(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1455) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Massionne demande que son fils Gilles-Joseph, qui vient d'être appelé au service militaire, soit admis à subir une contre-visite. »
M. Manilius. - Messieurs, le sieur Massionne, qui a signé la pétition de Gand, est un habitant d'Andrimont, près de Verviers, qui se trouve là pour défendre les intérêts de son fils appelé à la milice. Ce fils a d'abord été réformé par le conseil de milice ; puis sur appel d'un autre milicien ayant le numéro suivant il a été reconnu valide par la députation permanente de Liège, et incorporé au 4ème régiment de ligne où il a été refusé comme impropre au service.
Malgré ce refus il a été renvoyé de nouveau par la députation permanente de Liège. Voilà ce dont le pétitionnaire se plaint. D'après l'avis des médecins, il serait incapable de servir ; d'après la députation permanente il serait capable. Mais je suis informé par le père, qui est aujourd'hui à Gand, que le 4ème régiment de ligne auquel il appartient hésite à l'habiller, parce qu'il est évident qu'il est dans un état à ne pouvoir servir dans l'armée.
Je demande donc que la commission veuille examiner cette pétition, et en faire l'objet d'un prompt rapport ; car si l'on parvient à tenir cet homme quelques jours encore au régiment et à l'habiller, il y aura une espèce d'exemption inqualifiable pour le numéro qui doit suivre. C'est ce dont se plaint le pétitionnaire, c'est d'un manège qui consisterait à retenir assez longtemps au corps un milicien dont l'aptitude au service est plus que douteuse, pour laisser expirer le délai dans lequel on peut appeler le numéro suivant. Je n'atteste pas que ce soit ici le cas. Mais cette question délicate mérite la plus grande attention. Je l'ai signalée à la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur. Je demande que l'on mette la plus grande promptitude à l'examiner. Ce sont des personnes notables appartenant à l'art médical qui sont venues me parler de l'état pitoyable où se trouve le sieur Gilles-Joseph Massionne, habitant à Ensival, près de Verviers.
M. Orban. - Il ne s'agit pas de discuter cette question. Mais je crois que l'on peut parfaitement répondre aux considérations que l'on a invoquées pour demander un prompt rapport. Je pense que l'on ne peut venir ici opposer l'avis des médecins à la décision de la députation permanente, seule compétente pour prononcer l'exemption des miliciens. Les médecins ont simplement un avis à donner. Lors donc que la députation a statué, il est inconvenant que les médecins prétendent faire prévaloir leur avis sur celui de la députation seule responsable.
Je dois ajouter que s'il était permis d'en appeler à la chambre des décisions de la députation permanente, vous encourageriez une foule de réclamations qui ne doivent pas avoir lieu. Sous ce rapport je pense qu'il n'y a pas lieu d'ordonner un prompt rapport.
M. le président. - On pourrait, ordonner un prompt rapport, sans rien préjuger. Je demande que l'on n'entre pas maintenant dans le fond de la question.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai connaissance des faits. Je ne puis admettre que rien d'irrégulier se soit passé dans les administrations qui ont dû connaître des faits.
Cependant comme ces faits sont avancés dans une pétition dont l'honorable M. Manilius s'est rendu l'organe, je promets de les vérifier. Déjà des renseignements sont demandés par moi. D'ici à peu de jours, la chambre saura à quoi s'en tenir.
M. Manilius. - Il n’est entré aucunement dans ma pensée de préjuger l'avis de la commission des pétitions. Mais je demande qu'elle examine. Je ne soutiens ni ne combats la demande du pétitionnaire. Mais j'indique les faits qui méritent de fixer l'attention du gouvernement et de la commission des pétitions, et qui justifient la demande d'un prompt rapport. Il me semble que les pétitionnaires ont le droit de s'adresser à nous, sauf à nous à examiner.
M. de Muelenaere. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on fasse un prompt rapport. Mais je crois devoir faire observer, dès à présent, qu'il est plus que probable que la chambre sera complètement incompétente pour s'occuper de cette affaire. La loi a établi des juridictions en pareille matière. Ces juridictions doivent être suivies.
- La proposition de renvoyer la requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, est mise aux voix et adoptée.
« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Hasselt, Cortessem, Wellen, Overessen, Guygoven. Wimmertingen, Schalkhoven, Loez, Wesemael et Wintershoven prient la chambre d'accorder au sieur Benard la concession d'un chemin de fer direct de Hasselt à Liège. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Soignies prient la chambre d'accorder à la compagnie Houdin la concession d'un chemin de fer passant par Soignies, destiné à relier le Hainaut aux Flandres. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Hecke, se disant autorisé à vendre dans la station du Nord le journal le « Charivari », se plaint d'en avoir été expulsé par le chef de station. »
- Même renvoi.
« Le sieur Havermaete, pêcheur et commerçant de poisson de rivière à Gand, demande que le poisson frais importé de la Hollande par le bureau de Zezaete soit taxé à la valeur au lieu de l'être au poids. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Le conseil communal de Nivelles prie la chambre d'accorder à la compagnie du chemin de chemin de fer de Luxembourg la concession d’un embranchement de Nivelles à Groenendael. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.
« Les électeurs à Grand-Hallet demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »
- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.
« Des électeurs à Ryckevorsel demandent que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes, et que l'élection se fasse au chef-lieu du canton. »
- Même renvoi.
« Des électeurs à Latinne demandent que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes, que l'élection se fasse par sections de districts et que les électeurs invalides puissent se faire remplacer. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Oirbeek demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »
« Même demande d'habitants à Messelbroek. »
- Même renvoi.
M. Mercier. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Tubize à Enghien.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
La discussion générale est ouverte.
M. Pierre. - J'ai rencontré avec plaisir, dans le rapport de la section centrale, l'explication claire, précise, de nos déficits. Depuis 1840 jusqu'à 1851 les dépenses ont excédé les recettes de 2,500,000 francs en moyenne, chaque année. Nous avons par contre employé au-delà de 45 millions au rachat de la dette.
Pour se former une idée exacte de la situation financière, il ne suffît pas de balancer purement et simplement les comptes de cette période par des chiffres. En raisonnant ers comptes, on arrive à un tout autre résultat ; on trouve un excédant des recettes ordinaires sur les dépenses de même nature, s'élevant à plus de 20 millions. Il faut avouer, messieurs, que les chiffres sont d'une élasticité réellement incroyable. On leur fait dire absolument tout ce que l'on veut. N'est-il pas corieux d'entendre la section centrale poser en fait qu'au lieu d'un déficit moyen de deux millions et demi, accusé par M. le ministre des finances, c'est une économie de 1,690,000 francs que fait ressortir la balance des recettes et des dépenses, quand on en fait une appréciation raisonnée ?
Pour ma part, messieurs, je tiens peu au nom que l'on donne à la chose. On appellera même un déficit une économie, si l'on veut, j'y consens.
Toujours est-il que l'avenir financier du pays n'est pas pour cela plus rassurant. Il me paraît certain que nous marchons droit à de nouveaux déficits. Que fera-t-on pour les couvrir ? Créera-t-on de nouveaux bons du trésor ? Ce moyen ne serait pas sans danger. Ne sait-on pas qu'une crise financière se prépare dans un grand pays voisin ? Pour les hommes qui approfondissent les affaires, cette crise est inévitable et elle entraînera les plus graves conséquences. Il nous sera impossible d'échapper à son contre-coup. Oui, messieurs, la crise que je signale est imminente ; elle arrivera infailliblement, ce n'est plus qu'une question de temps. Sera-ce un peu plus tôt, sera-ce un peu plus tard ? Cela seul reste douteux. Il importe donc que, pour ce moment éventuel, nos finances soient en bon état et solidement équilibrée. Quant à des emprunts forcés, non plus qu'à d'autres, j'espère bien que l'on ne songe plus à y avoir recours. Il faudra dès lors majorer les contributions, et elles sont déjà trop lourdes, ou en établir de nouvelles. C'est ce dernier parti qui réunit la (page 1456) plus grande somme de probabilités. Je ne vois cependant plus qu'une seule contribution qui puisse convenir sous tous les rapports au pays, c'est celle des assurances contre incendie par l’Etat. Je sais que l'on pourrait faire rapporter beaucoup plus à la fabrication du tabac, de l'eau-de-vie et du sucre ; mais ne porterait-on pas de notables préjudices à ces industries et ne restreindrait-on pas soit le travail, soit le salaire des nombreux ouvriers qu'elles occupent ?
Il n'en serait pas de même du système des assurances contre incendie, érigées en contributions de l'Etat. Il ne mécontenterait et ne froisserait personne, sauf les capitalistes qui réalisent aujourd'hui dans cette branche de spéculation des bénéfices considérables. Les capitaux affectés actuellement à cette destination ne seraient d'ailleurs que déplacés. Ils trouveraient à s'utiliser, peut-être moins fructueusement pour les capitalistes, mais certes plus fructueusement pour le développement de la richesse publique. Le système que je préconise procurerait au-delà de dix millions de francs annuellement au trésor. La charge serait imperceptible ponr les contribuables en présence de l'importante compensation qu'elle leur offrirait. Je ne puis incidemment m'étendre sur cette grande question dont j'ai entretenu la chambre plusieurs fois depuis cinq ans. Je me borne à appeler de nouveau sur elle l'attention spéciale du gouvernement. Je ne terminerai pas sans exprimer le désir que la loi sur la contribution personnelle soit révisée dès le début de la session prochaine. Depuis trop longtemps, le pays attend avec impatience cette révision ; il est urgent de la lui accorder sans retard et il est regrettable qu'elle n'ait pu avoir lieu dans le cours de la session actuelle.
