu plus sérieux examen.
Tous les ministères, je le reconnais, en ont fait autant ; je n'approuve pas plus les uns que les autres, je repousse les crédits supplémentaires, d'où qu'ils viennent ; c'est précisément quand on est sorti de la Constitution, que la chambre irait elle-même, en violation de son règlement, voter sans examen préalable et sans conclusions de la section centrale, des dépenses faites inconstitutionnellement !
Qui vous dit que parmi les crédits dont on vous demande le vote immédiat, il ne s'en trouve pas que, si nous étions bien éclairés, nous rejetterions à une grande majorité ? Nous irions donc voter des dépenses que nous ne connaissons pas ! (Interruption.)
Un honorable membre me fait remarquer avec raison qui si la section centrale a cru devoir ajourner ces dépenses, c'est très probablement à cause qu'il y avait beaucoup à y redire.
Je ne pense donc pas que la chambre puisse faire autre chose que de voter la question préalable. Rejeter la question préalable, ce serait commettre une violation du règlement, à propos d'une violation de la Constitution.
M. Lebeau. - Messieurs, ce serait la première fois, je crois, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, que j'aurais vu rejeter par la question préalable tout ou partie d'une proposition émanée du gouvernement en vertu de son initiative constitutionnelle. (Interruption.) Le Roi a usé de son initiative constitutionnelle, le projet de loi que vous discutez a été présenté au nom de la couronne, et l'on propose de repousser une partie de ce projet par la question préalable. Je dis que jamais cela ne s'est vu dans cette enceinte.
Quel est l'état de la question ? La question est extrêmement simple : (page 1575) sur quoi délibérons-nous ? Délibérons-nous sur un rapport de la section centrale ? Non ; nous délibérons sur un projet du gouvernement, car le gouvernement ne s'est pas rallié au travail de la section centrale ; le gouvernement a donc, le droit d'exiger que l'on vote sur son projet en entier, sauf à la chambre, si la majorité n'est pas suffisamment éclairée, à rejeter les articles que persiste à présenter M. le ministre de l'intérieur.
Voilà tout ce qu'il y a à faire. En sortant de cette manière de procéder, nous sommes contraires à la Constitution, au règlement, à tous les précédents de la chambre.
Remarquons-le bien, ce n'est pas la chambre qui a proposé la disjonction de certains articles du projet de loi ; la chambre n'a pas été appelée à se prononcer sur la disjonction.
Les sections n'ont pas saisi la section centrale de cette idée d'une disjonction, car les sections ont toutes examiné les dispositions du projet de loi en son entier ; elles ont chargé leurs rapporteurs, qui constituent la section centrale, d'examiner le projet comme elles l'avaient fait ; les sections n'ont pas autorisé leurs rapporteurs à proposer une disjonction ; cette disjonction n'a pas été proposée, et l'on ne peut pas, parce qu'il a convenu à la section centrale, par des motifs que je n'ai pas à apprécier en ce moment, de ne pas achever son travail, de présenter un rapport incomplet, la chambre ne peut pas, par le fait de la section centrale, être privée du droit de discuter toutes les dispositions d'un projet de loi maintenu par le gouvernement.
Ensuite, je ne vois pas comment la section centrale serait autorisée à dire que l'examen du projet de loi a été en quelque sorte étranglé ; que si nous sommes acculés aux derniers jours de la session pour cette discussion, il faut en accuser le gouvernement.
Mais, messieurs, comme on l'a déjà rappelé avec raison, le projet de loi a été présenté, il y a plus de trois mois ; toutes les sections s'en sont occupées, et la section centrale s'en est occupée à son tour. Mais savez-vous pendant quel temps ? Elle s'en est occupée, dit-elle, pendant cinq séances, chacune de deux heures : ce qui fait en tout dix heures de séance.
Je demande si c'est là, de sa part, un si grand effort ? Je ne voudrais pas enlever à la section centrale la moindre parcelle de l'éloge que méritent son dévouement et le soin qu'elle a apporté à son travail ; mais, franchement, il n'y a pas là, en réalité, excès de zèle et surtout de fatigue.
Dix heures d'examen pour un travail livré depuis trois mois à l'examen de la chambre, ce n'est pas véritablement trop, et on aurait pu à la rigueur aller jusqu'au bout.
L'honorable M. Dumortier a rencontré l'objection puisée dans la nécessité où est journellement la chambre de statuer sur des amendements, c'est-à-dire sur des articles improvisés ; il a invoqué l'usage où l'on est de renvoyer parfois ces amendements à la section centrale, avant d'y statuer ; cette objection est un argument contre lui. Car ce qu'on demande ici, c'est tout autre chose qu'un renvoi à la section centrale ; c'est un ajournement indéfini. Dans la circonstance actuelle il ne se passe d'ailleurs rien d'analogue.
Il est certain que tous nous avons pu examiner en sections les propositions du gouvernement ; que nous sommes plus en mesure de statuer sur ces propositions que nous ne le serions, par exemple, sur tel amendement présenté naguère par l'honorable M. Dumortier lui-même, et dont le résultat eût été d'établir une ligne de chemin de fer, non proposée et non étudiée par le gouvernement.
- Un membre. - L'amendement auquel vous faites allusion a été renvoyé à la section centrale.
M. Lebeau. - Je le sais bien, et c'est ce que vous pouvez faire de chaque article qui vous paraît devoir subir un examen, parce qu'il est nouveau et en quelque sorte improvisé. Mais il est arrivé plusieurs fois qu'on a voté sur des amendements qui modifiaient un tracé de chemin de fer ou qui y ajoutaient un embranchement, sans même les avoir renvoyés à la section centrale.
En fait, s'il ne s'agissait que de donner, dans l'opinion de quelques membres, une leçon au gouvernement, je concevrais, à la rigueur, qu'on pût rejeter en vue d'arriver à un ajournement ; mais, comme l'a très bien dit l'honorable M. Ch. de Brouckere, ce n'est pas le gouvernement que vous frappez ; vous frappez des particuliers, des artistes qui ont contracté de très bonne foi avec le gouvernement et qui ne peuvent pas être éconduits par une fin de non recevoir.
Si vous pensez que le gouvernement a excédé ses pouvoirs et que les dépenses ont été mal faites et abusives, eh bien, discutez-les, rejetez-les ; alors les parties intéressées sauront à qui elles doivent s'adresser ; mais en les éconduisant par un refus de délibération, vous consacrez à la fois une injustice et le mépris de la prérogative en vertu de laquelle le gouvernement présente une loi dans cette enceinte. Quant à moi, je ne saurais me rallier à une semblable manière d'agir.
(page 1577) MM. de Man d’Attenrode, rapporteur. - essieurs, j'ai à défendre ici la conduite de la seciion centrale. A entendre d'honorables orateurs, ne dirait-on pas qu'il y a eu de sa part un parti pris, une lenteur préméditée, afin de retarder cette discussion, de manière à ne pas laisser à la chambre le temps d'examiner et de discuter toutes les propositions du gouvernement ?
Il est vrai que le projet a été présenté le 28 février dernier ; mais l'examen des sections a pris quelque temps ; ensuite la section centrale n'a pu commencer à s'en occuper qu'au mois d'avril.
Les procès-verbaux des sections ont été dépouillés immédiatement. Les demandes de renseignements qu'ils contenaient ont été transmises à l'administration sans retard, et ce n'est que le 2 mai que la seciion centrale a été mise à même par le gouvernement de reprendre ses séances ; alors seulement son examen a pu commencer.
On lui reproche de ne s'être réunie que cinq fois, mais on oublie que le travail le plus considérable est celui qui consiste à pénétrer dans une foule de détails, à analyser de nombreuses pièces, à procéder à une espèce d'enquête ; et ce n'est qu'après ce travail préliminaire, qui ne peut être entrepris que par un membre de la section centrale, qu'elle a été mise à même de délibérer.
Malgré toute l'activité que j'ai mise à remplir mon mandat, je ne suis pas parvenu à obtenir des réponses sur les questions que j'avais adressées à l'administration de la part de la section centrale.
La section centrale n'a délibéré que sur les renseignements produits sur la demande des sections. Or, son rapporteur est plus à même de juger des éclaircissements qui lui manquent pour proposer des conclusions.