M. Lelièvre. - Je dois appeler l'attention du gouvernement sur certaine mesure concernant la perception de l'impôt du droit de succession en ligne directe. Aux termes de l'article 3 de la loi du 17 décembre 1851, le gouvernement détermine périodiquement, à l'aide de ventes publiques, le rapport moyen du revenu cadastral à la valeur vénale.
Or ce rapport est établi d'une manière tellement exagérée que les héritiers en ligne directe ne le prennent jamais pour base de leur déclaration. Cela provient de ce que les agents du gouvernement prennent pour point de départ de leurs opérations de petites parcelles qui se vendent souvent à des prix exorbitants, de sorte qu'il est impossible qu'on puisse juger par là de la valeur des propriétés en général.
Je prie M. le ministre de vouloir examiner cette question. Dans l'état de choses actuel, les héritiers sont réellement privés d'une faveur que la loi a voulu leur accorder et à laquelle elle a même attaché certaine importance. Ce point doit du reste être étudié même dans l'intérêt du trésor.
Je dirai aussi quelques mots sur certaine motion faite par la section centrale qui n'a pas craint, à la majorité de ses membres, de proposer le rétablissement du timbre sur les journaux.
Messieurs, la suppression du timbre sur les journaux a été décrétée en 1848 en vue des événements politiques de l'époque. Or les concessions qu'on a cru devoir alors faire aux exigences du moment ne doivent pas être retirées lorsque le danger est passé ; les principes de saine politique et la loyauté qui doit toujours présider aux actes de la législature veulent qu'il en soit ainsi.
D'ailleurs, l'exemption du timbre est moins un privilège accordé à la presse que sa suppression des entraves au libre exercice de celle-ci.
Il faut, au reste, ne pas perdre de vue que la presse est le véritable moyen de propager les lumières et que sous ce rapport on ne saurait trop favoriser sa manifestation dans sa plus grande extension.
Je ne pourrai donc jamais m'associer au rétablissement du timbre que je considérerais comme une mesure réactionnaire qui ne serait pas digne de la sagesse de la législature belge.
A mon avis, la question doit être appréciée d'un point de vue élevé. Nul doute que la presse ne rende d’imminents services à civilisation ; elle est un élément indispensable du progiès. Il est donc juste de faire disparaître tous obstacles à son libre essor. Sous ce rapport, je crois devoir protester contre la proposition de la section centrale. J'ajouterai qu'il ne convient ni à notre dignité ni à notre caractère de revenir sur une mesure qui, dans le temps, a reçu un assentiment unanime de toutes les opinions.
M. David. - Dans une précédente séance, M. le ministre des finances nous a communiqué ses espérances quant à l'augmentation successive du produit de nos divers impôts. Si nous ne subissons de crise d'aucune espèce, ces espérances pourront se réaliser. Mais elles se réaliseraient bien plus tôt et d'une manière bien plus large, si le traité avec la France venait à être modifié assez profondément.
Je vais, messieurs, vous indiquer le chiffre des pertes que nous avons subies en 1850, par suite de l'exécution de ce traité de 1845 avec la France.
Sur les vins en cercle qui, d'après le droit commun, doivent payer 2 fr. par hectolitre, et qui, par suite du traité, ne payent que 50 c., nous avons perdu 141,479 fr.
Sur l'accise qui, d'après le droit commun, est de 33 fr. 5 c., et, d'après le traité, de 24 fr. 79, la perte est de 779,132 fr.
Sur les vins en bouteille qui, d'après le droit commun, payent 12 fr. par 100 bouteilles et qui, d'après le traité, ne payent que 2 fr.par hectolitre, la perte est de 48,514 fr.
Sur une autre catégorie de vins, nous perdons 31,504 fr.
Sur les fils de laine écrus et non tors, qui, d'après le droit commun payent 100 fr. par 100 kilog., et, d’après le traité 45 fr., la perte est de 917 fr.
Sur les fils dégraissés qui payent 120 fr., d'après le droit commun, et 60 fr. d'après le traité, nous perdons 75,384 fr.
Sur les fils lors qui, d'après le droit commun, payent 140 fr., et, d'après le traité, 60 fr., nous perdons 100,512 fr.
Les habillements neufs et les modes payent 20 fr. sur 100 fr. à la valeur et d'après le traité seulement 10 p. c, il y a là une perte de 78,105 fr.
Pour les habits vieux, qui payent d'après le droit commun 10 p. c. et seulement 2 p. c. d'après le traité, nous avons perdu 5,980 fr.
Sur les tissus de laine, la perte a été sur les coalings, calmouks, couvertures, etc. 469 fr., sur les tissus écrus, de 2,210 fr., sur les tissus teints, de 93,790, sur les tissus imprimés, de 119,659 fr., sur les cotons teints et imprimés, de 84,039 fr. sur les foulards écrus et rubans, de 15,055 fr. sur les autres articles de soieries, de 267,822 fr. sur les draps, qui subissent une taxe supplémentaire, de 17,912 fr., sur le sel brut pour déchet présumé, de 96,818 fr.
Ensemble 1,959.301 francs auxquels il faut ajouter 16 p. c. 168,295, ce qui fait une somme de sacrifices de fr. 2,127,196 fr. en 1850, sur tous les articles favorisés par le traité avec la France.
Je vais immédiatement répondre à une objection qui me sera faite. On dira que si le traité n'existait pas, l'importation des marchandises françaises diminuerait.
J'admets qu'il y aurait une certaine réduction ; mais, d'après la nature des marchandises dont il s'agit, la réduction ne peut pas être énorme ; cependant, je suppose que la diminution soit d'un quart, et c'est énorme, cela représenterait une somme de 531,899 fr., de manière qu'il resterait encore toujours 1,595,697 fr. de perte réelle sans compensation pour la Belgique.
Voilà, messieurs, des chiffres qu'il est impossible de réfuter ; pour plus de clarté, j'ai l'honneur de vous soumettre le tableau suivant : (ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
L'honorable M. Lelièvre a touché la question du timbre des journaux ; d'accord avec lui ce point, je ne m'occuperai pas pour le moment de la portée morale du rétablissement de ce timbre ; mais comme l'abolition du timbre des journaux avait été remplacée par une aggravation des droits de timbre sur les effets de commerce et sur les lettres de voiture, je demanderai à M. le ministre des finances, de vouloir nous donner le relevé de ce qu'a produit chaque année depuis 1840 jusqu'en 1852 l'impôt sur les effets de commerce et les lettres de voiture, si la chose est possible, et je crois qu'elle est facile.
On verra par là que depuis 1848 le produit de cet impôt a augmenté dans une très forte proportion, dans une proportion immense.
J'arrive à un autre ordre d'idées. Je veux vous entretenir un moment, messieurs, des concessions de chmins de fer et des conditions trop avantageuses, selon moi, que l'on fait aux concessionnaires.
Le cachier des charges de presque toutes les les concessions de chemin de fer accordées jusqu'à ce jour, contient une disposition conçue dans les termes ci-après :
« Art.... Il ne pourra être établi, pendant la durée de la concession, sur le chemin de fer concédé, aucun péage, ni perçu aucun droit, soir, au profit de l'Etat, soit au profit de la province, soit au profit d'une ou de plusieurs communes. »
Il n'est pas douteux pour moi que, par cette disposition, le gouvernement a entendu uniquement donner à la société concessionnaire une garantie pure et simple contre l'éventualité d'un impôt spécial à créer sur le chemin de fer concédé, et nullement d'en faire découler en faveur des exploitants un privilège en matière d'impôt ; ce qui, du reste, serait contraire à l'article 112 de la Constitution.
Cependant les mots : « perçu aucun droit », ont été autrement interprétés par les concessionnaires : ceux-ci ont prétendu, d'abord, que cette condition affranchissait de l'impôt foncier, auquel ils étaient soumis, les terrains empris pour la construction du railway ; ensuite ils ont prétendu qu'exceptionnellement leurs dividendes n'étaient pas soumis au droit de patente des sociétés anonymes, que leurs ateliers de construction du matériel n'étaient pas d'avantage accessibles à cet impôt ; enfin ils ont (quelques-uns du moins) poussé la prétention à ce sujet tellement loin, que non contents de prétendre à l'exemption de la contribution personnelle en faveur des occupants des bâtiments de l'exploitation, ils ont prétendu avoir droit à la même immunité en faveur des occupants de leur bureau central d'administration établi à Bruxelles ou ailleurs.
Quelque ridicules que fussent ces prétentions, eiles n'en ont pas moins donné lieu à de nombreuses difficultés et même à des procès encore pendants entre les concesssionnaires et le gouvernement.
Un seul point toutefois se trouve vidé par suite du consentement forcé du gouvernement, en ce qui touche la contribution foncière mais il est loin d'en être de même concernant les autres contestations.
La loi sur la contribution foncière soumet formellement à cet impôt tous les canaux de navigation, même ceux appartenant à l'Etat. Et certes, il eût été plus rationnel d'assimiler les chemins de fer aux canaux qu'à la voirie.
En présence d'un tel état de choses, on se demande comment il se peut que le gouvernement laisse encore introduite les mêmes germes de (page 1457) difficultés et de procès daus les cahiers de charges relatifs aux nouvelles demandes de concession de chemins de fer ?
On conçoit que, pour en finir et eu égard à l'assimilation à la voirie, le gouvernement ait consenti à faire dégrever de l'impôt foncier les terrains empris par les chemins de fer, mais comment parviendrait-on à justifier l'exemption du droit de patente et de la contribution personnelle en faveur des concessionnaires, alors que les industriels, que leur exploitation écrase et ruine, restent soumis à ces impôts aussi longtemps qu'ils peuvent résister à leur mauvaise fortune ?
Enfin, si telle n'est point l'intention du gouvernement, il est au moins étrange, je le répète, de voir maintenir la malencontreuse rédaction de la clause dont il s'agit dans les nouveaux cahiers des charges, et M. le ministre des finances, voudra bien, j'espère, nous donner des explications catégoriques devenues indispensables dans l'intérêt général.
M. Osy. - Messieurs, pour moi, je ne veux pas de nouveaux impôts, mais je demande que les impôts actuels soient rendus aussi productifs que possible. Sous ce rapport, dans la dernière discussion de la loi sur les distilleries, nous avons engagé l'honorable ministre des finances à examiner s'il n'y aurait pas moyen de rétablir l'ancien système supprimé en 1830, et qui, d'après moi, nous donnerait un revenu d'au moins 9 millions de francs au lieu de 5 millions que donne le système actuel. Dans ce cas, nous pourrions supprimer le droit de débit qui, depuis bien des années, a donné lieu à beaucoup de réclamations.
Ce droit de débit rapporte environ un million ; de manière qu'il resterait une somme de 3 millions de plus que nous n'obtenons aujourd'hui.
Depuis bien des années, nous réclamons également la révision de la loi sur la contribution personnelle ; en 1847 ou en 1848, on a présenté quelques changements à la loi, mais malheureusement la session touchait à sa fin, et nous n'avons pas eu les changements qu'on avait proposés.
D'après l'ancien ministre des finances, ces changements devaient rapporter 000,000 francs de plus au trésor public. Il est donc extrêmement désirable que, dans la session prochaine, nous nous occupions de cet objet.
Un autre impôt que je désirerais voir rétablir, c'est le timbre des journaux ; js l'ai déjà dit à l'occasion du budget de 1853, et je crois devoir renouveler mon observation dans la discussion du budget de 1854.
Il existe beaucoup de raisons pour demander le rétablissement du timbre des journaux ; je ne parlerai que d'une seule de ces raisons : elle est relative aux annonces. Les annonces de vente, de location, etc., que nous devons faire faire par voie d'affiche, sont soumises à un timbre très élevé ; pour l'annonce de la vente de la plus petite propriété, la moindre affiche coûte 8 centimes. Maintenant pour éviter ce timbre, on traite avec les journaux qui publient les annonces à très bon marché. Nous avons des journaux, complètement étrangers à la politique, et dont toutes les colonnes, moins un petit feuilleton, sont consacrées aux annonces. Le prix d'abonnement à ces journaux est extrêmement modique, et l'insertion des annonces ne coûte presque rien.
Il est donc plus que temps que le gouvernement, pour ne pas voir diminuer la recette du trésor, prenne des mesures pour atteindre le timbre des journaux pour les annonces.
Je prie M. le ministre des finances d'examiner cette question ; je le prie également d'étudier celle du rétablissement du timbre des journaux, en tant que journaux politiques. Cet impôt doit, d'après moi, rapporter 300,000 à 400,000 francs au trésor.
Messieurs, l’honorable député de Virton nous a parlé des assurances à reprendre par l'Etat. De tout temps, j'ai combattu l'intervention de l'Etat dans ces matières. Je ne discuterai pas la question de savoir si c'est une bonne ou mauvaise affaire.
Nous avons tous lu avec beaucoup d'intérêt le mémoire publié par l'honorable M. Frère sur cette grave question.
Pour moi, je n'avais pas besoin d'être converti : j'étais persuadé que c'était une très mauvaise affaire que les assurances aux mains de l'Etat ; mais j'espérais que ceux qui n'avaient pas encore une opinion fermée, auraient été convertis en lisant cet exposé.
Je sais que dans le Luxembourg surtout on doit désirer de voir les assurances aux mains de l’Etat. En effet, consultez toutes les compagnies d'assurances du pays, et vous saurez que si toutes les provinces avaient présenté les mêmes risques qus le Luxembourg, les compagnies auraient fait de très mauvaises affaires, parce que malheureusement, dans cette province, les incendies sont extrêmement nombreux, et l'Etat y aurait considérablement perdu.
Au même point de vue je ne puis approuver l'établissement du crédit foncier ; j'espère que dans une autre enceinte on fera justice du projet de loi, en ne l'adoptant pas ; je suis persuadé que c'est encore une très mauvaise affaire pour le gouvernement. Mais si, comme j'en ai l'espoir, cette loi ne voit pas le jour, je désire que des particuliers s'occupent de cette question. Déjà, il y a quelques années, il s'est formé à Bruxellcs plusieurs sociétés hypothécaires pour avancer de l’argent sur les biens-fonds ; eh bien, que le gouvernement tâche de provoquer le public à former d'autres compagnies, mais qu'il ne se mêle pas lui-même de cela.
Il y a encore une autre affaire dont je voudrais entretenir la chambre ; je veux parler de cette malheureuse caisse de retraite ; mais enfin elle existe, elle a été instituée par une loi votée par les deux chambres ; nous voudrions bien en voir les résultats. On devait nous faire un rapport chaque année ; on ne nous en a pas présenté, probablement pour ne pas nous apprendre que le public n'y verse pas d'argent. Ce n'est qu'à force d'instances auprès des communes et des sociétés particulières qu'on arrive à faire prendre quelques livrets.
Vous savez ce qui s'est passé dernièrement à Liège pour les livrets déliveés aux ouvriers typographes. Beaucoup ne sont pas venus à la réunion, le gouvernement a dû faire des cadeaux de livrets ; il crée des caisses et il est obligé de les alimenter ; les neuf livrets ont été donnés aux typographes du même journal. Cette institution marche bien ou mal, mais toujours est-il que le gouvernement est obligé de l'alimenter. Que voyons-nous ? Dans nos communes, au lieu de donner des pensions, les conseillers qui étaient attachés à l'ancien cabinet font ce qu'ils peuvent pour qu'on donne des livrets à la caisse de retraite.
C'est comme cela qu'on lui fait faire quelque chose, sans cela elle n'existerait que de nom. Vous voyez qu'on ne doit pas faire faire par le gouvernement ce qui peut être fait par des particuliers. Si les gens veulent s'assurer un revenu pour leurs vieux jours, qu'ils s'adressent au compagnies tontinières ou bien qu'ils déposent leurs économies à la casse d'épargne, s'ils préfèrent laisser le capital à leurs femmes ou à leurs enfants. Mais ne leur donnez pas des livrets qui sont une perte réelle s'ils viennent à mourir avant le terme fixé pour l'entrée en jouissance.
J'aurais aussi quelques observations à faire sur l'article Remboursements. Comme ce serait compliquer la discussion générale de calculs difficiles à suivre, je me réserve de prendre la parole quand nous en serons à l'article qui concerne cet objet.
M. Rodenbach. - Je répondrai à l'honorable préopinant que je serais tout à fait de son opinion s'il y avait un moyen d'empêcher les spiritueux étrangers d'entrer en Belgique ; s'il y avait, comme en France, trois lignes de douane pour arrêter la fraude, il faudrait rétablir la loi hollandaise d'odieuse mémoire, car il ne faut pas l'oublier, cette loi était tellement odieuse, qu'elle était entrée dans les griefs dont a demandé le redressement en 1830.
Malgré cela, je ne m'opposerais pas à son rétablissement si la Belgique n'était pas par huit points différents en contact avec d'autres pays où l'on fabrique des alcools ; et si par ces huit points nous n'avions pas à craindre des introductions frauduleuses de spiritueux comme cela s'est vu quand les droits étaient élevés. Vous vous rappelez que dans la Belgique entière et notamment dans les Flandres, entre Ostende et Blankenberghe, on débarquait de petits barils de genièvre de Hollande.
De France on introduisait, la nuit, de trois à quatre cents barils d'eau-de-vie de France. La Prusse envoyait aussi des spiritueux en Belgique. Le commerce interlope approvisionnait le pays, parce que les droits étaient énormes. C'est pour cela qu'on les a diminués. Si telle n'était pas l'inévitable conséquence des droits élevés, j'en demanderais le rétablissement, et je voudrais que, comme en Hollande, on travaillât en entrepôt. Mais outre qu'elle favorise la fraude, la loi hollandaise est odieuse en ce qu'elle est contraire à l'intérêt agricole, à l'intérêt de la production du bétail, à l'intérêt général, à l'intérêt des nombreux établissements existants.