L'honorable M. Lebeau vous a dit qu'il était sans exemple de voir rejeter par une question préalable une proposition émanant de la couronne. Mais ma proposition ne consiste pas dans une question préalable, elle n'a pas ce caractère, elle a pour objet de vous prier de statuer sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu d'adopter la marche proposée par la section centrale ; c'est-à-dire de voter immédiatemeni les dépenses sur lesquelles la section centrale a fait rapport, et d'ajourner à la session prochaine celles qui n'ont pu faire l'objet de son premier rapport, parce qu'elle n'a pas eu le loisir de les examiner suffisamment.
Je ne conteste pas les prérogatives du gouvernement, mais ces prérogatives ne vont pas jusqu'à pouvoir nous obliger de voter des crédits supplémentaires, sans examen suffisant, au moment de nous séparer.
La chambre, elle aussi, a des prérogatives à faire respecter ; c'est d'abord de maintenir à ses sections centrales le temps nécessaire pour examiner, pour préparer des conclusions.
C'est, ensuite, de ne pas souffrir qu'on lui impose l'obligation de délibérer et de voter les projets présentes par l'administration à une époque où la discussion est impossible et le vote favorable assuré au gouvernement.
Cette tactique qui consiste à multiplier l'examen des projets à une époque de la session où la chambre est incapable de discuter, a duré trop longtemps ; les intérêts du pays exigent que cela finisse.
M. le ministre de l'intérieur vous a dit, afin de faire passer sa motion, que sa proposition ne consistait qu'à faire des amendements. Mais voici ce qu'il propose, il vous demande d'adopter des articles qui n'ont fait l'objet d'aucun examen préliminaire.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de discuter en réalité un budget supplementaire, rien que cela ! Or, la chambre n'a pas encore adopté pour règle de voter des articles de budget sans un rapport.
Les amendements sont souvent votés sans rapport, mais alors une s'agit que d'une augmentation ou d'une réduction de crédit.
Je viens de dire que ce que l'on vous propose de voter est un budget, mais je me trompe, c'est infiniment plus grave, il s'agit de voter en même temps et un crédit et un compte et de nous passer du visa préalable de la cour des comptes.
Or, messieurs, serait-il possible que vous consentiez à assumer une aussi grande responsabilité, quand vous êtes dépourvus de rapport de la section centrale ? Je ne puis le croire.
Je ferai remarquer de plus que les exigences de M. le ministre de l'intérieur vont en augmentant.
(page 1579) M. le ministre a soumis à la section centrale un état de dépenses, sur lesquelles il demandait un rapport et un vote immédiats. Cette demande n'a pas été admise en en partie, vous le savez, messieurs. Mais maintenant voilà l'honorable M. Piercot qui demande d'y ajouter plusieurs autres dépenses, et il en est de considérables et d'intérêt tout personnel, qui n'étaient pas comprises dans la nomenclature présentée en section centrale ; or j'en conclus que si la chambre est dépourvue de rapport sur ces articles, le gouvernement lui-même ne peut en faire de reproches à la section centrale.
J'ajouterai de plus que les 28,000 fr. qui sont engagés, paraît-il, en faveur de la ville de Bruxelles, d'après ce que vient de déclarer l'honorable M. Ch. de Brouckere, ne faisaient pas partie des dépenses, pour lesquelles le ministre a demandé un rapport immédiat. Il n'y a donc ici pas de reproche à adresser à la section centrale.
Il en est de même des dépenses pour la garde civique et pour d'autres encore.
Quel est le motif invoqué par l'administration pour vous presser à discuter ? Les créanciers de l'Etat attendent, dit-elle. Voici ma réponse.
Comment se fait-il que l'administration fait attendre ses créanciers pendant des années, malgré leur insistance à venir frapper à sa porte ?
Elle sait fort bien répondre qu'elle est en droit de prendre son temps, que la chambre est mal disposée, etc.
Mais quand ensuite la proposition est lancée, une fois que la chambre en est saisie, on ne la laisse pas en paix qu'elle n'ait voté ; on s'inquiète peu qu'elle ait eu le temps d'examiner.
Il faut qu'elle vote, et tout de suite encore, sous peine d'être accusée de violer la prérogative de la Couronne.
On a hâte de voir disparaître un objet qui inquiète, des actes qui, quoi qu'on en dise, sont nuisibles à ceux qui les ont posés.