Comme l'année dernière, l'honorable M. Osy a traité la question du timbre des journaux, dont il demande le rétablissement. Comme l'année dernière il me trouvera pour adversaire.
Lorsque en 1848, après la révolution française, on s'est empressé d'augmenter la somme de nos libertés, lorsqu'on a voulu propager l'instruction, les lumières, par la suppression du timbre des journaux, on a voulu procurer à nos concitoyens peu fortunés l’avantage de lire des journaux, de s’éclairer ; car les journaux à 60 fr. ne sont pas à la portée de toutes les personnes ; il est un grand nombre de personnes qui ne peuvent consacrer que 6 ou 10 francs à leur abonnement à un journaux. Or le rétablissement du timbre aurait pour conséquence immédiate la suppression des journaux à ce prix qui sont principalement lus par la classe moyenne et dans les campagnes.
A ce point de vue, le rétablissement du timbre me paraît une idée peu généreuse, et qui n'est guère en harmonie avec nos institutionis libérales qui font la gloire et la prospérité de notre pays.
Je ne disconviens pas que l'abolition du timbre ne soit pour la presse périodique uu élément de prospérité ; mais ce n'est pas, à mes yeux, un privilège ; c'est l'abolition d'une entrave à la propagation de la pensée ; c'est la suppression d'un impôt inique, exorbitant ; car à la différence des autres impôts qui ne sont qu'une part minime des bénéfices, l'impôt du timbre excède les bénéfices.
En effet, un grand journal qui a quatre mille abonnés et qui est soumis au timbre de 5 centimes doit chaque jour payer au fisc 200 fr., soit 72 mille francs par an, somme supérieure au bénéfice de l'entreprise. Que la suppression du timbre ait eu pour conséquence immédiate des améliorations notables dans les journaux, c'est ce qu'on ne peut contester.
Cette mesure a donc des inconvénients réels ; il y aurait à la retirer des inconvénients tels qu'ils ne seraient pas compensés par la recette de 400,000 fr. qui en résulterait pour le trésor.
Je serais, je l'avoue, plus partisan des ressources que pourraient offrir les assurances par l'Etat ; je n'admettrais pas les assurances forcées, je les voudrais vo'lontaires ; l’Etat pourrait réaliser les bénéfices que font aujourd'hui les compagnies d'assurances et les assurés y gagneraient puisque l'Etat faisant faire le service par les agents de l'administration (page 1458) n'aurait rps à supporter les frais énormes du personnel des compagnies d'assurances.
L'honoralilc M. Osy propose de rétablir le timbre des annonces des journaux, existant en Angleterre et en Hollande. Ce serait entraver le développement que prennent depuis quelque temps les annonces dans notre pays au grand avantage du commerce, et du commerce de détail surtout. C'est un progrès qu'il faut plutôt favoriser. Je ne suis donc pas partisan de ce nouvel impôt.
M. de Haerne. - Dans l'état actuel de nos finances, il est naturel que, lors de la discussion du budget des voies et moyens, chacun des membres de la chambre s'évertue à proposer de nouvelles ressources. Parmi les ressources proposées, il en est une qui, à plusieurs reprises, a fait l'objet de discussions très sérieuses dans cette enceinte ; je veux parler du chemin de fer. Mon intention n'est pas d'entrer dans de longs développements à cet égard. Mais je crois pouvoir en dire un mot puisque tous les éléments de revenu doivent nous préoccuper.
Le chemin de fer n'a pas dit son dernier mot ; tout le monde est d'accord là-dessus. Nous en avons une preuve frappante dans la légère augmentation qui a été introduite, il y a quelques années, dans le tarif des voyageurs, et dont les résultats ont été extrêmement favorables.
Nous en avons une nouvelle preuve dans une déclaration récente qui nous a été faite par l'honorable ministre des travaux publics, d'après laquelle nous pouvons bien augurer d'une nouvelle mesure qu'il proposera.
Je crois donc être fondé à avancer que le chemin de fer n'a pas dit son dernier mot. Je suis loin de soutenir que le tarif peut être augmenté pour ainsi dire indéfiniment.
Il y a sans doute une limite ; si on la dépassait, on obtiendrait un résultat contraire à celui qu'on veut atteindre. Mais je pense que le tarif, augmenté dans une certaine proportion, deviendrait une source facile d'augmentation de revenu. Je fais cette observation pour qu'on ne s'arrête pas à l'idée d'établir de nouvelles taxes, de nouveaux impôts plus mi moins propres à causer de l'irritation dans le pays. Soyons bien prudents à cet égard. Rien n'est, je crois, plus populaire en Belgique que de faire produire au chemin de fer tout ce qu'il peut produire. La raison en est que le chemin de fer est un service rendu par l'Etat, et pour lequel il est juste que celui-ci soit indemnisé.
Il n'en est pas de même de l'augmentation d'autres impôts. Ces augmentations sont presque toujours mal reçues par l'opinion publique. Ainsi, pour ne parler que d'une seule question qui nous a été indiquée tout à l'heure par un honorable député de Verviers, je crois qu'il serait extrêmement imprudent d'entrer dans le plan qu'il nous a en quelque sorte proposé et qui consiste à provoquer la résiliation d'un traité qui, selon moi, n'est pas sans avantage pour la Belgique. Je ne veux pas dire que ce traité produit tout ce qu'il devrait produire ; mais je crois qu'il serait imprudent de notre part d'en provoquer la résiliation, surtout dans ce moment et sans avoir créé d'autres débouchés.
Je ne suis pas du tout de l'avis de l'honorable membre auquel je réponds ; il exagère les pertes que le traité nous impose. Et, à cet égard, je me range à l'avis de l'honorable ministre des finances qui nous a déclaré, dans une séance précédente, que les appréciations de l'honorable député de Verviers sont exagérées au moins de moitié.
Mais, messieurs, il y a une autre considération à faire valoir en répense aux raisonnements de l'honorable membre ; c'est que la diminution de droits qu'il a signalée comme un malheur, profite au consommateur belge ; c'est un avantage dont jouissent tous les citoyens.
Je sais, messieurs, que pour quelques-uns des objets qui font partie du traité, ce sont les riches qui sont favorisés par la diminution des droits ; je suis d'accord avec l'honorable membre que ce n'est pas cette classe qu'il faut favoriser avant tout. Cependant c'est toujours un avantage relatif.
Mais tous les objets ne sont pas de cette nature. Je vous accorde cela pour les vins, pour les soies. Mais vous avez aussi parlé du sel. Eh bien, la diminution de l'impôt du sel est un avantage pour les pauvres, avantage que nous vous avons signalé bien des fois et qu'on a voulu même augmenter en provoquant la suppression totale de l'impôt du sel. C'est ici un avantage pour la généralité du pays et principalement pour la classe pauvre.
M. David. - C'est un avantage de 96,000 fr.
M. de Haerne. - C'est un objet, je vais vous en citer un autre qui est de la plus haute importance ; ce sont les fils de laine.
La diminution obtenue sur les fils de laine est éminemment favorable à la main-d'œuvre. S'il y a ici une réduction de revenu pour le trésor, d'un autre côté vous avez d'abord un avantage pour le consommateur et puis cet autre avantage, plus grand encore, qu'en réduisant le prix de la matière première, vous augmentez la fabrication du tissage et par conséquent vous favorisez la main-d'œuvre, vous donnez du pain à la classe ouvrière.
Ainsi, messieurs, ne tombons pas dans l'exagération. Je le répète, le traité n'est pas ce qu'il devait être, mais il ne faut rien exagérer et surtout répandre cette idée que la révocation du traité serait un avantage pour le pays. Gardons-nous bien d'amener nous-mêmes ce résultat.
Puisque j'ai la parole, permettez-moi, messieurs, d'ajouter encore quelques mots.
On a parlé en sens contraire du rétablissement du timbre des journaux. Comme création de nouvelles ressources, je serais assez tenté d'accepter la mesure. Cependant j'y trouve des inconvénients. D'abord le revenu qu'elle procurerait serait peu élevé. D'un autre côté, il faut éviter non seulement ce qu'on appelle la réaction, mais, même toute apparence de réaction ; selon moi, il vaut mieux ne pas toucher à cet objet.
Je crois même qu'il y aurait de l'imprudence à le faire. Comme on vous l'a déjà fait observer, la législature aurait l'air de se mettre en contradiction avec elle-même à quelques années d'intervalle ; ce serait jeter une espèce de discrédit sur les chambres. Remarquez qu'il peut encore se présenter des circonstances dans lesquelles nous serions obligés de faire des concessions à l'opinion publique, et alors quelle serait la force de la législature en présence de la contradiction dans laquelle nous serions tombés.
Il est vrai qu'on a fait une distinction entre le timbre des annonces et le timbre des journaux. Cette distinction est assez difficile à établir, comme il a été dit dans le rapport de la section centrale, et quant à moi je n'oserais pas l'appuyer, telle qu'elle est proposée. Mais je crois qu'on pourrait, sans rétablir le timbre des journaux, augmenter la taxe du transport des journaux. Ici il s'agit de tout autre chose ; il n'y a pas de principe en jeu ; c'est seulement le payement d'un service, et je crois qu'aujourd'hui l'Etat n'est pas récompensé, par la taxe d'un centime, du service qu'il rend à l'industrie des journaux. Saus ce rapport je crois qu'il y a quelque chose à faire, et l'on prendrait ici une mesure qui, me paraît-il, ne froisserait aucun principe. Il y a ici une limite dans les frais du service rendu, tandis que le timbre, une fois établi, peut être augmenté et donner lieu à une véritable mesure préventive contre la liberté de la presse, ce qui serait contraire à la Constitution.
Messieurs, on nous parlait tout à l'heure de l'augmentation des droits sur les eaux-de-vie.
Je crois que ce serait là un impôt que nous devrions tous désirer, un impôt éminemment moral ; mais à différentes reprises on vous a signalé les inconvénients qui pourraient résulter de la majoration de cet impôt. L'honorable M. Rodenbach vous a dit encore tout à l'heure que le grand inconvénient qu'il y aurait à craindre, ce serait l'infiltration des eaux-de-vie étrangères. Je vous avoue que je n'ai pas tout à fait mes apaisements à cet égard ; car il y a ici une certaine limite à admettre. Il est évident que si on portait le droit trop haut, cette infiltration aurait lieu ; la fraude se ferait sur une grande échelle. Mais il peut y avoir une certaine augmentation sans que l'on tombe dans cet inconvénient.
Et remarquez que nous nous trouvons depuis quelque temps dans des conditions plus favorables à cet égard ; c'est depuis que, par des traités internationaux, on a établi la surveillance réciproque pour la suppression de la fraude. C'est une facilité qui n'existait pis auparavant. On a toujours raisonné dans une hypothèse qui a existé il y a quelques années, mais qui n'existe plus aujourd'hui. C'est une raison, non pas pour augmenter le droit hors de toute proportion, mais pour voir s'il n'y aurait pas moyen de l'augmenter dans une certaine mesure. Je crois trouver ici une augmentation de ressources. Je le répète, ce serait un impôt qui en général serait bien reçu et qui serait éminemment moral.
M. Pierre. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de traiter en ce moment la question des assurances contre l'incendie, comme elle le mériterait. Cependant l'honorable M. Os y a mis en avant quelques assertions qu'il m'est imposible de ne pas relever.
L'honorable M. Osy nous a dit que le système dont il s'agit ne produirait rien, que ce serait une mauvaise affaire pour l'Etat. Ce qui le prouve, dit-il, c'est le savant rapport présenté par l'honorable M. Frère ; je pourrais ajouter le volumineux rapport ; car il l'est en effet.
Messieurs, j'ai lu très attentivement ce rapport, jamais je n'ai eu plus de confiance dans l'excellence du système des assurances contre l'incendie par l'Etat qu'après cette lecture ; jamais je n'ai eu une conviction plus ferme et plus profonde en l'efficacité de ce système ; car quand un système est attaqué, surtout par des hommes d'un talent aussi supérieur que celui de M. Frère, on devrait s'attendre à rencontrer des arguments irrésistibles. Eh bien, messieurs, il n'en est rien ; il n'y a pas un seul argument produit qui puisse résister au premier examen sérieux.
L'honorable M. Osy nous a parlé d'un rapport contre le système, mais il s'est bien gardé de nous parler d'un autre rapport qui a précédé celui-là. Il contient les procès-verbaux de la commission nommée pour examiner le système.
Cette commission était composée d'hommes éminents, les plus éclairés, les plus compétents pour traiter la question. Ils ont été unanimes pour proposer l'adoption du système. Un seul membre s'est retiré, mais il s'est retiré après la première séance ; il n'a point pris part aux travaux de la commission.
Si nous doutions, messieurs, de la bonté du système, nous avons un moyen de nous convaincre. L'honorable M. Osy dit que cela ne rapporterait rien, que ce serait une mauvaise affaire.
Comment se fait-il que les compagnies d'assurance réalisent de très importants bénéfices ? Les compagnies ont à supporter 60 p. c. de frais d'administration, alors que l'Etat payerait à peine 10 p. c. ; ainsi de ce chef seul, le gouvernement réaliserait 50 p. c. de plus que les compagnies.
Quant aux bénéfices considérables dont je viens de parler, je crois que personne ne les contestera. Si l'on en doutait, il suffirait de jeter les jeux sur la cote des actions des compagnies.
(page 1459) Je croîs donc que l'honorable M. Osy est mal reçu à faire douter de la bonté du système.
Quant à moi, je persiste à le recommander instamment à l'attention toute particulière du gouvernement.,
M. Rogier. - Au moment ou j'entrais en séance, j'entendais un honorable représentant d'Anvers attaquer une institution fondée par la loi, il y a à peine trois ans, et déjà demander son abolition. La caisse de retraite, messieurs, a été créée par la loi à une époque où tout le monde dans cette enceinte déclarait qu'il y avait quelque chose à faire pour les classes inférieures. A cette époque, beaucoup de réformes ont été accueillies tantôt à l'unanimité des voix, tantôt à la presque unanimité. La loi qui a fondé la caisse de retraite n'a pas réuni, il est vrai, l'unanimité ; il y a eu 55 voix pour et 9 voix contre et parmi ces 9 voix se rencontre celle de l'honorable M. Osy ; l'honorable membre est donc, cette fois, conséquent avec lui-même, quand il vient attaquer une institution contre laquelle il avoté.
Messieurs, d'après ce qu'a dit l'honorable membre, il paraît qu'il y aurait encore de la politique dans cette affaire. L'institution est d'une origine à laquelle l'honorable M. Osy a déclaré une guerre radicale. D'après lui, la caisse de retraite ne marche pas, personne n'y vient, elle n'est alimentée que par le gouvernement.
Avant que cette caisse de retraite, institution toute nouvelle, puisse s'introduire dans les mœurs des classes auxquelles elle est particulièrement destinée, il faudra du temps, il faudra beaucoup de temps.
Une pareille institution ne s'enracine pas en un jour, en une année ; ; elle s'enracinerait d'autant plus lentement que d'honorables personnes qui passent pour avoir des lumières spéciales dans les questions financières viendraient la frapper de déconsidération au sein du parlement ; ce ne serait pas le moyen de la faire réussir auprès des classes auxquelles il manque surtout des lumières et des conseils.
Messieurs, il n'est pas exact de dire que le gouvernement alimente seul la caisse de retraite : il fait administrativement tout ce qu'il peut, : mais la commission qui siège au département des finances fait, je crois, tous ses efforts pour populariser l'institution.
Le gouvernement, quand il en trouve l'occasion, tâche d'attirer les versements vers la caisse ; et voici, entre autres, ce qu'il a fait, au moins ce que j'ai fait. L'usage est d'attribuer à certains actes de dévouement, tantôt des médailles, tantôt des sommes en argent. Eh bien, messieurs, ! quand il s'agit d'un acte de dévouement et de courage extraordinaire, le gouvernement a substitué aux sommes d'argent des livrets de la caisse de retraite.
Par là, messieurs, cet argent qui, quelquefois, ne servait pas à un usage utile, qui même était quelquefois immédiatement dissipé par celui qui l'avait reçu, par là ces sommes reçoivent un emploi utile. C'est un bon exemple et un encouragement pour la classe ouvrière. Maintenant qu'ont fait certaines communes ? Elles ont appliqué le même système pour certaines récompenses qu'elles ont l'habitude de décerner. L'honorable M. Osy prétend que ce sont des conseillers amis de l'ancien cabinet qui ont fait cela ; eh bien, messieurs, je suis très charmé de compter parmi mes amis des conseillers qui consacrent leur sollicitude à l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Je suis très fier d'avoir de pareils amis ; je ne puis que les remercier de ce qu'ils font. Mais ici, messieurs, il faut évidemment vouloir chercher à mettre de la politique partout pour se figurer que c'est par amitié pour l'ancien cabinet que certaines communes ont adopté des livrets de la caisse de retraite récompenses à donner aux ouvriers.
Est-ce à la ville de Liège qu'on a fait allusion ? (Oui.) Eh bien, je crois que l'administration de la ville de Liège a eu raison d'agir comme elle a fait. Du reste, M. le ministre de l'intérieur pourra s'en expliquer.
Maintenaul je le demande, s'il est des questions qui doivent rester en dehors des préoccupations politiques, ne sont-ce pas des questions comme celle-ci ? Ne sommes-nous pas trop heureux, au milieu de nos divisions politiques, d'avoir certaines questions réservées où la politique ne devrait pas pénétrer.
Il y a trois ans, les chambres ont jugé utile, il y a trois ans, d'introduire dans les mœurs de la classe ouvrière des habitudes de prévoyance, à côté de la caisse d'épargne nous avons placé la caisse de retraite.
Tout le monde a applaudi à cette pensée et s'y est associé ; aujourd'hui, on vient récriminer contre cette institution, on fait tout ce qu'on peut pour en paralyser les résultats aux yeux de la classe ouvrière.