On se retranche alors derrière l'intérêt des créanciers de l'Etat ; il serait plus convenable de dire des ministres.
Je ne méconnais pas que cet intérêt mérite d'être pris en considération, mais il importe cependant de remarquer, que tous les engagements contractés au nom de l'Etat, sont relativement plus élevés que ceux qui sont constitués au nom des particuliers, et que, si le payement des créanciers de l'Etat se fait attendre trop souvent, il y a des compensations.
Je dis donc, en terminant, que si vous cédiez trop facilement aux exigences de l'administration, nous deviendrions des machines à voter. Or, c'est ce que le maintien du gouvernement constitutionnel exige que nous ne devenions pas.
(page 1575) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai trop de respect pour les prérogatives de la chambre, pour ne pas lui fournir tous les renseignements qu'elle peut demander.
Le gouvernement s'est conduit avec la plus grande droiture et le plus grand désir d'éclairer la chambre. Le 28 février la demande de crédit est présentée. Les renseignements ont été fournis dès qu'ils ont été demandés.
Au fond, de quoi s'agit-il ? Un projet est présenté par le gouvernement ; on ne veut pas, dit-on, l'écarter par la question préalable, le rejeter sans examen, mais on ajoute qu'on veut l'ajourner. Je m'adresse à votre raison, messieurs ; dans beaucoup de circonstances, ajourner sans vouloir examiner, n'est-ce pas rejeter ? Est-ce que le rejet implicite ne serait pas la conséquence de l'ajournement, quand il y a urgence, quand une dépense doit être faite dans un temps donné, ou que d'autres circonstances urgentes commandent le payement.
Or, nous nous trouvons dans ces circonstances. C'est une question d'appréciation. Y a-t-il ou n'y a-t-il pas urgence de prendre une décision sur les propositions du gouvernement. Voilà la question.
Si vous m'aviez fait l'honneur de m'entendre, je vous aurais démontré l'urgence et le fondement des demandes, en moins de temps que vous n'avez mis à discuter la question préalable. Il y a des villes, comme la ville de Bruxelles, qui peuvent attendre. Mais il y a des demandes intéressant des familles d'artistes qui attendent depuis longtemps le payement de ce qui a été légitimement promis par le gouvernement. Il en est qui concernent des fournisseurs, des ouvriers. Ces familles sont dans le besoin ; on ne peut pas les faire attendre. Il y aurait injustice à les repousser, quand il suffit de quelques instants pour savoir à quoi s'en tenir.
Je demande que la chambre examine les propositions du gouvernement qui ne sont pas des amendements, mais une proposition faite en vertu de son droit d'initiative.
M. le président. - Puisqu'il s'agit de l'exécution du règlement, il doit être permis au président de présenter quelques observations. La chambre a été saisie du projet de loi par le gouvernement ; conformément au règlement, ce projet a été renvoyé aux sections ; les sections l'ont examiné ; une section centrale a été nommée qui a proposé des modifications. A l'ouverture de la discussion, le gouvernement a déclaré qu'il ne se ralliait pas au projet de la section centrale ; la discussion s'est donc ouverte sur le projet du gouvernement.
Il doit y avoir une discussion générale. La discussion des articles viendra ensuite, vous ne pouvez pas procéder par voie de mesure général'e, vous devez discuter chaque article ; si vous êtes suffisamment éclairés, vous le voter ; si vous ne l'êtes pas, vous le renvoyez à la section centrale pour lui demander un rapport. Je pense qu'on ne peut pas adopter la proposition de M. de Man.
M. Orban. - Je n'ai qu'une seule objection à faire contre cette manière de procéder, c'est que, pour discuter un article, il faut les éléments de discussion. Or, l'élément indispensable de toute discussion, c'est le rapport de la section centrale. Il est impossible à la chambre de voter des crédits qui n'ont pas fait l'objet d'un semblable rapport.
M. Devaux. - D'après ce que l'on vient de dire, la section centrale serait omnipotente. Quand une section centrale aurait décidé qu'elle ne ferait pas de rapport sur un projet de loi, vous n'auriez pas de projet de loi. Quand elle aurait décidé qu'elle ajourne l'examen d'un budget, vous ne pourriez pas discuter le budget.
Le rapporteur de la section centrale qui a beaucoup parlé d'irrégularité, dans cette séance, a lui-même défendu la cause de l'irrégularité. Tout ce qui est arrivé aujourd'hui ne serait pas arrivé si la section centrale s'était tenue dans les termes du règlement. Qu'a-t-elle fait ? Elle a disjoint deux parties d'une loi qu'elle n'avait pas le droit de disjoindre.
M. de Man d'Attenrode. - Elle propose la disjonction.
M. Devaux. - Elle a violé deux prérogatives : la prérogative du gouvernement et la prérogative de la chambre. Ce n'était pas à la section centrale à décider que les articles du projet de loi ne seraient pas examinés. Que pouvait-elle faire ? Proposer la disjonction.
M. Jacques. - C'est ce qu'elle fait !
M. Devaux. - C'est ce qu'elle fait trop tard ; elle aurait dû le faire avant son rapport. La chambre aurait délibéré. Le gouvernement, probablement, aurait consenti à la disjonction de certains articles et aurait demandé que d'autres plus urgents fussent compris dans le rapport. On se serait entendu, et la section centrale aurait su sur quelles parties de la loi devait porter son rapport. Au lieu de cela, la section centrale a décidé la question elle-même. Bien que les sections eussent examiné toute la loi, elle a laissé de côté un grand nombre de ses dispositions. Bien que le règlement lui fasse un devoir d’analyser toutes les délibérations des sections,, elle n'en a analysé qu'une partie.
Prétendre que la chambre ne peut délibérer sur certaines parties de la loi parce qu'il n'a pas convenu à la section centrale de les comprendre dans son rapport, c'est mettre le mandataire au-dessus du mandant ; c'est soumettre toute la chambre à 7 membres ou plutôt à 5 ou 4 membres formant la majorité d'une section centrale, et leur donner le droit de tout entraver et de tout ajourner. Comme l'a dit M. le président, la chambre a en discussion le projet du gouvernement. Quand on arrivera, à chaque article, la chambre, si elle n'est pas assez éclairée, pourra renvoyer à la section centrale et prescrire même, si elle le veut, un rapport immédiat.
Si elle est assez éclairée pour se passer du rapport de la section centrale, elle le fera comme elle le fait chaque jour pour un grand nombre d'amendements qu'elle adopte sans qu'ils aient été renvoyés à cette section.
M. Orts. - Après les observations que vient de présenter l'honorable M. Devaux, précédées de ce qu'à dit M. le président, je n'aurai que très peu de chose à dire.
(page 1576) Je me bornerai à une seule réflexion qui n'a pas été présentée, c'est que la motion, fût-elle adoptée, n'aboutirait à rien ; on propose de confisquer, par la question préalable, la prérogative de la chambre ; mais on ne pourra éviter que chaque membre ne reproduise, sous la forme d'amendement, comme je me propose de le faire moi-même, les articles qui auront été écartés par la question préalable.
On ne peut, par la violence, priver les membres de la chambre de leur droit d'amendement. En défendant ce droit, je défends le droit commun de chacun de mes collègues. Comme ce serait un véritable déni de justice, je mettrais la chambre en demeure de me faire violence en reproduisant, par amendement, chacun des articles ajournés.
Voila ce que j'avais à dire.
Un mot maintenant sur la question en elle-même, en réponse à l'honorable M. de Man. D'après cet honorable membre, le ministre pouvait dire aux créanciers de l'Etat :« Aliéniez, la chambre n'est pas bien disposée. » C'est bien gentil et très commode ! Chacun sait qu'en Belgique les créanciers de l'Etat ne peuvent parvenir à se faire payer.
Mais si les ministres ne sont pas soumis au droit commun, les créanciers de l'Etat le sont. Des tiers qui ont traité avec eux sur la foi de leur contrat avec le gouverneraient, ont une action contre eux. Les créanciers de l’Etat doivent-ils être victimes de la confiance qu’ils ont eue dans le gouvernement ? C’est une question de loyauté que la chambre résoudra.
M. Orban. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu M. Devaux reprocher à la section centrale d'avoir violé la prérogative de la chambre. Je suis surpris d'entendre cet honorable membre qui pour certains hommes et certaines irrégularités a toujours eu une indulgence si large, qui n'a jamais eu une parole de blâme pour aucun abus, s'armer d'une pareille sévérité contre une section centrale. Je dis que la section centrale n'a violé aucune loi, aucune prérogative.