Est-ce là une conduite digne de l'approbation de la chambre ? Je crois que tout homme impartial devra la blâmer.
Je ne doute pas de pareilles idées n'auront aucun cours dans la chambre ; j'espère qu'elles n'exerceront aussi aucune influence sur l'opinion des ministres actuels, et sur l'opinion d'aucun cabinet quel qu'il soit sauf peut-être un cabinet qui serait dirigé par l'honorable M. Osy.
Il paraît qu'il y a tout un programme prêt. Déjà nous en avons eu un avant-goût dans des séances précédentes. On vient de le compléter. L'institution de la garde civique ne vaut rien ; il faut, si on ne peut pas l'anéantir entièrement dans ses effets, la réduire autant qu'on peut, la décourager, l'énerver.
La loi des successions, cette loi affreuse, qu'on a si fortement combattue, que l'on combat encore, il faudra la supprimer. Il est impossible qu'une loi si odieuse continue de peser sur le pays.
La loi de l'instruction moyenne, il faut également la supprimer ou au moins la modifier profondément, et c'est un grand reproche qu'on peut adresser au cabinet actuel, cabinet qui a tout l'appui de l'honorable M. Osy, c'est un grand reproche à faire au cabinet actuel de ne pas encore avoir mis la main à la révision de cette loi.
Il y a encore une loi d'origine libérale, c'est la loi adoptée par la chambre sur le crédit foncier ; on espère bien que le sénat ne votera pas cette loi.
M. Roussel. - Cette loi je l'ai combattue au nom des principes libéraux,et si elle reparaît à la chambre je la combattrai de nouveau au nom des mêmes principes.
M. le président. - N'interrompez pas.
M. Roussel. - J'ai le droit de parler quand on attaque mon civisme.
M. le président. - Vous avez le droit de demander la parole pour répondre, et non le droit d'interrompre. La parole est continuée à M. Rogier.
M. Rogier. - L'honorable M. Roussel dit qu'il a combattu la loi du crédit foncier au nom du libéralisme ; mais je voudrais bien voir le titre de la mission que l'honorable membre se donne, de combattre les lois au nom du libéralisme.
M. Roussel. - Autant que vous.
M. Rogier. - Ce n'est pas moi qui prendrai l'initiative des discussions politiques ; mais la chambre voudra bien me permettre, chaque fois qu'on viendra jeter la pierre à des actes que j'ai posés comme membre de l'ancien cabinet, que j'ai posés de concert avec la grande majorité et souvent l'unanimité de cette chambre ; la chambre voudra bien me permettre de prendre la défense de ces actes pour moi, pour mes amis et pour elle-même, et de tâcher de les protéger contre cet esprit qui nous a été signalé tout à l'heure par l'honorable M. de Haerne.
Toujours à cette époque du gouvernement libéral on supprima le timbre des journaux. Je n'ai pas sous les yeux le relevé des votes, mais cette mesure a été adoptée également à un grand nombre de voix ; quelques années à peine se sont écoulées, et il faut rétablir le timbre des journaux.
Je ne veux pas me porter le champion de tous les journaux qui paraissent dans le pays : je ne suis pas payé pour les aimer tous ; mais enfin je dis que ce qui a été trouvé convenable, juste, libéral, il y a trois ou quatre ans, ne doit pas aujourd'hui être répudié, que nous avons à maintenir ce que nous avons cru devoir faire dans les circonstances d'alors. Si d'ailleurs, l'on en venait à une proposition concernant le rétablissement du timbre des journaux, nous aurions beaucoup de raisons à donner contre ce rétablissement. Pour le moment, je me borne à prier lu chambre de prendre acte de l'opposition que je ferai à une pareille loi.
Ainsi, la garde civique, la suppression du timbre des journaux, les caisses de retraite, le crédit foncier, la loi des successions et la loi sur l'enseignement moyen ; voilà toutes lois, toutes instilutions auxquelles on cherchera successivement à porter atteinte.
M. de Decker. - Non !
M. Rogier. - Je suis bien sûr, M. de Decker, que vous personnellement vous ne vous associerez pas à une pareille conduite ; mais enfin voilà toutes lois qui ont été successivement l'objet d'attaques. Il en est encore une....
M. Landeloos. - (erratum, page 1483) Qoi !est-ce tout. Il y en a bien d’autres qio devront être réformées.
M. Rogier. - Je sais fort bien, M. Landeloos, que vous êtes un grand réformateur ; vous avez fait vos preuves, non pas seulement ici, mais dans d'autres assemblées ; je vous prie seulement de ne pas m'interrompre.
En 1848, la chambre tout entière a abaissé le cens électoral, il y a eu unanimité. Dans cette même loi qui a abaissé le cens électoral, la chambre a déclaré que les élections continueraient à avoir lieu au chef-lieu d'arrondissement, se mettant en garde, dès cette époque, contre de nouvelles réformes qu'on serait tenté d'introduire dans cette loi.
Qu'avons-nous vu depuis peu de temps ? Toute une croisade montée contre le système électoral : la Belgique ne peut plus vivre sous un pareil système ; c'est un régime rempli d'iniquités dirigées contre les campagnes ; il faudra donc une réforme électorale pour couronner tout ce programme.
- Plusieurs membres : Ce n'est pas là le budget des voies et moyens.
M. le président. - La discussion du budget des voies et moyens est susceptible de grands développements ; elle peut porter sur tous les actes du gouvernement. Cela est admis dans toutes les assemblées législatives.
M. Rogier. - Ce que disait M. Osy tout à l'heure n'était pas relatif au budget des voies et moyens. J'ai été amené malgré moi... (Interruption)
M. le président. - M. Rogier est dans son droit, j'engage MM.les membres de la chambre à ne pas interrompre. Les interruptions amènent souvent des répliques amères et des incidents fâcheux.
(page 1460) La parole est continuée à M. Rogier.
M. Rogier. - Je m'excuse ; si tant est qu'on puisse me reprocher d'avoir introduit une discussion politique, c'est M. Osy qui m'a provoqué ; je présente avec calme mes observations. Si on veut me répondre, on pourra le faire. Je constate des faits, ils sont assez significatifs. Je ne pense pas qu'un pareil programme ait chance d'être mis en pratique sous le cabinet actuel, je pense même qu'il combattrait toutes ou la plupart des mesures qu'on paraît tenté de proposer. Je l'espère, du moins.
En ce qui concerne les caisses de retraite, j'espère que le gouvernement continuera à donner à cette institution tous les soins qu'elle mérite. J'espère qu'avec le temps elle fera des progrès dans les mœurs des populations, qu'elle y introduira successivement l'esprit de prévoyance. Ces caisses ne sont pas une institution exclusivement belge, elles existent dans d'autres pays, notamment en France, où elles font des progrès marqués. Pourquoi n'en feraient elles pas en Belgique. Est-ce que le peuple belge est moins économs, plus dépensier que ses voisins ?
Que les industriels, les propriétaires, le clergé éclairent les populations sur les bienfaits de ces caisses de retraite qui leur garantissent une vieillesse honorable et tranquille, et chaque jour ces caisses feront un progrès plus marqué. Je ne désespère pas de les voir réussir ; ce que je regrette, c'est la sorte de discrédit qu'on veut jeter sur elles.
Quand ces caisses ont été instituées, que disait-on ? Le gouvernement ne devrait pas se charger d'une responsabilité si grande ; il est dangereux pour lui de garantir des pensions qui vont se multiplier à l'infini. Une pareille institution pourrait être un jour une cause de ruine pour le trésor, il peut s'engager à payer des sommes énormes.
Ce qu'on craignait, c'était que ces caisses n'attirassent trop de versements à garantir par l'Etat et ne poussassent par suite à des dépenses excessives. Maintenant on veut les repousser comme inutiles, cummî ne pouvant rien produire. Si, jusqu'à présent, elles n'ont pas produit grand bien, on doit reconnaître au moins qu'elles n'ont pas fait de mal. Qu'on attende l'influence du temps et des conseils des gens de bien.
M. Osy. - L'honorable M. Rogier qui vient de passer en revue tout ce qu'on peat changer, dit que je l'ai provoqué ; l'honorable membre se trompe entièrement ; j'ai parlé de la caisse de retraite à l'occasion de la proposition de M. Pierre de faire reprendre les assurances par l'Etat, et j'ai dit que j'avais toujours combattu l'intervention du gouvernement dans les alîaires de ce genre, que j'avais combattu l'institution des caisses de retraite.
Voilà tout ce que j'ai dit. J'ai ajouté : Vous voyez ce qui est advenu de la caisse de retraite, le gouvernement est obligé, pour qu'elle marche un peu, de provoquer les communes et les conseillers de régence à prendre des livrets de la caisse pour les donner au lieu de pensions. J'ai ajouté que le trésor avait versé de l'argent, que dans un crédit qui nous est demandé des livrets figuraient....
M. le président. - Vous n'avez la parole que pour un fait personnel, vous ne pouvez pas parler en ce moment des crédits supplémentaires.
M. Osy. - M. Rogier m'attribue d'avoir parlé de la loi sur la garde civique, bien que je n'en aie pas ouvert la bouche, et de la loi des successions bien que je n'en aie pas dit un mot.
J'ai seulement parlé de la caisse de retraite, parce que je ne veux pas que le gouvernement intervienne dans les affaires que peuvent faire les particuliers.
Je n'ai pas dit un mot de politique à propos de la caisse de retraite. Je conçois que l'honorable M. Rogier ait le droit, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, comme de tout autre budget, de prononcé un discours politique. Qu'il le fasse, et je l'écouterai sans l'interrompre, comme je fais toujours pour tous mes collègues ; mais la chambre peut juger si je l'ai provoqué, et je ne veux pas qu'on m'attribue ce que je n'ai pas fait.
Voilà tout ce que j'avais à dire sur le long discours de M. Rogier.
M. Rogier. - L'honorable M. Osy prétend que je lui ai attribué ce qu'il n'a pas dit. Cette accusation est grave.
M. Osy. - Je ne vous ai pas provoqué.
M. Rogier. - Vous avez provoqué mon discours. J'ai parlé de vous, des opinions émises par vous et par vos collègues. Je ne vous ai pas dédié spécialement mon discours ; il s'adressait a toute la chambre. J'ai dit que j'ai été provoqué par l'honorable M. Osy qui, dans son discours, a attaque l'institution de la caisse de retraite, a parlé du rétablissement du timbre des journaux, et a exprimé le vœu que le crédit foncier ne fût pas voté par le sénat.
Voila trois attaques assez considérables auxquelles j'ai dû répondre.
L’honorable M. Osy a jeté de la politique dans son discours, en disant que c’étaient les amis de l’ancien cabinet qui avaient prodigué les livrets de la caisse de retraire. Il a donc mis de la politique où elle n’avait que faire. Je ne lui ai rien attribué qu’il n’ait dit.
M. Vander Donckt. - Je ne suivrai pas les honorables préopinants sur le terrain de la politique. Cela n'entre pas dans mes intentions. J'ai seulement quelques observations à vous présenter sur une motion faite par l'honorable M. Lelièvre, quatid il a parle du mode d'après lequel le fisc exige le payement des droits de succession en ligne directe.
Je n'examinerai pas, pour le moment, si le tarif est exagéré, si l'on fait payer trop ou trop peu.
Mais j'appellerai l'attention de M. le ministre des finances, afin de savoir s'il ne pourrait pas s'établir un mode ou un tarif dans une proportion quelconque, d'après lequel les acquéreurs d'immeubles pourraient payer sans encourir les amendes et les changes de l'expertise et, par suite, des procès. Car voilà une véritable vexation pour les acquéreurs. Il faut que l'on sache à quoi s'en tenir, et qu'il y ait un mode de payement d'après lequel on est sûr de payer sans courir les chances d'un procès, sans encourir une amende ou le payement d'un double droit. Voilà ce que je voudrais éviter dans l'intérêt mène du gouvernement ; car c'est là ce qui rend le fisc extrêmement odieux.
Lorsqu'il y a mutation et qu'on en déclare sincèrement le montant, on n'est pas sûr d'éviter les désagréments d'une expertise provoquée de la part du fisc et de rencontrer des agents dévoués qui évaluent la propriété à un taux plus élevé que le taux sincère auquel on l'a acheté. C'est sur ce point que j'appelle l'attention du gouvernement, demandant s'il n'y aurait pas moyen d'établir un mode de payement qui mît les contribuables à l'abri des vexations et le fisc à l'abri de l'odieux qui en rejaillit sur lui.
Un mot maintenant sur le timbre des journaux. Je n'en propose pas le rétablissement pour le moment. Je laisse cette question à l'appréciation du gouvernement. Mais maintenant que le timbre est aboli depuis plusieurs années, nous pouvons en apprécier les résultats ; aujourd'hui il est prouvé que cette mesure a profité particulièrement aux grands journaux, aux journaux de la capitale qui ont un tirage quotidien de plusieurs milliers d'exemplaires, et qu'elle est au détriment des journaux de province. C'est ce qui résulte de calculs très simples, mais parfaitement exacts, qui m'ont été communiqués par des propriétaires de journaux de province, calcus que je suis prêt à fournir à la chambre : et d'où il résulte qu'actuellement il existe un véritable monopole en faveur des grands journaux de la capitale.
J'ai l'honneur de soumettre à l'attention de la chambre les réflexions qui précèdent.
M. Pirmez. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu provoquer le gouvernement à présenter une loi pour donner les assurances à l'Etat. Je ne crois pas pourtant qu'il soit maintenant nécessaire de combattre de pareilles idées ; car je ne crois en aucune manière que, sous l'administration du ministre actuel des finances dont je connais les idées économiques, une pareille loi vous soit présentée. Cependant, comme il n'y a point d'idée qui ne puisse à la fin être mise à exécution, lorsqu'elle se produit souvent sans être combattue, j'ai cru ne devoir pas laisser passer celle-ci sans en dire un mot.
On a dit que l'honorable M. Frère, qui s'est opposé aux assurances par l'Etat, n'avait présenté que des arguments de peu de valeur. Il me paraît que l'on aurait au moins dû citer un de ces arguments et y répondre. C'est ce qu'on n'a pas fait. J'ai oublié les raisons qu'a données M. Frère, mais je suis convaincu qu'en combattant une pareille mesure, les bonnes raisons ne lui ont pas manqué.
On a parlé des bénéfices des capitalistes, mais ces capitalistes n'ont pas un monopole. Plusieurs sociétés d'assurance peuvent simultanément exister, et les bénéfices sont donc naturellement limités par la concurrence.
Au reste, cette question n'est pas principalement une question de bénéfice, et ce n'est pas des capitalistes ni de leurs intérêts qu'il s'agit. Ce que vous devez surtout considérer et repousser dans le système des assurances par l'Etat, c'est cette solidarité forcée et éminemment immorale, qui placerait, malgré eux, sur la même ligne, tous les habitants du royaume, celui qui est prudent et soigneux et celui qui ne l'est pas, et qui irait jusqu'à rendre solidaire des actes de l'incendiaire l'homme le plus probe et le plus conservateur de son habitation. Ce serait certes là une des plus funestes applications des idées socialistes.
L'assurance par l'Etat, ainsi qu'on l'a toujours entendue, ne ressemble en rien à l'assurance des capitalistes, parce que l'assurance par les capitalistes est volontaire, et que l'assurance par l'Etat serait obligatoire, ce qui est révoltant. Il n'en serait pas ainsi, ce serait déjà très odieux de rendre tous les contribuables solidaires de tout incendie qui peut avoir lieu ; mais l'assurance par l'Etat, telle que vous la comprenez et telle qu'elle a toujours été comprise, c'est l'assurance forcée, et je vous demande s'il peut entrer dans l'esprit de placer ainsi forcement tous les habitants du royaume dans une pareille solidarité.
Quant au crédit foncier par l'Etat, j'espère aussi qu'il sera repoussé par le sénat. Ici c'est le plus candide bailleur d'hypothèque qui peut être rendu solidaire des actes du faussaire. Seulement il y a cette différence avec les assurances, que tout propriétaire n'est pas forcé d'emprunter et de donner hypothèque. Mais comme c'est l'Etat qui opère, tout contribuable est naturellement garant de la gestion de l'Etat, c'est-à-dire garant des opérations des prêteurs et des emprunteurs (ce qui lui serait démontré dans les grandes crises publiques et financières). Et voila comment les assurances par l'Etat et le crédit foncier par l'Etat découlent du même mauvais principe.
M. Malou. - Je crois, messieurs, que la chambre n'est guère disposée à suivre l'honorable M. Rogier dans le vaste champ qu'il a parcouru. Le moment ne me paraît pas opportun pour une discussion politique.
(page 1461) Je crois cependant aussi devoir quelques mots de réponse à l'honorable membre, et je m'attacherai à être très bref.
L'honorable M. Rogier me paraît en proie à une singulière préoccupation : c'est que toutes ses œuvres doivent lui survivre et qu'on est forcément réactionnaire, si l'on demande le moindre changement à l'une des choses qui ont été faites sous son administration. Il n'est pas même permis de les critiquer, à peine d'être accusé d'être possédé de ce mauvais esprit de réaction que l'honorable membre n'ose pas même nommer.
Voici, quant à quelques-unes de ces institutions, la vérité des choses : l'esprit de réaction n'aura pas même besoin de s'en mêler ; plusieurs de ces institutions dont on nous a parlé tomberont d'elles-mêmes, ou ' n'existeront pas ; il en est qui sont déjà tombées.
Ainsi la caisse de retraite qui a été le prétexte de cette divagation politique, malgré toutes les réclames, malgré toutes les annonces, malgré tous les efforts du gouvernement et de ceux sur lesquels il a pu peser, n'a absolument rien produit, et j'ajoute : Elle ne produira rien. Ce n'est pas parce que l'honorable M. Osy ou parce que moi-même nous émettons ici cette opinion, mais parce que cette institution, telle qu'elle est, n'est pas viable ; que, faite sous prétexte de venir en aide aux clauses ouvrières, elle est directement, manifestement contraire à l'intérêt des classes ouvrières.
Je vais en donner un exemple.