La chambre a ses droits, le gouvernement a les siens, les sections ont les leurs, et le devoir de la section centrale, c'est d'examiner scrupuleusement, consciencieusement les actes qui lui sont soumis ; c'est de rechercher avec soin les irrégularités, les illégalités qui ont été commises et dont fourmillent, à notre avis, les actes qui ont été en dernier lieu soumis à notre approbation.
Or, pénétrés de ce devoir, pénétrés de cette conviction, nous étions en droit de nous refuser à vous présenter notre rapport aussi longtemps que nous n'avions pas tous nos apaisements, que nous n'avions pas tous les renseignements que nous jugions nécessaires. Jamais ce droit n'a été contesté par personne à une section centrale. Eh bien, nous n'avons pas voulu faire cela. Dans des considérations d'humanité, considérant que parmi les crédits qui vous étaient proposés il en est qui concernent des créanciers pouvant se trouver dans le besoin, qui concernent ces tiers dont vous parlait l'honorable M. Orts, qui peuvent avoir cru qu'ils traitaient avec un ministre ayant le droit de disposer des fonds qu'il engageait illégalement, nous avons cru ne pas pouvoir retarder notre rapport. Cédant aux sollicitations de M. le ministre de l'intérieur, nous avons consenti à faire notre rapport sur quelques articles, alors que nous ne pouvions le faire sur tous, et c'est parce qae nous avons posé cet acte de condescendance qu'on vient dire que nous avons abusé des prérogatives de la chambre.
C'est là, messieurs, un sophisme qui ne mérite pas d'être réfuté.
(page 1579) M. de Man d'Attenrode. - Je viens comme l'honorable M. Orban protester contre l'espèce de blâme que l'honorable M. Devaux vient de prononcer contre la section centrale, car il nous a accusés d'avoir procédé irrégulièrement dans l'accomplissement de notre mandat. Je le répète une troisième fois, la section centrale a mis dans son travail toute l'activité désirable, aucun reproche ne peut lui être adressé. L'administration a fait attendre les renseignements qui lui ont été demandés, et les pièces justificatives que l'honorable M. Piercot prétend avoir envoyées au complet ne consistent que dans les livres qui servent à enregistrer les dépenses relatives aux lettres, sciences et arts.
La section centrale a opéré irrégulièrement en partageant son travail. Mais s'il en est ainsi, pourquoi l'honorable député de Bruges n'a-t-il pas réclamé le 25 mai, quand le premier rapport a été déposé ? Pourquoi a-t-il tardé jusqu'aujourd'hui pour faire cette critique ? Il eût été plus facile alors de faire droit à ses observations, de compléter le rapport.
Ensuite, messieurs, pourquoi ai-je vivement demandé à protester contre les paroles de l'honorable M. Devaux ?
Des sommes considérables ont été dépensées ou engagées contrairement à la Constitution, eh bien, on n'a pas trouvé un mot, je ne dis pas pour blâmer, mais pour désapprouver ces actes-là. On croit découvrir ensuite une irrégularité dans la conduite de ceux qui ont été chargés de la pénible besogne de les contrôler, et l'on se hâte de décerner une espèce de blâme contre la section centrale. On frappe ainsi sans hésiter la chambre elle-même, on se frappe soi-même pour venir en aide à l'administration. Il m'a été impossible de ne pas faire ressortir ce procédé.
(page 1576) M. Roussel. - Il me paraît aussi, messieurs, que les rôles sont un peu intervertis. On vient parler de tiers créanciers de l'Etat.
M. Orts. - Créanciers de ceux vis-à-vis lesquels l'Etat s'est engagé.
M. Roussel. - Peu importe la filiation qu'il peut y avoir dans les créances. Ce qu'il y a de vrai, c'est que le ministre n'était pas autorisé à traiter ; c'est qu'on nous demande des crédits qu'il n'avait pas, lorsqu'il a fait les opérations dont il s'agit.
M. Rogier. - Vous n'en savez rien, attendez les explications.
M. Roussel. - Vos explications ne pourront point changer la nature de vos actes. Il restera vrai que votre conduite a été, dans plusieurs cas, souverainement irrégulière. (Interruption.)
M. le président. - Vous n'avez pas en ce moment le droit d'attaquer les anciens ministres ; vous n'avez que le droit de discuter la motion d'ordre.
M. Roussel. - J'ai le droit de prouver que l'objection présentée par mon honorable coll ègue, et qui se tire de l'existence de tiers intéressés, que cette objection, dis-je, n'a pas de fondement. Je fais cette preuve en montrant que la conduite du ministre a été irréguiière, que ceux qui ont traité avec lui quand il n'avait pas le droit de traiter devaient savoir qu'ils ne pourraient compter sur leurs créances que si nous approuvions et régularisions ce qui a été fait.
Messieurs, il est singulier de voir attaquer une section centrale dont je ne faisais d'ailleurs point partie, mais qui avait si peu l'intention de s'abstenir de tout rapport sur les crédits réservés, qu'elle intitule son rapport : « premier rapport », et qu'elle en promet formellement un second.
Qu'a fait la section centrale ? Elle a présenté un rapport sur toute la partie des crédits qu'elle avait eu le temps d'examiner. En agissant ainsi elle s'est montrée fort vigilante ; car elle aurait pu remettre l'examen de tout le projet jusqu'à la session prochaine. De quel droit auriez-vous exigé de la section centrale un rapport lorsqu'elle n'était pas suffisamment éclairée ?
Je ne pense pas qu'au mépris des travaux ultérieurs que la section centrale nous promet, nous pourrions discuter, non pas des amendements, mais la proposition de loi originale, car il me semble qu'aucun membre de cette assemblée ne serait recevable à nous présenter en son nom, comme amendement les articles mêmes du projet de loi réservés par la section centrale. (Interrupiton.)
Messieurs, que signifient les murmures ?
Si vous avez de bonnes raisons...
M. le président. - M. Roussel, ne faites pas attention aux murmures ; faites attention à la motion d'ordre ; sans cela nous n'en finirons pas.
M. Ch. de Brouckere. - Il abuse de la parole.
M. Roussel. - Les personnalités sont déplacées ici. Nous agitons une question très importante.
M. Ch. de Brouckere. - Oui, mais comme vous nous interpellez, nous vous répondions.
M. Roussel. - Traitons ces questions avec calme. Veuillez m'écouter. Je vous écoute lorsque vous parlez.
M. Ch. de Brouckere. - Je ne vous le demande pas.
M. Roussel. - Oui, mais les convenances demandent que vous m'écoutiez, que vous ne m'interrompiez point par des murmures qui démontrent peut-être une impuissance complète de me répondre. (Nouvelle interruption.)
Je disais donc, messieurs, qu'en présence d'un premier rapport de la section centrale qui nous annonce un rapport ultérieur, qu'en l'absence de communication des travaux des sections et du travail de la section centrale, il nous est impossible de nous prononcer en connaissance de cause sur les articles pour lesquels M. le ministre de l'intérieur réclame une discussion immédiate.
On m'a fait l'objection tout à l'heure que j'ai assisté aux travaux d'une section, et que je dois reconnaître le travail de cette section. Je réponds que ce n'est pas le travail de cette section auquel je veux être initié, mais que les discussions de toutes les autres sections et de la section centrale me sont indispensables.
Messieurs, tous nos acles sont conservés et forment précédent. Prenons garde que notre conduite ne paraisse imprudente.
- La clôture est demandée.
M. Malou (sur la clôture). - Je me proposais de présenter la motion de renvoyer tous les amendements de M. le ministre à la section centrale.
M. Mercier. - M. le président, il me semble que puisque d'autres propositions sont prêtes à se produire, on doit les entendre avant de prononcer la clôture.
Quant à moi, je pense que la marche indiquée par M. le président est la bonne. Il me semble que nous pourrions renvoyer à la section centrale chaque article sur lequel nous ne sommes pas suffisamment éclairés.
- Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord.
M. Mercier. - Mais dès lors la question préalable devient inutile.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - M. de T'Serclaes, obligé de s'absenter lundi 6 juin, pour affaires, demande un congé d'un jour.
- Accordé.
- La proposition d'ajournement est mise aux voix par appel nominal.
L'appel nominal constate que la chambre n'est plus en nombre.
La séance est levée à 4 heures et demie.