Nous voulons tous encourager, développer l'esprit de prévoyance et d'épargne dans les classes inférieures de la société. Mais comment faut-il l'encourager ? Est-ce de manière que l'épargne de la famille pauvre soit placée à fonds perdus, et que lorsque la famiile est frappée par la perte de son chef, le capital soit aussi aliéné ? Faut-il encourager cette prévoyance ? Je dis que non. Je dis que c'est là une prévoyance qai n'est permise qu'aux classes aisées, qui peuvent spéculer sur l'accroissement ou sur l'aliénation du capital.
Or ; voici ce qu'est votre caisse : elle dit à l'ouvrier : Placez à la caisse les sommes que vous prélevez sur le bien-être de la famille, et si vous avez le bonheur d'arriver à l'âge de 55, de 60 ou de 65 ans, vous en serez récompensé. Telle est la seule forme de prévoyance que vous avez introduite pour les classes ouvrières, et je n'hésite pas à dire qu'elle est directement hostile à l'intérêt de ces classes. Je désire que les classes ouvrières ne s'y associent pas.
C'est donc une institution mort née, pour la chute de laquelle l'esprit de réaction n'a rien à faire.
J'attendais à ce qu'au lieu de tant parler de cette institution, vous nous eussiez dit quel était, malgré les affiches, les annonces, les réclames, les impulsions administratives, le chiffre des dépôts qui avaient été faits. C'est la seule chose que vous n'ayez pas fait connaître.
On dit : « On attaque une autre loi d'origine libérale. » C'est le pavillon sous lequel l'honorable M. Rogier abrite toutes ses marchandises.
Eh bien, messieurs, le crédit foncier a été combattu dans cette enceinte au nom des principes. Cette loi, si elle était faite, si elle était possible encore aujourd'hui, serait également sans effets ; nous l'avons démontré dans la discussion ; elle aurait le sort de la loi sur la caisse de retraite.
Il est du reste assez inutile de discuter cette question, parce qu'il est évident aujourd'hui, tout le monde le sait, l'honorable M. Rogier ne l'ignore pas plus que nous, que la loi relative au crédit foncier, quoiqu'elle fût coulée en bronze sur une médaille, ne passera pas dans le Bulletin officiel telle qu'elle a été votée par la chambre.
Ici encore l'esprit ce réaction n'a rien à démêler avec ce spécimen de la politique de i'bonorable M. Rogier.
On rappelle la loi des successions, la loi sur l'enseignement moyen, la loi sur la garde civique, la loi électorale. Mais, messieurs, lorsqu'un mouvement de pétitions se produit, on disait naguère pour la garde civique, en dit aujourd'hui pour la loi électorale :« C'est un mouvement factice. » On disait aussi en 1829 des pétitionnaires : « C'est un mouvement factice de l'opinion. »
Lorsqu'un pareil mouvement se produit, lors même qu'il y aurait eu une impulsion dans l'origine, ce mouvement ne se propage, ne se traduit en fait que parce qu'il y a des griefs réels de l'opinion. Le pétitionnement, en ce qui concerne la garde civique, a eu ce caractère et ces effets, et c'est pourquoi l'honorable M. Rogier, attaquant un vote récent de la chambre, n'avait pas le droit de critiquer la réforme de ia loi sur la garde civique, parce que cette réforme était la conséquence d'un mouvement légitime de l'opinion.
Ce que je viens de dire de la garde civique, je le dis de la réforme électorale. Messieurs, à un jour donné, sous la pression des evénements extérieurs, lorsque notre vote était forcé... (interruption) ; oui, messieurs, ce jour-là, la discussion était impossible, parce que le gouvernement savait bien que ses adversaires de la veille étaient ses amis, qu'aucun de nous n'eût voulu créer le moindre obstacle à sa marche, parce que nuus comprenions que le premier intérêt du pays, l'intérêt de la nationalité à laquelle nous sommes dévoués de cœur et d'âme, exigeait que nous suivissions le gouvernement, même lorsque nous croyions qu'il exagérait les nécessites de la siiuation.
Ce jour-là, on a changé radicalement la loi électorale et on a la prétention d’avoir fait déclarer l’immobilité des réformes qu’on a apportées ce jour-là, et vous qui avez tout changé, dès qu'il s'agit du moindre changement, de la moindre rectification, de faciliter l'exercice des droits, encore une fois, quelle est votre réponse ? Discutez-vous, examinez vous s'il y a quelque chose de vrai ? Non, vous dites :
« Il y a un mouvement factice dans l'opinion ; ceux qui demandent à pouvoir voter plus facilement sont des réactionnaires ou les instruments des réactionnaires, »
Voilà votre réponse à tout.
Du reste, comme on le dit à côté de moi, et je termine par là, la réforme électorale légitime, telle qu'elle est demandée par l'opinion, avec vous ou sans vous, elle se fera.
M. Lesoinne. - Et nous la déferons plus tard.
M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, nous voyons dans le rapport de la section centrale, qu'il a été question, dans la discussion, de certaines observations faites au sujet du tableau annexé à l'exposé des motifs, et qui fait sortir sur les budgets ordinaires des exercices de 1840 à 1851, un déficit moyen de 2,500,000 fr. Ce chiffre paraît basé sur ce que prenant pour point de déport l'exercice 1840, le premier dont les budgets ont été établi, sur des bases normales et si l'on s'arrête à l'exercice 1851, le dernier qui soit arrivé au terme de sa clôture et dont les résultats sont définitifs, il aurait été constatée que pendant cette période de douze années, les dépenses ordinaires ont dépassé les recettes ordinaires de 29,978,500 francs. Cette question ainsi traitée dans l'exposé des motifs a donné lieu, en section centrale, à quelques observalious.
On a fait remarquer, que si l'on tenait compte des sommes qui ont figuré aux budgets pour l'amortissement de la dette publique, des exercices 1841 à 1851, le déficit apparent se traduirait en un excédant des recettes sur les dépenses, vu que par l'effet d'un simple changement de comptabilité l'exercice 1841 a été chargé d'une dépense considérable qui concernait les exercices antérieurs.
Le gouvernement à qui ces observations ont été communiquées, a répondu que ces réflexions étaient justes, mais que, nonobstant, il fallait considérer avant tout les charges publiques dans leur ensemble, sans avoir égard à leur nature, et qu'ainsi ces dernières n'avaient pas moins dépassé les voies et moyens de 2,500,000 francs (chiffre moyen) depuis 1840 à 1851.
Seulement, dit le gouvernement, l'observation faite en section centrale pourrait avoir quelque portée s'il s'agissait de dresser le bilan de l'état actif et passif.
On pourrait alors faire ressortir que l'amortissement n'est pas une dépense proprement dite, puisqu'il a pour objet de réduire successivement les charges dérivant de la dette publique.
Mais que, comme il s'agit ici tout bonnement de la situation du trésor, abstraction faite des causes qui ont pu influer sur cette position, il doit suffire pour offrir des résultats, de mettre simplement les recettes en regard des dépenses.
Cette réponse du gouvernement communiquée en section centrale, on a cru pouvoir établir en compte que les capitaux employés au rachat de la dette nationale et prélevés sur les revenus ordinaires s'élevaient pour la période de 1840 à 1851 à la somme de 45,198,454 francs, non compris les intérêts produits chaque année par les fractions des dettes amorties.
Que le déficit résultant du décompte établi dans le rapport de la section centrale, ne serait que de 24,928,137 francs, vu qu'il y aurait dans l'indication donnée dans l'exposé des motifs de M. le ministre des finances une surcharge de 5,050,363 francs.
Que de là il s'ensuivrait que les recettes ordînaires de 1840 à 1851 ont excédé les dépenses ordinaires de 20,270,317 francs.
Qu'au lieu d'un déficit moyen de 2,500,000 francs ce serait une économie annuelle de 1,000,000 francs qui ressortirait de la balance des recettes et des dépenses ordinaires de 1840 à 1851.
Ces réflexions, la section centrale les a fait suivre d'une simple déclaration disant que, bien qu'il ne s'agisse pas dans la présente hypothèse de dresser le bilan de l'Etat en actif et passif, d'après la note de M. le ministre des finances, la section croit avoir fait une xhose utile, en saisissant une pareille occasion dans le but de dissiper ou de prévenir par quelques explications une erreur qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour le crédit public.
Messieurs, d'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, il résulterait des chiffres et des calculs que l'on a déduits, qu'au lieu de signaler un déficit, il y aurait à conclure du contraire : ce que je suis loin d'admettre, persuadé qu'il y a réellement un déficit de 30 millions et peut-être plus.
Quoi qu'il en soit, j'aurai l'honneur de demander à M. le ministre si, relativement à cette question de dresser le bilan de l'état actif et passif, il y aurait un inconvénient plus ou moins fàheux ou inopportun de l'établir d’une manière tellement claire et positive, que nous pourrions faire d'un semblable travail une appréciation saine et parfaitement satisfaisante.
Je fais seulement cette remarque pour le cas où le tableau de la situation du trésor que le gouvernement présente annuellement au 1er septembre, n'offrirait pas les éléments suffisamment explicatifs sur cette matière.
- La séance est levée à 4 heures et demie.